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N° 861

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2018.

 

 

RAPPORT  DINFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de larticle 145-7 alinéa 3 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

 

 

sur l’évaluation de la loi  2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse,

 

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

M. Laurent GARCIA et Mme George PAU-LANGEVIN,

 

Députés.

 

——

 

 


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

LISTE DES PROPOSITIONS

Introduction

I. La distribution de la presse

A. La modernisation utile mais encore insuffisante de la régulation de la distribution de la presse opérée par la loi du 17 avril 2015

1. Le renforcement nécessaire mais encore insuffisant de l’indépendance et des pouvoirs de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP)

a. Le renforcement de l’indépendance de l’ARDP

b. Le renforcement des prérogatives de l’ARDP, en particulier en matière d’homologation des barèmes

2. L’insuccès des dispositifs visant à accélérer la mise en commun des moyens des messageries au niveau 1

3. L’inefficacité des mesures visant à rationaliser la distribution sur le « dernier kilomètre »

B. L’impÉrieuse nÉcessité d’opÉrer, sans atermoiements, une refonte en profondeur de l’organisation et de la rÉgulation de la distribution de la presse

1. La nécessité de mettre fin à la tradition d’autorégulation au profit d’une instance de régulation unique et véritablement indépendante

a. Un « entre-soi » porteur de conflits d’intérêt et quasi-unanimement dénoncé

b. Un modèle de régulation bicéphale à bout de souffle

2. La cessité d’adapter le modèle coopératif des messageries de presse (niveau 1)

a. Le cumul délétère des qualités d’actionnaire et de client

b. Les limites du principe « un éditeur = une voix »

c. La question du rapprochement des deux messageries

3. La nécessité de conforter les messageries de presse dans leur stratégie de cession de leurs activités de dépositaire (niveau 2)

4. La nécessité de rendre effective la marge de liberté déjà reconnue par la loi aux diffuseurs de presse (niveau 3)

a. Reconnaître aux diffuseurs de presse une réelle latitude pour choisir les titres de presse non-IPG qu’ils vont vendre

b. Redéfinir la notion de « produit de presse »

c. Refondre le système de facturation au sein de la filière de distribution de la presse

d. Permettre, pour certains titres de presse à périodicité longue, une distribution directe entre éditeurs et diffuseurs

e. Diversifier les points de vente de la presse et les activités des diffuseurs de presse

II. L’AGENCE France-Presse

A. Les objectifs poursuivis par la réforme du statut de l’AFP en grande partie atteints

1. Une gouvernance modernisée mais qui peut encore être améliorée

a. Le conseil d’administration, un lieu à la fois plus paritaire et plus ouvert

b. Le conseil supérieur : des missions renforcées et une composition revisitée

c. La commission financière : un rôle de vigie renforcé

2. Un financement conforme au droit européen de la concurrence

3. Une réforme qui permet à l’AFP de conserver son rang sur la scène internationale

B. La situation de l’Agence n’en demeure pas moins préoccupante

1. Une situation financière d’une grande fragilité

2. Un modèle à réformer ?

III. dispositions relatives au financement de la Presse

A. Le financement citoyen de la presse d’information politique et générale : une option qui peine À s’imposer

1. Des dispositifs fiscaux de plus en plus généreux

2. Des succès contrastés

a. Les dons effectués dans le cadre de l’élargissement du régime fiscal du mécénat aux entreprises de presse en forte progression

b. La réduction d’impôt au titre de la souscription au capital d’entreprises de presse  n’a pas encore trouvé son public

3. Un financement qui doit être pérennisé et renforcé

B. Le statut d’Entreprise solidaire de presse d’information : Un potentiel encore largement inexploité

1. Un statut fiscalement attractif

2. Un statut qui peine à s’imposer

3. Un statut qui doit être simplifié et revalorisé

Travaux de la commission

annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

ANNEXE 2 : Loi n° 2015433 du 17 avril 2015 portant diverses dipositions tendant à la modernisation du secteur de la presse


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   LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 : confier la régulation de la distribution de la presse à une unique autorité administrative, du type de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui soit véritablement indépendante à l’égard des professionnels (éditeurs, messageries de presse, dépositaires et diffuseurs) et qui soit dotée de moyens renforcés, à la hauteur des missions confiées.

 

Proposition n° 2 : engager une réflexion sur le statut des sociétés coopératives de messageries de presse pour faire face aux défis des évolutions du marché de la presse vendue au numéro.

 

Proposition  3 : rendre effective la libéralisation de l’assortiment des produits de presse ne relevant pas de la presse d’information politique et générale, qui est déjà prévue par l’article 18-6, 2°, de la loi dite « Bichet » du 2 avril 1947.

 

Proposition  4 : redéfinir, dans un sens plus restrictif, la notion de produit de presse.

 

Proposition n° 5 : refondre le système de facturation en vigueur dans la filière de la distribution de la presse afin que les éditeurs de presse ne facturent plus aux diffuseurs que les exemplaires vendus, après restitution des invendus.

 

Proposition  6 : pour certains titres de presse à périodicité longue, permettre une distribution directe de l’éditeur au diffuseur de presse.

 

Proposition n° 7 : mieux représenter les nouveaux clients de l’Agence France-Presse au sein du conseil d’administration.

 

Proposition n° 8 : faciliter l’application de la règle de parité au sein du conseil d’administration en faisant désigner par chaque sous-collège un nombre pair de membres ou des suppléants.

Proposition n° 9 : instaurer une date unique pour le début du mandat des membres du conseil d’administration afin de faciliter la mise en œuvre de la parité en son sein.

 

Proposition n° 10 : prévoir que la commission financière de l’Agence FrancePresse examine l’état annuel de prévision des recettes et des dépenses de l’agence avant son adoption par le conseil d’administration (et non après cette adoption, comme c’est aujourd’hui le cas).

 

Proposition n° 11 : revoir la composition de la commission financière ou envisager sa suppression.

 

Proposition n° 12 : pérenniser le dispositif de réduction d’impôt au titre de la souscription au capital d’une entreprise de presse d’information politique et générale.

 

Proposition n° 13 : permettre à des holdings d’investisseurs d’entrer au capital de sociétés des lecteurs.

 

Proposition n° 14 : garantir que les versements effectués à une société de lecteurs dont l’objet statutaire exclusif est de prendre une participation au capital d’une ESPI ouvrent droit à une réduction d’impôts sur le revenu égale à 50 %.

 

Proposition n° 15 : aligner la réduction d’impôt sur le revenu au titre de la souscription au capital d’une ESPI sur celle dont bénéficient les particuliers lorsqu’ils effectuent un don à une association exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse.

 

 

 

 


—  1  —

   Introduction

« On est comme des fakirs sur des clous : on a mal mais on ne bouge pas » : c’est ainsi que Mme Michèle Benbunan, présidente-directrice générale de Presstalis, a dépeint la situation du secteur de la distribution de la presse lors de son audition, le 28 février dernier.

La formule montre à quel point la situation n’a guère évolué depuis l’entrée en vigueur de la loi  2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (ci-après « la loi du 17 avril 2015 »), dont la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a confié l’évaluation aux rapporteurs. En effet, on peut lire dans le rapport produit en décembre 2014 par le rapporteur de cette loi pour l’Assemblée nationale, l’ancien député Michel Françaix, que face à l’« érosion et [au] vieillissement continus du lectorat, [à l’] effondrement des ventes mais aussi des autres recettes liées à la diffusion (publicité, annonces), [à la] déstabilisation de la principale messagerie de presse (Presstalis), [et à la] réduction régulière du nombre de points de vente », « le système de distribution de la presse vendue au numéro connaît aujourd’hui, à tous ses niveaux, une crise profonde et un besoin de réforme urgent » ([1]).

En 2018, les rapporteurs pourraient presqu’écrire le même rapport que celui fait quatre ans plus tôt par M. Michel Françaix, lors de l’examen en première lecture de la loi du 17 avril 2015. Celui-ci notait en effet en 2014 que « la situation financière de Presstalis est aujourd’hui très dégradée », rappelant qu’« en 2010, la société était au bord de la cessation de paiement. Après l’échec du plan de restructuration élaboré en 2010, la messagerie a fait l’objet d’un nouveau plan de sauvetage en 2012 s’accompagnant d’un projet de restructuration de la filière dont la mise en œuvre progresse à un rythme qui peut paraître insuffisant au regard des enjeux » ([2]).

Il y a quelques semaines encore, le sort du groupe Presstalis, placé en procédure de conciliation, était à nouveau suspendu aux décisions du tribunal de commerce de Paris, faisant peser sur l’ensemble du système de distribution de la presse – qui emploie près de 70 000 personnes – un risque que le régulateur a récemment lui-même qualifié de « systémique, grave et immédiat », « de nature à provoquer l’interruption de la distribution, fragilisant de manière radicale non seulement les deux messageries, mais également les éditeurs, les dépositaires et les diffuseurs et mettant en question l’existence des plus fragiles d’entre eux » ([3]).

Pourtant, le plan de restructuration de Presstalis lancé en 2012 visait à rétablir son équilibre financier à l’horizon de 2015 grâce au départ d’environ la moitié des salariés, la réduction de ses activités de dépositaire de presse et de substantielles aides publiques.

Les rapporteurs rappellent à cet égard qu’au cours des dix dernières années, ce sont plus de 200 millions d’euros d’aides publiques qui ont été versées à Presstalis depuis le programme 180 (Presse et médias) des projets de loi de finances successifs, comme en témoigne le tableau ci-dessous :

aides versées à presstalis depuis 2005 depuis le programme 180

 

Année

Contexte

Objet

Montant (en millions d’euros)

2008

Défi 2010

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et des investissements liés à la restructuration de la branche quotidiens

12

2009

Défi 2010

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et des investissements liés à la restructuration de la branche quotidiens

18

2010

Mesures d’urgence post-Mettling

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et financement de la réforme de la distribution

38
(20 + 18)

2011

Préparation du plan stratégique

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et financement de la réforme de la distribution

18

2012

Plan stratégique

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et financement de la réforme de la distribution

23
(18 + 5)

2013

Plan stratégique

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et financement de la réforme de la distribution

28
(18 + 10)

2014

Médiation Redding

Financement du déficit de la distribution des quotidiens et financement d’une part des surcoûts liés à la médiation Redding

32
(18 + 14)

2015

Plan stratégique

Financement du déficit de la distribution des quotidiens

18

2016

Plan stratégique

Financement du déficit de la distribution des quotidiens

18

2017

Plan stratégique

Financement du déficit de la distribution des quotidiens

18

Source : Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) – Ministère de la Culture

Mme Michèle Benbunan a indiqué aux rapporteurs que, dans le cadre du sauvetage de Presstalis organisé à la suite des difficultés rencontrées par ce groupe en 2010 et en 2012, plusieurs plans sociaux avaient été engagés qui, ayant conduit au départ de près de 1 000 personnes à des conditions très favorables, se sont avérés extrêmement coûteux (de l’ordre de 50 millions d’euros par plan social) ([4]).

Outre ces plans sociaux, l’ancienne direction a conduit de coûteux projets de création de niveaux de regroupement intermédiaires entre l’échelon national et l’échelon régional, « sans logique économique dans un marché en baisse et qui a représenté un coût de 50 millions d’euros » ([5]).

Elle a également initié, pour un montant de 20 millions d’euros, un schéma directeur de rachats de dépôts en région qui, d’après le Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP), se serait soldé par un « échec très coûteux » ([6]).

Qui plus est, d’après certaines des personnes entendues, Presstalis aurait acquis des sociétés et financé ses investissements grâce à l’affacturage dont le groupe aurait fait un usage démesuré en mobilisant des créances pour un encours de 250 millions d’euros fin 2016 (contre 50 millions d’euros fin 2015).

Alors qu’au début de l’année 2017, le groupe Presstalis était présenté comme « sorti d’affaire », « un dérapage significatif vis-à-vis de la trajectoire budgétaire a été découvert au moment de la certification des comptes 2016 par les commissaires aux comptes. Le résultat d’exploitation 2016 s’élève finalement à  1,9 million d’euros et le résultat net s’établit à - 48 millions d’euros » ([7]) – ce qui a conduit à un changement de direction à l’été dernier.

Si « la direction de Presstalis impute la découverte tardive de ce décrochage à la migration du logiciel comptable et au changement du logiciel budgétaire » ([8]), il semble que la dégradation de la situation économique et financière de l’entreprise tienne notamment à l’accélération du départ de clients éditeurs vers la messagerie concurrente (à savoir les Messageries lyonnaises de presse – MLP). Cette « hémorragie » a été amplifiée par l’homologation des barèmes très compétitifs votés par l’assemblée générale des MLP au début de l’année 2017. Ces barèmes ont permis aux MLP d’attirer des éditeurs de magazines qui étaient jusqu’alors clients de Presstalis (pour un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros) et qui permettaient à cette dernière messagerie de compenser (au moins partiellement) les déficits liés à la distribution des quotidiens.

Pour toutes ces raisons, les fonds propres négatifs de Presstalis avoisinent aujourd’hui ‑ 305 millions d’euros, quand ceux des MLP sont de l’ordre de ‑ 8 millions d’euros. À ces fonds propres négatifs, il faut ajouter le résultat d’exploitation négatif de Presstalis pour l’année 2017 qui se situerait autour de ‑ 25 millions d’euros.

Le groupe Presstalis risquant de se trouver en état de cessation des paiements à la fin de l’année 2017, sa nouvelle direction a demandé au tribunal de commerce de Paris l’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc (convertie par la suite en procédure de conciliation) et a bâti un plan de retournement avec un objectif de retour à un résultat positif d’ici dix-huit mois.

Ce plan, dont le coût est évalué à 50 millions d’euros, prévoit :

– le départ de 250 salariés (sur les 1 200 que compte le groupe) sans autre indemnisation que les indemnités légales de licenciement (ces départs concerneraient surtout les postes commerciaux au siège de Presstalis) ;

– la cession de neuf des dix-sept dépôts de Presstalis à des dépositaires indépendants, afin de privilégier des plateformes régionales moins nombreuses et plus petites (à Nantes, Bordeaux, Toulouse, Lyon et Marseille) ;

– la réduction des coûts liés aux achats et au transport, via notamment le développement de partenariats avec le logisticien Geodis ;

– une avance de 50 millions d’euros en compte courant consentie par les éditeurs.

En outre, l’État s’est engagé à octroyer, via le Fonds pour le développement économique et social (FDES), un prêt de 90 millions d’euros aux coopératives d’éditeurs actionnaires de Presstalis, assorti des garanties nécessaires pour satisfaire aux exigences européennes en matière d’aides d’État et versé en plusieurs tranches (35 millions d’euros d’ici la fin du mois de mars 2018, 25 millions d’euros avant l’été 2018 et le solde dans un délai d’un an).

Ce plan de retournement, qui vise à renouer avec un résultat d’exploitation positif (de l’ordre de 15 millions d’euros) d’ici fin 2019, a fait l’objet d’un protocole de conciliation qui a été homologué par le tribunal de commerce de Paris le 14 mars dernier, mais auquel ni les sociétés d’affacturage ni les représentants des éditeurs ne sont parties prenantes ([9]).

À ce protocole s’ajoutent des mesures d’ordre général décidées par le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) le 20 février 2018 et homologuées par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) le 2 mars dernier. Les deux régulateurs de la filière se sont en effet accordés sur la nécessité de :

– prolonger de six mois, à titre exceptionnel, les délais de préavis en cours qui doivent être respectés par les éditeurs de presse lorsqu’ils veulent retirer la distribution de tout ou partie de leurs titres à une messagerie – cette mesure provisoire et conservatoire étant censée stabiliser la filière ([10]) ;

– soumettre les éditeurs actionnaires des messageries de presse à une contribution exceptionnelle prélevée chaque mois et égale à un pourcentage des ventes de l’ensemble des titres distribués dans le cadre du contrat de groupage coopératif (2,25 % s’agissant des titres distribués par Presstalis) – et ce à compter du 5 mars 2018, pour une période soit de dix semestres (s’agissant des titres distribués par Presstalis) soit de neuf semestres (s’agissant de ceux distribués par les MLP), afin de financer le programme pluriannuel de redressement des messageries.

Ces mesures ont suscité de vives réactions, la contribution exceptionnelle de 2,25 % du montant du prix de vente des titres menaçant la survie de bon nombre de « petits » éditeurs dont la marge est inférieure à ce pourcentage ([11]) – et ce d’autant plus que Presstalis a en outre opéré une retenue de 25 % des recettes dues aux éditeurs en décembre 2017 et en janvier 2018 ([12])

Bien qu’elle ait homologué ces mesures pour parer à l’urgence, l’ARDP a tenu à conclure sa délibération du 2 mars dernier en appelant « l’attention de l’ensemble des acteurs de la filière sur le caractère structurant des difficultés du système collectif de distribution qui imposent une réforme d’ampleur, au-delà des seules mesures de redressement de la principale messagerie » ([13]).

C’est bien parce qu’ils sont conscients de la nécessité d’entreprendre sans tarder des réformes structurelles et ambitieuses de l’organisation et de la régulation de la distribution de la presse vendue au numéro que les rapporteurs ont entendu ne pas limiter leur travail d’évaluation aux seules dispositions de la loi du 17 avril 2015. Bien au contraire, ils ont souhaité étendre ce travail d’évaluation aux dispositifs issus de loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse et de la loi n° 47‑585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, connue sous le nom de « loi Bichet ».

En effet, on ne saurait se contenter de propositions de court terme, liées aux graves difficultés de Presstalis : il faut bien plutôt envisager la réorganisation de la filière de la distribution de la presse et de sa régulation dans leur globalité, sur le moyen et long termes.

Les rapporteurs ont donc souhaité non seulement établir un diagnostic des difficultés de la distribution de la presse mais aussi engager un travail prospectif qui a pu se nourrir de la trentaine d’auditions menées au cours des deux derniers mois, mais malheureusement pas du rapport sur la distribution de la presse par vente au numéro remis au Gouvernement à la fin de l’année 2017 par M. Gérard Rameix. En effet, bien qu’ils aient été sollicités en ce sens, les ministres destinataires de ce rapport ne l’ont pas transmis aux rapporteurs à ce jour.

 

La même démarche, tout à la fois évaluative et prospective, a présidé à l’évaluation des titres de la loi du 17 avril 2015 consacrés à l’Agence FrancePresse (AFP) et aux entreprises solidaires de presse d’information (ESPI).

En 2015, les objectifs du législateur par rapport à l’AFP étaient doubles.

En premier lieu, il s’agissait de clore le contentieux européen relatif aux aides d’État ouvert à la suite de la plainte déposée par l’agence de presse allemande NAPD devant la Commission européenne.

Cette plainte a donné lieu à une enquête sur les modalités de financement de l’agence. Si la Commission européenne a reconnu que l’AFP remplissait des services économiques d’intérêt général, elle a estimé qu’une séparation plus nette entre ces missions, ouvrant droit à une compensation de la part de l’État, et les activités commerciales, était nécessaire. La loi du 17 avril 2015 traduit cette séparation comptable dans le droit.

En second lieu, le législateur a souhaité moderniser la gouvernance de l’AFP afin de l’adapter aux évolutions du monde de l’information et la rendre plus efficace.

Les rapporteurs ont évalué le titre II de la loi au regard de ces deux objectifs et jugent qu’ils sont en grande partie atteints.

Les quelques propositions qu’ils mettent en avant ne préconisent donc pas une réforme d’ampleur mais des évolutions marginales destinées, par exemple, à assouplir l’application de certaines règles que la pratique a révélé trop contraignantes ou à renforcer l’efficacité de certains contrôles ou modalités de prise de décision.

Les rapporteurs ont également jugé utile de dire un mot de la situation financière de l’AFP qui leur apparaît préoccupante. Sans formuler de proposition précise sur les évolutions nécessaires pour répondre aux besoins de l’agence, ils unissent leurs voix à celles du conseil supérieur de l’AFP et du sénateur Michel Laugier en appelant de leurs vœux une réflexion sur le statut de l’AFP.

S’agissant du titre III de la loi du 17 avril 2015, dont l’objectif est de mettre en place un nouveau statut pour les entreprises de presse et d’encourager le financement citoyen de la presse d’information, les rapporteurs ont cherché à savoir si les dispositifs fonctionnaient bien mais également s’ils répondaient à un besoin des éditeurs.

Le statut d’ESPI rencontre, trois ans après sa création, un succès croissant mais limité. Les rapporteurs estiment qu’il est adapté aux attentes de certains éditeurs. Dès lors, les avantages fiscaux qui lui sont attachés doivent non seulement être pérennisés, sous peine de mettre un coup d’arrêt à la progression du nombre de publications choisissant ce statut, mais renforcés. Les propositions qu’ils formulent ont un coût très limité pour les finances publiques et pourraient permettre à ce statut inspiré des entreprises d’économie sociale et solidaire de prendre son envol.

Les dispositions relatives au mécénat en faveur du pluralisme de la presse, introduites dans la loi 17 avril 2015 après les attentats perpétrés au siège de Charlie Hebdo, permettent de consolider dans le droit positif deux rescrits fiscaux existant depuis 2007.

Les chiffres communiqués aux rapporteurs montrent que l’inscription du dispositif dans le code général des impôts a permis une forte augmentation des dons des particuliers aux entreprises de presse. À ce jour, le dispositif fonctionne donc de manière satisfaisante et il n’a pas paru utile aux rapporteurs de formuler des propositions destinées à en améliorer le fonctionnement.

 

Si les rapporteurs ont choisi de concentrer leur travail d’évaluation sur les trois thèmes que constituent la distribution de la presse, l’AFP et les ESPI, il faut garder à l’esprit que la loi du 17 avril 2015 comportait également des mesures ponctuelles comme celle permettant aux parlementaires de se faire accompagner par des journalistes lors de la visite de lieux de rétention administrative, de zones d’attente, d’établissements pénitentiaires ou de centres éducatifs fermés ([14]), ou encore celle supprimant les commissions consultatives départementales d’habilitation des journaux susceptibles de recevoir les annonces légales.

L’article 17 de la loi du 17 avril 2015 a en effet modifié l’article 2 de la loi n° 55‑4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales pour prévoir que « la liste des journaux susceptibles de recevoir les annonces légales soit dans tout le département, soit dans un ou plusieurs de ses arrondissements est fixée chaque année au mois de décembre pour l’année suivante, par arrêté du préfet ». Or il semblerait que cette mesure qui a fait disparaître les commissions consultatives d’habilitation soit loin de faire l’unanimité… Pas plus que les idées de dématérialisation complète des annonces judiciaires et légales qui seraient avancées par certains. Aussi bien les représentants de la presse quotidienne et hebdomadaire régionale que ceux de la presse d’information spécialisée ont fait part aux rapporteurs de leur vive inquiétude à ce sujet, rappelant que les revenus qui sont tirés de la publication physique de ces annonces font vivre plusieurs centaines de titres (en particulier de la presse hebdomadaire régionale).

Les rapporteurs tiennent donc à attirer l’attention du Gouvernement sur ce sujet, au-delà des questions liées à la distribution de la presse, à l’AFP et aux ESPI, sur lesquelles ils ont choisi de se concentrer.


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I.   La distribution de la presse

La loi « Bichet » du 2 avril 1947 a été adoptée à une époque où le paysage de la presse française était très différent de ce qu’il est aujourd’hui.

Alors que ce paysage est, de nos jours, marqué par l’attrition de la vente au numéro (en particulier des quotidiens ([15])), par la multiplication des magazines et par l’hétérogénéité des formes de diffusion (portage, abonnements postaux et numériques ([16])), il était à l’après-guerre foisonnant et marqué par une relative homogénéité. L’édition de magazines était alors relativement marginale et les quotidiens représentaient l’essentiel de la presse vendue au numéro dans quelque 80 000 points de vente (contre 23 000 aujourd’hui).

Le législateur a alors voulu mettre le système de distribution de la presse à l’abri des ingérences politiques et des puissances financières qui seraient tentées d’exercer un pouvoir de censure. À la Libération, les esprits étaient encore très marqués par les agissements de l’entreprise Hachette qui, en situation de monopole sur la distribution de la presse, avait par exemple refusé de distribuer le journal L’Humanité dans son réseau.

La loi Bichet a donc fait en sorte que l’ensemble des éditeurs puissent accéder à la distribution et maîtriser celle-ci à travers des sociétés coopératives de messagerie où chacun d’entre eux ne pouvait disposer que d’une voix, et d’une seule, quel que soit son poids économique. Toujours afin de limiter la prépondérance d’Hachette, la loi « Bichet » a confié la régulation de la distribution de la presse à un organisme de droit privé censé représenter l’ensemble des acteurs de la filière : le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) qui, à l’origine, n’était qu’une autorité purement consultative, exerçant le double rôle d’interlocuteur des pouvoirs publics et de régulateur du réseau de distribution. En qualité de régulateur, le CSMP était essentiellement chargé de contrôler les comptes des messageries et de faciliter l’application de la loi Bichet.

Les grands principes du système de distribution
de la presse papier vendue au numéro

Le système de distribution de la presse papier, dont le cadre a été fixé par la loi Bichet, s’organise aujourd’hui autour de trois niveaux.

Concrètement, la répartition des publications vers le réseau de vente passe par leur identification au niveau 1 (sur le plan formel et sur le plan commercial : format, poids, paquetage, prix de vente…), par l’enregistrement dans le système d’information de ces données et du plan de répartition par points de vente selon l’assiette de distribution déterminée par l’éditeur. Le transport est organisé depuis le dépôt central de la messagerie vers les dépôts régionaux de niveau 2 qui assurent pour leur part la répartition aux points de vente de niveau 3. Lors de la relève de la publication, généralement à la parution du numéro suivant, le flux retour des invendus s’opère dans l’autre sens. Le trafic des navettes de transport entre les différents points de la chaîne est permanent.

Il faut noter qu’outre leur activité logistique, les dépositaires ont un rôle de collecteur de fonds : ils sont en effet chargés de recueillir auprès des diffuseurs de presse de leur réseau le produit de la vente des produits presse distribués et de le reverser aux messageries, après prélèvement de leur commission « ad valorem », c’est-à-dire proportionnelle au prix de vente (toutes taxes comprises) des titres.

