N° 1171

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juillet 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux outre-MER (1)

sur les débats institutionnels dans les Outre-Mer

PAR

M. Olivier SERVA

Président de la Délégation

Rapporteur

——

 

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 


 

—  1  —

 

 

 

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Olivier Serva, président ; MM. Philippe Dunoyer, Hubert Julien-Laferriere, Mme Marie Lebec, MM. Jean-Philippe Nilor, Didier Quentin, viceprésidents ; Rodrigue Kokouendo, Mmes Josette Manin, Danièle Obono, Maud Petit, secrétaires ; M. Lénaïk Adam, Mmes Ramlati Ali, Ericka Bareigts, Nathalie Bassire, Huguette Bello, Justine Benin, MM. Sylvain Brial, Moetai Brotherson, André Chassaigne, Stéphane Claireaux, Mmes Françoise Dumas, Sophie Errante, MM. Jean-Michel Fauvergue, Laurent Furst, Raphaël Gérard, Philippe Gomès, Philippe Gosselin, Mmes Claire Guion-Firmin, Sandrine Josso, M. Mansour Kamardine, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, MM. Jean-Christophe Lagarde, FrançoisMichel Lambert, Mohamed Laqhila, Mme Charlotte Lecocq, MM. Serge Letchimy, David Lorion, Max Mathiasin, Mmes Monica Michel, George Pau-Langevin, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, MM. Pierre-Alain Raphan, Jean-Hugues Ratenon, Hugues Renson, Mmes Cécile Rilhac, Maina Sage, Nicole Sanquer, M. Gabriel Serville, Mmes Laurence Trastour-Isnart, Hélène Vainqueur-Christophe, Laurence Vanceunebrock-Mialon et M. Philippe Vigier.

 

 


 

—  1  —

 

Mesdames, Messieurs,

Parmi les fonctions que la loi du 28 février 2017 a confiées à la Délégation aux outre-mer, figure l’information documentée sur les grandes questions que pose l’avenir de nos collectivités. La Délégation s’en acquitte par le moyen des rapports d’information qu’elle confie à certains de ses membres. Elle a également à cœur de recueillir les avis des experts et des grands témoins au cours de tables rondes et de colloques, où la parole doit être libre et le débat ouvert.

La réforme institutionnelle fait partie de ces grandes questions. Pour préparer le débat sur les aspects ultramarins de cette réforme, la Délégation a fait usage des deux possibilités que la loi et les précédents lui reconnaissent. Elle a confié à MM. Hubert Julien-Laferrière et Jean-Hugues Ratenon, respectivement députés LaREM du Rhône et La France Insoumise de La Réunion, un rapport d’information sur les évolutions statutaires. Elle a organisé un colloque sur le même sujet, le 5 avril dernier : ce sont les actes de ce colloque que l’on trouvera ciaprès. Les débats du 5 avril ont à leur tour contribué à la réflexion des rapporteurs et plus largement de la Délégation, qui a adopté le 21 juin dernier le rapport sur les évolutions institutionnelles présenté par ceux-ci.

Comme on le sait, l’évolution des législations au fil des décennies fait qu’il n’existe pas aujourd’hui deux collectivités d’outre-mer qui obéissent à des règles statutaires identiques. Les causes de cette situation sont multiples. Il est important d’y prendre garde au moment de s’engager dans la voie des réformes, qui comprend la révision de la Constitution, mais ne s’y limite très probablement pas.

En effet, il est une préoccupation commune, également manifestée lors de ces débats : la question statutaire n’est pas une question technique, elle n’est même pas exclusivement politique, elle met en jeu la valeur de la considération et du respect pour les populations des outre-mer, leurs aspirations et les moyens d’y répondre à travers les organisations et les procédures.

Les débats ont été organisés en trois tables rondes, la première sur la question des compétences des collectivités uniques, la deuxième sur l’actuel alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution, et la troisième sur la Nouvelle-Calédonie.

La Délégation aux outre-mer remercie encore une fois les personnalités politiques, les experts universitaires et tous les intervenants qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la présentation des enjeux de la réforme et à l’animation de la matinée du 5 avril. Par la publication des Actes de cette matinée, la Délégation n’entend pas prendre parti pour l’une ou l’autre des thèses qui ont alors été exprimées, mais offrir à ceux que le débat institutionnel intéresse des moyens pour un jugement plus éclairé et pour une juste décision.

 


 

—  1  —

 

SOMMAIRE

___

Pages

Présentation des travaux

theme 1 : Quelles compétences pour les collectivités uniques ?

La suggestion d’un article statutaire unique dans la Constitution

Débat sur l’exposé de Mme Véronique BERTILE

Propositions de réforme institutionnelle pour les outre-mer

Débat sur l’exposé de M. Victorin Lurel

theme n°2 : L’amendement Virapoullé en question

Les conditions historiques et politiques du débat de 2003 au regard de la réforme constitutionnelle

Pour la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution

Débat sur les exposés de Mmes Huguette Bello et Ericka Bareigts

theme n°3 : Une place singulière dans la République :

la Nouvelle-Calédonie

Les termes actuels du débat calédonien

Le cadre juridique de la question statutaire en Nouvelle-Calédonie

Débat sur les exposés de M. Gérard Poadja et de Mme Léa Havard

Interventions des co-rapporteurs de la délégation aux outre-mer sur les évolutions statutaires

Propos de conclusion du Président Olivier Serva

 


 

—  1  —

 

 

   Présentation des travaux

Olivier SERVA

Député de la Guadeloupe

Président de la Délégation aux outre-mer

de l’Assemblée nationale

Chers Collègues,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue pour ce colloque, que la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a souhaité consacrer à une réflexion sur la réforme constitutionnelle et les collectivités d’outre-mer.

Comme nous le savons tous, la réforme des institutions françaises est l’une des priorités que le Président de la République a voulu donner à son action. Il en a pris clairement l’engagement devant le peuple français, et le Premier ministre vient d’en présenter les lignes de force. Renforcer la démocratie, accroître l’efficacité du fonctionnement de nos institutions et par là-même en asseoir l’autorité, tels me semblent être les grandes idées qui structurent ces propositions.

Par ailleurs, à travers une relecture de l’article 72 de la Constitution et des modalités d’exercice de la liberté d’administration  des collectivités locales, l’idée fait son chemin d’une plus grande flexibilité des structures et des compétences. Le principe de subsidiarité trouvera, ainsi, pleinement à s’exercer.

C’est donc à un grand mouvement de démocratie et de clarification que nous sommes appelés à concourir.

Par rapport à cette orientation, que constatons-nous dans nos outre-mer ? Sans doute les articles 73 et 74 de la Constitution paraissent-ils fonder une distinction nette : d’un côté, c’est l’article 74, les collectivités dotées d’une large autonomie des compétences, l’État ne conservant que les compétences régaliennes ; de l’autre, c’est l’article 73, les collectivités où prévaut le principe d’adaptation aux circonstances locales.

Mais en réalité, l’observateur qui embrasse d’un seul regard les différents régimes statutaires de nos outre-mer aperçoit un paysage fragmenté, dont la rationalité devient de plus en plus difficilement perceptible. Il peut y avoir à cette hétérogénéité de fortes raisons politiques, telle que la situation particulière qui a conduit à formuler pour la Nouvelle-Calédonie un régime spécifique ne relevant pas de l’article 74, par exemple.

 

Dans l’ensemble formé par « les collectivités de l’article 73 », la diversité des situations statutaires tient beaucoup à l’accumulation de dispositions spécifiques tributaires, soit de circonstances politiques bien datées – c’est l’amendement Virapoullé – soit de la difficulté de sortir d’une jurisprudence constitutionnelle qui a rendu un temps obligatoire la coexistence de la région et du département. Nos débats contribueront certainement à mettre en évidence les chaînes de traditions et d’habitudes qui empêchent les éventuelles rationalisations.

Il ne serait pas concevable que nos outre-mer soient tenus à l’écart des réflexions qui précèdent l’effort de clarification démocratique auquel nous appelle le Président de la République. Comment pourrait-on en effet proclamer avec constance la nécessité d’une adaptation de nos règles juridiques aux spécificités des outre-mer et ne pas avoir le réflexe de s’interroger sur les méthodes de leur application dans nos territoires ?

Comment ne pas évoquer le cas singulier de La Réunion, lorsque l’idée d’adaptation des compétences semble devenir un lieu commun de la réflexion sur la conception des institutions décentralisées de la République ?

Pour ma part, je crois qu’il ne faut pas vouloir l’adaptation pour elle-même. La réforme institutionnelle n’est pas une fin en soi. Elle ne réussira pleinement qu’au service de la conscience partagée, dans chaque territoire, d’un destin commun. Elle n’est pas séparable des efforts de mobilisation et de mutualisation des compétences et des énergies dont nous avons encore vu, la semaine dernière, un exemple à travers les préconisations de l’étude RÉELLE pour l’île de La Réunion.

Il faut saisir l’élan que donne la réforme annoncée pour moderniser, au sein de la République, l’organisation institutionnelle de nos territoires. Le sujet est trop vaste pour être exhaustivement traité en une matinée. Je vous propose donc de l’aborder en posant les questions les plus fondamentales : comment évaluer la mise en œuvre de leurs compétences par les collectivités uniques et éventuellement les faire évoluer ? Faut-il repenser l’architecture des articles 73 et 74 de la Constitution, selon quels critères et dans quelles limites ? Nous nous intéresserons ensuite à deux situations spécifiques aux antipodes l’une de l’autre : l’alignement forcé résultant pour La Réunion de l’application de l’amendement Virapoullé, la place singulière faite dans la République à la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, nos collègues Hubert Julien-Laferrière et Jean-Hugues Ratenon, rapporteurs pour la Délégation sur le sujet de la réforme institutionnelle, nous feront part des premiers éléments de leur réflexion, que les débats qui vont s’ouvrir contribueront certainement à enrichir.

 

Vous seriez certainement surpris que je ne m’arrête pas un instant, avant de conclure ce propos introductif, sur le fait que nos travaux se déroulent dans une salle qui porte le nom du principal ministre de Louis XIV, Colbert. Nous savons tous que la figure de Colbert est sortie de l’imaginaire traditionnel forgé par Lavisse pour prendre un aspect plus contrasté et, à bien des égards, infiniment plus contestable.

Nous savons tous que Colbert fut l’homme des grandes réformes : 1667, procédure civile ; 1669, eaux et forêts ; 1673, commerce ; 1681, marine… mais aussi, 1685, Code noir. Il y a quelque chose de sinistre à voir cette série de grandes ordonnances, dont certains articles sont restés en vigueur jusqu’à une période très récente, conclue par un texte qui blesse la conscience universelle et dont le souvenir est une brûlure pour tous les ultramarins des Antilles, de la Guyane et de La Réunion.

C’est une occasion aussi de se souvenir que les réformes les plus construites, les mieux pensées techniquement, ne valent pas grand-chose si elles ne sont pas portées par le souci de la considération de l’homme dans sa pleine dignité et la recherche du bien commun.

Il me reste à remercier les intervenants qui ont bien voulu nous apporter le concours de leurs travaux et de leurs expériences et à passer la parole à notre modérateur, Michel Reinette, qui est non seulement rédacteur en chef à France Télévision mais aussi un éminent acteur de l’éveil des consciences ultramarines et peut-être plus encore guadeloupéennes. Je vous remercie.

Michel REINETTE, rédacteur en chef à France Télévision,

modérateur des débats

Je remercie le président Serva d’avoir mis notre débat sur la réforme constitutionnelle sur les rails, précisément en ce jour où le projet de loi constitutionnelle est présenté au Conseil d’État.

La question du statut est lancinante, qu’il s’agisse de l’article 73, de l’article 74, de l’amendement Virapoullé mais aussi des accords de Matignon pour la Nouvelle Calédonie. Olivier Serva a également parlé du statut des cinq départements. Un toilettage s’impose, et nous devons nous engager dans la recherche de solutions.

Si je ne m’abuse, le président Macron a été le premier à inciter les élites locales à prendre en mains le principe d’une évolution des statuts. Nous en sommes bien d’accord, évolution ne veut pas dire abandon, mais à coup sûr meilleure façon de fonctionner, et meilleure adéquation à la réalité géopolitique. Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, présentera tout à l’heure des propositions pour une révision constitutionnelle « utile aux outre-mer ».

En attendant, voyons les enjeux de la prochaine réforme constitutionnelle, que va nous présenter, avec une autorité particulière, Véronique Bertile.

 


 

—  1  —

 

theme n° 1 : Quelles compétences pour les collectivités uniques ?

 

La suggestion d’un article statutaire unique dans la Constitution

 

Véronique BERTILE

Maître de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux,

ancienne ambassadrice déléguée à la coopération régionale

dans la zone Antilles-Guyane

 

Avant toute chose, je tiens à saluer l'initiative de ce colloque qui tombe à point nommé et à remercier très chaleureusement le président de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale pour m'avoir invité à y participer.

Plutôt que de me lancer dans une présentation strictement académique, et puisque je devine, pour connaître quelques visages, que je suis devant un public d'initiés, je vais plutôt vous proposer d'échanger quelques réflexions sur les intitulés proposé pour cette première table-ronde « réforme constitutionnelle et collectivités d'outre-mer, quels enjeux ? »

Le Premier ministre a présenté hier les grandes lignes de la réforme constitutionnelle. J’en ai été un peu réconfortée. En effet, on entendait parler du nombre de parlementaires, du nombre de cumul des mandats dans le temps, d'inscription de la Corse dans la Constitution, mais peu des outre-mer. La présentation a été rapide mais du moins les outre-mer y figurent. Même si nous n'en connaissons pas plus, nous savons que le chantier peut être ouvert.

Les outre-mer ont déjà été, sinon l'objet unique, du moins l’un des objets, de l'une des dernières grandes réformes constitutionnelles de ces dernières années, la révision du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République. Quinze ans, c’est peu et c'est beaucoup. C'est peu pour se saisir pleinement des innovations apportées par la réforme et pour les mettre en oeuvre, mais c'est beaucoup quand il s'agit de mesurer les résultats. Or ceux-ci ne sont pas à la hauteur des grandes espérances que la réforme de 2003 a suscitées.

Permettez-moi de rappeler que le droit d' outre-mer, de 1946 ou plutôt de 1958 à 2003, était caractérisé par la distinction entre les DOM, les départements d'outre-mer, et les TOM, territoires d'outre-mer. Les DOM étaient soumis au principe de l'assimilation ou de l'identité législative, alors que les TOM, territoires, d'outre-mer étaient soumis au principe de spécialité législative.

Cette dichotomie était imparfaite, mais elle présentait une impression de simplicité. Sept ans sont désormais révolus et le droit de l'outre-mer, aujourd'hui, se caractérise par une formidable complexité qui a de quoi déconcerter même le meilleur des pédagogues.

Les TOM ont disparu. Donc ça me fait toujours sourire quand j'entends quelqu'un parler des DOM-TOM : je me dis qu’il date un peu. La distinction entre DOM et TOM n'existe plus ; elle a été remplacée par une distinction entre « article 73 » et « article 74 ». Je ne suis pas sûr qu'on ait gagné en clarté, en tout cas pas le grand public, en recourant à une distinction  reposant sur une numérotation plutôt que sur un objet.

Cette présentation binaire qui demeure cache en réalité une très grande diversité qui, à y regarder de plus près, fait éclater la notion même de catégorie. Ainsi, le régime de certaines collectivités de l'article 74 les rapproche de l'esprit de l'article 73 – que l'on songe à Saint-Pierre-et-Miquelon. A l’inverse, le régime de certaines collectivités de l'article 73 les rapproche de l'article 74 ; je pense bien sûr, ici, à la Guyane et la Martinique.

Ce sacrifice de la simplification n'aurait pas été vain si la réforme de 2003 avait permis à chaque collectivité d'outre-mer de trouver sa voie. Mais les outils juridiques ont beau être là, cela ne semble toujours pas être le cas. Alors, aller plus loin ? Pourquoi et comment ? Sur la base de la réforme de 2003, Martinique et Guyane sont devenues des collectivités uniques ; Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont devenues des collectivités autonomes ; un pouvoir de dérogation législative a été reconnu aux collectivités de l'article 73, à l'exception de La Réunion, dont on parlera tout à l'heure. Mais outre ces changements statutaires, quelles avancées peut-on constater ? C'est une juriste qui vous le dit : le statut n'est pas une fin en soi, il n'est qu'un moyen.

