N° 1210

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 juillet 2018

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la conformité au principe de subsidiarité
de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (COM(2018) 392 final)

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Alexandre FRESCHI et André CHASSAIGNE,

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis Bourlanges, Bernard Deflesselles, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; Mme Sophie AUCONIE, M. André Chassaigne, Mmes Marietta KARAMANLI, Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude Bono-Vandorme, MM. Éric Bothorel, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de Courson, Typhanie Degois, Marguerite Deprez-Audebert, M. Benjamin DIRX, Mmes Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, MM. Pierre-Henri Dumont, Alexandre Freschi, Bruno Fuchs, Mmes Valérie Gomez-Bassac, Carole Grandjean, Christine Hennion, MM. Michel Herbillon, Alexandre Holroyd, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe Jerretie, Jérôme Lambert, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude Leclabart, Ludovic Mendes, Thierry Michels, Christophe Naegelen, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien Pichereau, Jean‑Pierre Pont, Joaquim Pueyo, Didier Quentin, Mme Maina Sage, MM. Raphaël SCHELLENBERGER, Benoit Simian, Éric Straumann, Mme Michèle Tabarot.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Le projet de la commission dÉsengage l’Union europÉenne de la politique agricole commune et suscite de multiples oppositions

A. Le projet d’accroissement des compÉtences des États membres se fait au détriment de la compÉtence communautaire

1. Les « plans stratégiques » présentés par les États membres

2. Sous le prétexte de rationalisation et de simplification, la Commission opère un changement structurel de la philosophie de la PAC

a. Le prétexte de la simplification

b. Un changement radical de philosophie pour la PAC

B. Ce projet suscite l’opposition et l’inquiétude d’une partie des pouvoirs publics

1. Une opposition parlementaire en France

2. Une réticence également présente dans les instances européennes

II. le respect du principe de subsidiarité implique que l’Union européenne assume ses compÉtences sans les dÉlÉguer excessivement aux États membres

A. La pac répond à un équilibre entre les compétences des États membres et celles de l’union européenne

1. La PAC laisse déjà une part substantielle de compétences aux États membres

2. Les risques liés à un démantèlement progressif de la PAC

B. La France doit dÉfendre un socle agricole commun ambitieux au sein de l’union européenne

1. Un projet qui contrevient aux objectifs de la PAC

2. La France a un rôle à jouer dans la préservation d’une PAC ambitieuse

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Proposition de résolution européenne INITIALE

AMENDEMENTS EXAMINés PAR LA COMMISSION

Proposition de résolution européennE ADOPTée PAR LA COMMISSION


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Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

Le 1er juin 2018, a été publiée une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l'aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Ce texte est articulé avec deux autres propositions de règlements européens publiées le même jour, l’une relative au financement, à la gestion et au suivi de la PAC et l’autre à l’organisation commune des marchés (OCM).

L’ensemble de ces textes forme la première version du projet pour la PAC post 2020, formulée par la Commission européenne. Cette proposition de règlement européen a fait l’objet de débats lors des Conseils « Agriculture et pêche » des 18 juin et 16 juillet derniers et a suscité l’opposition et l’inquiétude de nombreux États membres. Elle viserait ainsi à une simplification et une efficacité accrues des aides de la PAC, en prévoyant d’augmenter la capacité des États membres à adapter ces aides à leurs réalités locales, au travers de « plans stratégiques » que ces derniers définiraient et que la Commission contrôlerait.

L’objectif général affiché par la Commission est de centrer les aides de la PAC non plus sur « les règles et la conformité », mais sur les « résultats et la performance ». Ainsi, « le fait de passer d’une approche universelle à une approche sur mesure rapprochera la politique de ceux qui en assument la mise en œuvre sur le terrain » ([1]). La Commission ne précise pas encore pour autant les objectifs communs que l’Union européenne (UE) pourrait définir.

Or, les Rapporteurs considèrent, dans la lignée de leur rapport d’information pour une agriculture durable présenté à la Commission des affaires européennes le 31 mai 2018, que cet objectif remet en cause le caractère intégré de la PAC. Celle-ci deviendrait une simple politique coordonnée au niveau de l’Union, voire à terme quasiment nationalisée.

En outre, la PAC n’est pas une politique comme les autres pour l’Union européenne : il s’agit d’une des politiques européennes les plus intégrées, et sa remise en cause porte atteinte à l’Union européenne.

Le présent rapport d’information s’inscrit dans le cadre des prérogatives conférées à l’Assemblée nationale par l’article 88-6 de la Constitution. Le respect du principe de subsidiarité est en outre une obligation prévue par l’article 5 du traité sur l’Union européenne. Son contrôle par les parlements nationaux est pour sa part prévu à l’article 6 du protocole n° 2 qui lui est annexé.

Ce contrôle doit intervenir dans un délai de huit semaines à compter de la publication du texte dans la totalité des langues de l’Union. En l’espèce, l’échéance est fixée au 24 septembre prochain. Si un nombre suffisant de parlements nationaux émet un avis motivé constatant une atteinte au principe de subsidiarité, alors la Commission européenne est obligée de procéder à un réexamen du texte. Le minimum est d’un tiers mais les obligations de réexamen sont renforcées pour les propositions d’actes législatifs qui font l’objet d’un avis motivé de la part de la moitié au moins des parlements nationaux.

L’objectif classique de ce contrôle est de s’assurer que le principe de subsidiarité est bien respecté et que, dans un domaine de compétence partagée, comme c’est le cas pour la PAC ([2]), le niveau communautaire n’empiète pas d’une manière inefficace et inadaptée sur les prérogatives des États membres, au regard des règles du traité et de l’objectif poursuivi.

Toutefois, le principe de subsidiarité oblige également l’Union à intervenir, dans le cadre des compétences partagées, si les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, et peuvent par conséquent être plus efficacement atteints, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union.