Les dépositaires agissent alors en tant que commissionnaires « ducroire », c’est-à-dire qu’ils garantissent aux messageries de presse (niveau 1) ainsi qu’aux éditeurs que la totalité du produit de la vente des produits de presse écoulés par les diffuseurs de presse (niveau 3) va leur être reversée, même en cas de défaillance des diffuseurs de presse.

Les personnes auditionnées s’accordent quasi-unanimement à reconnaître les mérites d’une loi qui, longtemps enviée dans le monde entier, a permis à tout éditeur, quelle que soit sa taille, d’accéder à la distribution, ce qui a favorisé une réelle diversité de l’offre de presse ([17]) et nourri un véritable pluralisme ([18]). Loi très propice à la liberté d’entreprendre et à la liberté de la presse, la loi « Bichet » a été vantée comme étant une loi très moderne.

Ainsi que l’a rappelé M. Nicolas Sauzay, président de la Coopérative de distribution des magazines, il suffit à tout éditeur qui souhaite diffuser son ou ses titres par le réseau de la distribution de la presse au numéro d’adhérer à une coopérative actionnaire d’une société de messagerie de presse – le coût d’adhésion ne s’élevant, semble-t-il, qu’à quelques centaines d’euros s’agissant de Presstalis. La messagerie se charge ensuite de distribuer les exemplaires qui lui sont remis, quitte à ce que la diffusion se solde par un échec total, dans quel cas une partie des coûts aura finalement été supportée par l’ensemble de la chaîne de distribution.

Dans d’autres pays qui, comme le Royaume-Uni ou la Suisse, ont adopté un système non-coopératif, l’accès à la distribution de la presse est plus coûteux et difficile pour les éditeurs qui doivent en effet négocier au cas par cas les conditions commerciales de leur distribution, avec un risque d’éviction des plus petits d’entre eux ([19]).

Toutefois, si le système de distribution de la presse organisé par la loi « Bichet » a pu s’avérer vertueux en période d’expansion et d’augmentation continue des volumes distribués, il montre aujourd’hui clairement ses limites en période d’attrition constante du marché de la presse vendue au numéro, sous le triple effet de la progression de la vente par abonnement, du portage et du « virage » numérique.

Les difficultés de Presstalis en constituent la parfaite illustration. Lors de son audition, Mme Michèle Benbunan, qui n’a pas été en mesure d’indiquer aux rapporteurs si l’intégralité des prêts consentis en 2012 à Presstalis avait été remboursée, a regretté que les sommes alors investies dans le sauvetage du groupe en 2012 aient été dépensées à tort et à travers, sans contrôles suffisants de la part des organes internes à Presstalis, des organes de régulation et de l’État. Mme Michèle Benbunan a par exemple indiqué que le montant annuel des notes de frais des équipes dirigeantes de Presstalis s’établissait à plus de deux millions d’euros et que le siège du groupe comptait près de 200 véhicules de fonction.

Lors de leur audition, les représentants du syndicat Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) des salariés de Presstalis ont comparé l’attitude du groupe au cours des dernières années à celle d’un joueur qui aurait gagné au loto en 2012 et qui, depuis, n’aurait bénéficié d’aucun accompagnement pour la gestion de ses gains.

La question semblant relever de l’autorité judiciaire, les rapporteurs ne se prononceront pas sur la responsabilité des anciennes équipes dirigeantes de Presstalis, de ses administrateurs et de ceux qui étaient chargés d’en contrôler les comptes.

Les rapporteurs tiennent seulement à signaler que, d’après certaines des personnes entendues, les graves difficultés de Presstalis, présentées comme brutales et inattendues, ne sont pas une surprise, dans la mesure où son résultat net s’est régulièrement dégradé depuis 2012, malgré l’amélioration de son résultat d’exploitation. Dans un document écrit remis à la mission, le Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) explique ainsi que « c’est bien Presstalis et Presstalis seule qui est au bord du gouffre. Et cette position inconfortable n’est pas le fait du hasard. Elle résulte des décisions qui ont été prises par le Conseil d’administration de Presstalis, sur propositions de sa Direction générale, et que le CSMP a contribué à imposer à toute la filière. Depuis des années, tous les ans, lors de la présentation des comptes des messageries au CSMP, chacun voit le trou des fonds propres de Presstalis se creuser et chacun s’interroge silencieusement sur la capacité de la messagerie à poursuivre son activité, sur la perception et l’appréciation de ses commissaires aux comptes ».

Les difficultés de Presstalis témoignent non seulement d’une gestion discutable de son ancienne direction, de son conseil d’administration et de ses commissaires aux comptes – si l’on en croit les propos tenus lors de son audition par Mme Michèle Benbunan –, mais aussi d’une défaillance de la régulation. Car, en principe, les régulateurs sont, en application de l’article 17 de la loi Bichet, « garants du respect du principe de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ». Le CSMP est même doté du concours d’experts-comptables à cet effet ainsi que d’une commission de suivi de la situation économique et financière des messageries (CSSEFM). Mais, d’après le président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), M. Francis Morel, le CSMP débattrait encore en ce début d’année 2018 des comptes des messageries datant de l’année 2016 – en dépit de toutes les révélations faites sur les comptes de Presstalis pour l’année 2017. Dans un avis émis le 13 juillet 2017, la CSSEFM avait en effet « attir[é] l’attention du Conseil supérieur [CSMP] sur la précarité des équilibres financiers actuels de Presstalis, qu’il s’agisse de l’exploitation, du résultat exceptionnel structurellement déficitaire, des besoins de financement et du recours systématique à un affacturage onéreux pour y faire face, ou encore des capitaux propres très substantiellement négatifs ».

Aucun des organes de régulation n’ayant su anticiper les difficultés de Presstalis, les rapporteurs estiment, comme M. Louis Dreyfus, président de la Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ), que la gouvernance actuelle de la distribution de la presse est inadaptée.

Au-delà de l’évaluation de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (A), les rapporteurs entendent donc esquisser un certain nombre de pistes de réflexion pour repenser en profondeur l’organisation de la filière de la distribution de la presse et de sa régulation (B).

A.   La modernisation utile mais encore insuffisante de la régulation de la distribution de la presse opérée par la loi du 17 avril 2015

Le développement de la concurrence dans un marché baissier a conduit à ce que les conflits entre les différents acteurs de la distribution de la presse – et particulièrement entre les deux messageries du niveau 1 – ont cessé d’être arbitrés au sein de la profession pour se déporter vers l’Autorité de la concurrence et les juridictions judiciaires.

C’est la raison pour laquelle le législateur est intervenu en 2011 pour renforcer la régulation de la distribution de la presse. La loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse a créé une régulation bicéphale en doublant le CSMP, auquel les acteurs de la distribution de la presse restaient très attachés, d’une Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) chargée de contrôler la légalité de ses décisions.

S’agissant du CSMP, tout en en précisant la nature juridique – qu’elle a qualifié de « personne morale de droit privé » ([20]) –, la loi du 20 juillet 2011 en a modifié la composition qui est désormais fixée à vingt membres censés représenter les différents acteurs de la distribution de la presse, auxquels il faut ajouter un commissaire du Gouvernement ayant voix consultative ([21]).

La loi du 20 juillet 2011 a également prévu que le CSMP délèguerait « à une commission spécialisée composée d’éditeurs [la « commission du réseau » ou « CDR »] le soin de décider, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, de l’implantation des points de vente de presse, des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de chalandise » ([22]).

Au-delà de ce pouvoir de décision à caractère individuel qui porte sur toutes les questions touchant à l’organisation et au fonctionnement du réseau de distribution ([23]), et qui est désormais exercé par l’intermédiaire de la CDR, la loi du 20 juillet 2011 a élargi les missions du CSMP en lui reconnaissant non seulement un pouvoir de décision de portée générale, exercé dans le cadre de sa mission visant à assurer le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse, mais aussi un pouvoir de conciliation obligatoire. Afin d’éviter que les litiges entre les différents acteurs de la distribution de la presse ne se déportent vers les tribunaux, la loi du 20 juillet 2011 a en effet prévu que tous les différends devraient être soumis à l’arbitrage du CSMP, préalablement à tout recours contentieux.

 S’agissant de l’ARDP, sans définir sa nature juridique, la loi du 20 juillet 2011 en a fixé la composition, à savoir trois membres, nommés par arrêté du ministre chargé de la communication : un magistrat de la Cour de cassation désigné par le premier président de la Cour de cassation, un conseiller d’État désigné par le vice‑président du Conseil d’État, et un magistrat de la Cour des comptes désigné par le premier président de la Cour des comptes.

Aux termes de la loi, il revenait à ces juristes :

– d’arbitrer les différends persistant à l’issue de la procédure de conciliation obligatoire confiée au CSMP – étant précisé que, d’après les éléments fournis par l’ARDP elle-même, cette procédure d’arbitrage n’a jamais été mise en œuvre ;

– de rendre exécutoires les décisions de portée générale prises par le CSMP soit expressément, soit implicitement, en gardant le silence pendant six semaines – étant précisé que l’ARDP s’est vu reconnaître la possibilité de demander au CSMP une nouvelle délibération, en lui adressant, le cas échéant, des recommandations, et de saisir le Premier président de la cour d’appel de Paris afin de conférer un caractère contraignant (mesures conservatoires, astreintes, etc.) aux décisions de portée générale du CSMP rendues exécutoires par l’ARDP ([24]).

L’ARDP était donc appelée à se focaliser sur les aspects juridiques de la régulation, en contrôlant notamment la conformité des décisions de portée générale du CSMP au regard des règles et principes de la loi Bichet, tandis que le CSMP devait se concentrer sur ses aspects économiques (en particulier ceux liés aux barèmes des messageries de presse).

Quelques chiffres au sujet de l’activité de l’ARDP

Depuis 2011, l’ARDP s’est prononcée sur 40 décisions de portée générale du CSMP, qui ont donné lieu à 35 délibérations :

28 délibérations, parfois assorties de prescriptions complémentaires (rapport sur la mise en œuvre, prise d’acte, etc.), ont rendu totalement exécutoires une ou plusieurs décisions de portée générale du CSMP ;

2 délibérations ont rendu partiellement exécutoire une décision de portée générale du CSMP ;

3 délibérations ont réformé, dans une mesure plus ou moins importante, une ou plusieurs décisions de portée générale du CSMP ;

1 délibération n’a pas rendu exécutoires plusieurs décisions de portée générale du CSMP ;

1 délibération a maintenu le refus de rendre exécutoires plusieurs décisions de portée générale du CSMP.

L’ARDP n’a pas été amenée à faire usage de la faculté qui lui est ouverte de demander une nouvelle délibération au CSMP. Néanmoins, lorsqu’après les observations formulées par le président du CSMP, elle a été conduite à maintenir son refus de rendre exécutoire plusieurs décisions de portée générale du CSMP, elle a invité le CSMP, au titre de ce même alinéa, à envisager des modalités alternatives pour les mesures adoptées (délibération n° 2017-08 du 20 octobre 2017).

Les décisions de l’ARDP pouvant, sur le fondement d’une attribution législative de compétence, faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris, l’ARDP a, dans ce cadre, été impliquée dans plusieurs contentieux depuis 2011 :

- la décision n° 2012-01 du 21 février 2012 du CSMP, rendue exécutoire par la délibération n° 2012-03 du 16 mars 2012 de l’ARDP, a donné lieu à deux instances :

• un recours en annulation, qui a été rejeté par un arrêt du 20 juin 2013 ;

• un pourvoi en cassation, qui a donné lieu à un désistement dont il a été donné acte par ordonnance du 14 novembre 2013 ;

- la décision n° 2012-05 du 13 septembre 2012 du CSMP, rendue exécutoire par la délibération n° 2012-07 du 3 octobre 2012 de l’ARDP, a donné lieu à trois instances :

• une demande de sursis à exécution, que le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris a rejeté par ordonnance du 19 février 2013 ;

• une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), que la cour d’appel de Paris a refusé de transmettre à la Cour de cassation ;

• un recours en annulation, qui a donné lieu à un désistement dont il a été donné acte par un arrêt du 20 février 2014 ;

- la décision n° 2013-05 du 3 octobre 2013 du CSMP, rendue exécutoire par la délibération n° 2013-07 du 31 octobre 2013 de l’ARDP, a donné lieu à trois instances :

• une demande de sursis à exécution, à laquelle le délégué du premier président de la cour d’appel a fait droit par une ordonnance du 5 mars 2014 ;

• un recours en annulation, que la cour a rejeté par un arrêt du 29 janvier 2015 ;

• un pourvoi en cassation, que la Cour de cassation a rejeté (Cass. com., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-15.872) ;

- la décision n° 2015-01 du 30 juin 2015 du CSMP, rendue exécutoire par la délibération n° 2015-02 du 17 juillet 2015 de l’ARDP, a fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel, qui a donné lieu à un désistement dont il a été donné acte par un arrêt du 13 octobre 2016.

Jusque fin mars 2018, aucun recours dirigé contre une décision de portée générale du CSMP rendue exécutoire par l’ARDP n’était pendant. Néanmoins, un recours a été introduit le 3 avril dernier contre la délibération n° 2018-02 adoptée par l’ARDP le 2 mars 2018.

Source : ARDP

Il faut noter que la loi mettait à la charge des sociétés coopératives de messageries de presse les frais afférents au fonctionnement non seulement du CSMP, mais aussi de l’ARDP, ainsi que les sommes que ces organismes pouvaient être condamnés à verser ([25]).

Financée par la profession, hébergée dans les locaux du CSMP et dotée d’un secrétariat commun avec l’autre régulateur, l’ARDP disposait d’une indépendance toute relative… C’est la raison pour laquelle la loi du 17 avril 2015 s’est attachée à la renforcer (1), tout en introduisant dans la loi Bichet des mesures destinées à améliorer l’organisation de la filière de la distribution de la presse, tant au niveau des messageries de presse (2) qu’à celui des dépositaires et diffuseurs de presse (3).

1.   Le renforcement nécessaire mais encore insuffisant de l’indépendance et des pouvoirs de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP)

a.   Le renforcement de l’indépendance de l’ARDP

Afin de renforcer l’indépendance de l’ARDP à l’égard des messageries de presse et donc des éditeurs, la loi du 17 avril 2015 en a fait une autorité administrative indépendante (AAI) ([26]) et en a transféré le financement à l’État.

Par ailleurs, afin de renforcer son expertise économique et de limiter sa dépendance à l’égard des informations transmises par la commission de suivi de la situation économique et financière des messageries (CSSEFM) du CSMP, la loi du 17 avril 2015 a modifié la composition de l’ARDP pour y ajouter une personnalité qualifiée désignée par l’Autorité de la concurrence à raison de sa compétence sur les questions économiques et industrielles ([27]).

Lors de son audition, M. Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles au ministère de la Culture, a jugé que la désignation d’une personnalité spécialisée dans les questions économiques avait permis d’apporter une compétence très utile à l’ARDP.

D’une manière plus générale, d’après les auditions conduites par les rapporteurs, ces mesures tendant à renforcer l’indépendance de l’ARDP sont très largement approuvées par les professionnels de la filière de la distribution de la presse, tout comme celles qui ont visé à renforcer les prérogatives de l’ARDP et qui ont souvent été jugées comme utiles mais insuffisantes.

b.   Le renforcement des prérogatives de l’ARDP, en particulier en matière d’homologation des barèmes

La loi du 17 avril 2015 a reconnu à l’ARDP un pouvoir de réformation très large sur les décisions du CSMP, qui dispose lui-même de larges pouvoirs de régulation sur la filière.

Cette loi a en effet conféré à l’ARDP le pouvoir de réformer d’office toutes les décisions de portée générale du CSMP, à condition de motiver ses décisions de réformation et de les prendre dans un délai de six semaines courant à compter de la réception des décisions du CSMP. L’article 18-13 de la loi Bichet précise toutefois que l’ARDP « peut proroger ce délai dans la limite d’un mois pour procéder à toute mesure utile à la réformation de ces décisions ». D’après les données qu’elle a transmises aux rapporteurs, l’ARDP a récemment fait usage à trois reprises de son pouvoir de réformation ([28]).

Outre le pouvoir réformer les décisions du CSMP, l’ARDP s’est vu transférer celui d’en prendre certaines à sa place, à savoir celles qui concernent le barème des tarifs des sociétés coopératives de messagerie de presse.

La loi du 17 avril 2015 a en effet procédé à la réécriture de l’article 12 de la loi Bichet qui dispose désormais que « les barèmes des tarifs de chaque société coopérative de messageries de presse sont soumis à l’approbation de son assemblée générale. Ils sont fixés dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d’une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. Ces principes permettent d’assurer l’égalité des éditeurs face au système de distribution grâce à une gestion démocratique, efficiente et désintéressée des moyens mis en commun. Ils permettent également de répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution, y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évités. Dans le respect du secret des affaires, les barèmes des tarifs des messageries de presse et ceux des sociétés communes regroupant les messageries de presse sont transmis au président du Conseil supérieur des messageries de presse et à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse dans un délai de quinze jours suivant leur approbation. Le président du Conseil supérieur des messageries de presse transmet, dans un délai de quatre semaines à compter de la réception des barèmes, un avis motivé à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, qui se prononce sur ces barèmes dans un délai de six semaines à compter de leur réception. L’autorité peut refuser d’homologuer les barèmes si elle estime qu’ils ne respectent pas les principes [susmentionnés]. De nouveaux barèmes, tenant compte de ses observations, lui sont alors transmis en vue de leur homologation, dans le délai [de 15 jours]. Si de nouveaux barèmes ne lui sont pas transmis dans un délai d’un mois à compter de son refus d’homologation, l’autorité détermine les barèmes applicables ».

À travers cette procédure d’homologation, l’ARDP s’est vu reconnaître un pouvoir décisionnel exclusif sur les barèmes des messageries de presse sur lesquels le CSMP n’a plus, en principe, qu’un pouvoir consultatif ([29]).

Cependant, d’après les représentants du CSMP, si, depuis 2015, l’ARDP a été saisie à quatre reprises aux fins d’homologation de deux barèmes de tarifs des messageries de presse ([30]), les avis du CSMP sur ces barèmes auraient, dans le même temps, sans cesse gagné en substance afin de permettre à l’ARDP, qui n’a guère de moyens d’expertise, de se prononcer en connaissance de cause.

On notera d’ailleurs que, d’après les éléments qu’elle a elle-même fournis aux rapporteurs, l’ARDP n’a jusqu’à présent jamais fait usage de la faculté que lui a ouverte la loi de déterminer elle-même les barèmes de tarifs applicables par les messageries de presse. Comme l’explique l’ARDP dans une contribution écrite remise aux rapporteurs, « au-delà de la complexité particulière de l’exercice, qui impliquerait vraisemblablement de confier une mission à une équipe dédiée, sur une longue durée, cette faculté a paru conduire l’ARDP à déterminer, de sa propre initiative, l’ensemble de la politique tarifaire d’acteurs économiques opérant sur un marché non monopolistique ».

Allant plus loin encore dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs de régulation au profit de l’ARDP, la loi du 17 avril 2015 a conféré à cette autorité le pouvoir d’imposer au CSMP l’inscription d’une question à son ordre du jour, ainsi que son traitement dans un calendrier donné. L’article 18-12-1 de la loi Bichet, issu de la loi du 17 avril 2015, prévoit même que, dans le cas où le CSMP ne se conformerait pas à la demande de l’ARDP, celle-ci peut se substituer au CSMP en faisant appel aux moyens du conseil à cet effet.

Depuis 2015, l’ARDP dispose donc d’un pouvoir d’injonction et de réquisition à l’égard du CSMP. Si elle n’a jusqu’à présent jamais fait usage de son pouvoir de réquisition, l’ARDP a en revanche exercé une fois son pouvoir d’injonction. En effet, le 1er décembre 2016, elle a saisi le CSMP afin de diligenter une enquête portant, d’une part, sur le nombre, la nature et la portée des « accords privilégiés » pouvant exister au sein de chacune des sociétés coopératives de messageries de presse et, d’autre part, sur les modalités de contrôle de l’application effective, par ces mêmes sociétés, des barèmes de tarifs qui pourraient être mises en œuvre.

Relativisant l’impact de la régulation bicéphale de la distribution de la presse dans les difficultés que connaît Presstalis, certaines des personnes entendues ont fait valoir que cette régulation mise en place en 2011 et corrigée en 2015 avait permis de prendre des décisions structurantes pour la filière (obligation pour les éditeurs d’un délai de préavis minimal pour changer de messagerie, péréquation inter-coopératives, schémas directeurs relatifs à l’organisation des dépositaires et à la rémunération des diffuseurs de presse, etc.) – et ce avec une relative rapidité. En effet, le CSMP consulte pendant un mois avant d’adopter une décision structurante qui, elle, est rendue exécutoire par l’ARDP sous six semaines : potentiellement, une décision d’importance peut être donc prise en deux mois et demi.

En revanche, d’autres personnes entendues ont déploré que la loi du 17 avril 2015 ne soit pas allée jusqu’au bout de la logique de rationalisation de la régulation de la distribution de la presse, en fusionnant le CSMP et l’ARDP au sein d’une unique autorité aux moyens renforcés et à la capacité de réactivité accrue.

Il faut reconnaître que le renforcement des prérogatives de l’ARDP, particulièrement en matière d’homologation des barèmes, n’a pas eu l’effet escompté puisque la pratique illicite de remises hors barèmes au profit des « gros » éditeurs a persisté au moins jusqu’au début de l’année 2017 et qu’il n’est pas certain qu’elle n’ait plus du tout cours. Or, si l’on en croit le rapport du député Michel Françaix, l’octroi à l’ARDP d’un pouvoir d’homologation des barèmes des tarifs des messageries de presse visait à mettre fin à une pratique de « barèmes opaques et incompatibles avec l’équilibre économique de la filière » ([31]).

À l’époque où elle était simplement chargée d’émettre un avis annuel sur l’évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messageries de presse, l’ARDP relevait déjà que « les barèmes en vigueur n’[avaient] pas permis, malgré des ajustements ponctuels, d’assurer l’équilibre économique d’ensemble du système collectif de distribution de la presse », que « cette situation ne pourra[it] que s’aggraver avec la perspective, prévue par la profession, d’une nouvelle baisse du marché de 25 % au terme des quatre prochaines années » et que « les barèmes affichés ne reflét[ai]ent plus la réalité des conditions consenties aux éditeurs, compte tenu des pratiques commerciales constatées au sein de la filière, notamment celles favorisant la fidélisation des clients ou le changement de messagerie. Il en découl[ait] un écart significatif avec les principes coopératifs issus de la loi du 2 avril 1947, notamment le principe d’unicité du barème posé par l’article 12 de cette loi » ([32]).

En 2014, s’appuyant sur une étude qui avait été confiée par le CSMP au cabinet Mazars et qui avait pointé l’inadaptation des barèmes des messageries aux coûts réels de la distribution des publications, l’ARDP a à nouveau déploré que les tarifs pratiqués ne financent pas adéquatement les coûts supportés par les messageries et, du fait de leur opacité, limitent les efforts engagés pour réduire les coûts du réseau de distribution.

Quatre ans plus tard, malgré l’adoption de la loi du 17 avril 2015 conférant à l’ARDP un pouvoir d’homologation des barèmes, il semble que la situation n’ait guère évolué. Censée « faire prévaloir l’intérêt de la messagerie, et donc de l’ensemble des éditeurs, sur l’intérêt particulier de chacun des éditeurs considéré séparément » ([33]), la procédure d’homologation des barèmes par l’ARDP mise en place par la loi du 17 avril 2015 paraît avoir manqué son objectif puisque, comme on le verra plus loin, les coopératives d’éditeurs n’ont pas cessé d’« être tentées d’établir des barèmes qui ne recouvrent pas les coûts réels de la distribution, dont le poids est alors reporté sur la structure de la messagerie à la décharge des éditeurs » ([34]).

S’il est vrai qu’en juillet 2017, l’ARDP a rendu exécutoires deux décisions du CSMP en date du 1er juin 2017 qui visaient à encadrer les pratiques tarifaires des messageries de presse ([35]), il n’en demeure pas moins qu’elle a homologué, en mars 2017, les barèmes extrêmement compétitifs des MLP qui ne faisaient qu’entériner une pratique illicite de remises hors barèmes en faveur des « gros » éditeurs. En effet, le 21 octobre 2016, les MLP ont demandé à l’ARDP d’homologuer de nouveaux barèmes. À l’occasion de l’examen de cette proposition, l’ARDP et le CSMP ont pris connaissance de l’existence, au sein de cette messagerie comme de Presstalis, d’accords privilégiés permettant à certains éditeurs d’obtenir des tarifs plus favorables que ceux votés par l’assemblée générale de la coopérative. Les pratiques ont été déclarées illicites et, pour la première fois, le CSMP a fait usage de son droit d’opposition ([36]). Un second projet de barèmes, à la baisse, a été transmis le 16 février 2017. Dans son avis au président de l’ARDP, le CSMP a émis les plus grandes réserves sur les montants envisagés, notamment parce qu’extrêmement agressifs au profit des magazines les plus diffusés, ils faisaient craindre une fuite des éditeurs de cette catégorie vers les MLP, ce qui était susceptible de contribuer à déstabiliser un peu plus Presstalis. Malgré cela, et fort étonnamment, l’ARDP a homologué, le 24 mars 2017, les nouveaux tarifs de MLP, qui ont immédiatement conduit certains éditeurs à annoncer leur volonté de rejoindre la messagerie.

Cette homologation et les conséquences qu’elle a eues ne sauraient mieux illustrer l’insuffisance du dispositif conçu en 2015 qui est également constatable s’agissant des mesures d’incitation à la mise en commun des moyens des messageries au niveau 1.

2.   L’insuccès des dispositifs visant à accélérer la mise en commun des moyens des messageries au niveau 1

Partant du constat que « nombre des difficultés qui affectent la filière dans son ensemble sont liées à un système d’information totalement obsolète, dont les déficiences entraînent de graves erreurs dans les échanges entre les différents niveaux du circuit de distribution » ([37]), l’assemblée du CSMP a adopté, respectivement les 18 avril et 2 décembre 2014, une décision n° 2014-01 relative au choix du système d’information au service de l’ensemble des acteurs de la distribution de la presse et une décision n° 2014-08 fixant les statuts d’une société commune pour les infrastructures de la distribution de la presse.