En 2003 la réforme constitutionnelle a débouché sur une complexification du droit outre-mer. En 2018 elle gagnerait à revenir à une simplification.

Peut-être la complexification issue de la réforme de 2003 a-t-elle été nécessaire pour accompagner l'évolution des mentalités. Elle a pleinement réussi puisque maintenant le principe de différenciation statutaire, qui était impensable, combattu hier, est aujourd'hui largement acquis, partagé, revendiqué par tous. Si j'en crois les mots du Premier ministre hier, il vaut aussi, désormais, pour les collectivités hexagonales.

À mon sens, la simplification que pourrait porter la réforme constitutionnelle de 2018 est la suppression de la distinction entre article 73 et article 74. Cette distinction ne tient plus car elle repose sur une logique qui ne se vérifie plus aujourd'hui, selon laquelle les collectivités de l'article 73 sont soumises au principe d'assimilation ou d'identité législative – les deux termes étant complètement synonymes – alors que les collectivités de l'article 74 sont soumises au principe de spécialité législative. En effet, cette logique ne prévaut plus aujourd'hui ni au sein de l'article 73, ni au sein de l'article 74. Au sein de l'article 73, le principe de l'assimilation ou de l'identité législative (qui signifie que les lois et les règlements sont applicables de plein droit et qui est toujours affirmé solennellement par le premier alinéa de l'article) est battu en brèche par les possibilités d'adaptation et de dérogation législative qui sont reconnues aux collectivités. Au sein de l'article 74, le principe de spécialité législative (qui signifie que les lois et les règlements ne sont applicables qu’en vertu d’une mention expresse) n'est pas absolu ; dans sa dernière version, l'article 74 ne règle pas lui-même, mais confie aux statuts définis par la loi organique, le soin de fixer les conditions dans lesquelles les lois et règlements sont applicables.

En se référant à ces statuts, on se rend compte que les dispositions relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy affirment, de façon assez surprenante pour des collectivités de l'article 74, que les lois et les règlements y sont applicables de plein droit, ce qui est bel et bien de l'assimilation législative, même si quelques exceptions sont prévues, En réalité, seul le statut de la Polynésie française consacre le principe de spécialité législative. L'article 7 de la loi organique de 2004 affirme ainsi, et c'est une vraie définition de la spécialité législative, que sont applicables en Polynésie française, les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin. Le principe de spécialité législative ne définit plus la catégorie des collectivités de l'article 74.

Un des premiers enjeux de la réforme constitutionnelle pour les outre-mer serait ainsi, pour utiliser un terme peureux mais familier aux juristes, un toilettage, ou pour mieux dire une simplification, faisant disparaître la distinction entre l’article 73 et l’article 74 et en ne retenant qu'un seul article pour les outre-mer. Cet article fixerait nécessairement les grands principes et renverrait au statut de chaque collectivité d'outre-mer, le soin de définir les modalités particulières de leur application.

Aucune révolution en cela : la situation est déjà que chacune des onze collectivités ultramarines d’aujourd'hui a un statut qui lui est propre. Aucun outre-mer ne ressemble à un autre aujourd'hui.

La distinction entre article 73 et article 74 ne tient plus non plus au regard du statut européen de nos outre-mer.

Les statuts interne et européen ont longtemps été parallèles : ainsi, les collectivités de l'article 73 de la Constitution étaient des « régions ultrapériphériques » (RUP) et les collectivités de l'article 74 de la Constitution étaient des « pays et territoires d'outre-mer » (PTOM). Il pouvait y avoir une logique à cela : l'assimilation des collectivités de l'article 73 aux collectivités de droit commun de la République emportait leur intégration pleine et entière à l'Union européenne. Parallèlement et par analogie la spécificité des collectivités de l'article 74 au sein de la République française justifiait leur simple association à l'Union européenne.

L'exemple de Mayotte confirmait cette logique : en passant de l'article 74 à l'article 73, Mayotte est passée « naturellement », pour ainsi dire, du statut de PTOM au statut de RUP.

Mais Saint-Martin est venue brouiller les pistes, en 2007, en quittant le giron de la Guadeloupe dont elle était une commune pour devenir une collectivité d'outre-mer. Elle est passée de l'article 73 à l'article 74 en droit interne. Mais, contrairement à l'île voisine, Saint-Barthélemy, qui était exactement dans la même situation et qui, elle, a décidé de devenir un PTOM, Saint-Martin a choisi de rester une région ultrapériphérique. Il peut donc y avoir dissociation entre le statut interne et le statut européen des collectivités d'outre-mer. La suppression de la distinction entre les articles 73 et 74 n'aurait ainsi aucune incidence par ricochet sur le statut européen des outre-mer.

En revanche, cette suppression, et l'adoption corrélative d'un article outre‑mer unique, impacteraient d'autres articles de la Constitution :

- l'article 72, selon lequel les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités de l'article 74 ; il suffirait de placer convenablement l’article relatif aux outre-mer dans une énumération qui comporterait aussi, et ce serait une nouveauté, la mention de la Corse ;

- l'article 72-3, qui cite nominativement toutes les collectivités d'outre-mer après avoir réaffirmé que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité », pourrait, cela va de soi, fusionner avec l’article outre-mer unique ;

- l'article 74-1, peu connu, également introduit en 2003 – qui permet le recours aux ordonnances dans les matières qui relèvent de la compétence de l'État, dans les collectivités de l'article 74 – serait lui aussi, bien sûr, appelé à fusionner avec le nouvel article outre-mer que j'appelle de mes vœux.

Le premier enjeu de la réforme constitutionnelle serait ainsi la simplification, la lisibilité des dispositions relatives à l'outre-mer, et plus largement la lisibilité de tout le titre XII de la Constitution ; le second enjeu, lié au premier, nécessairement, serait à travers cet article outre-mer unique de mettre à la disposition de chaque collectivité d'outre-mer, une boîte à outils lui permettant d'adopter un statut à la carte selon ses besoins, ses aspirations et son projet de développement.

Je voudrais maintenant aborder, comme cela m’a été demandé, la question des compétences qu’il convient d’attribuer aux collectivités uniques. J’ai d’abord spontanément pensé à la Guyane et à la Martinique, parce que ce sont les deux territoires qui sont devenus collectivité unique dans l'actualité récente, depuis le 1er  janvier 2016.  Mais je me suis vite ravisée, parce qu'à la réflexion, outre mer la collectivité unique est la forme normale, au sens de largement majoritaire, d'organisation. Ce sont les « Domiens » de ma génération et des générations précédentes qui ont connu la situation où, sur un même territoire, il y avait une région et un département. Cette forme d'organisation est devenue exceptionnelle et elle ne concerne aujourd'hui plus que deux collectivités : la Guadeloupe et La Réunion.

On raisonne encore en référence à la notion de départements et régions d'outre-mer (DOM/DROM), mais en réalité, il n'en existe plus que deux. Toutes les autres collectivités d'outre-mer sont aujourd'hui des collectivités uniques qui, à l'échelle du territoire, disposent de compétences des régions et des départements : c'est le cas de la Guyane, de la Martinique, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Mayotte. Certaines concentrent même trois niveaux – commune, département, région – c'est le cas de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Sans parler de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française qui disposent de compétences propres.

L'accession au statut de collectivité unique de la Guyane et de la Martinique s'est inscrite dans le mouvement de la réforme de 2003 qui tendait vers plus d'autonomie. L’autonomie est une notion polysémique ; je l'entendrai plus simplement comme une plus grande marge de manoeuvre laissée aux collectivités territoriales d'outre-mer. L’évolution vers plus d'autonomie ainsi comprise pose nécessairement la question des compétences qu’on doit leur reconnaître.

De deux choses l'une :

- soit on reste en l'état actuel des choses, à savoir l’attribution à la Guyane et à la Martinique des compétences des régions et des départements, avec éventuellement des dérogations par voie d’habilitation législative sur les compétences de l'État

- soit on considère qu'il faut aller plus loin et que, comme l'ont démontré les exemples calédonien et polynésien, les collectivités uniques doivent pouvoir prendre part à certaines compétences de l'État pour libérer tout leur potentiel.

Le procédé de répartition des compétences entre l'État et les collectivités est bien connu des juristes : il consiste à dresser des listes. Ainsi l'accord de Nouméa et la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie qui a suivi ont distingué entre trois types de compétences :

- les compétences nouvelles conférées à la Nouvelle-Calédonie. La liste est longue, je n'en citerai que quelques-unes, significatives : le droit à l'emploi, le commerce extérieur, l'exploitation, la gestion, la conversion et la conservation des ressources naturelles biologiques et non biologiques de la zone économique etc., les compétences partagées entre l'État et la Nouvelle-Calédonie ;

- les relations internationales et régionales, l'entrée et le séjour des étrangers, la réglementation minière en sont des exemples ;

- les compétences régaliennes, justice, ordre public, défense, monnaie, qui ne pourront être transférées qu'à l'issue du référendum de novembre 2018 – nous verrons alors ce qu’il en sera.

De même, le statut d'autonomie de la Polynésie française a dressé ses listes, en posant, de façon assez étonnante, le principe que les autorités de ce territoire sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'État. On peut penser que cela n’a rien d'extraordinaire, mais cela veut dire que la compétence de principe appartient à la Polynésie française et que l'État est cantonné dans des compétences réservées. La Polynésie dispose également de compétences particulières qui lui ont été transférées par l'État en matière de relations internationales et régionales, d'emploi et de foncier.

Ce procédé de répartition des compétences entre l'État et les collectivités est classique et se retrouve dans les constitutions mêmes des États fédéraux et des États régionaux. Pour les outre-mer français, cette répartition pourrait, comme c'est le cas en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, figurer dans les statuts des collectivités et être adaptée à chacune d'entre elles.

Dans sa version actuelle, la Constitution comporte déjà des indications sur les compétences qui ne pourraient pas faire l'objet de transfert : ce sont les douze matières mentionnées dans la liste, non exhaustive, figurant à l'article 73 alinéa 4 : la nationalité, les libertés publiques, la politique étrangère, la sécurité et l'ordre public, etc. Cette liste laisse une marge de manœuvre non négligeable. Elle permet par exemple de prévoir des transferts de compétences dans les matières qui sont mentionnées à l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) relatif aux régions ultrapériphériques et pour lesquelles des mesures spécifiques, propres à ces territoires, pourraient être adoptées : par exemple, les politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans le domaine de l'agriculture et de la pêche, etc.

Je conclurai mon propos en insistant sur l'idée que l'enjeu de cette réforme constitutionnelle annoncée me semble être pour le droit des outre-mer, celui de la simplification à travers un article « outre-mer » unique qui, tout en rappelant, c'est nécessaire, les grands principes de l'organisation décentralisée de la République, permettrait à chacune des collectivités d'outre-mer d'adopter un statut sur mesure, listant les compétences qui lui sont reconnues. Un statut adapté aux besoins, aux aspirations et au projet de développement de chaque collectivité d'outre-mer. On aurait ainsi un seul article « outre-mer » dans la Constitution, mais onze statuts pour les outre-mer.

 

Débat sur l’exposé de Mme Véronique BERTILE

Abdallah HASSANI

Sénateur de Mayotte

À Mayotte, la grève ne s'est pas arrêtée, elle continue malgré les accords qui ont été acceptés par l'intersyndicale et le collectif de citoyens.

Pourquoi la grève ? Parce que depuis des années, les gouvernements successifs n'ont pas fait le travail qu'il fallait faire, c'est-à-dire arrêter l'immigration clandestine. Ce qui fait que même si les Mahorais sont ouverts et accueillants, ils sont aujourd’hui dépassés. La grève est partie de l'immigration clandestine et de l’insécurité croissante qui impactent la vie de l’ensemble des Mahorais (l'éducation, l'économie, etc.).

Les propositions initiales du collectif de citoyens et de l'intersyndicale ont d’abord été rejetées. Certes, la nomination d’un nouveau préfet, accompagné d’une nouvelle équipe, a permis de renouer le dialogue politique mais la population attend aujourd’hui une traduction en actes sur le terrain.

Dans le cadre des Assises des outre-mer, le Conseil départemental de Mayotte a réclamé un toilettage du statut du territoire. Les Mahorais sont favorables au statut de département. Le texte confie au Conseil départemental de Mayotte les compétences dévolues aux départements et aux régions. Pourtant, les conseillers mahorais constatent que les compétences de la région sont en réalité détenues par l’État et La Réunion, ce qui crée de la confusion autour du statut institutionnel de Mayotte. Mayotte a un véritable statut hybride. Le Conseil départemental en réalité ne gère que la moitié de ses compétences.

Les Mahorais ont lutté pendant plusieurs décennies afin d’obtenir le statut de département français. L’histoire de Mayotte explique aujourd’hui sa singularité statutaire et institutionnelle par rapport aux autres territoires de la région, avec lesquels elle partage la même religion et la même culture. L’ensemble des quatre îles des Comores a été sous une administration unique de 1961 à 1974. Auparavant, Mayotte était un territoire et les autres îles, des protectorats. La loi‑cadre de 1958 nous a mis ensemble jusqu'au référendum sur l’indépendance de décembre 1974. Peut-on réellement créer un destin commun en seulement 13 ans ? Je ne pense pas. Malgré les similitudes entre Mayotte et les autres îles, il n’y a pas d’obligation à être ensemble.

La population mahoraise ne souhaite pas que l’on touche à la départementalisation.

Les Mahorais veulent aujourd’hui un mieux vivre. Et ça, le Gouvernement l’a bien compris. Aujourd’hui, 80% de la population mahoraise vit sous le seuil de pauvreté. Plus de 40% de la population est étrangère et en situation irrégulière. Beaucoup de personnes à Mayotte vivent dans la pauvreté et dans des conditions de vie inacceptables. La population souffre, du fait du niveau de l’immigration, de services publics et d’équipements publics en nombre insuffisant, notamment de salles de classe par exemple.

Véronique BERTILE

Dans un article outre-mer unique au sein de la Constitution, qui donnerait les grands principes de l'organisation décentralisée de la République et renverrait ensuite à chaque collectivité la possibilité d'adopter un statut propre, Mayotte aurait évidemment sa place. Son statut devra prendre en compte tous les besoins, toutes les aspirations et les contraintes du territoire.

 

Thani MOHAMED SOILIHI

Sénateur de Mayotte, vice-président du Sénat

Pendant longtemps, on a fait croire à la population de Mayotte, tant à Paris que localement, que la départementalisation allait être la panacée, le remède à tous les maux. La départementalisation a eu lieu ; maintenant la population constate qu'aujourd’hui on est loin du compte et que peut-être, au lieu de faire la part belle au débat institutionnel, il fallait plutôt se concentrer sur le contenu, sur le développement réel du territoire.

Aujourd’hui, il faudrait davantage de simplification. La proposition d’un article unique outre-mer dans la Constitution, qui permettrait des déclinaisons selon les spécificités de chaque territoire, semble être une voie intéressante pour notre réflexion.

Certes le cadrage institutionnel est important, mais il n’est qu’un outil. L'objectif final, c'est de résoudre ce problème : comment ce grand pays qu’est la France, deuxième puissance maritime au monde grâce à ses outre-mer, peut-il continuer à fonctionner avec 4% de sa population qui ne bénéficie que de 2 % de son PIB ?

Il faut que la réforme constitutionnelle serve à quelque chose, soit un vrai outil permettant de placer les outre-mer sur un pieds d’égalité avec les autres collectivités de la République.

 

 

Jean-Michel GROVEN,

ancien collaborateur de M. Jean-Paul Virapoullé,

député, puis sénateur de La Réunion

 

Madame Bertile, vous avez dit à juste titre qu’à Saint-Martin ou Saint‑Pierre-et-Miquelon, qui relèvent de l’article 74, les lois et les règlements s'appliquent de plein droit. Mais si l’on regarde la rédaction de l'article 73, on trouve un alinéa premier qui dit aussi que, dans les départements et régions d'outre‑mer, les lois et règlements s'appliquent de plein droit. C'est cette rédaction, due à Michel Debré, qui ancre l’article 73 dans la République. Dans l’article 74 malgré la dichotomie entre les départements d'Amérique et la Polynésie ou Wallis – sans parler du cas particulier de la Nouvelle-Calédonie – il n’y a pas écrit cela.