Les Rapporteurs estiment que la proposition de règlement susmentionnée contrevient au principe de subsidiarité en ce qu’elle délègue aux États membres un nombre trop important de prérogatives en matière de PAC, alors que celles-ci seraient plus efficacement mises en œuvre au niveau de l’Union. Le démantèlement progressif de cette politique emblématique de l’Union européenne empêchera peu à peu de définir des objectifs communs à l’ensemble de l’Union.

 

 

 

I.   Le projet de la commission dÉsengage l’Union europÉenne de la politique agricole commune et suscite de multiples oppositions

A.   Le projet d’accroissement des compÉtences des États membres se fait au détriment de la compÉtence communautaire

1.   Les « plans stratégiques » présentés par les États membres

Afin de mettre en œuvre les nouvelles orientations de la Commission, le projet de règlement prévoit que les États membres puissent présenter des « plans stratégiques » pour la PAC dans lesquels ils détailleraient les interventions qu’ils proposent pour atteindre les objectifs de l’Union.

La Commission en serait ici réduite à une approbation de ces plans stratégiques, une supervision éloignée des politiques nationales et, le cas échéant, à des sanctions en cas de non-respect des « résultats » qu’elle aurait préalablement fixés sur la base d’indicateurs de performance. En outre, la Commission ne précise pas comment elle compte assurer une quelconque cohérence d’ensemble de la politique agricole sur le continent européen.

2.   Sous le prétexte de rationalisation et de simplification, la Commission opère un changement structurel de la philosophie de la PAC

a.   Le prétexte de la simplification

Phil Hogan, Commissaire européen à l’agriculture, a fait de la simplification de la PAC l’une des toutes premières priorités de son mandat. En effet, la PAC a pu perdre sa cohérence initiale au fur et à mesure des réformes.

Ainsi, la Commission a mis en avant l’exigence de simplification pour justifier d’une délégation supplémentaire de compétences aux États membres. Or, selon les Rapporteurs, ce projet s’apparente à une « simplification complètement technocratique » ([3]) qui reviendrait à vider la PAC de sa substance communautaire.

En réalité, ce projet constituerait un transfert de charge vers les administrations nationales et donc une complexification pour les États membres. L’objectif de simplification ne vaudrait ici que pour l’échelle européenne, sans garantie de résultat efficace pour les agriculteurs européens.

Les Rapporteurs veulent souligner, dans la lignée de leur rapport d’information sur une agriculture durable, qu’ils ne sont pas opposés à l’objectif de simplification de la PAC. Celui-ci doit permettre de faire en sorte que la PAC se départisse de son image bureaucratique, déconnectée de la réalité économique des exploitations. Toutefois, cette simplification de la PAC ne doit pas se faire au détriment de son caractère intégré et ne doit pas se traduire par un déplacement de la lourdeur bureaucratique de l’Union vers les États membres.

b.   Un changement radical de philosophie pour la PAC

Sans remettre en cause formellement la structure en deux piliers, ce texte opère une transformation de la philosophie sous-tendant la PAC, puisque celle-ci passerait d’une approche fondée sur les moyens à une approche axée sur les résultats. Cette transformation implique donc une définition précise, au niveau européen, des objectifs que la politique doit permettre de réaliser, objectifs que la Commission n’a toujours pas précisément définis.

En suivant ce projet, l’allocation des principales enveloppes budgétaires, notamment celle des paiements directs, se ferait de facto directement à l’échelle nationale. Les négociations européennes ne concerneraient plus que quelques grands objectifs à atteindre par les États membres, afin de pouvoir prétendre au financement européen.

Ainsi, ce projet aboutirait à une renationalisation partielle de la PAC, et notamment du premier pilier qui rassemble l’ensemble des aides directes et qui constitue le cœur de la communautarisation de la politique agricole. En effet, celle-ci ne serait plus pleinement définie par l’Union – avec des ajustements selon les particularités identifiées des États membres. Il s’agit là d’un renversement complet de philosophie, en ce que l’Union en serait réduite à coordonner des politiques agricoles définies nationalement.

Dans leur rapport d’information sur une agriculture durable ([4]), les Rapporteurs avaient promu une démarche axée sur les résultats dans le domaine de l’efficacité environnementale, en faisant évoluer les mesures agro-environnementales (MAE), aujourd’hui pensées pour compenser le surcoût de leur mise en œuvre par les agriculteurs. En contractualisant avec les agriculteurs sur des pratiques vertueuses, il serait possible de rémunérer véritablement les services environnementaux, à l’échelle européenne. Ainsi, il est possible de promouvoir une PAC plus axée sur la logique de résultats sans pour autant dénaturer l’aspect intégré de cette politique.

En outre, il faut souligner que, notamment en matière environnementale, les résultats ne peuvent se mesurer que sur le temps long, et non sur quelques années seulement. L’Union européenne est l’échelle de décision et de contrôle appropriée pour mesurer ces résultats sur une durée suffisante, afin de s’assurer de l’évolution en profondeur de notre modèle agricole européen.

B.   Ce projet suscite l’opposition et l’inquiétude d’une partie des pouvoirs publics

1.   Une opposition parlementaire en France

Plusieurs rapports parlementaires ont déjà mis en avant les difficultés susceptibles d’être posées par cette nouvelle approche.

