N° 1291

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

au nom de la délégation aux outre-MER (1)

sur l’activité de la Délégation

(juin 2017-juillet 2018)

PAR

M. Olivier SERVA

Président de la Délégation

 

Député

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 


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La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Olivier Serva, président ; MM. Philippe Dunoyer, Hubert Julien-Laferrière, Mme Marie Lebec, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Maud Petit, M. Didier Quentin, viceprésidents ; M. Rodrigue Kokouendo, Mmes Josette Manin, Danièle Obono, secrétaires ; M. Lénaïck Adam, Mmes Ramlati Ali, Ericka Bareigts, Nathalie Bassire, Huguette Bello, Justine Benin, MM. Sylvain Brial, Moetai Brotherson, André Chassaigne, Stéphane Claireaux, Mmes Françoise Dumas, Sophie Errante, MM. Jean-Michel Fauvergue, Laurent Furst, Raphaël Gérard, Philippe Gomès, Philippe Gosselin, Mmes Claire Guion-Firmin, Sandrine Josso, M. Mansour Kamardine, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, MM. Jean-Christophe Lagarde, François‑Michel Lambert, Mohamed Laqhila, Mme Charlotte Lecocq, MM. Serge Letchimy, David Lorion, Max Mathiasin, Mmes Monica Michel, George Pau-Langevin, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, MM. Pierre-Alain Raphan, Jean-Hugues Ratenon, Hugues Renson, Mmes Cécile Rilhac, Maina Sage, Nicole Sanquer, M. Gabriel Serville, Mmes Laurence Trastour-Isnart, Hélène Vainqueur-Christophe, Laurence Vanceunebrock-Mialon et M. Philippe Vigier.

 

 

 


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  SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première PARTIE – UNE PLACE INSTITUTIONNELLE ORIGINALE AU SERVICE DES OUTRE-MER

A. la reconnaissance par la loi du rôle institutionnel de la délégation aux outre-mer

1. La consolidation législative du statut de la Délégation

2. Un rôle renforcé d’information et de proposition

B. les procédures de la délégation, entre limites et souplesses

1. L’intervention dans les procédures législatives : un recours limité, des élargissements possibles.

a. Un recours effectif mais enserré dans certaines limites

b. Des élargissements possibles avec la participation de référents législatifs

2. De larges possibilités d’intervention hors du cadre des procédures législatives

a. Les rapports thématiques entre information et évaluation.

b. Les résolutions, instrument d’affirmation politique de la Délégation

c. Les auditions de membres du Gouvernement

C. des moyens matériels accrus

1. La mise à niveau des effectifs du secrétariat de la Délégation et de ses moyens matériels

2. Les conditions matérielles d’exercice du mandat des députés ultramarins : des améliorations bienvenues

II. Deuxième partie des interventions à voix multiples

A. LA mémoire ET LA DIGNITé

1. La mémoire

a. Le développement du devoir de mémoire, ses origines et ses conséquences

b. Le projet de constitution d’une Fondation pour la mémoire de l’esclavage

c. Le soutien de la Délégation aux initiatives annoncées

2. Promouvoir la dignité de la personne contre toutes les discriminations : vers la rédaction d’un grand livre des discriminations

a. Le choix de la problématique

b. État de la réalisation et des perspectives de l’action de la Délégation contre les discriminations

B. les institutions : RéFLEXIONS ET PROPOSITIONS

1. Préparer la réflexion : trois débats pour un colloque

2. Le rapport sur les propositions de réforme institutionnelle

3. La prise de position de la Délégation sur le projet de réforme de la troisième assemblée constitutionnelle

C. l’économie ou les moyens d’une mobilisation

1. La révision des aides économiques

2. L’outil de la défiscalisation

3. Les initiatives des acteurs professionnels

4. La clarification nécessaire du régime des biens immobiliers

5. Les instruments de politique européenne

D. formation, santé, protection sociale : les spécificités des outre- mer

1. Un enjeu vital de santé publique : le chlordécone

a. L’analyse de l’ANSES et l’interpellation de la Délégation

b. La réponse politique de Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé

2. La formation dans les outre-mer : constats et propositions

a. Les travaux préliminaires des rapporteures

b. L’audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

c. Le bilan de la discussion en séance publique du projet de loi

3. La protection sociale à Mayotte

E. Les outils de la vie culturelle

1. Les objectifs d’une action culturelle outre-mer

2. L’avenir de France O

3. Les outre-mer et le sport

examen par la délégation

AUDITIONS DE LA DéLéGATION

I. Audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer

II. Audition de Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé

III. Audition de Mme Laura Flessel, ministre des sports

IV. Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail


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   Introduction

Alors que la Délégation aux outre-mer de la quinzième législature vient de fêter son premier anniversaire, la formalité, prévue par la loi, de l’établissement annuel d’un rapport d’activité est une occasion propice pour établir son bilan et réfléchir, sur cette base, à de nouvelles perspectives. Dans quelle mesure et de quelle manière la Délégation a-t-elle rempli son rôle de représentation, d’information et d’action, telle est la triple interrogation à laquelle nous allons tenter de répondre en rendant compte à l’Assemblée nationale et à l’opinion de ce qu’elle a réalisé pendant douze mois.

Il est bon de rappeler au préalable que, constituée initialement sur le seul fondement d’une délibération de la conférence des présidents, en date du 17 juillet 2012, la Délégation aux outre-mer a été dotée d’un statut équivalent à celui de la Délégation aux droits des femmes par l’article 99 de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (« loi EROM »). En proposant l’amendement à l’origine de cet article, mon prédécesseur, M. Jean-Claude Fruteau, a permis, à l’époque, la manifestation d’un soutien unanime à la pérennisation et à la consolidation de la Délégation. Un soutien qui, dès les premiers mois de la législature nouvelle, s’est confirmé sans peine.

Au cours de l’année écoulée, la vocation universaliste de la Délégation a été consolidée. Par définition, en effet, elle est appelée à s’intéresser à tous les aspects de la vie de nos territoires, à leur économie, bien entendu, mais aussi à leur vie sociale, à leur culture, en un mot à tous les aspects qui définissent leur personnalité. À plusieurs reprises, au cours de nos travaux, on a rappelé avec raison que la notion d’ « outre-mer » était une convention, et que l’Hexagone était tout autant « l’outre-mer » de nos territoires que l’inverse. C’est aussi signifier l’importance de la clarté et de la qualité de la relation réciproque qui doit s’établir entre ceux-ci et l’Hexagone.

La composition mixte de la Délégation – constituée pour moitié par les députés élus dans les outre-mer et pour moitié par des députés élus dans l’Hexagone et répartis à la proportionnelle des groupes – est à la fois le symbole et la condition de cette relation dans l’institution parlementaire. Il est agréable de constater que les membres de la Délégation élus dans des circonscriptions hexagonales se sont fortement investis dans ses activités.

 

 

 

Avant d’entrer plus avant dans le détail des travaux de la Délégation, quelques indications chiffrées donneront une première vision de leur volume. Elle a tenu dix-neuf réunions plénières, totalisant trente-quatre heures de débats. Elle a adopté quatre rapports thématiques :

- sur l'évaluation de la loi de programmation relative à l'égalité réelle dans les outre-mer (n°1035 – Mme Maina Sage et M. Raphaël Gérard, rapporteurs) ;

- sur la lutte contre les discriminations anti LGBT dans les outre-mer (n°1090 – Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, MM. Raphaël Gérard et Gabriel Serville, rapporteurs) ;

- sur les évolutions institutionnelles dans les outre-mer (n°1104 – M. Hubert Julien-Laferrière et Jean-Hugues Ratenon, rapporteurs) ;

- sur la défiscalisation dans les outre-mer (n°1153 – M. Philippe Gomès et Philippe Vigier, rapporteurs).

En outre, elle a publié, sous la forme d’un rapport d’information (n° 1171) de son Président, les actes du colloque qu’elle a consacré, le 5 avril 2018, aux débats institutionnels dans les outre-mer.

Par ailleurs, trois rapporteures de la Délégation, Mmes Ericka Bareigts, Justine Benin et Josette Manin, ont participé en cette qualité à la discussion du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, au cours de laquelle elles ont défendu les propositions de la Délégation.

 


 

   Première PARTIE – UNE PLACE INSTITUTIONNELLE ORIGINALE AU SERVICE DES OUTRE-MER

La consécration de la Délégation aux outre-mer par la loi EROM a permis le plein développement des procédures qui insèrent son activité dans la vie de l’Assemblée nationale.

A.   la reconnaissance par la loi du rôle institutionnel de la délégation aux outre-mer

La loi EROM a consolidé la base juridique de l’existence de la Délégation aux outre-mer et codifié la définition de ses compétences.

1.   La consolidation législative du statut de la Délégation

La Délégation aux outre-mer a été créée, sur la proposition du président Claude Bartolone, dès le début de la quatorzième législature, par une délibération de la conférence des présidents en date du 17 juillet 2012 et a fonctionné sur cette base pratiquement jusqu'au renouvellement de l'Assemblée nationale.

C'est une initiative de mon prédécesseur, M. Jean-Claude Fruteau, qui a permis la consolidation de la place institutionnelle de la Délégation dans chaque chambre du Parlement. Il a en effet saisi l'occasion fournie par la discussion extrêmement ouverte du projet de loi de programmation pour l'égalité réelle outre-mer pour proposer l'alignement du statut de la DOM sur celui de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes créée dans chaque assemblée par  la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999. Son initiative a reçu un accueil unanimement favorable. Sous réserve de quelques adaptations souhaitées par le Sénat, l'amendement qui en était la traduction juridique a été adopté et est devenu l'article 99 de la loi EROM (article 6 decies de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958). À la date de la promulgation de la loi EROM, le Parlement était à la veille de suspendre ses travaux pour laisser place à la campagne électorale. Il est donc revenu à la Délégation constituée au début de la présente législature de donner toute sa portée à l'innovation voulue par nos prédécesseurs.

La loi de 2017 a apporté deux précisions importantes, allant toutes deux dans le sens d'un renforcement du rôle de représentation institutionnelle active des outre-mer qui était à la base de la création de la Délégation.

 

Elle a posé d'abord le principe de l'égalité entre le nombre des membres de droit que devaient être les députés élus dans les outre-mer et celui des membres désignés à la proportionnelle par les groupes politiques. Elle a ainsi inscrit dans la composition de la Délégation la vocation au dialogue qui fonde sa dynamique, donnant une interprétation opérationnelle à la nécessaire prise en compte de la composition politique de chaque Assemblée.

En outre, à la différence de la Délégation aux droits des femmes, la Délégation aux outre-mer a reçu de la loi une totale liberté pour le choix des sujets dont elle entend se saisir, que ce soit à l'occasion de l'examen d'un projet de loi ou en vue de l'élaboration d'un rapport thématique. La pratique montre en effet que chaque discussion législative, chaque examen d'une politique donnée pose, certes avec une intensité variable selon les sujets, la question d'une mise en œuvre spécifique dans les outre-mer. Elle montre aussi, au fil des législatures, que, si les élus ultramarins ne prennent pas l'initiative d'appeler l'attention sur cette question, celle-ci n'est pas toujours, ou pas suffisamment, prise en considération dans le débat politique. Il est donc important que la Délégation puisse assurer en toute autonomie la fonction de vigilance et d'alerte que suscitent de tels constats.

2.   Un rôle renforcé d’information et de proposition

La Délégation aux outre-mer a reçu de la loi de 2017, qui consacre et codifie dans une large mesure la pratique antérieure, une triple fonction :

- une mission générale d’information de l’Assemblée nationale sur les affaires des outre-mer, qu’il s’agisse de problématiques générales communes à nos territoires ou de questions plus spécifiques ;

- une mission de vigilance pour « la prise en compte des caractéristiques, des contraintes et des intérêts propres de ces collectivités et au respect de leurs compétences ». Cette disposition constitue le fondement de l’intervention de la Délégation, à travers les rapporteurs qu’elle désigne, dans les procédures législatives, étant souligné que ce type d’intervention n’est pas la seule modalité envisageable de la vigilance de la Délégation ;

- une compétence d'évaluation des politiques publiques menées dans les collectivités d’outre-mer.

Aucune disposition de la loi n’empêche la Délégation d’intervenir conjointement, sur une même question, au titre de deux des compétences qui viennent d’être rappelées. Par ailleurs, il convient d’entendre la notion d’information utilisée par la loi de 2017 comme impliquant le droit de la Délégation de présenter des propositions, faute de quoi les travaux de la Délégation auraient un caractère purement académique, qui ne concorde pas avec la vocation naturelle d’une assemblée parlementaire, appelée à faire des choix politiques sur la base d’une information aussi complète et aussi éclairée que possible. C’est en tout cas en ce sens que s’est développée la pratique de la Délégation depuis le début de la législature.


État récapitulatif des réunions de la Délégation

18 juil. 2017

Réunion constitutive

25 juil.2017

Échange de vues sur les travaux de la Délégation

26 sept.2017

Audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer

18 octobre. 2017

Audition de M. Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT

31 octobre.2017

Présentation d’un point d’étape sur l’évaluation de la loi EROM (Mme Maina Sage et M. Raphaël Gérard, rapporteurs)

30 nov.2017

Audition de M. Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage

16 janvier 2018

Audition de Mme Chantal Clem

Présentation par M. Serge Letchimy de son rapport sur la réforme du régime des indivisions

7 février 2018

Audition de l’Agence nationale de sécurité sanitaire sur la pollution par le chlordécone

21 février 2018

Audition de Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé

14 mars 2018

Audition de MM. Frédéric Régent, Serge Romana, Emmanuel Gordien, Louis-Georges Tin et Claude Ribbe, sur la politique de la mémoire de l’esclavage

27 mars 2018

Présentation de l’étude RéELLE par M. Dominique Vienne, président de la CPME Réunion

18 avril 2018

Audition de Mme Laura Flessel, ministre des sports

24 mai 2018

Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

7 juin 2018

Présentation du rapport sur l’évaluation de la loi EROM (Mme Maina Sage et M. Raphaël Gérard, rapporteurs)

19 juin 2018

Présentation du rapport sur les discriminations anti-LGBT dans les outre-mer (Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, MM. Raphaël Gérard et Gabriel Serville, rapporteurs)

21 juin 2018

Audition de l’Association des Chambres de commerce et d’industrie des outre-mer

21 juin 2018

Présentation du rapport sur les questions institutionnelles dans les outre-mer (MM. Hubert Julien-Laferrière et Jean-Hugues Ratenon, rapporteurs

27 juin 2018

Auditions sur les projets de réforme de France O

11 juillet 2018

Présentation du rapport sur la défiscalisation (MM. Philippe Gomès et Philippe Vigier, rapporteurs)

 

B.   les procédures de la délégation, entre limites et souplesses

Il convient de distinguer, dans les procédures suivies par la Délégation aux outre-mer, celles qui se rattachent précisément à l’élaboration de la loi et les autres modalités de son intervention.

1.   L’intervention dans les procédures législatives : un recours limité, des élargissements possibles.

La pratique actuelle impose à l’intervention de la Délégation dans les procédures législatives certaines limites que l’on se propose de surmonter en développant des mécanismes d’information et de veille.

a.   Un recours effectif mais enserré dans certaines limites

La Délégation aux outre-mer a la faculté de se saisir de tout projet ou de toute proposition de loi dont les objectifs, le domaine ou le contenu sont susceptibles d’impliquer les outre-mer. La saisine peut ne porter que sur une partie du texte visé, selon une sélection qui, jusqu’à présent, a été opérée par le ou les rapporteurs et qui est portée à la connaissance de la Délégation par ceux-ci lorsqu’elle en vient à examiner leur rapport.

En règle générale, les rapporteurs de la Délégation présentent à celle-ci un rapport assorti de propositions de modification du projet soumis à examen. Il revient ensuite aux rapporteurs – ou à tout député qui souscrit à ces propositions ‑ de les transformer formellement en projets d’amendements déposés, dans les conditions du droit commun des amendements individuels des députés, devant la commission saisie au fond puis, le cas échéant, en séance publique.

Le président de la Délégation désigne celui de ses membres qui est chargé de présenter en séance publique, en cinq minutes, l’avis de celle-ci sur le texte. Il n’est pas nécessaire, pour ouvrir cette possibilité de prise de parole, que la Délégation ait adopté un rapport assorti de propositions. Lors des débats, tant en commission qu’en séance publique, les amendements issus des propositions de la Délégation sont défendus par ses rapporteurs dans les mêmes conditions que les amendements déposés par les députés à titre individuel ; mais bien sûr, aucune disposition règlementaire n’empêche les rapporteurs de préciser l’origine des amendements lors de leur présentation orale.

Au cours des douze derniers mois, la Délégation n’a désigné de rapporteures d’information que sur un seul projet de loi, le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Ces rapporteures ont procédé à de nombreuses auditions et tenu des réunions de travail avec le cabinet de la Ministre du travail, mais leur travail, considérable, ne s’est finalement pas traduit par le dépôt formel d’un rapport. En séance publique, c’est Mme Justine Benin, l’une des trois co-rapporteures, qui s’est exprimée au nom de la Délégation. Celles-ci ont en outre présenté des amendements inspirés des positions défendues au cours des échanges avec la Ministre et son cabinet.

b.   Des élargissements possibles avec la participation de référents législatifs

La capacité de la Délégation aux outre-mer de prendre sa part aux débats législatifs susceptibles d’intéresser nos collectivités dépend de la qualité et de la précocité de l’information qu’elle reçoit sur les projets de loi dont la discussion est envisagée dans un avenir prévisible. Comme souvent dans la vie de l’institution parlementaire, la satisfaction de cette exigence minimale est affectée inévitablement d’un certain aléa, notamment sur la chronologie des procédures, dont la connaissance est pourtant indispensable pour bien articuler l’intervention de la délégation avec les diverses phases de l’examen d’un texte.

Bien entendu, je veille personnellement à recueillir ce type d’informations, que ce soit auprès d’interlocuteurs institutionnels ou de manière plus informelle. Mais il m’a paru possible de limiter encore plus sûrement l’ampleur de l’aléa que je viens d’évoquer en renforçant le lien entre la Délégation et chaque commission permanente, par l’intermédiaire de membres de la Délégation qui en font partie. Il reviendrait à ceux-ci d’appeler l’attention sur les sujets à l’ordre du jour prévisionnel (entendu au sens large) de leur commission qui leur paraissent à mériter un examen par la Délégation en raison de leur incidence sur les outre-mer.

La Délégation a approuvé cette proposition lors de sa réunion du 29 novembre 2017. Voici la liste des référents qu’elle a désignés :

- pour la commission des Finances, MM. Olivier Serva et Mohamed Laqhila ;

- pour la commission des Lois, MM. Philippe Dunoyer et Mansour Kamardine ;

- pour la commission des Affaires économiques, M. Max Mathiasin et Mme Marie Lebec ;

- pour la commission des Affaires sociales, Mmes Ericka Bareigts et Hélène Vainqueur-Christophe ;

- pour la commission du Développement durable, Mme Sandrine Josso et M. Gabriel Serville ;

- pour la commission des Affaires culturelles, Mme Maud Petit ;

- pour la commission des Affaires étrangères, MM. Philippe Gomes et Rodrigue Kokouendo ;

- pour la commission de la Défense, Mme Françoise Dumas ;

- pour la commission des Affaires étrangères, Mme Maina Sage et M. Didier Quentin.

 

J’ai informé les présidents des commissions permanentes de cette décision de la Délégation et leur ai exposé, à cette occasion, la mission que celle-ci leur a confiés. Il m’a semblé important, en effet, de donner corps à une interprétation positive des rapports que la loi de 2017 a souhaité voir s’établir entre la Délégation et les commissions.

2.   De larges possibilités d’intervention hors du cadre des procédures législatives

Si l’impossibilité constitutionnelle d’assimiler la Délégation aux outre-mer à une commission permanente limite ses capacités juridiques de participation à la procédure législative, en revanche, d’autres possibilités d’intervention publique lui sont ouvertes sans restriction. Il en a été fait pleinement usage au cours des douze derniers mois, et elles constituent ainsi d’utiles précédents pour les travaux à venir.

a.   Les rapports thématiques entre information et évaluation.

Des trois catégories de compétences attribuées à la Délégation par la loi du 28 février 2017, seule la deuxième – sous le signe de la vigilance – implique plus spécialement une association à la procédure législative. Les deux autres ‑ information générale et évaluation – ne sont pas contraintes, même indirectement, par les dispositions du Règlement de l’Assemblée nationale relatives à cette procédure.

Un seul des rapports d’information adoptés par la Délégation au cours de la période couverte par le présent rapport d’activité relève explicitement et exclusivement de la démarche d’évaluation : il s’agit du rapport de Mme Maina Sage et de M. Raphaël Gérard sur l’évaluation de la loi du 28 février 2017, dite loi EROM. L’examen de ce rapport a d’ailleurs suivi une démarche classique dans l’évaluation parlementaire, avec la présentation d’un rapport d’étape à l’automne 2017 et la perspective, sur mandat de la Délégation, de la poursuite de l’évaluation de l’application de la loi au cours des mois à venir.

Les autres rapports d’information adoptés par la Délégation se sont moins explicitement rattachés à la démarche d’évaluation. C’est ainsi que le rapport sur la lutte contre les discriminations anti-LGBT dans les outre-mer a été conçu par ses auteurs comme le support d’une attitude d’information et d’alerte, non seulement en direction de l’Assemblée nationale et de ses membres, mais aussi de l’opinion publique. Plus généralement, l’attitude retenue par les rapporteurs et avalisée par la Délégation a été celle d’une information incitative, manifeste, tout spécialement, dans le rapport sur la défiscalisation.

 

À la différence des rapports portant sur un projet ou une proposition de loi, les propositions dont sont assortis les rapports d’information thématiques ne sont pas toutes susceptibles d’une traduction technique en article de loi. Certaines ont un caractère politique et programmatique, d’autres appellent une modification règlementaire, d’autres un ajustement d’usages qu’une simple circulaire ministérielle suffirait à matérialiser. Rien n’empêche cependant la Délégation d’adopter des propositions qui se présentent sous la forme d’articles de loi, susceptibles d’être convertis en amendements : elle a recouru à ce procédé, à l’occasion de l’examen du rapport sur les évolutions institutionnelles, pour suggérer une nouvelle rédaction de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution relatif aux modalités de l’adaptation législative à La Réunion.

b.   Les résolutions, instrument d’affirmation politique de la Délégation

La loi donne à la Délégation mission d’informer l’Assemblée nationale et, par-delà, l’opinion publique, sur tous les problèmes intéressant les outre-mer. Il ne s’agit naturellement pas d’une information de caractère académique, mais d’une alerte politique. Dès lors la question s’est posée de savoir quelle forme devrait revêtir cette alerte, si du moins la Délégation souhaitait lui donner une certaine publicité ou une certaine solennité.

La pratique institutionnelle postérieure à la réforme constitutionnelle de 2008 fournit, avec de nombreuses illustrations, le précédent des résolutions, moyen d’expression d’une position politique sans implication immédiate dans une procédure législative.

De la même manière, la Délégation a recouru à la technique de la résolution toutes les fois qu’il lui paraissait nécessaire de marquer une position politique sur un sujet donné. En pratique, le projet de résolution peut être présenté sur-le-champ à la Délégation, en conclusion d’un débat, comme il peut être communiqué à l’avance à ses membres avant les réunions.

C’est ainsi qu’ont été adoptées six résolutions :

- la résolution du 18 octobre 2017 sur la protection sociale à Mayotte ;

- la résolution du 16 janvier 2018 sur les indivisions successorales dans les outre-mer ;

- la résolution du 7 février 2018 sur la pollution par le chlordécone ;

- la résolution du 27 juin 2018 relative à la situation de France O ;

- la résolution du 27 juin 2018 relative aux conséquences sur les économies ultramarines de la future programmation 2021-2027 de l’Union européenne ;

- la résolution du 11 juillet 2018 sur la représentation des outre-mer dans la troisième chambre établie par la Constitution.

 

c.   Les auditions de membres du Gouvernement

Le ministère des outre-mer est, par construction, un interlocuteur privilégié de la Délégation aux outre-mer. L’audition de Mme Annick Girardin a marqué, le 26 septembre 2017, le début des travaux de la Délégation.

Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le noter à plusieurs reprises, le champ des compétences de la Délégation aux outre-mer, qui recouvre toutes les questions susceptibles d’intéresser les outre-mer, l’appelle virtuellement à entretenir le dialogue avec l’ensemble des membres du Gouvernement. Ce dialogue est important, car il contribue à sensibiliser les ministres, et au-delà les administrations sur lesquelles ils exercent leur autorité, à la nécessité de pratiquer ce qu’il est convenu d’appeler le « réflexe outre-mer », parfois insuffisant ou défaillant dans les services.

C’est ainsi qu’après Mme Girardin, la Délégation a successivement reçu :

- le 21 janvier 2018, Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, dans le contexte du débat sur la pollution par le chlordécone ;

- le 18 avril 2018, Mme Laura Flessel, ministre des sports ;

- le 24 mai 2018, Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, dans la perspective de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Les comptes rendus intégraux de ces quatre auditions sont publiés en annexe au présent rapport.

C.   des moyens matériels accrus

Des améliorations significatives ont été apportées, tant aux moyens de fonctionnement de la Délégation qu’aux dispositions régissant les conditions matérielles d’exercice de leur mandat par les députés élus dans les circonscriptions d’outre-mer.

1.   La mise à niveau des effectifs du secrétariat de la Délégation et de ses moyens matériels

La Délégation a besoin, pour exercer les missions qui lui ont été attribuées par la loi, de moyens de fonctionnement convenables. À cet égard, les douze premiers mois de la législature ont permis de constater des améliorations substantielles par rapport à la situation antérieure.

 

 

 

Avant juin 2017, en effet, la DOM n'avait aucune visibilité matérielle dans la vie institutionnelle de l'Assemblée nationale, si ce n'est l'affectation, certes à plein temps, d'un unique fonctionnaire du corps des administrateurs. Lorsque la loi EROM est entrée en vigueur, et avec elle le nouveau statut de la Délégation, mon prédécesseur s’est inquiété de cette situation, pour prendre date, par une lettre du 8 mars 2017 au Collège des Questeurs alors en fonctions.

Depuis le début de la nouvelle législature, je me suis employé à demander que la Délégation reçoive les moyens de remplir effectivement les missions qui lui sont conférées par la loi, après avoir observé tant la situation de la Délégation aux outre-mer du Sénat que celle de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Il m’a semblé que réaliser l’alignement des moyens accordés à notre Délégation sur ceux dont dispose la Délégation aux droits des femmes constituait une demande raisonnable. J’ai été entendu par le Collège des Questeurs. Des décisions concrètes ont été prises et d'importants changements ont affecté les conditions matérielles et financières du fonctionnement de la Délégation.

Tout d'abord, des bureaux ont été affectés spécialement à l'usage institutionnel du Président de la délégation et de ses collaborateurs. Un second fonctionnaire du corps des administrateurs a été nommé au secrétariat, ainsi qu'une assistante de direction et de gestion qui assure conjointement les tâches techniques d'organisation du secrétariat de la DOM et de la délégation aux collectivités territoriales.

Pour la première fois, la DOM a bénéficié, sur l’exercice 2018, qui coïncide avec l’année civile, d'une dotation budgétaire spécifique de 70 000 euros. Cette somme a été principalement utilisée, comme il était normal, pour l'organisation en Guadeloupe, à La Réunion et en Martinique, de trois voyages de rapporteurs entrant dans la préparation, respectivement, de la seconde partie du grand livre des discriminations (lutte contre les discriminations anti-LGBT), du rapport sur les évolutions institutionnelles et de la première partie (générale) du grand livre précité. Comme pour les commissions et selon les mêmes règles, elle a été également utilisée pour rembourser le déplacement à Paris de personnes entendues par la Délégation ou par ses rapporteurs. La Délégation dispose également depuis quelques mois, comme les autres commissions et délégations, d’un compte Twitter institutionnel.


2.   Les conditions matérielles d’exercice du mandat des députés ultramarins : des améliorations bienvenues

Les conditions objectives dans lesquelles les députés élus par les électeurs des outre-mer remplissent leur mandat ont retenu l'attention de la Délégation tout entière.

En effet, l'éloignement géographique ne crée pas seulement une discontinuité inévitable dans l'exercice de leurs fonctions par les députés des outre-mer. Il n'est pas seulement, par la longueur des voyages qu'il impose, une source d'épreuve répétée de la résistance physique. Il impose également aux députés et à leurs familles des sacrifices particuliers, certes motivés par l'intérêt général, mais dont il n'est pas abusif de chercher à atténuer, autant qu'il est raisonnablement possible, les répercussions les plus négatives.

Il était normal que la Délégation s'en préoccupât, selon une modalité particulière de la sensibilisation aux réalités des relations entre les outre-mer et l'Hexagone qui fait partie de ses tâches.