Afin de donner une assise juridique à ces décisions, la loi du 17 avril 2015 a introduit à l’article 18-6 de la loi du 2 avril 1947 un 13° prévoyant que « si le bon fonctionnement de la distribution de la presse le justifie », le CSMP « détermine les conditions de la mise en commun de moyens par les messageries, au besoin en créant une société commune ».

Séduisante sur le papier, cette mesure s’est révélée être un insuccès puisqu’après que l’idée de créer d’une société commune de transport a été envisagée avant d’être rapidement écartée, une seule société commune aux messageries de presse a été créée, à savoir une société informatique.

Or, bien que largement subventionnée, la création de cette société s’est avérée être un désastre financier. Aujourd’hui abandonné, le projet, développé par Capgemini, aurait coûté près de 50 millions d’euros, d’après la présidente-directrice générale de Presstalis, Mme Michèle Benbunan.

Il ne revient pas aux rapporteurs d’établir les responsabilités de cet échec. Dans une contribution écrite remise à la mission, le Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) explique que « la responsabilité du CSMP est engagée dans tous les domaines. Le CSMP a conforté les orientations de Presstalis sur les systèmes d’information en diligentant des missions de consultants dont les conclusions allaient toutes dans un sens favorable à Presstalis ». « Presstalis a pris des orientations et fait des choix. Le CSMP a fait voter des décisions qui validaient ces choix. Les pouvoirs publics représentés par la DGMIC [direction générale des médias et des industries culturelles] les ont soutenues. L’ARDP les a entérinées. Au mois de janvier 2017, il y a [tout] juste un an, dans une interview à Union Presse en parlant de ce système informatique, le président du CSMP affirmait :  C’est un projet admirable  ».

Aujourd’hui, la présidente-directrice générale juge le montant des sommes investies dans le projet déraisonnable, compte tenu de la situation financière de l’entreprise dont les fonds propres étaient déjà négatifs (à hauteur de - 60 millions d’euros) lorsque le projet a été engagé. Et Mme Michèle Benbunan déplore le laxisme de la direction de l’époque.

De leur côté, les représentants des MLP reprochent à Presstalis d’avoir tenté de leur imposer un programme informatique obsolète et inadapté à leur propre distribution. En effet, Mme Michèle Benbunan a reconnu que les anciens dirigeants du groupe avaient sans doute tenté en vain d’imposer aux MLP leur modèle informatique qui, au demeurant, était, de son point de vue, surdimensionné par rapport aux besoins.

En toute hypothèse, le désastre financier dans lequel a sombré un projet qui était censé générer chaque année 15 millions d’euros d’économies pour la filière illustre :

– d’une part, la difficulté de contraindre des messageries concurrentes à mettre en œuvre une forme de solidarité à travers des sociétés communes ;

– d’autre part, la défaillance de l’auto-régulation de la distribution de la presse par le CSMP car, d’après le rapport de M. Michel Françaix, « en cas d’échec des négociations entre Presstalis et les MLP, la nouvelle disposition [était censée permettre] au CSMP de prendre les mesures nécessaires à la création de la société commune de moyens » ([38])… ce que cet organe de régulation n’a pas fait.

Les dispositifs incitant à la mutualisation des moyens des messageries de presse n’ont donc guère connu de succès, pas plus que ceux qui visaient à encourager la mutualisation des réseaux de distribution de la presse nationale et régionale.

3.   L’inefficacité des mesures visant à rationaliser la distribution sur le « dernier kilomètre »

Partant du constat que « les réseaux des messageries et celui des acteurs locaux fonctionnent donc de manière parallèle, sans aucune connexion (sauf dans le cas exceptionnel où la messagerie établit un rapport commercial avec un distributeur local) » et que « compte tenu des coûts particulièrement élevés de la distribution en zone peu dense, il apparaît souhaitable que la presse nationale puisse, dans ces zones, utiliser le réseau de distribution de la presse quotidienne régionale » ([39]), la loi du 17 avril 2015 a modifié l’article 18-6 de la loi Bichet du 2 avril 1947 afin d’y introduire un 3° bis prévoyant que le CSMP « définit les conditions dans lesquelles les entreprises de presse [recourant au réseau de distribution] peuvent, dans des zones géographiques déterminées, sans adhésion à une société coopérative de messageries de presse commune, recourir à des réseaux locaux de distribution aux points de vente et homologue les contrats de distribution conclus dans ces conditions ».

Il s’agissait de donner une base légale aux expérimentations d’ores et déjà en cours sur le territoire entre les différents acteurs et de permettre le développement de nouveaux accords entre les éditeurs nationaux et les éditeurs/distributeurs locaux.

D’après le président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), M. Jean-Michel Baylet, la presse régionale est très ouverte à l’idée d’un développement de la mutualisation de ses réseaux avec ceux de la presse nationale. Des accords de distribution « au dernier kilomètre » ont ainsi été signés en région Occitanie, qui prévoient l’impression et la distribution des journaux Le Monde et Les Échos par la presse régionale. On pourrait donc imaginer, selon M. Jean-Michel Baylet, qu’à terme, non seulement la presse quotidienne nationale (PQN), mais également la presse magazine soient distribuées par l’intermédiaire des réseaux de distribution de la presse quotidienne régionale (PQR).

Toutefois, selon le président de la Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ), M. Louis Dreyfus, la mise en place rapide d’une distribution de la PQN à travers le réseau de la PQR est une illusion.

D’après lui, on ne parviendra jamais à assurer un maillage complet du territoire. L’impression du journal Le Monde ne peut être mutualisée avec celle du Midi libre et de La Dépêche du midi que parce qu’il existe des sites industriels adaptés dans le Sud-Ouest de la France. Or c’est loin d’être le cas sur l’ensemble du territoire.

Si, d’après la présidente de l’ARDP, Mme Élisabeth Flüry-Hérard, le journal Le Figaro serait allé assez loin dans la recherche de synergies en ce sens, il semble que cela n’ait cependant pas encore abouti à une évolution industrielle significative.

Dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2018, le sénateur Michel Laugier établit un constat approchant, soulignant que les projets de mutualisation des réseaux entre la PQN et la PQR se sont heurtés à plusieurs obstacles. En effet, « l’horaire de fin de l’impression de la presse quotidienne nationale sur un site adapté à son format, […] cumulé au temps de transport nécessaire pour arriver sur les lieux de routage de la presse quotidienne régionale, n’est pas forcément compatible avec les horaires de départ des tournées de cette dernière. Cette difficulté est encore accrue par l’horaire de bouclage tardif des quotidiens nationaux sportifs ». Par ailleurs, « alors que Presstalis offre aujourd’hui à la presse quotidienne nationale une couverture intégrale du territoire, la presse quotidienne régionale ne peut offrir que des solutions de distribution locales en raison de son organisation par définition décentralisée. Il conviendrait donc de négocier avec chaque acteur de la presse quotidienne régionale les conditions de distribution de la presse quotidienne nationale ». Au final, seuls « deux groupes (Le Parisien-Les Échos et Le Figaro) ont pleinement joué le jeu de la mutualisation, aidés par leur position géographique particulièrement favorable, tandis que plusieurs autres progressent dans cette voie, quoique de façon encore modeste » ([40]).

Dans une contribution écrite remise aux rapporteurs, le SNDP rappelle que « les éditeurs de PQR font souvent appel aux dépositaires de presse parisienne pour distribuer leurs titres, en bénéficiant ainsi de la mutualisation des infrastructures », qu’« il y a quelques années, le SPQN avait fait réaliser une étude pour examiner une solution de distribution des titres de ses adhérents par l’intermédiaire des réseaux de distribution de la PQR » et que « cette étude n’avait pas eu de suite effective ». En effet, selon le SNDP, « le passage de la PQN par la PQR ne ferait alors que créer un échelon supplémentaire qui apporterait une valeur ajoutée faible, tout en créant des contraintes nouvelles ».

Plutôt que la mutualisation des réseaux de distribution des presses quotidiennes nationale et régionale, c’est, selon le SNDP, la piste de l’établissement d’une relation directe entre les éditeurs et les dépositaires de presse qui devrait être creusée. Le SNDP estime que « cette proposition revient pour les éditeurs de presse quotidienne nationale à assurer leur distribution de la même manière que les éditeurs de presse quotidienne régionale assurent la leur : en traitant en direct avec des dépositaires qui agissent pour leur compte en direction des marchands de journaux. Ce que la PQR fait, la PQN peut le faire et elle doit se donner les moyens de cette prise en charge. Dans cette approche, il lui appartient d’organiser les livraisons au départ de ses imprimeries, comme la PQR le fait ! […] Dans le passé, il y a pu y avoir un frein à une telle démarche, dans la mesure où le nombre des dépositaires restait important et où l’hétérogénéité des dépôts rendait celle-ci complexe et plus aléatoire. Aujourd’hui, vu la restructuration qui a résulté du schéma directeur de 2012, ces problèmes se trouvent largement atténués. Le nombre d’interlocuteurs de niveau 2 avec lesquels chaque éditeur devra être en relation n’est guère plus important que celui des dépositaires exclusifs auxquels un éditeur comme Ouest-France fait appel » et « le pilotage du transport au départ des imprimeries de PQN vers les dépôts n’est pas plus complexe que celui vers les organisations de PQR ».

Sans doute cette proposition mériterait-elle d’être étudiée, afin de remédier à l’échec rencontré par les dispositifs issus de la loi du 17 avril 2015 qui visaient à ce que la mutualisation des réseaux de distribution des presses quotidiennes nationale et régionale ne reste pas embryonnaire comme elle l’est aujourd’hui.

*

Soit qu’elles aient été insuffisamment ambitieuses (s’agissant de la régulation de la distribution de la presse), soit qu’elles l’aient trop été (s’agissant de la mutualisation des réseaux de la presse nationale et régionale), soit qu’elles soient restées inappliquées (s’agissant de la mutualisation des moyens des messageries de presse), les mesures contenues dans la loi du 17 avril 2015 et relatives à la distribution de la presse n’ont pas connu le succès escompté.

B.   L’impÉrieuse nÉcessité d’opÉrer, sans atermoiements, une refonte en profondeur de l’organisation et de la rÉgulation de la distribution de la presse

Pour reprendre la formule employée lors de son audition par la présidente‑directrice générale de Presstalis, Mme Michèle Benbunan, la distribution de la presse est aujourd’hui « un système arrivé à bout de course qui a dénaturé l’esprit de la loi de 1947 qui visait à garantir à chaque éditeur la possibilité d’être vu par le lecteur ». Censé favoriser la coopération et la solidarité, le modèle d’organisation de la distribution de la presse issu de la loi Bichet a en réalité nourri le corporatisme, selon M. Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information.

La crise structurelle que traverse la vente de la presse au numéro a révélé les limites de l’organisation actuelle de la distribution de la presse et appelle des réformes structurelles et ambitieuses.

Il faut cependant avoir conscience que la loi ne pourra pas tout : il relève aussi de la responsabilité de la filière de prendre l’initiative de réformes, car, comme l’écrivent, dans leur contribution écrite, les représentants de Culture Presse, « la responsabilité des échecs ou des pratiques de la profession n’est pas imputable à la loi ». C’est aussi l’analyse des représentants de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), pour qui les difficultés de la filière résultent moins de la loi Bichet que de son application défectueuse et du dévoiement de son « esprit ».

Les acteurs de la filière ont montré qu’ils étaient capables d’opérer de profondes transformations. Au niveau 2, en l’espace de trente ans, le nombre de mandats confiés aux dépositaires est ainsi passé de 2 500 en 1983 à 147 en 2014. Et au cours des quatre dernières années, sous l’impulsion du schéma directeur des dépositaires arrêté par le CSMP, il est passé de 147 à 63 (pour 90 sites) ([41]). Or, selon le président du SNDP, M. Dominique Gil, cette importante restructuration s’est déroulée sans douleur, par rachat de mandats, optimisation de l’organisation et développement de synergies.

Qui plus est, les dépositaires indépendants qui, sur les cinq dernières années, ont vu leur chiffre d’affaires fondre de près de 40 % selon M. Dominique Gil, ont entrepris de rechercher des activités complémentaires à la distribution de la presse. Certains dépositaires, comme celui de Troyes (M. Pierre Ledent), ont développé des activités de portage : à Troyes, 160 porteurs livrent les titres de la PQR à près de 20 000 abonnés. D’autres dépositaires, comme celui d’Annemasse, ont élargi le spectre des produits distribués afin de livrer non seulement des diffuseurs de presse, mais aussi des pharmacies ou des établissements bancaires situés dans les stations de sports d’hiver. De son côté, le dépositaire d’Angoulême, mettant en avant ses tâches de réapprovisionnement régulier et rapide des points de vente, a développé une activité de vente de cigarettes électroniques auprès des diffuseurs de presse de son réseau et au-delà de ce cercle.

La capacité des acteurs de la distribution de la presse à s’adapter aux défis que constituent l’attrition de la vente au numéro et le développement du numérique est donc loin d’être une chimère.

Les rapporteurs estiment que le législateur doit accompagner la profonde transformation de la distribution de la presse en rénovant les modalités de sa régulation (1), en adaptant le modèle coopératif des messageries de presse (2) et en rendant effective la marge de liberté déjà reconnue par la loi aux diffuseurs de presse (3).

1.   La nécessité de mettre fin à la tradition d’autorégulation au profit d’une instance de régulation unique et véritablement indépendante

Bien qu’il ait défendu dans son rapport le choix fait en 2015, par la majorité de l’époque, de maintenir une régulation bicéphale de la distribution de la presse, M. Michel Françaix, ancien député et rapporteur de la loi du 17 avril 2015, s’est, lors de son audition, prononcé en faveur d’une instance de régulation unique.

En effet, ainsi que l’ont expliqué, lors de leur audition, M. Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles, et M. Francis Morel, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), la régulation actuelle ne répond plus de manière satisfaisante aux défis que doit relever le secteur de la distribution de la presse.

Cette régulation manque notamment d’agilité et de réactivité pour adapter l’organisation de la filière aux enjeux d’aujourd’hui. Par exemple, quoi que l’on puisse penser du bien-fondé de cette décision, il a fallu des mois pour ouvrir la possibilité de diffuser des titres dans les supérettes ([42]).

En effet, l’ARDP a décidé de ne pas rendre exécutoire la décision n° 2017‑04 du CSMP permettant l’ouverture de rayons presse dans les supérettes des grandes métropoles, afin de répondre à l’érosion du nombre de points de vente de la presse, en particulier à Paris. L’ARDP a estimé que le fait de devoir obtenir l’accord du diffuseur de presse préexistant dans un rayon de 250 mètres autour de la supérette méconnaissait tant les principes du droit de la concurrence que ceux du droit européen – ce que le CSMP a contesté… En vain, car le 20 octobre 2017, l’ARDP a réitéré son refus de rendre exécutoire la décision n° 2017-04 du CSMP, en l’invitant à proposer une solution alternative pour dynamiser le réseau des diffuseurs dans les grandes villes.

Au début de cette année, le CSMP a soumis à l’homologation de l’ARDP un nouveau dispositif définissant les conditions d’assortiment des titres servis aux supérettes d’une surface de vente inférieure à 400 m² situées dans les grandes métropoles. Ce dispositif confie à la commission du réseau (CDR) du CSMP le soin de veiller, lorsqu’elle sera amenée à examiner les demandes de création de rayons presse au sein des supérettes des grandes métropoles (et pas seulement de Paris), à ce que ces demandes ne portent pas atteinte au pluralisme de l’offre de presse lorsqu’il existe des diffuseurs à proximité ([43]). Par une délibération en date du 5 février 2018, l’ARDP a homologué cette décision, jugeant que « la régulation détaillée et, au final, restrictive de la diffusion de la presse, qui n’a pu empêcher la réduction de la capillarité du réseau, doit être assouplie afin d’accroître ce réseau, en tenant compte du fait que la vente de la presse au numéro est un marché d’offre » ([44]).

On pourrait tout autant relever les lenteurs du processus de mise en œuvre de la libéralisation de l’assortiment ([45]). Ainsi que l’a relevé, lors de son audition, le président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, M. Patrick Eveno, alors que les réflexions sur ce sujet ont été lancées en 2008, dans le cadre des États généraux de la presse écrite, les diffuseurs de presse ne disposent toujours pas, dix ans plus tard, de véritable latitude en matière d’assortiment.

Au fond, comme l’a bien résumé, lors de son audition, la présidente‑directrice générale de Presstalis, Mme Michèle Benbunan, la régulation actuelle de la distribution de la presse entrave bien des initiatives.

Même s’agissant du chantier (réussi) de la réduction du nombre de dépositaires, la prise de décision a été lente : la réduction du nombre de dépositaires de 147 à 63 a été retardée pendant près de neuf mois par un contentieux engagé au sujet d’une décision du CSMP, et une trentaine de procédures de conciliation a été engagée devant le CSMP dans le cadre de cette restructuration du niveau 2.

Qui plus est, la mise en œuvre du schéma directeur des dépositaires centraux de presse aurait été marquée par des conflits d’intérêt dénoncés par le SNDP dans la contribution qu’il a remise à la mission. Il se trouvait en effet que la CDR chargée de « décider de l’implantation des points de vente de presse, des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de desserte » ([46]) était présidée par un administrateur de Presstalis… qui avait un intérêt aux décisions prises par la commission.

a.   Un « entre-soi » porteur de conflits d’intérêt et quasi-unanimement dénoncé

D’après M. Yves de Chaisemartin, membre de la coopérative MLP, le CSMP est aujourd’hui « la caricature de l’entre-soi ». L’une des personnes entendues a même parlé de « consanguinité gênante » pour décrire les relations entre le CSMP, les messageries de presse (particulièrement Presstalis) et certains éditeurs actionnaires de ces dernières.

Il est vrai que le CSMP est présidé par un éditeur qui est également administrateur du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et membre d’une coopérative de messagerie de presse.

En outre, parmi les vingt membres du CSMP, près de la moitié (neuf précisément) sont des éditeurs. Les deux messageries de presse (Presstalis et MLP) disposent chacune d’un siège. Les coopératives actionnaires de ces messageries disposent chacune d’un siège (soit trois sièges au total) et les syndicats des salariés de chacune de ces messageries d’un siège (soit deux sièges au total pour ces syndicats). Au total, les messageries, leurs actionnaires et leurs syndicats de salariés occupent donc sept sièges. Il ne reste ainsi plus que quatre sièges (soit un cinquième du nombre total de sièges) à partager entre les dépositaires (deux sièges) et les diffuseurs de presse (deux sièges) ([47]).

Parmi les membres du CSMP, le président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, M. Patrick Eveno, en a dénombré onze qui font partie des grands médias clients et actionnaires des messageries de presse.

Quant au bureau du CSMP, les représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP) ont relevé que quatre de ses sept membres étaient également administrateurs de la messagerie Presstalis : en effet, trois éditeurs (Prisma Media, Lagardère Active, Le Canard enchaîné) sont également administrateurs de Presstalis en qualité de représentants de la Coopérative de distribution des magazines (CDM), tandis qu’un autre éditeur (Le Figaro) est également administrateur de Presstalis en qualité de représentant de la Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ).

La composition du CSMP le rendrait donc sensible aux intérêts des éditeurs, ou du moins de « gros » éditeurs (adossés pour la plupart à d’importantes fortunes). Les représentantes des salariés des MLP adhérant au syndicat CFDT ont ainsi déploré que le CSMP prenne des décisions qui, structurantes pour l’ensemble de la filière, sont orientées dans le sens des intérêts des « gros » éditeurs. Ayant perdu toute crédibilité et toute légitimité, le CSMP, devenu « porte-parole des gros éditeurs », serait selon elles arrivé « au bout du chemin ».

M. Philippe Loison, président du Syndicat de l’association des éditeurs de presse (SAEP) – qui représente essentiellement des éditeurs dont le chiffre d’affaires annuel oscille entre 50 000 et 4 millions d’euros – a abondé en ce sens. Selon lui, la composition du CSMP ne favorise pas la représentation de ces « petits » éditeurs, ce qui, d’après lui, conduirait cette instance à prendre des décisions contraires à la liberté d’éditer.

Pour M. Dominique Gil, président du Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP), le CSMP n’assure pas davantage une représentation satisfaisante des acteurs du niveau 2.

Et pour les représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP), comme pour ceux du SAEP et de la FNPS, le CSMP défend bien davantage les intérêts privés de certains des membres de son bureau, plutôt que l’intérêt collectif de la filière dans son ensemble.

Par ailleurs, il semblerait, d’après certaines des personnes entendues, que les éditeurs représentés au CSMP connaissent relativement peu les réalités de la distribution. Mme Michèle Benbunan s’est ainsi étonnée lors de son audition qu’on confie à ces personnes peu au fait de ces réalités le soin de réguler la rémunération des diffuseurs de presse ou encore celle des dépositaires – dont elle a fait remarquer qu’il s’agit d’un des rares cas au monde où un distributeur est rémunéré par un pourcentage sur le prix de vente du bien transporté.

Au final, les rapporteurs estiment, comme M. Martin Ajdari, que, si l’autorégulation a longtemps été perçue comme féconde et comme un gage de l’ancrage du régulateur dans les réalités professionnelles de la distribution de la presse, elle ne réunit plus aujourd’hui toutes les conditions d’une régulation sereine, notamment parce qu’elle s’expose aux griefs de manque d’impartialité objective à une époque où, de manière plus générale, les attentes et les exigences de nos concitoyens à l’égard de la régulation ont évolué.

Selon M. Louis Dreyfus, président de la CDQ, il ne faudrait plus, à l’avenir, compter sur les professionnels pour assurer une régulation efficiente de la distribution de la presse : ceux-ci ont en effet des modèles économiques trop différents et donc des intérêts trop divergents pour s’accorder sur des mesures répondant à l’intérêt collectif de la filière. Il n’y aurait en effet rien de commun entre une multitude de « petits » éditeurs, dont le chiffre d’affaires et le nombre de salariés sont faibles, et une poignée de « grands » éditeurs dont le chiffre d’affaires et le nombre de salariés sont élevés. Ce constat est partagé par le président de la Coopérative de distribution des magazines (CDM), M. Nicolas Sauzay, qui a expliqué que les quelque 300 coopérateurs que compte la CDM ([48]) ont 300 stratégies différentes.

Déjà en 2009, M. Bruno Lasserre, président de la section de l’Intérieur du Conseil d’État et ancien président de l’Autorité de la concurrence, écrivait, dans un rapport sur le CSMP, qu’« il est illusoire de croire que les acteurs industriels du secteur, dont les intérêts seraient directement impactés par le choix retenu, pourraient s’abstraire totalement de leurs intérêts particuliers pour ne considérer que l’intérêt commun de la distribution efficace de la presse. […] L’indépendance est d’autant plus nécessaire que le Conseil supérieur ne se limit[e] pas à la définition de normes professionnelles et techniques ou à la régulation économique de la distribution de la presse mais se [voit] également reconnaître une mission de règlement des différends. […] Cette garantie absolue d’indépendance que requièrent à la fois une mission de régulation efficace et une mission de règlement des différends incontestable ne peut être assurée que par le statut d’autorité indépendante » ([49]).

Pour ces raisons, le sénateur David Assouline a plaidé en 2012 pour « la constitution d’une autorité administrative indépendante de plein exercice, composée de magistrats, d’experts et de personnalités qualifiées issues du secteur et dont l’indépendance serait clairement établie, à laquelle serait attribué un véritable pouvoir normatif de régulation du système de distribution de la presse » ([50]).

Force est de constater en 2018 qu’il est grand temps de s’orienter dans cette direction…

b.   Un modèle de régulation bicéphale à bout de souffle

Rares sont les personnes entendues à avoir vanté les mérites de la régulation bicéphale de la distribution de la presse mise en place en 2011. Les représentants de « Culture Presse » (ex-Union nationale des diffuseurs de presse –UNDP) ont toutefois mis au crédit de cette régulation l’adoption, en un temps resserré, d’une quarantaine de décisions structurantes comme le schéma directeur des rémunérations des diffuseurs de presse. Selon le président de « Culture Presse », M. Daniel Panetto, alors que, dans le cadre de la régulation antérieure, sous l’égide du CSMP, il avait fallu vingt ans pour obtenir une amélioration de ces rémunérations, il a fallu seulement cinq ans pour l’organiser dans le cadre de la régulation bicéphale instaurée en 2011.

D’autres personnes entendues se sont montrées beaucoup plus sévères. Dans une contribution écrite remise aux rapporteurs, le président du SAEP, M. Philippe Loison, explique que « les révisions de la loi de 1947 intervenues en 2011 et 2015 ont largement contribué aux dérives constatées, en permettant à une gouvernance mal conçue d’être dirigée par une oligarchie de dirigeants peu soucieux de l’intérêt commun, sans que l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, aux pouvoirs et aux moyens insuffisants, puisse jouer un véritable rôle de régulateur » ([51]).

Tant M. Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles, que Mme Élisabeth Flüry-Hérard, présidente de l’ARDP, ont reconnu que l’ARDP n’avait pas les ressources suffisantes pour pouvoir exercer les missions qui lui ont été confiées.

Quand le budget du CSMP, organisme de droit privé financé par les acteurs de la distribution de la presse, est de l’ordre de 2 millions d’euros, l’ARDP, autorité indépendante financée par l’État, est dotée d’un budget de 400 000 euros dont l’essentiel est englouti, d’après Mme Élisabeth Flüry-Hérard, dans les honoraires des avocats qui assurent la défense des décisions de l’ARDP en cas de contentieux.

Le personnel de l’ARDP se limite aujourd’hui à :

– un collège de quatre membres qui sont aussi, à plein temps, respectivement vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, présidente de section au Conseil d’État, conseiller-maître à la Cour des comptes et conseiller à la Cour de cassation ;

– un secrétaire général qui est aussi, à plein temps, maître des requêtes au Conseil d’État.

La distribution de la presse présentant un degré élevé de technicité, il est évident, selon les représentants du CSMP, qu’une autorité administrative indépendante essentiellement composée de juristes dont ce n’est pas la fonction à temps plein ne dispose pas de tous les éléments pour se prononcer sur des questions aussi complexes que celles des chronogrammes, des zones de desserte ou encore du « prix du  drop ” par palette incomplète », pour reprendre la formule de Mme Élisabeth Flüry-Hérard.