Le rapport d’information de juillet 2017 du groupe de suivi du Sénat sur la PAC ([5]) souligne ainsi que « force est malheureusement de constater que la PAC tend à devenir une juxtaposition de politiques agricoles nationales. Or, la mise en œuvre du principe de subsidiarité ne doit précisément pas conduire à une situation où la définition d’objectifs partagés entre les États membres est rendue de facto impossible. (…) Vos rapporteurs considèrent que la PAC ne doit pas se transformer en une collection de vingt-sept politiques agricoles plus ou moins coordonnées. »

Le rapport d’information que les Rapporteurs ont présenté le 31 mai 2018 exprimait déjà la même inquiétude : « Les Rapporteurs constatent que la PAC n’aura jamais été aussi loin dans la subsidiarité au nom de la simplification et de l’adaptation aux conditions locales. (…) Les Rapporteurs veulent alerter sur le risque d’un démantèlement de la PAC et sur la nécessité de conserver un socle commun. »

Le quatrième point de la résolution européenne, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 juin 2018, pour une agriculture durable dans l’Union européenne précise que l’Assemblée « met en garde pour la future PAC 20202027 contre le risque d’une simplification en trompel’œil du mode de mise en œuvre de celle-ci au profit de la seule vision de la Commission européenne qui prône la flexibilité ». Cette flexibilité est ici pleinement appliquée au détriment d’une vision ambitieuse et intégrée de la PAC.

2.   Une réticence également présente dans les instances européennes

Les rapporteurs du Parlement européen sur la réforme de la PAC post 2020 ont fait part, le 10 juillet 2018, de leurs analyses sur ce projet.

Esther Herranz Garcia (PPE, Espagne), chargée du texte sur les plans stratégiques, a mis en avant le fait qu’il ne s’agissait nullement d’une petite réforme mais bel et bien de « changements substantiels », laissant « beaucoup de doutes et d’inconnues ». Elle estime même que ce projet représente un « cofinancement caché de la PAC » qui pourrait aller jusqu’à une « nationalisation » de cette politique intégrée.

Ulrike Müller (ADLE, Allemagne), rapporteure du règlement sur le financement et la gestion des dépenses, remet en cause l’efficacité alléguée par la Commission des mesures de simplification proposées, notamment concernant les contrôles.


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II.   le respect du principe de subsidiarité implique que l’Union européenne assume ses compÉtences sans les dÉlÉguer excessivement aux États membres

A.   La pac répond à un équilibre entre les compétences des États membres et celles de l’union européenne

1.   La PAC laisse déjà une part substantielle de compétences aux États membres

Le premier pilier de la PAC, qui représente 70 % de son budget et qui définit les aides directes, est totalement financé par l’Union européenne. En revanche, le second pilier, qui représente 25 % de son budget et définit la politique de développement rural, est d’ores et déjà cofinancé par les États membres.

Ce second pilier constitue donc déjà une « PAC à la carte », les États membres ayant toute latitude pour sélectionner les types d’actions qu’ils envisagent de soutenir, tant nationalement que localement.

La réforme de la PAC de 2013 a encore accru cette subsidiarité en diffusant cette flexibilité au premier pilier :

-         la possibilité d’aides couplées a été maintenue à hauteur de 15 % de l’enveloppe au maximum ([6]) ;

-         la possibilité a aussi été ouverte aux États membres d’apporter un soutien bonifié aux zones soumises à des contraintes naturelles, dans la limite de 5 % de leur enveloppe ([7]) ;

-         le paiement redistributif peut être mis en œuvre, au choix des États membres, pour apporter une bonification aux aides pour les exploitations de taille modeste ;

-         les conditions de mise en œuvre du verdissement des aides directes varient aussi d’un État membre à un autre.

Enfin, certaines mesures font l’objet d’un encadrement totalement national : l’indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN), les aides à l’installation ou encore les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC).

Ainsi, un équilibre a déjà été trouvé entre la définition d’une politique commune à tous les États membres, d’un côté, et l’adaptation de la PAC aux spécificités de chaque État membre, d’un autre. Les « plans stratégiques » remettent en cause cet équilibre, au détriment du niveau communautaire.

Accroître le volume de compétences dévolu aux États membres reviendrait, a minima, à transformer la politique agricole commune en politique agricole simplement « coordonnée » au niveau européen.

De plus, certains objectifs de la PAC, définis à l’article 39 du TFUE, entrent directement en contradiction avec une renationalisation, même partielle, de la PAC et sont mieux réalisés au niveau communautaire, notamment la stabilisation des marchés et l’accroissement de la productivité globale de l’agriculture européenne.

Cet article 39 du TFUE précise également que, dans l’élaboration de la PAC, il pourra être tenu compte de « du caractère particulier de l’activité agricole » dans chaque État membre, et de la seule « nécessité d’opérer graduellement les ajustements opportuns ».

Le projet de la Commission ne constitue pas seulement des « ajustements opportuns » opérés « graduellement », mais bien un changement substantiel dans la répartition des compétences.

2.   Les risques liés à un démantèlement progressif de la PAC

Le projet de la Commission fait également peser plusieurs risques majeurs sur la PAC. Le premier risque d’entre eux reste la distorsion de concurrence entre les États membres, qui seraient moins incités à la collaboration et à l’alignement normatif en matière agricole. Le risque de dumping économique et environnemental est réel, en ce que les plans stratégiques de chaque État membre peuvent cibler certaines filières pour espérer affaiblir celles des autres États membres.

Un cercle vicieux non collaboratif pourrait alors se mettre en œuvre. À ce titre, les États membres risquent de fixer à la baisse leurs objectifs, notamment environnementaux, afin de n’avoir aucune difficulté à remplir lesdits objectifs. Les ambitions environnementales de l’Union en matière agricole seraient donc probablement revues à la baisse.

De plus, comme l’explique le think-tank FarmEurope, « la PAC prendrait la forme d’une ‘politique de cohésion agricole et rurale’, comptant 27 stratégies agricoles différentes voire divergentes » ([8]). La multiplication probable des politiques agricoles sur le continent européen contrevient directement à l’essence même de la PAC et accroîtrait la concurrence intra-européenne, alors que l’enjeu est de rivaliser avec les autres grandes puissances.

Enfin, avec ce projet, l’Union européenne irait à rebours des autres puissances agricoles de taille continentale, qui continuent d’investir massivement dans des politiques agricoles harmonisées. Ainsi, la Chine et le Brésil dépensent deux fois plus pour leur soutien à l’agriculture que l’Europe.