À ce titre, plusieurs de ses membres, tant des outre-mer que de l'Hexagone, appartenant à la majorité comme à l'opposition, ont rencontré le Collège des Questeurs pour lui exposer les sujétions particulières auxquels les députés des outre-mer sont confrontés et rechercher avec eux des réponses convenables à ces difficultés.

À l'issue d'échanges qui se sont déroulés dans un climat constructif, les députés des outre-mer ont obtenu des améliorations significatives tant du régime applicable à leurs conditions de séjour à Paris que des modalités de prise en compte de leurs déplacements et de la facilitation de leurs relations avec leur proche famille.

La Délégation remercie le Collège des Questeurs de son écoute et de sa compréhension.

 


II.   Deuxième partie – des interventions à voix multiples

Au cours de la première année de la législature, la Délégation a examiné de très nombreux sujets d’intérêt primordial pour nos compatriotes des outre-mer. Elle a été constamment à l’écoute des personnes, des associations, des institutions qui portent ces sujets au jour le jour ; à plusieurs reprises, elle a reçu des ministres responsables de politiques nationales dans lesquelles ces sujets étaient impliqués.

Pour la présentation de ces activités, une articulation thématique a semblé plus éclairante, et certainement plus vivante, que le banal déroulé d’un fil chronologique[1].

A.   LA mémoire ET LA DIGNITé

1.   La mémoire

Deux auditions ont été consacrées au travail de mémoire qui, depuis vingt ans et plus, a suscité des initiatives déterminées. Plusieurs protagonistes de ces initiatives ont exposé à la Délégation leurs analyses et leurs projets. D’autre part, la Délégation s’est informée du projet de Fondation pour la mémoire de l’esclavage récemment entrepris à l’initiative du Gouvernement.

a.   Le développement du devoir de mémoire, ses origines et ses conséquences

Le 14 mars 2018, la Délégation a accueilli d’éminents représentants des institutions et des associations qui portent la responsabilité de faire vivre le devoir de la mémoire à laquelle ont droit les victimes sans nombre de l’exploitation par l’esclavage. A quelques semaines près, il s’agissait d’un anniversaire : c’est le 23 mai 1998 que des milliers de personnes manifestaient à Paris pour la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, réalisée ensuite par la loi du 21 mai 2001. Il était essentiel que la Délégation s’associât à cet anniversaire. En effet, promouvoir la mémoire des victimes de l’esclavage, c’est d’abord rendre un nom à celles et ceux dont la traite négrière a nié l’humanité, et ainsi, affirmer leur dignité inaliénable. Après une longue période d’occultation, il est temps pour la Nation d’accomplir un geste symbolique, un geste qui l’unit dans la quête du renouvellement de la conscience collective et de la solidarité.

Plusieurs intervenants hautement qualifiés se sont succédé pour décliner les multiples aspects du devoir de mémoire.

Le premier, M Frédéric Régent, exprime, en sa qualité de président du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, un point de vue institutionnel. À ses yeux, pour inscrire davantage l’histoire de l’esclavage dans l’histoire de France, il existe plusieurs leviers : une présence plus forte dans les programmes scolaires, l’inscription de la question de l’esclavage et de son abolition dans les concours de recrutement, l’inscription dans le territoire national par des institutions muséales telles que le Mémorial ACTe en Guadeloupe. Si des initiatives ont été prises dans ce dernier domaine à Bordeaux et à Rennes, Paris, curieusement, ne dispose pas encore de lieu de mémoire symbolique. Le Comité envisage également le développement d’un musée virtuel sur internet et la création d’un portail numérique national avec indication de sources et de références scientifiques.

Dans sa fonction de conseil, le Comité suggère la commémoration par l’Assemblée nationale, le 4 février, du décret de la Convention abolissant l’esclavage pour la première fois ; l’édification dans le jardin des Tuileries d’un « mur des noms », près du lieu où la Convention tenait séance et de l’Hôtel de la Marine où Victor Schoelcher a signé, en 1848, le nouveau décret d’abolition.

M. Régent considère que la constitution, sous la présidence de M. Jean‑Marc Ayrault, d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage constitue une étape positive, car elle permet le dégagement de moyens financiers convenables. Les efforts ainsi entrepris concernent naturellement les outre-mer, mais ils visent bien à la refondation d’une histoire de France, pour l’ensemble des Français.

M. Louis-Georges Tin, président du Comité représentatif des associations noires de France, rappelle la nécessité d’une réparation à la hauteur du crime que l’esclavage a représenté pendant des siècles. Il en suggère plusieurs formes : la restitution de trésors confisqués à l’époque coloniale, la réalisation annoncée, à Paris, d’un musée de l’esclavage – dans laquelle la Délégation aux outre-mer pourrait s’impliquer.

M. Tin constate que le racisme anti-noir est insuffisamment pris en considération, y compris par le rapport annuel de la Commission consultative nationale des droits de l’homme sur le racisme anti-noir. La création d’un observatoire du racisme anti-noir, sur le modèle de ce qui existe pour les musulmans et l’antisémitisme, permettrait de rapprocher la population victime de la justice et de la reconnaissance. Parmi les questions dont cet observatoire pourrait se saisir, M. Tin mentionne la discrimination à l’emploi, qui fait que les personnes non blanches perçoivent, à tâches égales, un salaire de 20 % inférieur, et sur laquelle une enquête nationale exhaustive reste à mener.

 

 

La discrimination appauvrit, et le discriminé, et le discriminant. Celui-ci, par la discrimination, perd le bénéfice de la réduction du coût de production résultant d’une offre de travail plus importante. C’est, ainsi, un problème autant économique que moral et politique, et pour les deux parties. Il est temps, en inversant la tendance, de s’engager dans un cercle vertueux.

M. Emmanuel Gordien, Président du Comité de la marche du 23 mai 1998 (CM 98), affirme que la France dispose aujourd’hui du système le plus élaboré de commémoration de l’esclavage. À l’origine du Comité, se trouve le souhait, au-delà de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, de voir prendre la pleine mesure du déni d’humanité originel que représente l’esclavage. La déclaration de l’esclavage comme crime contre l’humanité est une première étape positive. Mais, au-delà, il faut arracher à l’oubli le nom des centaines de milliers de personnes qui subissaient cette condition : l’enjeu est de permettre               aux populations des Antilles de jouir d’une pleine citoyenneté, de s’approprier ce pays qui est le leur, en assurant leur place dans l’histoire nationale, dans le récit national. À cette fin, le Comité a proposé que les noms qui ont été retrouvés grâce aux recherches généalogiques entreprises par les associations puissent être gravés sur des stèles érigées dans les villes de France, ce qui a été fait à Creil, Grigny, Sarcelles et Saint-Denis. Aujourd’hui, la France s’honorerait en érigeant au jardin des Tuileries un mémorial de la traite et de l’esclavage colonial qui transmettrait à la postérité les 200 000 noms retrouvés. M. Gordien exprime l’espoir qu’ainsi l’histoire ne sera plus une source de honte pour les descendants des esclaves, qui pourront se saisir enfin de la citoyenneté, et il appelle la Délégation aux outre-mer à appuyer cette initiative auprès des plus hautes autorités de l’État.

M. Serge Romana, président de la Fondation Esclavage et Réconciliation, expose que cette fondation regroupe les principaux chefs d’entreprise de la Guadeloupe et de la Martinique, descendants aussi bien d’esclavagistes que d’esclaves, autour d’un constat partagé : le blocage des sociétés antillaises est dû à une mémoire soit douloureuse et honteuse, soit pleine de ressentiment, source de déshérence identitaire. Il n’est pas possible de construire un projet commun lorsque la société est fracturée. Le travail fait autour des noms, qui permet de retrouver ses aïeux, apaise le ressentiment. Fondamentalement, la journée nationale d’hommage aux victimes de l’esclavage manifeste qu’il s’agit de personnes honorables, dignes d’intérêt.

La Fondation Esclavage et Réconciliation accompagne le Comité de la marche du 23 mai 1998 dans sa présentation du projet de mémorial aux Tuileries. Il ne s’agit pas en effet de demander quelque chose à l’État, mais de mobiliser les entreprises et les populations de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de La Réunion pour la réalisation d’un projet fondamental de réinvitation de l’humain.

 

 

L’esclavage a fracassé un groupe humain. La Fondation a pour ambition de le réparer. Outre le projet de Mur des noms, elle soutient les travaux sur les lieus de mémoire, tels que les cimetières d’esclaves, qui pourront faire naître un vrai « tourisme mémoriel ». Et elle sera présente lorsqu’il faudra financer le mur des Noms aux Tuileries.

M. Claude Ribbe, historien et philosophe, rappelle le combat qu’il mène depuis seize ans, à la tête de l’association des amis du Général Dumas, pour l’installation, dans l’espace public, d’un monument à la mémoire de la traite, de l’esclavage, et de leurs abolitions et pour la célébration, le 10 mai, d’une journée qui lui soit spécialement consacrée. Il rend un hommage appuyé à l’action de Mme Maryse Condé, à l’origine de la reconnaissance par la collectivité nationale de l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Pour lui, le transfert des cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon, un an après le vote de la loi du 21 mai 2001, est le signe d’un dévoilement progressif de la question des mémoires à travers la figure du père du romancier, le général Dumas. Celui-ci permet en effet d’évoquer cette question de manière consensuelle et apaisée, dans la mesure où il a été lui-même victime de l’esclavage en Haïti, territoire vital, à l’époque, pour l’économie française. On peut le vérifier lors de la journée commémorative du 10 mai.

Il faut souhaiter, conclut M. Ribbe, que le projet de restauration du château de Villers-Cotterêts, voulu par le président de la République comme haut lieu de la francophonie, fera aussi toute sa place, compte tenu en particulier du lien très fort qui l’unit à la famille Dumas, à la mémoire de la traite, de l’esclavage et des abolitions.

Plusieurs membres de la Délégation ont ensuite exprimé leur soutien à l’esprit des initiatives qui venaient de leur être exposées.

Pour Mme Maina Sage, première intervenante, si la Polynésie française n’a pas subi l’esclavage, la colonisation a pu y créer des besoins similaires de reconnaissance et de réconciliation. Elle demande des précisions sur l’état d’avancement des projets évoqués et sur l’ampleur du soutien que leur apportent les ministères. Elle s’interroge sur les relations que les intervenants peuvent entretenir, sur le thème de la mémoire, avec des initiatives prises à l’étranger. Elle se demande si l’élaboration de stratégies convenables de communication ne permettrait pas d’accroitre encore l’efficacité de l’information de grande qualité d’ores et déjà disponible sur les réseaux sociaux.

M. Philippe Gosselin rappelle les mises en garde contre le risque d’anachronisme que ferait poser l’approche avec des sensibilités contemporaines des actions d’hier, ou contre la tendance à faire porter sur les générations d’aujourd’hui le poids des actions, ou des inactions d’hier. Pour autant, l’histoire, glorieuse ou non, se regarde évidemment en face. Mener à bien le projet de mémorial évoqué à l’instant, c’est reconnaître un péché originel. Pour tenter d’atteindre l’apaisement, on a besoin de faire son deuil, et pour faire son deuil, on a besoin de lieux de mémoire : ainsi sont incarnés des hommes et des femmes dont l’existence a été déniée. Pour ces motifs, il se déclare sensible à la proposition de mémorial, qui aurait également l’avantage d’appeler l’attention sur la persistance de formes contemporaines d’esclavage.

Mme Danielle Obono considère à son tour que les propositions présentées sont importantes, au-delà du nécessaire travail de mémoire sur le passé, à l’usage des générations présentes, pour éviter la perpétuation des discriminations dont sont victimes des citoyens français en raison de leur couleur de peau, tant dans les outre-mer que dans l’Hexagone. Elle rappelle la proposition, faite par M. Jean‑Hugues Ratenon, d’un jour férié de commémoration de l’abolition de l’esclavage propre à l’Hexagone.

M. Raphaël Gérard voit dans la réparation de l’esclavage un enjeu de réconciliation de la France avec un passé sombre. Pour lui, le patrimoine monumental, qui s’inscrit dans l’espace et dans le temps et porte les marques matérielles d’une mémoire collective, peut contribuer à raconter l’histoire : comme le dit Patrick Chamoiseau, les monuments témoignent des douleurs et les conservent.

Les personnalités invitées par la Délégation ont ensuite répondu aux demandes d’éclaircissements qui leur ont été ainsi présentées.

Ainsi, M. Frédéric Régent rappelle que, dès 1794, à la Convention, Thuriot qualifiait l’esclavage de « crime de lèse-humanité. Il s’étonne ensuite de la disproportion entre la place relativement réduite accordée à l’esclavage par les programmes de l’enseignement général et l’étude pendant tout un trimestre, par les élèves de l’enseignement professionnel et technologique, de l’évolution des empires coloniaux : on craint de devoir attribuer cette différence à un a priori de réceptivité lié aux origines respectives des élèves de chacune des filières. M. Régent a laissé ouverte la question de savoir si les détenteurs de la richesse et du pouvoir en outre-mer ont construit leur position dominante par le simple effet de la transmission du capital ou sur le fondement de l’exploitation par l’esclavage. Sur le sujet controversé des monuments ou des lieux qui portent le nom de personnalités impliquées dans la pratique de l’esclavage, telles que Colbert, il a fait état de la préférence du Comité national qu’il préside pour une explication développée sur le rôle historique des personnalités contestées, qui devrait clairement exprimer ses aspects négatifs.

M. Serge Romana souligne pour sa part que le vide dont souffrent les Antillais n’est pas un vide d’histoire, mais un vide de substance, que manifeste l’état d’abandon dans lequel se trouvent, en Guadeloupe et en Martinique, des lieux de mémoire comme les moulins ou les habitations. Il insiste sur la tendance des descendants d’esclaves, confrontés à une histoire qui leur était insupportable, à se sentir obligés de bâtir des mythes invraisemblables autour des origines. Le travail d’explication est douloureux ; mais si les Antillais demeurent dans le ressentiment, comment peuvent-ils devenir des citoyens ? Au regard de cette difficulté, on comprend pourquoi l’érection, dans un espace qui a du sens, d’un monument portant tous les noms retrouvés aurait un effet incommensurable, non seulement sur les descendants d’esclaves, mais aussi sur les enfants venant d’Afrique.

M. Emmanuel Gordien, à son tour, souligne que l’esclavage est vécu par la population comme une malédiction intégrée. La réalisation du monument proposé serait, à cet égard, une œuvre de salubrité publique par laquelle la France, vraiment fidèle à son image de pays des droits de l’homme, assurerait la transmission à la postérité de ce qui avait été oublié. Le CM 98 a commencé une action de coopération avec le Benin, en vue de la réalisation d’un monument analogue au mur des noms sur l’une des plages d’où partaient les navires négriers. Les interlocuteurs Beninois du Comité y voient la manifestation d’une communauté d’ascendance, appréciation dont la part du culte des ancêtres dans les traditions africaines permet de mesurer la portée ;

M. Louis-Georges Tin dénonce le révisionnisme passif et massif que révèle la très forte minoration du nombre des victimes de l’esclavage par les déclarations officielles, du fait que celles-ci ne prennent en compte ni le massacre colonial, en Afrique, des premiers résistants, ni la déportation vers l’Amérique ou l’Océan indien, ni la vie dans l’esclavage des descendants des personnes déportées, soit au total des dizaines de millions de victimes. Au demeurant l’abolition officielle de l’esclavage en 1848 n’a pas empêché sa réintroduction occultée sous la forme du travail forcé dans les colonies, jusqu’à l’abolition effective, en 1946, par la loi Houphouët-Boigny. Il précise le sens de la campagne Colbert lancée par le CRAN : le présenter comme une métonymie de l’esclavage, à la fois théoricien, avec le Code noir, et praticien, avec la Compagnie des Indes. Dans le pays des droits de l’homme, il n’est pas décent de célébrer un homme qui a commis de tels crimes, quelle que soit son action par ailleurs.

M. Claude Ribbe revient sur les mesures concrètes à prendre pour assurer la pérennité de la mémoire : non seulement sauver le patrimoine lié à l’esclavage, mais ne manquer aucune occasion d’inscrire la question de l’esclavage dans le patrimoine en général ; parler, dans l’enseignement, des grandes figures issues de la traite et de la colonisation qui ont marqué l’histoire de France.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon se demande s’il ne conviendrait pas, soit de donner un autre nom à la salle Colbert de l’Assemblée nationale, soit d’y apposer une plaque rappelant les aspects de son action autres que ceux pour lesquels il est connu.

 

 

 

 

b.   Le projet de constitution d’une Fondation pour la mémoire de l’esclavage

Le 27 avril 2018, cent-quarantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage, le Président de la République a annoncé la création de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, dont la présidence a été confiée à M. Jean‑Marc Ayrault, ancien Premier ministre.

Cinq mois plus tôt, le 29 novembre 2017, la Délégation avait demandé à M. Ayrault de venir lui présenter un projet alors en phase de préfiguration sous la forme d’un groupement d’intérêt public qu’il présidait.

Dans son exposé d’alors, M. Ayrault avait tenu à replacer la question de l’esclavage au cœur de notre histoire commune. Le travail de mémoire qu’elle appelle, avait-il dit d’entrée, doit être conduit dans un esprit de lucidité et de grande responsabilité. La création de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage constitue une nouvelle étape d’une action déjà engagée par des associations et des personnalités auxquelles M. Ayrault a souhaité rendre hommage, tout en soulignant qu’il a fallu attendre 1983 pour qu’une loi vienne préciser les conditions de commémoration de l’abolition de l’esclavage dans les DOM par un jour férié approprié.

Le développement de nouvelles initiatives au cours des années 1990 est couronné, a rappelé M. Ayrault, par la loi Taubira du 21 mai 2001, première reconnaissance par la loi française de la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. Puis viennent la création, le 10 mai, d’une journée nationale de commémoration, et la constitution d’un Comité pour la mémoire de l’esclavage, dont la première présidente est Maryse Condé. La naissance du groupement d’intérêt public, avec le soutien de tous les ministères concernés, marque le renouveau de l’entreprise, qui va pouvoir ainsi rejoindre des initiatives développées parallèlement, telles que le mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre.

Tous les efforts ainsi entrepris et à venir, a dit M. Ayrault, ont un même objectif : affirmer l’actualité d’une histoire qui est commune, et pas seulement ultramarine, rappeler que la mémoire de l’esclavage est encore à vif. Il ne s’agit pas de diviser ou de culpabiliser, mais de rassembler, de faire en sorte que la France montre au monde entier ce qu’elle est capable d’assumer au nom de ses valeurs. En même temps, il s’agit de mettre en valeur la diversité française, le grand mouvement de métissage et de créolisation qui a fait naître une nouvelle société, de nouvelles formes de création. Il s’agit de raconter un grand combat républicain, qui a vu des hommes et des femmes se battre aux côtés des esclaves, soutenir leur lutte pour l’abolition de l’esclavage.

Faute d’agir pour la mémoire, selon M. Ayrault, on risque de faire le jeu de certains courants extrémistes qui pourraient se saisir de la question, non pas pour rassembler, mais pour diviser ou renforcer les approches communautaristes. Aussi bien faut-il désormais accorder à cette politique des moyens à la hauteur de l’enjeu. C’est ce que contribue à faire le projet de Fondation pour la mémoire, qui vise à fédérer tous les acteurs, personnes privées, associations, État et collectivités locales ; à aborder la relation de la France avec l’Afrique, les Amériques, l’Océan indien ; à renforcer enfin l’engagement de l’État au-delà du seul ministère des outre-mer, en impliquant l’Éducation nationale, l’Intérieur, la Culture…

M. Ayrault énumère ensuite le détail des actions possibles de la nouvelle Fondation : assurer une présence plus forte, notamment sur internet ; concevoir des actions pédagogiques (notamment en finançant des voyages éducatifs) ; animer le réseau des institutions de mémoire de l’esclavage en France et développer des partenariats avec les institutions étrangères ; coproduire des expositions et des évènements culturels ; animer et soutenir la recherche sur l’esclavage et son héritage dans les sociétés ; soutenir les initiatives locales et celles des associations ; créer un fonds de labellisation ; travailler à la lutte contre les préjugés, contre le racisme et les discriminations et aborder franchement la question de l’esclavage contemporain (travail forcé, travail des enfants, travail sexuel), qui frappent, selon les estimations, entre 20 et 40 millions de personnes.

La Fondation pourra aborder, notamment, la dimension internationale de la mémoire de l’esclavage, en s’appuyant sur le réseau des Instituts français, sur les institutions homologues qui se multiplient dans d’autres pays (États-Unis, Afrique, Colombie, Brésil…) et aussi en travaillant avec l’UNESCO.

En novembre 2017, la réflexion sur le lieu et la configuration des actions à engager n’était pas achevée. On savait cependant que le statut de fondation obligerait à trouver un financement qui soit majoritairement assuré par des fonds privés, pour une dotation globale d’environ 1,5 million d’euros. M. Ayrault situait alors le budget de fonctionnement, en se référant à des précédents comparables, entre 2 et 5 millions d’euros.

Les interventions des membres de la Délégation devaient confirmer l’intérêt porté par ceux-ci au projet de Fondation, alors même qu’il en était à ses premiers moments.

Mme Maud Petit rejoint M. Ayrault pour souhaiter que les programmes scolaires fassent la place qu’il mérite à l’épisode douloureux de l’esclavage, et lui demande ce qu’il pense de la suggestion de déboulonner les statues des personnages historiques, tels que Colbert, qui ont participé à la légalisation de l’esclavage.

Mme Ericka Bareigts approuve l’idée d’une mémoire dynamique et pas seulement descriptive, ouvrant des perspectives sur le vivre-ensemble en République. Elle estime que la création de la Fondation donne aux outre-mer l’occasion de reprendre l’ensemble des travaux de mémoire, pour faire progresser, y compris dans les territoires ultramarins, la connaissance de leur propre histoire. À La Réunion, la journée instituée sur le fondement de la loi de 1983 est un jour collectif, où l’on peut remémorer, et surtout partager cette histoire. Le travail de mémoire, poursuit-elle, pourra donner conscience des valeurs du métissage, nous faire découvrir nos héros, les esclaves marrons qui ont eu le courage de fuir avec femmes et enfants dans les forêts reculées. Les peuples ultramarins sont à l’origine des peuples à l’international, parce qu’ils portent le métissage, Français, Européens, Africains et Asiatiques en même temps. Il manque une conscience du potentiel ainsi représenté. Le travail dynamique de la mémoire peut amener à récupérer de l’estime de soi, à construire la résilience essentielle pour le progrès. Mme Bareigts conclut en évoquant elle aussi l’adaptation nécessaire des programmes scolaires.

M. Didier Quentin, qui soutient le projet présenté par M. Jean‑Marc Ayrault et se préoccupe, comme lui, des abolitions encore à venir, fait néanmoins remarquer qu’il peut être délicat d’aborder un tel sujet avec certains pays proches de la France, voire liés avec elle par des accords de coopération

Mme George Pau-Langevin, après avoir souligné les titres personnels incontestables qui légitiment le choix de M. Ayrault pour présider à la constitution de la future Fondation, tient à rappeler les réalisations déjà à l’actif de programmes tels que la Flamme de l’Égalité. L’expérience lui fait craindre, par ailleurs, que le lancement du nouveau projet de fondation ne soit le prétexte à une réduction des moyens accordés à d’autres initiatives comme la Cité des outre-mer.

M. Thierry Robert, se référant à ce qu’il observe à La Réunion, déplore que l’esclavage se perpétue, à l’époque moderne, sous la forme d’une volonté de soumission de l’autre, au mépris des principes démocratiques et de la liberté d’expression.

Mme Cécile Rilhac appuie les observations de M. Ayrault sur la nécessité de mettre en relation une meilleure connaissance de l’esclavage, de son origine et de ses manifestations, avec la prise de conscience de l’esclavage moderne. Elle fait le lien avec le passage, dans les programmes officiels, de la notion de connaissance à celle de compétence, qui favorise l’établissement de parallèles avec des situations modernes.

Dans ses réponses, M. Jean-Marc Ayrault relève naturellement, pour s’en féliciter, la convergence de ses analyses avec les positions prises par les membres de la Délégation. À nouveau, il insiste sur le fait que seul le lien entre les évènements du passé et les pratiques contemporaines peut donner des clés de compréhension de celles-ci. Il considère en outre que la redécouverte du  riche patrimoine immatériel – et souvent, aujourd’hui, oral – des outre-mer, qu’il s’agisse des pratiques de soins inventées par les esclaves, de la musique et de la danse, ou de pratiques cultuelles est de nature à faire disparaître le sentiment de culpabilité que l’on peut constater chez des descendants d’esclaves. Il précise que la future fondation aura son siège dans le lieu hautement symbolique qu’est l’hôtel de la Marine, et que ses conditions matérielles d’installation dépendront des missions, encore à définir, que l’État décidera d’attribuer à la Fondation.

 

M. Ayrault revient également sur la perpétuation qu’il faut malheureusement reconnaître, de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la relation dominant-dominé qui lui est associée. Il fait siens les propos du Président de la République, pour lequel la France ne peut pas, partout, donner des leçons, mais doit être extrêmement claire sur ses principes et ses valeurs – la Révolution française, les Lumières, la Déclaration des droits de l’homme – y  compris quand cela peut gêner. Bien entendu, poursuit-il, il faut éviter la condescendance, et faire montre de pédagogie.

Enfin, M. Ayrault livre son appréciation de la question Colbert. Il faut, dit‑il, s’écarter d’une vision à sens unique du personnage, et prendre une véritable conscience du contexte historique, qui, au-delà de Colbert, acceptait l’existence de maîtres et d’esclaves, de dominants et de dominés.

c.   Le soutien de la Délégation aux initiatives annoncées

Comme les pages qui précèdent permettent de le constater, la Délégation s’est montrée très favorable aux initiatives entrant dans le cadre de la réalisation du travail de mémoire de l’esclavage qui lui ont été présentées. Elle a appuyé le projet de construction d’un Mur de l’esclavage aux Tuileries et a manifesté sa sympathie à la constitution de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage.

Le 27 avril 2018, dans sa tribune « Mémoire de l’esclavage, le temps des actes », le Président de la République a fait plusieurs annonces qui confirmaient la concrétisation des projets évoqués devant la Délégation. Il a exprimé son soutien au projet des Tuileries et confirmé la création de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, investie, sous la présidence de M. Ayrault, de « missions d’éducation, de culture, de soutien à la recherche et aux projets locaux ». Parmi les objectifs de la Fondation, M/ Emmanuel Macron a mis en valeur celui de « replacer l’esclavage dans le temps long de l’histoire de la France, du premier empire colonial français à nos jours » et, ainsi, de relire le passé colonial de notre pays et sa relation complexe avec le continent africain. Il a également insisté sur le rôle de la Fondation pour « porter partout l’engagement de la France pour la liberté car l’esclavage n’a pas disparu et il reste encore aujourd’hui des abolitions à gagner ». Par ailleurs, il a consacré le rôle primordial du Mémorial ACTe pour la préservation de la mémoire et la promotion des expressions culturelles liées à l’histoire de l’esclavage, écartant la création concurrente, à Paris, d’un musée de l’esclavage.

La Délégation continuera de porter un grand intérêt au travail de mémoire dont ces déclarations annoncent la consolidation pour les années à venir.

 

 

 

2.   Promouvoir la dignité de la personne contre toutes les discriminations : vers la rédaction d’un grand livre des discriminations

Une bonne partie des travaux de la Délégation aux outre-mer pendant les douze premiers mois de la législature a été consacrée à la défense et illustration de la dignité de la personne. Ce grand principe de notre droit a été consacré par le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’O.N.U. le 10 décembre 1948, où on peut lire que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Le respect de la dignité humaine est un des ressorts du devoir de mémoire, dont on vient de rappeler comment la Délégation s’était efforcée de l’honorer. Il est aussi le fondement de la lutte contre les discriminations de toute nature, tâche d’intérêt national qui se décline de façon spécifique dans les outre-mer. Le constat de ces enjeux propres à nos territoires a encouragé la Délégation à engager une action particulière à leur propos.

a.   Le choix de la problématique

La première étape de cette action a été l’audition de M. Frédéric Potier, préfet, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), le 18 octobre 2017.

Cette audition a d’abord permis à M. Potier de présenter les diverses interventions de la DILCRAH intéressant les outre-mer, qu’il s’agisse du soutien aux actions de proximité menées dans certains territoires (Guadeloupe, La Réunion) ou à des évènements d’ampleur nationale où les outre-mer sont impliqués, tels que: la Semaine d’éducation contre le racisme ou le concours « La Flamme de l’égalité ». Il mentionne également l’implication de sa Délégation dans les actions en faveur d’un renouveau de la mémoire de l’esclavage ou de l’histoire de la colonisation, avant de rappeler son soutien à l’organisation, dans les locaux du ministère des outre-mer, des États généraux des LGBT-phobies, en partenariat avec l’association Total Respect, et l’appui accordé à des actions associatives aux Antilles et à La Réunion. Toutes ces interventions se situent dans une conjoncture où le racisme n’est encore que trop présent, comme le pensent 85 % des Français. 50 % des originaires des DOM et de l’Afrique subsaharienne ont vécu une ou plusieurs fois dans leur existence une situation de racisme.