Vous qui êtes constitutionnaliste, pouvez-vous nous dire comment vous écririez la première phrase du nouvel article 73 ? (Sourires) Il ne faut pas traiter la question à la légère, ou dire que l’on ne peut pas proposer de rédaction maintenant, parce que le sujet est extrêmement important. Souhaitez-vous, ou non, un nouvel article unique qui dirait que le principe est l'application de plein droit ? Si vous ne le faites pas, la politique va prendre le dessus.

Regardez : aujourd'hui, la Corse entend demander un article pour elle toute seule ; la Nouvelle-Calédonie a un titre spécifique. On parle de rassembler les outre-mer. Mais, quand on lance une idée, il vaut mieux être précis. Je travaille pour La Réunion ; j'ai eu la chance d'être l'assistant de M. Virapoullé lorsque, il y a 15 ans, on a fait l'amendement – c'est moi qui l’ai rédigé. C’est pourquoi je voudrais savoir en quoi consiste exactement cet article que vous présentez ici comme quelque chose de nouveau. Certes vous n'avez pas dit que vous étiez écoutée partout , mais il est extrêmement important de connaître le principe de base de ce nouvel article.

 

Véronique BERTILE

La formule serait inédite. Vous avez raison de dire que le principe de spécialité législative n’est pas dans l'article 74, mais uniquement dans les statuts. De la même manière, l'article unique pourrait renvoyer au statut, comme le fait l'actuel article 74 ; la question de savoir dans quelles conditions les lois sont applicables de plein droit. Pour répondre à votre question précise, les premières lignes de l'article unique seraient les premières lignes de l' actuel article 72-3 : « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité »… C’est de la philosophie, mais la philosophie est importante – c'est une juriste qui vous parle. Cela fait soixante-dix ans, depuis la départementalisation, qu’on se cache derrière les règles juridiques, il est temps d'en sortir.

Vous avez entendu ce que je propose : un article outre-mer qui redonne les grands principes de l'organisation décentralisée de la République et qui ensuite permet à chaque statut d'avoir sa déclinaison propre. Aujourd'hui, c’est déjà le cas de fait : nous avons 11 statuts outre-mer différents, il n’y a pas un outre-mer qui ressemble à un autre. La Réunion n’a pas bénéficié des habilitations qui ont été reconnues à la Guadeloupe et à la Martinique sur leur demande, alors qu’elles auraient pu lui être utiles.

Je ne comprends pas qu'on puisse se priver d'un outil qu'on utilise ou qu’on n’utilise pas, comme on veut. Pourquoi s'en priver ? Ce sont des adaptations, ce ne sont pas ma dérogations législatives.

Un auditeur pose la question de la possibilité d’un droit dérogatoire au droit du sol sur le territoire de Mayotte.

 

Abdallah HASSANI

À Mayotte le droit du sol est effectivement remis en cause à cause de l’immigration clandestine en provenance principalement des Comores et de l'Afrique de l'Est. Beaucoup de femmes viennent de l’étranger pour accoucher à Mayotte. Il y a 10 000 naissances par an et 40 naissances par jour à Mayotte. Seulement un tiers des mères sont mahoraises. Dans quel but ces femmes viennent‑elles à Mayotte ? Elles veulent que leurs enfants deviennent Français. Les Mahorais revendiquent aujourd'hui la supppression du droit du sol afin de préserver la population mahoraise.

Thani MOHAMED SOILIHI

Il n'y a pas qu'une seule solution dans ce sujet. Il ne faut pas aborder la question du droit du sol à Mayotte comme on l’aborde ailleurs, mais en tenant compte des circonstances exceptionnelles propres à ce territoire et qui expliquent pourquoi les Mahorais revendiquent, quasi unanimement, l'abrogation ou la suspension du droit du sol. Premièrement, en effet, près de la moitié, voire plus de la moitié de la population est en situation irrégulière. Dites-moi quel est le territoire qui pourrait supporter cet état de fait ? Seule la Guyane se trouve dans une situation quasi semblable, à la différence notable qu’elle dispose d’un vaste territoire : Mayotte, c'est 374 kilomètres carrés. Deuxième circonstance particulière : c'est le seul territoire habité français revendiqué par un pays étranger. En d'autres circonstances, un tel état de fait peut valoir déclaration de guerre. Ces deux situations hostiles poussent les Mahorais à revendiquer comme solution la suppression du droit du sol. Et je pense qu'effectivement, aller dans ce sens-là serait recommandable.

La France doit être plus ferme avec les Comores. Mais, en plus des relations diplomatiques, des mesures pour lutter contre l'immigration clandestine sont aussi à prendre au niveau interne. Il faut arrêter avec cette hypocrisie qui consiste à dire qu’on est face à une situation sans solution. Les moyens existent.

Max DUBOIS

Président de l’association République et Développement

Fusionner les articles 73 et 74 en un seul article,  c'est un toilettage comme on l’a dit tout à l'heure – je ne sais pas si le mot est le bon – mais ça reste un élément juridique. On a évoqué tout à l’heure l'étude RéELLE qui est partie de la Réunion, et dont un des principaux instigateurs est Dominique Vienne, le nouveau président du CESE local. C'est très important, parce que, au fond, tout ce que l'on est en train de faire en matière de d'évolution statutaire, on le fait dans l'objectif d'apporter plus de bien-être, plus de confort à l'ensemble des citoyens ultramarins.

Prenons le problème du chômage, problème prégnant. Aujourd’hui, pour rappeler quelques chiffres, le taux de chômage est de 23% en Outre-mer, contre 8,5% au niveau national. Donc l'égalité n'y est pas, et enore, quand on parle de 23% de chômage on passe pudiquement sous silence ce qu'on appelle l'économie informelle, Quand je vais dans les territoires, je me rends compte que même s’il y avait un article unique, on serait encore dans la même forêt. Il existe des différences entre les territoires, mais ils ont tous un point commun, se trouvant dans un environnement régional où les règles ne sont pas les mêmes que chez eux. Dans les Antilles, les voisins de la Guadeloupe, de la Martinique, comme par exemple la République dominicaine et Haïti, ont une réglementation quasiment inexistante par rapport à la nôtre : donc, pas de contrainte. L'environnement international, régional, c'est aussi des salaires qui sont entre 5 et 10 fois inférieurs aux salaires dans nos territoires. Autant d’éléments pénalisants.

Quand je discute avec les responsables économiques que je rencontre, certains appellent de leurs vœux une véritable capacité de négociation, comme vous l'avez souligné pour la Polynésie française. Il s’agirait d’avoir, si j'ose dire, un ministre des Affaires étrangères dans chaque territoire. Pourquoi ? parce qu’il faut commencer par discuter sur des bases claires. On ne peut pas continuer à se tirer une balle dans le pied, à se donner dans nos territoires des obligations légales ou réglementaires, d'où qu'elles viennent, qui soient en permanence pénalisantes, alors que nos amis d’à côté peuvent s’installer à peu près comme ils veulent et où ils veulent.

Pour revenir sur cette étude RéELLE, effectivement très bonne, qui a été menée à La Réunion, ne pourrait-on pas généraliser ce genre d'étude à la totalité des territoires ? Les auteurs de l’étude font en effet très nettement apparaître là où on peut avoir du développement circulaire ou endogène. Dans l'évolution statutaire que vous imaginez, ne pourriez-vous pas aussi prévoir un certain nombre de règles transversales qui s'appliqueraient à tous les territoires pour faire en sorte de favoriser partout le dévelpoppement économique ?

Véronique BERTILE

On a vu en soixante-dix ans que la question statutaire ne règle pas tout. Oui, j'ai insisté sur les grands principes, et dès lors je suis passé un peu vite sur ce qui n'était pas l'objet principal de mon propos. Mais les outre-mer restent bien des collectivités territoriales de la République, restent soumis, heureusement, aux principes directeurs de l'organisation décentralisée de la République. Maintenant, que les marges de manoeuvre soient différentes d'un territoire à l'autre pour avoir plus de potentialités, de libertés, c’est autre chose.

Vous avez évoqué, à propos de l'environnement régional, l’idée d’un ministre des Affaires étrangères dans chaque territoire. La politique étrangère est une compétence régalienne, comme vous le savez. Il existe des ambassadeurs de zones qui travaillent sur ces sujets-là. Alors, quelles sont les solutions ? J'entends bien que le coût de production est moins élevé à Maurice, ou en République Dominicaine. On ne va pas descendre nos standards, cela va de soi, pour être compétitifs. Il faut donc trouver des solutions. Plus qu’une révolution par des grands principes, ce sont les projets concrets qui sont portés dans ces bassins océaniques qui aboutissent à des relations et à une coopération concrètes.

 


 

Victorin LUREL

Sénateur de la   Guadeloupe, ancien ministre des outre-mer

Propositions de réforme institutionnelle pour les outre-mer

J'aimerais remercier pour commencer le Président de la Délégation aux outre-mer qui m'a fait l'honneur et l'amitié de m’inviter.

Il m’a invité ici… dans la salle Colbert, ce qui est un peu paradoxal. Je ne dis pas cela pour répondre à je ne sais quelle campagne numérique du moment. J'ai signé avec un certain nombre d'associations, il y a longtemps, l'appel pour débaptiser les collèges et les lycées qui s'appellent Colbert. J'ai demandé aussi l’abrogation expresse du Code noir. Plus récemment, en fin de législature, la loi sur l’égalité réelle dans les outre-mer a abrogé l'ordonnance du 17 avril 1825 qui a concédé à la République d’Haïti son indépendance moyennant le versement d’une « indemnité » de 150 millions de francs-or. On a aussi abrogé, comme le demandaient plusieurs associations, la loi d’avril 1849 relative à l’indemnité accordée aux colons par suite de l’abolition de l’esclavage et le décret de novembre 1849 qui répartit cette indemnité – j’ai été vilipendé, chez moi, en Guadeloupe, car on m’a reproché de vouloir ainsi supprimer la mémoire. On a obtenu aussi que les associations de lutte contre le racisme puissent plus facilement porter plainte avec constitution de partie civile lorsqu'il y a inégalité de traitement, discrimination, voire actes racistes. On a demandé au comité consultatif des droits de l'homme d’avoir au moins chapitre sur les actes négrophobes. Jusqu’ici ce n’est pas fait.

Lorsque, arrière-descendant d'esclaves, je monte à la tribune du Sénat, je vois la statue de Colbert qui nous regarde et qui nous surplombe. Il est difficile de parler de Colbert, c’est un tabou dans la culture française. J’ai dit, en reprenant les mots de Louis-Georges Tin, que ceux qui sont des héros pour nos compatriotes de l'Hexagone sont pour nous des bourreaux. Au Sénat il y a aussi la salle Napoléon Bonaparte. Évoquer ça ici, même sur le ton le plus apaisé, c'est une agression.

Peut-on, monsieur le président, prendre ici une résolution pour demander au Président de l'Assemblée nationale de débaptiser cette salle ? Peut-on, au Sénat, demander à M. Larcher de prendre l’initiative d’une résolution afin de remplacer la statue de Colbert par autre chose ?

Mon premier acte, lorsque j'ai été élu, en 1994, conseiller général, c'est de demander de dénommer le Fort Napoléon et de le rebaptiser du nom de Paul Valentino, qui était un gaulliste, et qui a été dans la dissidence. Jusqu'ici, en Guadeloupe aussi c'est un tabou. Beaucoup de rues portent les noms d'esclavagistes. Il y a là un travail à faire, non pas d'épuration ou de toilettage, mais d'ablution.

Je ne voudrais pas choquer mes amis de Mayotte, mais je leur dis qu’on aura du mal à avoir de la sécurité à Mayotte, quels que soient les moyens que l'État y mettra, dès lors que les Comores et l’Union Africaine contestent l'appartenance de Mayotte à la République française.

Je n’ai pas participé au débat sur l'article unique qui rassemblerait article 73 et               article 74. Je connais l’alacrité intellectuelle de Véronique Bertile, mais je demande à voir la rédaction. Sur le principe, je suis d'accord, mais j’attends ce que proposera Ferdinand Mélin-Soucramanien à qui j’ai demandé une rédaction. Autant, intellectuellement et abstraitement, c'est une belle idée, autant concrètement, son approche en droit positif pose une vraie question. Pour ma part, et j’aurais pu faire cinquante propositions, je n'ai pas trouvé la bonne formule de rédaction, Le recours aux catégories juridiques peut poser autant de problèmes qu’en résoudre, même s’il est entendu que l'idée première est de simplifier.

La distinction n'est pas si confuse que ça entre le « plein droit » de l’article 73 -donc l'identité législative – et ce qu’on appelle la spécialité législative. La complexité vient du fait que l’article 74 est en quelque sorte de géométrie variable, selon la théorie des ensembles flous, pour ne pas dire la théorie du chaos en mathématiques. Vous prenez Saint-Martin et Saint-Barthélemy : c'est déjà différent. Saint-Pierre-et-Miquelon a un statut hybride.

La clarification est peut-être à faire selon la volonté des peuples. Je dis bien « peuples » ; on a pu s’en étonner en Guadeloupe. Lorsque j’étais ministre, j'ai eu l’occasion de le dire au président François Hollande : je ne suis pas une région, un département. C’est le droit positif : nous sommes, département et région ; si le peuple le veut, il n’y a pas de souci. Mais je suis, nous sommes un pays. Les Guadeloupéens sont un peuple, pas une population. Une population c'est un concept statistique, où il n’y a pas de coagulation, pas d'histoire commune, pas une façon de vivre, pas une vision du monde.

Nous sommes un peuple de manière euclidienne, en ce sens que cela ne se démontre pas. Nous sommes un peuple parce que nous avons une façon de vivre, de mourir, de danser, de parler, de regarder le monde qui est différente. Un capital symbolique qui est différent. Même si on participe au destin commun de la République. Mais est-ce que dire ça, c'est faire sécession ? On a peur des libertés.

 

Pourquoi ne pas poser aux ultramarins, comme à Porto Rico, la question de l’indépendance : « Voulez-vous rester Français ? ». Si la France veut être vraiment aimée, si vous êtes partisans des libertés, il faut poser la question, tous les trente ans. A Porto Rico, les indépendantistes ont fait 1,5% ; les Porto-Ricains ont décidé, en juin dernier, d'être le 51ème État américain. La conception française est celle de l'unité et de l'indivisibilité. La Constitution mérite un vrai toilettage, même si telle n’est peut-être pas la posture du président de la République actuel et de son gouvernement. Prenez l'article 53 sur les adjonctions et cessions de territoire. La notion  d’adjonction de territoires est incompréhensible. Comme si les Comores voulaient redevenir françaises ! On a entendu dire que la Dominique, qui est membre de l'Organisation internationale de la francophonie, voulait être française. Mais ce que je vous dis là, c'est, déjà une agression, ça ne se dit pas, parce qu'on en a peur.

Avec Josette Borel-Lincertin, Victoire Jasmin et Hélène Vainqueur-Christophe, nous avons fait 37 propositions « pour une révision constitutionnelle utile à la France hexagonale et aux outre-mer ».

Une de ces propositions consiste en la suppression du mot « race » dans l’article premier de la Constitution. La science a prouvé que l’usage de ce concept ne peut s’appliquer à l'espèce humaine, qui est unique. Plusieurs alternatives se présentent alors : « sans distinction d'origine, de sexe ou de religion », ou « sans distinction d'origine, de genre ou de religion », ou « sans distinction d’origine, de sexe, de genre ou de religion ». Si je supprime le mot race dans la Constitution, je ne l'enlève pas du préambule de 1946 : on sait bien qu’il a été employé après l'ignominie nazie. Mais aujourd'hui il est dépassé, et il est même dangereux. Je ne vais pas davantage supprimer la mention du racisme dans le code pénal, mais j'estime que, dans l'article 1er, texte de souveraineté et de fondation, le mot « race » ne doit pas figurer. Je le dis en passant, sachant que cela fera débat.