B.   La France doit dÉfendre un socle agricole commun ambitieux au sein de l’union européenne

1.   Un projet qui contrevient aux objectifs de la PAC

Il est possible que ce projet de réforme de la PAC soit issu de la réflexion selon laquelle la Commission ne voudrait plus que l’Union soit désignée comme la principale responsable des difficultés structurelles que connaissent les agriculteurs européens. En parallèle, ce projet permettrait de légitimer, au moins partiellement, la baisse des crédits affectés à la PAC, notamment sur le premier pilier, telle que la Commission l’a annoncée le 1er juin 2018. Les Rapporteurs considèrent que ni les difficultés incontestables que connaît la PAC, ni le financement de nouvelles priorités ne peuvent justifier le démantèlement de cette politique intégrée.

Cela ne signifie pas pour autant que la PAC ne doit pas se réformer, notamment pour se conformer aux attentes des agriculteurs, qui aspirent à mieux vivre de leur travail et réclament une PAC plus simple dans sa mise en œuvre, et des consommateurs, qui souhaitent une agriculture accessible, respectueuse de l’environnement et de la santé.

Toutefois, les Rapporteurs considèrent que ces objectifs passent non pas par une renationalisation cachée de la PAC mais plutôt par une ambition commune à l’échelle européenne en matière sociale, économique et environnementale pour la PAC.

2.   La France a un rôle à jouer dans la préservation d’une PAC ambitieuse

Défendre l’Union européenne implique de défendre les compétences communautaires, y compris parfois contre l’Union ellemême. En ce qui concerne la PAC, l’objectif est de faire en sorte que les agriculteurs de chaque pays de l’Union reçoivent, à situation égale, des aides et prestations similaires. Il est donc primordial de défendre un socle agricole commun contre toutes les velléités de flexibilisation à outrance.

La France, inspiratrice de la PAC depuis le début des années 1960, se doit de la défendre en tant que politique pleinement intégrée. Au lieu de participer à sa désagrégation continue, les Rapporteurs considèrent qu’il faut au contraire définir des ambitions beaucoup plus importantes à l’échelle européenne – et non pour chaque pays séparément – afin de faire converger tous les États membres vers une agriculture durable d’un point de vue social, économique et écologique.

Ce n’est pas en laissant les États membres définir une partie de plus en plus substantielle de la PAC que celle-ci ira vers une ambition commune renforcée.


   Conclusion

Compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres, la PAC doit rester une politique commune, tout en s’adaptant aux particularités de chaque État membre. L’équilibre entre un premier pilier communautarisé et un second pilier plus « à la carte », déjà remis en cause par des réformes précédentes, serait totalement mis à bas par le projet de la Commission.

Il faut également souligner que la PAC est emblématique de l’Union, car elle constitue sa seule politique véritablement intégrée. Remettre en cause cette intégration reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore et à potentiellement remettre en cause la totalité des politiques menées par l’Union, à l’heure où la France entend au contraire accroître l’intégration des politiques européennes.

Souveraineté et sécurité alimentaires, Brexit, revenus agricoles, renouvellement générationnel des agriculteurs, transition environnementale : la PAC est confrontée à des enjeux majeurs qui ne pourront être résolus à la seule échelle nationale.

Le principe de subsidiarité n’est pas ici respecté en ce que celui-ci implique que l’Union européenne assume les compétences dévolues par le Traité, notamment la mise en œuvre d’une politique « commune » (article 38 du TFUE) et pas seulement coordonnée. De plus, les objectifs de la PAC (article 39 du TFUE) sont plus efficacement réalisés au niveau européen et seraient remis en cause par un exercice au niveau national.

Ainsi, le projet actuel accroît démesurément les compétences des États membres, au risque de détruire le caractère intégré de la PAC. Cette délégation démesurée de compétences nuit directement à la PAC en ce qu’elle peut rendre impossible la définition d’une politique commune.

Les Rapporteurs proposent à la Commission des affaires européennes d’adopter une résolution européenne portant avis motivé de non-conformité au principe de subsidiarité concernant cette proposition de règlement européen, afin d’inviter l’Union à conserver ses compétences en matière de PAC.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 25 juillet 2018, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

M. André Chassaigne, rapporteur. Le rapport d’information que nous vous présentons aujourd’hui vise à motiver un avis de non-conformité au principe de subsidiarité d’une proposition de règlement européen réformant la politique agricole commune (PAC). Il est assorti d’une proposition de résolution européenne. Nous faisons ainsi application de l’article 88-6 de la Constitution et faisons suite au rapport d’information sur une agriculture durable que nous avions présenté en Commission des affaires européennes le 31 mai dernier.

Ce contrôle de subsidiarité porte sur l’un des trois textes de réforme de la PAC, celui relatif à la définition des « plans stratégiques ». Les deux autres relèvent du même projet et portent spécifiquement sur l’organisation commune des marchés, pour l’un, et sur le financement, la gestion et le suivi de la PAC, pour l’autre. Nous proposons à notre Commission de se prononcer sur le texte principal, qui a fait l’objet de notre rapport d’information et de la proposition de résolution européenne, et d’acter avec réserves les deux autres, d’essence plus technique.

Nous tenons d’emblée à souligner que cet avis de subsidiarité est très original dans son approche. En effet, classiquement, ces avis ont pour objectif de défendre les prérogatives des États membres face à une Union européenne accusée de vouloir s’arroger trop de compétences. Ici, c’est l’inverse : nous désirons défendre les compétences de l’Union que celle-ci s’apprête à déléguer aux États membres en matière de PAC. C’est là aussi le sens du principe de subsidiarité, puisque les objectifs définis par les Traités pour la PAC ne peuvent être atteints en cas de nationalisation de cette politique. À ce titre, nous pensons que défendre l’Union européenne revient aussi à défendre les compétences communautaires, parfois contre l’Union elle-même.