M. Potier évoque en outre le plan triennal de lutte contre le racisme et l’antisémitisme pour 2018-2020, dont le Premier ministre venait, deux jours plus tôt, de présenter les orientations : développement de la politique mémorielle ; émergence d’actions de terrain, avec l’appel à des projets locaux qui peuvent être d’ampleur financière limitée ; soutien à la création de lignes d’écoute sur le modèle de celles qui existent déjà en Guyane et à La Réunion.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon présente ensuite, sur mon invitation, son témoignage personnel sur la discrimination anti-LGBT. Mère d’une famille homoparentale avec deux filles mineures, elle a déploré l’injustice dont cette famille était victime du fait des règles régissant actuellement la filiation, qui ne prennent pas en compte toutes les situations individuelles. Notre collègue a fait notamment ressortir qu’elle ne pouvait adopter la fille qui a été portée par son ex‑compagne, et ne pouvait donc prendre aucune décision concernant cette enfant sans faire appel à sa « maman du ventre ». Alors que tous les enfants, en quelque sorte, « subissent » la famille dans laquelle ils arrivent, il est déplorable, conclut‑elle, que certains soient exposés à des sujétions et tracas juridiques que d’autres ne connaissent pas. Aussi souhaite-t-elle légiférer sur la filiation pour faire disparaître une telle injustice sociale. Elle se déclare disposée à apporter son témoignage pour aider à la solution des problèmes analogues qui se posent très vraisemblablement dans les outre-mer et contribuer ainsi à la lutte contre les discriminations.

Ce double exposé, outre des demandes de précisions complémentaires de Mme Maud Petit et de MM. Mansour Kamardine et Didier Quentin, a conduit M. Serge Letchimy à demander une action résolue contre toutes les formes de discrimination, à commencer par les habitudes de langage qui, à l’instar du concept d’outre-mer, font perdurer celles-ci jusque dans le vocabulaire institutionnel. Les comportements racistes et discriminatoires qui persistent sont, dit-il, autant de segmentations du vivre-ensemble ; seule une politique de la reconnaissance permettra d’assurer la complétude de la Nation. Mme Josette Manin a, pour sa part, insisté sur le développement de campagnes de sensibilisation auprès des collégiens et des lycéens qui, grâce à la liberté de leur parole, sont particulièrement aptes à porter les projets qu’encourage la DILCRAH.

M. Potier a manifesté son adhésion à l’idée que la défense des valeurs universelles de la République fait notre honneur collectif, et que l’urgence de combattre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, et tous les discours de haine, est, dès lors, indépendante de l’identité personnelle de chacun. Tout en se déclarant disposé à encourager sur cette base, dans chaque territoire, des projets conçus en fonction de sa situation particulière, il a fait ressortir les limites de l’écho rencontré par les propositions de la DILCRAH. Une autre difficulté de l’action tient à la nécessité de tenir compte, dans les actions sur les mentalités, du poids de l’éducation, de la tradition et des religions ;

L’échange entre M. Potier et les parlementaires présents illustrant manifestement l’opportunité de consacrer un rapport spécifique à la situation des personnes LGBT dans les outre-mer, j’ai présenté sans plus attendre cette proposition à la Délégation. Ma proposition a été soutenue, tant par Mme Ramlati Ali qui a fait état de la grande solitude et des souffrances, à Mayotte, des personnes LGBT contraintes à la dissimulation que par Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, qui a estimé que seul un travail en douceur sur les mentalités, à travers l’éducation, pouvait mettre un terme, dans les outre-mer, à une situation où le poids de la religion et de la culture conduit à mettre en difficulté, non seulement les personnes homosexuelles, mais les membres de leurs familles. M. Letchimy est alors intervenu pour proposer un élargissement du sujet du rapport, de sorte qu’il ne soit pas circonscrit aux comportements anti-LGBT, mais porter sur toutes les formes de racisme dans les outre-mer et également dans l’Hexagone, à l’encontre des ultra-marins.

Après débat, la Délégation a fait sienne la suggestion de Mme Vanceunebrock-Mialon tendant à concevoir le rapport comme le grand livre de la lutte contre les discriminations, dans lequel il y aurait une partie consacrée plus spécifiquement aux discriminations anti-LGBT et une partie portant sur les discriminations en général.

Des rapporteurs différents ont été nommés pour chacune des parties ainsi définies.

b.   État de la réalisation et des perspectives de l’action de la Délégation contre les discriminations

Depuis octobre 2017, la préparation de chacune des parties du grand livre des discriminations a été conduite de façon autonome par les rapporteurs qui en ont été respectivement chargés.

La rédaction de la partie consacrée à la lutte contre les discriminations anti-LGBT dans les outre-mer, confiée à Mme Vanceunebrock-Mialon et à MM. Raphaël Gérard et Gabriel Serville, a été préparée par de nombreuses auditions des rapporteurs conduites depuis Paris, ainsi que par une mission en Guadeloupe, en janvier 2018, que j’ai eu le plaisir d’accueillir. L’état des démarches préparatoires accomplies par les rapporteurs est exposé dans le rapport d’information (n° 1090) qu’ils ont présenté à la Délégation le 19 juin 2018, et auquel je me permets de renvoyer.

Je ne reprendrai pas, dans le cadre de ce rapport d’activité, le détail des analyses et des propositions faites, lors de la présentation orale de leurs conclusions, par nos collègues – là encore, je renvoie au rapport n°1090.

Il me semble en revanche important de relever que les diligences auxquelles ils ont procédé confirment les hypothèses émises lors de la réunion du 18 octobre 2017. Leur rapport, en effet, contient une description précise des difficultés auxquelles les personnes homosexuelles sont confrontées dans nos territoires : impossibilité de faire apparaître leur orientation sexuelle sans risque de persécution dans des sociétés caractérisées par la densité des relations sociales de proximité ; poids des traditions culturelles et religieuses dans la perpétuation de représentations négatives de l’homosexualité et, pis encore, de comportements discriminatoires, voire violents. Face à cela, la réaction de la société apparaît comme la source d’une double peine : d’une part, la réalité sociologique de ces représentations et comportements est le plus souvent niée par les personnes ayant autorité, y compris dans le monde politique ; d’autre part, les services chargés de la répression des infractions dont les personnes homosexuelles se déclarent victimes auprès d’eux sont inégalement enclins à enregistrer les plaintes et donc à conduire les enquêtes requises pour une poursuite effective de ces infractions.

Les rapporteurs de la Délégation ont, en contrepoint, mis en lumière l’action courageuse des associations qui, avec des moyens limités et sans cesse remis en cause, soutiennent les personnes homosexuelles et se font les porte‑parole de leurs revendications et de leur droit élémentaire au respect. Les initiatives pédagogiques prises dans le cadre de l’Éducation nationale semblent porter également de premiers fruits.

Les vingt-neuf recommandations faites par les rapporteurs sont la conséquence directe de leurs constatations. Leurs maîtres-mots sont information, sensibilisation (à l’école, dans les services publics, en direction de la population en général), soutien aux associations, libération de la parole.

Comme je l’ai souligné au terme de leur exposé devant la Délégation, avec le soutien de ses membres présents, Mmes Josette Manin et Maud Petit, la gravité des faits exposés par nos trois collègues met à notre charge un double devoir de suivi et d’information. Suivi des initiatives de la DILCRAH, à laquelle la Délégation exprime son soutien ; aide à l’amplification de l’information sur la situation des personnes homosexuelles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Assemblée nationale. Les rapporteurs ont reçu de la Délégation, le 19 juin, mandat de poursuivre leur mission dans cette double perspective.

Quant à la seconde partie du grand livre des discriminations, confiée à Mmes Josette Manin, Maud Petit et Cécile Rilhac, elle a donné lieu à un intense travail préparatoire d’auditions et de documentation, couronné par une mission en Martinique au début du mois de juillet 2018.

B.   les institutions : RéFLEXIONS ET PROPOSITIONS

Dans l’histoire institutionnelle des outre-mer, la summa divisio entre départements et territoires, encore en vigueur au début de la Vème République, a fait place à une extrême diversité. La multiplicité des statuts a pour conséquence, entre autres, de rendre objectivement plus complexe la compréhension des effets de toute réforme sur l’organisation de nos territoires.

C’est pourquoi, dans la perspective de la réforme annoncée de la Constitution, la Délégation aux outre-mer a pris deux initiatives : aménager, par la voie d’un colloque, un temps de réflexion, avec le concours d’experts reconnus, sur les contours possibles de la partie ultramarine de cette réforme ; confier à deux de ses membres, MM. Hubert Julien-Laferrière et Jean-Hugues Ratenon, l’élaboration d’un rapport dressant l’état de la question telle qu’elle est perçue, notamment, dans les territoires.

1.   Préparer la réflexion : trois débats pour un colloque

Le 5 avril 2018, un colloque, dont j’ai pris l’initiative pour contribuer au débat sur les questions institutionnelles intéressant nos territoires, a réuni au Palais Bourbon parlementaires, juristes et personnalités représentatives des outre‑mer, dans la perspective d’un débat ouvert préparatoire à la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République.

Tout en renvoyant, pour le détail des débats, aux actes publiés sous la forme du rapport d’information n°1171 « Réforme constitutionnelle et collectivités d’outre-mer », j’en rappellerai ici les trois thèmes : « Quelles compétences pour les collectivités uniques ? », « L’amendement Virapoullé en question » et « Une place singulière dans la République : la Nouvelle Calédonie ».

Le premier thème a été développé à partir d’un diptyque unissant l’analyse universitaire de Mme Véronique Bertile, qui s’est interrogée notamment sur la possibilité de rassembler symboliquement dans un article unique de la Constitution les règles institutionnelles applicables dans les outre-mer, en les déclinant selon le degré de compétence et d’autonomie choisi par chacun d’eux, et l’exposé par M. Victorin Lurel, ancien ministre des outre-mer, des propositions qu’il entendait présenter à l’occasion de la réforme.

Le deuxième thème, qui se présentait en quelque sorte comme une modalité particulière du premier, portait sur la limitation de la procédure d’habilitation législative propre à la réunion. Nos collègues Mme Huguette Bello et Ericka Bareigts ont présenté, la première selon une perspective davantage historique, la seconde à la lumière de la pratique constitutionnelle de la notion d’adaptation législative, des visions critiquement convergentes de cette limitation. Le débat qui a suivi a montré la sensibilité politique persistante du sujet.

Enfin, le troisième thème, consacré à la Nouvelle Calédonie, a lui aussi été abordé par la voie d’un diptyque politique et juridique, où l’analyse politique de M. Gérard Poadja sur la conjoncture du débat institutionnel calédonien et la présentation par Mme Léa Havard des modalités juridiques de la consultation référendaire se sont éclairés réciproquement.

Les deux co-rapporteurs de la Délégation sur les évolutions institutionnelles dans les outre-mer sont intervenus à la fin du colloque et ont fait part aux participants de l’état de leur réflexion.

2.   Le rapport sur les propositions de réforme institutionnelle

Le rapport sur les évolutions institutionnelles dans les outre-mer (n°1104) a été présenté à la Délégation aux outre-mer par ses auteurs, MM. Julien‑Laferrière et Ratenon, lors de la seconde réunion tenue le 21 juin 2018.

Si la cause occasionnelle de ce rapport a été une évaluation de la disposition particulière qui donne une interprétation restrictive des possibilités d’habilitation législative dans la région et le département de La Réunion, ses auteurs ont effectivement consacré leurs recherches à l’ensemble des territoires d’outre-mer, à la seule exception de la Nouvelle-Calédonie qui fait l’objet de la mission d’information présidée par M. Manuel Valls et dont le rapporteur est M. Christian Jacob. Ils ont réalisé, à l’Assemblée nationale, plusieurs auditions, tant de personnalités politiques que d’universitaires et adressé à l’ensemble des collectivités un questionnaire reprenant la problématique du rapport. Enfin, une mission à La Réunion, en avril 2018, leur a permis de procéder à une très large consultation de responsables politiques et de personnalités de la société civile qui a porté, bien au-delà de l’actuel article 73 alinéa 5 de la Constitution, sur ce que leurs interlocuteurs attendaient positivement d’une réforme institutionnelle. Le détail de leurs diligences est donné dans le rapport final.

Comme on peut le constater à la lecture de leur texte, en annexe au rapport d’information n°1104, ces propositions correspondent à ce que les rapporteurs ont perçu, à travers leurs travaux, des besoins et des attentes de chaque territoire au printemps 2018 :

- sur le point particulier de l’article 73 alinéa 5, la proposition finalement adoptée par la Délégation reflète une position de compromis dont ne résulte ni la suppression complète de l’exception réunionnaise, ni le simple maintien du statu quo. Il est suggéré que :

- le sens global de l’évolution des statuts des collectivités d’outre-mer fait de la coexistence, sur un même territoire, d’une région et d’un département une situation désormais minoritaire. Les travaux préparatoires du rapport ont montré que le choix pour ou contre la collectivité unique et la définition des compétences, donc de l’éventuelle habilitation ne sont pas liés par une relation automatique. La Délégation souhaite une réflexion ouverte sur la question de la collectivité unique, en soulignant la nécessité de s’en remettre, pour une éventuelle évolution, au choix des populations concernées ;

- la Délégation propose une modification du statut des îles Wallis et Futuna qui mettrait un terme, si elle était adoptée, à la singularité faisant du préfet, administrateur supérieur, le chef de l’exécutif de la collectivité ;

- conformément à une préoccupation exprimée à plusieurs reprises par ses membres et aussi par les interlocuteurs des rapporteurs, la Délégation préconise la définition, au prix si nécessaire d’une modification de la Constitution, des modalités de participation directe des collectivités d’outre-mer, quel que soit leur  statut, aux relations internationales de coopération dans leur environnement régional.

Les consultations des rapporteurs ont montré que les questions statutaires n’étaient pas figées. Aussi bien, la Délégation leur a-t-elle donné mandat aux rapporteurs pour qu’ils exercent leur vigilance sur d’éventuelles évolutions et lui en rendent compte en tant que de besoin.

3.   La prise de position de la Délégation sur le projet de réforme de la troisième assemblée constitutionnelle

Le projet de réforme constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n°911), déposé le 9 mai 2018, propose la création d’une Chambre de la société civile qui se substituerait à l’actuel Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Les membres du groupe de l’outre-mer du CESE sont venus, le 11 juillet 2018, sous la conduite de la Présidente du groupe, Mme Inès Bouchaut-Choisy, exposer à la Délégation les craintes que leur inspire, pour la représentation des outre-mer, la réforme envisagée.

À la suite de leurs interventions, qui ont rencontré un écho favorable de la part de nos collègues, la Délégation a adopté, sur ma proposition, la résolution suivante :

Résolution du 11 juillet 2018 sur la réforme de la troisième assemblée

établie par la Constitution

La Délégation aux outre-mer,

Consciente de la visibilité assurée aux outre-mer par leur représentation dans les trois assemblées établies par la Constitution,

Demande que, dans la réforme annoncée du CESE, la représentation des onze territoires des outre-mer soit intégralement maintenue.

C.   l’économie ou les moyens d’une mobilisation

1.   La révision des aides économiques

La révision des aides économiques engagée à l’initiative de la ministre des outre-mer, qui a donné lieu à de multiples consultations au cours du premier semestre de l’année 2018, a fourni le thème de ma rencontre, au nom de la Délégation, avec les membres de l’Association des chambres de commerce et d’industrie des outre-mer (ACCIOM), le 21 juin 2018, dont l’assemblée générale s’est réunie à la même époque.

La délégation de l’ACCIOM, conduite par sa présidente, Mme Nadine Hafidou, présidente de la chambre de commerce et d’industrie de Mayotte, comprenait en outre MM. Eric Koury (CCI des îles de la Guadeloupe), Jean Arnell (chambre consulaire interprofessionnelle de Saint-Martin), Alain Beauchêne (Chambre d'Agriculture, de Commerce, d'Industrie, de Métiers et de l'Artisanat de Saint-Pierre et Miquelon), et Stéphane Chin-Loy (Chambre de Commerce, d'Industrie, des Services et des Métiers de Polynésie française).

Dans son intervention, Mme Hafidou a rappelé les principales données de la conjoncture économique dans laquelle s’insérait la réflexion proposée : dans un contexte social toujours difficile, les économies des outre-mer se caractérisent par un dynamisme supérieur à ce qui est constaté dans l’Hexagone, même si le développement économique dans ces territoires reste inférieur au niveau national. Elle souligne en particulier les difficultés liées au déficit commercial et à l’insuffisante capacité d’innovation des entreprises privées ultramarines. Il ne faut pas, en particulier, se tromper sur le sens des statistiques qui montrent un fort accroissement du nombre des créations de PME-TPE : elles sont le fait de personnes qui espèrent ainsi échapper au chômage et dont il s’agit ensuite d’améliorer la capacité professionnelle – toute remise en cause mal pensée des aides aurait, pour cette raison, des répercussions sociales périlleuses.

L’ACCIOM estime que la révision envisagée des aides économiques doit respecter trois conditions :

- procéder selon des approches territoriales différenciées, ce qui suppose de sortir des enveloppes normées au bénéfice des territoires où les difficultés économiques sont particulièrement prononcées ;

- offrir aux TPE-PME des dispositifs d’aide à utilisation simple, évitant tout alourdissement de la charge administrative ;

- s’inscrire dans une stratégie d’avenir, incluant le soutien privilégié aux investissements productifs et une aide au recrutement de cadres intermédiaires, dont l’absence exerce actuellement un effet négatif sur les capacités d’innovation des entreprises.

Des interventions des membres de la délégation de l’ACCIOM -qui se sont successivement exprimés, est ressorti un commun attachement à la défiscalisation, dont le rôle essentiel pour le développement économique des territoires a été une nouvelle fois souligné. On a souhaité une extension du champ d'application de ce dispositif à de nouveaux secteurs localement déterminants pour la croissance des économies. La longueur et la complication des procédures d'agrément, incompatibles avec le rythme de réalisation des investissements, ont été déplorées. M. Eric Koury a fait état de demandes d'informations répétitives du Bureau des agréments dont la pertinence n’apparaît pas toujours clairement. M. Chin-Loy a demandé, pour la Polynésie française, la déconcentration des procédures d'agrément, seul moyen, à ses yeux, d'assurer le traitement des dossiers dans un délai raisonnable.

La nécessité de maintenir les aides économiques à un niveau suffisamment incitatif est apparue comme une autre préoccupation commune des membres de L'ACCIOM. Elle a été particulièrement exprimée, pour St Pierre et Miquelon, par M. Beauchesne qui a appelé l'attention sur les effets potentiellement catastrophiques d'une éventuelle remise en cause des aides économiques versées à l'archipel, alors même que son économie commence à peine à se relever des conséquences de la crise de la pêche de 1992. Pour sa part, M. Jean Arnell s'est élevé contre l'absence totale d'appareil statistique à Saint-Martin, qui empêche de fait la prise de mesures économiques efficaces.

Au cours du dialogue qui a suivi, j'ai demandé à nos interlocuteurs de fournir à la Délégation, en recourant à leur expérience de terrain, des exemples concrets qui pourraient servir à des réflexions ultérieures.

2.   L’outil de la défiscalisation

Comme l'a confirmé l'audition de la délégation de l'ACCIOM précédemment évoquée, le recours à l'outil fiscal est unanimement reconnu par les organisations professionnelles comme indispensable au développement des activités économiques dans nos territoires. Aussi bien, avant même d'être informée de la réflexion sur la révision des aides économiques, la Délégation avait-elle accepté, dès le début de ses travaux, de confier un rapport spécifique sur la défiscalisation à MM. Philippe Gomes et Philippe Vigier.

Pour préparer ce rapport, nos collègues ont procédé à l'audition de représentants de toutes les parties prenantes et à plusieurs consultations écrites.

Leurs conclusions ont été présentées à la Délégation le 11 juillet 2018. Renvoyant pour une connaissance plus approfondie de leur contenu au rapport d'information n°1153, je relèverai quatre interrogations principales de ce document, unanimement partagées lors du débat :

- alors que, dans les collectivités dépourvues de l'autonomie fiscale, la loi de finances pour 2014 a posé le principe de la substitution progressive du crédit d'impôt à la défiscalisation traditionnelle, la condition nécessaire à la bonne réalisation de cette substitution, c'est à dire la mise au point d'un préfinancement bancaire efficace, n'est toujours pas remplie ;

- même si des progrès ont été constatés dans les rapports entre l'administration fiscale, singulièrement le bureau des agréments, et les investisseurs potentiellement bénéficiaires de la défiscalisation, il reste de sérieux progrès à accomplir pour accroître la sécurité juridique des procédures, à la fois en termes de délais et de compréhension des exigences d'information exprimées par le fisc ;

- d'une manière plus particulièrement sensible dans les collectivités pourvues de l'autonomie fiscale, la cohérence entre les conditions économiques établies de réalisation des investissements et les modalités de délivrance des agréments fiscaux n'est pas toujours assurée de manière satisfaisante ;

- la déconcentration des procédures d'agrément et l'élimination des doubles procédures de vérification des conditions d'éligibilité des investissements, déjà réalisée pour le secteur du logement social, devraient être plus systématiquement envisagées.

Dans sa présentation orale, M. Philippe Gomès insiste également sur la forte baisse de la dépense fiscale associée à la défiscalisation. Intervenant après lui,  M. Philippe Vigier, co-rapporteur, revient sur cette baisse, qu’il attribue à un défaut de volonté politique pour l’accompagnement du développement économique des outre-mer. Il dénonce l’insécurité juridique découlant de l’application aux procédures de défiscalisation d’une véritable rétroactivité fiscale, et déplore que la procédure d’agrément ne joue pas, comme elle le devrait, son rôle de protection de l’investisseur pour la bonne programmation de ses investissements.

Mme Maina Sage confirme le rôle essentiel que joue la défiscalisation pour le soutien aux activités économiques en Polynésie française. Elle déplore la tendance persistante des ministères financiers, en dépit des efforts d’assainissement effectivement accomplis, à considérer ce dispositif avec une méfiance qui se traduit désormais par le blocage pratique des procédures. Elle souhaite notamment que l’appréciation de l’opportunité économique des investissements défiscalisables soit transférée à la compétence des services fiscaux déconcentrés, qui disposent des informations les plus sûres pour l’évaluer. Elle se préoccupe de la compensation de l’effet, mécaniquement défavorable à l’incitation aux investissements, de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés.

L’intervention de Mme Sage me conduit alors à rappeler que, pour Bercy, la déconcentration des procédures se heurterait au manque de moyens des services locaux, qui seraient enclins à faire remonter au bureau des agréments les questions que celui-ci gère en direct dans l’organisation actuelle.

Mme Justine Benin affirme à son tour l’apport essentiel de la défiscalisation à l’attractivité des territoires. Elle soutient l’idée de la déconcentration de l’appréciation d’opportunité des investissements et appuie tout particulièrement la proposition des co-rapporteurs tendant à maintenir l’option entre défiscalisation et crédit d’impôt dans l’attente de la mise au point, pour laquelle les banques sont peu réactives, d’un préfinancement convenable de ce dernier dispositif.

Mme Huguette Bello dénonce l’attitude générale de blocage des décisions qu’elle constate de la part des fonctionnaires de l’État en poste dans des territoires où ils ne font que passer, au détriment d’élus qui connaissent, eux, parfaitement, les besoins du lieu dont ils sont originaires.

M. Stéphane Claireaux rappelle la promesse faite, lors des assises des outre-mer, d’un appui technique aux petits territoires pour la réalisation effective d’une déconcentration qu’il juge lui aussi opportune. Relayant les observations de Mme Justine Benin, il déplore que les actions de la seule banque implantée à St Pierre et Miquelon soient si peu en phase avec les préoccupations des milieux économiques.

M. Jean-Philippe Nilor souhaite que la défiscalisation soit davantage utilisée pour soutenir les investissements de mise en conformité des logements sociaux aux risques cycloniques, dont le changement climatique va durablement accroître l’ampleur, et aux risques sismiques.

M. Philippe Dunoyer critique les libertés que prend l’administration fiscale par rapport à la volonté du législateur, en décidant de son propre chef que telles catégories d’investissements ne sont pas éligibles à la défiscalisation, en ayant une conception du fait générateur de l’avantage fiscal étrangère à la réalité économique des investissements, et en s’abstenant de définir publiquement la doctrine qui sous-tend ses décisions. Il rappelle la nécessité de prendre en compte les spécificités de chaque territoire, et ainsi de prévoir une défiscalisation plus incitative pour des territoires fiscalement autonomes ou dont l’éloignement géographique minore l’attractivité. Il déplore l’absence de tout système crédible de préfinancement, qui révèle un décalage persistant entre les intentions affichées et la réalité de la pratique.

Quinze propositions, découlant de ces interrogations, ont été adoptées par la Délégation et figurent à la fin du rapport d'information. Les rapporteurs ont reçu mandat de la Délégation de suivre leur prise en considération par les pouvoirs publics, notamment à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2019.

3.   Les initiatives des acteurs professionnels

Parmi les réalités de nos territoires sur lesquelles la Délégation aux outre‑mer a vocation à s’informer et, ainsi, à informer l’Assemblée nationale, les initiatives prises par les entreprises et les autres acteurs de la vie économique locale tiennent une place particulière. C’est ainsi que M. Dominique Vienne, président de la CPME de La Réunion – et désormais président du CESR de La Réunion – est venu présenter à la Délégation deux réalisations locales conçues en vue d’un développement autonome de l’initiative économique.

La première réalisation décrite par M. Vienne est une étude prospective, l’étude RéELLE dont le développement de l’acronyme – Réenraciner l’économie locale – indique le propos. Elle a pour but d’analyser, à La Réunion, les pertes de potentiel économique et inversement d’identifier les filières d’avenir qui portent des potentialités en termes d’emploi, d’accroissement des recettes fiscales locales, de formation et de valorisation des ressources naturelles et surtout humaines. Elle prend en compte la chaîne de la production des biens et des services, en considérant les fuites résultant des achats à l’extérieur du territoire effectués par les entreprises locales qui y sont insuffisamment enracinées, et les conséquences de ces fuites sur les dépenses de consommation et les recettes fiscales. Elle fait ainsi apparaître un écart de 3,7 milliards d’euros entre la demande (25 milliards d’euros) et la production (21,3 milliards d’euros) locales. Pour autant, il existe des possibilités de relocaliser les biens et services aujourd’hui importés, et aussi d’améliorer la réponse par la demande extérieure à la production locale, sachant que 80 % de la demande locale de biens et de services est satisfaite par la production locale. La moitié de cette demande s’exprime entre professionnels et appelle un effort particulier de relocalisation. Le coefficient multiplicateur de la production locale par rapport à la valeur des biens et services importés est de 2,3, en raison notamment de l’insularité.

On voit bien, à partir de RéELLE, explique M. Vienne, qu’une attention  plus forte aux efforts de relocalisation aurait des effets très positifs sur l’emploi : la relocalisation de seulement un dixième des biens et services importés représente 6 500 emplois directs et, selon les secteurs, entre 3 et 7 fois plus d’emplois indirects. Avant toute adaptation, certes nécessaire, de la règlementation, il faut, pour atteindre un tel objectif, obtenir un changement de comportement des acteurs territoriaux et susciter une dynamique de réseau.

Pour enclencher ce changement, les auteurs de l’étude proposent une solution dont ils synthétisent l’esprit à partir de deux termes : diversification et densification.

Diversification de l’offre économique locale, en premier lieu, qui implique un encouragement à l’innovation, non seulement par l’aide aux start up¸ mais plus généralement par le soutien aux entreprises innovantes de l’artisanat. Les chambres consulaires ont toute leur place dans l’assistance à ces entreprises, pour lesquelles il est nécessaire, en outre, de prévoir des financements adaptés. Parler de densification signifie, par ailleurs, stimuler les échanges interentreprises, développer les coopérations économiques régionales, faire, aussi, de la commande publique un acte stratégique du développement territorial et, enfin, encourager les habitant à « consommer local ».

M. Vienne fait valoir les premiers fruits produits par l’étude RéELLE, notamment l’identification de nouveaux leviers de relocalisation et l’apparition de nouvelles filières. Il insiste sur la nécessité de concevoir les actions nécessaires en fonction des contraintes d’une économie insulaire et donc de privilégier le soutien à des projets plus réduits, le recours à l’économie circulaire par le recyclage et les pratiques de mutualisation, en bref, selon son expression, « penser petit pour voir grand ».