Autres propositions : je suis pour la reconnaissance du vote blanc dans la détermination des suffrages exprimés et pour que les étrangers majeurs non ressortissants des États membres de l’Union européenne et résidant régulièrement en France depuis dix ans obtiennent le droit de vote aux élections locales – sans que l’on exige la réciprocité.

Il faut aussi proposer le rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, c’est-à-dire réhabiliter, revaloriser, et renforcer le rôle du Parlement. En exposant nos propositions, nous montrons qu’il n'est pas normal que le Gouvernement puisse décider de pratiquement les trois quarts de l’ordre du jour parlementaire. Deux semaines sur quatre sont consacrées à l’ordre du jour décidé par le Gouvernement. Une semaine sur quatre est consacré au contrôle et à l’évaluation. Or, le rôle constitutionnel des parlementaires est aussi d’assurer l’application et l’effectivité des lois et de contrôler l’action du Gouvernement.

Sur les outre-mer, je constate que la question de la fusion dans une rédaction claire est vraiment posée. J’attends que M. Mélin-Soucramanien, qui réfléchit au sujet depuis longtemps, me remette ce que je lui ai demandé. Ainsi, on aiderait sincèrement les parlementaires à trouver une bonne rédaction qui soit claire, sincère, loyale, selon les critères habituels de rédaction des textes. Je suis sceptique, même si je suis, a priori, d'accord sur l’idée ; je demande à voir. En attendant ce Graal je propose de clarifier un peu certaines choses. Il convient, premièrement, de faire tomber l'interprétation restrictive du Conseil constitutionnel sur la notion d'adaptation. Par exemple, j’ai été effrayé par l'explication que Madame Belloubet nous a donnée hier du refus d'exonération du droit de partage après l’excellent travail de M. Thani Mohamed Soilihi. L’argument d’inconstitutionnalité qu'elle a avancé pour refuser l’extension de l’exonération du droit de partage après rupture d’indivision m'a effrayé. Nous avons déjà une fiscalité différenciée, notamment sur la fiscalité immobilière, sur la TVA, sur le régime industriel à long terme. Nous avons déjà eu ce débat au cours de l’examen du projet de loi sur l’égalité réelle. Nous demandons une mise à plat de tous les dispositifs fiscaux. Si Mme Belloubet, qui a été membre du Conseil constitutionnel, soutient cette thèse, cela signifie la disparition de la notion d'adaptation. Me référant à l’article 349 du TFUE, qui a été précédemment évoqué, je propose que l’adaptation puisse porter sur le fonctionnement des institutions mais aussi sur les statuts fiscaux, douaniers, sociaux et sur des modes de scrutin appropriés.

Je m’inquiète, à cet égard, de la suppression de la circonscription « outre‑mer » aux élections européennes, le Président de la République souhaitant la substitution du mode actuel par un scrutin unique. Dans un contexte où le Gouvernement propose une réduction des représentants des outre-mer au Sénat, à l’Assemblée nationale et au CESE, il n’y aurait peut-être plus de députés européens représentant les outre-mer français. Ou alors il faudra aller flatter les grands partis politiques nationaux pour avoir un hypothétique représentant sur les listes électorales. Si j’étais responsable d’un des grands partis nationaux, je choisirais uniquement des candidats issus de La Réunion, qui compte le plus nombre d’électeurs. Il y a un vrai risque que notre légitimité et notre représentativité soient amoindries.

Si on reste dans l’épure article 73/article 74, il faut donner des instructions constitutionnelles au Conseil constitutionnel pour éviter les interprétations restrictives et conservatrices.

On propose également l’ajout d’un huitième alinéa à l’article 73 de la Constitution, pour que ce qui est possible au niveau national pour changer de statut soit possible au niveau local. Lorsque le Président de la République fait une révision constitutionnelle, s'il y a un vote dans les mêmes termes entre le Sénat et l'Assemblée, il n'a pas à consulter le peuple. Le Congrès de Versailles, à la majorité des trois cinquièmes, permet de changer la Constitution. Or, dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, celui pourtant du principe de l’identité législative, il faut dans ce cas consulter le peuple. Je ne souhaite pas supprimer l'alinéa 7 de l’article 73 de la Constitution qui dispose que le consentement des électeurs doit être receuilli afin d’acter la création d’une collectivité unique ou d’une assemblée délibérante unique pour un département et une région d’outre-mer. Nous proposons que les élus intéressés (élus municpaux, départementaux, régionaux et parlementaires élus dans la collectivité d’outre-mer concernée), à l’image du Congrès à Versailles, puissent acter, à la majorité des trois cinquièmes, la proposition de création d’une collectivité unique ou d’une assemblée unique. En revanche lorsqu'il s'agit de changer de régime législatif, de passer de l’article 73 à l’article 74 et inversement, alors, oui, il faut consulter nécessairement le peuple. C’est une proposition électoralement impopulaire en Guadeloupe, mais ce sont mes convictions personnelles, que j’ai toujours défendues.

Il faut aussi statuer sur les langues régionales. C’était une erreur d'avoir déclaré le français « la langue de la République ». Je ne demande pas, comme certains de mes collègues, que la France ratifie la charte européenne des langues et cultures régionales. Je demande simplement que l'article 75-1 de la Constitution, qui a été vidé de toute puissance invocatoire par le Conseil constitutionnel, précise qu’une loi organique détermine le statut des langues régionales.

Sur les accords de partenariat, l’article 88 de la Constitution recourt à une formulation néocolonialiste : « La République peut conclure des accords avec des États qui désirent s’associer à elle pour développer leur civilisation ». Nous faisons une proposition inspirée par le respect, à parité, de la dignité des peuples qui veulent travailler avec la France et qui ont pour véhicule la langue française. Merci beaucoup.

 

 


 

Débat sur l’exposé de M. Victorin Lurel

Michel REINETTE

Merci beaucoup, Monsieur le Ministre. J’ai relevé la connotation mathématique des termes que vous avez employés. Vous avez aussi évoqué les débats et les confrontations d’une certaine époque, cela ouvre à la réflexion. Le document que vous avez présenté contient trente-sept propositions. Vous avez ouvert des chemins, des clés pour la compréhension de la notion  d’adaptation, et mentionné le Conseil constitutionnel. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

Jean-Félix ACQUAVIVA

Député de Haute-Corse

Je suis élu nationaliste de la Corse, avec mes deux autres collègues, Michel Castellani et Paul-André Colombani. D'abord, je voudrais faire part de mon bonheur d'être là au milieu de des élus et des acteurs d'outre-mer, avec un débat très intéressant.

Je m'associe sur beaucoup de points aux propos de Victorin Lurel, notamment sur la question de la gestion par la République de ses peuples, puisque, vous le savez, les Corses considèrent qu'ils sont un peuple. Ils l'ont manifesté à plusieurs reprises par des délibérations de l'Assemblée de Corse, en 1982 et en 1988, même avant que les autonomistes n’accèdent aux responsabilités. Même le Parlement, lors de l’examen du statut Joxe de 1991, a voté l'existence d'un peuple corse, composante du peuple français, qui a été récusée, et on le savait, par le Conseil constitutionnel. C'est une réalité politique, charnelle, historique, faite de Corses d'origine, de familles qui existent sur cette terre depuis mille ans – dont je fais partie –ou d'adoption, ce qu'on appelle chez nous, une communauté de culture et de destin.

Il est important que le politique reprenne ses droits dans les débats de ce style – non pas que les propos techniques n'aient pas été efficaces, mais je crois que c'est important dans le contexte actuel. Nous sortons en effet d’une négociation avec le Gouvernement qui va faire en sorte qu'il y ait un article spécifique sur la Corse dans la Constitution. Un sésame qui nous est présenté comme tel. Sauf que je peux d'ores et déjà dire que, eu égard à l'histoire qui est la nôtre, rares ont été les moments dans le passé où nous avons été confrontés à une gouvernance dont l'état d’esprit soit aussi autoritaire et aussi jacobin, qui pratique la main de fer dans un gant de velours, qui invoque le pacte girondin pour mieux avancer masquée, pour proposer des mesures de liberté qui, en fait, n'en sont pas.

 

 

Vous avez évoqué le discours du Premier ministre, hier, qui a parlé de l'outre-mer et des possibilités d’adapter les règles : rien de neuf sous les tropiques par rapport à ce que vous avez aujourd'hui dans les articles 73 et 74 de la Constitution. Pas d'affichage d’une évolution vers la fusion dans un article.

Il évoque la Corse en disant : il y aura un article spécifique, mais sous le contrôle du Parlement. Ce n'est ni plus ni moins que le statut de la Corse que nous avons depuis le 22 janvier 2002, c'est-à-dire à la possibilité de demander par délibération à pouvoir faire des propositions d'adaptation de lois et de règlements. Libre cours, donc à la décision du Parlement de savoir si on suit ou pas. La Corse a fait quarante demandes d'adaptation de lois et de règlements, sur des sujets très techniques et spécifiques. Elle a obtenu trente-huit non réponses et deux refus, par exemple l’écotaxe sur les camping-cars (il y a cinq mille kilomètres de routes sinueuses et pas d’autoroute en Corse), refusée au nom de l’égalitarisme.

Autrement dit, la proposition faite aujourd'hui pour la Corse, ce n'est ni plus ni moins que de mettre dans le marbre de la Constitution, ce qui n'a pas fonctionné. On a réfléchi, dans les conseils de la République, à la grandeur ou à la grosseur du cadenas. C'est une réalité objective cinglante.

Je voudrais faire,ici, le parallèle avec les outre-mer. En effet, un des éléments révélateurs d'un pouvoir central comme le pouvoir unitaire français, est de dire : on veut bien parler des outre-mer, mais ne mettez pas les régions et la Corse au milieu. Nous voulons bien longuement parler de votre spécificité, mais dans des réunions singulières, sinon il pourrait y avoir un effet de contagion pour les Alsaciens ou les Bretons. La manoeuvre est grossière, car les cas posés par la Corse ou par les outre-mer sont semblables, mais à des degrés d'intensité différents.

Prenons les problèmes d’indivision et de partage débattus hier au Sénat. Ils sont de même nature dans les outre-mer et en Corse. Il y a en Corse, pour des raisons de non-titrage des biens liées à l'histoire, quatre fois plus de biens indivis que dans n'importe quel autre département français. Si on appliquait le droit commun, du jour au lendemain, aujourd'hui, aux transmissions de biens en ligne indirecte, c'est-à-dire 60% d'impôts sur les valeurs des biens transmis et qu’on serait arrivé à titrer, on aboutirait à un effet de dépossession parce que les gens seraient obligés de vendre pour payer l'impôt. Sur ce point, les autonomistes ne sont pas seuls de leur avis : 100% des Corses sont dans la rue pour dire non. Nous l’avons dit et redit pendant quinze ans aux gouvernements successifs qui invoquent le sacro-saint principe de l’égalité des citoyens devant l'impôt. Là encore, c'est une manœuvre. Car la situation est différente, et on peut avoir un transfert de fiscalité différent pour restaurer l'égalité d'accès à la transmission de propriété.

Aujourd'hui, nous sommes dans une période historique. Il n’y a pas tous les jours de réforme constitutionnelle. Si on loupe ce rendez-vous, comme ce fut tant de fois le cas pour la Corse en particulier, on perd quinze ans, la société perd quinze ans. On ne s'amuse pas à demander une réforme constitutionnelle par idéologie. Les Corses ont voté à 56% pour les listes autonomistes, alors qu’il y avait quatre listes en présence au second tour de décembre 2017 ; ils ont voté pour trois députés autonomistes sur quatre en juin 2017 ; ils ont déjà voté de la même manière en 2015. C'est que, comme d'autres populations et peuples d'autres territoires, ils savent ce que veut dire l'autonomie.

L'autonomie ce n'est pas l’indépendance, contrairement à ce que certains laissent entendre, en suscitant ce mirage pour éviter le débat. L’autonomie, c'est surtout la qualification des compétences pour décider directement dans certains domaines où le pouvoir déconcentré de l'État n'est pas adapté à le faire : dans la vie sociale, économique et culturelle.

Le problème c'est que nous sommes face à une structure unitaire qui fait quatre pas en avant et cinq pas en arrière. Je le dis clairement : si l'article spécifique proposé à la Corse est celui-là, on va dire à l’administration centrale qu’on n'en veut pas. On n'en veut pas parce que c'est prendre les insulaires corses pour des imbéciles. C'est faire un délit de démocratie permanent, Le peuple a voté trois fois en deux ans. L'assemblée délibérante s’est prononcée à des majorités qui allaient au-delà de la majorité territoriale. Dans ce processus démocratique, nous essayons d'avoir en face, même en état de divergence, des partenaires fiables dans la discussion. Et nous retrouvons face à un manque de fiabilité.

Après cinq ou six réunions tenues avec Mme Gourault, chargée pour le Gouvernement du dossier de la Corse, l’administration centrale en vient à proposer l'habilitation permanente : au lieu de faire du coup par coup, on définirait dans une seule loi d’habilitation un ensemble de domaines dans lesquels la Collectivité de Corse aurait droit à adapter les lois et règlements de manière directe et pérenne. C’est la proposition faite par Mme Gourault. Mais on finit par chuter à la dernière réunion, pour revenir au coup par coup.

C'est un problème de fond, un problème politique, celui d’un État qui a peur, et qui craint, et qui renvoie aux calendes grecques la volonté des peuples. Je ne veux pas dire que la Corse est l'alpha et l'oméga des questions françaises, ce n'est pas le cas. Mais le problème posé au cours des discussions entre la Corse et le Gouvernement central relève de la même relation, quelquefois très condescendante, entre Paris et ses autres territoires.

Je rappelle que l'Association des régions de France (ARF) et l’Association des départements de France (ADF) sont vent debout, dans la Conférence des territoires, sur les questions des contrats de plan et du droit à la différenciation. L’ARF est très solidaire de la Corse au sujet de l’insertion d’un article spécifique dans la Constitution.

 

Donc, ce qui pose problème, ce n'est pas seulement le rapport de la Corse à Paris, c’est le rapport des outre-mer et de chacun des territoires à Paris. C'est une relation de vis-à-vis faussée. Ce qui compte aujourd’hui, c'est de savoir si cet État va continuer à avoir peur et donc à fabriquer des fossés et des murs, alors qu'il est temps de fabriquer des ponts. La demande de la Corse est une demande de partenariat, pas une demande de séparation. Mais s'ils continuent à faire comme ça, ils fabriqueront des indépendantistes.

Le Président de la République Emmanuel Macron est arrivé en Corse avec un discours qui a été vécu par la société corse toute entière, quelles que soient les opinions, comme un discours très violent, parce qu’il parlait de restaurer l’autorité. Peu de temps auparavant, on avait abandonné Notre-Dame-des-Landes ; il fallait donc, à l'occasion d'un voyage qui arrivait quelques jours après, montrer aux Corses ce qu’était l'autorité de l'État. Il a parlé pour la société française, pour l’opinion, et pas pour les Corses, ce qui est mal. Et il a dit aussi quelque chose de très grave : selon lui, ce qui s'est passé en Corse en décembre 2017 était un vote d’élections locales, de gestion. Des élections de souveraineté, des élections locales ! Autrement dit, les élus corses n'ont pas été élus pour poser un problème de réforme constitutionnelle ; ils ont été élus pour gérer les déchets, mais pas pour parler de questions de souveraineté. Il a totalement relativisé trente-cinq ans de décentralisation. Non seulement on ne peut pas avancer, mais on relativise même l’esprit des lois de décentralisation.

Nous, on vit tous les jours les manquements à la loi du 22 janvier 2002 concernant la Corse. Plusieurs dispositions issues de ce statut, comme la consultation du président du conseil exécutif corse par le Gouvernement au sujet de la carte scolaire ou encore, la consultation systématique de la Corse sur les projets de loi qui la concernent, ne sont pas respectées.