Et les membres de l’ARDP le peuvent d’autant moins qu’il leur est demandé de s’assurer de la pertinence économique des barèmes des messageries de presse dans des délais extrêmement contraints. Après que le CSMP les a examinés pendant un mois pour émettre un avis, l’ARDP ne dispose que de quinze jours pour homologuer ou non ces barèmes qui constituent rien moins que l’ensemble de l’offre commerciale de Presstalis et des MLP. À cet égard, Mme Élisabeth Flüry-Hérard a fait remarquer qu’à l’Autorité de la concurrence, des grilles tarifaires semblables font l’objet d’un examen qui peut durer des semaines, voire des mois, avec le concours d’économistes chevronnés.

De l’aveu de sa présidente, l’ARDP se trouve donc aujourd’hui largement dépendante des informations qui lui sont transmises par la commission de suivi de la situation économique et financière des messageries (CSSEFM) du CSMP. À cet égard, plusieurs des personnes entendues se sont étonnées que cette commission soit rattachée au CSMP plutôt qu’à l’ARDP et qu’elle ne puisse pas contrôler les remises consenties par les messageries de presse individuellement à chacun des éditeurs.

Les rapporteurs tiennent à souligner qu’un très large consensus s’est dégagé parmi les personnes entendues sur la nécessité :

 d’unifier les instances de régulation de la distribution de la presse ([52]);

 de « déprofessionnaliser » cette régulation (en supprimant le CSMP) ;

 de renforcer ses moyens afin de lui permettre de réagir avec rapidité et agilité.

L’unification de la régulation de la distribution de la presse pourrait passer :

 soit par la suppression du CSMP et le renforcement corrélatif des moyens de l’ARDP dont l’existence serait ainsi préservée ;

 soit par la suppression du CSMP et de l’ARDP, et l’octroi à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) des missions jusqu’ici confiées à l’ARDP, avec des moyens renforcés – étant précisé que certains acteurs entendus, comme les représentants des dépositaires et des diffuseurs de presse, sont défavorables à cette dernière solution qui semblerait en revanche recueillir l’approbation des représentants du SPQN, de la CDM, de la FNPS ou encore des représentantes des salariés des MLP adhérant au syndicat CFDT.

Afin de s’assurer de la faisabilité du transfert à l’ARCEP des compétences jusqu’à présent dévolues à l’ARDP, les rapporteurs ont entendu des représentants de cette première autorité. Lors de son audition, Mme Cécile Dubarry, directrice générale de l’ARCEP, a expliqué que, dans la mesure où cette autorité examine déjà aujourd’hui l’activité et la comptabilité de La Poste en matière de transport de presse, il ne serait pas aberrant qu’elle ait un rôle à jouer dans la régulation de la distribution de la presse.

Toutefois, le transfert à l’ARCEP de missions aujourd’hui assumées par l’ARDP voire par le CSMP – qui seraient supprimés en conséquence – ne pourrait s’effectuer qu’à trois conditions :

 tout d’abord, le renforcement des moyens humains (à hauteur d’une dizaine d’équivalents temps-plein – ETP – en complément des 170 ETP actuels) et financiers de l’ARCEP – étant rappelé que le CSMP dispose aujourd’hui d’un budget d’environ 2 millions d’euros pour s’acquitter de ses missions (notamment en faisant réaliser des études) ;

 ensuite, la préservation des principes régissant la gouvernance de l’ARCEP dont le collège est composé de sept personnes nommées par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale à raison de leur expertise et de leurs qualifications (et non à raison de leur appartenance à tel ou tel corps de la fonction publique) : sans modifier ni le nombre de membres du collège ni les modalités de leur nomination, il s’agirait d’introduire dans cette instance une ou deux personnalités qualifiées en matière de distribution de la presse, ce qui pourrait être envisagé à court terme dans la mesure où les mandats de deux membres du collège arrivent à expiration d’ici un an ;

 enfin, la stricte délimitation du périmètre de régulation de l’ARCEP qui n’a pas d’expertise pour distribuer les aides à la presse ni pour réguler l’installation et la rémunération des diffuseurs de presse : si l’ARCEP dispose d’une expérience en matière d’analyse des coûts et des comptabilités qui peut justifier qu’elle régule les aspects logistiques de la distribution de la presse, elle n’a jusqu’à présent jamais eu de mission de structuration d’une filière. Tout au plus pourrait-elle se voir reconnaître un pouvoir de mise en demeure et de sanction en cas de non-respect de la loi Bichet par les diffuseurs de presse.

M. François Lions, directeur général adjoint et directeur courrier, colis et broadcast de l’ARCEP, a ajouté une quatrième condition, d’ordre plus technique, qui tient à ce qu’idéalement, les messageries de presse devraient, comme La Poste et les opérateurs de télécommunications, être soumises à une comptabilité réglementaire si l’on veut que l’ARCEP puisse correctement examiner la réalité de leurs coûts et le caractère non-discriminatoire de leurs tarifs et fixer, le cas échéant, un cadre pluriannuel pour ces tarifs, qui permette de disposer d’une meilleure visibilité sur leur évolution prévisible.

Ce serait là l’un des multiples atouts d’une régulation mise en œuvre par l’ARCEP qui présenterait en outre le double avantage d’avoir des moyens d’instruction (contrairement à l’ARDP) et d’être moins en proie aux conflits d’intérêt (contrairement au CSMP).

Proposition n° 1 : confier la régulation de la distribution de la presse à une unique autorité administrative, du type de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui soit véritablement indépendante à l’égard des professionnels (éditeurs, messageries de presse, dépositaires et diffuseurs) et qui soit dotée de moyens renforcés, à la hauteur des missions confiées.

L’unique autorité indépendante chargée de réguler la distribution de la presse devra pouvoir être à l’initiative des barèmes des messageries de presse, ce qui, compte tenu des moyens dont dispose l’ARDP, n’est guère possible aujourd’hui. En effet, l’ARDP manque de ressources suffisantes en matière d’expertise économique pour proposer un barème alternatif à celui suggéré par les messageries de presse et le CSMP.

Les représentants du CSMP ont suggéré qu’un « rendez-vous barémique » annuel soit organisé afin d’éviter à l’autorité de régulation de n’avoir à être saisie qu’une fois que les difficultés sont apparues.

Par ailleurs, les représentants du syndicat CFE-CGC des salariés de Presstalis ont proposé que les instances représentatives du personnel (IRP) des messageries de presse puissent à l’avenir saisir l’organe de régulation au sujet de la situation économique et financière de leur employeur lorsqu’elles ne parviennent pas à obtenir des informations de la part de leur direction.

De leur côté, les représentantes du syndicat CFDT des salariés des MLP ont insisté sur la nécessité pour le futur organe de régulation d’être véritablement impartial et à l’écoute de l’ensemble des acteurs de la filière de la distribution de la presse (« petits » et « moyens » éditeurs, dépositaires, diffuseurs, transporteurs, imprimeurs, etc.), et pas seulement des « gros » éditeurs comme le CSMP semble l’être aujourd’hui. À cette fin, les représentants de la FNPS ont suggéré que soit adjointe à l’ARCEP (si elle était appelée à réguler la distribution de la presse) une structure associant l’ensemble des professionnels de la filière, dans toute leur diversité – ce qui, selon eux, n’est pas le cas du CSMP dans sa configuration actuelle.

En toute hypothèse, la définition des contours de la régulation devra être la résultante de ses finalités : par exemple, les missions de la régulation pourraient ne pas être tout à fait les mêmes selon que l’on estime que la première de ces finalités est la garantie du pluralisme ou celle de la viabilité économique et financière des messageries de presse et des autres acteurs de la filière.

Par ailleurs, comme Mme Cécile Dubarry l’a souligné lors de son audition, il faut garder à l’esprit que, quand bien même elle serait renouvelée, la régulation ne peut pas tout et qu’elle ne suffit pas à structurer une filière ni à rendre efficaces des acteurs économiques qui ne le sont pas.

La conception d’une nouvelle régulation de la presse doit donc s’accompagner de la conception d’une nouvelle organisation de la filière, ce qui, selon président du SPQN, M. Francis Morel, s’impose quand le marché est baissier et que les coûts de ses opérateurs restent fixes.

2.   La nécessité d’adapter le modèle coopératif des messageries de presse (niveau 1)

Tout en posant à son article 1er les principes selon lesquels « la diffusion de la presse imprimée est libre » et « toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenables à cet effet », la loi Bichet énonce, en son article 2, que, pour les entreprises de presse qui renoncent à assurer elles‑mêmes la distribution de leurs titres, « le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse ».

Or, l’article 5 de la même loi prévoit que « le capital social de chaque société coopérative ne peut être souscrit que par les personnes physiques ou morales propriétaires de journaux et périodiques » – autrement dit par les éditeurs qui sont aussi les clients de la messagerie. Et l’article 10 ajoute que « quel que soit le nombre des parts sociales dont il est titulaire, chaque sociétaire ne pourra disposer, à titre personnel, dans les assemblées générales, que d’une seule voix ».

Si cette organisation des sociétés de messageries de presse a ses vertus, notamment parce qu’elle favorise le pluralisme en garantissant à tout éditeur un accès à la distribution de la presse, elle n’est cependant pas à l’abri de toute critique.

a.   Le cumul délétère des qualités d’actionnaire et de client

En théorie, si l’on s’en tient aux dispositions de l’article 12 de la loi Bichet, « les barèmes des tarifs de chaque société coopérative de messageries de presse sont soumis à l’approbation de son assemblée générale. Ils sont fixés dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d’une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ».

En pratique, les clients des messageries de presse étant aussi leurs actionnaires et étant donc appelés à voter les barèmes qu’ils payent, ils ne peuvent qu’être tentés d’abaisser au maximum ces barèmes dans une logique de court terme. Alors que leur qualité d’actionnaire devrait les conduire à augmenter les tarifs, leur qualité de client les incite à tout entreprendre pour les diminuer.

Comme beaucoup d’autres personnes entendues, Mme Michèle Benbunan a déploré le dilemme permanent entre le comportement d’actionnaire et le comportement de client auquel leur double qualité expose les coopérateurs.

Or, ce que le président de la CDM, M. Nicolas Sauzay, a qualifié de « schizophrénie » explique une grande partie des difficultés actuelles de Presstalis dont les actionnaires (et clients) ne paient pas le prix du coût réel des prestations de distribution de la messagerie.

Et ils sont d’autant moins enclins à le faire que la logistique et la distribution ne sont pas leur cœur de métier – qui reste l’édition – et que leur responsabilité capitalistique est très limitée.

b.   Les limites du principe « un éditeur = une voix »

En application de l’article 10 de la loi Bichet, quel que soit le poids économique de l’éditeur, que son chiffre d’affaires s’établisse en dizaines de milliers d’euros ou en centaines de millions d’euros, il ne dispose au sein de la société coopérative de messagerie de presse que d’une seule voix. Ainsi, parmi les 600 éditeurs adhérents que comptent les MLP, les douze plus importants (Le Point, Télé Z, UFC-Que choisir, etc.) représentent environ 60 % du chiffre d’affaires de la messagerie, tandis que 82 % des éditeurs clients des MLP ne représentent que 10 % de leur chiffre d’affaires. Chez Presstalis, trente éditeurs disposent seulement de trente voix alors qu’ils représentent près de 90 % du chiffre d’affaires de la messagerie. Ces « gros » éditeurs peuvent donc se retrouver mis en minorité par de petits éditeurs.

Par ailleurs, il semblerait que certains éditeurs, comme le groupe Mondadori, soient coopérateurs au sein des deux messageries de presse concurrentes, disposant ainsi des moyens d’affaiblir chacune des deux messageries en choisissant tantôt l’une ou tantôt l’autre pour la distribution de leurs titres.

Malgré ces inconvénients, les représentants des MLP (qui étaient organisées sous forme de coopérative dès 1945, avant même l’adoption de la loi « Bichet ») ont exprimé leur fort attachement au principe « 1 éditeur = 1 voix ».

S’il est vrai que ce système garantit l’accès de chaque éditeur à la distribution, il a cependant aussi ses limites. Il tend en effet à diluer les responsabilités capitalistiques et donc à inciter le coopérateur – titulaire d’une seule action – à faire prévaloir son intérêt de client sur son intérêt d’actionnaire.

Tout en comprenant les raisons historiques du modèle coopératif, les représentants de l’ARCEP se sont étonnés de sa survivance.

Selon les représentants du CSMP, le modèle coopératif des messageries de presse devrait être aménagé, par exemple en créant des compartiments ou « collèges » au sein des actionnaires.

D’autres personnes entendues, comme le président de la CDM, M. Nicolas Sauzay, ont suggéré que le modèle coopératif des messageries de presse pourrait même être abandonné si les « petits » éditeurs se regroupaient au sein d’un groupement d’intérêt économique (GIE) afin de peser dans les négociations commerciales avec les distributeurs et ainsi garantir la distribution de leurs titres.

Quitte à remettre en cause le principe, les rapporteurs estiment qu’une réflexion sur le modèle coopératif des messageries de presse gagnerait à être engagée pour faire face de façon efficiente aux défis auxquels le marché de la presse vendue au numéro est aujourd’hui confronté.

Proposition n° 2 : engager une réflexion sur le statut des sociétés coopératives de messageries de presse pour faire face aux défis des évolutions du marché de la presse vendue au numéro.

c.   La question du rapprochement des deux messageries

La quasi-totalité des personnes entendues ont relevé le caractère contradictoire de la loi Bichet qui tout à la fois prône la solidarité intra et inter-coopératives et organise la concurrence entre les messageries de presse. Issu de la loi du 17 avril 2015, l’article 17 de la loi Bichet prévoit en effet dans une même phrase que l’ARDP et le CSMP « veillent au respect de la concurrence et des principes de liberté et d’impartialité de la distribution et sont garants du respect du principe de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ».

La lenteur et les difficultés rencontrées par le processus de mise en place d’une péréquation inter-coopératives pour le financement des surcoûts supportés par Presstalis à raison de la distribution des quotidiens sont particulièrement révélatrices des tensions entre logique de concurrence et logique de solidarité qui agitent la distribution de la presse. Bien qu’évoqué dès 2009, ce n’est pourtant qu’en 2013 qu’a été mis en place ce mécanisme de péréquation inter-coopératives qui consiste à répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, les efforts nécessaires pour assurer la couverture des surcoûts liés à la distribution des quotidiens d’IPG – à l’exclusion des surcoûts « historiques », essentiellement liés au statut des ouvriers du Livre employés par Presstalis ([53]).

Près de quatre années ont été nécessaires pour mettre en œuvre ce mécanisme car les MLP ont contesté en justice le périmètre et les modalités de calcul de la péréquation retenus par le CSMP, en saisissant tour à tour (et en vain) la cour d’appel de Paris et l’Autorité de la concurrence.

Cela montre à quel point les logiques de solidarité et de concurrence sont antithétiques. Or ces logiques tiraillent également la régulation de la distribution de la presse. D’après les représentants de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), le CSMP aurait de plus en plus tendance à défendre la logique de solidarité, tandis que l’ARDP ferait de plus en plus valoir les exigences du droit de la concurrence.

Certaines des personnes entendues soutiennent que la concurrence entre les deux messageries nationales (Presstalis et MLP) serait vertueuse car elle les contraindrait à se réformer dans un souci d’efficacité.

D’autres personnes entendues ont expliqué que la concurrence agressive entre les deux bénéficiaires du duopole serait délétère dans une période de décroissance où le marché de la vente de la presse au numéro enregistre une dégradation annuelle de 5 à 10 %. Rappelons à cet égard que le chiffre d’affaires de Presstalis a fondu de près de 50 % au cours des dix dernières années, tout comme ses effectifs.

La présidente-directrice générale de Presstalis – qui a d’ores et déjà dépensé près de 300 000 euros en honoraires d’avocats pour répondre aux prétentions des MLP – a qualifié la concurrence entre les deux messageries de « vraie lutte au couteau », ajoutant que si le système coopératif est conçu pour favoriser la solidarité, c’est, de son point de vue, un échec total ([54]) .

C’est aussi l’analyse des représentantes des salariés des MLP adhérant à la CFDT : de leur point de vue, le CSMP a pris des décisions qui attisaient la concurrence entre les acteurs de la filière, là où d’autres régulateurs, comme l’ARCEP, œuvrent aujourd’hui en faveur de la collaboration entre opérateurs de télécommunications concurrents pour parvenir à supprimer les zones du territoire qui ne sont pas desservies par un réseau de téléphonie mobile ou par internet ou qui ne sont pas couvertes par un accord de partage entre les principaux opérateurs (« zones blanches »).

M. Louis Dreyfus, président de la CDQ, a déploré que, par faiblesse, le CSMP n’ait pas su réguler la concurrence entre deux messageries dont chacune est, selon lui, persuadée que son salut dépend de la disparition de l’autre.

La disparition de Presstalis et son impact sur la filière de la distribution de la presse ont d’ailleurs été régulièrement évoqués au cours des auditions. Là encore, les rapporteurs ont pu constater que les analyses des différents acteurs concernés étaient très divergentes.

Ainsi, M. Philippe Loison, président du Syndicat de l’association des éditeurs de presse (SAEP), a tendu à relativiser l’impact d’une éventuelle faillite de Presstalis pour la filière. Selon lui, la disparition de Presstalis au profit d’une messagerie aux comptes apurés et aux effectifs allégés permettrait d’assainir et de rénover l’organisation de la filière.

C’est aussi le point de vue des représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP), pour qui Presstalis, qu’ils décrivent comme une entreprise inefficace, coûteuse et criblée de dettes, n’est « ni indispensable ni irremplaçable ». Quant aux représentants de l’ARCEP, ils estiment que Presstalis n’est pas la seule entreprise de France à être en mesure d’acheminer des exemplaires imprimés en région parisienne jusqu’à 20 000 points de vente.

À l’inverse, aussi bien le président du SPQN, M. Francis Morel, que le président de la CDQ, M. Louis Dreyfus, ont alerté la mission quant aux conséquences dévastatrices qu’aurait la faillite de Presstalis pour la filière de la distribution de la presse. Selon eux, elle emporterait rapidement celle des diffuseurs de presse – dont la moitié ne résisterait sans doute pas à une suspension de la distribution des quotidiens pendant un mois – ainsi que celle des « petits » éditeurs.

Selon le président du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR), M. Vincent David, la faillite de Presstalis pourrait indirectement impacter la presse régionale si elle fragilisait des dépositaires. Or les représentants du Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) ont exprimé la crainte que les dépôts de presse ne soient emportés dans les tourments de Presstalis en raison des activités de dépositaire que mène Presstalis, en plus de ses activités de messagerie.

Selon les représentants du CSMP, une faillite de Presstalis emporterait aussi celle de la messagerie concurrente (MLP) qui serait créancière de Presstalis à hauteur de 15 millions d’euros.

C’est aussi ce qui ressort de la délibération de l’ARDP du 2 mars 2018 homologuant les différentes décisions de portée générale prises par le CSMP le 20 février dernier pour faciliter le sauvetage de Presstalis. Selon l’ARDP, « dans la mesure où elle détient 75 % des parts de marché de la distribution au numéro et assure l’exclusivité de la distribution de la presse quotidienne d’information politique et générale, la défaillance de la principale messagerie mettrait en péril l’ensemble de la filière », car, « la situation financière des Messageries lyonnaises de presse, bien que moins dégradée, demeure fragile, en particuliers en termes de fonds propres consolidés », de sorte que « les MLP seraient inéluctablement affectées par une cessation d’activité de Presstalis, en raison de l’importance des créances qu’elles détiennent sur les dépôts de ce groupe » ([55]).

Plusieurs des personnes entendues ont expliqué que, de leur point de vue, les MLP seraient incapables d’assurer la distribution de la presse quotidienne comme le fait aujourd’hui Presstalis ([56]). Preuve en est, selon les représentants du syndicat Confédération générale du travail (CGT) des salariés de Presstalis, que pour la distribution de plusieurs millions d’exemplaires du « numéro des survivants » de Charlie Hebdo à la suite des attentats de janvier 2015, les MLP auraient recouru au réseau et aux moyens techniques de Presstalis… étant toutefois précisé que cette information a été contestée par les représentants des salariés des MLP adhérant à la CFTC qui ont expliqué que leur entreprise avait été capable d’assurer seule cette diffusion.

Quoi qu’il en soit, s’il est vrai que Presstalis assure près de 75 % de la distribution de la presse magazine (hebdomadaire, en particulier) et que les trois quarts de ses clients (et donc de son chiffre d’affaires) sont des éditeurs de magazines, ce groupe est néanmoins la seule des deux messageries à assurer la distribution de la presse quotidienne, qui est particulièrement coûteuse ([57]). En effet, le bouclage des quotidiens intervenant vers minuit (notamment pour le journal L’Équipe), et leur vente commençant dès 7 heures du matin chez les diffuseurs de presse, l’impression, le groupage, le transport et la distribution de ces journaux s’effectuent à flux extrêmement tendus (« flux chauds »). Mme Michèle Benbunan a expliqué que, si le groupe Presstalis n’était pas chargé de la distribution de tous les quotidiens, le coût de ses prestations serait peut-être inférieur de 30 %, malgré les coûts liés à son modèle social.

Il faut en effet rappeler que les fortes exigences de la distribution des quotidiens a conduit à l’octroi aux salariés de la messagerie Presstalis et de ses dépôts, d’avantages significatifs qui représentent aujourd’hui des coûts sociaux fixes élevés alors que le marché de la vente de la presse au numéro est baissier.

Ainsi, les rémunérations versées aux salariés de la Société d’agences et de diffusion (SAD), filiale dépositaire de Presstalis, seraient deux fois supérieures à celles versées aux salariés des quelque 36 dépositaires indépendants ([58]), alors que leur productivité horaire serait trois fois inférieure. À en croire les représentants du SNDP, les dépositaires indépendants seraient donc bien moins chers et bien plus efficaces que les dépôts de Presstalis.

Plusieurs des personnes entendues ont donc plaidé pour une fusion de Presstalis et des MLP : au sein d’un unique opérateur de la distribution de la presse, les surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne seraient compensés par les bénéfices générés par la distribution de la presse à périodicité plus longue.

La fusion des deux messageries de presse a trouvé en M. Nicolas Sauzay, président de la CDM, un ardent défenseur : selon lui, il est absurde que Presstalis et les MLP se livrent une guerre commerciale pour conquérir des parts dans un marché baissier, dans le seul but de couvrir leurs coûts fixes, alors que, par ailleurs, la France est dépourvue du « champion national » de la distribution de la presse que pourrait devenir la messagerie de presse unique résultant de la fusion des deux messageries actuelles.

Dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2018, le sénateur Michel Laugier fait cependant montre d’une « grande prudence » à l’égard d’un éventuel projet de fusion entre Presstalis et les MLP, dans la mesure où, selon lui, une telle fusion « entraînerait a minima 500 licenciements, notamment chez les MLP, sans certitude qu’un monopole ne soit in fine pas défavorable aux tarifs appliqués aux éditeurs » ([59])

À ceux qui brandissent l’argument du danger que représenterait la reconstitution d’un monopole au sein de la filière de distribution de la presse, M. Nicolas Sauzay rétorque qu’aujourd’hui, La Poste dispose d’un monopole sur la distribution de la presse par voie d’abonnement, que les titres distribués par ce canal le sont le plus souvent en temps et en heure et qu’il est même possible de négocier avec l’opérateur monopolistique et de réaliser des gains de productivité.

Même les représentants des diffuseurs de presse se montrent plus ouverts à l’idée d’une fusion des deux messageries qu’ils ne l’ont été par le passé. Dans la contribution écrite qu’ils ont adressée à la mission, les représentants de Culture Presse écrivent ainsi : « longtemps opposée à une idée de fusion, Culture Presse se pose aujourd’hui la question : avons-nous encore les moyens de doubler le circuit de distribution ? »

Les rapporteurs ont en revanche pu constater l’hostilité des représentants des salariés des MLP à cet éventuel projet de fusion. Les représentants du syndicat CFTC ont fait valoir qu’il n’était pas certain qu’il soit économiquement profitable de fusionner une entité structurellement déficitaire comme Presstalis avec une entreprise au modèle économique vertueux comme les MLP – dont ils ont rappelé qu’elles ne percevaient aucune aide publique et qu’elles avaient fait d’importants efforts d’adaptation en cédant leurs activités de dépositaire et en mettant en place un plan de départs volontaires portant sur près de 20 % des effectifs, sans la moindre journée de grève.

Si, lors de son audition, M. Michel Françaix a recommandé de ne retenir qu’« une seule coopérative de messagerie de presse pour une seule instance de régulation », les rapporteurs estiment toutefois que, compte tenu des tensions existant entre les deux messageries, leur fusion semble difficilement envisageable à court terme.

Il leur paraît pour l’heure préférable de conforter Presstalis dans sa stratégie de cession de ses activités de dépositaire.

3.   La nécessité de conforter les messageries de presse dans leur stratégie de cession de leurs activités de dépositaire (niveau 2)

Indépendamment de l’éventuel rapprochement des deux messageries (niveau 1), il serait souhaitable, d’après nombre des personnes entendues, que le groupe Presstalis cède ses activités de dépositaire (niveau 2) – qu’il n’a au demeurant pas toujours eues : Presstalis n’a réellement commencé à développer ces activités qu’à partir des années 1980, en rachetant la SAD au groupe Hachette ([60]).

Aujourd’hui, l’outil industriel de la messagerie, dont les dépôts livrent près de la moitié des diffuseurs de presse et représentent environ 60 % du volume d’affaires national, n’est, semble-t-il, utilisé qu’à hauteur de 55 % de ses capacités, et la qualité de la relation entre Presstalis et les dépositaires et diffuseurs de presse est en outre sujette à caution, d’après un rapport réalisé en 2017 par la société Feedback pour le CSMP ([61]).

Comme l’a confirmé Mme Michèle Benbunan, lors de son audition, c’est donc dans la voie de la cession de ses dépôts que le groupe Presstalis s’est engagé, car le réseau de distribution du groupe au niveau 2 (dépositaires) a été mis en place à une époque où les transports n’étaient pas suffisamment développés, ce qui n’est bien évidemment plus le cas à une époque où, pour la distribution « au dernier kilomètre », Presstalis pourrait profiter du savoir-faire des entreprises de transport (notamment de transport express). C’est du moins le point de vue du président de la CDM, M. Nicolas Sauzay, qui juge souhaitable que, dans la mesure où les volumes de titres vendus ont baissé et où les transporteurs-logisticiens ont développé leur maillage, Presstalis tire parti du modèle organisationnel de ces transporteurs.