Dans la seconde partie de son exposé, le président de la CPME Réunion présente l’outil créé pour concrétiser la conception de la commande publique comme acte de développement, la Stratégie du Bon Achat (SBA). Cet outil, dont les origines remontent à 2010, est porté depuis quatre ans par une association  regroupant quatorze associations professionnelles et treize collectivités publiques, auxquelles devraient s’ajouter les bailleurs sociaux.

La mise en place de la SBA repose sur un constat partagé : quand les entreprises locales travaillent, leurs collaborateurs consomment et les ressources de la fiscalité locale s’en ressentent, ce qui bénéficie à la commande publique. La question est de savoir comment faire apparaître ce cercle vertueux. M. Vienne fait ressortir l’avantage de la méthode pour les deux parties en présence : les acheteurs publics valorisent le territoire par leurs critères d’achat, faire des TPE-PME un levier de développement, privilégier le développement durable et le soutien à l’innovation ; les entreprises peuvent innover, parce qu’il leur devient possible d’augmenter la diversification de leurs offres. Et elles y parviennent parce que le dispositif conventionnel de SBA, en renforçant la visibilité de la commande publique, leur permet d’anticiper les projets et d’adapter en conséquence leurs prévisions d’investissement et de recrutement. Cela a nécessité tout d’abord la mise au point d’un outil documentaire adéquat – fourni par une start up réunionnaise – mettant en rapport les marchés publics envisagés et les entreprises réunionnaises susceptibles d’y prétendre. Il faut en outre veiller à limiter l’importation de biens, par exemple en associant dans les stipulations du marché la fourniture de biens et de services par nature non délocalisables.

 

La réussite de la procédure suppose entre autres la désignation, au sein de chaque collectivité, d’n référent chargé de suivre sa mise en œuvre. Elle implique également d’entretenir en permanence les moyens d’actualiser l’information réciproque des collectivités et des entreprises et la capacité d’expertise de la SBA.

L’intérêt des membres de la Délégation pour la présentation de M. Vienne s’est manifesté à travers les demandes de précisions qu’ils ont formulées. Ils se sont également interrogés sur l’incidence, pour le développement de ce qui leur apparaît comme une bonne pratique, des décisions à intervenir dans plusieurs grands débats contemporains, que ce soit la réforme constitutionnelle et la question des limites de l’habilitation législative à La Réunion, évoquée par Mme Nadia Ramassamy, ou la réflexion en cours sur les aides économiques, la réforme de la formation professionnelle et celle des compétences territoriales citées par Mme Ericka Bareigts. Mme Maina Sage s’est préoccupée pour sa part du bilan de la SBA et des comparaisons éventuellement établies avec d’autres États de l’Océan Indien. M. Thierry Robert a demandé si la mise en œuvre de cette procédure ne faisait pas apparaître la nécessité d’aménagements règlementaires. Pour ma part, j’ai évoqué les critiques que l’on peut entendre parfois sur le différentiel défavorable des prix entre entreprises locales et concurrents extérieurs, sur la capacité des acteurs locaux à répondre de façon satisfaisante à la commande publique, ainsi que sur certaines mauvaises habitudes apparaissant dans la pratique.

En réponse, M. Dominique Vienne a notamment exprimé l’espoir que la révision annoncée des aides économiques assure l’aptitude de l’offre locale à répondre à la demande locale. Il a fait valoir qu’une hypothétique permissivité dans les procédures de marchés publics, ou toute autre évolution des normes règlementaires, n’aurait aucune portée faute de dialogue stratégique entre les acheteurs et les entreprises. Il a appelé à prendre en compte, pour évaluer la pertinence des offres, non seulement le critère du prix, mais la qualité de la prestation et l’impact direct et indirect de l’attribution du marché sur l’économie du territoire. À l’expérience, a-t-il ajouté, on constate que de mauvais perdants imputent à tort à de prétendues mauvaises habitudes un échec dû à la qualité insuffisante de leur offre. Enfin, il a considéré qu’il fallait d’abord s’interroger sur la qualité des comportements et la mise en œuvre des compétences avant de poser la question des habilitations.

4.   La clarification nécessaire du régime des biens immobiliers

Continuant une pratique suivie à plusieurs reprises au cours de ses premières années d'existence, la Délégation a reçu, le 16 janvier 2018, notre collègue Serge Letchimy, auteur et rapporteur d'une proposition de loi tendant à permettre le dénouement des situations d'indivision persistantes qui caractérisent plusieurs de nos territoires.

 

M. Serge Letchimy expose que le désordre créé par les indivisions successorales outre-mer est un véritable fléau, dont les répercussions dépassent le seul problème de la mise à disposition de terrains : la proportion des immeubles bâtis et non bâtis en indivision peut dépasser la moitié même dans des communes importantes. Il en résulte une menace pour la paix des familles, la naissance d’un risque sanitaire élevé et la mise en péril de la sécurité des personnes. En outre, le gel de patrimoine provoqué par la persistance des indivisions contraste cruellement avec le besoin en logements que l’on constate dans les outre-mer et, lorsqu’il affecte le centre des villes, y entraîne une dégradation visible des constructions. Les procédures existantes, qu’il s’agisse du constat d’abandon des biens sans maitre ou de l’expropriation pour cause d’utilité publique, sont coûteuses pour les collectivités publiques et peuvent durer longtemps.

L’application de la prescription acquisitive et de la dérogation à la règle de l’unanimité aux indivisions successorales en Corse, pendant une période limitée de dix ans, a permis d’y sécuriser juridiquement les possessions effectives des biens en indivision. La proposition de loi s’inspire de ce précédent. Pendant dix ans, les actes de disposition portant sur des biens indivis pourront être pris sur décision de la majorité simple des co-indivisaires, réserve faite de la situation particulière née de la présence de mineurs ou de majeurs protégés. La loi organise en outre la recherche des indivisaires non connus et donne certains droits de contestation en justice aux indivisaires qui sont opposés aux actes de disposition.

Ouvrant le débat sur cet exposé, j’ai rappelé, pour ma part, la confusion constatée sur l’origine de propriété d’immeubles construits par des personnes agissant pour leur compte sur des terrains familiaux, qui fait obstacle à l’obtention de crédits pour le financement de projets immobiliers.

Répondant à une question de Mme Huguette Bello, M. Letchimy précise qu’il s’est dûment documenté sur la situation de l’ensemble des territoires ultramarins au regard du régime d’indivision mais que le court délai de procédure lié à l’utilisation de la procédure dite de la « niche parlementaire » ne lui a pas permis, notamment, de consulter des personnalités réunionnaises.

M. Max Mathiasin et M. Jean-Philippe Nilor évoquent ensuite les ventes réalisées par les agences des cinquante pas géométriques, à leurs occupants, de terrains sur lesquels les familles de ceux-ci sont présentes depuis des générations. M. Nilor fait remarquer que, sur ces terrains aussi, on constate des situations d’indivision préjudiciables. Mme Maina Sage appelle l’attention sur la nécessité d’adapter les procédures instituées par la proposition de loi aux situations propres des différents territoires. Mme Pau-Langevin s’interroge sur l’effectivité, à l’égard d’ayants droit résidant en France hexagonale ou à l’étranger, d’une publicité organisée seulement au lieu d’implantation de l’immeuble indivis. Enfin, Mme Claire Guion-Firmin s’interroge à son tour sur les conditions d’application de la réforme à Saint-Martin, compte tenu de son statut particulier.

À la suite de ce débat, la Délégation a adopté, sur ma proposition, la résolution suivante :

Résolution du 16 janvier 2018 sur les indivisions successorales

La Délégation aux outre-mer déclare unanimement soutenir la démarche de la proposition de loi présentée par M. Serge Letchimy pour régler les situations d’indivision non dénouées dans les territoires d’outre-mer.

5.   Les instruments de politique européenne

Depuis sa création, la Délégation suit avec attention le développement de la politique de l’Union européenne à l’égard des outre-mer. Elle n’ignore pas en effet que les termes de la relation entre les territoires que le droit européen qualifie de régions ultrapériphériques et les institutions communautaires est par principe un objet permanent de négociation.

Aussi la Délégation a-t-elle tenu à exprimer sans équivoque la constance de ses préoccupations, en adoptant, sur ma proposition, la résolution suivante :

Résolution du 27 juin 2018 relative aux conséquences sur les économies ultramarines de la future programmation 2021-2027 de l’Union européenne

Les députés membres de la Délégation aux outre-mer,

Conscients des dangers que ferait courir à leurs économies une baisse, sur la future période de programmation 2021-2027, de l’enveloppe communautaire agricole dédiée à ces régions (POSEI) et de la part réservée à la compensation des surcoûts de la pêche des RUP dans le FEAMP (Plans de Compensation des Surcoûts –PCS),

Considérant la fragilité singulière des économies de ces régions éloignées, exigües, isolées, dont les productions sont particulièrement exposées à la concurrence mondiale progressivement rendue plus destructrice avec la baisse généralisée des tarifs douaniers sur les produits tropicaux et subtropicaux,

Considérant qu’elles connaissent les taux de chômage des jeunes les plus élevés d’Europe, situation entraînant notamment un développement accru de la délinquance, de la criminalité et des commerces illicites,

Considérant que les filières animales et végétales constituent la première source d’emplois privés hors services grâce à une politique agricole essentiellement appuyée sur le POSEI,

Considérant que leur agriculture n’a été éligible à la PAC que 30 années après les régions continentales, lors de la création du POSEI, et n’a donc pas bénéficié, pendant cette période, des effets considérables que cette politique a engendrés sur le volume de la production agricole continentale,

Considérant que leur agriculture, hormis les grandes cultures d’exportation, est par conséquent demeurée trop longtemps à l’état embryonnaire face à la concurrence de l’importation de produits agricoles en provenance tant d’Europe que du reste du monde,

Considérant que la politique agricole spécifique qui leur a été appliquée depuis 1993 a par conséquent pour objectif de les aider à développer leurs productions avec des aides individuelles couplées, à l’inverse de la politique engagée depuis 1989 (réforme de la PAC) dans les régions européennes continentales en situation de surproduction,

Considérant que cette politique a contribué à accroître l’offre de produits frais au consommateur et a permis une stabilisation, voire une baisse des prix dans certains cas,

Considérant que cette politique a conduit à augmenter progressivement l’enveloppe consacrée au POSEI afin de soutenir les filières agricoles ultramarines fortement génératrices d’emplois en suivant le rythme de progression de la production locale afin d’assurer ainsi la sécurité alimentaire de ces régions et de consolider les filières d’exportation,

Considérant que cette mécanique de développement, basée sur un engagement implicite des institutions d’assurer la stabilité des soutiens publics, incite chaque année des agriculteurs et des éleveurs à s’endetter lors de leur installation pour plus de cinq années, et que la baisse de leurs aides consécutive à une réduction de l’enveloppe globale irait à l’encontre des engagements des institutions et les conduirait à la ruine,

Considérant les conclusions positives de la Commission européenne dans son dernier rapport d’évaluation du POSEI au Conseil en date du 15 décembre 2016,

Considérant les déclarations du Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker du 27 octobre 2017 à la Conférence des Présidents des régions ultrapériphériques à Cayenne : Nous allons poursuivre les programmes POSEI pour l'agriculture – je ne compte pas les réduire et les corriger vers le bas, déclarations publiques d’une grande clarté que les acteurs socioprofessionnels avaient par conséquent perçues comme des assurances du président de la Commission européenne et qui rendent aujourd’hui d’autant plus vives leur surprise et leur déception,

Considérant la résolution, également très positive à l’égard du POSEI, du Parlement européen adoptée le 30 mai dernier et présentée par M. Herbert Dorfmann, intitulée L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture, qui déclare: Le Parlement européen renouvelle son appel lancé à plusieurs reprises déjà en faveur du maintien à un niveau suffisant du budget alloué à POSEI pour que l’agriculture puisse relever les défis qu’elle rencontre dans les régions ultrapériphériques; se félicite des résultats du rapport le plus récent de la Commission sur la mise en œuvre de POSEI, et estime que les programmes en faveur des régions ultrapériphériques et des petites îles de la mer Égée devraient rester distincts du régime général de paiements directs de l’Union afin de garantir un développement territorial équilibré en prévenant le risque d’abandon de la production du fait des difficultés liées à l’éloignement, au caractère insulaire, à leur petite taille, à la topographie et au climat difficiles, ainsi qu’à leur dépendance économique à un petit nombre de produits,

Considérant la résolution du Parlement européen adoptée le 27 avril 2017 favorable aux pêcheries des RUP et présentée par l’eurodéputée Ulrike Rodust, intitulée « La gestion des flottes de pêche dans les RUP », qui déclare que le Parlement se félicite des dispositions spécifiques du FEAMP pour les RUP, telles que la compensation des surcoûts (prise en charge de 100 % par le Fonds, supérieure à celle de la précédente période de programmation mais pas encore suffisante pour certaines RUP),

Considérant que le secteur de la pêche est confronté à la même problématique de réduction budgétaire que le POSEI avec des conséquences tout aussi préoccupantes,

Considérant enfin l’engagement du Commissaire européen en charge de l’agriculture et du développement rural, M. Phil Hogan, de maintenir le budget du POSEI à son niveau actuel pour les agriculteurs des régions ultrapériphériques après 2020 le 26 juin,

Conviennent collectivement que soient entreprises, de la part des gouvernements français, espagnols et portugais, les actions nécessaires pour que la réduction du budget du POSEI et de la part du budget du FEAMP réservée à la compensation des surcoûts de la pêche des RUP envisagée par la proposition adoptée par la Commission européenne le 1er juin dernier, soit abandonnée, et que l’enveloppe du POSEI puisse au contraire continuer d’être ajustée à la hausse comme elle l’a été jusqu’ici, jusqu’à saturation du potentiel foncier de développement agricole local.

D.   formation, santé, protection sociale : les spécificités des outre- mer

1.   Un enjeu vital de santé publique : le chlordécone

Le scandale de la pollution par le chlordécone suscite dans les territoires qu’il frappe émotion et indignation, posant le problème de la responsabilité de la puissance publique et des mesures qu’il convient de prendre pour en limiter les effets. La Délégation a tout d’abord entendu le point de vue des experts, qui l’a conduite à juger nécessaire d’interpeller le Gouvernement. Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, est venue, une semaine après, apporter les réponses de la puissance publique.

a.   L’analyse de l’ANSES et l’interpellation de la Délégation

Le 7 février 2018, la Délégation a reçu l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Le propos initial de sa réunion était d’écouter une présentation par l’un de ses auteurs, M. Jean‑Luc Volatier, du rapport publié par l’ANSES, le 15 décembre 2017, sur la pollution par le chlordécone. La présence du directeur général de l’ANSES, M. Matthieu Schuler, aux côtés de M. Volatier, a manifesté, s’il en était besoin, l’importance capitale du débat.

J’ai souligné d’entrée de jeu combien le chlordécone était un fléau pour la Guadeloupe et la Martinique. Produit hautement toxique, il s’y est répandu de telle sorte que, tout en affectant les terres cultivées elles-mêmes, il a exercé de nombreux autres effets nocifs et porte ainsi une atteinte durable au cadre de vie et aux traditions des populations antillaises.

L’ANSES conduit depuis quinze ans une expertise spécifique sur l’exposition au chlordécone, avec une forte préoccupation de suivi des publications scientifiques et d’appui aux études épidémiologiques. Les résultats de ces recherches ont été rassemblés dans l’étude Kannari.

Cette étude, qui rassemble les résultats des vastes recherches sur le chlordécone menées par l’ANSES, a porté sur environ mille personnes, adultes et enfants, en Guadeloupe et en Martinique. Elle a cherché à évaluer précisément le lien, suggéré par des études précédentes, entre le mode d’approvisionnement et l’origine des denrées consommées et le niveau de contamination, à partir de 10 000 données analytiques sur la teneur et la concentration de chlordécone dans les denrées alimentaires. Ce niveau d’information assure aux résultats obtenus une forte signification.

Il a été ainsi possible d’identifier les groupes de la population antillaise qui, compte tenu de leurs habitudes alimentaires, sont les plus exposés, dans une perspective de réduction prioritaire des expositions subies par ces personnes. Tous consomment des produits obtenus en dehors des circuits contrôlés, par des circuits informels comme les jardins familiaux ou les bords de route. Leur exposition à la contamination est très supérieure à celle que l’on peut relever sur les circuits (marchés, épiceries, grandes surfaces) soumis à contrôle sanitaire et comme tels à des limites maximales de résidus.

Le groupe de population le plus exposé est constitué par les personnes qui consomment au moins quatre fois par semaine des produits de la mer ou des produits d’eau douce pêchés par des particuliers. Dans une moindre proportion, sont également atteintes les personnes qui consomment deux fois par semaine des racines et tubercules issus des jardins situés dans les zones contaminées. La consommation d’œufs non soumis à contrôle est également une source particulière de contamination.

La contamination des œufs provenant de circuits non contrôlés est en moyenne de 1000 µg/kg contre 0,5 µg/kg par kg pour les œufs soumis à contrôle sanitaire ; pour les viandes, ces valeurs sont respectivement de 592 µg/kg et de 3 µg/kg ; pour les volailles, de 80 µg/kg et de moins de 1 µg/kg.

Les limites maximales de résidus (LMR) sont fixées par la Commission européenne, qui en a relevé la valeur, pour les seuls produits carnés terrestres, il y a quatre ans. Même à leur ancien taux, les LMR sont nettement supérieures aux valeurs de contamination effectivement relevées pour les produits contrôlés. On ne peut que constater, dès lors, que le retour éventuel à cet ancien taux n’aurait aucun impact limitatif sur l’exposition au chlordécone, d’autant plus que celle-ci est due à des produits qui ne proviennent pas de circuits contrôlés et ne sont donc pas soumis à la vérification de ces limites.

Tout en comprenant bien que le relèvement décidé en 2013 puisse apparaître comme un signal négatif, l’ANSES n’a aucun motif de s’opposer à une renégociation européenne de valeurs qui sont de toute manière des outils de gestion et pas des valeurs à usage scientifique.

Il ne faudrait pas que ce débat occulte les mesures de prévention et d’accompagnement visant à réduire l’exposition des populations consommant des produits provenant de circuits non contrôlés, en particulier l’aide au nécessaire aménagement hors sol des poulaillers.

Les membres de la Délégation qui sont ensuite intervenus dans le débat ont réagi avec vigueur aux informations qui leur étaient ainsi données.

Mme Sandrine Josso souligne la contradiction entre le relèvement des limites maximales de résidus décidé en 2013 et le devoir de protection de la santé des citoyens qui incombe à l’État. Elle estime que la responsabilité de l’État était susceptible d’être engagée à raison de la défaillance constatée de ses services.

M. Serge Letchimy, lui aussi, considère que le scandale dont il est ici question est susceptible, si les conséquences de la pollution par le chlordécone sont avérées, de mettre en cause directement la responsabilité de l’État. Il aurait été convenable, à ses yeux, d’informer les élus guadeloupéens et martiniquais du relèvement par cinq, voire par dix, des limites maximales de résidus, déjà supérieures, avant 2013, aux valeurs toxicologiques de référence. M. Volatier a fait preuve d’honnêteté intellectuelle en reconnaissant publiquement que le relèvement de ces limites avait donné un signal contraire aux objectifs affichés de la politique de santé publique. Pour autant, en soulignant le contraste entre la très faible contamination des produits contrôlés et l’extrême pollution des produits issus de circuits non contrôlés, ses déclarations sont un encouragement à des pratiques risquées sur ces derniers. Comment maintenir sans contradiction la pression sur les producteurs, comme le recommande le groupe d’experts, alors que les limites de valeurs résiduelles sont fortement relevées ? Au total, la pollution par le chlordécone pourrait se révéler un crime d’État. Il faut demander au Gouvernement de revenir aux limites règlementaires pratiquées avant 2013.

J’ai alors annoncé que Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, avait accepté mon invitation à venir devant la Délégation exposer les analyses et la politique de son ministère sur la pollution par le chlordécone.

Mme Josette Manin déplore que les questions posées par les parlementaires de la Guadeloupe et de la Martinique, unis par les mêmes préoccupations précédemment exprimées, n’aient reçu que des réponses floues. L’émoi est perceptible parmi les populations, et aujourd’hui les parlementaires sont mis en accusation, invités à rendre des comptes. Il faut que des mesures concrètes soient prises pour apaiser l’angoisse collective actuelle et notamment pour expliquer le relèvement des limites maximales de résidus intervenu en 2013.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon insiste sur le rythme de biodégrabilité très lent du chlordécone, et ses effets nocifs qui persistent, aux Antilles, un quart de siècle après la fin de son emploi. Elle demande des précisions sur les conditions de mise sur le marché de ce produit et sur les propositions faites par l’ANSES en vue de la préservation de la santé des personnes concernées.

M. Laurent Furst reconnaît dans l’affaire du chlordécone un problème de santé publique d’intérêt national, et pas seulement les outre-mer. Il se déclare sensible aux inquiétudes exprimées par les précédents intervenants sur un sujet nouveau pour lui, qui appellent, sauf à être valablement contredites, un changement profond des politiques publiques.

Mme Justine Benin se déclare insatisfaite des réponses apportées jusqu’à présent par le Gouvernement et appelle au respect du principe constitutionnel de précaution, ce qui implique, pour elle, le relèvement des limites maximales de résidus. Quelles que soient les incertitudes sur l’évaluation proprement scientifique des effets de la pollution par le chlordécone, la progression des cancers de la prostate et des malformations congénitales dans les zones durablement contaminées est un fait constaté par les populations, qui attendent des initiatives de la part des parlementaires.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Luc Volatier apporte à son exposé diverses précisions :

- l’usage du chlordécone étant interdit depuis 1993, son action nocive tient désormais uniquement au fait qu’il s’agit d’un polluant organique persistant. Il n’y a donc pas de lien entre la pollution par le chlordécone et la délivrance par l’Agence, depuis 2015, d’autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques ;

- selon les informations communiquées par certains experts davantage impliqués, la modification européenne des limites maximales de résidus est liée â la substitution au taux de matières grasses, jugé non prédictif du niveau de contamination, d’une référence aux tissus organiques qui a conduit, de fait, à une diminution des valeurs moyennes affichées ;

- au-delà des incertitudes scientifiques, la réduction de l’exposition des populations antillaises au chlordécone est sans aucun doute un enjeu de santé publique de particulière importance. C’est pourquoi l’avis de l’Agence propose, dans ce but, plusieurs mesures prioritaires dont le renforcement des programmes portant sur les jardins familiaux, dont il n’est pas sûr qu’ils couvrent actuellement toutes les populations devant en bénéficier. Il ne s’agit pas de proscrire la consommation des produits issus de ces jardins, mais de se plier à certaines mesures d’aide à la production : analyses du taux de contamination des sols, encouragement à l’élevage hors sols des poules

M. Matthieu Schuler, directeur général de l’ANSES, confirme que l’application effective de ces programmes d’accompagnement sera le premier déterminant d’une diminution réelle et concrète de l’exposition. Il est capital d’avoir une connaissance constamment renouvelée de l’effet du chlordécone pour affiner l’action. Agir sur les limites maximales de résidus, insiste-t-il, n’a aucun impact sur cette partie prioritaire de l’action.

Après débat et modifications, la Délégation a adopté, à l’unanimité moins deux abstentions, sur ma proposition, la résolution suivante :

Résolution du 7 février 2018 sur la pollution par le chlordécone

La Délégation aux outre-mer, rappelant que le principe de précaution est inscrit dans la Charte de l’environnement, texte de valeur constitutionnelle, demande que toutes dispositions soient prises pour répondre aux inquiétudes des populations durablement exposées à la pollution par le chlordécone et notamment pour réduire les limites règlementaires applicables au calcul de cette pollution (limites maximales de résidus en particulier).

Elle rappelle qu’il s’agit là d’un enjeu de santé publique essentiel.

Elle demande que des études approfondies soient continuées ou reprises en Guadeloupe et en Martinique pour évaluer scientifiquement le risque épidémiologique.

b.   La réponse politique de Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé

Sur mon invitation, Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, a bien voulu se rendre devant la Délégation, deux semaines après l’audition de l’ANSES, pour répondre aux inquiétudes et aux demandes exprimées par les parlementaires, tant en séance publique que lors de notre précédente réunion. En l’accueillant, j’ai naturellement rappelé la résolution par laquelle la Délégation avait exprimé, le 7 février, sa propre opinion. Le compte rendu intégral de cette audition est, selon l’usage, publié en annexe au présent rapport ; en y renvoyant pour une information exhaustive, je voudrais proposer ici une synthèse de nos débats.

Dans son intervention initiale, la ministre affirme, en préambule, sa volonté d’éviter aux départements d’outre-mer toute perte de chance au regard de la politique de santé publique. Puis elle s’attache à décrire les objectifs de l’action de son ministère contre les effets de la pollution par le chlordécone : poursuivre l’amélioration des connaissances encore incertaines sur le lien entre l’absorption de ce produit et certaines maladies graves ; développer les actions de prévention et de sécurisation de l’alimentation ; susciter la mise en commun publique des connaissances acquises, notamment par l’organisation d’un grand colloque sur le chlordécone à l’automne 2018 ; développer l’information des populations touchées par la pollution.

L’exposé de la ministre a été suivi, comme de coutume, par un débat qui a fait apparaître les principales inquiétudes et les demandes des membres de la Délégation. On a souligné l’inégalité de l’exposition aux dangers du chlordécone, qui frappe principalement des personnes que leurs faibles ressources contraignent à se fournir sur des marchés informels. On a remis en cause la brusque interruption de l’étude Madiprostate entreprise en Martinique pour évaluer le lien éventuel entre le chlordécone et le cancer de la prostate. Plus généralement, les insuffisances de l’information scientifique sur le chlordécone ont été dénoncées et déplorées.

Dans sa réponse, Mme Agnès Buzyn affirme avec force que l’interruption de Madiprostate était due au constat, effectué par un groupe d’experts indépendant du ministère, des graves lacunes méthodologiques de cette étude, qui conduisaient à mettre sérieusement en doute la valeur scientifique de ses éventuelles conclusions. Pour autant, il lui apparaît impérieusement nécessaire de développer les recherches, actuellement très insuffisantes, sur les effets à long terme du chlordécone. Se défendant de toute intention dissimulatrice, elle reconnaît les défaillances de l’action de communication du ministère sur son plan chlordécone, qui ont contribué à accroître de façon regrettable l’anxiété des populations. Elle fait part de son intention d’encourager et d’accompagner, dans un environnement sanitairement sûr, la création de jardins familiaux. Elle annonce en outre que le ministre de l’agriculture va saisir les instances européennes de la question de la révision des limites maximales de résidus tolérées.

J’ai relevé en conclusion les principales annonces de la ministre : lancement de nouvelles études scientifiques à la robustesse assurée, tenue d’un colloque scientifique de synthèse des connaissances en octobre, labellisation « sans chlordécone » des jardins familiaux, confirmation du maintien, dans la règlementation nationale, des anciens critères de taux de matière grasse.

2.   La formation dans les outre-mer : constats et propositions

La réforme de la formation professionnelle qui constitue le premier volet du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel présenté par Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, revêt une importance primordiale pour les habitants des outre-mer.

Nos territoires connaissent en effet des problèmes spécifiques de niveau de formation, de disponibilité des filières, d’adéquation des formations aux besoins, de déracinement pour les jeunes partant étudier dans l’Hexagone ou à l’étranger. Le taux de chômage, notamment pour les jeunes, est beaucoup plus élevé dans les outre-mer que dans la France hexagonale. On observe enfin, dans nos collectivités, une structuration insuffisante des branches professionnelles.

Pour toutes ces raisons, la Délégation a nommé, lors de sa réunion du 21 février 2018, trois rapporteures d’information sur la partie du projet de loi portant sur la formation professionnelle, Mmes Ericka Bareigts, Justine Benin et Josette Manin.

a.   Les travaux préliminaires des rapporteures

Dès leur nomination, les rapporteures de la Délégation ont procédé à plusieurs auditions de personnalités compétentes dans le domaine de la formation professionnelle : M. Jean Bassères, directeur général de Pôle Emploi, M. Florus Nestar, directeur général de LADOM, le général Thierry de Ladoucette, commandant le Service militaire adapté, Mme Céline Schwebel, présidente, et une délégation d’AGEFOS-PME, M. Yves Hinnekint, directeur général d’OPCALIA, M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union des entreprises de proximité. Elles ont participé à une conférence, le 5 mars 2018, avec les représentants des chambres de commerce et d’industrie des outre-mer au siège de l’association qui les représente, l’ACCIOM.

Par ailleurs, elles ont procédé à de nombreuses consultations de personnes impliquées, à des titres divers, dans la mise en œuvre de la formation professionnelle dans leurs départements respectifs.

Enfin, une réunion au ministère du travail leur a permis de présenter au cabinet de Mme Pénicaud leur analyse sur le projet de loi au regard de la situation des outre-mer et les propositions que cette analyse les conduisait à formuler.

b.   L’audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

La Délégation a reçu Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, le 24 mai 2018. Comme pour l’audition de Mme Agnès Buzyn, il est possible de consulter, en annexe au présent rapport, le compte rendu intégral de cette audition, dont il est proposé ici une synthèse.