En réalité, aujourd’hui, cette République a peur, elle avance avec des craintes, et veut se rassurer en donnant au préfet des pouvoirs qui concurrencent les compétences du territoire. On le vit chez nous mais je pense que vous le vivez chez vous : le pouvoir déconcentré vient en concurrence du pouvoir décentralisé. Or, en démocratie, l'élu du peuple est plus légitime qu'un technicien, quelles que soient les compétences du technicien. Si l’on ne respecte pas cet ordre des choses, la démocratie elle-même est bafouée.

Nous pensons – je parle ici, aussi, au nom de Gilles Simeoni – qu'il est peut-être utile que pour les collectivités à statut particulier, et je mets dans cette catégorie l'ensemble des territoires qui ont des spécificités objectives à faire valoir (insularité, relief, éloignement, attachement à la terre, langue, identité, etc.), la résolution des problèmes liés à ces spécificités soit abordée avec le même prisme de méthode, avec toutefois des mécanismes juridiques différents.

 

Le débat constitutionnel ne doit pas être le débat de la Corse face à Paris, ni celui des outre-mer face à Paris. La fusion des articles 73 et 74 de la Constitution n’ira pas de soi s'il n'y a pas une mobilisation politique un peu importante face à cette gouvernance – je le souhaite, tout en n’y croyant pas trop.

Nous pensons qu'il est peut-être temps de lancer le débat politique du rapport de la République à ses territoires, et celui du droit à la différenciation inscrit à l’article 72, qui est tellement encadré qu’il semble être un leurre : au regard de la tradition unitaire, il parait une révolution ; pour l’efficacité des politiques publiques, il aura un effet proche de zéro

Victorin LUREL

J'ai écouté avec attention le député Aquaviva, je partage beaucoup ce qu'il a pu dire. La Guadeloupe a été la première région à avoir utilisé la procédure d’habilitation. A l'expérience, il apparaît qu’elle coûte cher, car l'État ne donne pas un centime à la région. L'État a objectivement intérêt à donner des habilitations, parce que ce ne sont pas des transferts de compétences et qu’elles ne sont donc accompagnées d’aucun transfert de ressources. Par exemple, lorsqu'on a fait la réglementation thermique des constructions, on a dépensé à peu près 5 millions d'euros, l'État zéro euro.

C’est pourquoi nous proposons d’insérer un dernier alinéa à l’article 72 de la Constitution qui préciserait alors : « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les départements, les régions ou les collectivités à statut particulier peuvent déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences ». C’est pourquoi nous souhaitons que ces transferts soient accompagnés de ressources équivalentes. Actuellement, l'expérimentation est provisoire et a un objet limité. Il faut désormais un régime d’habilitation permanente, et amélioré.

En tant que parlementaire, je soutiendrai la demande d'un article spécifique à la Corse dans la Constitution.

 

 

 

 

 

 


—  1  —

   theme n°2 : L’amendement Virapoullé en question

 

 

Huguette BELLO

Députée de La Réunion

Les conditions historiques et politiques du débat de 2003 au regard de la réforme constitutionnelle

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Au moment où la réforme des institutions, revient sur le devant de la scène, la rencontre de ce matin revêt évidemment un caractère particulier. Je salue d'autant plus l'initiative de la Délégation aux outre-mer qu'il m'a toujours semblé que les évolutions inédites du droit des outre-mer et les différentes perspectives dont il est porteur méritaient une plus grande attention – au point qu'il m'est apparu utile de consacrer, en 2016, toute une partie de mon rapport budgétaire aux « 70 ans de l'article 73 ».

1946, 1958, 2003 : l'article 73 de la Constitution a connu trois rédactions et deux phases bien distinctes.

Dans le droit fil de la départementalisation, le principe de l'identité législative a été rigoureusement appliqué dans ses deux premières versions, comme dans l'interprétation très stricte du Conseil constitutionnel. La jurisprudence n'est certes pas abondante mais on se souvient tous de celle du 2 décembre 1982 relative à l'instauration d'une assemblée délibérante commune au département et à la région, autrement dit à l'assemblée unique.

La deuxième phase débute avec la réforme constitutionnelle de 2003, dont pas moins de trois articles sur neuf concernent les collectivités d'outre-mer. La révision de 2003 traduit dans le texte fondamental les nombreuses déclarations, débats et prises de conscience qui ont ressurgi durant la décennie 90 et ont convergé pour appeler à nouveau à une plus grande, à une meilleure adaptation des politiques publiques aux réalités locales. Durant ces années, dans nos territoires mais aussi au plus haut sommet de l'État, les expressions « statuts différenciés », « statuts sur mesure »,  « fin du prêt-à-porter » sont de plus en plus usitées par l'ensemble de l'échiquier politique et finissent par s'imposer.

L'article 73 est alors profondément bouleversé. Au point que pour certains juristes, il s'agit d'une même enveloppe pour un contenu différent.

 

 

De ce bouleversement, je retiendrai trois innovations majeures. Je vous propose de les présenter rapidement en suivant l'ordre dans lequel elles apparaissent dans l'article 73 lui-même et en soulignant, à chaque fois, leur champ d'application.

-       Les alinéas 1 et 2 renferment la première innovation. Certes ils confirment le maintien du principe de l'identité législative puisque les lois et règlements sont toujours applicables de plein droit. Mais non seulement – et s'inspirant en cela du droit communautaire – les adaptations recouvrent désormais un champ plus large, mais elles pourront relever également d'une initiative locale et plus précisément d'une collectivité dans ses domaines de compétence. C'est la décentralisation du pouvoir d'adaptation. Encadrée par le préalable d'une habilitation, cette première innovation ne souffre d'aucune dérogation. Elle s'applique à La Réunion. Mais jusqu'ici aucune des collectivités n'a eu recours à cette faculté.

-       La deuxième innovation se trouve dans les alinéas 3 et 4 de l'article 73. C'est l'innovation majeure. C'est aussi la seule qui ne s'applique pas à La Réunion. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et Mayotte peuvent désormais fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, y compris dans les domaines relevant de la loi, à l'exception des compétences régaliennes. Autrement dit, ces collectivités n’ont plus seulement la possibilité d'adapter les règles dans leur domaine de compétence, mais elles peuvent créer des normes dans les domaines relevant de l'État. Il s'agit d'une véritable décentralisation normative.

Après une mise en route assez lente, en raison notamment de l'adoption tardive de la loi organique du 21 février 2007 et des conditions pour le moins rigides qu'elle prévoit, la première habilitation est accordée à la Guadeloupe en 2009, en vue de l'adoption d'une réglementation thermique spécifique. Elle inaugure une longue série d'habilitations toujours plus nombreuses. Il est vrai aussi que depuis 2011, la procédure, plus souple et plus adaptée au temps politique, a beaucoup simplifié les choses. Les demandes des assemblées locales se comptent désormais par dizaines avec trois domaines de prédilection : l'énergie, la formation professionnelle et les transports.

Cette dérogation importante au principe d'assimilation législative ne s'applique donc pas à La Réunion. Et je crois utile de revenir sur le contexte dans lequel cet alinéa 5, qui en quelque sorte déroge à la dérogation, a été adopté. Il peut nous donner les clés pour sa suppression. Privilège de l'ancienneté, j'ai vécu ces moments-là en tant que députée.

 

Il faut d'abord souligner que le projet de réforme constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, présenté par le Gouvernement ne prévoyait aucune exception. Dans sa version initiale, l'article 8, qui réécrit l'article 73, s'applique à toutes les collectivités.

Le texte est d'abord discuté au Sénat. Et c'est lors de ces débats qu'un amendement n°85 rectifié est présenté par M. Virapoullé, Mme Payet, M. Hyest et les membres du Groupe de l'Union centriste. Il s'agit, selon les auteurs, de « verrouiller La Réunion dans le statut de l'article 73 ».

Vous savez, on parle beaucoup de ce verrou. L'amendement est adopté avec un avis de sagesse du Gouvernement. Mais qui a suivi les débats sait que cette chute « sagesse » recouvre en réalité une incompréhension, voire une opposition qui s'exprime par la voix de Brigitte Girardin alors ministre des outre‑mer.

Je peux vous donner des extraits : « Le Gouvernement considère qu'une telle exclusion de la Constitution pourrait s’avérer, un jour, préjudiciable aux intérêts de La Réunion (…). Que cet amendement peut être une source de rigidité un peu excessive ».

Elle rappelle qu'il s'agit « d'une simple possibilité de fixer les règles, à la demande de La Réunion (et non pas celle de l'État) dans un nombre limité de matière et ce, pour répondre à une situation spécifique ».

De guerre lasse, la Ministre va même prendre un exemple concret : celui du volcan en activité en expliquant qu'un jour peut-être les « Réunionnais souhaiteront mettre en place une réglementation spécifique en matière d'environnement ou d'aménagement du territoire lié à ces éruptions volcaniques ».

Tout ça, en vain. Le texte arrive donc à l'Assemblée nationale avec cette disposition. Je rappelle que nous sommes en 2003. Jacques Chirac est Président de la République et une majorité de droite siège à l'Assemblée nationale. Ce qui n'empêche pas notre commission des lois d’alors d'adopter un amendement pour supprimer « l'amendement Virapoullé ».

Mais à quelques jours du débat, la droite réunionnaise, par la voix du président du conseil général, annonce publiquement le retrait de l'amendement de suppression. Ce que fera, en effet, le rapporteur du texte, juste avant la séance publique.

On le voit, la droite réunionnaise réussit à faire voter son amendement, mais sa position est minoritaire au sein de sa famille politique au niveau national. En fait, elle est seule à défendre l'exclusion de La Réunion de cette avancée majeure qui, on le constate quinze ans plus tard, n'a donné lieu, en aucun endroit, aux désordres et aux ruptures, alors tant redoutés.

La République n'a jamais tremblé. Les appréhensions et les arguments de la droite réunionnaise sont connus : refus de l'autonomie, refus de l'auto‑dérogation, refus de l'article 74.

Pour elle, l'adaptation élargie, mais aussi l'expérimentation législative de droit commun à l'initiative des collectivités locales prévue par le quatrième alinéa de l'article 72, sont suffisantes pour que puissent être prises en compte les spécificités.

Sauf que cette troisième faculté normative (que constitue l'expérimentation) est strictement encadrée et ne peut être maintenue qu'au prix d'une généralisation (c'est l'exemple du RSA). Enfin, cette faculté n'a guère, non plus, été sollicitée par les collectivités régies par l'article 73, y compris La Réunion.

La révision constitutionnelle de 2003 comporte une troisième innovation, celle qui prévoit des évolutions institutionnelles différenciées.

D'une part, avec le septième et dernier alinéa de l'article 73 selon lequel peuvent être créées, en lieu et place d'un département et d'une région d'outre-mer, une collectivité ou une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités.

D'autre part, avec l'article 72-4 qui fixe des conditions pour le passage d'une collectivité d'un statut à un autre, de l'article 73 à l'article 74. Certes ces passages ont déjà eu lieu dans les faits (Saint-Pierre-et-Miquelon en 1976 et en 1985), mais avec ce nouvel article, cette possibilité est à présent inscrite dans la Constitution.

Dans les deux cas, et contrairement aux collectivités de l'article 72, la consultation des populations concernées est obligatoire. Cette exigence est nouvelle.

Dans les deux cas, le consentement des électeurs de la collectivité concernée est requis. Sous cette garantie démocratique et capitale, depuis 2003, neuf consultations ont été organisées avec quatre réponses négatives et cinq réponses positives.

De fait, les scénarios qui se sont déroulés entre 2003 et 2010 ont abouti à un éventail institutionnel très large et ont ébranlé la distinction constitutionnelle binaire qui organisait les collectivités d'outre-mer.

Il est d'ailleurs significatif que, suite à ces consultations, trois des cinq collectivités de l'article 73 ne soient plus des départements à proprement parler. La Guyane et la Martinique sont des « collectivités territoriales uniques » et Mayotte est une collectivité à statut particulier exerçant à la fois des compétences régionales et des compétences départementales.

 

 

Ces deux dispositions relatives aux évolutions institutionnelles et statutaires (72-4 et 73 alinéa 7) s'appliquent à La Réunion. Contre toute logique, les opposants à la délégation d'un pouvoir normatif n'ont pas « verrouillé » les institutions. Rien ne s'oppose en effet à ce que les Réunionnais soient consultés pour la création d'une assemblée ou d'une collectivité unique, ou encore pour un passage vers l'article 74.

Le Conseil constitutionnel est limpide sur ce point : la dérogation de l'alinéa 5 ne concerne que les 3ème et 4ème alinéas. Et l'emploi des termes « région et département de La Réunion » ne constituent en rien le rempart que certains voudraient y déceler.

Pour conclure, deux points : l'alinéa 5 de l'article 73 n'a plus guère de défenseurs à La Réunion et il apparaît de plus en plus que cette disposition est source de blocage et de regrets. Sa suppression sera d'autant plus la bienvenue que la loi a fortiori constitutionnelle ne peut durablement se situer à contre-courant des potentialités d'un territoire, des possibilités de ses citoyens et des nouvelles perspectives de l'article 349 du traité de l'Union européenne, ouvertes par l'arrêt de la Cour de Justice européenne du 15 décembre 2015. Ericka Bareigts se chargera de nous éclairer sur l'urgence d'en finir avec l’article 73 alinéa 5.

Plus souple, plus novateur et plus diversifié, le droit des outre-mer se trouve désormais souvent à l'avant-garde. Il saura certainement inspirer, voire faire une place au concept émergeant de la différenciation. Ce qui suppose, dans un cas comme dans l'autre, qu’il ne soit pas relégué à la périphérie des réformes en cours. Je vous remercie.

 

 


Ericka BAREIGTS

députée de La Réunion,

ancienne ministre des outre-mer

 

Pour la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution

Je me réjouis de l’initiative du président de la Délégation aux outre-mer, qui nous permet de nous réunir aujourd'hui pour pouvoir échanger sur différents sujets, notamment sur la suppression d’un alinéa 5 qui, on l'a bien compris par la voix d'Huguette Bello, nous gêne énormément.

J'ai bien compris, en abordant ce sujet de la suppression de l'alinéa 5 de l'article 73, que La Réunion se faisait remarquer encore une fois, et pas dans un sens très positif. C'est une incongruité de l'histoire, au moment où le débat porte sur l'évolution des articles 73 et 74 de la Constitution ou l’inscription dans la Constitution d’un article relatif à la Corse, que nous soyons en train de nous battre pour essayer de supprimer un alinéa qui n'a jamais eu de raison d'être. Qui s'oppose à la suppression aujourd'hui ? Pas nous, en tout cas. Je pense qu'aujourd'hui à La Réunion cette demande de suppression fait largement écho dans la population.

Dès le départ, dès la loi de départementalisation et les débats auxquels elle a donné lieu, la question de l'adaptation était déjà posée. Mais il y avait une espèce d'urgence à passer du régime colonial au statut départemental. Léon de Lépervanche, qui a participé à ces débats, disait que l'assimilation totale, du point de vue de la réglementation administrative, pouvait présenter quelques nocivités, qu’une certaine adaptation des réglementations applicables pouvait s'imposer mais qu’elle pouvait être l'œuvre de la future Assemblée nationale. L'œuvre de la future Assemblée nationale, ce furent les réformes successives de 2003, de 2008 et de 2011 ; pour La Réunion ce sera peut-être 2018.

Dès 1946, les pères fondateurs ont voulu l’adaptation. Mais finalement ils ont été embarqués par le débat sur le changement de régime entre le système colonial et le régime de département.

C'est important d’avoir ce fait en tête parce que je pense qu'à elle seule cette raison montre que nous ne pouvons plus accepter d'être traités dans l'exception par rapport à l’adaptation. Huguette Bello le disait très bien, en relisant les débats au Sénat. « Débats » est peut-être un bien grand mot, parce que la ministre de l’époque voulait à toute force faire comprendre que La Réunion avait vraiment intérêt à ne pas s'exclure de cette possibilité d'adaptation. Mais elle n'a pas trouvé d’écho. Les sénateurs et les sénatrices ont refusé d'admettre qu'il n'y avait pas de bonnes raisons à la proposition du sénateur Virapoullé, appuyé par la sénatrice Anne-Marie Payet, qui a tenu à ce que la possibilité d’adaptation du droit prévue par la réforme ne s’applique pas à La Réunion.