D’après le président du Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP), M. Dominique Gil, le rachat de neuf mandats de dépositaire de Presstalis par des dépositaires indépendants serait en cours de négociation, avec pour objectif celui de réduire de 20 % la part de marché de Presstalis au niveau 2 de la distribution de la presse. Toutefois, M. Dominique Gil a tenu à signaler que les dépositaires indépendants ne sont pas positionnés comme des transporteurs tels que Geodis pour racheter tous les mandats de Presstalis.

4.   La nécessité de rendre effective la marge de liberté déjà reconnue par la loi aux diffuseurs de presse (niveau 3)

La France compte aujourd’hui environ 23 000 diffuseurs de presse ([62]), pour environ 1 000 éditeurs et 6 000 titres distribués, quand l’Allemagne compte près de 100 000 diffuseurs de presse (pour 2 000 titres distribués) et que le Royaume‑Uni en dénombre près de 80 000.

Le schéma directeur de la rémunération des diffuseurs de presse voté par le CSMP en 2014 a contribué à une légère augmentation de cette rémunération qui, en 2014, était encore l’une des plus faibles d’Europe. D’après le directeur de Culture Presse, M. Philippe di Marzio, la commission moyenne perçue par les diffuseurs de presse spécialistes et indépendants serait passée de 17,6 % du prix toutes taxes comprises (TTC) du produit de presse vendu en 2014 à 21,2 % de ce même prix en 2017 – soit une progression de l’ordre de 20 % quand le marché a, lui, baissé de 7 %.

Si la rémunération des diffuseurs de presse spécialisés et indépendants se situe désormais dans la fourchette haute à l’échelle européenne, il n’en demeure pas moins que, d’après le président de la CDQ, M. Louis Dreyfus, un quart des kiosquiers parisiens ont encore un revenu mensuel moyen inférieur à 900 euros.

Des marges de progrès subsistant, les rapporteurs estiment utile de relayer, voire de reprendre à leur compte, un certain nombre de propositions formulées dans le cadre de leurs travaux afin d’esquisser des pistes à explorer pour desserrer l’étau qui contraint l’activité des vendeurs de presse.

a.   Reconnaître aux diffuseurs de presse une réelle latitude pour choisir les titres de presse non-IPG qu’ils vont vendre

Dès 2009, le Livre vert des États généraux de la presse écrite avait recommandé de donner aux diffuseurs de presse la capacité d’intervenir dans le choix des titres et des quantités.

La loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse a donc modifié la loi Bichet pour prévoir, à l’article 18-6, que le CSMP fixe non seulement « les conditions et les moyens propres à garantir une distribution optimale de la presse d’information politique et générale » (1°), mais aussi « pour les autres catégories de presse, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, les conditions d’assortiment des titres et de plafonnement des quantités servis aux points de vente » (2°).

La loi prévoit donc depuis plusieurs années un principe de libre accès aux points de vente pour les titres de presse d’IPG et un principe d’assortiment des titres et de plafonnement des quantités pour les autres. Pour ces derniers, il s’agit, en substance, de déterminer le nombre de titres livrés en fonction du linéaire disponible sur la base de critères non discriminatoires (chiffre d’affaires réalisés par titre dans le point de vente).

Cependant, quatre ans après l’adoption de la loi de 2011, l’ancien député Michel Françaix constatait que « le fort accroissement du nombre de produits à traiter, lié notamment au développement des produits hors presse (DVD, multimédias, livres, encyclopédies, etc.) et l’accroissement des taux d’invendus (40 % en 2007, 45 % en 2013) engendrent un encombrement croissant des linéaires, ce qui contribue largement à la dégradation des conditions de travail tout en nuisant à la bonne exposition des titres, et donc à leur vente. C’est pourquoi l’assortiment et le plafonnement des quantités servies aux points de vente constituent des enjeux particulièrement importants pour les diffuseurs » ([63]).

Certes, en 2013, le CSMP avait tenté de mettre en place un dispositif de plafonnement des quantités de titres distribuées dans le réseau ([64]). Mais cette initiative a connu une rapide déconvenue. D’une part, une proportion importante des volumes n’était pas concernée par cette décision dans la mesure où la limitation des volumes fournis ne s’appliquait ni à la presse d’information politique et générale (IPG) ni aux hebdomadaires vendus à plus de 400 000 exemplaires par parution (soit une quinzaine de titres non IPG, principalement de presse télévisée). D’autre part, par une décision n° 2014-02 du 18 avril 2014, l’Assemblée du CSMP a décidé de suspendre provisoirement l’application de la décision prise en 2013, au motif que des acteurs de la filière étaient dans l’incapacité de mettre en œuvre le plafonnement du fait d’un système informatique obsolète ne permettant pas la régulation des quantités distribuées.

La loi, qui n’impose pas aux diffuseurs de presse de recevoir tous les titres, n’est donc guère appliquée. D’après M. José Ferreira, président des MLP, son application est subordonnée à l’utilisation d’un système informatique adapté dont Presstalis ne disposerait pas… et Presstalis n’appliquant pas la loi, les MLP auraient décidé de ne pas l’appliquer davantage.

Pourtant, d’après les représentants des salariés des MLP adhérant à la CFTC, si l’utilisation d’un système informatique adapté était généralisée, un diffuseur de presse qui ne vend aucun exemplaire d’un titre trois fois de suite ne devrait plus recevoir ce titre. Les représentants de la FNPS ont confirmé que les objectifs d’assortiment des titres et de plafonnement des quantités livrées aux points de vente qui ont été fixés par la loi en 2011 sont parfaitement réalisables dès lors que sera généralisé un système d’information performant, comme celui des MLP. En effet, contrairement à celui de Presstalis, le système d’information des MLP permet de livrer aux diffuseurs de presse les quantités annoncées et d’opérer un réassortiment, c’est-à-dire un réapprovisionnement des linéaires en cas d’insuffisance dans tel ou tel point de vente. Selon les représentants de la FNPS, il serait parfaitement concevable de compléter un tel système par un portail permettant un véritable dialogue commercial entre les messageries et les diffuseurs de presse.

Convaincus du bon sens de la mesure adoptée en 2011, les représentants de Culture Presse (ex-Union nationale des diffuseurs de presse – UNDP), ont expliqué que « seules la pratique, l’absence de volonté des éditeurs et la vétusté des outils en ont empêché la mise en œuvre » ([65]). En effet, selon eux, « si le dispositif […] n’est pas aujourd’hui effectif, c’est sans doute parce que de nombreux éditeurs, petits et moyens y sont opposés, de même que les MLP. Ils ont donc veillé à mener une action retardatrice en usant de tous les moyens dilatoires, et en faisant écrire un cahier des charges techniques trop complexe pour mettre en œuvre un dispositif simple. Au final, […] force est de constater que le système d’informations de la filière, vieux de près de 30 ans et écrit sous MS-DOS est aujourd’hui à bout de souffle, et qu’il est à peine capable d’assurer la distribution au quotidien. Pour mettre en œuvre l’assortiment de manière efficace – mais plus généralement pour assurer la distribution de quelques milliers de nouveautés par jour (car chaque parution est une nouveauté) – il importe donc urgemment de concevoir et de mettre en service un nouveau système de communication et de gestion » ([66]).

La loi n’étant pas appliquée, la production excessive d’exemplaires continue, d’abord parce que la production d’un numéro supplémentaire ne coûte pas cher, ensuite parce qu’en l’absence de système efficace de réassortiment chez Presstalis, certains éditeurs préfèrent maximiser les quantités livrées aux diffuseurs de presse, et enfin parce que l’affichage d’un nombre élevé d’exemplaires distribués dans un nombre élevé de points de vente permet aux éditeurs de faire miroiter aux annonceurs une distribution large et de conserver ainsi des recettes publicitaires.

Résultat : plus de la moitié des titres de presse vendus au numéro sont aujourd’hui invendus. Mme Michèle Benbunan, présidente-directrice générale de Presstalis, a indiqué que, si le taux moyen d’invendus est de l’ordre de 65 %, il peut dépasser 90 % pour certains éditeurs.

Pourtant, d’après le directeur de Culture Presse, M. Philippe di Marzio, les messageries de presse disposent d’un système informatique riche de 400 applications et connaissent précisément le nombre d’exemplaires vendus, le nombre d’exemplaires restant à vendre ainsi que les dates de livraison et de vente. Et malgré cela, le nombre d’invendus ne faiblit pas.

La charge de ces invendus pèse essentiellement sur les diffuseurs de presse, et en particulier sur leur trésorerie, puisqu’ils ne sont remboursés des invendus qu’après l’écoulement d’un certain délai.

Pourtant, comme l’a rappelé M. Martin Ajdari, des pénalités sont déjà prévues lorsque le taux d’invendus dépasse un certain seuil. Mais selon lui, ces pénalités ne suffiraient pas à persuader les éditeurs de limiter leurs volumes, vu que le coût marginal du papier à l’impression est négligeable.

Les dispositifs existant en matière d’assortiment étant inappliqués, et donc insusceptibles de freiner la production d’invendus, les rapporteurs estiment qu’il faut aller plus loin. Ils notent à cet égard, qu’au Royaume-Uni, 48 heures avant la distribution des titres, les diffuseurs reçoivent une liste des journaux dont la livraison est prévue et il leur est demandé de la retourner en indiquant les titres à la livraison desquels ils souhaitent s’opposer, compte tenu du nombre d’invendus constatés.

Sans nécessairement calquer ce modèle pour l’organisation de la distribution de la presse en France, les rapporteurs estiment qu’il faut libéraliser de manière effective l’assortiment des produits de presse ne relevant pas de la presse d’information politique et générale.

Tant du point de vue de M. Bruno Hocquart, directeur général du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR), que de celui de M. Louis Dreyfus, président de la CDQ, ou de M. Nicolas Sauzay, président de la CDM, il faut que, dans un souci de garantie du pluralisme, les marchands de journaux soient tenus de distribuer la presse quotidienne nationale d’information politique et générale (IPG). Mais d’après eux, dans la mesure où ils sont aussi des agents de la vente à part entière, ils devraient avoir la liberté de sélectionner les titres et les quantités qu’ils souhaitent s’agissant des autres titres, et notamment des magazines et autres titres de la presse de centre d’intérêts qui relèvent davantage du commerce et dont les barèmes de distribution ne devraient plus avoir besoin d’être homologués, selon les représentants du CSMP.

Du point de vue de M. Nicolas Sauzay, la libéralisation totale de l’assortiment pour les titres de la presse non-IPG aurait le double avantage de responsabiliser à la fois les diffuseurs de presse – dont l’intérêt est de maximiser leur chiffre d’affaires – et les éditeurs – qui seraient contraints de démontrer aux diffuseurs l’intérêt de vendre leurs produits de presse, plutôt que de se jeter à corps perdu dans la production d’invendus, comme certains le font aujourd’hui.

Lors de leur audition, les représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP) ont relayé la revendication forte des acteurs du niveau 3 de participer plus directement à la commercialisation des titres ([67]). Les diffuseurs de presse doivent en effet être de véritables vendeurs, appelés à conseiller leur clientèle sur la base de la connaissance qu’ils ont des produits de presse exposés dans leur linéaire, et formés pour ce faire.

Les rapporteurs estiment que cette revendication doit être entendue, mais qu’on ne saurait y faire droit au détriment des exigences liées au pluralisme. Par conséquent, ils estiment qu’il serait souhaitable d’assurer l’application effective des dispositions légales qui, opérant une distinction entre la distribution de la presse d’IPG et la distribution de la presse non-IPG, desserrent les contraintes d’assortiment liées à la presse nonIPG, tout en maintenant l’obligation de distribution de la presse d’IPG.

Proposition  3 : rendre effective la libéralisation de l’assortiment des produits de presse ne relevant pas de la presse d’information politique et générale, qui est déjà prévue par l’article 18-6, 2°, de la loi dite « Bichet » du 2 avril 1947.

Tout en approuvant le principe d’une distinction entre la presse d’IPG et la presse non-IPG dans le cadre d’une éventuelle refonte des mécanismes de distribution et de diffusion de la presse, le président du SPQN, M. Francis Morel, a alerté les rapporteurs sur la nécessité de réserver peut-être un sort particulier au journal L’Équipe qui, bien que relevant de la presse sportive (et donc non-IPG), a des contraintes de bouclage et de distribution aussi fortes que les quotidiens nationaux d’IPG et difficilement compatibles avec sa vente par abonnement.

S’agissant de la presse de centre d’intérêts, dont les périodicités, souvent longues (bimestriels, mensuels, etc.), résistent mieux à l’attrition de la vente au numéro que la presse d’IPG, les rapporteurs estiment que, tout en permettant aux marchands de presse d’avoir un mot à dire sur les titres proposés dans leur point de vente, il serait peut-être souhaitable d’étudier une proposition intéressante formulée par Mme Michèle Benbunan et inspirée du droit bancaire. Le 1° du I de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier dispose en effet que « toute personne physique ou morale domiciliée en France a droit à l’ouverture d’un compte de dépôt dans l’établissement de crédit de son choix, sous réserve d’être dépourvu d’un tel compte en France ». Ainsi, si des établissements bancaires refusent à une personne l’ouverture d’un compte de dépôt, celle-ci peut saisir la Banque de France afin qu’elle lui indique un établissement de crédit qui, situé à proximité de son domicile ou d’un autre lieu de son choix, sera tenu d’ouvrir le compte. De la même façon, Mme Michèle Benbunan estime que, plutôt que d’assurer un débouché automatique à l’ensemble des éditeurs auprès de l’ensemble des distributeurs et diffuseurs, il serait peut-être souhaitable de réfléchir aux moyens de garantir à chaque éditeur le droit d’être diffusé par au moins un distributeur.

La contrepartie de la libéralisation de l’assortiment s’agissant de la presse non-IPG devrait être, selon Mme Michèle Benbunan, la garantie d’une rémunération suffisante aux diffuseurs de presse qui proposent l’intégralité de l’offre éditoriale. Peut-être faudrait-il leur consentir par exemple des commissions d’un taux supérieur à celles octroyées aux diffuseurs de presse qui sélectionnent les titres non-IPG exposés sur leurs linéaires.

b.   Redéfinir la notion de « produit de presse »

En complément d’une réforme qui permettrait aux diffuseurs de presse d’avoir un réel droit de regard sur les titres de presse non-IPG qu’ils reçoivent et sur les quantités qui leur sont livrées, plusieurs des acteurs entendus ont appelé de leurs vœux la redéfinition – dans un sens plus restrictif – de la notion de « produit de presse ». M. Philippe di Marzio, directeur de « Culture Presse », s’est ainsi étonné que les messageries de presse imposent aujourd’hui aux diffuseurs la distribution de près de 6 000 références… quand la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) ne reconnaît que 2 500 titres comme produits de presse.

La commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP)

Composée à parité de représentants de l’administration de l’État (cinq représentants du ministre chargé de la culture et de la communication, deux représentants du ministre chargé du budget, trois représentants du ministre chargé de l’économie et un représentant du ministre de la justice) ainsi que de professionnels de la presse, la CPPAP est chargée de :

- proposer l’inscription sur la liste des entreprises ayant le statut d’agence de presse ;

- reconnaître la qualité de service de presse en ligne (SPEL) ;

- délivrer un avis relatif au bénéfice du régime économique de la presse (tarifs postaux et fiscaux privilégiés) des publications.

En cas d’avis favorable, la CPPAP délivre un certificat d’inscription qui permet à l’éditeur de faire valoir ses droits aux avantages fiscaux et postaux pour la publication inscrite auprès de la Poste et de l’administration fiscale.

L’inscription sur les registres de la CPPAP des publications de presse lui permet de bénéficier d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduit et de tarifs postaux privilégiés.

La CPPAP est chargée de vérifier que les publications répondent aux critères réglementaires régissant ces aides. Les principales conditions sont :

- obéir à une périodicité régulière et au moins trimestrielle ;

- avoir une diffusion majoritairement payante ;

- présenter un lien direct avec l’actualité et un apport éditorial significatif ;

- consacrer une part maximale de deux tiers de la surface totale à la publicité.

La CPPAP admet les publications accompagnées de documents sonores ou visuels dans le cadre du régime économique de la presse à condition que le produit associé soit en relation avec l’objet de la publication.

Si le produit numérique constitue le principal de l’offre et la véritable motivation d’achat, la publication sera alors considérée comme l’accessoire des supports numériques (publication accessoire du support numérique). La forme et le fond du document imprimé, la teneur et l’apport rédactionnel des articles, le prix de vente de la publication et son rapport avec le coût de sa fabrication constituent autant de facteurs pris en compte.

D’après les représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP), la CPPAP ne tient plus suffisamment compte de l’exigence de périodicité qui, à l’origine, était une des conditions d’accès au réseau de la distribution de la presse. C’est ainsi que les « hors-séries » ont inondé le réseau.

Les représentants du Syndicat de l’association des éditeurs de presse (SAEP) jugent eux aussi « la CPPAP peu efficace pour éviter la pollution du réseau par des produits qui n’ont aucun caractère de produit presse et qui sont pourtant traités comme tels » ([68]). Selon eux, « les marchands de presse se voient actuellement submergés de produits qui n’ont pas de légitimité à se réclamer du produit presse, grâce à l’insuffisance d’intervention de la CPPAP, et grâce à un jeu d’étiquetage peu contrôlé par le CSMP dont la commission des bonnes pratiques ne se réunit jamais. Une certaine valse entre les catégories de produits permet même désormais aux éditeurs de qualifier en hors-séries des produits qui aurait dû être auparavant exploités sous forme d’assimilés-librairie (comme des livres) ».

Les rapporteurs appellent donc à ce que soit redéfinie, dans un sens plus restrictif, la notion de produit de presse.

Proposition  4 : redéfinir, dans un sens plus restrictif, la notion de produit de presse.

c.   Refondre le système de facturation au sein de la filière de distribution de la presse

Reconnaître aux diffuseurs de presse un droit de regard sur les titres de presse non‑IPG reçus et sur les quantités livrées permettrait de limiter les « trous de trésorerie » que leur cause le système de facturation en vigueur dans le secteur de la distribution de la presse et qui repose sur une avance de trésorerie consentie par les diffuseurs aux éditeurs et sur un remboursement par les éditeurs aux diffuseurs des exemplaires invendus. Les marchands de journaux sont en effet d’abord facturés de l’intégralité des exemplaires que les éditeurs décident de leur livrer et ce n’est qu’après restitution des invendus que les éditeurs leur remboursent les sommes trop perçues. Comme l’expliquent les représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP), « il en découle des avancées de trésorerie par les marchands de journaux qui les mettent en difficulté ».

L’actuel système de facturation au sein de la filière de distribution de la presse serait donc, selon eux, relativement malsain : il permettrait avant tout d’accroître artificiellement la trésorerie des acteurs intermédiaires (messageries et dépositaires) pour pratiquer l’affacturage.

Le système de facturation dans la distribution de la presse vendue au numéro

Sur le plan financier, le flux est organisé d’une manière singulière :

– le point de vente est facturé de la totalité des exemplaires qui lui sont fournis ;

– le produit des ventes réalisées par le diffuseur est collecté par le niveau 2 (dépositaire régional) et immédiatement remonté dans la comptabilité de la messagerie (niveau 1) ;

– le règlement de la commission versée au point de vente intervient avec délai après le décompte des invendus ;

– le règlement de la part revenant à l’éditeur sur le produit de la vente, hors coûts de distribution et prélèvements divers, intervient avec délai après le décompte des invendus.

En pratique donc, bien que la messagerie n’intervienne que « pour le compte » des éditeurs, tout l’argent passe dans ses comptes, sur la base d’un décalage entre les montants facturés aux marchands de presse (i.e. l’intégralité des exemplaires fournis à la vente) et la restitution des commissions et produits de la vente à leurs ayant-droits respectifs.

Cette trésorerie excessivement importante alimentée en permanence par les ventes de publications, est sans aucune mesure avec la commission de quelques pourcents qui revient à la messagerie pour son activité de gestion. Chaque éditeur n’étant pas en mesure de contrôler lui-même directement l’activité de la messagerie, il est obligé de lui déléguer sa confiance dans la bonne gestion de ses intérêts.

Source : SAEP, Propositions pour une révision de la loi du 2 avril 1947 dite Bichet, 26 février 2018.

Les représentants de l’AADP appellent de leurs vœux une simplification des modalités de facturation où les éditeurs de presse ne factureraient aux diffuseurs que les exemplaires vendus, après restitution des invendus.

C’est aussi la revendication des « petits » éditeurs, et plus particulièrement du SAEP dont le président, M. Philippe Loison, préconise, dans une contribution écrite adressée à la mission, d’« instaurer une facturation directe et la répartition immédiate du produit de la vente » entre les « acteurs commerciaux principaux de la chaîne, l’éditeur, d’une part, et le marchand de presse, d’autre part » ([69]).

Selon lui, « aujourd’hui, la plupart des points de vente essentiels du réseau sont équipés de lecteurs de code à barres et de systèmes informatiques assurant une remontée bi-quotidienne des informations de vente vers la messagerie. La facturation directe du marchand de presse des exemplaires qu’il a vendus, avec restitution immédiate de sa commission sur la vente sur un rythme hebdomadaire n’est pas une vue de l’esprit. Elle est déjà opérée par Le Parisien pour sa distribution en Île-de-France. […] Une facturation directe permet aussi à l’éditeur de redevenir via sa messagerie le véritable bénéficiaire de ses ventes, puisqu’il percevrait immédiatement le produit de la vente constatée diminuée des coûts de distribution de ses publications. Il n’existe aucun obstacle technique, bancaire ou légal à généraliser un tel mode opératoire. […] Pour le marchand de presse, la facturation directe des exemplaires vendus (et non des exemplaires livrés) rétablira la vérité de son activité à l’instant T, lui permettant de disposer de sa trésorerie en temps réel, de prévoir ses investissements et de planifier financièrement son activité comme toute entreprise est en droit de le faire. Pour l’éditeur, la facturation directe permettra de rétablir une trésorerie particulièrement mise à mal par les décalages de règlements imposés par les messageries sous les prétextes les plus divers. Surtout, en disposant chaque semaine d’un relevé de ses ventes, l’éditeur pourra ajuster le plus finement possible les quantités mises en vente d’une parution sur l’autre, et améliorer son compte d’exploitation, alors que le système actuel ne lui offre pratiquement aucune vision sur son activité en temps réel. […] Une révision de la loi doit donc supprimer les niveaux de facturation intermédiaires et en particulier la facturation en cascade de la messagerie au niveau 2 des dépôts, ayant entraîné les dérives connues liées à l’affacturage par les messageries. Au-delà de la transparence qu’elle instaure forcément dans la gestion des flux logistiques, la facturation directe permet d’établir une relation contractuelle directe entre l’éditeur et le diffuseur. Ainsi les acteurs de la vente aux deux extrémités de la filière, éditeurs et marchands de presse, se trouvent liés par leur intérêt commun dans la vente optimale des publications et la réduction des coûts intermédiaires ».

Les rapporteurs estiment que cette proposition de refonte du système de facturation en vigueur dans le secteur de la distribution de la presse doit être examinée.

Proposition n° 5 : refondre le système de facturation en vigueur dans la filière de la distribution de la presse afin que les éditeurs de presse ne facturent plus aux diffuseurs que les exemplaires vendus, après restitution des invendus.

d.   Permettre, pour certains titres de presse à périodicité longue, une distribution directe entre éditeurs et diffuseurs

Certaines des personnes entendues ont en effet suggéré que la distribution des magazines, qui repose sur des flux « froids », pourrait s’effectuer directement des éditeurs aux diffuseurs de presse.

Mme Michèle Benbunan, présidente-directrice générale de Presstalis, a ainsi fait état, lors de son audition, de la demande exprimée il y a plusieurs années par certains éditeurs de pouvoir bénéficier de livraisons dédiées auprès de certains diffuseurs, comme cela est possible à l’étranger. En effet, d’après ce qui a été indiqué à la mission par le président de la CDM, M. Nicolas Sauzay, en Allemagne, les éditeurs peuvent livrer directement les points de vente de presse Relay.

En France, cette possibilité de livraison directe que certains éditeurs appellent de leurs vœux depuis longtemps leur serait aujourd’hui toujours refusée en raison des rigidités normatives encadrant la distribution de la presse, et plus précisément, d’après Mme Michèle Benbunan, en raison de l’obligation qui est faite aux éditeurs d’avoir recours à un dépositaire pour distribuer leurs titres auprès des diffuseurs de presse situés dans la zone de desserte sur laquelle ce dépositaire bénéficie d’une exclusivité territoriale ([70]).

Les représentants de l’Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP) entendus par les rapporteurs se sont montrés favorables à l’aménagement d’une livraison directe du niveau 1 au niveau 3, estimant que la filière de la distribution de la presse était aujourd’hui surtout pénalisée par la lenteur de la circulation des flux financiers et des informations résultant de l’empilement des intermédiaires entre les éditeurs et les diffuseurs de presse.

Le président du SAEP, M. Philippe Loison, a abondé en ce sens, dans la contribution écrite qu’il a remise à la mission et qui formule des propositions très précises de réorganisation de la distribution de la presse. Partant du postulat que « la presse quotidienne ne fera plus partie de l’équation » – dans la mesure où « la conversion des grands titres de la presse quotidienne nationale vers le numérique s’est d’autre part déjà opérée avec l’aide de l’État et de Google » – et que « la presse magazine à centre d’intérêt est l’avenir de la presse imprimée »
– dans la mesure où « notoirement vendue à des prix beaucoup plus élevés que l’information généraliste, la presse à centre d’intérêt a les moyens de produire de la valeur pour la filière de manière durable » –, M. Philippe Loison suggère que « les contraintes liées à la diffusion de plusieurs éditions quotidiennes de journaux ne peuvent plus être au fondement d’une loi sur la distribution de la presse, dont 99 % sera constituée de magazines et leurs dérivés » ([71]).