En écho à mes propos introductifs, Mme Pénicaud exprime d’abord sa volonté de veiller, dans la construction de la réforme, à répondre efficacement et de manière adaptée aux besoins propres des outre-mer. Elle rappelle les constats qui illustrent ces besoins : l’incapacité du système actuel à endiguer le développement du chômage de masse, en premier lieu celui des jeunes, dans les outre-mer ; la défaillance massive du système de formation lorsqu’il s’agit d’acquérir une formation protégeant du manque ou de l’obsolescence des compétences ; les conséquences négatives, pour le développement des entreprises en outre-mer, du départ des jeunes ayant acquis une formation collective.

 

La ministre décrit ensuite, chapitre par chapitre, l’économie générale du projet de loi, en s’arrêtant, au fil de son exposé, sur les dispositions qui ont une incidence particulière pour les outre-mer. C’est ainsi qu’elle souligne le handicap dont souffrent, au moment de choisir leur avenir professionnel, les salariés non qualifiés, dont le nombre élevé dans nos territoires appelle un investissement massif dans la formation et les compétences. Mais il reste difficile de trouver dans les outre-mer les bonnes filières et les bons acteurs, capables de permettre l’articulation des politiques économiques et des politiques de formation.

De même, la proportion nationale des apprentis dans la fraction jeune de la population, très inférieure à ce qu’elle est dans les États à économie comparable qui ont vaincu le chômage, est encore plus faible dans les outre-mer, alors même que, les chiffres le montrent, l’apprentissage est une voie d’insertion très solide. Il faut donc à la fois libérer partout l’offre de formation sur le territoire, inciter les entreprises à recruter en apprentissage et inciter les jeunes. Cela implique de permettre à tous les CFA de se développer sans demander d’autorisation administrative, et sans limite financière s’ils trouvent des jeunes et des entreprises. Ainsi, notamment, les outre-mer, pourvu que l’offre de formation et les effectifs de jeunes en formation y soient convenablement assurés, ne souffriront plus du poids des limitations financières.

La Ministre développe, de manière générale, les mesures de simplification prévues par le projet. Dans ce cadre, elle se déclare favorable au développement de la formation professionnelle des jeunes ultramarins dans leur environnement régional, sous réserve d’une application adéquate des règles européennes et, bien sûr, de la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec les États de la région.

La réforme des modalités de la collecte, désormais effectuée par l’URSSAF, sera bénéfique pour les TPE/PME des outre-mer qui, comme les autres, pâtissent actuellement de leur situation d’infériorité dans leurs négociations avec les OPCA pour l’emploi de la ressource collectée. Pour leur part, les OPCA offriront des services de proximité pour aider les TPE/PME à monter leurs formations et pourront notamment aider, à la construction des diplômes, quand les branches sont déficientes – situation connue dans les outre-mer.

La Ministre détaille ensuite les dispositions du projet de loi visant à rendre l’assurance-chômage plus universelle et plus juste, notamment pour assurer aux travailleurs indépendants une certaine protection contre les coups durs, financée par la CSG et compensée à l’UNEDIC, et pour permettre aux salariés démissionnaires d’envisager la création d’une entreprise ou un projet de reconversion.

 

Dans le prolongement des suggestions présentées à son cabinet par les rapporteures de la Délégation, la Ministre se déclare disposée à introduire dans le projet de loi une habilitation à légiférer par ordonnance afin de procéder, si besoin est, aux adaptations nécessaires dans les différents territoires d’outre-mer en matière d’apprentissage et la formation.

En conclusion, elle rappelle l’ambition fondamentale du projet de loi : l’émancipation par le travail, par la formation, par la compétence.

Dans le débat qui a suivi l’exposé de la Ministre, sont intervenues en premier lieu Mmes Ericka Bareigts et Josette Manin, rapporteures de la Délégation.

Mme Ericka Bareigts souligne le caractère fondamental, pour les outre‑mer, d’une loi qui intervient dans un domaine objet de toutes les interrogations des jeunes en quête d’orientation et d’un avenir professionnel. Tous les outre-mer ont une géographie singulière, insulaire (sauf la Guyane) ; ils sont à la fois isolés, loin de l’Europe, et proches de bassins océaniques où ils subissent violemment la concurrence des voisins sans être à armes égales avec ceux-ci. Sur des marchés que leur situation géographique rend très attractifs, il faut protéger les entreprises, à plus de 90 % des TPE/PME, de la concurrence des produits venant de Chine ou d’Inde. La jeunesse de la population des outre-mer est à la fois un atout et une difficulté.

Pour assurer le succès de la réforme dans les outre-mer, il faut travailler particulièrement à l’adaptation de la formation et de l’accompagnement au niveau parfois très bas de la formation initiale, y compris à la prise en compte de l’illettrisme lors de la phase de pré-entrée en formation professionnelle. Les TPE/PME ne peuvent pas répondre à toutes les attentes, qui vont de la création immédiate d’emplois pour les jeunes en fin de parcours de formation à l’accueil des jeunes en contrat professionnel ou sous apprentissage, ou des personnes handicapées.

Par le passé, l’absence d’emplois dans le territoire d’origine empêchait de donner une consistance effective à l’idée du retour et compromettait ainsi définitivement la participation des jeunes diplômés à son développement. Il faut casser cette difficulté mais pour cela un accompagnement est nécessaire, et il faut préciser les modalités de la coopération avec les pays de la zone. Or aujourd’hui, les grandes entreprises françaises installées en Inde, en Chine, en Afrique, ne participent pas à l’effort de formation des jeunes, aussi bien sous contrat de professionnalisation qu’en apprentissage.

Il faudrait également réfléchir à une formule de formation professionnelle en alternance qui permettrait aux jeunes d’alterner des temps en entreprise dans un territoire ultramarin et un temps d’apprentissage théorique dans des centres de formation des pays de la zone, incités à devenir ensuite des partenaires économiques dans la zone géographique.

Mme Josette Manin interroge la ministre des outre-mer sur le problème posé par la faible structuration des branches professionnelles dans les différents outre-mer. De la sorte, les très petites entreprises rechignent très souvent à accueillir des jeunes en formation ou en apprentissage. La nécessité de la mobilité internationale, qui vaut pour la Caraïbe comme pour l’Océan Indien, rend urgente la conclusion d’accords avec les États voisins. Il faut également envisager les coûts spécifiques à l’outre-mer. Enfin, en cas d’appel à formation infructueux, il serait bon de pouvoir faire venir des formateurs de l’Hexagone ou de l’Europe.

En réponse aux co-rapporteures, Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail fournit notamment les indications suivantes :

- l’incontestable nécessité de renforcer l’accompagnement de la formation dans les outre-mer ne postule pas un aménagement du droit, mais un financement adéquat de dispositifs spécifiques tels que la « prépa apprentissage », qui permet de découvrir le métier et les codes sociaux de base ;

- le Gouvernement est ouvert à des propositions favorisant les allers‑retours dans les outre-mer et organisant des parcours mixtes d’apprentissage dans l’environnement régional de chaque collectivité ;

- le Gouvernement est prêt à intervenir auprès des grandes entreprises, surtout celles qui sont, par leur activité, impliquées dans les outre-mer, pour favoriser la mise en place d’un parcours d’apprentissage partagé avec les TPE/PME ;

- la constitution de « sections éphémères » de formateurs, pour la formation continue comme pour l’apprentissage, peut être une réponse adaptée, à laquelle le ministère serait prêt à apporter son concours ;

- les inégalités de constitution des branches professionnelles n’ont pas d’impact sur la gestion de l’apprentissage, mais bien sur la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), pour laquelle le rôle des opérateurs de compétences dans le soutien aux TPE-PME sera déterminant et devra se déployer en relation étroite avec les circonstances locales.

M. Gabriel Serville se fait l’écho des inquiétudes suscitées par le mauvais fonctionnement des branches professionnelles dans les outre-mer, dont on redoute sur les effets sur la pérennité même de l’apprentissage. Il souhaite, pour répondre à ces inquiétudes, que des possibilités d’habilitation soient introduites dans la loi.

M. Max Mathiasin demande des précisions sur le rôle de la région dans le financement de la formation, évoquant l’incertitude qui pèse actuellement sur le statut juridique et la pérennité de l’établissement Guadeloupe Formation créé par le conseil régional. Il déplore la faiblesse du taux d’aide à la continuité territoriale dans les Antilles, que la comparaison avec la Corse permet de constater.

Mme Nathalie Bassire, tout en saluant la volonté de changer l’image de l’apprentissage que s’assigne le projet de loi, plaide pour que soit ménagée une période de transition plus longue, que justifieraient notamment, à La Réunion, la carence de la structuration des branches professionnelles, l’absence de CFA de branche et le risque de compromettre la solidité d’un système qui connaît, depuis 2010, un développement permanent. Elle demande si un calendrier de déploiement spécifique aux outre-mer serait envisageable. Enfin, elle se prononce également pour l’aménagement de la mobilité aller-retour.

Mme Maina Sage demande si les prévisions financières du Gouvernement pour la formation professionnelle traduiront une priorité aux outre-mer, compte tenu des handicaps résultant du retard de formation et du niveau particulièrement élevé du chômage. Elle déplore le manque d’outils d’observation et de suivi de l’emploi dans ces territoires. S’appuyant sur l’exemple de la Polynésie française, elle demande l’insertion dans la loi d’une disposition garantissant, via la continuité territoriale, un soutien de l’État à la formation continue pour les formations qui n’existent pas dans les collectivités d’outre-mer. Enfin, elle confirme que la mobilité régionale pour la formation permettra de mobiliser les ressources potentielles que représente le capital humain des outre-mer, par exemple dans l’économie bleue, l’environnement ou l’énergie.

M. David Lorion appelle l’attention sur l’insuffisant développement, dans les outre-mer, des formations en IUT, des BTS et des licences professionnelles. Il s’interroge sur les mesures propres à augmenter le recours des entreprises à l’apprentissage. Il insiste sur la nécessité de développer la pratique de la continuité territoriale dans les actions de formation.

Mme Cécile Rilhac préconise de favoriser le lien entre CFA et lycée professionnel, en créant des unités de formation par apprentissage (UFA) dans tous les lycées professionnels des outre-mer ; la création de campus des métiers et l’ouverture à l’international.

M. Didier Quentin s’interroge sur l’adéquation des dispositifs proposés aux besoins de formation apparus dans la collectivité territoriale de Mayotte.

En réponse aux intervenants, Mme Muriel Pénicaud fournit notamment les nouvelles précisions suivantes :

- il est déplorable que des anticipations alarmistes aient conduit à occulter le fait que les régions continueront de disposer de la pleine compétence dans les investissements dans les CFA et bénéficieront toujours, dans les dix-huit mois que durera la période de transition, des moyens financiers, d’ailleurs en expansion, leur permettant d’assurer le financement du fonctionnement du système de formation professionnelle ; leur compétence dans l’orientation sera renforcée ; la dotation de péréquation de 250 millions d’euros leur permettra de compléter le financement selon la règle du coût au contrat en présence de sujétions particulières d’enclavement ou d’éloignement ;

- le souci d’adapter, territoire par territoire, l’offre des filières de formation aux priorités stratégiques milite, si le Parlement le souhaite, en faveur d’une habilitation à définir par ordonnance ces modalités d’adaptation pour les outre‑mer, d’autant plus que les réflexions à ce sujet sont déjà en cours ;

- l’institution d’une période transitoire pénaliserait à la fois les jeunes et les entreprises en reculant l’entrée en vigueur des mesures d’incitation et de simplification prévues par le projet de loi. En outre, la liberté de création des CFA limite les inconvénients du défaut de structuration des branches dans une collectivité comme La Réunion

- la répartition entre régions des crédits du plan d’investissement compétences se fait en tenant compte du taux de chômage des jeunes, des demandeurs d’emploi de longue durée et de la population. Les outre-mer recevront au moins 15 % de l’enveloppe, pour 8 % de la population.

- la part croissante des métiers de la révolution technologique par le numérique et de l’environnement dans la création de nouveaux emplois, y compris pour les jeunes, ouvre de grandes possibilités dans les outre-mer, dans la mesure où nombre de ces métiers n’exigent pas de grosses infrastructures au-delà de bonnes connexions internet ;

- l’expansion nationale des demandes de formation en IUT et de BTS pose, pour les outre-mer, la question de la continuité territoriale ; rien n’interdit d’envisager la création d’IUT mixtes métropole-outre-mer, avec une partie en entreprise qui pourrait se faire dans les deux ;

- les entreprises ne peuvent pas en même temps se plaindre de ne pas trouver dans les personnes issues des formations existantes les compétences dont elles ont besoin et refuser de participer à la co-construction, souhaitée tant par le ministre de l’éducation nationale que par le ministre du travail, de formations articulant lycée professionnel et apprentissage. Au demeurant, le Gouvernement s’attachera à lever les freins juridiques qui, par ailleurs, compliquent l’organisation concrète de l’apprentissage.

c.   Le bilan de la discussion en séance publique du projet de loi

Le point de vue de la Délégation, tel qu’il se dégageait de la discussion avec la ministre du travail, a été exposé en séance publique, le 11 juin 2018, par Mme Josette Benin, une de ses rapporteures. Dans son intervention, Mme Benin fait valoir que l’objectif d’inclusion sociale et d’émancipation personnelle visé par le projet de loi était, dans les outre-mer « une aspiration collective liée à la conscience d’un destin commun ». Après avoir énuméré les diligences accomplies par les rapporteures, elle rappelle les difficultés spécifiques dont souffrent les populations d’outre-mer : nivea              u élevé de décrochage scolaire, sous-qualification globale, illettrisme, chômage des jeunes bien plus important que dans l’Hexagone. Ainsi se crée un cercle vicieux : la situation de l’emploi rend nos populations particulièrement sensibles aux aléas économiques tout en accroissant les difficultés éprouvées dans l’évolution des carrières professionnelles. À cette situation difficile, conclut Mme Benin, il est urgent que la réforme apporte les solutions les plus adéquates, et prenne en compte les amendements déposés par les co-rapporteures.

Les questions soumises à la réflexion de la ministre du travail par les rapporteures, Mme Bareigts et Mme Manin, lors de son audition par la Délégation, ont été abordées au cours de la discussion du projet de loi. Une attention particulière a été accordée, conformément à l’engagement pris par Mme Muriel Pénicaud, au problème posé par l’insuffisance des moyens en formation disponibles dans nos territoires, que les rapporteures de la Délégation proposaient de compenser par le recours aux ressources disponibles dans l’environnement régional de ceux-ci.

La version initiale du projet de loi comportait une disposition de caractère général habilitant le Gouvernement à adapter son contenu aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy, à Saint‑Martin et à Saint–Pierre–et–Miquelon. En séance publique, à l’Assemblée nationale, la ministre du travail, en se référant à ses échanges avec la Délégation, présente un amendement n°1582 portant « sur l’intérêt de simplifier les conditions de mobilité des apprentis ultramarins dans des États tiers, plus proches que la métropole, et avec lesquels les échanges économiques et les partages de compétences gagnent à s’intensifier ». L’amendement, qui donne au Gouvernement une habilitation particulière à légiférer par ordonnance sur ce sujet précis, est adopté sans opposition par l’Assemblée. Le texte, non modifié par le Sénat, est devenu l’article 114 (3°) de la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui prévoit l’adaptation par voie d’ordonnance des « dispositions relatives à la mobilité à l'étranger des titulaires de contrat d'apprentissage ou de professionnalisation » demeurant dans les collectivités visées par la disposition générale précitée.

3.   La protection sociale à Mayotte

La réforme de la protection sociale à Mayotte a fait l’objet d’une résolution adoptée par la Délégation le 18 octobre 2017, à l’initiative de M. Mansour Kamardine.

Résolution du 18 octobre 2017 sur la protection sociale à Mayotte

Avec quatre-vingt-quatre pour cent de la population recensée vivant sous le seuil de pauvreté monétaire, le département de Mayotte est la région la plus pauvre de France et d’Europe. Les effets économiques, sociaux, éducatifs et sanitaires de cette pauvreté sont amplifiés par la saturation des services publics (écoles, hôpitaux, accès à l’eau courante, accès à l’énergie, logements), une immigration clandestine massive et un accès à des prestations sociales et familiales très inférieures à celles proposées dans les autres départements de métropole et d’outre-mer.

En effet, le droit de la protection sociale à Mayotte est établi non par le code de la sécurité sociale et le code de la santé publique, mais, pour l’essentiel, par les ordonnances n°96-1122 du 20 décembre 1996 et n°2002-149 du 7 février 2002, ce qui entraîne un fort différentiel en termes de prestations sociales, tant en nombre de dispositifs accessibles qu’en montant des prestations servies. Ainsi, Mayotte est le seul département d’outre-mer à ne pas bénéficier d’un accès au droit social commun à l’ensemble des départements de France.

Le différentiel des prestations accessibles à la population entre l’île aux parfums et les cent autres départements français engendre, naturellement, un exode des Mahorais vers la métropole et plus particulièrement vers l’île de la Réunion. À cet égard, l’INSEE constate, dans le département français qui possède pourtant la plus forte natalité au niveau national, une baisse sensible des Français nés à Mayotte et résidents à Mayotte. Ce mouvement de population, outre le fait qu’il neutralise les « gains » financiers au niveau national, amplifie la complexité de la gestion des affaires sociales à la Réunion.

De plus, au 1er janvier 2018, le code du travail, dont les relations connexes avec le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale sont établies, s’appliquera de plein droit à Mayotte.

C’est pourquoi l’extension du code de la santé publique et du code de la sécurité sociale à Mayotte est hautement souhaitable dans les meilleurs délais. Ce serait source de baisse marquée de la pauvreté, de croissance économique endogène, de création d’emplois et de maintien dans leur environnement familial de nombreux concitoyens de Mayotte.

Aussi, la Délégation aux outre-mer invite, après en avoir délibéré, l’ensemble de la représentation nationale et le gouvernement de la République à œuvrer pour l’élargissement, plein et entier, du code de la sécurité sociale et du code de la santé publique au département de Mayotte en 2018.

E.   Les outils de la vie culturelle

1.   Les objectifs d’une action culturelle outre-mer

À l’initiative de M. Raphaël Gérard, la Délégation s’est préoccupée, lors de ses réunions du 16 janvier et du 21 février 2018, des très grandes disparités existant entre les outre-mer pour la conservation du patrimoine culturel et notamment la qualité des procédures de protection. M. Gérard suggère de saisir l’occasion de l’Année internationale du patrimoine pour alerter la ministre de la culture sur la nécessité d’améliorer la protection du patrimoine ultramarin et l’interroger sur les moyens dont elle dispose pour réaliser cette amélioration. Il précise les principaux points d’alerte : la signification pour la mémoire collective d’une réalité culturelle trop méconnue dans l’Hexagone ; l’urgence de la restauration du patrimoine bâti, notamment dans les centres urbains qu’il faut revitaliser ; la réponse à une appétence croissante pour le tourisme culturel, encouragé par la présence de formes spécifiques d’architecture, éléments parfois négligés d’une appartenance collective.

 

S’attachant plus spécialement à la préservation du patrimoine bâti, M. Gérard souligne qu’elle souffre des insuffisances de l’application de la législation sur les monuments historiques et de la politique de l’inventaire, avant et après le transfert de compétences aux collectivités locales.

Il soumet à la Délégation un projet de lettre à Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture, développant ces observations. Après un court débat qui manifeste l’assentiment des membres présents à cette initiative, la Délégation, sur ma proposition, adopte ce projet à l’unanimité.

Le 22 février 2018, j’ai en conséquence envoyé à Mme la ministre de la Culture la lettre suivante :

Madame la ministre,

La France possède un patrimoine d’une grande richesse, réparti sur l’ensemble de son territoire, par-delà les océans. Nos concitoyens y sont résolument attachés en ce qu’il porte les traces de leur culture, de leur identité collective et du passé qui a contribué à façonner les lieux dans lesquels ils vivent.

Les Outre-mer, terres de rencontres et de d’hybridation multiples au fil des siècles, contribuent tout naturellement à la richesse patrimoniale de la France. Ces concentrés du « Tout-monde » tels que décrits par Edouard Glissant bénéficient d’une architecture traditionnelle et vernaculaire exceptionnelle qui se décline, notamment de Cayenne à Saint-Denis dans la diversité de formes de la case créole. 

Ce patrimoine architectural constitue un formidable potentiel d’attractivité et de développement économique pour les territoires. Outre les retombées sociales liées à la restauration des monuments dans les centres historiques, la valorisation du patrimoine peut permettre de développer le tourisme culturel, de plus en plus plébiscité par le public, à condition d’engager une coopération régionale avec les pays situés à proximité avec lesquels nos Outre-mer ont une histoire humaine en partage.

Pour autant, les Outre-mer se situent aujourd’hui à la marge des politiques patrimoniales de l’État, en particulier en ce qui concerne la protection et la conservation des monuments historiques. On y dénombre, en effet, seulement 500 immeubles protégés, un chiffre bien deçà de celui de n’importe quelle région française continentale. Cela représente à peine 1.13% des immeubles classés et inscrits en France.

Ce déficit de protection des monuments historiques en Outre-mer s’explique en grande partie par la défaillance des politiques de l’inventaire général du patrimoine telle que pointée par les différents rapports de l’inspection générale des affaires culturelles parus en 2015. Jusqu’en 2004, « l’inventaire

général des monuments et des richesses historiques de la France » était essentiellement tourné vers l’hexagone et a peu investi le champ ultramarin. À partir de 2005, le transfert de la compétence de l’inventaire général du patrimoine aux régions d’Outre-mer n’a pas été assorti des moyens nécessaires à son exercice. Aujourd’hui encore, les services régionaux de l’inventaire dans les DROM restent dans leur grande majorité sous-dotés et peu opérationnels.

Pourtant, les contextes culturels dans lesquels s’inscrivent les patrimoines ultramarins, bien différents des réalités hexagonales, nécessitent une expertise scientifique et une méthodologie particulière pour tenir compte des spécificités des territoires d’Outre-mer et mener des procédures d’inventaires adaptées.

Le 17 novembre dernier, vous avez réaffirmé l’ambition du ministère de la Culture en faveur du patrimoine qui s’accompagne, d’ailleurs, d’une hausse significative du budget alloué à l’entretien et à la restauration de nos monuments historiques. La stratégie que vous portez doit permettre de valoriser le patrimoine et favoriser la revitalisation des territoires, notamment grâce à la mise en place d’une méthode partenariale par laquelle l’État s’engage à l’échelle de chaque région. Cette stratégie ne doit pas l’impasse sur les Outre-mer car il y a aujourd’hui urgence d’agir.

La pression foncière renforcée par l’exiguïté des territoires principalement insulaires fait peser la menace de la disparition de pans entiers du patrimoine bâti. Les politiques de rénovation urbaine lancées dans les Outre-mer visant à lutter contre l’habitat indigne et insalubre ne doivent pas se faire au prix de la sauvegarde de l’architecture vernaculaire et des témoignages d’une histoire collective. Au contraire, l’enjeu est de concilier la revitalisation des centres urbains avec une valorisation accrue du patrimoine.

À l’occasion de votre audition du 15 novembre dernier, menée conjointement par la commission des Affaires culturelles et celle des Affaires européennes, plusieurs membres de la Délégation ont eu l’occasion de rappeler le potentiel de rayonnement pour l’Europe que constituent les Outre-mer, en particulier à l’aune de l’année européenne du patrimoine.

Dans ce contexte, nous souhaiterions que vous nous détailliez la stratégie envisagée par ministère de la Culture afin de développer des conventions de partenariats permettant de mieux identifier, répertorier, préserver et valoriser les patrimoines matériels dans les départements, régions et collectivités d’Outre-mer.

Sachant compter sur votre engagement au service de la diversité culturelle de notre pays, nous vous prions d’agréer, madame la ministre, l’expression de notre très haute considération.


Le 30 juillet 2018, Mme la ministre de la Culture m’a adressé la réponse suivante :

Monsieur le Président,

Vous avez appelé mon attention sur le faible nombre d’immeubles protégés au titre des monuments historiques dans les Outre-mer français et, plus généralement, sur la politique du ministère de la Culture en faveur du patrimoine matériel ultramarin.

Comme vous le rappelez, le patrimoine ultramarin est une composante essentielle de la diversité et de la richesse du patrimoine français. À ce jour, le patrimoine immobilier protégé au titre des monuments historiques en Outre-mer comporte 500 unités, ce qui peut en effet paraître peu au regard des quelque 44 000 immeubles classés ou inscrits sur l’ensemble du territoire national ;

Cette situation ne résulte cependant pas d’un défaut d’attention porté par les services du ministère de la Culture au patrimoine culturel des Outre-mer, les directions des affaires culturelles (DAC) menant une politique active de protection et de conservation de ces monuments.

Plusieurs facteurs expliquent ce nombre d’immeubles protégés en Outremer. Ces facteurs sont d’ordre historique (applicabilité tardive de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques Outre-mer), structurel (conditions climatiques moins favorables à la préservation du patrimoine qu’en métropole, moindre abondance et moindre degré de conservation du patrimoine ancien de ce fait), d’autres sont en cours d’évolution (amélioration de la prise en compte du patrimoine des XIXe et XXe siècles, qui forme une grande partie du patrimoine architectural ultramarin.

Aussi, entre 2013 et 2017, et alors que la tendance est à la réduction des mesures de protection d’immeubles au titre des monuments historiques, 169 décisions ont été prises pour les territoires ultramarins, soit une augmentation de 55% du patrimoine immobilier protégé en Outre-mer, ce qui témoigne d’un dynamisme certain par rapport à la proportion actuelle des monuments historiques ultramarins au niveau national. À titre d’exemple, peuvent être cités parmi ces mesures, la récente protection de plusieurs œuvres de l’architecte Ali Thur à Lamentin, en Guadeloupe et d’immeubles du patrimoine de la Grande pêche, à Saint-Pierre-et-Miquelon, ou le classement, par arrêté du 7 mai 2018, du pont suspendu de la Rivière de l’Est, à La Réunion, datant de la fin du XIXe siècle.

Conscientes du potentiel culturel et économique que représente le patrimoine ultramarin, les DAC accompagnent les propriétaires d’immeubles protégés au titre des monuments historiques grâce à leur appui technique et financier.

 

En 2018, 5,4M€ d’autorisations d’engagement (+ 13 % par rapport à 2017) ont ainsi été notifiés aux DAC d’Outre-mer, soit 2,7% du total des crédits délégués aux directions régionales des affaires culturelles sur l’ensemble du territoire, alors que les monuments ultramarins représentent, comme vous le signalez, 1,13% du parc national.

Parmi les grands projets de travaux qui sont en cours ou à l’étude, aidés par les DAC, on peut notamment signaler la restauration de la mosquée du XVIe siècle de Tsingoni, à Mayotte et la restauration du chœur de l’église SaintJean-Baptiste du Moule en Guadeloupe. Les vestiges du bagne de Cayenne, ou les fortifications de la Martinique, mobilisent également régulièrement d’importants budgets de l’État.

Une autre preuve de ce dynamisme, sont les publications que, depuis plusieurs années, les DAC situées dans ces territoires éditent dans les collections Parcours patrimoine ou Itinéraires du patrimoine, afin de faire connaître au plus grand nombre la beauté et la variété architecturale des collectivités d’Outre-mer.

Depuis plusieurs années, le ministère de la Culture et, en particulier la DAC de La Réunion, est moteur dans l’organisation des entretiens du patrimoine de l’Océan indien, aux côtés d’autres services de l’État, de l’école d’architecture de La Réunion, et en partenariat avec le Conseil régional et le Conseil départemental.

Soyez assuré que le ministère de la Culture est attentif à la prise en compte du patrimoine ultramarin, dans toute sa richesse et sa diversité, et à sa protection, sa conservation et sa mise en valeur. La création, à Mayotte, d’une direction des affaires culturelles de plein exercice, témoigne de cette attention.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.

2.   L’avenir de France O

Comme le savent toutes les personnes originaires des outre-mer, le groupe France Télévisions comprend la chaîne France O, largement perçue comme la chaîne appelée à porter de manière privilégiée l'expression des outre-mer dans l'audiovisuel public, tout en étant décrite, depuis 2005, comme la chaîne de la diversité.

L'annonce, au printemps 2018, des orientations gouvernementales de réforme de l'audiovisuel public, se traduisant entre autres par la disparition de France O de la télévision numérique, a suscité de fortes réactions négatives des personnels de la chaîne, dont l'intersyndicale a souhaité être reçue par les parlementaires.