Deuxième remarque : de mauvaises raisons, des raisons qui n'étaient pas légitimes, ont été invoquées au cours de ces débats. D'abord quand on relit ce que disait le sénateur Virapoullé, on constate que ses propos traduisent un engagement qu'il avait pris pendant sa campagne des sénatoriales : défendre La Réunion dans son statut actuel, « verrouiller » La Réunion dans le statut de l'article 73 de la Constitution. En effet, il considérait qu’en allant dans l'adaptation, on pouvait aller vers l'autonomie, voire l'indépendance. Mais, constitutionnellement, ça n'est pas possible. D'une part, la Constitution exige la consultation de la population. D'autre part, l'histoire a montré que les départements, Guadeloupe, Martinique et Guyane, qui ont exercé le droit d'adaptation, l'ont fait sans avoir de velléités de changer leur statut. Enfin, l'alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution n’élimine pas la possibilité de consulter les populations pour un changement de statut. Donc, il n'y avait aucun lien de cause à effet entre adaptation des normes et changement de statut, de sorte que le raisonnement de M. Virapoullé ne tient pas.

Ensuite, l’alinéa 5 va à contresens de l'histoire constitutionnelle française (2003 et 2008), et même à contresens de la démarche européenne puisque l'Europe, de façon constante, continue, par les traités européens, par la jurisprudence (c'est l'arrêt Mayotte de 2015), confirme que les outre-mer, du fait de leur handicap structurel, de leur éloignement, de leur insularité, de leur petite superficie, de leurs reliefs, de leurs climats difficiles, de leur dépendance économique, etc, doivent avoir la capacité de procéder à des adaptations afin d’assurer leur développement économique.

L’alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution, de manière indirecte, fait un procès d'incompétence aux élus réunionnais. Ce que les autres peuvent faire en conscience, en responsabilité, les élus réunionnais sont incapables de le faire, avec cet alinéa. Et cela est très grave. Nous ne l'acceptons pas, nous ne l'acceptons plus. Nous ne voulons pas que cette aberration de l'histoire soit maintenue.

L’expérience de la Guadeloupe et de la Martinique nous apprend que dans de nombreux domaines, nous pouvons avoir cette opportunité de définir des politiques publiques singulières sur notre territoire (la formation professionnelle, l'environnement, etc.). Je pense que la biodiversité ou encore les mouvements démographiques sont des enjeux qui peuvent être abordés avec cette capacité d'adaptation que certains territoires ont aujourd'hui et que nous, Réunionnais, souhaitons avoir demain.

On a l'impression que la suppression de cet alinéa serait l'alpha et l'oméga ou encore la solution à nos problèmes. Je ne pense pas que ça soit le cas. Mais, la suppression donne bien au territoire réunionnais, au même titre qu’aux autres territoires régis par l’article 73 de la Constitution, la capacité de faire des adaptations utiles de la réglementation.

 

La révision constitutionnelle a pour but décl aré de rendre la procédure plus adaptée, plus souple, et plus simple. Il faudrait aussi poser la question du rôle des services de l'État. L'État doit participer, avec ses moyens propres, à cette capacité d'adaptation, et non pas se situer en spectateur ou en position de retrait. En effet, à traves les adaptations réglementaires et législatives, nous participons très certainement à rendre beaucoup plus efficaces les politiques publiques de territoires ultramarins qui sont des territoires français. Rendre plus efficaces les politiques publiques sur des territoires français, cela veut dire permettre à la France, globalement, de bénéficier, demain, de véritables politiques publiques efficaces, de populations qui vivraient mieux dans leur environnement, plus épanouis, plus en capacité de développer leur territoire. Cela apporterait des réponses à nos difficultés d'illettrisme, de non-maîtrise de la langue française ; cela apporterait des réponses économiques et offrirait à nos insularités une protection face aux enjeux climatiques qui sont pour nous vitaux.

J’éprouve un sentiment bizarre en étant là pour parler de ce sujet de l’amendement Virapoullé qui devient tellement secondaire au moment où l’on débat de questions institutionnelles tellement plus importantes, plus globales, plus fondamentales. Huguette Bello et moi-même, nous en sommes à défendre quelque chose qui nous paraît tellement évident aujourd'hui. Je voudrais m'adresser aux parlementaires présents pour leur dire que ce sujet est un non-sujet, pour leur demander de nous faire le plaisir de ne pas même se poser la question de savoir s’il faut ou non supprimer cet alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution. Il faut le supprimer, cet alinéa qui porte atteinte à notre dignité d’élus, pour que nous puissions nous projeter nous aussi dans des discussions plus larges, plus globalisantes, plus fortes, qui se posent aujourd'hui. C'est une véritable opportunité pour nous.


 

Débat sur les exposés de Mmes Huguette Bello et Ericka Bareigts

Jean-Michel GROVEN

En termes historiques, Mme Bello a tout à fait raison sur l'opposition de Brigitte Girardin à l'époque, mais elle oublie de dire que c'est le Président de la République, Jacques Chirac, qui a donné raison à Jean-Paul Virapoullé.

Mme Bello déclare également qu’à La Réunion, tout le monde est contre « l’amendement Virapoullé ». Il faut savoir que deux années avant, en 2001, il y avait eu ce qu'on appelle la bataille de la bi-départementalisation. Tout le monde disait que Jean-Paul Virapoullé était également seul contre tout le monde, que le sujet n’intéressait pas la population et donc que la bi-départementalisation se ferait. Il y a eu la plus grande manifestation de l'histoire moderne de La Réunion contre cette volonté de couper le département en deux. Ensuite on a gagné 20 communes sur 24 : dire que la population n’était pas intéressée par le débat institutionnel n’est pas exact.

 

Mme Bareigts évoque le sens de l'histoire : comme tout le monde je me souviens qu'il y a trente ans le sens de l'histoire c'était le communisme, et, aux Antilles, l'indépendance. Aujourd'hui La Réunion est le seul département où il n’y a plus de débat institutionnel du tout. Peut-être y a-t-il un rapport avec l'amendement Virapoullé.

On a parlé de dignité des élus réunionnais, qu'on supposerait être incompétents. Je pose la question à Mme Bello qui appartenait à la majorité du Conseil régional, entre février 2007 et 2010 : vous aviez la possibilité, selon l'alinéa 2 de l’article 73 de la Constitution de faire des adaptations législatives réglementaires, mais vous n'avez rien proposé. Est-ce faire, là aussi un procès en incompétence ?

Ericka BAREIGTS

Vous parlez de sens de l'histoire, en revenant sur le communisme, l'indépendance, l'autonomie etc, excusez-moi de vous le dire comme ça mais vous êtes plutôt figé dans l'histoire. Le débat ne se pose pas du tout en ces termes. Je n’ai jamais dit que la population n'était pas intéressée par les débats institutionnels, elle l’est, mais pas dans cet enfermement qui nous a empêchés de prendre la dimension de nos responsabilités pendant ces dernières années. On nous a enfermés dans une espèce de débat entre les bons et les mauvais, entre ceux qui défendaient l'autonomie et l'indépendance et ceux qui défendaient la départementalisation. Ce débat est vieux, trop vieux et il a été source d’empêchement.

Le débat d’aujourd'hui est porté par des jeunes gens et des jeunes filles qui ont connu autre chose que nous, qui côtoient le monde et comprennent bien que nos territoires ultramarins, naguère considérés comme souvent la périphérie, sont au cœur des mouvements de mondialisation et en sont même le cœur battant. En conséquence, ces jeunes se demandent comment nos territoires pourraient y prendre toute leur place, comment raccourcir les échelles de décision, comment participer aux décisions nationales. Pour prendre toute notre place, il faut se poser la question de la responsabilité, qui ne veut pas forcément dire l'indépendance.

Nous devons sortir de ces débats qui sont trop vieux pour passer à des débats plus modernes et plus réels. J’espère que cette République prendra conscience qu'elle est une et indivisible, très certainement, mais qu'elle est diverse, d’une diversité qui n'est pas à folkloriser. On doit donner toute sa dimension, toute son épaisseur à la dimension multiculturelle et diverse de la République.

Jean-Michel GROVEN

Je n’ai pas eu de réponse à ma question : pourquoi n'avez-vous rien fait lorsque vous aviez la possibilité de le faire ? Je voudrais également faire remarquer que les Antilles et la Guyane, qui ont la possibilité de faire des adaptations hors de leur domaine de compétence, l'ont utilisée de manière extrêmement modérée.

On préconise la fusion des articles 73 et 74 de la Constitution : que dit-on aux gens qui veulent rester dans la France ?

Par ailleurs, l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution permet la coexistence d’un département et d’une région, une chose importante à La Réunion.

La Réunion est le seul département où le débat institutionnel est apaisé. Pourquoi le rouvrir aujourd’hui, et pour aller où ? Déjà lorsqu’il y a des possibilités d’adaptation, on ne les utilise pas. Quelle est l’utilité à terme de la démarche ? La guerre civile ?

Thierry ROBERT

Député de La Réunion

L’article 73, alinéa 5 de la Constitution a surtout été un combat politique entre la droite et la gauche, qui traduisait à l’époque, on le savait très bien, une opposition frontale entre Jean-Paul Virapoullé d'un côté, et Paul Vergès de l'autre.

Aujourd'hui en 2018, ces combats-là sont derrière nous. Ils relèvent d'un autre temps. Qu'on le veuille ou non, à La Réunion, comme dans les outre-mer en général, il y a des spécificités par rapport au national mais aussi par rapport aux autres territoires ultramarins. Dans la mesure où, au niveau national, on raisonne surtout d’un point de vue parisien, il faut absolument pouvoir procéder à des adaptations depuis les territoires. Partant de là, je pense que nous devons plutôt maintenant nous unir et cesser de nous battre systématiquement et régulièrement. Dans le cadre de la révision de la Constitution, il faut unir nos forces pour obtenir, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution. Ainsi, La Réunion pourra véritablement être sur une nouvelle dynamique, un nouveau souffle, et nous pourrons lutter contre les maux qui nous touchent actuellement.

Ericka BAREIGTS

L'alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution exclut uniquement La Réunion de la capacité d'adaptation des lois et règlements. Tout le reste est possible pour La Réunion comme pour les autres territoires. Nous pouvons, nous aussi, demander, selon la procédure constitutionnelle convenable, toute évolution institutionnelle, mais ce n'est pas la question d’aujourd'hui.

Huguette BELLO

L’article 73 de la Constitution dispose : « Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être précisée et complétée par une loi organique. La disposition prévue aux deux précédents alinéas n'est pas applicable au département et à la région de La Réunion ».

Près de trente habilitations ont été demandées par la Guadeloupe et par la Martinique. La procédure fonctionne et pour autant, la République n'a pas tremblé. Elle ne tremble pas. Ce qui est blessant, c'est que des juristes disent ensuite que l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution fait des Réunionnais des incapables majeurs.

 

 

 

 


—  1  —

   theme n°3 : Une place singulière dans la République :

   la Nouvelle-Calédonie

Les termes actuels du débat calédonien

Gérard POADJA

Sénateur de la Nouvelle-Calédonie

En vous adressant les salutations chaleureuses de la Nouvelle Calédonie, je voudrais en quelques mots vous exposer la situation de notre pays aujourd’hui.

La Nouvelle-Calédonie est engagée depuis près de trente ans dans un processus irréversible d'émancipation et de décolonisation.

Il trouve ses racines dans ce jour du 24 septembre 1853, où la France a pris unilatéralement possession de l'archipel, alors même qu'un peuple autochtone, porteur d'une civilisation millénaire, y vivait enraciné dans son espace et dans son organisation sociale, dans ses clans, coutumes, langues, croyances, rites et traditions.

La colonisation portait en elle la négation de l'identité kanak, dont les populations ont été, selon les termes mêmes de l'accord de Nouméa, « marginalisées aux frontières géographiques, économiques et politiques de leur propre pays ».

Au fil du temps et de l'histoire, la Nouvelle-Calédonie, terre d'expiation pour les uns et d'espoir pour les autres, a accueilli les hommes et les femmes venus d'Asie, d'Océanie et d'Europe, qui ont apporté une contribution majeure à « l'aménagement de la Nouvelle-Calédonie ainsi que sa mise en valeur minière et agricole ».

Ces nouvelles populations ont acquis, par leur participation à la reconstruction du pays, une légitimité à vivre en Nouvelle-Calédonie et à décider de son avenir.

Toutes ces populations vont se croiser, se heurter, combattre ensemble lors des conflits mondiaux, se métisser, entremêlant leurs cultures par le sang, la sueur, la spiritualité, la fraternité parfois, dans la quête d'une vie meilleure.

Mais ce choc de civilisation ne laissa pas indemne le peuple Kanak, qui s'insurgea dès 1878 et tout au long du XXème siècle, jusqu'aux « événements » des années 1980, jusqu'au terrible drame d'Ouvéa en 1988.

Telles sont les « ombres et lumières » de la période coloniale, mises en exergue par cette belle formule de l'accord Nouméa.

 

La lutte du peuple autochtone aboutit, au plan international, le 2 décembre 1986, à la réinscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires non‑autonomes de l'organisation des Nations unies (ONU).

Depuis lors, par les accords de Matignon-Oudinot du 26 juin 1988 et l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, la Nouvelle-Calédonie s'est engagée dans un processus négocié puis constitutionnalisé, de décolonisation et d'émancipation au sein de la République française, qui a permis aux Calédoniens de « tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble les pages de paix (…) ».

Une paix que l'on a pu tisser grâce à deux hommes d'exception, que je salue encore une fois ici, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, qui ont su se serrer la main au lendemain du terrible drame d'Ouvéa.

La pleine reconnaissance de l'identité kanak et de la légitimité des autres communautés, le principe de rééquilibrage, l'exercice partagé des responsabilités institutionnelles, la création d'une citoyenneté calédonienne, l'insertion du territoire dans son environnement régional, le transfert progressif des compétences de l'État à la Nouvelle-Calédonie et l'affirmation d'un destin commun pour les Calédoniens de toutes les communautés en constituent les principaux fondements.

Le droit à l'autodétermination, poteau central du processus, a été reconnu au peuple calédonien.

Ce droit à l'autodétermination a refondé de manière durable les relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie et a permis l'organisation d'un « partage de souveraineté », puisque la Nouvelle-Calédonie exerce aujourd'hui la quasi‑totalité des compétences d'un État.

En effet, c'est au travers du dialogue et de la paix retrouvée que la Nouvelle-Calédonie a su se transformer de manière significative au sein de la République. Le dialogue nous a amenés à imaginer un nouveau système institutionnel propre à notre culture de consensus. Il nous a amené à « institutionnaliser », dès 1988, notre volonté de corriger les maux de la colonisation. C’est le dernier acte du processus de rééquilibrage politique, économique et culturelle du peuple kanak, jusque-là marginalisé.

L'accord de Nouméa, lui, instaure le gouvernement de la Nouvelle‑Calédonie qui exprime, de par son organisation collégiale, cette référence culturelle au dialogue. Il accueille en son sein, une représentation de toutes les forces politiques présentes au congrès de la Nouvelle-Calédonie, organe législatif du pays. Le sénat coutumier, organe consultatif, accompagne les institutions publiques dans la mise en oeuvre de politiques s’intéressant à l'identité kanak.

Depuis 1998, les compétences de l'État ont été transférées progressivement à la Nouvelle-Calédonie, qui peut légiférer via le Congrès et les faire appliquer à travers l'action du gouvernement. À ce jour, seules les compétences régaliennes restent assumées par l'État. Néanmoins, la Nouvelle-Calédonie joue un rôle important dans l'exercice de ces compétences régaliennes et notamment dans l'exercice de la diplomatie régionale.

La Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de commerce extérieur et de relations régionales, ce qui lui permet de porter ses intérêts régionaux directement auprès de ses pays voisins de l'arc mélanésien, et plus généralement de la zone Pacifique. Nous pouvons, grâce au concours de l'État, y promouvoir la coopération culturelle et économique, ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique, qui nous touche tous sans distinction. Nous pouvons effectivement agir pour l'intégration régionale de la Nouvelle-Calédonie dans son environnement géographique et culturel.