Selon lui, la conception d’un nouveau modèle de distribution de la presse doit être d’autant plus novatrice que « sur le plan logistique, cette organisation de distribution verticale avec un flux de retour (les invendus) diffère assez peu de toute entreprise de transport ou organisation logistique. Si elle était unique en son genre à l’époque de l’établissement de la loi d’origine, elle est aujourd’hui des plus banales. De multiples acteurs du transport sont en mesure d’en assurer le trafic. […]  Toute autre organisation logistique pourrait se substituer à cette chaîne de livraison de marchandises dans un flux aller et retour que pratiquent de nombreuses entreprises de vente par correspondance […] La performance des dépôts de niveau 2 et leur qualification est aujourd’hui appréciable, mais toute entreprise de transport qui respecterait un même cahier des charges pourrait prétendre opérer de la même manière. [… Et] demain une nouvelle société opérant des drones proposera peut-être de livrer des publications imprimées à la demande et personnalisés, directement jusqu’à un point de vente servant de relais ou jusqu’au lecteur final » ([72]).

Peut-être faut-il en conséquence réfléchir aux moyens d’intégrer dans l’organisation de la filière de la distribution de la presse des acteurs logistiques très performants intervenant dans d’autres secteurs de la distribution, comme la distribution alimentaire.

L’opportunité de partenariats avec Géodis ou Amazon a également été évoquée, notamment par les représentants de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) qui ont fait valoir que, pour les titres de presse dont les flux sont « froids », à savoir les titres à périodicité longue, il était tout à fait possible d’envisager une distribution directe des éditeurs aux diffuseurs de presse.

Proposition  6 : pour certains titres de presse à périodicité longue, permettre une distribution directe de l’éditeur au diffuseur de presse.

e.   Diversifier les points de vente de la presse et les activités des diffuseurs de presse

Bon nombre des personnes entendues se sont prononcées en faveur d’un élargissement de la distribution des magazines dans les commerces spécialisés : les magazines sportifs seraient par exemple vendus chez Decathlon ou dans les campings, les magazines de jardinage chez Truffaut, les magazines de décoration chez Ikea ou chez Maisons du monde, etc.

Les rapporteurs notent qu’il ne s’agit pas d’une idée nouvelle. Distincte de la diffusion de la presse au sein des grandes surfaces ([73]), la création de rayons de presse au sein de points de vente thématiques (jardineries, magasins d’équipements sportifs ou de décoration, etc.) a été engagée depuis près de vingt ans.

Toutefois, comme le relèvent les représentants de Culture Presse dans la contribution écrite qu’ils ont fournie à la mission, « avec des ventes très faibles, bien que l’offre soit précisément limitée à la thématique du point de vente, ces rayons se sont souvent transformés en salon de lecture, avant de disparaître largement, au point qu’il n’en reste que trois à fin janvier de cette année ».

Si elle mérite peut-être d’être revisitée et relancée, la diversification des points de vente de presse ne saurait en tout cas suffire. Elle gagnerait à être complétée par une diversification de l’activité des diffuseurs de presse. M. Michel Françaix a ainsi fait remarquer qu’en certains points du territoire, les diffuseurs de presse s’étaient déjà engagés dans le développement d’activités de portage, pour fidéliser leur clientèle.

*

Les rapporteurs forment le vœu que les six propositions qu’ils formulent pour l’évolution de la filière de la distribution de la presse et de sa régulation nourriront les réflexions que mène actuellement le Gouvernement dans le cadre du travail de concertation sur la réforme de la loi Bichet qu’il a engagé en février dernier.

Les rapporteurs tiennent à souligner que cette réforme ne saurait s’effectuer dans la précipitation, qui serait mauvaise conseillère, ni ignorer que les quotidiens n’occuperont plus, à l’avenir, qu’une place marginale dans la distribution de la presse vendue au numéro.

Elle ne doit pas non plus servir principalement à lever des verrous juridiques qui gêneraient la mise en œuvre du plan de redressement de Presstalis ni profiter exclusivement à quelques « gros » éditeurs soucieux d’assurer leur mutation numérique au détriment d’autres acteurs de la filière.


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II.   L’AGENCE France-Presse

A.   Les objectifs poursuivis par la réforme du statut de l’AFP en grande partie atteints

1.   Une gouvernance modernisée mais qui peut encore être améliorée

a.   Le conseil d’administration, un lieu à la fois plus paritaire et plus ouvert

L’un des objectifs du titre II de la loi du 17 avril 2015 était de réformer la composition du conseil d’administration de l’AFP. Comme le rappelait le rapporteur Michel Françaix, « de façon assez unique, la presse quotidienne française – qui nomme la moitié des administrateurs – a été placée en position de garante des missions d’intérêt général que l’AFP remplit. Cette situation, originale en 1957 et non dénuée d’ambiguïtés dès l’origine, devient de plus en plus injustifiable dans le contexte de recul de la place de la presse écrite comme source d’information de nos concitoyens et parmi les clients de l’agence. » ([74])

Pour répondre à ces critiques et moderniser la composition du conseil d’administration, l’article 13 de la loi du 17 avril 2015 diminue le nombre de représentants de la presse quotidienne de huit à cinq afin qu’ils ne soient plus majoritaires au sein du conseil d’administration.

Il introduit également cinq personnalités qualifiées désignées par le conseil supérieur « en raison de leur connaissance des médias et des technologies numériques et de leurs compétences économiques et de gestion ». De plus, « trois d’entre elles doivent posséder « une expérience significative au niveau européen ou international » ([75]).

Enfin, parce qu’au moment du vote de la loi, le conseil d’administration ne comptait que deux femmes sur un total de quinze membres, a également été fixé un objectif contraignant de parité au sein d’un conseil d’administration qui comprend désormais dix-huit membres.

D’une manière générale, la nouvelle composition du conseil d’administration de l’Agence France-Presse a été saluée par les personnes auditionnées. Toutes se sont félicitées que le conseil ne soit plus entre les mains des principaux clients de l’agence et se soit ouvert à des personnalités extérieures sélectionnées pour leurs compétences et leur expérience internationale.

Lors de son audition, M. Emmanuel Hoog, président du conseil d’administration, s’est néanmoins interrogé sur la pertinence du maintien d’un nombre aussi élevé d’administrateurs au sein du conseil.

Selon lui, la présence de cinq administrateurs issus de la presse quotidienne nationale pourrait être remise en cause dès lors que 60 % du chiffre d’affaires de l’agence est réalisé à l’international et qu’il a été décidé de concentrer la stratégie commerciale sur la production de contenus vidéo. La presse papier quotidienne n’est, par nature, pas la plus prompte à encourager un basculement vers la production de contenus audiovisuels et trouve un intérêt naturel à ce que le prix des abonnements n’augmente pas.

 De même, tous les représentants de la presse quotidienne (cinq membres sur dix‑huit) et des médias audiovisuels (deux membres sur dix‑huit) sont français. À l’heure où de plus en plus de clients de l’agence sont étrangers et où une part croissante de l’activité commerciale est concentrée sur le « corporate », c’est‑à‑dire sur les entreprises privées, cette composition franco-française peut paraître dépassée.

Non seulement parce qu’il n’est pas optimal, sur le plan de la gestion, que des clients intéressés par le maintien d’un statu quo à bas coût représentent près de 40 % du total des membres du conseil d’administration de l’agence, mais également parce que dès lors qu’est admis le principe de la présence de clients au sein du conseil d’administration, il n’est pas légitime qu’en soient exclus les nouveaux clients de l’agence, la composition des membres professionnels du conseil d’administration pourrait être revue.

Proposition n° 7 : mieux représenter les nouveaux clients de l’Agence FrancePresse au sein du conseil d’administration.

La présidente du conseil supérieur de l’AFP, instance chargée, depuis la loi de 2015, de désigner les cinq personnalités qualifiées siégeant au conseil d’administration, a fait part des difficultés rencontrées pour faire respecter la règle de parité imposée par la loi.

Le conseil supérieur étant le dernier collège à procéder à la nomination de membres au sein du conseil d’administration ([76]), c’est sur lui que repose la responsabilité de faire respecter la parité. Outre le sexe, il est également tenu par des critères de compétences : il ne peut nommer que des membres qui, non seulement ont une « connaissance des médias et des technologies numériques » et des « compétences économiques et de gestion », mais possèdent « une expérience significative au niveau européen ou international » ([77]).

Le respect de ces règles, auquel s’ajoute le délai généralement serré dans lequel les désignations doivent intervenir, rendent l’équation de la nomination difficile à résoudre. Aussi, la présidente et la secrétaire générale ont plaidé pour une simplification des règles de désignation des membres du conseil d’administration.

En premier lieu, il pourrait être envisagé de demander à chacun des cinq sous-collèges chargés de nommer des membres au sein du conseil d’administration de désigner un nombre pair de membres. Chaque sous collège serait ainsi tenu de respecter la parité, ce qui allégerait la pression reposant sur le conseil supérieur dont les nominations interviennent à la fin du processus. Une solution alternative pourrait être de désigner des membres suppléants.

Proposition n° 8 : faciliter l’application de la règle de parité au sein du conseil d’administration en faisant désigner par chaque sous-collège un nombre pair de membres ou des suppléants.

En second lieu, la mise en place d’une date unique pour le début du mandat des membres du conseil d’administration pourrait permettre d’éviter que l’équation de la composition du conseil d’administration se pose à chaque fois que doivent être désignées de nouvelles personnalités pour y siéger.

Proposition n° 9 : instaurer une date unique pour le début du mandat des membres du conseil d’administration afin de faciliter la mise en œuvre de la parité en son sein.

b.   Le conseil supérieur : des missions renforcées et une composition revisitée

En 2015, plusieurs modifications ont fait évoluer à la fois les missions et la composition du conseil supérieur.

Jusqu’en 2015, aux termes de l’article 3 de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’AFP, le conseil supérieur était exclusivement chargé de veiller au respect des obligations de l’AFP en matière d’indépendance, de qualité de l’information produite et de rayonnement international. Il pouvait, pour ce faire, être saisi par les usagers, les organisations professionnelles ou la commission financière de tout fait pouvant contrevenir aux obligations de l’agence. Le conseil se réunissait peu et son activité était limitée.

Sous l’influence du Sénat, les missions du conseil supérieur ont été redéfinies par la loi du 17 avril 2015. Le Sénat souhaitait alors fusionner le conseil supérieur de l’AFP et la commission financière en une « commission de surveillance », « véritable contre-pouvoir, au sein de l’entreprise, au conseil d’administration et à son président-directeur général ». Il s’agissait de « mieux distinguer ce qui doit relever des fonctions de direction de ce qui incombe normalement aux organes chargés de la supervision et de la définition de la stratégie » ([78]) .

Si cette proposition n’a pas prospéré, elle a servi de base à la redéfinition des missions du conseil supérieur.

Outre sa mission historique, il devient le gardien de « la pérennité de l’Agence France-Presse ». Il peut adresser au président-directeur général des « observations sur la mise en œuvre de la stratégie de l’agence qui n’ont pas de caractère obligatoire » et est désormais consulté « avant toute décision stratégique » ainsi que sur « le projet de contrat d’objectifs et de moyens ».

Pour accomplir ses missions, le conseil supérieur peut se voir communiquer tous les « documents et renseignements qu’il juge utiles » et peut rendre « ses observations publiques ». Enfin, il doit rendre compte de « la situation économique, financière et sociale de l’agence » dans un rapport présenté chaque année au Parlement.

Les missions du conseil supérieur de l’AFP ont été revalorisées par la loi du 17 avril 2015. Il se réunit en moyenne toutes les six semaines et procède à l’audition de nombreuses personnalités, qu’il s’agisse de responsables de l’agence ou de représentants des services de l’État qui exercent sur elle une tutelle financière. De manière symbolique, le conseil supérieur, désormais pleinement impliqué dans le pilotage stratégique de l’AFP, ne se réunit plus au Conseil d’État mais au sein des locaux de l’agence.

Au cours des auditions, l’évolution des missions du conseil supérieur comme celle de sa composition ont été jugées satisfaisantes. Il est en train de s’approprier ses nouvelles fonctions et de trouver sa place dans la gouvernance de l’AFP. À ce stade, il ne paraît donc pas utile aux rapporteurs de procéder à de nouvelles modifications du conseil supérieur.

c.   La commission financière : un rôle de vigie renforcé

Jusqu’à l’adoption de la loi du 17 avril 2015, les aides publiques que percevait l’agence prenaient la forme de versements au titre des abonnements souscrits par l’État et de diverses aides fiscales. Il n’existait donc pas, dans les lois de finances, de subvention ouvrant la voie à un éventuel contrôle de la Cour des comptes. Afin de s’assurer du bon usage de l’argent public versé à l’agence, il a été décidé, dans la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’agence, d’instituer une commission financière, conçue comme une émanation indépendante de la Cour des comptes.

La commission financière existe toujours. Aux termes de l’article 12 de la loi du 10 janvier 1957, ses missions sont triples :

– elle veille à ce que le budget voté par le conseil d’administration établisse « un équilibre réel entre les recettes et les dépenses ». Cette mission doit notamment permettre de garantir la sincérité du budget adopté par le conseil d’administration. Dans l’hypothèse où la commission estimerait que les prévisions ne permettront pas d’atteindre un équilibre réel entre les dépenses et les recettes, elle peut exiger une nouvelle délibération du conseil d’administration. Si, en dépit de cette nouvelle délibération, elle constate que le conseil d’administration « n’a pas pris toutes mesures nécessaires pour assurer l’équilibre financier de l’agence », elle peut demander, avec l’accord du conseil supérieur, la nomination d’un administrateur provisoire désigné par le président du tribunal de commerce ;

– elle apure les comptes de l’Agence France-Presse en s’appuyant sur des auditeurs externes ;

– depuis la loi du 17 avril 2015 et en application de l’accord trouvé entre le gouvernement et la Commission européenne, elle s’assure que la compensation annuelle versée par l’État n’excède pas les coûts nets générés par l’accomplissement des missions d’intérêt général.

Afin de garantir l’indépendance de la commission par rapport à l’État, depuis 2015, ses trois membres sont choisis parmi les membres en activité de la Cour des comptes. Leur mandat, désormais renouvelable, a été allongé à cinq ans. Afin de renforcer son rôle de vigie financière, les membres de la commission financière siègent, avec voix consultative mais non délibérative, au conseil d’administration. Cette présence leur permet d’attirer l’attention des administrateurs sur la situation financière ou la gestion de l’agence.

Au cours des auditions, le bilan de la réforme de la commission financière est apparu globalement positif. La méthode avec laquelle la commission financière s’est notamment assurée que la subvention versée par l’État n’excédait pas le coût réel des missions d’intérêt général a été saluée.

De même, la présence des membres de la commission financière lors des réunions du conseil d’administration aurait permis d’attirer l’attention des administrateurs sur certaines problématiques de gestion, comme par exemple la nécessité de mettre en place une comptabilité analytique. Sous son influence, plusieurs évolutions positives sont intervenues comme la mise en place d’un tableau de bord trimestriel et la présence de membres de la commission financière lors des réunions de préparation du budget de l’agence.

Néanmoins, plusieurs critiques formulées par les personnes auditionnées pourraient conduire à revoir, ou à faire évoluer, la composition et le rôle de la commission financière de l’AFP.

En premier lieu, la procédure par laquelle la commission financière s’assure que le budget établit un équilibre réel entre les recettes et les dépenses n’est pas optimale. La rédaction actuelle de l’article 12 de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’AFP prévoit en effet que l’examen de la commission financière intervient après que le conseil d’administration a adopté le projet d’état annuel des recettes et des dépenses. Dans ces conditions, la commission financière n’a que deux possibilités : refuser de valider le budget, auquel cas elle provoque une nouvelle délibération du conseil d’administration, ou ne rien dire. Afin de donner plus de poids aux recommandations qu’elle pourrait être conduite à formuler, la commission financière pourrait se prononcer avant le conseil d’administration, sur le projet d’état annuel.

Proposition n° 10 : prévoir que la commission financière de l’Agence FrancePresse examine l’état annuel de prévision des recettes et des dépenses de l’agence avant son adoption par le conseil d’administration (et non après cette adoption, comme c’est aujourd’hui le cas).

En second lieu, dès lors que le budget de l’État distingue, depuis l’adoption de la loi du 17 avril 2015, les missions d’intérêt général de l’agence, qui ouvrent droit à une subvention pour charges de service public, des abonnements commerciaux souscrits par les différents services de l’État, l’AFP peut désormais être contrôlée par la Cour des comptes. Un contrôle sur les exercices 2015 et 2016 est d’ailleurs actuellement en cours.

On peut donc s’interroger sur la pertinence du maintien de deux organes de contrôle distincts. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la commission financière est exclusivement composée de membres de la Cour des comptes.

Non seulement le positionnement des membres de la commission financière est délicat, étant à la fois contrôleurs et contrôlés, mais, dans une large mesure, les contrôles peuvent être redondants.

C’est pourquoi l’hypothèse d’une suppression de la commission financière a parfois été avancée. Dans ce scénario, la Cour des comptes reprendrait à son compte le soin de vérifier l’absence de surcompensation des missions d’intérêt général par l’État et un cabinet d’audit rattaché au conseil d’administration se verrait confier la charge d’apurer les comptes et de veiller à l’équilibre du budget.

Cette solution devrait être conforme aux exigences formulées par la Commission européenne dans sa demande de mesures utiles en date du 28 mars 2014. En effet, si la mise en œuvre des règles assurant l’absence de surcompensation des missions d’intérêt général par l’État est expressément confiée à la commission financière, la Commission européenne ne devrait pas voir d’objection à ce que cette mission soit transférée à la Cour des comptes, organe extérieur à l’agence dont l’indépendance ne peut être mise en cause.

Si le scénario d’une suppression de la commission financière ne devait pas être retenu, les rapporteurs insistent sur la nécessité absolue de clarifier le positionnement des membres de cette commission vis-à-vis de la Cour des comptes. Si une modification de la composition de la commission était nécessaire pour y parvenir, un dialogue avec la Commission européenne pour s’assurer que l’évolution envisagée est compatible avec la demande de mesures utiles formulée en 2014 devrait certainement être engagé.

Proposition n° 11 : revoir la composition de la commission financière ou envisager sa suppression.

2.   Un financement conforme au droit européen de la concurrence

L’un des objectifs du titre II de la loi du 17 avril 2015 était de mettre l’AFP en conformité avec la réglementation européenne relative aux aides d’État.

En 2010, l’agence de presse allemande « DAPD Nachrichten » a en effet porté plainte contre l’État français, lui reprochant d’avoir versé des aides d’État à l’AFP et d’avoir violé les règles européennes de la concurrence. Saisie de cette plainte, la Commission européenne a engagé une enquête sur le financement de l’agence et, à la suite d’un dialogue avec le gouvernement d’alors, a formulé plusieurs demandes de mesures utiles permettant de garantir la conformité du financement de l’agence avec le droit européen. Dans une lettre datée du 15 avril 2014, la France s’est engagée à mettre ces recommandations en œuvre.

Au cours des discussions entre l’État et la Commission européenne, le gouvernement a démontré l’impossibilité de rentabiliser l’activité de l’AFP sans porter atteinte à ses missions – indépendance, fiabilité de l’information et rayonnement mondial – et risquer une déperdition d’information préjudiciable à l’ensemble des États membres.

La Commission européenne, reconnaissant à la fois la spécificité de l’AFP par rapport à ses concurrentes sur la scène internationale, son importance pour le débat démocratique mais aussi la valorisation toujours plus faible de l’information, a accepté le principe des aides publiques. Elle a néanmoins exigé que soient clairement distingués la subvention ayant pour objet de compenser les missions d’intérêt général assurées par l’AFP des abonnements souscrits par les services de l’État, dont le montant doit être conforme au prix du marché.

La loi du 17 avril 2015 permet de garantir la mise en œuvre des mesures demandées par la Commission européenne pour celles d’entre elles qui ont une dimension législative.

Extraits de la lettre adressée par la Commission européenne au Gouvernement français le 28 octobre 2014 résumant les mesures utiles devant être mises en place pour mettre l’Agence France-Presse en conformité avec le droit européen

« Les mesures utiles, à mettre en place dans un délai d’un an, sont résumées ci-après :

-          la définition plus précise du service d’intérêt général de l’agence, à fixer dans le futur contrat d’objectifs et de moyens liant l’État et l’AFP ;

-          la nécessité de confier la gestion des services d’intérêt économique général par un acte formel (le futur contrat d’objectifs et de moyens, combiné avec la loi du 10 janvier 1957) ;

-          la re-notification dans un délai de dix années pour la poursuite du service d’intérêt économique général ;

-          la fixation des modalités de calcul de la compensation des missions d’intérêt général, à préciser dans le futur contrat d’objectifs et de moyens, conformément à la méthode du coût net évité, y compris les précisions apportées par la Commission dans sa lettre de mesures utiles ; la mise en œuvre de ces règles, assurant l’absence de subventions croisées, sera placée sous le contrôle de la commission financière de l’AFP ;

-          les conditions pour maintenir des abonnements des autorités publiques à l’AFP qui ne comporteront aucun élément d’aide : une nouvelle convention d’abonnements aux services de l’AFP sera signée, pour un nombre d’abonnements limité à ce qui est effectivement nécessaire pour couvrir les besoins des autorités publiques, sur la base du tarif de l’AFP pour les entreprises et institutions, y compris des remises et des rabais de quantité tenant compte de la masse agrégée de l’ensemble des abonnements de l’État ;

-          les dispositions pour éviter les subventions croisées : la séparation comptable et structurelle des activités hors service d’intérêt économique général sera assurée par des dispositions juridiques appropriées ;

-          les autres conditions liées à l’Encadrement applicable aux aides d’État sous forme de compensation de service public : en cas de difficultés, les aides à l’AFP seraient régies par les lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté ;

-          la modification de la procédure de faillite : une modification de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’AFP sera effectuée pour préciser que, dans l’hypothèse d’une insolvabilité déclenchant la saisine du législateur par le Gouvernement, la responsabilité de l’agence est limitée, et pour préciser les droits des créanciers en cas de faillite. »

En premier lieu, l’article 13 de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse précise désormais que « les activités de l’Agence FrancePresse ne relevant pas des missions d’intérêt général (…) font l’objet d’une comptabilité séparée ». Cette disposition permet de mettre en œuvre la séparation entre les activités commerciales de l’AFP et ses missions d’intérêt général.

En deuxième lieu, aux termes de l’article 12 de la même loi, la commission financière « s’assure annuellement que la compensation financière versée par l’État (…) n’excède pas les coûts nets générés par l’accomplissement des missions d’intérêt général ». Il s’agit de s’assurer que la compensation versée par l’État ne constitue pas une aide d’État déguisée.

En troisième lieu, l’article 13 précité précise que « les conditions de vente aux services publics de l’État sont déterminées par une convention entre l’État et l’Agence France-Presse » qui « fixe le nombre et le taux des abonnements souscrits par lesdits services, sur la base des grilles tarifaires de l’agence ». Autrement dit, les abonnements souscrits par l’État ne peuvent plus être accordés à des tarifs préférentiels ou en nombre excédant les besoins réels des services.

En dernier lieu, l’article 14 de la loi du 10 janvier 1957 précitée dispose désormais que « la responsabilité de l’État ne peut se substituer à celle de l’Agence France-Presse envers ses créanciers », ce qui permet d’éviter que l’agence ne bénéficie d’un avantage lié à la qualité du risque attaché à ses créances.

Conformément à la demande de la Commission européenne, un contrat d’objectifs et de moyens couvrant la période 2014-2018 fournit une définition précise des services d’intérêt général assurés par l’agence. De même, en application de l’article 13 de la loi du 10 janvier 1957, une convention d’abonnement liant l’État à l’AFP a été signée.

D’une manière générale, les auditions ont confirmé que les évolutions législatives introduites en 2015 ont permis de clore le contentieux européen relatif à l’AFP. De ce point de vue, les objectifs poursuivis en 2015 ont donc pleinement été atteints.

3.   Une réforme qui permet à l’AFP de conserver son rang sur la scène internationale

Comme le rappelait le rapporteur de la loi du 17 avril 2015 au Sénat, les dispositions législatives introduites par cette loi « permettent non seulement de mettre l’AFP en conformité avec le droit européen en matière d’aides publiques mais ont aussi le mérite de sécuriser le modèle de l’AFP pour l’avenir tout en reconnaissant la spécificité et l’importance de sa mission » ([79]).

Si les fragilités financières de l’agence sont régulièrement mises en avant, les rapporteurs souhaitent également rappeler que l’AFP a su conserver son rang à l’international et résister à la concurrence des grandes agences de presse étrangères – Associated Press, Reuters ou encore Chine Nouvelle. Cette performance mérite d’autant plus d’être soulignée que le statut des agences concurrentes leur permet plus facilement se développer et d’investir et qu’elles ne sont pas toutes soumises au respect de la législation européenne relative aux aides d’État.

Le réseau de l’AFP est à la fois étendu et dense, y compris dans certaines zones dont sont absentes les agences concurrentes, comme l’Afrique. L’AFP dispose de 200 bureaux à l’international, dans 150 pays différents, et produit des contenus en plusieurs langues qui valorisent la francophonie et les valeurs européennes. Pourtant, l’AFP ne dispose pas d’un marché domestique  ÉtatsUnis pour AP ou Chine pour Chine Nouvelle  ou naturel  anglo-saxon pour Reuters 
 aussi important et générateur de revenus que ses concurrentes.

Enfin, le professionnalisme et la qualité des informations produites par l’AFP sont unanimement reconnus et son savoir-faire en matière de certification de l’information est recherché.

B.   La situation de l’Agence n’en demeure pas moins préoccupante

1.   Une situation financière d’une grande fragilité

La position de l’AFP sur la scène internationale pourrait toutefois être menacée par sa situation financière de plus en plus fragile.

Comme le relève le dernier rapport du conseil supérieur de l’AFP, l’équilibre financier demeure « précaire malgré les efforts de l’agence pour une meilleure maîtrise des coûts » ([80]).

En 2016 ([81]), le résultat net de l’agence s’est ainsi établi à – 5,5 millions d’euros, soit une dégradation de 0,5 million d’euros par rapport à l’année 2015. La situation de son endettement est préoccupante : pour l’année 2016, hors découverts bancaires, les dettes financières s’élèvent à 52,6 millions d’euros, en augmentation de 1 million d’euros par rapport à 2015, et les découverts bancaires et assimilés à 26,4 millions d’euros. À ce fort niveau d’endettement s’ajoute une « situation de trésorerie très tendue, le solde final de la trésorerie groupe s’établissant à  5,4 millions d’euros en fin d’année 2016 contre + 0,6 million d’euros au 31 décembre 2015 » ([82]).