 

L'importance du sujet et les réactions à l'annonce gouvernementale justifiaient qu'il soit traité en réunion publique de la Délégation, à laquelle l'information la plus complète possible était due. J'ai donc invité, d'une part, M. Walles Kotra, responsable du pôle outre-mer de France Télévisions, et d'autre part l'intersyndicale de France O, à venir successivement présenter leurs positions lors de notre réunion du 27 juin 2018.

S’exprimant en premier lieu, M. Wallès Kotra insiste en préambule sur le fait que France O est l’élément national d’un ensemble beaucoup plus important, qu’il faut prendre en compte de manière globale, avec ses dix stations réparties à travers le monde. Ce pôle comporte à la fois radio, télévision et offres numériques. Il est profondément enraciné dans les outre-mer, où les Premières sont des acteurs incontournables de la construction de la cohésion des territoires et d’un débat public riche et ouvert.

Pour tout le pôle outre-mer, ajoute M. Kotra, l’enracinement va de pair avec la visibilité. Sa tâche est bien de montrer comment les outre-mer font partie intégrante de la nation, et de le montrer par une couverture adéquate, tant par France O que par les Premières, des évènements, particulièrement riches ces temps derniers, de l’actualité des outre-mer, comme le blocage et la reconstruction de Mayotte, les commémorations de l’abolition de l’esclavage ou encore le drame des sargasses aux Antilles, etc.

M. Kotra affirme qu’il n’y a aujourd’hui plus de débat sur le fait que France O est la chaine des outre-mer, des outre-mer considérés à travers leurs apports historiques, culturels, sociaux à la nation.

Il souligne ensuite les spécificités de la grille des programmes de France O, constituée à 40 % de séries et de films, 17 % d’informations, 17 % de documentaires, 10 % de magazines, et dont la partie culturelle, déjà très importante, sera encore renforcée à la rentrée. Les liens de coproduction et de diffusion coordonnée de programmes entre France O et les Premières font également partie de l’originalité de France O.

Je lui demande quelles seraient, à budget constant – apprécié globalement pour France O et l’ensemble des neuf Premières –les conditions éditoriales, d’organisation, techniques ou autres qui permettraient de maintenir durablement France O dans le canal hertzien de la TNT.

Mme Maina Sage exprime son soutien à France O, dont elle constate que l’existence fait l’objet de remises en cause récurrentes. Elle estime nécessaire une information plus ample sur les deux points cruciaux de ce débat, l’audimat et le budget. Elle demande en outre des précisions sur la rediffusion par d’autres chaînes des programmes de France O.

M. Wallès Kotra fait état de la profonde réforme des structures internes en cours à France O en vue de l’adaptation de la chaîne à la révolution numérique, qui passe notamment par la réunion des rédactions en une seule structure. Par ailleurs, la ligne éditoriale de France O sera, plus nettement que jamais, axée sur les outre-mer. Enfin, la réflexion en cours, au niveau global de France Télévisions, sur le renforcement des unités de contenu ‑ documentaires, magazines, fictions – devra intégrer une discussion entre ces pôles et le pôle outre‑mer.

Sur mon insistance, M. Kotra répond que la réorganisation dont il a évoqué les grandes lignes est une tentative de réponse à la nécessité d’une adaptation qui permettra au pôle outre-mer de continuer à fabriquer des programmes de manière compatible avec ses dotations budgétaires.

M. Max Mathiasin manifeste son attachement à France O, dont il estime que le coût horaire de production soutient avantageusement la comparaison avec celui des autres chaînes de France Télévisions. Le problème n’est pas seulement budgétaire – même si la question budgétaire doit être posée – il est celui du réflexe ultramarin trop souvent absent dans les ministères au moment de la prise de décision. Il propose que la Délégation adopte une résolution de soutien inspirée de cette préoccupation.

M. Wallès Kotra ayant quitté la réunion de la Délégation, la parole est d’abord donnée aux représentants du collectif Sauvons France O.

M. Pierre Lacombe, journaliste, se référant à son parcours professionnel personnel, évoque d’abord les réactions de commisération qu’a suscitées chez ses collègues l’annonce de son départ – volontaire – pour France O. Il reconnaît d’ailleurs avoir été, dans un premier temps, surpris d’entendre le directeur de la rédaction  de France O se féliciter d’un taux d’audience de 0,6 %. Après un temps de réflexion, de prise de connaissance, toujours nécessaire pour qui veut travailler avec les outre-mer, il dit avoir constaté que France O était un outil exceptionnel d’ouverture au monde, animé par des professionnels passionnés et experts, dotés d’une grande faculté d’adaptation. C’est pourquoi il se félicite de la mobilisation qu’il constate parmi le personnel à l’annonce de la réforme de France O.

M. Louis-Gérard Salcède, rédacteur en chef adjoint à France O, met en relief la présence conjointe à France O d’une radio, d’une télévision et d’un site internet qui mettent tout à fait la chaîne en état de constituer le média global dont on parle. Il souligne la nécessité de maintenir la télévision de France O sur la TNT, et de donner à la radio les moyens d’une information continue sur les actualités ultramarines. Cela est d’autant plus nécessaire que l’accès des outre-mer aux autres chaînes est limité, et que, dès lors, France O, média complet, est la seule chaîne qui puisse véritablement donner la parole aux outre-mer et à leurs richesses multiples. De surcroît, supprimer France O serait abolir le lien de proximité qu’elle permet entre les originaires des outre-mer vivant dans l’Hexagone et leurs parents restés sur place.

 

Mme Nathalie Sarfati, grand reporter à France O,  soutient qu’il n’est pas concevable que le paysage audiovisuel français ne comporte pas une télévision des outre-mer qui représente la diversité des couleurs et des cultures. Seule France O a la capacité de montrer, comme elle l’a fait dans une récente émission, des ultramarins qui sont des gens de talent et qui réussissent à l’étranger : c’est la valeur ajoutée qu’apporte la mission de service public. Il faut d’ailleurs donner à France O les moyens d’améliorer ses programmes, notamment pour répondre à la demande de proximité des ultramarins.

Mme Nella Bipat, journaliste à France O, se fait l’écho de la colère profonde qui habite les originaires des outre-mer, une fois de plus sommés, à travers la remise en cause de France O, de justifier leur existence. En invoquant à l’encontre de France O l’argument de l’audience, on signifie du même coup aux gens des outre-mer qu’ils doivent vivre repliés sur eux-mêmes. Or France O établit sans conteste le lien vital entre les ultramarins de l’Hexagone et leurs familles demeurées au pays. Au demeurant, les récompenses internationales obtenues par le documentaire Investigation, produit par France O, montrent que l’on peut réaliser sur les thèmes ultramarins des émissions de qualité. Et il faut enfin rappeler que la création  de France O n’a pas été obtenue sans combat.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, après avoir vivement remercié les auteurs des témoignages précédents, conteste que l’on puisse opposer l’argument du budget, dérisoire compte tenu des sommes en cause, et plus encore si on le met en rapport avec l’utilité que présente pour les ultramarins le service public accompli par France O. Elle demande au Président Serva de relayer cette préoccupation auprès du Gouvernement.

Je fais alors état des démarches que j’ai a déjà entreprises en ce sens, notamment auprès du cabinet de la ministre de la culture, et annonce mon intention d’évoquer le problème le soir même, au cours d’une réunion des parlementaires ultramarins, avec le Président de la République.

M. Gabriel Serville, après avoir rappelé qu’il avait répondu sans hésiter à la demande de soutien à France O qui lui avait été adressée, considère que, dans un dossier où les motivations budgétaires sont incontestablement prépondérantes, il est important que les représentants du personnel fassent des propositions concrètes qui permettront de mieux argumenter la position des parlementaires favorables à France O dans la suite des négociations.

Mme George Pau-Langevin constate que France O est aujourd’hui le seul vecteur qui permette au « sixième DOM » d’exister dans le service public de l’audiovisuel et que sa disparition équivaudrait, pour ce motif, à un effacement de la réalité ultramarine dans l’Hexagone. Elle souhaite, à son tour, que le soutien à France O, qui est une nécessité, puisse s’appuyer sur des propositions concrètes.

 

Mme Maud Petit, se disant consciente du fait que sa question puisse introduire un élément discordant dans le débat, demande s’il ne serait pas possible d’accomplir les missions actuellement dévolues à France O de manière transversale, c’est-à-dire en renforçant la visibilité des outre-mer dans les autres chaînes du service public

La parole est donnée aux représentants de l’Intersyndicale du personnel de France O.

M. Patrice Gonfier, grand reporter à Guadeloupe 1ère, délégué syndical central Force Ouvrière à France Télévisions, estime que le maintien de France O sur la TNT est le seul moyen de permettre à la chaîne de remplir sa mission, qui est d’informer aussi bien les originaires des outre-mer que les autres Français résidant dans l’Hexagone de la réalité multiple des outre-mer. Ce patrimoine culturel a toute sa place dans le paysage audiovisuel français. À ce titre, France O est un instrument de la cohésion nationale.

Pour autant, il est indéniable, a poursuivi M. Gonfier, que par le passé des erreurs éditoriales ont empêché France O d’avoir une identité pleinement ultramarine. Il invite donc à revoir le contenu des programmes, en l’expurgeant de séries qui n’ont aucun rapport avec les outre-mer et en développant les coproductions ainsi que la filière de production en outre-mer. Tous les collaborateurs de France O, au siège de Malakoff, sont prêts à se mobiliser pour cet objectif. Quant à espérer un accroissement de la visibilité des outre-mer sur les autres chaines du service public, il ne faut pas y compter ; ce sont les chaînes privées qui, au terme d’un calcul économique, ont fait le choix d’une certaine ouverture aux outre-mer.

M. Majid Bensmaïl, superviseur France Télévisions, porte-parole de la CFDT, après avoir souligné l’unité de l’expression syndicale, a rappelé les aspects sociaux, en termes de suppressions d’emplois, de la fermeture de France O. Il s’étonne de ce que certains fassent grief à France O d’être la « chaîne de la diversité », alors que cette orientation lui a été assignée, en son temps, par les pouvoirs publics. Enfin, il rappelle qu’en dépit d’un budget limité, France O est la première chaîne de France Télévisions pour la musique live ou le spectacle vivant, et la deuxième, après France 3, pour les documentaires.

M. Jean-Michel Mazerolle, journaliste à France Télévisions, porte-parole de la CGC, constate qu’en dépit de l’aura internationale que lui confère la mémoire de la Révolution française et des Lumières, la France, diverse et multiple, n’est jamais parvenue à regarder en face les aspects positifs, et aussi les aspects problématiques, de son histoire. Cette difficulté est la source profonde des vicissitudes de France O. Il montre, à partir des émissions d’information qu’il réalise sur les réalités religieuses et spirituelles des outre-mer, qu’il est possible de produire à France O des émissions de qualité, dont le succès est attesté par les demandes de reprise adressées à leurs auteurs. Il qualifie enfin France O de tête de pont des outre-mer à France-Télévisions.

Mme Claude Bélestin, opératrice synthé, porte-parole de la CGT, voit dans France O un moyen, non seulement de faire connaître les outre-mer dans l’Hexagone, mais aussi de favoriser la connaissance réciproque des habitants des outre-mer. Elle estime souhaitable un renforcement de la présentation des problématiques actuelles des outre-mer dans les programmes d’information. Elle juge enfin nécessaire une amélioration de la formation des personnels au numérique, tout en rappelant que le téléviseur a encore la préférence d’une majorité du public de France O.

Mme Karine Sigaud-Zabulon, journaliste d’information, porte-p arole du SNJ, rappelle que France O est née d’une douleur de non-prise en compte des outre-mer, dont découle l’extension de la chaîne au niveau national. La négligence des problématiques des outre-mer ne semble pas avoir diminué, de sorte que France O demeure aujourd’hui la seule chaîne qui évoque, par exemple, les difficultés des originaires des outre-mer dans l’Hexagone. Et encore la part des émissions d’information réalisées par la rédaction de Malakoff a-t-elle subi de fortes réductions au fil des ans.

Le passage de France O sur le numérique suppose des moyens techniques dont la chaîne ne dispose pas actuellement, sans parler de la formation technique des personnels. En outre, par les stages professionnels qu’elle propose, France O sert souvent de lieu de transition et d’apprentissage aux jeunes ultramarins qui viennent travailler dans l’Hexagone. Pour toutes ces raisons, France O est plus que jamais nécessaire.

M. Bruno Sat, rédacteur en chef, porte-parole de FO-SGJ, exhorte les ultramarins à ne pas laisser se perdre l’outil essentiel que France O est pour les outre-mer. Se référant à la réduction progressive mais inexorable de la place des outre-mer dans les programmes de France 3, il affirme qu’il n’y a aucune raison pour que la tendance ne se reproduise pas. Quant à l’audience, elle ne doit pas être le seul critère d’appréciation dans les chaînes du service public, surtout si l’on veut bien reconnaître qu’une chaîne dédiée aux outre-mer au nom d’une mission de service public ne parviendra jamais à atteindre les audiences des chaînes du privé. Le critère de l’audience appliqué brutalement aurait dû conduire à supprimer France Culture et France Musique, sans parler de la chaîne info !

A ce stade des échanges, je n’ai pu que constater l’harmonie des interventions de l’intersyndicale.

Mme Justine Benin, saluant l’engagement et le courage des représentants du personnel de France O, estime que la permanence de cette chaîne soulève le problème plus général de la visibilité des outre-mer, dont les problèmes, si graves soient-ils objectivement, sont systématiquement ignorés. Elle souhaite une mobilisation de tous les parlementaires ultramarins pour que l’existence de France O soit pleinement et définitivement confirmée. Dans ce combat, il faut chercher l’appui d’amis des outre-mer, qui sachent les apprécier pleinement à leur juste valeur.

 

M. Stéphane Claireaux rappelle d’abord que le cabinet de la ministre de la culture a donné des assurances formelles quant au maintien des Premières dans les outre-mer. Il reconnaît que le passage par les boxes, envisagé comme substitut de la diffusion par la TNT, a l’inconvénient de rendre la diffusion payante, et qu’une recherche sur internet fait un peu trop dépendre du hasard l’audience d’un reportage, même de qualité. Par ailleurs, poursuit-il, le cabinet a exprimé l’intention de préserver la rédaction parisienne de France O.

Se référant à la présentation officielle de France O sur le site du CSA comme « chaîne de la mixité et de la diversité culturelle », qui conduit à penser qu’elle n’est pas la chaîne des ultramarins, M. Claireaux déplore le problème de positionnement éditorial ainsi manifesté. Il estime en outre que France O, qui n’est pas un prolongement des Premières, paraît parfois un peu lointaine, vue des outre-mer eux-mêmes. Enfin, il s’interroge sur l’éventuel sureffectif du site de Malakoff, encore aggravé par certains types de mutations.

M. Raphaël Gérard constate à son tour le manque de lisibilité de la ligne éditoriale qui singularise aussi bien France 4 que France O. Il reconnaît que, souvent, la TNT reste le seul moyen d’accès à la télévision. Certes il est inadéquat de voir le problème de France O par le prisme budgétaire ; la vraie question est celle de la visibilité des outre-mer dans l’ensemble de l’audiovisuel public, effectivement insuffisante, et au regard de laquelle France O apparaît comme un moyen de se donner bonne conscience à peu de frais. Il souhaite pour sa part une véritable continuité territoriale et éditoriale et une visibilité ultramarine sur l’ensemble des chaînes de l’audiovisuel public.

La parole est donnée, pour répondre, aux représentants du personnel.

Mme Nathalie Sarfati souligne la disproportion entre l’étendue des missions attribuées à France O et la faiblesse de ses moyens budgétaires. Elle rappelle également que les membres du personnel de France O, toutes catégories confondues, travaillent indifféremment pour France O, les Premières et France Info, en faisant face à une demande très lourde de toutes parts.

M. Patrice Gonfier affirme que France O est trop souvent considérée par les pouvoirs publics comme une « poubelle » où l’on affecte ceux dont on ne veut plus ailleurs. Ces personnes, que n’intéressent pas les outre-mer, ne permettent pas à la chaîne de remplir correctement ses missions. Si l’on met un terme à cette pratique, France O aura les moyens de décoller.

M. Jean-Michel Mazerolle, citant les performances reconnues de France O dans la production de documentaires, affirme qu’elle a la capacité et la volonté de bien accomplir les missions qui lui sont confiées, pourvu que la direction de France Télévisions lui ménage les conditions nécessaires.

M. Bruno Sat indique que les effectifs du site de Malakoff ont fortement diminué et précise que le taux de sujets par journaliste à France O est le plus élevé de toutes les chaînes de France Télévisions. Il rappelle que la dérive des programmes sur le thème de la « diversité » est la conséquence directe d’une décision politique prise après la crise des banlieues de 2005 et que, rapportée au budget, l’audience de France O est deux fois plus importante que celle du groupe France Télévisions dans son ensemble. Dans la mesure où les chaînes publiques nationales ne traitent pas l’outre-mer parce qu’elles en supputent la faible audience dans le public, il est impossible de croire que l’on pourra contraindre à l’avenir un responsable de l’information dans ces chaînes d’accroître la part des outre-mer dans ses émissions.

Trois responsables d’activités de production sont ensuite invités à intervenir.

Mme Véronique Polomat, responsable de programmes culturels, membre du collectif du personnel de France O, présente les principales conclusions du dossier « France O, une chaîne d’utilité publique en danger ». Elle dit l’avoir conçu comme un instrument argumenté de défense d’une chaîne que les déclarations ministérielles font apparaître aujourd’hui comme en sursis. À ses yeux, France O participe de la visibilité nécessaire des outre-mer dans le paysage audiovisuel français. Se référant au rapport Dumas-Gérard sur l’audiovisuel public, qui présente France O comme un « échec constaté », elle souhaite replacer la situation de la chaîne dans son contexte.

En premier lieu, elle souligne que l’errance éditoriale relevée par les critiques de la chaîne, qui a fait passer celle-ci des outre-mer à la diversité avant de la ramener aux outre-mer, résulte de considérations purement politiques. France O pâtit également du processus de destruction de l’audiovisuel et au raz-de-marée digital, ainsi que des contraintes budgétaires globales qui pèsent sur France‑Télévisions.

Pour Mme Polomat, France O est la chaîne généraliste au sein du pôle outre-mer de France Télévisions, qui fait le lien entre la France d’outre-mer et la France hexagonale. C’est aussi une production patrimoniale d’exception, qui a construit la mémoire collective des cultures d’outre-mer. Aussi bien invite-t-elle à relativiser l’objection tirée de l’audience.

France O n’est pas un échec, sinon elle ne serait pas le premier diffuseur de programmes musicaux et de fictions françaises et européennes et le deuxième diffuseur de spectacles vivants et de documentaires dans l’ensemble du groupe France Télévisions. De plus, le point d’audience de France Télévisions, toutes chaînes confondues, coûte deux fois plus cher que celui de France O.

Supprimer France O, opposer cette chaîne aux Premières, c’est, pour Mme Polomat, organiser un combat de pauvres entre des entités aux moyens également misérables. Sans doute la chaîne peut-elle et doit-elle perfectionner ses programmes et les faire mieux connaître. Mais elle n’en accomplit pas moins une véritable mission de service public d’information, de culture et de divertissement. Elle est d’utilité publique.

Mme Marie-Pierre Bousquet, productrice indépendante (Axe Sud) dénonce la maltraitance budgétaire dont sont victimes tant France O que les Premières. Supprimer France O serait porter atteinte au pacte républicain.

La fonction de France O comme centrale de production pour tous les outre-mer lui permet de mettre en commun ses moyens avec ceux des Premières et autorise ainsi la réalisation de programmes qui seraient hors de portée de chacune des partenaires prise isolément. Derrière ces partenaires publics, c’est toute la production qui travaille avec France O qui subit les conséquences négatives du manque de moyens. Or le passage de France O sur le web lui fermerait l’accès à plusieurs aides du CNC ainsi qu’aux organisations professionnelles de producteurs et aux fonds régionaux.

Actuellement, on traite l’ensemble du pôle outre-mer (France O et Pemières) comme des bantoustans, en ce sens qu’on leur donne juste assez de concours pour survivre. Aussi bien, si l’on fait monter les Premières sur les boxes, il faudra régler le problème de l’acquisition très onéreuse de droits de diffusion, qui est, en l’état, hors de leur portée.

M. Thierry Moncontour insiste sur la vocation de France O comme lien entre les habitants des outre-mer et leurs parents qui demeurent dans l’Hexagone et comme un lieu nécessaire de fierté, de vérité et de partage pour les ultramarins. France O est en quelque sorte la mise en œuvre de la continuité territoriale inversée.

M. Jean-Philippe Nilor se demande si l’attitude des interlocuteurs du jour de la Délégation, outre une souffrance profonde, n’est pas un nouvel exemple de la tendance constante des ultramarins à vivre avec soumission dans l’inacceptable, alors qu’ils sont en droit d’exiger le respect que gagnent la qualité du travail accompli, le courage et l’esprit de solidarité. M. Nilor dénonce à ce titre l’expression « outre-mer » qui n’est qu’une convention forgée dans l’intérêt des Hexagonaux. Pour la chaîne des outre-mer, plus que de diversité, il faut parler de personnalité, d’identité, et définir en conséquence la ligne éditoriale.

M. Philippe Dunoyer, tout en affirmant son soutien de principe à France O, approuve la question dérangeante posée par Mme Maud Petit. L’alternative « vivre ou mourir » lui paraît manquer de nuance. Il se demande en outre si France O a vraiment exclusivement vocation à représenter les territoires d’outre-mer en outre-mer. La spécificité de France O est parallèle de celle du ministère des outre-mer, qui procède d’une mise à part (qui a ses raisons) d’une partie du territoire national. Le réflexe de repliement qui peut être la conséquence de ce choix se retrouve dans l’idée que le public de France O serait un public captif. Il conviendrait d’élargir le débat.

A l’issue du débat, sur ma proposition, et sous le bénéfice de deux amendements proposés respectivement par M. Philippe Dunoyer et M. Jean-Philippe Nilor, la Délégation aux outre-mer adopte à l’unanimité la résolution dont le texte suit :

Résolution du 27 juin 2018 sur la situation de France O

La Délégation aux outre-mer,

Considérant que les Français ont droit à une offre de programmes pluraliste et de qualité ;

Considérant que, dans cette offre, l’expression propre des réalités culturelles, sociales et économiques des outre-mer doit être garantie en permanence ;

Considérant que les modifications des conditions de diffusion des programmes sur les outre-mer consécutives au développement de la TNT ne doivent pas conduire à appauvrir cette expression, mais au contraire à en garantir l’ampleur et la qualité ;

Considérant que France O a été constituée dès l’origine comme vecteur de l’expression propre des outre-mer ; que les raisons qui ont motivé sa création n’ont, ainsi, rien perdu de leur pertinence,

Exprime sa détermination à tout mettre en œuvre pour le maintien et le développement des capacités de France O au service de l’information et de la culture dans les sociétés ultramarines sur la TNT ;

Rappelle l’importance d’une expression autonome de l’audiovisuel dans les outre-mer pour la prise en compte effective de leurs réalités.

3.   Les outre-mer et le sport

Le sport, que de nombreux champions originaires de nos territoires ont illustré par leurs performances, peut représenter pour de jeunes ultramarins une voie de réussite et d'épanouissement, à condition que l’on veille à leur accompagnement durant leur séjour dans l'Hexagone et que l’on se pose la question de leur retour dans leur territoire d'origine. C’est fort de cette conviction que j’ai convié Mme Laura Flessel, ministre des sports, à venir exposer devant la Délégation, le 18 avril 2018, la politique de son ministère.

Dans son exposé introductif, que l’on trouvera intégralement reproduit dans le compte rendu de l’audition reproduit en annexe, la ministre fait d’abord ressortir le déficit quantitatif en infrastructures sportives dont souffrent les outre-mer et les sujétions résultant des conditions climatiques pour la conception et l’entretien des équipements. Le plan gouvernemental arrêté en 2017 se fixe trois orientations : priorité aux opérations sur les équipements sportifs de proximité existants ; préparation d'une planification des opérations de programmation ; réflexion sur l’amélioration du retour sur investissement pour les équipements sportifs financés par les collectivités locales. Le total des projets financés en 2017 par le ministère s’est élevé à 10,9 millions d’euros en 2017 et devrait être de 7 millions d’euros en 2018. Cinq projets ont été retenus au titre de l’adaptation des équipements sportifs des outre-mer aux conditions climatiques et à leurs usages spécifiques. Enfin, le Gouvernement souhaite s’attaquer au problème posé par l’éloignement et le coût des déplacements pour les sportifs ultramarins.

Mme Flessel souligne ensuite la contribution directe que la pratique sportive pourrait apporter à la lutte contre le surpoids et le diabète qui frappent particulièrement les populations adultes des outre-mer ; elle renforce l’efficacité des traitements anticancéreux et améliore le confort de vie des personnes âgées dépendantes. Dans les outre-mer comme dans le reste du territoire national, des maisons sport-santé seront les outils de cette stratégie.

La ministre affirme enfin sa volonté d’accompagner les sportifs ultramarins de haut niveau, du commencement à la fin de leur carrière, pour les aider aussi bien à faire face dès le départ aux multiples chocs nés du déracinement qu’à réussir leur reconversion. Elle entend également favoriser la participation des athlètes ultramarins, aux grandes compétitions organisées dans leur région géographique.

Dans le débat qui suit cet exposé, les membres de la Délégation expriment généralement leur accord sur les actions décrites par Mme Flessel, les nuances et contestations portant plutôt sur l’effectivité de leur réalisation et sur la suffisance des moyens financiers qui lui sont affectés. La déclinaison outre-mer de la campagne Ex Aequo de lutte contre les discriminations, le niveau du concours de l’État aux associations sportives, l’articulation entre les actions du ministère et les autres dans le cadre de la politique de la ville, sont également évoqués.

Mme Laura Flessel s’attache à répondre précisément à l’ensemble des nombreuses questions qui lui sont posées par les membres présents de la Délégation.


 

examen par la délégation

Lors de sa réunion du 3 octobre 2018, la Délégation aux Outre-Mer procède à l’examen des conclusions du rapport d’information sur les évolutions statutaires dans les Outre-mer :

http://assnat.fr/GgLs7J

Puis la Délégation adopte, à l’unanimité, le rapport d’information


   AUDITIONS DE LA DéLéGATION

I.   Audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer

(Séance du 26 septembre 2017)

M. le président Olivier Serva. Madame la ministre, c’est avec beaucoup de plaisir que je vous accueille aujourd’hui au nom de notre délégation aux outre-mer. Il paraissait en effet indispensable de faire le point avec vous sur la riche actualité des outre-mer en cette rentrée parlementaire, et je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Les récentes catastrophes qui ont frappé nos territoires antillais donnent à notre réunion une perspective nouvelle, sans rien retrancher des dossiers antérieurement en débat.

Pour laisser toute sa place à l’échange, à la suite de votre exposé, je me limiterai à rappeler quelques-unes des grandes questions qui, en dehors des conséquences d’Irma et de Maria, se posent pour l’avenir de nos outre-mer : le destin futur de la Nouvelle-Calédonie, pour laquelle les prochains mois vont être décisifs ; le suivi indispensable des mesures annoncées au printemps dernier en Guyane ; la poursuite de la départementalisation de Mayotte, dans un contexte général d’ouverture des Assises des outre-mer – contexte dans lequel nous aurons à cœur de donner toute sa portée à la loi « égalité réelle » votée sous la précédente législature, en élaborant des plans de convergence à la mesure de chacun de nos territoires. On pourra également évoquer le maintien des dispositifs spécifiques de défiscalisation qui drainent dans et vers les outre-mer des flux financiers nécessaires à la dynamique économique de chacun d’eux.

La liste n’est pas exhaustive et nos collègues auront, sans nul doute, à cœur de la compléter après vous avoir entendue.

Bien entendu, nous aurons à revenir sur les leçons à tirer des conséquences destructrices des ouragans Irma et Maria pour les populations antillaises – leurs conditions de vie et l’économie des territoires dévastés par les vents et les pluies.

Au-delà de la réponse immédiate, urgente, nécessaire, de la solidarité à l’égard des victimes, nous devons sans doute nous demander comment répondre aux faiblesses durables révélées par ces phénomènes naturels : quelles actions de prévention et d’aménagement envisager ? Comment soutenir les économies ainsi fragilisées ? Comment pratiquer dans l’urgence, mais aussi à long terme, les coopérations régionales nécessaires pour faire face ensemble à des calamités naturelles qui, malheureusement, sont appelées à se reproduire ?

Telles sont quelques-unes des préoccupations qui animent les membres de la délégation d’outre-mer au moment où ils se préparent à vous écouter, puis à échanger avec vous.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Mesdames et Messieurs les parlementaires, merci de m’avoir conviée à cette première audition organisée par la délégation. C’est un plaisir pour moi de vous rencontrer tous ici, pour vous annoncer les travaux qui nous attendent dans les mois à venir en faveur de l’outre-mer. Si celui-ci doit prendre toute sa place dans ce vingt-et-unième siècle, cela nous conduit à repenser un certain nombre de nos modèles.