La Nouvelle-Calédonie est donc un modèle unique, comme en atteste l'article 77 de la Constitution qui, depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, en fait une collectivité sui generis, bénéficiant d'institutions et de dispositions spécifiques.

Elle bénéficie d'un début d’autonomie politique et le transfert de compétences à son bénéfice devient significatif. Dès lors, l'ensemble des mesures constitutionnelles et législatives, d’ores et déjà prises ou attendues, soulèvent depuis les Accords de Matignon la question du statut juridique de la Nouvelle-Calédonie.

Le dialogue, valeur primordiale au sein de la culture kanak et océanienne, a surtout permis de modifier le rapport entre les Calédoniens eux-mêmes. Désormais, peuple d'origine et peuples d'ailleurs constituent un seul et même peuple, le peuple calédonien, peuple de toutes les couleurs et de toutes les cultures qui, par les hasards de l'histoire du monde, est en train de se construire dans une petite île du Pacifique en Mélanésie.

Pour la première fois depuis les Accords, le 4 novembre 2018, les Calédoniens exerceront ce droit à l'autodétermination, en répondant à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». C'est ce libellé qui a fait l'objet d'un compromis entre les différentes formations politiques lors du comité des signataires de l'Accord de Nouméa du 27 mars dernier, qui s'est tenu sous la présidence du Premier ministre Édouard Philippe.

Si une majorité de la population intéressée choisit la pleine souveraineté, la Nouvelle-Calédonie deviendra un État indépendant, disposant d'un statut international de pleine responsabilité, exerçant les compétences régaliennes, et ayant transformé sa citoyenneté en nationalité.

Si une majorité de la population intéressée choisit de demeurer au sein de la République française, le droit à l'autodétermination continuera à s'exercer, dans le cadre fixé par l'Accord de Nouméa, deux référendums supplémentaires pourront être organisés à la demande d'un tiers des membres du congrès, au plus tôt en 2020 pour le deuxième et en 2022 pour le troisième.

Dans cette hypothèse d'un ou plusieurs non à l'indépendance, l'irréversibilité de l'organisation politique du pays et constitutionnellement garantie. Elle restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière.

Après trois « non » à l'indépendance, l'Accord de Nouméa prévoit de manière laconique, je le cite : « Les partenaires se réunissent pour examiner la situation ainsi créée ».

Cette situation est hautement probable si l'on se réfère au résultat des élections provinciales lors desquelles les listes non indépendantistes rassemblent 60% des suffrages.

Cette consultation sur l'accession du pays à la pleine souveraineté porte en elle un vice originel : elle réduit de manière frontale les Calédoniens à ce qui les oppose, avec les risques de tensions ethniques, politiques et sociales qui en découlent.

Comment, dès lors, poursuivre l'oœuvre de réconciliation et de paix de ceux qui nous ont précédés, tout en respectant cette échéance prévue par l'Accord de Nouméa ?

C'est pourquoi, en conscience, la formation politique à laquelle j'appartiens, Calédonie ensemble, a proposé d'adopter avant le référendum – indépendantistes et non indépendantistes – une déclaration solennelle sur ce qui constitue le patrimoine commun de tous les Calédoniens.

Cette déclaration solennelle nous permettra de sceller nos convergences sur le destin commun afin d'assumer plus sereinement nos divergences sur l'avenir du pays lors du référendum.

Une déclaration sur ce qui fait notre ciment, nos acquis de ces trente dernières années, parmi lesquels le processus de décolonisation et d'émancipation qui est le nôtre, ces valeurs calédoniennes qui nous lient, des valeurs métisses, véritable melting pot de valeurs républicaines, Kanak, océaniennes et chrétiennes, des institutions singulières à l'échelle de la République et du monde, des mémoires heurtées qui deviennent au fil du temps une mémoire commune, et tout ce qui fait que l'on se sent calédonien. Je vous remercie.

 


Le cadre juridique de la question statutaire en Nouvelle-Calédonie

Léa HAVARD

Maître de conférences en droit public,

Université de Bordeaux

Madame la ministre, mesdames et messieurs les parlementaires, mesdames, messieurs, je suis ravie d'être présente ici et je tiens à remercier très sincèrement le président de la délégation aux outre-mer de m'avoir invité à participer à ce colloque.

Faire une intervention sur la Nouvelle-Calédonie dans le cadre d'un colloque qui porte sur la réforme constitutionnelle et les collectivités d'outre-mer ne va pas forcément de soi : en effet, la Nouvelle-Calédonie n'est a priori pas concernée par la réforme constitutionnelle envisagée et, d'un point de vue strictement juridique, elle n'est pas une collectivité d'outre-mer.

Pourtant, il suffit de dépasser cette présentation de juriste un peu bornée afin de montrer en quoi la Nouvelle-Calédonie cristallise en fait de façon assez remarquable, la question qui constitue finalement le fil rouge de ce colloque, c'est‑à‑dire la question de savoir jusqu'où il est possible d'aller dans la reconnaissance des spécificités des outre-mer dans le cadre de la République.

La Nouvelle-Calédonie permet d'apporter des éléments de réponse, parce que justement elle a une place très singulière dans cette République.

Elle est d'abord singulière par rapport aux collectivités de l'Hexagone. Cette caractéristique n'est pas propre à la Nouvelle-Calédonie puisque, comme on le voit depuis le début de cette matinée, tous les territoires ultramarins se distinguent plus ou moins des collectivités de droit commun, notamment parce qu'elles jouissent d'un certain niveau d'autonomie.

Mais la Nouvelle-Calédonie est aussi singulière par rapport aux autres territoires ultramarins, et c'est là ce qui fait sa spécificité. Elle ne relève ni de l'article 73, ni de l'article 74 de la Constitution, ni peut-être du futur article qui permettra de combiner les deux. Elle est en effet la seule à bénéficier d'un statut de collectivité sui generis.

Alors pourquoi la Nouvelle-Calédonie a-t-elle cette place extraordinaire, au sens premier du terme, dans la République française ? Pour répondre à cette question, il faut faire un détour rapide par l'histoire mouvementée de la Nouvelle‑Calédonie, mais le sénateur Poadja l’a déjà en partie fait. Je me contente juste de rappeler que la Nouvelle-Calédonie, c'est d'abord l'histoire de la colonisation, une colonisation de peuplement, c'est-à-dire qu’après avoir pris possession de ce territoire, la France y a envoyé des colons libres, des bagnards également.

 

En parallèle les Kanaks, le peuple originaire, a été soumis au statut d'indigénat puis a progressivement été mis en minorité sur son propre territoire. Ce choc de civilisation a laissé place à une société calédonienne fracturée par des tensions croissantes entre indépendantistes et non-indépendantistes, qui sont arrivées à leur paroxysme dans les années 1980.

Les « événements » ont constitué un véritable tournant à partir duquel la reconnaissance des spécificités calédoniennes s'est imposée comme une nécessité impérieuse pour apaiser la Nouvelle-Calédonie. Depuis lors, la singularité de la Nouvelle-Calédonie n'a eu de cesse de se renforcer, au point qu'elle apparaît aujourd'hui comme une curiosité juridique.

Alors quelles sont ses particularités ? Qu'est-ce qui fait de la Nouvelle-Calédonie, un territoire hors du commun dans le cadre de la République ?

Parmi la longue liste des des originalités calédoniennes, j'ai choisi de mettre l'accent sur deux éléments qui me semblent les plus déterminants pour répondre à cette question :

-       Le premier élément, c'est le statut de la Nouvelle-Calédonie, un statut qui pousse dans leurs retranchements les principes constitutionnels de la République,

-       Le second élément qui fait la singularité de la Nouvelle-Calédonie, c'est le processus inédit d'autodétermination et de décolonisation dans lequel elle est engagée et qui, évidemment, soulève des enjeux décisifs quant à l’avenir de ce territoire.

 

•  Premier point : le statut juridique dérogatoire de la Nouvelle-Calédonie.

La singularité de la Nouvelle-Calédonie résulte directement de son statut juridique, un statut tellement dérogatoire au droit commun qu'il met en échec des principes constitutionnels de la République. Je vous donne deux exemples pour illustrer cette idée :

-       Comme vous le savez, la Nouvelle-Calédonie est dotée d'institutions uniques qui disposent de larges compétences. Parmi elles, on retrouve le Congrès calédonien qui vote des lois de pays ayant valeur législative, qui en tant que telles sont soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. L'existence de cet organe législatif local porte directement atteinte au principe selon lequel la loi est l'expression de la volonté générale, loi dont l'adoption est par principe de la compétence du Parlement national.

 

-       Deuxième illustration : la citoyenneté calédonienne. La reconnaissance dans l'Accord de Nouméa d'une d'une citoyenneté calédonienne a permis d'établir des listes électorales spécifiques aux scrutins calédoniens, à savoir la liste électorale pour les élections provinciales et celles du Congrès et la liste pour le scrutin d’autodétermination. Or, les conditions d'inscription sur ces listes sont particulièrement restrictives. Par conséquent, l'existence de cette citoyenneté calédonienne porte directement atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage.

Je pourrais multiplier les exemples, mais, on le voit, le statut juridique de la Nouvelle-Calédonie bouscule clairement les principes de la République française. La Nouvelle-Calédonie se situe, si on peut le dire ainsi, aux confins de la République, dans le sens où la prise en compte de ses particularismes repousse les limites du cadre juridique français. Par là-même, elle pose la question du seuil acceptable de prise en compte des particularismes territoriaux dans le cadre de l'État français. Jusqu'où est-il possible d'aller ? Est-il possible d'aller encore plus loin ?

J'aurais tendance à dire qu'avec le statut actuel de la Nouvelle-Calédonie, le niveau maximal est déjà atteint dans le cadre de l'État français tel qu'il existe aujourd'hui. Le titre XIII de la Constitution française consacré à la Nouvelle-Calédonie constitue en effet déjà, en quelque sorte, une petite Constitution dans la grande qui reconnaît à ce territoire un statut très dérogatoire au droit commun. Or, juridiquement comme politiquement, ce seuil d'acceptabilité élevé des dérogations au droit constitutionnel français est justifié par les nécessités propres à la situation calédonienne. Les entorses au droit commun sont admises parce qu'elles sont transitoires et parce qu'elles servent un but qui les dépasse, à savoir assurer le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Dit encore autrement, si le statut de la Nouvelle-Calédonie est inédit, c'est parce qu'il encadre un processus d'autodétermination lui aussi inédit.

•  La transition est toute faite vers le second point de mon intervention qui est bien entendu son processus d'autodétermination inédit.

Plus encore peut-être que les autres territoires ultramarins, la Nouvelle-Calédonie ne peut pas être réduite à son statut juridique. Un statut juridique est par définition statique, c'est un état du droit à un instant T, or la Nouvelle-Calédonie se caractérise aussi et surtout par un processus, le processus de décolonisation dans lequel elle est engagée depuis maintenant trente ans.

Ce processus est inédit, car pour la première fois de son histoire, l'État français mène une décolonisation transitoire, accompagnée, consensuelle, ce qui rompt avec une tradition française plutôt marquée par des décolonisations rapides conduisant à une rupture brutale des liens avec les anciennes colonies.

 

Le processus calédonien revêt aussi une importance particulière parce que cela fait plus de quarante ans qu’il n'a pas été question de décolonisation en France : le dernier territoire français à avoir été décolonisé est le Vanuatu en 1980.

Dans ce contexte, le 4 novembre 2018, date de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, apparaît d'ores et déjà comme un jour historique.

L'arrivée de cet événement sans précédent a soulevé – et soulève toujours – un certain nombre de questions juridiques sur lesquelles il faut revenir pour bien comprendre l'enjeu de ce processus d'autodétermination.

Le premier enjeu, c'est d’abord d'assurer le bon déroulement de l'organisation du référendum, pour que les résultats de la consultation soient sincères, incontestables et admis par tous. Il s’agit de la condition sine qua non pour que le processus soit une réussite.

À cet égard, plusieurs difficultés juridiques, a priori purement techniques, mais en réalité d’une forte portée politique, ont cristallisé les tensions :

-       L'une d'entre elles a concerné les modalités d'inscription sur la liste électorale spéciale pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté (LESC). Cette question étant particulièrement complexe, je me limite ici à poser le cadre du débat. Pour rappel, les critères d'inscription la liste de la consultation sont particulièrement restrictifs, car il a été admis, logiquement , que seules les personnes ayant un lien fort avec la Nouvelle-Calédonie doivent pouvoir se prononcer sur son avenir politique. Les critères d'inscription sur cette liste ont une portée d'autant plus grande qu'ils ont aussi vocation à maintenir les équilibres politiques qui fondent l'Accord de Nouméa et, notamment, à assurer à la population kanak que son poids dans la décision finale ne sera pas amoindri par une une évolution démographique qui lui serait défavorable.

Dans ce contexte aux enjeux politiques sensibles, il est apparu en 2017 qu’environ 11 000 citoyens calédoniens, essentiellement kanaks, n'étaient pas inscrits sur cette liste spécifique à la consultation, alors même qu'ils remplissaient les conditions pour y figurer. Après d'intenses débats politiques, il a été décidé, lors du Comité des signataires de novembre dernier, que tous les natifs calédoniens concernés, résidant depuis au moins trois ans en Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient de statut de droit civil coutumier ou de droit civil commun, pourraient bénéficier d'une inscription d'office sur la liste. Le projet de loi organique adopté il y a deux semaines permet justement de mettre en place ce dispositif exceptionnel dans le cadre du droit électoral français, qui doit permettre d’assurer l'exhaustivité de la liste.

 

-       Autre élément important quant à l'organisation de la consultation, celui de la formulation de la question qui sera soumise aux électeurs. Cette formulation est connue depuis le 28 mars dernier. La question sera la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Les électeurs ayant la possibilité de répondre par « oui » ou par « non ». Juridiquement, la mention de la pleine souveraineté se suffisait à elle-même. Toutefois, dans le but de dégager un consensus politique indispensable à cette étape de la préparation de la consultation, la mention de l'indépendance a été ajoutée, permettant de faire un pas de plus vers l'échéance du 4 novembre. L'essentiel est que cette question soit claire et compréhensible pour les électeurs. Le Conseil d'État, a priori, ne devrait pas avoir à y redire lorsqu'il aura à se prononcer sur la formulation de cette question dans les prochains jours.

Pour l'instant, les difficultés juridiques qui concernent l'organisation à proprement parler de la consultation semblent donc avoir été dépassées.

Il reste toutefois un second enjeu, et non des moindres, c'est évidemment l'enjeu du résultat de ce processus d'autodétermination.

À ce stade, il est tout au plus possible de formuler des hypothèses théoriques qui ne seront peut-être jamais concrétisées et qui, quoi qu'il en soit, devront nécessairement être adaptées à la situation calédonienne. Cette réserve faite, il me semble toutefois indispensable d'apporter des éléments d'éclairage sur l'après-référendum. Je me permets ici de de citer Jean-Marie Tjibaou qui disait : « Le jour le plus important, ce n'est pas celui du référendum, c'est le lendemain ». Et c'est à ce lendemain qu'il faut aujourd'hui réfléchir. Que se passera-t-il juridiquement au lendemain de la consultation ? Deux voies sont possibles :

Examinons la voie du non. C’est celle qui peut sembler de prime abord la plus simple, mais en réalité, elle peut donner lieu à divers scénarii. Ce qui est sûr, c'est qu'en rejetant la pleine souveraineté, les Calédoniens vont rester dans la République. En revanche, ce qui l'est moins, c'est de savoir pour combien de temps et sous quel statut.

Pour combien de temps ? La question pourra en effet se poser car si la réponse au référendum de 2018 était négative, l’Accord de Nouméa prévoit que deux autres consultations pourraient être organisées à la demande d'un tiers du Congrès calédonien, en 2020, puis en 2022. Les Calédoniens auraient la possibilité de revenir sur leur choix initial en optant finalement pour la pleine souveraineté, ce qui, entre parenthèses, apparaît peu envisageable politiquement. Il n'en demeure pas moins que la question peut se poser, juridiquement.