Pour faire face à cette grande précarité, le président-directeur général de l’AFP, M. Emmanuel Hoog, a estimé, lors de son audition, le besoin de financement de l’AFP à 60 millions d’euros afin de poursuivre le développement de l’agence, de rembourser une partie de sa dette et envisager de nouvelles limitations de charges d’exploitation.

Source : AFP

Les difficultés de financement de l’AFP ont des causes multiples.

En premier lieu, la profondeur de financement de l’AFP est moins importante que celle de ses concurrentes. Elle n’est ni une société coopérative détenue par des médias américains, comme AP, ni la filiale d’un groupe international puissant, comme Reuters News. Le statut de l’agence, qui garantit son indépendance absolue puisqu’il ne lui permet ni de s’endetter, ni de lever des fonds auprès d’actionnaires, limite ses capacités d’investissement et de modernisation.

En second lieu, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2015, l’État verse à l’AFP une subvention pour compenser le coût des missions d’intérêt général qu’elle assure.

La commission financière a constaté, à deux reprises, que la subvention versée par l’État était inférieure aux charges réelles supportées par l’agence au titre de ses missions d’intérêt général. Le différentiel est évalué à 4,4 millions d’euros en 2015, à 8,8 millions d’euros en 2016 et devrait encore s’aggraver en 2017. Les rapporteurs considèrent que les missions d’intérêt général, qui ne peuvent être rentabilisées sur le plan économique, devraient être intégralement compensées par l’État compte-tenu des faibles marges de manœuvre financières de l’agence et des contraintes liées à son statut.

En dernier lieu, les réorientations stratégiques décidées par le conseil d’administration – développement des contenus vidéo, positionnement sur le sport et développement des clients corporate – ont nécessité des dépenses importantes qui n’ont pas encore été compensées par l’augmentation des recettes.

Même si l’AFP a enregistré des résultats encourageants, marqués notamment par la signature d’un contrat de cinq ans avec la BBC pour le contenu vidéo, le dernier rapport du conseil supérieur relève que les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Au 30 juin 2017, l’AFP n’a par exemple conquis « qu’un tiers des nouveaux clients qu’elle envisageait pour 2017 » ([83]).

La situation est d’autant plus inquiétante que la mauvaise santé financière de l’AFP pourrait encore se dégrader dans les prochaines années :

– comme le rappelle le rapport Laugier, il pèse sur réseau international « un risque juridico-fiscal préoccupant » : « si l’agence s’est fort heureusement lancée depuis 2010 dans une démarche de régularisation de ses personnels à l’étranger au regard des législations locales, un risque fiscal et social coûteux demeure au titre des années passées. (…) Au conseil d’administration du 2 février 2016, un montant de 6 millions d’euros a été évoqué par la direction comme coût supplémentaire annuel de la régularisation. En réalité, il semblerait que ce chiffre soit plus proche de 10 millions d’euros, comme l’admet le conseil supérieur de l’agence lui-même dans son rapport au Parlement en date du 30 juin 2016 » ([84]). Cette charge potentielle s’élève à 3 % du chiffre d’affaires annuel de l’agence ;

– si la mise en place d’un accord unique d’entreprise, le déploiement d’une politique d’achat ou encore la rationalisation d’un certain nombre de dépenses ont permis, ces dernières années, de réaliser des économies substantielles, la recherche d’économies de gestion atteint ses limites et ne pourra pas être poussée beaucoup plus loin sans porter atteinte aux missions de l’agence ;

– la mise en place de la filiale AFP-Blue, une société par actions simplifiée unipersonnelle au capital social de 33 millions d’euros entièrement détenue par l’AFP, ne résout qu’imparfaitement les problématiques d’investissement de l’agence. Comme le relève le rapport du conseil supérieur, « dans la mesure où cette filiale se finance par emprunts, les investissements ne peuvent porter pour l’essentiel que sur des projets d’innovation dont la rentabilité à terme est suffisamment garantie. L’agence éprouve en revanche des difficultés à financer dans ce cadre des mesures de modernisation et de restructuration qui seraient pourtant nécessaires pour garantir sa pérennité » ([85]).

2.   Un modèle à réformer ?

Au cours des dernières années, l’AFP a mis en place des chantiers de modernisation à la fois ambitieux et prometteurs.

Elle a d’une part engagé trois virages stratégiques destinés à lui permettre à la fois de gagner des parts de marché et de préciser son identité :

– elle a fait le choix de renforcer son offre vidéo, alors que son positionnement historique était celui de l’information écrite et de la photographie, en procédant à un redéploiement interne des ressources humaines. Les premiers résultats commencent à se faire sentir puisqu’en 2016, près de 10 % du chiffre d’affaires de l’AFP résulte de la vidéo ;

– elle s’est spécialisée dans l’information sportive, à l’image de ce qu’a fait Reuters sur l’information économique et financière. En 2016, 30 % des dépêches produites portent sur ce secteur et le sport représente 2,5 % du chiffre d’affaires, soit 6,6 millions d’euros ;

– elle se concentre sur les clients « corporate » afin de dégager de nouvelles recettes commerciales. La filiale AFP-services, dédiée au service aux entreprises, a ainsi été mise en place.

D’autre part, pour appuyer ces trois virages stratégiques, l’AFP a adopté, en janvier 2016, un plan de relance commercial pour la période 2017-2022. Ce plan comporte cinq objectifs :

– conquérir 1 000 nouveaux clients ;

– devenir un leader sur le marché de la vidéo ;

– enrichir les offres pour diversifier les revenus ;

– développer la licence globale ;

– sécuriser la croissance.

L’AFP n’est donc pas restée inactive face aux évolutions qui traversent le monde de l’information. Néanmoins, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une modification du statut de l’AFP, accusé d’être un frein à son développement.

Le conseil supérieur, constant que la capacité d’endettement actuelle de l’AFP est insuffisante pour engager les chantiers de modernisation et de restructuration indispensables pour assurer sa pérennité, a ainsi indiqué, dans son dernier rapport, qu’« il devient urgent de s’interroger sur les contraintes statutaires qui freinent aujourd’hui le développement de l’activité de l’agence et qui menacent sa bonne santé financière » ([86]).

De même, le sénateur Michel Laugier « appelle de ses vœux une réflexion sur l’adaptation du statut de l’AFP aux exigences de son développement, sans pour autant méconnaître l’objectif d’indépendance ni le droit européen en matière d’aides d’État » ([87]).

Les auditions conduites par les rapporteurs ne leur permettent pas, à ce stade, de faire des propositions précises sur les évolutions statutaires qui pourraient permettre de répondre aux besoins de l’agence. Néanmoins, la situation financière extrêmement fragile dans laquelle elle se trouve et le rythme trop lent sur lequel progressent les recettes les ont convaincus de la nécessité d’engager une réflexion sur son statut et son financement pour garantir sa pérennité et son positionnement à l’international à moyen et long termes.

 


—  1  —

III.   dispositions relatives au financement de la Presse

A.   Le financement citoyen de la presse d’information politique et générale : une option qui peine À s’imposer

1.   Des dispositifs fiscaux de plus en plus généreux

Au Sénat, la première lecture de la loi du 17 avril 2015 s’est déroulée quelques jours seulement après les attentats perpétrés au siège de Charlie Hebdo. Marqués par une vive émotion, les parlementaires ont unanimement souhaité rendre hommage à l’ancien directeur de la publication du journal, le dessinateur Charb, qui réclamait, de longue date, que les citoyens puissent participer au financement de la presse et bénéficier, en retour, d’une réduction d’impôt sur le revenu. Comme l’a rappelé le sénateur David Assouline devant la commission des Affaires culturelles, de l’Éducation et des Médias du Sénat lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses mesures de modernisation du secteur de la presse, les dispositions adoptées par voie d’amendements, détaillées ci‑après, reprennent « la proposition qu’avait émise feu le directeur de Charlie Hebdo, Charb, de permettre la défiscalisation des dons personnels » pour « soutenir la presse à petit tirage » ([88]). Adoptés à l’unanimité au Sénat, les « amendements Charb », ont ensuite fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire.

Deux articles de la loi du 17 avril 2015 ont ainsi pour objectif d’encourager la participation citoyenne au financement de la presse :

– l’article 19 institue une réduction d’impôt sur le revenu égale à 30 % pour les contribuables domiciliés fiscalement en France souscrivant au capital d’entreprises de presse. Sont éligibles au dispositif les publications relevant du périmètre de l’article 39 bis A du code général des impôts (CGI), c’est-à-dire les entreprises exploitant soit un journal quotidien, soit une publication de périodicité inférieure ou égale à un mois consacrée pour une large part à l’information politique et générale, soit, enfin, un service de presse en ligne également consacré, pour une large part, à l’information politique générale. Les versements ouvrant droit à réduction d’impôt sont par ailleurs plafonnés à 1 000 euros pour les célibataires et 2 000 euros pour les couples ;

– l’article 20 introduit une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % des dons et versements effectués par les contribuables au profit « d’associations d’intérêt général exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse » ([89]). Comme l’a rappelé M. François d’Orcival, président de l’association « Presse et pluralisme », lors de son audition, ce dispositif constitue en réalité une consolidation, et donc une sécurisation, de deux rescrits fiscaux existant depuis 2007.

Mais le bilan de ces dispositifs a été contrasté. Il est notamment apparu que les incitations fiscales à souscrire au capital d’une entreprise de presse (article 199 terdecies-0 C du CGI) introduites par la loi du 17 avril 2015 n’ont pas rencontré le succès escompté. L’examen par le Parlement de la loi n° 2016‑1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », a donc logiquement été l’occasion d’élargir le champ d’application des deux dispositifs afin de les rendre plus attractifs.

En premier lieu, le champ des entreprises pouvant bénéficier de la réduction d’impôt a été redéfini. Ouvrent désormais droit à réduction d’impôt les souscriptions au capital de toutes les « sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun éditant une ou plusieurs publications de presse ou services de presse en ligne d’information politique et générale, ou une ou plusieurs publications de presse ou services de presse en ligne consacrés pour une large part à l’information politique et générale » ([90]).

En deuxième lieu, ont été inclus dans le champ de la réduction d’impôt les versements faits au profit des « sociétés des amis » ou des « sociétés de lecteurs », c’est-à-dire des entreprises dont « l’objet statutaire exclusif est de prendre une participation au capital d’une société éditrice (…) regroupant exclusivement des actionnaires individuels » ([91]). Outre le caractère moins contraignant de ces versements pour les actionnaires individuels, cette disposition permet de mieux structurer l’actionnariat des entreprises de presse.

Enfin, les plafonds des versements ouvrant droits à réduction d’impôt ont été relevés respectivement à 5 000 euros pour une personne célibataire et à 10 000 euros pour un couple.

2.   Des succès contrastés

a.   Les dons effectués dans le cadre de l’élargissement du régime fiscal du mécénat aux entreprises de presse en forte progression

Aux termes de l’article 200 du code général des impôts, les dons et versements effectués au profit d’« associations d’intérêt général exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse » ouvrent droit à une réduction d’impôt de 66 % du versement, dans la limite de 20 % du revenu imposable.

Deux associations se sont constituées pour collecter les dons des particuliers en faveur des entreprises de presse. Elles ont fait état, lors de leur audition par les rapporteurs, d’une forte progression des sommes récoltées au cours des dernières années.

Évolution des dons collectÉs en faveur
du pluralisme de la presse depuis 2011* (en euros)

*L’année 2015 a été marquée par des collectes exceptionnelles (2,9 millions d’euros pour Charlie Hebdo et 0,4 million d’euros pour Mediapart et Arrêt sur images pour les aider à faire face à leur contentieux fiscal relatif à la TVA).

La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) a de son côté confirmé que la consolidation du dispositif dans le code général des impôts en 2015 a eu un effet très positif sur le total des dons collectés : hors effet « Charlie Hebdo », entre 2014 et 2017, le montant a presque doublé, passant de 3,3 millions d’euros en 2014 à 5,6 millions d’euros en 2016 ([92]).

Ces dons ont bénéficié à une grande variété de titres (91 titres), tous supports confondus.

La DGMIC s’est félicitée que les éditeurs se soient pleinement emparés de ce nouveau levier de financement de leur activité. L’exemple du magazine Causette a été mis en avant : confrontés à des difficultés financières importantes, les éditeurs sont parvenus à collecter 100 000 euros de dons en deux mois afin de prolonger l’activité dans l’attente d’un repreneur.

Le coût pour l’État du mécénat en faveur de la presse n’est pas précisément connu puisque la défiscalisation des dons s’effectuant lors de la déclaration d’impôts par les contribuables, il est impossible d’isoler, parmi toutes les structures bénéficiant du régime fiscal du mécénat, les dons en faveur des entreprises de presse.

Un calcul théorique permet toutefois d’estimer le coût du dispositif à 4 millions d’euros. Il repose sur l’hypothèse que les dons sont versés par les ménages dans la limite de 20 % de leur revenu imposable.

La collecte des dons en faveur du mécénat

Les dons effectués par les particuliers dans le cadre du mécénat de presse sont collectés par deux associations :

– l’association « Presse et Pluralisme », créée il y a dix ans par les syndicats de presse pour favoriser le pluralisme de la presse française ;

– l’association « J’aime l’info », créée en 2011, dont le syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) est membre unique et fondateur.

Les dons peuvent avoir pour objectif soit de soutenir des projets de développement 
– nouvelles maquettes, nouvelles éditions régionales, lancement de supports en ligne, etc. –, soit de rendre les publications accessibles à des publics particuliers – publics en situation de handicap, publics ayant plus difficilement accès aux publications comme les jeunes, les personnes hospitalisées ou les détenus.

Les dons peuvent être soit nominatifs, c’est-à-dire fléchés vers une publication à la demande du donateur, soit non-nominatifs. Dans cette dernière hypothèse, ils permettent généralement de financer des actions pluralistes ou d’apporter des soutiens exceptionnels à des entreprises traversant des difficultés.

À ce jour, seule l’association « Presse et Pluralisme » permet des dons non-nominatifs. Les actions financées par ce biais sont sélectionnées par un comité d’orientation, composé de personnalités qualifiées et indépendantes de l’association. En janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, le comité d’orientation a par exemple décidé d’accorder un concours immédiat de 200 000 euros à la rédaction de Charlie Hebdo pour lui permettre de publier le numéro historique du 14 janvier. Par la suite, l’association a collecté 38 000 dons en faveur de l’hebdomadaire satirique, représentant un montant total de 2,7 millions d’euros.

b.   La réduction d’impôt au titre de la souscription au capital d’entreprises de presse  n’a pas encore trouvé son public

Le dispositif introduit à l’article 199 terdecies-0 C du code général des impôts permettant aux particuliers de bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 30 % des versements effectués au titre de la souscription au capital d’une entreprise de presse, dans la limite de 5 000 euros pour une personne célibataire et de 10 000 euros pour un couple rencontre, à ce jour, un succès limité. En effet, selon la DGMIC, le coût total de cette niche fiscale est inférieur à 500 000 euros et le dispositif ne fait donc pas l’objet d’une évaluation détaillée. Elle estime qu’à droit constant, ce seuil ne devrait être dépassé ni en 2017, ni en 2018.

Les rapporteurs ne sont donc pas en mesure d’indiquer combien d’entreprises de presse ont bénéficié du dispositif depuis 2015, ni si le remaniement opéré par la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias du 14 novembre 2016 a eu une incidence significative sur le nombre et le montant des souscriptions enregistrées.

La DGMIC est néanmoins en mesure d’indiquer qu’en 2016, 158 ménages ont bénéficié d’une réduction d’impôt sur le revenu au titre de la souscription au capital d’une entreprise de presse, qu’elle ait ou non le statut d’ESPI.

3.   Un financement qui doit être pérennisé et renforcé

S’agissant de l’élargissement du régime fiscal du mécénat aux entreprises de presse, les rapporteurs estiment que le dispositif, en constante progression depuis 2015, fonctionne de manière satisfaisante.

S’agissant en revanche de la réduction d’impôt pour souscription au capital d’entreprises de presse, le dispositif peut faire l’objet d’améliorations destinées à le rendre plus attractif.

En premier lieu, il apparaît nécessaire de pérenniser le dispositif fiscal ouvrant droit aux réductions d’impôt : en l’état actuel du droit, le dispositif s’éteindra le 31 décembre 2018. Compte-tenu du coût limité du dispositif pour les finances publiques et de son intérêt pour le pluralisme de la presse, les rapporteurs considèrent que son caractère temporaire ne se justifie pas.

Proposition n° 12 : pérenniser le dispositif de réduction d’impôt au titre de la souscription au capital d’une entreprise de presse d’information politique et générale.

Les rapporteurs rappellent que si le montant total des sommes collectées est modeste au regard des besoins en fonds propres des éditeurs, il ne faut pas négliger son importance pour de petits éditeurs ainsi que pour ceux qui adoptent une stratégie de partenariat avec leur lectorat, parfois via une société des lecteurs, à l’instar de L’Humanité.

En second lieu, comme l’ont rappelé les représentants du syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) lors de leur audition, la contribution des sociétés des amis au financement de la presse pourrait être plus importante si leur actionnariat n’était pas défini de manière si restrictive dans le code général des impôts.

Selon l’article 199 terdecies-0 C, ces sociétés ne peuvent regrouper que « des actionnaires individuels ». Dès lors, si une holding d’investisseurs souhaite soutenir une publication en entrant au capital de la société des lecteurs, elle ne peut le faire sans priver dans le même temps les actionnaires individuels de la réduction d’impôt à laquelle ils ont droit.

Cet état de fait ne se justifie pas au regard de l’objectif poursuivi par cet article, qui est d’encourager le financement citoyen de la presse d’information. Les rapporteurs considèrent donc que l’actionnariat des sociétés des lecteurs pourrait être ouvert aux holdings d’investisseurs sans que cette évolution ne porte préjudice à l’équilibre du dispositif.

Proposition n° 13 : permettre à des holdings d’investisseurs d’entrer au capital de sociétés des lecteurs.

B.   Le statut d’Entreprise solidaire de presse d’information : Un potentiel encore largement inexploité

1.   Un statut fiscalement attractif

Dans un contexte de concentration croissante du secteur de la presse écrite, le titre III de la loi du 17 avril 2015 avait également pour objectif de « créer les conditions de l’émergence de nouveaux modèles entrepreneuriaux pour les entreprises de presse » fondés « sur l’émancipation tant par rapport aux aides publiques que par rapport aux actionnaires » ([93]). Selon le rapporteur, « la survie de la presse et le pluralisme des idées et des opinions implique que la presse puisse mobiliser en toute indépendance des capitaux financiers pour soutenir des projets durables qui prennent le temps de trouver leur lectorat ».

Inspiré des modes de gestion propres aux entreprises de l’économie sociale et solidaire, le statut d’entreprise solidaire de presse d’information créé par la loi du 17 avril 2015 sécurise l’apport en capitaux des entreprises de presse, limite le profit individuel des actionnaires et prévoit le réinvestissement automatique d’une partie des bénéfices. Il doit ainsi permettre de donner à la presse les moyens de recouvrer une pleine indépendance et de protéger le pluralisme des idées.

Aux termes de l’article 2-1 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du statut juridique de la presse, les ESPI répondent à deux conditions cumulatives :

– d’une part, les publications doivent être consacrées, « pour une large part, à l’information politique et générale » ;

– d’autre part, elles doivent affecter 20 % de leurs bénéfices à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise et une fraction au moins égale à 50 % au report bénéficiaire et à la réserve obligatoire.

Afin de rendre « plus incitatif le choix du statut d’entreprise solidaire de presse d’information », la loi d’avril 2015, sous l’impulsion du rapporteur Michel Françaix, a mis en place des mesures fiscales attractives.

Ainsi, la réduction d’impôt dont bénéficient les particuliers souscrivant au capital d’entreprises de presse consacrées à l’information politique et générale (voir supra) est majorée de vingt points lorsque l’investissement concerne une entreprise solidaire de presse d’information.

2.   Un statut qui peine à s’imposer

D’après les informations communiquées par la DGMIC aux rapporteurs, il existe à ce jour environ quinze entreprises solidaires de presse d’information.

La première s’est constituée dès le mois de juillet 2015 (Charlie Hebdo). Trois autres éditeurs ont adopté le statut d’ESPI en 2016 (94 Citoyen, OGC Presse et Les jours), puis dix autres en 2017 (L’Humanité, The Dissident, INpact MediaGroup, Ceylan, Mediatico, Le Drenche, Ouest Media Presse, Marsactu, Contrevues Presse, VoxEurop).

Selon la DGMIC, l’accélération du rythme de création d’ESPI peut être en partie attribuée à la promulgation de la loi « Bloche », cette dernière ayant multiplié par cinq les plafonds de versement pouvant bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu. Si les taux de la réduction sont demeurés inchangés (50 % pour les ESPI, 30 % pour les non ESPI), le niveau de réduction d’impôt pour les ménages souscrivant au capital d’ESPI est devenu particulièrement incitatif, puisqu’il peut respectivement représenter jusqu’à 2 500 euros ou 5 000 euros.

Le nombre d’ESPI a donc beaucoup augmenté ces derniers mois en dépit du caractère relativement méconnu du statut. Afin que le nombre d’ESPI continue de progresser, les rapporteurs considèrent qu’il est indispensable de pérenniser le dispositif et de continuer à en faire la publicité.

Le potentiel de ce statut est largement inexploité. À titre d’exemple, sur les 165 adhérents que compte le SPIIL, 69 présentent les caractéristiques nécessaires pour bénéficier du statut d’ESPI. Pourtant, seulement sept l’ont choisi, soit environ 10 % des entreprises éligibles.

3.   Un statut qui doit être simplifié et revalorisé

Afin de rendre le statut d’ESPI plus attractif sur le plan fiscal, deux mesures simples et peu coûteuses pour les finances publiques pourraient être mises en place, en plus de la pérennisation de la réduction d’impôt sur le revenu au titre de la souscription au capital d’une entreprise de presse (voir proposition n° 12).

D’une part, selon les représentants du SPIIL, lorsque les investisseurs individuels effectuent des versements à la société des amis d’une publication ayant choisi le statut d’ESPI, la réduction d’impôt sur le revenu dont ils bénéficient ne serait pas de 50 %, mais de 30 %. Le SPIIL s’appuie sur une interprétation qu’aurait exprimée l’administration fiscale mais qui n’a pas encore été officialisée dans le bulletin officiel des finances publiques.

La relecture des débats parlementaires de 2015 laisse penser que cette différence ne résulte pas de l’intention du législateur mais d’une maladresse dans la rédaction du code général des impôts.

Proposition n° 14 : garantir que les versements effectués à une société de lecteurs dont l’objet statutaire exclusif est de prendre une participation au capital d’une ESPI ouvrent droit à une réduction d’impôts sur le revenu égale à 50 %.

D’autre part, le montage légal permettant la mise en place d’une ESPI est lourd et nécessiterait, selon les représentants du média Les Jours rencontrés par les rapporteurs, de recourir à des conseils juridiques.

Le taux et le plafond des réductions d’impôt sur le revenu accessibles aux particuliers souscrivant au capital d’une ESPI étant inférieurs à ceux dont ils peuvent bénéficier lorsqu’ils effectuent un don dans le cadre du mécénat des entreprises de presse (article 200 du CGI), les éditeurs dont l’objectif principal est de chercher à faire participer leurs lecteurs au financement de leur publication peuvent être davantage séduits par la mise en place d’une campagne de dons.

Il pourrait donc être envisagé d’augmenter la réduction d’impôt accordée aux particuliers souscrivant au capital d’une ESPI de 50 % à 66 %, afin de l’aligner sur celle dont ils bénéficient lorsqu’ils effectuent des dons et versements au profit d’associations d’intérêt général exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse. De la même manière, les plafonds des versements ouvrant droit à réduction d’impôt sur le revenu pourraient être rapprochés.

Il convient néanmoins de préciser qu’à la différence des dons effectués dans le cadre du régime fiscal du mécénat, les souscriptions au capital d’entreprises de presse constituent des versements ouvrant droit à des contreparties financières.

C’est pourquoi l’éventuelle augmentation du taux de la réduction d’impôt ne doit concerner que les ESPI – réduction d’impôt actuellement égale à 50 % des versements – et non l’ensemble des entreprises de presse répondant aux critères fixés à l’article 199 terdecies-0 C – réduction d’impôt égale à 30 %. Cette mesure permettrait de rendre le statut d’ESPI encore plus attractif sur le plan fiscal qu’il ne l’est aujourd’hui.

Proposition n° 15 : aligner la réduction d’impôt sur le revenu au titre de la souscription au capital d’une ESPI sur celle dont bénéficient les particuliers lorsqu’ils effectuent un don à une association exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse.

 


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   Travaux de la commission

En application de l’article 145-7 alinéa 3 du Règlement, la Commission examine le rapport d’évaluation de la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, lors de sa séance du mercredi 11 avril 2018.