Les politiques menées en faveur des outre-mer ont traduit, ces dernières années, la volonté de rééquilibrer les territoires par rapport à l’Hexagone, qu’il s’agisse d’aménagement du territoire, d’insertion professionnelle, de dispositifs fiscaux, d’éducation, de lutte contre la vie chère, etc. Mais force est de constater aujourd’hui que nos efforts communs n’ont pas permis de répondre à toutes les questions.

Mon propos n’est pas du tout partisan, il n’a pas vocation à mettre en cause une majorité par rapport à une autre mais d’exposer avec objectivité les faits qui marquent mon quotidien depuis que je suis à la tête de ce ministère. Vos courriers, vos coups de téléphone, les échanges que vous pouvez avoir avec moi et avec mon cabinet, montrent bien que les attentes sont immenses. Le postulat que je partage, et qui fut d’ailleurs une des conditions qui m’ont amenée à accepter ce poste lorsque le Président de la République me l’a proposé, est qu’il faut réussir à apporter des réponses pérennes à certaines des difficultés connues en outre-mer. Mais il faut aussi mettre en avant l’ensemble des solutions que les outre-mer ont su trouver.

Beaucoup d’entre vous me connaissent : je suis franche, je suis une femme de terrain et j’aime la transparence. Mon engagement politique a toujours été guidé par le souci de l’efficacité : pour construire l’outre-mer de demain, tel que le souhaite le Président de la République, il faut faire preuve de davantage de pragmatisme.

Les outre-mer ne forment pas un tout, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre : ils ont chacun leur spécificité, leurs déséquilibres, mais aussi leur potentiel propre. Ils font partie intégrante de l’histoire et de l’avenir de notre République, et ils ne sauraient se satisfaire d’un traitement au rabais.

Le « réflexe outre-mer », que je ne cesse de défendre depuis mes premières fonctions politiques, c’est d’abord prendre en compte les spécificités ultramarines dans la loi et dans les appels à projet des ministères. C’est associer dès l’origine les territoires d’outre-mer aux politiques publiques. C’est, plus largement, avoir une culture administrative qui ne laisse aucun territoire et aucun citoyen en marge. Mais il y a encore beaucoup à faire pour que ce réflexe outre-mer s’impose à tous les niveaux de l’administration.

Malgré tout, on avance. La nécessité d’acquérir le réflexe outre-mer a été prise en compte par le Président de la République, ce qui s’est traduit par la nomination, dans chaque ministère, d’un référent « outre-mer ». Cela existait déjà dans l’administration, cela existe aujourd’hui dans les cabinets.

Monsieur le président, vous avez évoqué l’actualité récente, avec le passage dévastateur des ouragans Irma, Maria, et dans une moindre mesure, José. Ces ouragans sont venus questionner l’essence même de ce réflexe outre-mer.

Pour m’être déplacée sur place, quelques heures après le passage des ouragans, j’ai vu combien les populations ont été meurtries physiquement, mais aussi psychologiquement. Les économies – en premier lieu le tourisme et l’agriculture – ont payé un lourd tribut à ces catastrophes naturelles. Aujourd’hui, comme le Président de la République l’a déclaré à Saint-Martin, l’heure est à la reconstruction : à Saint-Martin, bien sûr, qui doit totalement se réinventer, mais aussi à Saint-Barthélemy. Et la Martinique comme la Guadeloupe doivent s’inscrire elles aussi dans ce nouvel élan.

Comme l’a rappelé le Président de la République, c’est la France qui est touchée, et c’est la France toute entière qui est mobilisée. Cela se traduit dans l’indispensable coordination interministérielle et dans le partenariat avec les collectivités.

Il a d’abord fallu porter secours aux populations – eau potable, même si tout n’est pas réglé ; électricité ; infrastructures d’urgence, sanitaires, de transport, de sécurité. C’était un défi logistique et de solidarité que nous avons relevé tous ensemble.

Mais on a bien vu que le réflexe outre-mer n’allait pas de soi et qu’il fallait faire comprendre à chacun que les problèmes ne se traitent pas de la même manière quand on est outre-mer.

Cela m’amène à faire une petite mise au point. J’ai vu sur les réseaux sociaux que beaucoup m’avaient mal comprise quand j’ai dit que Saint-Martin était « au bout du monde ». Eh bien oui, à ce moment-là, l’île de Saint-Martin était au bout du monde parce qu’elle n’avait plus de ligne directe avec Paris, qu’il fallait transiter par la Guadeloupe, et que les cyclones qui s’annonçaient nous obligeaient à nous protéger. Cela n’avait rien de négatif : j’ai utilisé cette expression pour témoigner de notre difficulté à répondre à ces événements, qui n’a pas toujours été comprise à Paris. Mais je présente mes excuses à ceux qui auraient mal interprété cette expression.

Maintenant, passé le temps de l’émotion et de l’urgence, nos efforts doivent s’inscrire dans la durée. Mon rôle – et votre rôle – est d’y veiller.

C’est le sens du comité interministériel qui a pour mission la reconstruction de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. C’est aussi le sens de l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, publié ce dimanche au Journal Officiel, pour les îles du Nord, l’ensemble de la Guadeloupe, les communes du Centre et du Nord de la Martinique. Cette reconnaissance n’est pas tout car beaucoup reste à faire. Les ministères de l’intérieur, de l’économie et des finances, de l’action des comptes publics, des outre-mer et de la transition écologique se sont mobilisés pour ce travail et pour l’accompagnement qui sera nécessaire dans le futur.

Cela a été dit à l’occasion de la journée mondiale du tourisme, nos regards sont tous tournés vers les Antilles françaises, car l’urgence commande de tout faire sans attendre pour soulager les corps, les esprits, mais surtout réparer les terres meurtries par ces ouragans. Je tiens malgré tout à rappeler que si l’État doit envoyer un signal fort, aucune crise ne doit en faire oublier une autre, aucune urgence ne doit en faire oublier une autre. Et si nous avons l’ambition de reconstruire ces territoires en mettant en avant le réflexe outre-mer, nous avons aussi l’obligation aussi de traiter les autres dossiers et les engagements pris par le gouvernement précédent ou par celui-ci. J’y veillerai. Les défis sont importants. Le chantier collectif qui s’ouvre à nous est immense.

C’est également l’enjeu des Assises des outre-mer, qui débuteront le 4 octobre dans l’Hexagone, avec le lancement d’un site internet, et seront le fil conducteur des deux premières années de ce quinquennat en outre-mer. C’était une proposition de campagne forte du Président de la République. Les Assises seront un temps de consultation, de diagnostic, de proposition de l’ensemble des acteurs ultramarins. Pouvoirs publics, secteur privé, société civile, tous doivent pouvoir se mobiliser pour apporter des réponses aux territoires d’outre-mer. Mais les citoyens sont aussi concernés, dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Voilà pourquoi il faudra que tous puissent s’exprimer à travers ces Assises. Tel est mon souhait.

Ce travail de mobilisation, qui me semble inédit, débouchera sur un Livre bleu outre-mer, dont l’enjeu sera de réinventer l’avenir des territoires, de redonner des perspectives et des raisons d’espérer à nos habitants et à notre jeunesse, qui sont parfois cantonnés dans des représentations forgées par l’histoire et l’éloignement. C’est aussi l’occasion de promouvoir une nouvelle forme d’action publique, plus concrète, mieux perçue et surtout mieux partagée entre l’État, les collectivités, et l’ensemble des ultramarins.

Les Assises ne doivent pas être vues comme une réédition des États généraux de 2009 – auxquels j’ai participé moi-même – dont sont sorties de nombreuses mesures qui n’ont jamais été véritablement suivies d’effet.

Nous avons décidé de faire piloter ces Assises par un rapporteur général, Thierry Bert. Celui-ci, avec l’ensemble de son équipe, mènera les débats autour des chantiers structurants, autour des grandes propositions communes. Mais il devra, surtout, identifier des projets propres aux outre-mer. En effet, si nous avons des défis communs, nous avons aussi des défis spécifiques, chacun étant lié au bassin maritime ou aux spécificités territoriales.

Pour réussir ces Assises, il nous faut pouvoir répondre à un certain nombre de conditions, la première étant que l’exercice parte des territoires. Nos réponses devront être en phase avec ce que nous demanderont les entrepreneurs, les usagers de services publics, ou encore ceux qui n’ont que très rarement la parole. Bien sûr, il sera question de santé, d’eau, d’éducation, de culture, de sécurité : c’est normal, puisque c’est le quotidien de nos concitoyens.

Réussir l’exercice, c’est aussi mobiliser les ultramarins eux-mêmes dans les territoires d’outre-mer ou en métropole – pour ceux qui souhaitent y participer. C’est donner la parole à ceux qui ont perdu confiance dans l’action publique, et nous savons malheureusement qu’ils sont nombreux, notamment sur nos territoires. C’est pour cela que nous avons souhaité ouvrir un site web, qui peut créer un lien entre les uns et les autres.

Réussir les Assises, c’est encore insuffler un élan nouveau pour miser sur un potentiel de croissance, et sur les atouts propres à chaque territoire d’outre-mer qui, vous le savez, sont nombreux – énergies renouvelables, innovation technologique, excellence environnementale, économie bleue, etc.

Je pense également à la coopération régionale, qui tient à cœur à beaucoup de députés ici présents. Celle-ci a besoin d’une véritable ambition, de visibilité, voire de lisibilité, entre les actions de l’État et celles des collectivités territoriales. M. Letchimy et Mme Bareigts ont beaucoup travaillé sur ces sujets, chacun dans son bassin maritime.

Pour réussir enfin les Assises, il faut éviter de marginaliser le traitement des problématiques ultramarines. Ce n'est pas parce que ces Assises ont lieu qu’il ne faut pas donner toute sa place à l’outre-mer dans toutes les réflexions que mène en ce moment le Gouvernement.

Je pense aux grands chantiers, à tous les exercices interministériels lancés par le Gouvernement, notamment à sa stratégie en matière de logement. Il n’est pas question de se contenter d’une petite ligne qui nous rappelle que nous allons travailler dans quelques mois sur le logement dans les outre-mer. Il faut que la question du logement dans les outre-mer soit intégrée à la stratégie nationale en matière de logement. J’irai cet après-midi à Strasbourg en parler devant le Congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH).

L’outre-mer doit aussi prendre toute sa place dans l’ambitieux plan climat. Si nous sommes aux avant-postes des risques climatiques, comme on vient malheureusement de le voir, nous sommes aussi aux avant-postes pour y apporter des solutions. Il faut nous impliquer davantage encore dans les dix-sept objectifs de développement durable que les Nations unies ont proposés à l’ensemble des pays en 2015. La France s’est bien sûr engagée en faveur de ces dix-sept objectifs. Alors que l’on dispose à peine aujourd’hui d’une stratégie nationale sur ces questions, soyons les premiers à nous en emparer, allons plus loin et plus vite pour les atteindre !

 

De la même manière, les outre-mer ne doivent pas être un sous-chapitre de la Conférence nationale des territoires. Je sais que beaucoup d’entre vous se sont engagés dans ces réflexions, pour apporter une réponse aux problématiques des collectivités ultramarines, qui sont nombreuses.

Osons ouvrir les débats – que l’on voudrait peut-être nous empêcher d’ouvrir – sur les dotations spécifiques des outre-mer. Celles-ci ne sont pas complètement adaptées aux spécificités des territoires, ni aux défis qu’ils doivent relever.

Donc, ni la stratégie nationale de santé, ni la priorité que le Gouvernement accorde au handicap, ni les États généraux de l’alimentation, ni les Assises de la mobilité, ne doivent faire oublier l’outre-mer. Et il ne faut pas laisser dire que parce qu’il y a les Assises de l’outre-mer, l’outre-mer n’aurait pas sa place dans les autres débats. Nous devons nous imposer partout, sur tous ces sujets, de manière à nous se faire entendre. C’est cela le réflexe outre-mer.

Nous aurons des résultats, à condition d’être largement et collectivement mobilisés. Je peux vous assurer que c’est le cas des membres de mon cabinet – avec un effectif réduit à dix personnes, ils ne chôment pas ! – qui sont en permanence au service des outre-mer. Mais pour réussir, j’ai besoin aussi des parlementaires, car c’est ensemble que nous pourrons trouver les solutions.

Les Assises des outre-mer ne doivent pas non plus se substituer aux engagements de l’État sur les sujets territoriaux, ou sur les spécificités ultramarines.

Vous avez cité l’accord de Guyane, qui doit effectivement être totalement mis en œuvre. Aujourd’hui, le plan d’urgence a été entièrement acté. La première moitié des propositions a été appliquée, et l’on a engagé la dynamique qui permettra d’appliquer la seconde moitié.

Il en est de même des mesures sectorielles complémentaires. Aujourd’hui, plus de la moitié de ces mesures fait l’objet d’actions ou de réflexions. J’ai pu en dresser le bilan en Guyane la semaine dernière. Comme je l’ai dit tout à l’heure et comme je l’ai rappelé sur place, aucune urgence ne doit faire oublier celles d’hier, puisqu’il faut apporter des réponses pérennes.

J’en viens au plan « Mayotte 2025 ». Vous le savez, mes premiers déplacements – en dehors des urgences climatiques – ont été pour la Nouvelle-Calédonie, la Guyane et Mayotte. J’ai pu détailler sur place les mesures déjà engagées et celles qui restent en chantier.

Je n’oublie pas non plus, et nous en avons discuté avec les parlementaires, l’Accord de l’Élysée pour le développement de la Polynésie française.

Ces trois accords sont aujourd’hui bien pris en compte par le Gouvernement, et les engagements pris seront tenus.

Vous avez évoqué la question de la Nouvelle-Calédonie, qui se prononcera sur son accession à la pleine souveraineté par le biais d’un référendum sur l’avenir institutionnel du territoire. Cela nécessite un travail préparatoire mais le rendez-vous est pris, au plus tard pour novembre 2018.

On constate, depuis les terribles événements qui ont marqué le territoire il y a plus de trente ans maintenant, des avancées majeures dans la construction d’un destin commun. Nous préparons bien sûr ce référendum. La question sera au centre du prochain Comité des signataires des accords de Nouméa-Matignon, qui se tiendra début novembre, sous la présidence du Premier ministre. C’est vers cette rencontre que nous tournons aujourd’hui nos efforts.

Les Assises des outre-mer, c’est également l’occasion d’appliquer les contrats de convergence prévus dans la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, dite loi EROM, et d’élaborer les différents plans.

Les Assises des outre-mer, c’est le creuset des projets et des réformes que ce gouvernement veut mener. Nous travaillerons aussi pour les autres rendez-vous qui étaient déjà programmés. C’est une véritable chance pour nous tous, pour l’outre-mer, de trouver des réponses à nos questionnements, d’améliorer l’efficacité des outils mis à notre disposition, et de renouveler notre vision de l’avenir de nos territoires.

Comme vous le savez, de nombreux dispositifs très variés coexistent aujourd’hui en outre-mer. Je me suis souvent interrogée sur leur manque de visibilité et d’articulation. Nous avons l’occasion de nous pencher sur certains d’entre eux, mais il n’est pas question de revenir sur l’ensemble : aucun ne sera supprimé sans que nous ayons programmé les outils qui viendraient le remplacer.

Nous n’imaginons pas que le développement endogène serve de paravent au retrait de l’État. Ce n’est pas parce que l’on ouvre les débats, parce que l’on remet en question un certain nombre d’outils, que l’on souhaite voir l’État se désengager des territoires – ce dont certains nous accusent.

Il faut que l’on puisse identifier, dans chaque outre-mer, les leviers de croissance et d’excellence à actionner pour relancer le développement. Des priorités ont déjà été arrêtées, nous devrons les réaffirmer à cette occasion.

Il faut aussi tisser un nouveau lien de confiance entre l’Union européenne et les territoires, régions ultrapériphériques (RUP) ou pays et territoires d’outre-mer (PTOM). Avec le Brexit, nous allons devoir faire accepter à l’Europe d’autres dispositifs. Nous avons absolument besoin d’un « POSEI [Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité] pêche » et, pourquoi pas, d’un « POSEI industrie ».

Au-delà, pourquoi pas ne ferions-nous pas de nouvelles propositions à l’Europe ? La rencontre des RUP qui aura lieu en Guyane dans trois semaines sera certainement l’occasion d’insister à nouveau sur les difficultés de l’outre-mer qui doivent être prises en compte. Mais il faut savoir que la France sera encore plus isolée demain dans les débats sur les RUP et les PTOM : avec le Brexit, nous allons devenir la seule voix de l’Europe dans certains bassins maritimes, notamment le Pacifique. Il faut que nous soyons à la hauteur.

Il est essentiel de stabiliser nos outils d’aide à l’investissement. Mais il faut aussi leur donner davantage de souplesse, plus de lisibilité, et inventer de nouveaux dispositifs. Cela implique de mener une réflexion collective sur ces sujets.

Il faut aussi puiser des réponses dans le domaine de la recherche – recherche appliquée, recherche en innovation, notamment en matière d’environnement. Je pense que chacun a compris que nous pouvions jouer un rôle majeur dans le prolongement de la COP21. Le Président de la République souhaite d’ailleurs organiser à Paris le 12 décembre prochain, deux ans après l’Accord de Paris, un sommet sur le climat. Les outre-mer doivent y être associés. Nous y travaillons en ce moment.

Il faut aussi ouvrir les économies ultramarines sur le monde. Pour cela, il faut remplir certaines conditions : remettre nos infrastructures à niveau – je vise les ports et les aéroports ; revoir nos logiques de bassin ; améliorer la formation et le niveau de qualification de nos jeunes, en mettant par exemple l’accent sur l’apprentissage des langues étrangères.

Il faut s’ouvrir en développant davantage qu’on ne l’a fait jusqu’à présent des marques ou des indications géographiques protégées (IGP) spécifiques aux outre-mer. Business France doit également être plus efficace en outre-mer.

Plus généralement, j’ai souhaité que tous les outils dont nous disposons, que ce soit l’Agence française de développement (AFD), la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Business France, voire Expertise France, soient davantage associés à nos dynamiques de territoire, en cohérence avec ce que l’on fait dans les bassins maritimes en termes de développement économique.

Il y a quelques années, j’ai constaté que l’AFD travaillait « par étage ». On a vu ce que cela a pu donner dans l’Océan Indien, quand l’étage « coopération et développement » a financé un port dans le cadre d’un projet de développement identique à celui que portait l’étage « outre-mer » en faveur d’autres territoires du même bassin maritime. Plus jamais ça !

Il faut donc que l’on puisse soutenir davantage les stratégies territoriales avec la volonté, en particulier, de développer la pratique du « bon achat » ou de promouvoir nos cadres ultramarins – comme nous l’avons fait dans certains cas : je pense au programme « 400 cadres » ou au plan d’avenir et de formation que nous avions lancé en Nouvelle-Calédonie et que nous sommes en train de développer pour Mayotte et pour Wallis-et-Futuna.

Co-construire les outre-mer de demain est le défi que nous nous sommes lancé et que je souhaite relever. J’aurai l’honneur, jeudi matin, de vous présenter le budget de mon ministère dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. J’annoncerai un budget en hausse et à périmètre constant – les mouvements de périmètre correspondant à des transferts entre ministères seront neutralisés car je souhaite que nous soyons le plus transparents possible. Ce budget sera ambitieux en ce qui concerne le développement des territoires mais également volontaire pour ce qui touche à la jeunesse et à l’emploi. Vous savez combien, comme vous, je suis sensible à ces questions.

Ces exemples illustrent la grande ambition que nourrit le Gouvernement pour l’outre-mer, une ambition qui pourra trouver une traduction concrète, le moment venu – par exemple après les Assises des outre-mer –, dans un texte de programmation et d’orientation. Il convient en effet de raisonner à long terme – et c’est dans cette logique que s’inscrivent les plans de convergence – et de définir une stratégie globale – ce que nous allons faire dans les mois qui viennent.

Je réponds à présent aux questions posées par le président.

En Guyane, la mobilisation de l’État est importante puisqu’elle représente 100 % des mesures engagées dans le plan d’urgence et 77 % des ateliers sectoriels. En outre, ses réponses sont structurelles : 85 millions d’euros ont été engagés en faveur des hôpitaux ; 89 millions d’euros ont été investis pour le conseil territorial de Guyane – les accords en la matière sont sur le point d’être signés et j’espère que nous allons pouvoir nous mettre d’accord afin de verser ces financements très rapidement – ; enfin, 250 millions d’euros sont prévus pour les lycées.

Ces accords ont été négociés dans l’urgence avec l’ensemble des partenaires ; aussi convient-il désormais de donner du sens à ce projet. Nous ne saurions nous contenter de discuter des financements : il s’agit de définir la volonté de la Guyane, dans une perspective de co-construction, de se projeter dans l’avenir.

Comme je l’ai précisé, les Assises des outre-mer ne se substituent pas aux contrats de convergence et au plan, mais les débats seront menés en parallèle. Les ateliers vont se nourrir des diagnostics pour le plan de convergence : il n’est pas question d’établir des diagnostics destinés aux Assises et d’autres aux plans de convergence. L’important, j’y insiste, est que la parole soit donnée à chacun.

En ce qui concerne la défiscalisation, nous nous sommes suffisamment battus, dans cette enceinte, pour faire comprendre combien elle était essentielle, notamment en matière de logement ou pour le secteur productif. Il faut donc continuer de se battre. Je m’interroge cependant sur certains nouveaux outils puisque la défiscalisation laisse de côté un certain nombre de petites entreprises. D’autres difficultés se manifestent : nous devons impliquer davantage l’échelon local en matière de défiscalisation toujours ; ne note-t-on pas certains dysfonctionnements en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie ? En somme, s’il importe de stabiliser les soutiens financiers, nous devons imaginer d’autres outils.

M. le président Olivier Serva. Merci, madame la ministre, pour ce panorama des problématiques ultramarines mais également pour les précisions que vous nous avez d’ores et déjà apportées.

M. Mansour Kamardine. Madame la ministre, je partage votre ambition pour l’outre-mer. Je fais partie des rares députés de mon groupe qui ont accordé leur confiance au Gouvernement, mais elle n’est pas aveugle : c’est une confiance de principe. Aussi quand je vois ce qui se passe à Mayotte, avec la signature de la feuille de route tendant à faciliter la circulation des Comoriens vers notre île, feuille de route qui met le pays à feu, je dois vous avouer que je suis très préoccupé. Je vous avais dit que l’instauration d’un visa outre-mer n’était pas, s’agissant de Mayotte, une bonne idée. Or, en effet, si j’en crois les échos du terrain, les Mahorais ont essayé d’occuper la préfecture tant, pour eux, il ne s’agit plus de leur préfecture mais de celle des étrangers.

Vous nous avez conviés à suivre un certain nombre d’orientations. J’ai eu déjà l’occasion de vous signifier que nous, les Mahorais, ne sommes plus assis mais debout. Et puisque vous nous incitez à débattre et que notre culture est de tradition orale, nous allons continuer la palabre.

Reste que les Mahorais savent déjà ce qu’ils veulent : un développement durable. Or les orientations contenues dans la feuille de route visent à faire partager avec nos voisins la misère qui sévit à Mayotte… C’est que le développement durable doit passer en particulier par la réalisation des chantiers structurants, par le désenclavement routier, le désenclavement aérien, le désenclavement maritime, le désenclavement numérique, mais aussi, si je puis dire, par la construction du Mahorais à Mayotte – loin de nous l’idée, en effet, qu’on puisse construire Mayotte sans les Mahorais. Seulement, et vous le savez, madame la ministre, pour vous être rendue sur place, nous avons des classes surchargées, avec en moyenne, pour chacune, plus de trente enfants ; il nous faut organiser des rotations scolaires puisque plus de 600 écoles manquent ; en outre, nous devons compter avec trente naissances par jour soit l’équivalent de deux classes – ou trois si l’on adopte le critère de douze élèves par classe retenu par le Président de la République. Les communes de Mayotte n’ont pas les moyens financiers de répondre aux besoins très importants créés par cette situation.

Bref, vous pouvez constater que la réalité de Mayotte, surtout si l’on ferme les yeux sur l’immigration clandestine, est loin de permettre un développement durable, d’autant que dans la coulisse on justifie son impuissance par le nombre excessif d’immigrés et de clandestins ; aussi laisse-t-on les choses aller, quitte à faire porter le poids des difficultés à la jeunesse mahoraise et à compromettre son avenir au sein de la France.

Vous êtes revenue, madame la ministre, sur le développement des bassins maritimes, en particulier sur les politiques engagées au nom de l’État par l’AFD. Mayotte ne peut souscrire sans conditions à ces orientations : elle est le seul territoire qui fait l’objet de revendications territoriales internationales – or imaginer qu’on ne développe pas l’aéroport de Pamandzi parce qu’on s’appuiera sur la plate-forme de Moroni est un non-sens politique car le jour où les Comores seront en conflit avec nous, nous ne pourrons plus utiliser ladite plateforme. Nous souhaitons donc une coopération réciproque mais, tant que durera cette revendication territoriale, nous ne pouvons pas nous appuyer, en matière de développement maritime et de développement aérien, sur les infrastructures de Moroni.

Enfin, et ce ne sont pas mes collègues réunionnais qui me démentiront, nous avons un gros souci, madame la ministre, avec nos compatriotes mahorais qui, utilisant leur carte d’identité française, fuient la misère qu’on nous propose, je le répète, de partager avec nos voisins comoriens. C’est d’autant moins acceptable que les efforts faits pour accueillir ces Mahorais à la Réunion se révèlent vains. Aussi la stratégie mise en place au niveau de l’État pour éviter un décalage de développement entre Mayotte et les Comores est-elle un non-sens politique. Les Mahorais fuient ensuite de la Réunion vers la métropole où, du fait d’un décalage culturel important, ils sont mal accueillis, mal intégrés – et cette situation provoque des tensions au sein des familles, des ruptures même –, alors qu’ils perçoivent les dotations versées aux autres compatriotes, augmentant d’autant la dépense publique.

Je souhaite donc que tout soit mis en œuvre à Mayotte pour développer les politiques sociales de façon à y fixer les populations, ce qui permettra notamment de lutter efficacement contre l’immigration clandestine.

M. le président Olivier Serva. J’ai omis l’essentiel : je vous demande, mes chers collègues, de limiter votre intervention à deux minutes ; aussi M. Kamardine est-il l’exception qui confirme la règle.

M. Mansour Kamardine. J’ai donc bien fait de m’exprimer avant que vous n’énonciez la règle… (Sourires.)

M. Serge Letchimy. Je me réjouis du grand nombre de députés présents à cette réunion. J’ai entendu avec plaisir l’expression de votre courage et de votre détermination, madame la ministre. Je n’en irai pas moins droit au but : je regrette que la présente délégation ne soit qu’une chambre d’enregistrement, et je le regrette profondément car nous avons tous lutté pour qu’elle ait une vraie capacité de proposition, à l’égal d’une commission permanente.

Vous avez prononcé des mots forts qui ont suscité mon admiration, en particulier quand vous avez affirmé qu’il ne fallait pas de traitement au rabais, que les Assises des outre-mer seraient inédites, allant même, et je vous rejoins, jusqu’à exiger l’application de l’article 349 du traité de Lisbonne – toujours négligé par Bruxelles et par une grande partie des responsables des États membres –, voilà un gros chantier.

Vous citez le « POSEI pêche », combat que nous avons mené pendant dix ans ; mais il faudrait que votre ministère détienne le vrai pouvoir, ce qui n’est pas tout à fait le cas.

Vous parlez de défiscalisation – dispositif qu’il est question de supprimer très bientôt – ; il s’agit là aussi d’un combat très important qu’il faut gagner. Nous vous soutiendrons mais je vous mets d’ores et déjà en garde car vous devrez faire face à Bercy.

Vous évoquez enfin la reconduction éventuelle de la loi de développement économique pour l’outre-mer (LODEOM) – un outil essentiel. On peut contester le dispositif de défiscalisation qu’elle contient, concernant l’investissement productif, mais il importe, j’y insiste, que la LODEOM soit reconduite, même sous une autre forme.

Plus encore, vous plaidez pour un nouveau modèle de développement, étant entendu que, et vous êtes bien placée pour le savoir – et nous le savons tous, qui vivons en outre-mer –, que la catastrophe sociale est source d’incidents. Êtes-vous dès lors disposée à instaurer des zones franches expérimentales dans chaque département et région d’outre-mer, afin que nous reprenions nous-mêmes en main les outils d’organisation de l’investissement pour assurer une économie de partage, transversale, et sortir du système actuel qui produit 20 à 30 % de chômage structurel, taux que nous ne sommes jamais parvenus à faire baisser.

On prie le bon Dieu pour ne pas tomber malade un samedi ou un dimanche en outre-mer – l’une des pires situations est en Guyane et en Martinique. La politique de santé publique est donc incroyablement déficiente.