 

Dans la République donc, mais sous quel statut ? Au moins trois cas de figure sont envisageables :

-       D'abord, le statu quo est possible (selon les termes de l'Accord de Nouméa) « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée », autrement dit, jusqu’à ce que les Calédoniens parviennent à trouver un accord sur leur avenir politique, et ce, sans limite dans le temps.

-       Deuxième option : la population, en concertation avec les élites, pourrait créer un statut pérenne équivalent à celui qui existe actuellement dans le cadre de l'Accord de Nouméa, ce qui impliquerait alors une révision de la Constitution française.

-       Enfin, troisième option, peut-être un peu moins probable : il serait envisageable, et surtout innovant, de reconnaître à la Nouvelle‑Calédonie un statut renforçant l'autonomie dont elle jouit. Cela impliquerait par contre de profonds changements quant à l'organisation et aux fondements même de l'État français, puisqu'on se dirigerait peut-être sur des liens de types fédéraux. Cette question dépasse donc largement la seule question du statut de la Nouvelle‑Calédonie.

Dans tous les cas, en vertu du principe d'irréversibilité des transferts de compétences vers la Nouvelle-Calédonie, le territoire ne pourrait pas être moins autonome et donc sa place dans la République restera, quoi qu'il arrive, singulière.

Qu'en est-il alors de la voie du non ? L’Accord de Nouméa se contente d'indiquer que l'approbation des populations consultées « équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie », sans plus de précisions. Cela s'explique par le fait que, si politiquement, dire oui à la pleine souveraineté serait évidemment un acte fort, juridiquement tout resterait alors à construire. Accéder à la pleine souveraineté signifie devenir pleinement compétent pour déterminer la façon dont on exerce ses compétences. Cela ne préjuge donc en rien de la façon dont le potentiel futur État calédonien décideraient de s'organiser.

Certes, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus dans la République. Mais cela signifie-t-il nécessairement qu'elle serait sans la République ? Pas forcément, car la Nouvelle-Calédonie pourrait aussi faire le choix de se construire avec la République. Pour le dire autrement, la Nouvelle-Calédonie pourrait aussi bien devenir un État totalement indépendant et rompre tous liens avec la France, que devenir un État associé, c'est-à-dire un État souverain qui conserverait des liens très resserrés avec la France. Cette voie alternative, qui a été choisie par exemple par les îles Cook qui se sont associées à la Nouvelle-Zélande, ou encore par les Palaos associées aux États-Unis, montre que même en dehors de la République, la Nouvelle-Calédonie pourrait conserver des liens singuliers avec elle.

Finalement, si l'avenir de la Nouvelle-Calédonie est incertain, il semble en revanche certain que, quel que soit le chemin choisi par les Calédoniens, la Nouvelle-Calédonie aura toujours une place singulière, qu'elle soit dans la République ou en dehors. Je vous remercie.

 

Débat sur les exposés de M. Gérard Poadja et de Mme Léa Havard

Gérard POADJA

Pour un certain nombre de personnes qui ne connaissent pas d'où je viens et pour véritablement comprendre la situation actuelle de la Nouvelle-Calédonie, il faut se rappeler l'histoire de la Nouvelle-Calédonie. Il y a eu des drames. Il y a eu des confrontations plus ou moins ethniques.

On a trop tendance à croire que parce que l'on est Kanak on est automatiquement indépendantiste. Il y a aussi des Kanaks qui ne sont pas indépendantistes.

Pour être d'accord sur la question qui sera posée enfin d’année, nous avons effectivement mis du temps parce que nous sommes dans un processus de recherche permanente de consensus. Parce qu'on ne veut plus, d'un côté comme de l'autre, vivre ce que l'on a vécu pendant les « événements ». Il faut aussi, de temps en temps, le rappeler.

Au-delà de la question de l’indépendance, l'essentiel c'est que l'on ait la concrétisation d'un véritable rééquilibrage politique, économique et social.

Nous avons créé le fameux groupe Chemin de l'avenir. L'objectif de ce groupe, c'est de travailler sur le lendemain de ce référendum pour ne pas retomber dans ce que l’on a subi auparavant.

Léa HAVARD

L'ensemble des spécificités du statut calédonien sont vraiment justifiées, juridiquement et politiquement aussi. S'il y a autant d'entorses au principe constitutionnel français, c'est bien parce qu'on est encore une fois dans un processus transitoire, dans un processus de décolonisation. Il en est de même aussi du point de vue du droit international, qui reconnaît que la Nouvelle-Calédonie est dans une situation de décolonisation. Et cette situation exceptionnelle justifie des mesures exceptionnelles pour pouvoir accompagner le processus. Par rapport à d'autres territoires, il faut donc bien voir la spécificité historique de la Nouvelle‑Calédonie.

 

Un auditeur demande si, dans l’hypothèse où les Calédoniens votent pour le non, ces dispositions exceptionnelles transitoires se transformeront en dispositions exceptionnelles définitives qui ouvriront des droits pour les autres collectivités ultramarines.

Léa HAVARD

Si la réponse au référendum est effectivement non, ce sera à négocier. Ce qui est sûr, c'est que si la Nouvelle-Calédonie, en concertation avec l'État français, conservait un statut à peu près équivalent à celui qui existe dans le cadre de l'Accord de Nouméa, cela impliquerait des modifications constitutionnelles assez importantes. Cela impliquerait dans tous les cas une réflexion d'ampleur qui dépasserait largement le stade de la Nouvelle-Calédonie et qui ouvrirait aussi effectivement la réflexion sur la façon dont, en général, l'État français gère les particularismes locaux et en particulier les outre-mer.

 

Gabriel SERVILLE

Député de Guyane

A titre de témoignage, je voudrais dire que j'attends la bonne occasion pour demander à la République de sortir de ce carcan de cécité dans lequel elle s'est enfermée depuis quelques temps. Pour cela, je me plais à rappeler les propos tenus par le général De Gaulle, de passage en Guyane en 1960 : « Il est conforme à la nature des choses qu’un pays qui a un caractère aussi particulier que le vôtre, et qui est en somme si éloigné, ait une sorte d’autonomie proportionnée aux conditions dans lesquelles il doit vivre ».

Plusieurs élus guyanais ont porté cette revendication. Mais on s'est rendu compte que finalement il y a toujours eu un frein à la volonté exprimée par les Guyanais.

J'espère que le débat d’aujourd'hui, et ceux qui se tiendront dans les semaines qui viennent, permettront véritablement à notre République de regarder différemment ce que sont ces territoires ultramarins qui n’avaient rien demandé à l'origine.

Certaines ethnies étaient déjà en Guyane lorsque les premiers colons ont débarqué. Et aujourd'hui on veut nous enfermer dans un carcan législatif et constitutionnel qui ne favorise pas l'émancipation des populations, qui ne favorise pas le développement économique, social et culturel.

J'espère que cette fois-ci sera la bonne, que la représentation nationale et ceux qui nous gouvernent auront la capacité de nous regarder tels que nous sommes véritablement pour prendre en considération les différentes propositions que nous allons faire, pas pour sortir du cadre de la République, mais pour vivre mieux en étant dans cette République.

 

 

 

 

Tehaurii TAIMANA

Collaborateur parlementaire de Moetai Brotherson,

Député de Polynésie française

Y a-t-il actuellement des discussions entre le Gouvernement français et celui de la Nouvelle-Calédonie sur les possibilités institutionnelles qui émergeraient au lendemain du référendum ? La République française envisage‑t‑elle la voie d’un « État associé » ?

 

Gérard POADJA

Une partie des indépendantistes a fait savoir très clairement qu'ils opteraient pour un partenariat avec la France dans le cas d’une victoire du oui au référendum.

 

 

 

 

 


   Interventions des co-rapporteurs
de la délégation aux outre-mer sur les évolutions statutaires

Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE

député du Rhône

Mon collègue Jean-Hugues Ratenon et moi-même sommes chargés d’un rapport relatif aux statuts des outre-mer dans la Constitution et aux évolutions institutionnelles. Notre travail se concentre donc, à la fois, sur la diversité statutaire, sur le sujet de l'autonomie, et sur l'action extérieure des collectivités d'outre-mer.

Député de La Réunion et député du Rhone, nous formons un couple qui reflète l'ADN de la délégation aux outre-mer, composée de députés ultramarins enracinés dans les problématiques ultramarines et de députés de l'Hexagone qui ont un regard un peu extérieur mais complémentaire. Cette complémentarité peut donner de la richesse à notre rapport et aux autres rapports dont est chargée la Délégation aux Outre-Mer.

J'ai tenu à assister à l'ensemble de ce colloque pour écouter mes collègues, les anciens ministres et l'ensemble des intervenants sur cette question des statuts des 'outre-mer. Je crois qu'il ne faut ni surestimer, ni sous-estimer l'influence des statuts sur la capacité des territoires ultramarins à répondre à l'ensemble des défis économiques, sociaux, environnementaux très spécifiques qui les concernent, que ce soit, par exemple, le changement climatique, la préservation de la biodiversité ou la question des identités des peuples d'outre-mer.

Nous ne sommes pas encore tout à fait à mi-parcours de la rédaction de notre rapport, mais, a évidemment, des orientations s'annoncent déjà. Il y a une quasi unanimité ce matin sur l'idée qu’avoir aujourd’hui deux articles distincts dans la Constitution n'est plus opérant du fait de la grande diversité des statuts dont disposent les territoires ultramarins. Au nom du pragmatisme, l'idée d’un article unique, dans lequel « l’amendement Virapoullé » n’aurait a priori plus sa place, alimente notre réflexion. Nous mènerons des auditions, ainsi qu’un déplacement à La Réunion, afin de recueillir sur place les orientations qui nourriront notre travail.

Je voudrais en terminant remercier bien sûr l'ensemble des acteurs de ce colloque, le responsable du secrétariat de la délégation aux outre-mer M. Jean‑Pierre Delannoy, qui nous assiste, ainsi que Jasmine Godier et nos collaborateurs respectifs.

 


Jean-Hugues RATENON

député de La Réunion

Il est vrai que, dans la préparation de notre rapport, nous sommes encore loin du but, mais nous allons accélérer nos travaux. Comme l'a très bien dit mon collègue, ce colloque a été tellement riche depuis ce matin – je n’ai malheureusement pas pu y assister, étant pris par d'autres engagements – qu’on peut dire que vous nous avez un peu coupé l'herbe sous les pieds. Tant mieux, car cela veut dire que les sujets abordés pas notre rapport intéressent plus de personnes que les deux rapporteurs que nous sommes.

Il est donc inutile de revenir encore une fois sur ce qui a été déjà été dit sur les compétences, avantages et inconvénients des collectivités uniques, les différences entre les articles 73 et 74 de la Constitution, le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie et enfin le verrou qu’est l’amendement Virapoullé à La Réunion. Mes collègues députées Huguette Bello et Ericka Bareigts ont très bien abordé cette question ce matin, mais vous vous doutez bien que j’accorderai une attention particulièrement vigilante à ce denier point, comme mes autres collègues, sans pour autant négliger nos autres territoires ultra-marins.

Pour préparer notre rapport, nous avons pris la décision de partir en mission à La Réunion. Évidemment, nos collègues parlementaires seront prévenus et consultés lorsque nous aurons fini de caler les détails logistiques de ce voyage. Mais nous pouvons déjà annoncer que nous avons l'intention d'auditionner les présidents du conseil régional et du conseil départemental, ainsi que les groupes d'opposition. Par ailleurs, nous essaierons d'auditionner les partis locaux et les fédérations locales des partis nationaux. Nous ne compterons pas nos efforts, car nous avons à coeur d'avoir une vision la plus large possible sur ce sujet, qui doit être transpartisan.

L’enjeu n'est pas une simple question de droit constitutionnel, c'est aussi une question politique forte et importante : celle du rapport de la République à ses anciennes colonies.

Il faudra aussi, à mon sens, aborder la question de l'ancrage des territoires dans leur bassin géographique. Par exemple, on pourrait réfléchir aux moyens qui permettraient à La Réunion et à Mayotte d’avoir un poids plus important dans la Commission de l’Océan Indien (COI), en éloignant un peu la mainmise de Paris sur les négociations qui nous touchent de plein fouet. Ceci, afin de garantir l'autonomie de l'action extérieure des collectivités territoriales d’outre-mer.

En guise de conclusion, je tiens à adresser plusieurs remerciements. Je remercie d’abord nos collègues et toutes les personnes qui répondent favorablement à nos invitations et sollicitations, permettant ainsi que ce rapport soit le plus complet possibleJe remercie en outre le responsable du secrétariat de la délégation aux outre-mer, M. Jean-Pierre Delannoy, et sa stagiaire, Mme Jasmine Godier, qui sont d'une aide précieuse et d’une écoute patiente. J’associe à ces remerciements, enfin, nos collaborateurs, Mme Kenza Balaouane et M. Alexandre Cailleteau.

 


—  1  —

   Propos de conclusion du Président Olivier Serva

Merci à vous toutes et à vous tous d'avoir participé assidûment à nos travaux, et d'avoir apporté vos contributions à ces premières réflexions sur l'évolution constitutionnelle.

Je retiendrai d’abord la suggestion de Mme Véronique Bertile, qui nous a proposé la voie de l'article unique concernant le statut des outre-mer. Je l’encourage à nous fournir une rédaction achevée de cet article, qui permettrait en même temps de tenir compte des spécificités dès onze territoires ultramarins. Cest une proposition qui semble recueillir un large assentiment. Celui, tout d'abord, du sénateur Abdallah Hassani qui précise par ailleurs que pour Mayotte, l'important, c'est plus d'État et plus de sécurité. Quant au sénateur Victorin Lurel, qui a sérieusement travaillé sur les propositions constitutionnelles pour l'Outre-mer, il a été séduit par votre proposition, madame Bertile, tout en disant que ce serait le Saint Graal et qu'en attendant il faisait quelques propositions spécifiques qui permettraient de premières améliorations du statut des territoires ultramarins.

Les parlementaires réunionnais qui se sont exprimés sur la suppression de « l’amendement Virapoullé » – la ministre Ericka Bareigts, Mme Huguette Bello, M. Thierry Robert – ont dit que c’était juste une possibilité de faire évoluer les statuts pour écarter l'impression d’une limitation de la capacité des élus à réfléchir et à proposer. Cette proposition semble avoir fait consensus ce matin.

Sur la Nouvelle-Calédonie, le sénateur Gérard Poadja a fait état, dans son pays, d’une situation révolutionnaire : il a parlé d'un processus de décolonisation métissée. S’il a pu employer ce terme, tabou dans la société, c’est parce qu’il est kanak d’origine, tout en n’étant pas indépendantiste de conviction. Il faut savoir qu'en Nouvelle-Calédonie, j'y étais il n’y a pas si longtemps que cela, le terme métissage est un terme tabou mais, kanak d'origine mais non-indépendantiste de conviction, M. Poadja pouvait l’employer.

Mme Léa Harvard a montré finalement comment l’actuel processus d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie irait jusqu'à son terme sans qu’aucune forme d'évolution statutaire ne soit aujourd’hui exclue. La constitution de la Nouvelle-Calédonie en un État associé à la France, semble poindre comme la solution la plus raisonnable en cas de victoire du oui : actuellement, rien ne permet cependant de dire que telle sera l’issue du scrutin.

Enfin, nos collègues, Hubert Julien-Laferrière et Jean-Hugues Ratenon, ont indiqué qu’ils avaient éprouvé une grande satisfaction à participer à ce colloque dont ils s’attacheraient à tirer le meilleur profit.

Il ne me reste plus, Mesdames, Messieurs, qu'à vous remercier pour votre patience et vos contributions. Vous avez senti combien l'enjeu de l’évolution constitutionnelle des outre-mer était important. Nous tâcherons de le faire avancer le mieux possible.

 


—  1  —

 

 

 

 

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

 

 

Lors de sa réunion du 11 juillet 2018, la Délégation aux outre-mer a nommé son président, M. Olivier SERVA, rapporteur d’information sur les débats institutionnels dans les outre-mer. Elle lui a donné mandat d’établir, en cette qualité, les actes du colloque tenu sous ses auspices, le 5 avril 2018, à l’Assemblée nationale, dont elle a également autorisé la publication.

 

 

***************