Cette réunion n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5846561_5acdb7628a670.commission-des-affaires-culturelles--code-de-la-propriete-intellectuelle-relative-au-contrat-d-edit-11-avril-2018

 

 

 


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   annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

(par ordre chronologique)

 

            M. Gérard Rameix, conseiller-maître à la Cour des comptes, chargé par le Gouvernement d’une mission sur la distribution de la presse par vente au numéro

            Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) – M. JeanPierre Roger, président, et M. Guy Delivet, directeur général

            Ministère de la culture  Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)  M. Martin Ajdari, directeur général, M. Fabrice Casadebaig, sousdirecteur de la presse écrite et des métiers de l’information, et M. Jean-Baptiste Darracq, chef du bureau du régime juridique de la presse et des métiers de l’information

            Messageries Lyonnaises de Presse – M. José Ferreira, président, et M. Yves de Chaisemartin, membre de la coopérative MLP

            Autorité de régulation de la distribution (ARDP) – Mme Elisabeth Flury-Hérard, présidente, et M. Yannick Faure, secrétaire général

            Syndicat de l’association des éditeurs de presse (SAEP) – M. Philippe Loison, président, M. Paul-Eric Crivello, vice‑président, Mme Claire Dupont-Sorlot, vice‑présidente, et M. JeanMartial Lefranc, éditeur de presse

            M. Michel Françaix, rapporteur de la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse

            Presstalis – Mme Michèle Benbunan, présidente-directrice générale, et M. Erwan Scoarnec, directeur de projet en charge du plan de transformation

            Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) – M. Dominique Gil, président, M. Stéphane Lachau, dépositaire d’Orléans et vice‑président du SNDP, et M. Pierre Ledent, dépositaire de Troyes et trésorier du SNDP

            Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR)*  M. Vincent David, président, et M. Bruno Hocquart, directeur général

            Association pour l’avenir des diffuseurs de presse (AADP) – M. Pierre Bloch, porte‑parole, et M. Michel Kerriou, membre

            Culture Presse (ex-Union nationale des diffuseurs de presse –UNDP) – M. Daniel Panetto, président, et M. Philippe di Marzio, directeur

            Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN)* – M. Francis Morel, président, et M. Denis Bouchez, directeur

            Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ) M. Louis Dreyfus, président

            Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL)* et association « J’aime l’info »  M. Jean-Christophe Boulanger, président, et Mme Karen Autret, directrice

            Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) –M. Georges Sanerot, président, et M. Denis Bouchez, directeur

            Presse et pluralisme – M. François d’Orcival, président

            Table ronde réunissant les syndicats représentatifs de salariés de Presstalis :

 Force Ouvrière (FO)  Mme Isabelle Brighel, secrétaire du comité d’entreprise, M. Domenico Mascioli, secrétaire du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et M. Alain Van Steenkiste, délégué syndical central

 Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  M. Stéphane Guéhenneuc, délégué syndical, M. Jean-Michel Sabatier, délégué syndical central, M. Hugo Roullier, délégué syndical et M. Bruno Turbe, représentant au CHSCT de Presstalis

 Confédération générale du travail (CGT) : M. Laurent Joseph, délégué syndical central CGT Presstalis, M. Didier Lourdez, secrétaire général du syndicat général du livre et de la communication, et M. Patrice Doare, secrétaire du CHSCT Presstalis Bobigny

            Coopérative de distribution des magazines (CDM) – M. Nicolas Sauzay, président, et Mme Sophie de Senhiles, avocate

            Table ronde réunissant les syndicats représentatifs de salariés de l’Agence France Presse (AFP) :

 Syndicat national des Journalistes (SNJ) – M. Benoît Fauchet, journaliste

 Confédération française de l’encadrementConfédération générale des cadres (CFE-CGC)  M. JeanPaul Girardeau et Mme Fatima Bouquet, commerciaux

 Force Ouvrière (FO)  Mme Stéphanie Lerouge, M. Jean-Pierre Rejeté, journalistes, et M. Marc Defontaine, cadre technique

 Confédération générale du travail (SGLCE-CGT)  Mme Mariem Attietallah-Kapil, journaliste M. Philippe Faye, ouvrier, et M. Alain Novel, cadre technique

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  Mme  Dory Bertheaux, cadre administratif

 Solidaires, unitaires, démocratiques (SUD)  M. Richard Lein et M. Claus Tulatz, journalistes

            Observatoire de la déontologie de l’information – M. Patrick Eveno, président

            Table ronde réunissant les syndicats représentatifs de salariés des Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Françoise Zilber, déléguée syndicale, et Mme Sophie Guichard

‑ Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)  M. Olivier Douilly, délégué syndical, et M. Pascal Lionel, représentant syndical

‑ Force ouvrière (FO)  M. Bruno Prince, délégué syndical, et M. Kimpini Batadi, représentant syndical

            Conseil supérieur de l’Agence France presse (AFP) – Mme Christine Maugüé, présidente, et Mme Aurélie Bretonneau, secrétaire générale

            Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) – M. JeanMichel Baylet, président, Mme Maud Grillard, directrice, et Mme Haude d’Harcourt, conseillère relations avec les pouvoirs publics

            Les jours  Mme Isabelle Roberts, présidente, et M. Augustin Naepels, directeur général chargé des finances

            Commission financière de l’Agence France presse (AFP) – Mme Catherine Démier, présidente de la Commission financière, Mme Véronique Hamayon, membre de la Commission financière, et M. Nicolas Hauptmann, rapporteur général de la Commission financière

            Conseil d’administration de l’Agence France presse (AFP) – M. Emmanuel Hoog, président, M. Fabrice Lacroix, directeur général, et M. Grégory Berthelot, directeur général adjoint

            Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)  Mme Cécile Dubarry, directrice générale, M. Charles Bertin, chef d’unité du coût et audit réglementaire, et M. François Lions, directeur général adjoint et directeur courrier, colis et broadcast

            Fédération Nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS) – M. Laurent Bérard-Quélin, président, administrateur, directeur général délégué de la société générale de presse, M. JeanLouis Redon, président du syndicat de la presse magazine et spécialisée (SPMS) et président de la commission vente et diffusion de la FNPS, et Mme Catherine Chagniot, directrice générale de la FNPS

            Fédération française des agences de presse (FFAP) – Mme Cécile Rouveyran, vice‑présidente, et Mme Florence Braka, directrice générale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ce représentant dintérêts a procédé à son inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sengageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de lAssemblée nationale.


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   ANNEXE 2 : Loi n° 2015‑433 du 17 avril 2015 portant diverses dipositions tendant à la modernisation du secteur de la presse


([1]) Rapport n° 2442 (XIVe législature) fait, au nom de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, sur la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, par M. Michel Françaix, député, décembre 2014, pp. 9 - 11.

([2]) Ibidem, p. 16.

([3]) Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), délibération n° 2018-02, 2 mars 2018.

([4]) Le sénateur Michel Laugier ajoute que « le transfert de salariés de Presstalis vers Géodis en conservant leurs avantages acquis annule partiellement les effets déconomie attendus de lexternalisation » (avis n° 112 (session ordinaire 2017-2018), fait, au nom de la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, novembre 2017, p. 79).

([5]) Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP), contribution écrite, février 2018.

([6]) Idem.

([7]) Avis n° 112 précité, p. 73.

([8]) Idem.

([9]) D’après La Correspondance de la presse (jeudi 15 mars 2018, p. 17), l’accord conclu avec les sociétés d’affacturage et les engagements des éditeurs sont seulement annexés au protocole de conciliation. Parmi les engagements des éditeurs, il faut signaler que le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) et le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) auraient renoncé à solliciter le Fonds stratégique de développement de la presse (FSDP) jusque fin 2022 afin qu’une partie des montants affectés à ce fonds (9 millions d’euros par an) soit fléchée vers le redressement de Presstalis.

([10]) CSMP, décision n° 2018-01 du 20 février 2018.

([11]) D’après les représentants des salariés des MLP adhérant à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), 60 % des éditeurs clients des MLP réalisent une marge inférieure à 2,5 %.

([12]) D’après La Correspondance de la presse (jeudi 15 mars 2018, p. 19), les sommes retenues devraient être reversées aux éditeurs d’ici la fin du mois d’avril prochain.

([13]) ARDP, délibération n° 2018-02, 2 mars 2018.

([14]) Article 719 du code de procédure pénale.

([15]) Dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2018 (avis n° 112 précité), le sénateur Michel Laugier indique qu’entre 2006 et 2016, le marché de la presse vendue au numéro a connu une érosion de – 52 % en volume et de – 37 % en valeur.

D’après M. Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, le tirage du journal Le Monde, qui s’élevait il y a vingt ans à près de 225 000 exemplaires, a chuté de près de 80 % pour atteindre 48 000 exemplaires en 2017 – alors que, dans le même temps, ce quotidien compte désormais près de 150 000 abonnés numériques.

Les représentantes des salariés des MLP adhérant au syndicat Confédération française démocratique du travail (CFDT) ont précisé qu’aujourd’hui, les quotidiens – dont le prix unitaire a été multiplié par deux au cours des dix dernières années – ne représenteraient plus que 4 % du total des volumes distribués par le réseau de diffusion de la presse vendue au numéro.

Malgré tout, la distribution au numéro au format papier reste un enjeu majeur de visibilité pour les quotidiens – et ce même pour des journaux comme Le Monde ou Le Figaro qui ont largement développé leur présence numérique. D’après le président de Culture Presse, M. Daniel Panetto, elle le serait même pour les médias « tout en ligne » (« pure players ») qui, comme Marmiton, peuvent trouver dans le papier un instrument essentiel de leur visibilité. La distribution au numéro reste également un enjeu financier important puisqu’aujourd’hui encore, près de 80 % du chiffre d’affaires de la presse quotidienne nationale résulte de la distribution physique de ses titres – leur distribution numérique ne représentant que les 20 % restants, d’après le directeur du SPQN, M. Denis Bouchez.

([16]) D’après M. Denis Bouchez, directeur du SPQN, s’agissant des quotidiens nationaux, ce sont chaque année 230 millions d’exemplaires qui sont vendus au numéro dans le réseau de distribution de la presse, 60 millions d’exemplaires qui sont diffusés par portage et 80 millions d’exemplaires qui sont vendus par abonnement.

([17]) Lors de son audition, M. Philippe di Marzio, directeur de « Culture Presse » (ex-Union nationale des diffuseurs de presse –UNDP), a indiqué que la France se situait au premier rang mondial pour le nombre de magazines spécialisés vendus par habitant.

([18]) Lors de son audition, M. Patrick Eveno a tenu toutefois à relativiser cette assertion en rappelant qu’alors que le pays compte près de 23 000 diffuseurs de presse, les tirages des journaux Libération, La Croix et LHumanité ne sont plus, respectivement que de 19 000, 8 000 et 5 000 exemplaires.

([19]) Dans la contribution écrite qu’ils ont fournie à la mission, les représentants de Culture Presse expliquent qu’au Royaume-Uni, « le pouvoir de négociation des grandes chaînes (quatre chaînes réalisent 70 % des ventes) leur permet de restreindre drastiquement le nombre de références en point de vente (285 titres en moyenne par point de vente, contre plus de 2 000 en France) ».

([20]) Article 17 de la loi Bichet.

([21]) Article 18 de la loi Bichet.

([22]) Article 18-6, 6° de la loi Bichet, tel qu’issu de la loi du 20 juillet 2011. À la suite de la censure opérée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-511 QPC du 7 janvier 2016, la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias a assorti la procédure suivie devant la CDR de garanties inspirées du droit au procès équitable protégé par l’article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, à savoir :

- le respect du contradictoire : les décisions de la commission qui ont pour effet de modifier les conditions d’exécution contractuelle d’un dépositaire ou d’un diffuseur de presse ou de mettre fin à son contrat sont désormais prises après que les parties au contrat ont été mises en mesure de présenter leurs observations ;

- l’exigence de motivation de la décision : les décisions de la CDR doivent désormais être motivées. La commission doit faire application de critères objectifs et non discriminatoires visant à garantir l’impartialité de la distribution de la presse, à préserver les équilibres économiques du système collectif de distribution, à limiter les coûts de distribution pour les entreprises de presse, à contribuer à l’efficience économique et à l’efficacité commerciale du réseau des dépositaires et des diffuseurs de presse et à assurer le respect, par ces agents de la vente, de leurs obligations définies par les décisions de portée générale du CSMP qui sont devenues exécutoires.

([23]) Ces décisions, qui pouvaient faire l’objet d’un recours devant le tribunal de grande instance (TGI) ou le tribunal de commerce, sont désormais instruites en appel par la cour d’appel de Paris.

([24]) Article 18-14 de la loi Bichet, tel qu’issu de la loi du 20 juillet 2011. L’article 18-13 de cette même loi prévoit en outre que « les décisions [de portée générale du CSMP] rendues exécutoires par lAutorité de régulation de la distribution de la presse […] peuvent faire lobjet dun recours devant la cour dappel de Paris » et que « ce recours nest pas suspensif ».

([25]) Article 18-5 de la loi Bichet, tel qu’issu de la loi du 20 juillet 2011.

([26]) Article 17 de la loi Bichet.

([27]) Article 18-1, 4°, de la loi Bichet.

([28]) Délibérations n° 2017-03 du 17 juillet 2017, n° 2017-07 du 2 octobre 2017 et  n° 2018-02 du 2 mars 2018.

([29]) La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias a soumis les recours contre les décisions rendues par l’ARDP en matière de barèmes à la compétence de la cour d’appel de Paris (article 12 de la loi Bichet).

([30]) Par une délibération n° 2016-01 du 1er juillet 2016, après avoir constaté qu’elle n’avait pas été régulièrement saisie d’un barème de tarifs, l’ARDP a dit n’y avoir pas lieu à statuer sur la demande d’homologation présentée par la CDQ. Par une délibération n° 2016-03 du 1er décembre 2016, après avoir constaté qu’elle n’avait pas été régulièrement saisie d’un barème de tarifs complet, l’ARDP a dit n’y avoir pas lieu à statuer sur la demande d’homologation présentée par les MLP. Par une délibération n° 2017-01 du 24 mars 2017, l’ARDP a homologué le barème de tarifs adopté par l’assemblée générale des MLP du 7 février 2017. Enfin, par une délibération n° 2017-02 du 21 avril 2017, l’ARDP a homologué le barème de tarifs adopté par l’assemblée générale de la Coopérative de distribution des magazines (CDM) du 28 février 2017. Aucune de ces délibérations n’a fait l’objet d’un recours contentieux.

([31]) Rapport n° 2442 précité, p. 30.

([32]) ARDP, avis du 19 juillet 2012.

([33]) Rapport n° 2442 précité, p.32.

([34]) Idem.

([35]) La première décision (n° 2017-01) prévoit que le CSMP imposera aux coopératives et aux entreprises commerciales de messageries de presse de confier à leurs commissaires aux comptes une mission de contrôle de l’application effective des barèmes coopératifs, dont tout éditeur pourra demander communication des conclusions. Il s’agit de s’assurer que les barèmes prévus par la loi Bichet sont effectivement appliqués et qu’ils ne font plus l’objet, comme par le passé, de dérogations occultes. La seconde décision (n° 2017-02) modifie, pour les assouplir, les critères d’accès des hors-séries aux conditions de distribution des produits de presse.

([36]) Au 30 juin 2017, les deux messageries ont indiqué au CSMP qu’il n’était plus fait application de conditions tarifaires non prévues au tarif public des prestations de groupage et de distribution.

([37]) Rapport n° 2442 précité, p. 22.

([38]) Rapport n° 2442 précité, p. 34.

([39]) Ibidem, p. 33.

([40]) Avis n° 112 précité, pp. 95-96.

([41]) À titre de comparaison, en Allemagne, où l’on compte près de cinq fois plus de diffuseurs de presse qu’en France, un accord-cadre a été signé il y a quelques semaines entre éditeurs et dépositaires pour réduire de 45 à 15 le nombre de dépositaires dans les cinq années qui viennent.

([42]) À cet égard, les représentants de Culture Presse ont fait valoir, dans une contribution écrite fournie à la mission, que « la question qui a tardé à trouver réponse, est celle de lassortiment de ces points de vente à offre limitée, et non le principe de leur ouverture… On relèvera utilement que, sur simple demande, ces points de vente auraient obtenu individuellement lagrément des éditeurs sans difficulté aucune ».

([43]) CSMP, décision n° 2017-08 du 20 décembre 2017.

([44]) ARDP, délibération n° 2018-01 du 5 février 2018.

([45]) L’assortiment peut être défini comme l’adaptation de l’offre de titres de presse aux points de vente.

([46]) Article 18-6, 4°, de la loi du 2 avril 1947.

([47]) Article 18 de la loi du 2 avril 1947. L’article 18-4 de cette même loi prévoit qu’outre ces vingt membres, un commissaire du Gouvernement est désigné par le ministre chargé de la communication pour siéger auprès du CSMP avec voix consultative.

([48]) La CDM compte 320 coopérateurs et détient 73 % du capital de Presstalis, quand la CDQ, qui dénombre une dizaine de coopérateurs, en détient 27 %.

([49]) B. Lasserre, Propositions pour une réforme du Conseil supérieur des messageries de presse, juillet 2009, pp. 19-20.

([50]) Avis n° 152 (session ordinaire 2012-2013) fait, au nom de la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication, sur la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2013, par M. David Assouline, sénateur, p. 62.

([51]) SAEP, Propositions pour une révision de la loi du 2 avril 1947 dite Bichet, 26 février 2018.

([52]) Comme le note Mme Éléonore Cadou, dans une consultation donnée à la demande des MLP et remise à la mission, « lavantage dune telle formule se vérifierait également en termes financiers puisquon naurait quune seule structure à faire vivre, au lieu de deux actuellement ».

([53]) D’après les représentants des salariés des MLP adhérant à la CFTC, au cours des cinq dernières années, les MLP ont versé près de 29 millions d’euros à Presstalis au titre de ce mécanisme de péréquation inter‑coopératives.

([54]) Il faut signaler que dans cette « lutte au couteau », Presstalis n’est pas en reste. D’après les représentants des salariés des MLP adhérant à la CFTC, Presstalis aurait récemment décidé de mettre un terme au dispositif  de « décroisement des flux » qui permettait de mutualiser les moyens de transport entre les deux messageries et qui, selon eux, aurait pourtant généré des économies d’un à cinq millions d’euros pour Presstalis. Il en résulte un doublement des rotations routières pour les MLP qui s’en trouvent affaiblies.

([55]) ARDP, délibération n° 2018-02, 2 mars 2018.

([56]) Selon M. Francis Morel, président du SPQN, les MLP seraient également incapables de prendre en charge la distribution de l’intégralité des magazines dans la mesure où leur modèle économique et industriel repose aujourd’hui sur la distribution de certains magazines à périodicité longue (mensuelle et davantage) dont les flux sont « froids ».

([57]) Dans son rapport sur la loi du 17 avril 2015, l’ancien député Michel Françaix notait que « Presstalis supporte un déficit structurel denviron 20 millions deuros sur la filière de distribution des quotidiens » (rapport n° 2442 précité, p. 17).

([58]) Ces 36 dépositaires indépendants desservent la moitié des diffuseurs de presse que compte notre pays.

([59]) Avis n° 112 précité, p. 79.

([60]) Presstalis a confié ses activités de dépositaire à trois filiales : la SAD, la Société pour la promotion et la communication (SOPROCOM) et la Société Presse Paris Services (SPPS), spécifiquement chargée de la distribution de la presse parisienne.

([61]) Dans avis budgétaire (n° 112), le sénateur Michel Laugier explique que « les dépôts de Presstalis, notamment, se trouvent en telle surcapacité, estimée à environ 40 %, que du fait de goulots détranglement, la distribution des magazines ferme deux jours par semaine et que la mise en vente au jour J nest assurée que dans 47 % des cas. Le choix de la massification ne résiste pas, en effet, à lattrition du marché et a pour conséquence une augmentation des coûts et une détérioration de la qualité de service. Le modèle des MLP, qui sappuie majoritairement sur des dépositaires indépendants, est infiniment plus souple, ce qui constitue une qualité majeure dans un marché baissier » (p. 78).

S’agissant plus spécifiquement des relations de Presstalis avec les diffuseurs de presse, les représentants des salariés des MLP adhérant au syndicat CFTC ont indiqué, lors de leur audition, que le taux de réponse de Presstalis aux réclamations des diffuseurs de presse parisiens avoisine 15 %, quand il est de 90 % pour les MLP.

([62]) D’après les données fournies dans son avis budgétaire par le sénateur Michel Laugier, « en 2016, 24 134 points de vente sont actifs, soit 743 de moins quen 2015 (- 3 %), dont 44 % de commerces spécialisés, 30 % de commerces non spécialisés, 12 % de linéaires en grandes surfaces alimentaires, 9 % de linéaires de capillarité et 3 % de concessions Relay. La filière estime que le réseau devrait se réduire à 21 000 points de vente en 2020. La province, et notamment les zones les moins denses, concentre encore la majorité des fermetures et représente 78 % des pertes (578 points de vente perdus en 2016, 700 en 2015), alors que lÎle-de-France a enregistré, en 2016, la perte de 165 points de vente. […]  Les créations de points de vente ont surtout concerné les « points de vente complémentaires » (PVC) à offre réduite (entre 50 et 150 titres), présents notamment dans les grandes surfaces alimentaires, ce qui constitue une substitution inquiétante du réseau de capillarité au détriment du réseau traditionnel, à offre plus large ». (avis n° 112 précité, pp. 83-84).

([63]) Rapport n° 2442 précité, p. 25.

([64]) CSMP, décision n° 2013-04 du 24 juillet 2013.

([65]) Contribution écrite remise aux rapporteurs.

([66]) Idem.

([67]) Cette revendication a suscité beaucoup de réserves de la part des représentants des salariés des MLP qui craignent qu’elle n’aboutisse à ce que les points de vente spécialisés ne reflètent plus que le positionnement idéologique des diffuseurs de presse, au détriment du pluralisme des opinions, et à ce que, par souci de rentabilité, les linéaires intégrés dans les grandes surfaces n’obéissent plus qu’à une logique de référencement, avec le risque d’une standardisation de l’offre.

Par ailleurs, cette revendication n’est pas partagée par les représentants de Culture Presse, ni par ceux de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), qui craignent qu’en offrant aux marchands de journaux toute latitude pour choisir les titres de presse non-IPG qu’ils vendent, l’offre de presse dans notre pays ne se réduise rapidement, au détriment de l’impartialité de la distribution (on se souvient en effet du boycott du magazine Capital par les magasins Intermarché au motif d’un article dénonçant les pratiques de cette enseigne…).

Pourtant, dans la contribution écrite qu’ils ont remis à la mission, les représentants de Culture Presse proposent un modèle alternatif de distribution de la presse en différenciant deux réseaux, dont l’un serait agréé et l’autre supplétif.

Le réseau agréé recevrait – si elle lui est confiée par les éditeurs – la totalité des titres de presse dans un objectif de pluralité, tandis que le réseau supplétif pourrait négocier un référencement avec les éditeurs.

Seuls les produits de presse – dont la définition devra avoir été révisée – se verraient octroyer un droit d’accès automatique aux points de vente du réseau agréé. Pour le réseau supplétif, cet accès relèverait totalement de la liberté contractuelle.

Toutefois, il serait possible, dans le réseau agréé, de plafonner le nombre d’exemplaires livrés aux diffuseurs de presse qui pourraient demander à ne plus recevoir des titres dont ils constatent qu’ils ne se vendent pas de manière durable. Une telle possibilité de plafonnement relèverait de la négociation contractuelle pour le réseau supplétif.

En outre, le réseau agréé devrait voir sa rémunération significativement augmentée par rapport aux standards actuels. Il devrait être seul bénéficiaire des aides de l’État (existantes ou futures) et être assuré d’une livraison et d’une reprise d’invendus quotidiennes, sans frais de port du fait de son obligation d’exposition pluraliste. À l’inverse, le réseau supplétif serait exclu des dispositifs d’aide et ne serait pas nécessairement livré tous les jours. Des frais de port pourraient également lui être appliqués.

Enfin, les représentants de Culture Presse souhaiteraient que la loi fixe le principe d’un prix unique du produit de presse, à l’instar de ce qui se pratique pour le livre, afin d’éviter des remises conséquentes sur les exemplaires vendus par abonnement, dont ils jugent qu’elles constituent une forme de concurrence déloyale pour la distribution des mêmes exemplaires au numéro.

([68]) SAEP, Propositions pour une révision de la loi du 2 avril 1947 dite Bichet, 26 février 2018.

([69]) SAEP, Propositions pour une révision de la loi du 2 avril 1947 dite Bichet, 26 février 2018.

([70])  En effet, les  dépositaires  ne  sont  pas  en  concurrence  entre  eux  et  bénéficient  d’une  exclusivité  de  distribution de la presse sur une zone géographique donnée qui, autrefois appelée « zone de chalandise », est désormais dénommée « zone de desserte ». Par exception à ce principe d’exclusivité territoriale, la distribution en zone parisienne est assurée concomitamment par des dépôts de Presstalis et des MLP.

([71]) SAEP, Propositions pour une révision de la loi du 2 avril 1947 dite Bichet, 26 février 2018. Ce constat est partagé par les représentantes des salariés des MLP adhérant à la CFDT, qui ont fait valoir que les quotidiens ne sont pas les seuls titres susceptibles de faire émerger des idées nouvelles et que le débat démocratique s’enrichissait tout autant de l’information fournie aux citoyens par la presse magazine.

([72]) Idem.

([73]) D’après les informations fournies par les représentants de Culture Presse dans leur contribution écrite, au 31 janvier dernier, 998 hypermarchés et 1613 supermarchés comptaient un rayon de presse… qui, selon plusieurs personnes entendues, s’apparenterait plus à un salon de lecture qu’à autre chose.

([74]) Rapport n° 2442 précité, p. 41

([75]) Article 13 de la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse

([76]) Les membres du conseil d’administration sont actuellement désignés par cinq collèges différents : il y a cinq représentants des directeurs d’entreprises françaises de publication de journaux quotidiens désignés par les organisations professionnelles les plus représentatives, deux représentants des sociétés nationales de programme relevant du titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, trois représentants des services publics usagers de l’agence, trois représentants du personnel de l’agence et cinq personnalités qualifiées désignées par le conseil supérieur de l’AFP (article 7 de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse).

([77]) 5° de l’article 7 de la loi n° 57-32 du 17 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse.

([78]) Rapport n° 258 fait au nom de la commission de la culture, de l’éduction et de la communication sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse par M. Philippe Bonnecarrère, p. 47.

([79]) Rapport n° 258 précité, p. 37.

([80]) Rapport du conseil supérieur de l’Agence France-Presse au Parlement remis le 30 juin 2017, p. 22.

([81]) Dernières données disponibles.

([82])  Rapport du conseil supérieur de l’Agence France-Presse au Parlement remis le 30 juin 2017, p. 23.

([83]) Rapport du conseil supérieur de l’Agence France-Presse au Parlement remis le 30 juin 2017, p. 21

([84]) Rapport n° 112 précité, p. 122

([85])  Rapport du conseil supérieur de l’Agence France-Presse au Parlement remis le 30 juin 2017, p. 24

([86])  Rapport du conseil supérieur de l’Agence France-Presse au Parlement remis le 30 juin 2017, p. 24

([87]) Rapport n° 112 précité, p. 127

([88]) Rapport n° 258 (2014-2015) de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, p.128.

([89]) f) bis du 1 de l’article 200 du code général des impôts.

([90]) 1 de l’article 199 terdecies-0 C du code général des impôts.

([91]) Idem.

([92]) Les données de 2017 ne sont pas encore disponibles.

([93]) Rapport n° 2442 précité, p.48