Le projet contenu dans la proposition de règlement consiste à ce que les États membres présentent des « plans stratégiques » pour la PAC, dans lesquels ils détailleraient les interventions qu’ils proposent pour atteindre les objectifs définis par l’Union. Même si leur contenu précis n’a pas encore été défini, ces « plans stratégiques » ne constituent pas une réforme mineure de la PAC mais au contraire en transforment profondément la philosophie générale. En effet, en déléguant des pouvoirs de plus en plus importants aux États membres, l’Union se priverait du pouvoir de définition d’une politique agricole véritablement commune et en serait réduite à devenir une instance de coordination entre vingt-sept politiques agricoles nationales différentes.

M. Alexandre Freschi, rapporteur. La PAC est fondée sur un équilibre entre deux exigences : d’un côté, la définition d’une politique véritablement commune à tous les États membres, incarnée par le premier pilier qui est celui des aides directes et représente 70 % du budget de la PAC, d’un autre, la nécessaire flexibilité, incarnée par le second pilier qui est celui d’une PAC plus « à la carte », les États membres ayant toute latitude pour sélectionner les types d’action qu’ils envisagent de soutenir dans le cadre du développement rural. Nous tenons à affirmer que nous ne sommes pas opposés à une marge d’adaptation locale substantielle pour les États membres, notamment pour tenir compte des spécificités territoriales et des filières. Les États ont indéniablement des besoins différents en matière agricole et la PAC doit pouvoir y répondre. Il est nécessaire de préciser ce point et ce sera le sens d’un amendement que nous proposerons. Toutefois, notre proposition de résolution met en garde contre le risque d’un déséquilibre trop important au détriment du niveau européen, pouvant aboutit à une renationalisation de la PAC.

En outre, la Commission européenne justifie ce projet par l’exigence de simplification et de rationalisation de PAC. Or, si nous partageons pleinement ces objectifs tout à fait nécessaires, il apparaît que cette simplification ne vaudrait que pour les instances européennes, car ce projet opérerait un important transfert de charges vers les administrations nationales. Cette velléité simplificatrice conduirait également à brouiller la structure en deux piliers de la PAC, puisque la possibilité d’adaptation locale atteindrait aussi le premier pilier, que la réforme de 2013 avait déjà commencé à remettre en cause. La simplification, qui est nécessaire et attendue par les agriculteurs européens, ne doit pas, selon nous, se faire au détriment de l’intégration et de l’efficacité de cette politique à l’échelle européenne, ce qui nous semble ici être le cas.

Cette réforme pourrait également avoir pour conséquence de créer des distorsions de concurrence entre les États membres. En effet, les plans stratégiques de chaque État pourraient cibler certaines filières clés pour espérer affaiblir les filières des autres États membres. Ce projet ferait alors entrer l’Union européenne dans un cercle vicieux non‑collaboratif en matière agricole. Or, nous considérons que la compétition intra-européenne ne serait pas bénéfique aux agriculteurs du continent, alors que le véritable enjeu est de rivaliser avec les autres grandes puissances agricoles qui investissent toujours plus dans ce domaine.

M. André Chassaigne, rapporteur. Nous pouvons prendre un exemple dans l’actualité récente. L’affaire de la contamination à la listeria de produits surgelés, survenue à partir du 20 juillet dernier, témoigne d’une distorsion déjà réelle dans le contrôle des normes de production entre les États membres. En effet, tous les produits suspectés proviennent de l’usine hongroise du groupe belge « Greenyard » et ont été à l’origine de cas de listériose dans différents pays, dont l’Autriche, le Danemark, la Suède, la Finlande ou le Royaume-Uni. Si aucun cas n’a été identifié en France à ce jour, l'affaire est extrêmement grave puisque 47 personnes ont été contaminées en Europe et 9 sont décédées. Comment ne pas voir qu’un seul État ne peut pas se charger efficacement de ce contrôle ? Comment ne pas voir que c’est l’ensemble des pays de l’Union qui sont ici potentiellement ou réellement touchés ?

Ainsi, une renationalisation de la PAC aurait pour conséquence d’aggraver cette situation puisque chaque État membre serait en capacité, dans le cadre de son plan stratégique, de faire évoluer à la baisse ses critères en matière de normes environnementales ou sanitaires.

Il faut noter également que le projet de la Commission européenne a pu susciter de multiples oppositions. Nous avions, dans notre rapport d’information sur une agriculture durable, déjà mis en garde contre le risque d’un démantèlement de la PAC, car jamais la Commission n’aura été aussi loin dans la subsidiarité au nom de la flexibilité. En outre, le sixième point de la résolution européenne votée par l’Assemblée nationale le 28 juin dernier renouvelait cette mise en garde. Par ailleurs, le rapport du Sénat de juillet 2017 alertait également sur une situation où la définition d’objectifs partagés entre les États membres pourrait être rendue impossible. Enfin, la députée européenne chargée du suivi de ce texte pour le Parlement européen a parlé, le 10 juillet dernier, d’un « cofinancement caché de la PAC », qui pourrait aller jusqu’à une « renationalisation ».

M. Alexandre Freschi, rapporteur. Le principe de subsidiarité implique que l’Union européenne ne doit intervenir, dans les domaines ne relevant pas de sa compétence exclusive, que si les objectifs de l’action envisagée peuvent être plus efficacement atteints au niveau de l’Union. Ainsi, le projet de renationalisation, même partielle, de la PAC doit être justifié par un objectif d’efficacité, qui n’est pas atteint ici. En effet, comment penser que les objectifs définis par l’article 39 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de « stabilisation des marchés », d’accroissement de la productivité de l’agriculture européenne ou de sécurité des approvisionnements pourraient être mieux atteints en fractionnant la politique agricole commune ? Nous considérons au contraire que la subsidiarité oblige ici à une politique fortement intégrée qui prend en compte les particularités notables des États membres, comme c’est le cas aujourd’hui.

En termes financiers, nous rappelons également que la mise en œuvre de la PAC se fait à un coût moins élevé que ce qu’il aurait été si l’ensemble des États membres menaient des politiques agricoles distinctes. Ramené au citoyen européen, le budget de la PAC équivaut à une dépense de 30 centimes par jour.

Nous pensons donc que la France a un rôle de premier plan à jouer dans la défense de la PAC, politique emblématique de l’Union. La résolution européenne que nous vous présentons a l’ambition d’y contribuer, en appuyant la position de la France dans les négociations en cours pour la définition de la PAC post 2020. Le gouvernement français a mis en avant dans les négociations cette double exigence de flexibilité et de maintien de l’intégration au niveau européen.

M. André Chassaigne, rapporteur. Le projet de la Commission européenne peut être vu comme une volonté que celle-ci ne soit plus désignée comme responsable de certaines défaillances incontestables de la PAC. En parallèle, ce projet permettrait aussi de justifier la baisse de crédits annoncée par la Commission le 1er juin dernier.

La PAC fait face à des défis majeurs qui nécessitent de la réformer : Brexit, souveraineté et sécurité alimentaires, renouvellement générationnel de la population agricole, transition environnementale, entre autres. Toutefois, il n’est pas imaginable que ces objectifs puissent être atteints par un démantèlement toujours plus important de la PAC. Au contraire, c’est l’échelle de l’Union européenne, et elle seule, qui permettra de répondre à ces enjeux, au travers d’une harmonisation par le haut, tant en termes sociaux et économiques qu’environnementaux. Nous considérons donc que la France doit promouvoir un socle commun européen ambitieux en matière agricole.

M. Alexandre Freschi, rapporteur. C’est tout l’objectif de la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons. Celle-ci met en avant quatre éléments majeurs : d’abord, l’originalité de notre démarche en matière de subsidiarité, qui consiste à défendre les compétences de l’Union européenne ; ensuite, le fait que les principaux objectifs de la PAC sont mieux remplis à l’échelle communautaire qu’ils ne le seraient à l’échelle nationale ; également, la grande souplesse dont fait preuve la PAC en matière d’adaptation locale ; enfin les risques que fait peser ce projet sur l’agriculture européenne, notamment en termes de dumping économique et écologique entre les États membres.

Nous vous proposons donc d’adopter cette proposition de résolution qui vise à exercer un devoir de vigilance à l’endroit des propositions de la Commission, sans pour autant s’opposer à tout projet de flexibilisation, tant qu’il ne remet pas en cause le caractère intégré de la PAC.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Votre proposition de résolution sur la conformité au principe de subsidiarité est assez inhabituelle : ce contrôle est utilisé en général pour défendre les prérogatives de l’échelon national, alors que son principe est bien de défendre l’échelon le plus pertinent, quel qu’il soit. Je vous félicite pour cette initiative. Avez-vous connaissance des positions des autres États membres sur ce texte et font-ils la même analyse en termes de subsidiarité ?

M. Alexandre Freschi, rapporteur. La France joue ici un rôle moteur, et à partir des quelques pays rassemblés autour du Mémorandum de Madrid, nous sommes aujourd’hui à 22 États membres qui partagent cette position de recherche d’un équilibre entre flexibilité et maintien du caractère communautaire de la PAC sans dénaturer cette dernière. En particulier, l’Allemagne, autre pays agricole au poids prépondérant en Europe, a rejoint la position défendue par la France voilà une dizaine de jours.

M. André Chassaigne, rapporteur. Cette proposition de résolution, même si elle concerne les députés de cette Assemblée, n’est pas que d’usage interne, elle a vocation à être très rapidement envoyée dans les autres parlements européens. Notre position devrait aider la voix de la France à se faire entendre, d’autant que les avis motivés des parlements orientent dans les faits les politiques au niveau européen. Si un nombre suffisant de parlements nationaux émet un avis motivé constatant une atteinte au principe de subsidiarité, la Commission doit procéder à un réexamen du texte. Notre proposition peut donc avoir un impact tout à fait réel.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Je partage les éléments mis en avant dans votre rapport, que je soutiens. Il existe des risques de distorsion de concurrence entre les États membres, il y a un risque de voir la PAC se transformer en une politique de cohésion rurale, et que cette politique soit complètement à rebours de celles adoptées dans les autres puissances agricoles. Votre constat me paraît donc tout à fait pertinent. La tentation d’une PAC à la carte conduirait à fragiliser la PAC comme véritable politique commune européenne, je vous rejoins sur ce point. Ce qui m’interpelle sur les plans stratégiques nationaux est le problème du calendrier : pour préparer de tels instruments, il faut une préparation locale et nationale importante. Or, la proposition dispose que l’approbation par la Commission des plans stratégique devrait avoir lieu dans un délai de huit mois après la soumission du plan par l’État membre, et que la présentation de ces plans sera faite au plus tard le 1er janvier 2020. Étant donné que l’objectif de la Commission est d’atteindre un accord interinstitutionnel entre le Conseil et le Parlement européen avant les élections d’avril 2019, seulement six mois seraient dédiés à la préparation des plans stratégiques par les États membres, sans période de transition. Ce calendrier, qui me paraît extrêmement contraint, vous a-t-il été confirmé ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Nous devons nous rendre à Bruxelles prochainement pour faire le point sur ce sujet. Ce déplacement pourrait d’ailleurs, Madame la Présidente, être réalisé avec des élus allemands, de façon à porter notre message avec plus de force. Nous pourrons alors vous donner la réponse qui nous aura été apportée sur ces points de calendrier.

Mme Nicole Le Peih. La politique agricole commune est peut-être la politique européenne la plus symbolique pour de nombreux Français. Étant moi-même agricultrice, je suis en relation directe avec les services de la protection des populations. Je ne peux que souscrire à votre affirmation que la PAC n’est pas une politique comme les autres. Sa remise en cause porte atteinte à l’Union européenne. Je souhaite revenir sur le mécanisme de contrôle par les parlements nationaux du respect du principe de subsidiarité qui est prévu à l’article 2 du Protocole 2 et qui est annexé à l’article 5 du Traité de l’Union européenne. Avez-vous connaissance d’autres prises de position de parlements nationaux qui soutiendraient votre avis que ce texte est contraire au principe de subsidiarité ?

M. Alexandre Freschi, rapporteur. À ce jour, nous sommes les seuls à prendre cette position, mais cela pourrait conduire d’autres parlements nationaux à nous emboîter le pas, notamment au regard de l’influence française sur ce dossier.

M. André Chassaigne, rapporteur. Il faut noter que le ministre, que nous avons rencontré sur cette question, a établi des contacts à ce sujet avec d’autres pays. Des députés européens ont également manifesté leur réticence. La rapporteure du règlement sur le financement et la gestion des dépenses, Mme Ulrike Müller s’est également exprimée, mais tout cela est très récent.

M. Alexandre Freschi, rapporteur. Comme le soulignait la Présidente, notre démarche est assez inhabituelle, mais nous espérons qu’elle offre des perspectives intéressantes pour le dialogue entre parlements.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je souscris à cette démarche et le rapport que j’ai présenté à ce sujet proposait de faire évoluer la plateforme IPEX afin de pouvoir mieux dialoguer en amont entre parlements nationaux. Cela permettrait de dégager des positions communes avant même l’adoption d’un avis motivé.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Madame la Présidente, vous savez qu’avec mon parti, le MODEM, nous ne pouvons que souscrire à des propositions visant à renforcer l’intégration de l’Union européenne. Et nous ne pouvons que constater que ce projet fait craindre une véritable remise en cause de la seule politique européenne véritablement intégrée : la PAC.

M. Christophe Jerretie. À la lecture du texte de la Commission, je m’interroge sur le cofinancement. Ne voit-on pas à l’œuvre dans ce projet, plus qu’une tentative de détricoter la PAC, la volonté d’appliquer, à ce domaine comme à d’autres, une logique nouvelle de cofinancement étendu ? Mon second point concerne le souci exprimé par la Commission de responsabiliser les États membres : peut-on voir cette volonté à l’œuvre dans la PAC également ? Et enfin, ne faudrait-il pas évoquer l’idée d’un socle social pour l’agriculture ?

M. Alexandre Freschi, rapporteur. Sur le premier point comme sur la politique de cohésion, nous constatons en effet la généralisation du cofinancement, et nous ne pouvons que la regretter.

M. André Chassaigne, rapporteur. J’ajouterais qu’il y a là également le risque de toucher à la répartition financière entre les deux piliers. Le premier pilier de la PAC représente 70 % des fonds et permet déjà de mener des actions environnementales et des adaptations. Mais il est surtout le socle des aides apportées aux agriculteurs. Or, il ressort des consultations que nous avons menées que beaucoup de pays, au nom de la convergence, voudraient faire évoluer le montant des aides au niveau du premier pilier. Il y a donc une forme de renationalisation dans le suivi avec les plans stratégiques, mais qui peut aussi avoir de sérieuses conséquences financières. Sur le socle social, il faut évidemment un accroissement de la politique agricole commune. Dans notre rapport, nous proposions que la PAC puisse intégrer des objectifs sociaux. Mais avec un rôle plus important laissé aux États, nous n’irons sans doute pas vers un accroissement des droits sociaux.

Mme Nicole Le Peih. Sans parler de l’accroissement des risques au niveau de la politique alimentaire !

M. André Chassaigne, rapporteur. Cela remet effectivement en cause la dimension de politique alimentaire de la PAC, une dimension que nous proposions nous-même d’accentuer dans notre rapport précédent, proposant de parler d’une « politique alimentaire et agricole commune ». Cette dimension alimentaire risque de passer au second plan.

M. Christophe Jerretie. Je voudrais juste faire deux réflexions complémentaires. Je m’interroge sur la responsabilité des États dans ces évolutions, car ceux-ci ont depuis longtemps réclamé l’augmentation des flexibilités. Ma seconde interrogation porte sur le transfert de charge vers les budgets nationaux que risque de provoquer cette réduction des montants de la PAC, et qui emporte un effet doublement négatif, en accroissant notre dette nationale, et en nous mettant par-là moins en ligne avec les impératifs dont le respect est exigé par l’Union européenne.

Mme la présidente Sabine Thillaye. Sur la proposition de résolution, nous sommes saisis de deux amendements.

La Commission examine l’amendement n° 1 de MM. Alexandre Freschi et André Chassaigne, rapporteurs.

M. Alexandre Freschi, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision permettant de défendre une PAC intégrée au niveau européen sans s’opposer totalement à une certaine flexibilité dans la mise en œuvre des politiques agricoles nationales.

La Commission adopte l’amendement n° 1.

La Commission examine l’amendement n° 2 de MM. Alexandre Freschi et André Chassaigne, rapporteurs.

M. André Chassaigne, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

La Commission adopte l’amendement n° 2.

La proposition de résolution ainsi modifiée est adoptée.

La commission autorise la publication du rapport d’information.

Mme la présidente Sabine Thillaye. En conséquence, les deux textes complémentaires réformant la PAC, proposition de règlement portant sur l’organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles COM(2018) 394 final et proposition de règlement relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune COM(2018) 393 final sont actés sous réserve.

 

 


—  1  —

   Proposition de résolution européenne INITIALE

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-6 de la Constitution,

Vu l’article 151-9 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),

Vu l’article 3 du protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au Traité sur l’Union européenne et au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le protocole n° 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au Traité sur l’Union européenne et au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) et financés par le Fonds européen agricole pour le développement rural et abrogeant le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil,

Considérant que le principe de subsidiarité implique que l’Union assume l’ensemble de ses prérogatives et s’oppose à une délégation excessive de compétences aux États membres lorsque celles-ci sont plus efficacement mises en œuvre au niveau de l’Union,

Considérant que l’article 38 du TFUE précise que « l’Union définit et met en œuvre une politique commune de l’agriculture »,

Considérant que l’article 39 du TFUE précise que « dans l’élaboration de la politique agricole commune (…), il sera tenu compte : a) du caractère particulier de l’activité agricole, (…) et des disparités (…) entre les diverses régions agricoles ; b) de la nécessité d’opérer graduellement les ajustements opportuns, (…) »,

Considérant que la proposition de règlement, à travers le projet de « plans stratégiques », confère aux États membres des compétences en matière de PAC dont le volume et la substance contreviennent à la marge d’adaptation nationale que permettent les traités, et notamment l’article 39 du TFUE,

Considérant que la PAC est suffisamment souple pour s’adapter aux particularités de chaque État membre, notamment au travers du second pilier,

Considérant que la proposition de règlement priverait l’Union européenne d’un quelconque pouvoir de définition d’une politique agricole véritablement commune et la réduirait à une simple instance coordinatrice de vingt-sept politiques agricoles différentes,

Considérant qu’une telle réforme pourrait entraîner une distorsion de concurrence entre les États membres et une compétition intra-européenne en matière agricole,

Considérant que la PAC est une politique emblématique pour l’Union, en ce qu’elle constitue l’une des seules politiques véritablement intégrée au niveau communautaire,

Estime que le texte proposé est contraire au principe de subsidiarité.

 


—  1  —

   AMENDEMENTS EXAMINés PAR LA COMMISSION

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉEENNES

25 juillet 2018


Proposition de Résolution Européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (com(2018) 392 final) ( 1211)

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

MM. Alexandre FRESCHI et André CHASSAIGNE, Rapporteurs

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ARTICLE UNIQUE

Après le quatorzième alinéa, ajouter un alinéa ainsi rédigé :

« Considérant néanmoins que la PAC nécessite une marge d’adaptation pour les États membres, au regard des spécificités de leurs territoires, ainsi qu’une véritable simplification, tant au niveau européen que national, »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

Amendement de précision.

La proposition de résolution défend le maintien d’une PAC intégrée au niveau européen, mais ne s’oppose pas à une flexibilité dans la mise en œuvre des politiques agricoles nationales. La PAC doit tenir compte des particularités locales de chaque État membre dans sa mise en œuvre, notamment via son second pilier.

 

 


—  1  —

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

24 juillet 2018


Proposition de Résolution Européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (com(2018) 392 final)
(N° 1211)

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

MM. Alexandre FRESCHI et André CHASSAIGNE, Rapporteurs

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ARTICLE UNIQUE

A l’alinéa 15, remplacer les mots « , en ce qu’elle constitue l’une des seules politiques véritablement intégrée » par « et l’une des plus intégrées ».

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

Amendement rédactionnel.

 

 

 


—  1  —

   Proposition de résolution européennE
ADOPTée PAR LA COMMISSION

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-6 de la Constitution,

Vu l’article 151-9 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),

Vu l’article 3 du protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au Traité sur l’Union européenne et au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le protocole n° 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au Traité sur l’Union européenne et au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) et financés par le Fonds européen agricole pour le développement rural et abrogeant le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil,

Considérant que le principe de subsidiarité implique que l’Union assume l’ensemble de ses prérogatives et s’oppose à une délégation excessive de compétences aux États membres lorsque celles-ci sont plus efficacement mises en œuvre au niveau de l’Union,

Considérant que l’article 38 du TFUE précise que « l’Union définit et met en œuvre une politique commune de l’agriculture »,

Considérant que l’article 39 du TFUE précise que « dans l’élaboration de la politique agricole commune (…), il sera tenu compte : a) du caractère particulier de l’activité agricole, (…) et des disparités (…) entre les diverses régions agricoles ; b) de la nécessité d’opérer graduellement les ajustements opportuns, (…) »,

Considérant que la proposition de règlement, à travers le projet de « plans stratégiques », confère aux États membres des compétences en matière de PAC dont le volume et la substance contreviennent à la marge d’adaptation nationale que permettent les traités, et notamment l’article 39 du TFUE,

Considérant que la PAC est suffisamment souple pour s’adapter aux particularités de chaque État membre, notamment au travers du second pilier,

Considérant que la proposition de règlement priverait l’Union européenne d’un quelconque pouvoir de définition d’une politique agricole véritablement commune et la réduirait à une simple instance coordinatrice de vingt-sept politiques agricoles différentes,

Considérant qu’une telle réforme pourrait entraîner une distorsion de concurrence entre les États membres et une compétition intra-européenne en matière agricole,

Considérant néanmoins que la PAC nécessite une marge d’adaptation pour les États membres, au regard des spécificités de leurs territoires, ainsi qu’une véritable simplification, tant au niveau européen que national,

Considérant que la PAC est une politique emblématique pour l’Union et l’une des plus intégrées au niveau communautaire,

Estime que le texte proposé est contraire au principe de subsidiarité.

 


([1]) Communication de la Commission européenne du 1er juin 2018 intitulée « Budget de l’UE : la politique agricole commune après 2020 ».

([2]) Article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

([3]) Expression utilisée par M. Michel DANTIN, membre du Parlement européen (PPE, France), lors de la table ronde tenue à l’Assemblée nationale le 23 mai 2018.

([4]) Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur une agriculture durable pour l’Union européenne, n° 1017 (31 mai 2018).

([5]) « PAC : traverser le cap dangereux de 2020 », rapport d'information de M. Daniel GREMILLET, Mme Pascale GRUNY, MM. Claude HAUT et Franck MONTAUGÉ, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques du Sénat, n° 672 (20 juillet 2017).

([6]) Article 52 du règlement 1307/2013.

([7]) Article 48 du règlement 1307/2013.

([8]) Communiqué de Farm Europe du 29 novembre 2017.