Pour ce qui concerne la diplomatie territoriale, nous sommes éternellement étrangers à notre propre géographie. La proposition de loi que j’ai présentée et qui a été votée à l’unanimité ouvre une petite porte en la matière. Êtes-vous donc disposée à instaurer une vraie diplomatie économique territoriale de sorte que La Réunion puisse négocier avec l’Afrique du Sud, la Guyane avec le Brésil, sans être liée par le cordon d’une République unitaire, mais sans pour autant que l’indivisibilité de cette dernière soit remise en cause ?

Enfin, comment avoir une ambition telle que la vôtre alors que l’État abandonne des milliers de jeunes parce qu’il refuse de renouveler les contrats aidés ? Si vous décidez d’un moratoire, en outre-mer, concernant les emplois aidés, alors vous aurez Serge Letchimy avec vous et certainement de nombreux autres parlementaires.

Mme Éricka Bareigts. Je salue, madame la ministre, votre disponibilité, votre engagement, votre détermination – dont, vous connaissant, personne ne pouvait douter. Votre feuille de route est très ambitieuse mais c’est parce que les départements et territoires d’outre-mer le méritent et parce qu’ils en ont besoin.

Je partage totalement le changement de modèle envisagé et comprends la nécessité d’une démarche pragmatique liée à l’identification des outre-mer comme des territoires singuliers. C’est du reste la démarche que nous avions engagée pour élaborer le projet de loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, texte co-construit et voté à l’unanimité. Vous avez vous-même contribué à la reconnaissance des centres d’intérêts matériels et moraux (CIMM) – sujet ô combien sensible. Et j’entends bien, je le répète, votre détermination pour faire en sorte que toutes les dispositions de cette loi soient appliquées, dans la mesure où, même si elles ne sont pas le nec plus ultra, elles proposent une nouvelle approche grâce à laquelle nous pouvons mesurer les forces et les faiblesses de chaque territoire afin de construire, dans le cadre des contrats de convergence, de nouvelles dynamiques.

J’ai écrit une lettre précise, il y a deux mois, où, Monsieur le président, je souhaitais, dans une démarche à la fois pérenne et pragmatique, qu’on instaure un moratoire concernant un ensemble de dispositions nationales appliquées de façon brutale dans nos territoires et qui nous fragilisent. M. Letchimy a évoqué avec raison les contrats aidés : nous avons pris la décision de leur suppression en pleine face, à la Réunion, avant la rentrée scolaire. Or nous aurons besoin de ces emplois aidés, en décembre, au moment de la saison des pluies qui présente des risques sanitaires importants – je pense au virus du chikungunya. J’ai entendu que les outre-mer faisaient partie des priorités mais j’ai également entendu que le taux de prise en charge des contrats aidés par l’État passerait de 70 à 50 %, que la durée de ces mêmes contrats allait être limitée à six mois, que nous n’étions plus dans un parcours d’insertion, si bien que nous n’avons plus de visibilité. Nous ne savons pas de quels moyens nous disposerons pour nous préparer au mois de décembre.

Nous souhaitons également l’instauration d’un moratoire sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) afin que son taux reste fixé à 9 %.

De même, observez un moratoire concernant l’application de la LODEOM, le temps que les Assises des outre-mer aient lieu et que nous redéfinissions les outils de développement les plus pertinents.

Je souhaite terminer mon intervention sur un point important : l’Europe. De grands rendez-vous sont à venir. Un excellent travail réalisé par Younous Omarjee présente au mieux le sujet. Il faut que la France soit à l’avant-garde et défende l’application de l’article 349 du traité de Lisbonne, ainsi que la nouvelle jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Sans cela, nous n’y arriverons pas.

Je me résume, madame la ministre : moratoire, s’il vous plaît, sur le CICE, les contrats aidés et sur la baisse des aides personnalisées au logement (APL) – laquelle est de nature à fragiliser les bailleurs sociaux dans nos territoires. Ainsi pourrons-nous préparer dans les meilleures conditions l’avenir de nos territoires. Sachez en tout cas que nous serons à vos côtés.

M. David Lorion. Je ne reviens pas sur l’émoi qu’a pu susciter la décision du Gouvernement relative aux emplois aidés. Vous avez déclaré, madame la ministre, que certaines mesures qui ne seraient pas remplacées ou sur lesquelles on ne se serait pas mis d’accord ne seraient pas supprimées. Par ailleurs, vos considérations sur l’ouverture, l’ambition dont vous entendez faire preuve, mais aussi votre connaissance de l’outre-mer, font plaisir à entendre et nous sommes tous d’accord pour vous suivre pour peu que vos décisions ne soient pas reportées aux calendes grecques, comme les Assises des outre-mer dont nous souhaitons la réunion bientôt.

Mme Bareigts y a fait allusion : nos entreprises sont très inquiètes de ce qui les attend. Je me souviens de la promesse du Président de la République, lorsqu’il est venu à la Réunion, de porter le CICE à 12 %. Vous nous assurez, madame la ministre, que vous tiendrez les engagements pris par les gouvernements précédents – tenir celui sur le CICE donnerait un signal positif aux entreprises réunionnaises quant à la volonté du Gouvernement pour des secteurs bien spécifiques, de façon à permettre aux petites entreprises de bénéficier dudit crédit d’impôt et de mensualiser leurs remboursements. Nous devons en effet pouvoir dire aux entreprises qu’elles vont nous aider dans notre développement économique car le seul message qu’elles perçoivent aujourd’hui est que nous laissons les jeunes sur le carreau, car les associations sont sans moyens et les collectivités démunies. Or, j’y insiste, nous avons désormais besoin de réponses très claires de votre part, notamment en ce qui concerne l’économie marchande.

La défiscalisation, quant à elle, doit être le moyen de donner envie à l’outre-mer ; ce n’est pas une niche fiscale mais bel et bien un levier. Elle doit notamment concerner les maisons individuelles – 2 500 en 2013, à La Réunion, et seulement 450 en 2016 – qui font travailler les petites entreprises, les artisans. Notre tissu industriel, c’est 95 % d’entreprises de moins de 10 salariés. Nous avons donc besoin, certes, d’une défiscalisation pour le logement social, mais ce ne sont pas les entreprises de moins de dix salariés qui construisent des immeubles sociaux, ce sont les petites et moyennes entreprises. Vous voyez donc bien tout l’intérêt non seulement de maintenir la défiscalisation pour les revenus, pour permettre l’amélioration du logement, sa réhabilitation, mais aussi la défiscalisation pour les petits logements parce qu’elle répond à la fois à une demande sociale et à une demande économique.

Enfin, outre le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) que je viens d’évoquer, l’une des filières traditionnelles de La Réunion est celle du sucre. Dans quelques jours, on va discuter de l’accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement – CETA) et des décisions très dangereuses pour nos économies vont être prises comme l’ouverture aux pays du Marché commun du Sud (Mercado Común del Sur – MERCOSUR), laquelle va presque tuer notre production sucrière. D’où la nécessité de maîtriser ces accords pour interdire l’entrée des sucres spéciaux en Europe.

Encore un mot : il faut tenir compte de l’arrivée sur nos étals et dans nos grandes surfaces de tous les produits dits de dégagement – qui ne trouvent plus de débouchés en Russie notamment – et qui tuent littéralement, à La Réunion, toute une filière économique dans laquelle le Gouvernement mais aussi l’Union européenne ont beaucoup investi : le poulet.

Mme la ministre. Je commencerai par répondre aux questions relatives à Mayotte. Je l’ai déclaré sur place : c’est le territoire de tous les défis. Si nous voulons que Mayotte prenne toute sa place dans son bassin maritime et se développe économiquement, la question des infrastructures est essentielle, qu’il s’agisse du port, de l’aéroport, des routes… Au-delà, le Haut conseil paritaire (HCP) franco-comorien s’est réuni la semaine dernière, présidé par les deux ministres des affaires étrangères. L’idée était d’élaborer une feuille de route interne commune aux Comores et à la France sur le renforcement de la lutte contre les passeurs et le renforcement de la coopération policière et douanière. J’ai vu le document qui a circulé sur les réseaux sociaux : il est totalement faux et aura eu pour seul mérite de démontrer que nous avons été mauvais en matière de communication.

Mme Maud Petit. C’est vrai.

Mme la ministre. Je ne peux toutefois laisser dire que tout a été fait en cachette car j’ai demandé à l’ambassadeur de zone, chargé de l’océan Indien, de rencontrer l’ensemble des élus de Mayotte pour recueillir leur première réaction. Il fallait que les Comores prennent conscience que la France n’accepterait plus de leur part un désintérêt pour les questions primordiales que je viens de mentionner : la lutte contre les passeurs et l’immigration illégale que nous subissons. Puisque la transparence s’impose en la matière mais que les accords signés par les ministères des affaires étrangères sont rarement publics, je rencontrerai les élus de Mayotte jeudi prochain avec des membres du cabinet du ministre des affaires étrangères pour que nous leur présentions le document et les points sur lesquels nous avons avancé.

J’ai parlé du « visa des outre-mer » à l’occasion du dîner des trois océans. Ce n’était donc pas une réponse spécifique à Mayotte. Il existe d’ailleurs depuis bien longtemps : à La Réunion, sous l’appellation de « visa vanille », ou en Polynésie, pour permettre aux touristes de Chine, d’Afrique du Sud ou d’Inde de s’y rendre plus facilement. Ainsi, ce n’est pas une question nouvelle, mais une question beaucoup plus sensible à Mayotte.

Je souhaite que l’on avance en matière de coopération régionale, que ces actions soient davantage menées par les territoires et que l’État accompagne leurs réflexions par bassin maritime – monsieur Letchimy l’a dit tout à l’heure. De premières initiatives ont été prises à la suite du vote de la loi du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, portée par Serge Letchimy. Elle avait à l’époque – j’étais alors à la commission des affaires étrangères – fait débat. Il nous faut travailler ensemble, je l’ai redit aux ambassadeurs durant ce dîner, mais d’autres l’avaient fait avant moi, Ericka ou Serge notamment. Il faut maintenant passer à une politique de co-construction dans les bassins maritimes. Les collectivités ne le feront pas seules, mais l’État ne peut plus le faire seul compte tenu de ses engagements. Nous pouvons avancer dans les domaines scientifique et universitaire, y compris à Mayotte. Il ne faut pas mettre ces occasions de côté, même si ce n’est pas la seule réponse.

Je l’ai dit en Guyane, et je le redis ici tout en mesurant la portée de mes paroles : je n’ai pas de tabou concernant la lutte contre l’immigration illégale. J’accepte même que nous débattions de la question du droit du sol sur les territoires où beaucoup a déjà été tenté. Nous avons fait des efforts. Je vais en dresser la liste car on ne peut pas dire que l’on a fermé les yeux ou que rien n’a été fait. Mais nous devons aller plus loin dans nos réflexions.

Le Plan global de sécurité, de prévention de la délinquance et de lutte contre l’immigration clandestine pour Mayotte est important : 62 policiers, 42 gendarmes, la création d’une antenne du GIGN, la création d’un état-major de sécurité, de nouveaux navires de lutte en mer contre l’immigration illégale, le renforcement des partenariats avec les maires et le conseil départemental par le biais des Conseils Locaux de Prévention de la Délinquance (CLSPD)… Il faut en même temps lutter contre l’immigration illégale et contre la délinquance pour améliorer le climat local afin que les Mahorais et les Mahoraises puissent mieux vivre chez eux. Nous avons des priorités à court terme, je l’ai dit, mais nous devons voir plus loin : comment et avec quels moyens imagine-t-on le Mayotte de demain ? Je ne vais pas citer l’ensemble des autres moyens engagés à Mayotte. Il nous reste sans doute à mieux coordonner le tout pour être plus efficace.

Je peux comprendre que l’on soit fâché à Mayotte et que, de ce fait, l’on ait envie de bousculer l’État après le Haut conseil paritaire (HCP) avec les Comores. Mais, honnêtement, il faut aller de l’avant : on ne résoudra pas les problèmes sans avoir une vision globale du bassin maritime que constitue l’océan Indien. La coopération régionale ne concerne pas que les Comores, mais également Madagascar, dont j’ai senti que les Mahoraises et les Mahorais étaient très proches. Il ne faut donc pas se focaliser sur la question des Comores, ce n’est pas mon souhait, même si la solution globale passera aussi par celle que l’on trouvera pour les Comores.

Monsieur Letchimy, vous m’avez interrogée sur mes ambitions, notamment sur le « POSEI Pêche ». Effectivement, c’est compliqué, cela fait longtemps qu’on en parle, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut baisser les bras. Nous devons continuer à en discuter et réussir à le mettre en place. J’ai saisi la Commission européenne sur la modernisation des flottes de pêche et la prise en compte de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Je crois véritablement que la prochaine commission en Guyane sera l’occasion, en présence du Président de la République et de M. Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, d’aller plus loin et d’arracher peut-être, enfin, une réponse positive de l’Union européenne. Nous n’y sommes pas parvenus pour le moment. Nos spécificités vont peut-être enfin être prises en compte, non pas tant du fait de ma présence que du fait que nous ayons mené le combat depuis tellement d’années…

S’agissant des zones franches, là aussi, des dispositifs sont en place, qu’il faut réinterroger : la zone franche est-elle la réponse à tout ? Il y a aussi la TVA non perçue récupérable (NPR) ou les zones franches d’activité (ZFA). Qu’en a‑t‑on fait ? Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Faut-il aller plus loin ? Les semaines et mois à venir nous permettront d’apporter des réponses à ces questions. Les Assises des outre-mer, qui se dérouleront d’octobre 2017 à janvier 2018, nous permettront de débattre. Veut-on uniquement faire du « fiscal » ? Du fiscal et de l’aide directe ? Nous devons nous poser ces questions car les mêmes outils ne sont pas bons pour tous les territoires ou tous les cas de figure. Donnons-nous le temps, monsieur le député, de discuter de ces questions. Ne me demandez pas d’apporter des réponses aujourd’hui alors que le débat sera ouvert lors des Assises… Je tiens à cette co-construction.

Madame Bareigts, les dispositions relatives à la fin du CICE en 2019 figurent dans le projet de loi de finances pour 2018. En métropole, il est recyclé sous deux formes : d’abord des baisses de cotisations patronales jusqu’à 2,5 SMIC, mais aussi des allègements généraux jusqu’à 1,6 SMIC. La réforme ne peut être identique pour l’outre-mer, qui serait trop perdant. Cela explique que nous ayons obtenu un an de délai, afin que l’outre-mer puisse écrire sa page « après-CICE ». Nous avons quelques mois pour trouver une réponse et des outils adaptés ensemble. Le scénario n’est pas écrit, même si la fin du CICE en 2019 est bien actée, ce qui implique de trouver une réponse en 2018.

Il convient d’inclure cette réflexion dans ce que l’on pourrait appeler la « LODEOM 2 », la LODEOM du 27 mai 2009 étant tellement connue qu’il est inutile d’inventer un autre nom… En effet, vous l’avez dit, entre 2018 et 2025, un certain nombre de dispositifs vont arriver à terme. Il convient d’évaluer chacun d’entre eux, afin d’obtenir des moratoires ou des modifications dans les mois à venir.

Concernant le logement, je me rendrai cet après-midi au Congrès de l'Union sociale de l'Habitat (USH) à Strasbourg pour l’annoncer officiellement : la baisse des aides personnalisées au logement (APL) ne s’appliquera pas dans les outre-mer. Le moratoire est acquis. Pour une fois, il s’agit d’une réponse facile !

La réforme des contrats aidés – qui concerne tous les territoires – a effectivement été opérée brutalement et vécue encore plus brutalement en outre-mer, où l’on connait les chiffres du chômage – notamment celui des jeunes…. Elle a surtout été insuffisamment accompagnée, j’ai pour habitude de reconnaitre les erreurs. Ceci étant dit, les moyens annoncés pour 2017 concernent également l’outre-mer. Ils sont certes en baisse, mais j’ai tenté de faire en sorte que cette baisse nous touche le moins possible, l’éducation et l’outre-mer ayant été déclarés prioritaires dans l’attribution des emplois aidés. Cela ne signifie pas que nous bénéficierons d’un moratoire : il y aura bien une baisse. Vous l’avez vécu dans les territoires, les uns après les autres, dans le cadre des négociations que nous avons organisées. Même si, au coup par coup, nous avons réussi à obtenir – grâce à mes combats, à ceux de mon cabinet, mais aussi à vos remontées – des contrats supplémentaires, aujourd’hui, nous avons très certainement atteint le maximum de ce que nous pouvions faire, au vu de l’enveloppe nationale et des priorités fixées. Il convient désormais de chercher des solutions pragmatiques dans les territoires. Mon cabinet a obtenu la flexibilité – que certains souhaitaient –, afin que les préfets puissent utiliser l’ensemble des enveloppes pour répondre aux besoins des territoires, accompagner l’éducation, les collectivités qui ont des difficultés financières – je pense surtout aux communes –, mais aussi les associations, qui sont un tissu fondamental pour la cohésion sociale de nos territoires. Vous savez combien la question des associations est importante pour moi.

En posant des critères, nous avons essayé de favoriser cette flexibilité et d’autoriser, pour ceux qui avaient moins de difficultés financières, la modification des taux de remboursement ou de participation. Les taux de participation ne seront pas obligatoirement moindres, mais nous laissons cette liberté de négociation aux préfets, dans les territoires, afin qu’ils puissent faire au mieux avec les enveloppes obtenues.

Quelle réponse pour 2018 et pour tous ces jeunes qui attendent ? La première réponse, apportée par le Grand plan d’investissement (GPI), ce sont les quinze milliards d’euros investis dans la formation des jeunes, leur parcours d’intégration et d’insertion dans l’emploi. Ce parcours est en cours de définition, jusqu’à la fin de l’année. Il sera applicable à long terme, aussi bien dans les outre-mer qu’en métropole. Nous devons donc analyser nos spécificités et les défendre lors de la construction du volet « Plan d’investissement compétences » dédié à la formation, à l’accompagnement et à la qualification des jeunes demandeurs d’emploi au sein du grand plan d’investissement. C’est l’espoir, mais aussi l’angoisse forte, de cette jeunesse ultramarine, qui manque de visibilité pour son avenir.

Dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, les discussions avec les collectivités concernant les dotations seront également un moyen de soulever la question des emplois aidés, afin d’accompagner davantage les collectivités vers un nouveau modèle et de permettre la transition entre ces emplois aidés et des emplois de longue durée.

Enfin, la mission confiée à M. Jean-Marc Borello par la ministre du travail, visant à mobiliser les acteurs de l’insertion autour de solutions innovantes, sera également menée outre-mer et apportera des réponses spécifiques concernant les emplois jeunes outre-mer au-delà de 2017.

Le niveau 2017 est maintenu pour les emplois aidés, c’est l’essentiel. Nous aurons à travailler ensemble sur 2018.

M. Serge Letchimy. Ce n’est pas le cas en Martinique !

Mme la ministre. C’est l’objet de la négociation du jour avec le préfet, qui dispose de nouveaux chiffres et va, dans les heures qui viennent, les proposer à l’ensemble de ceux qui, aujourd’hui, manifestent en Martinique.

Monsieur Lorion, l’Union européenne est engagée dans une négociation internationale sur la libéralisation du commerce. Les négociations avec le Mercosur et le Mexique sont en cours. La ratification du CETA sera soumise à l’Assemblée nationale. Les sucres spéciaux constituent un débouché majeur pour les agriculteurs d’outre-mer, notamment ceux de La Réunion, principal producteur. Il est donc normal que vous me posiez cette question. Après avoir engagé un certain nombre de démarches, j’ai pris l’initiative d’alerter par courrier Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce, en lui demandant expressément de retirer les quatre codes des négociations en cours. Je pense que nous serons entendus. Ce courrier a été cosigné par M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, et M. Jean‑Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Je reste optimiste et vous apporterai la réponse dès que nous l’aurons obtenue.

Mme George Pau-Langevin. Permettez-moi de revenir sur les contrats aidés : comment comptez-vous faire pour que les besoins soient satisfaits, notamment en matière d’accompagnement scolaire ?

Je souhaiterais également savoir où en est le dossier de la Cité des outre‑mer, attendue depuis une vingtaine d’années, alors qu’un accord avait été trouvé avec le Parc de la Villette ?

Mme Marie Lebec. Madame la ministre, vous avez en partie répondu à ma question concernant le Grand plan d’investissement de 57 milliards d’euros sur cinq ans, dont les principaux objectifs ont été rendus publics hier à l’occasion de la remise du rapport de M. Jean Pisani-Ferry au Premier ministre. Ce plan a vocation à moderniser et améliorer la compétitivité de notre pays, à travers des financements fléchés vers la transition énergétique pour 20 milliards d’euros, la numérisation de l’action publique pour 9 milliards ou la formation à hauteur de 15 milliards.

Si, à ce stade, la mise en œuvre du plan reste à détailler, nous connaissons tous les besoins importants des outre-mer. Les Assises seront l’occasion de faire émerger de nouvelles propositions. Savez-vous déjà quelle place sera accordée à votre ministère dans la gouvernance de ce plan et, plus largement, quelle sera la place des outre-mer dans ces investissements ?

M. Lénaïck Adam. La collectivité territoriale de Guyane est préoccupée par le projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement.

En effet, la compétence de délivrance des permis miniers en mer relève, depuis la loi d’orientation pour l’outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000, des départements et régions d’outre-mer. En l’absence de décret, cette disposition n’a jamais été appliquée. Cela a provoqué un contentieux entre l’État et, à l’époque, la région, désormais collectivité territoriale de Guyane (CTG). Le Conseil d’État a enjoint au Premier ministre d’adopter ce décret, sous peine d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, au vu du peu d’empressement de l’État à signer le décret. Madame la ministre, le cumul des astreintes atteint aujourd’hui environ 1 million d’euros…

Tant le projet de loi susmentionné, que l’absence à ce jour de décret de transfert de compétence à la CTG sont révélateurs… Quand le Gouvernement compte-t-il appliquer la décision du Conseil d’État et transférer la compétence à la collectivité territoriale de Guyane ?

M. Hubert Julien-Laferrière.  Ma première question concerne le logement, et plus particulièrement la ligne budgétaire unique (LBU). Allez-vous obtenir des arbitrages favorables, compte-tenu des conséquences des cyclones, mais aussi de la croissance démographique très importante, en particulier à Mayotte et en Guyane ?

Ma deuxième question concerne l’habitat insalubre en Polynésie. L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ne semble pas compétente pour intervenir sur cette thématique dans les collectivités d’outre-mer, alors qu’elle intervient dans les départements et régions d’outre-mer. Avez-vous pu en discuter avec vos collègues ? Y a-t-il un moyen de faire en sorte que l’ANRU intervienne dans ces collectivités, car elle le fait de manière importante, me semble-t-il, en Guyane et à Mayotte. Ce n’est pas le cas en Polynésie, pour des raisons statutaires. L’ANRU peut-elle évoluer dans cette direction ?

Enfin, je souhaitais également vous interroger sur les conséquences des cyclones : comment se passe la coordination de l’urgence ? Le précédent d’Haïti, même si la comparaison peut sembler abusive, permettrait peut-être de tirer des leçons. Haïti a connu une forte mobilisation de la communauté internationale et des ONG et a reçu beaucoup d’argent. Beaucoup d’actions d’urgence ont été menées, mais les retours ont été très décevants quant à la coordination des actions sur le terrain. Les acteurs locaux – maires, collectivités locales, … – n’ont pas été associés à la reconstruction et à l’utilisation de l’argent ainsi mobilisé. Comment se passe aujourd’hui, dans nos territoires, « l’après-cyclone » ?

Mme la ministre. Madame Pau-Langevin, je le redis, le Premier ministre a annoncé hier la sanctuarisation de l’enveloppe fin 2017 des contrats aidés. Je porte bien ce message : le nombre de contrats sera pérennisé. Nous devons travailler ensemble, territoire par territoire, pour apporter l’ensemble des réponses.

 

La Cité des outre-mer demeure une priorité. Ce sujet sera abordé dans le cadre des Assises avec l’ensemble des partenaires. Pourquoi ? D’abord, et vous connaissez mieux que moi l’historique de ce dossier, parce que je trouve totalement anormal que le ministère de la culture ne se soit pas associé à ce projet. Nous voulons revenir sur ce point. Mais également car il faut davantage travailler avec l’ensemble des élus pour définir l’objet « cité des outre-mer » et faire en sorte que la culture, en tant qu’instrument d’inclusion sociale, puisse rayonner à travers cette structure vers l’ensemble de la France et permette de mieux faire connaître ces territoires. Enfin, il convient d’associer l’ensemble des élus des outre-mer, notamment ceux des régions – ils m’en ont beaucoup fait la remarque – à la définition de ce projet. À cet égard, vous aurez noté qu’au cours de son dernier conseil d’administration, l’Agence de promotion et de diffusion des cultures d’outre-mer a prononcé sa dissolution, car elle a vocation à intégrer la Cité des outre-mer. Les compétences de cette Agence seront redéployées au sein de la Cité.

Madame Lebec, les outre-mer ont toute leur place dans les 50 milliards d’euros du Grand plan d’investissement, sur l’ensemble des thématiques que vous citez – la transition énergique, le développement des compétences, la compétitivité par l’innovation. Sur l’ensemble de ces thèmes, le plan d’investissement colle parfaitement aux réalités et aux besoins des territoires d’outre-mer, avec encore plus d’acuité après les événements malheureux survenus aux Antilles. On ne recycle pas les crédits : ce sont bien cinquante nouveaux milliards d’euros qui pourront servir à l’investissement outre-mer.

Je souhaite également faciliter le financement des entreprises, notamment agro-alimentaires. C’est l’un des trois axes que nous développerons dans le cadre des travaux que nous menons. Nous voulons aussi soutenir des initiatives spécifiques, car la formation professionnelle et le marché du travail doivent être adaptés aux différents territoires d’outre-mer. Il convient donc de décliner les axes nationaux outre-mer, y compris au niveau de chaque territoire. Les Assises serviront à définir ensemble ces axes, afin de mieux « coller » au Grand plan, mais également aux réalités des territoires.

Monsieur Adam, le permis d’exploration d’hydrocarbures de « Guyane Maritime », détenu par Total, a été prolongé par le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot l’a confirmé hier. À l’inverse, les permis « Shelf » et « Udo » ne seront jamais renouvelés du fait de la promulgation prochaine de la loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. Nicolas Hulot, présente aujourd’hui son projet de loi à l’Assemblée nationale. Vous pourrez débattre avec lui à ce sujet. Au-delà de la Guyane, ces nouvelles dispositions toucheront également les Îles Éparses, mais aussi Saint-Pierre-et-Miquelon, qui disposent actuellement de permis.

Je souhaite que le décret transférant les compétences de délivrance des permis d’hydrocarbures soit pris, comme il a été demandé. En même temps, le Président de la collectivité et le Président de la République, qui se sont rencontrés, ont été mutuellement très francs : ce transfert peut effectivement avoir lieu, mais la contradiction, voire l’opposition, avec le vote de la loi va assez rapidement apparaître… Je vous l’ai dit, je m’exprime en toute franchise : on peut aller au bout du dispositif et transférer la compétence. Mais la loi qui sera promulguée va limiter les pouvoirs des collectivités dans la délivrance des permis d’hydrocarbures… Ce débat se déroule sur deux temps proches : l’un est lié à la fin du combat du président de la collectivité et la Guyane – il faut transférer, je suis pour – mais, dans le même temps, le Gouvernement porte un projet de loi qui, ensuite, limitera ce pouvoir… Le transfert sera effectif dans les prochaines semaines, avec les limites que je viens d’énoncer. Mais vous pourrez en débattre dans les heures qui viennent avec le ministre.

Monsieur Julien-Laferrière, pour en revenir au logement, notre priorité absolue, après Irma et Maria, est la reconstruction. À court terme, dans l’urgence, l’outre-mer doit être véritablement soutenue dans cet effort. C’est l’objet de la nouvelle stratégie pour le logement. Sur le plus long terme, il est indispensable que le plan pour le logement outre-mer bénéficie d’un nouveau souffle.

J’ai souhaité renforcer les interventions de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH) auprès de tous les territoires d’outre-mer, en termes d’ingénierie et en termes financiers. La LBU sera préservée pour la construction, la réhabilitation, la résorption de l’habitat insalubre (RHI) et l’accession sociale à la propriété. L’intervention renforcée de l’ANAH viendra donc compléter les dispositifs de la LBU.

Je l’ai déjà dit, c’est une bonne nouvelle, la réforme des APL ne touche pas les outre-mer.

S’agissant de l’ANRU, je réponds également aux élus polynésiens présents : cette agence doit pouvoir apporter ses compétences en ingénierie à l’ensemble des collectivités. J’en parlerai à Strasbourg et signerai une convention en la matière. Mais, dans votre territoire, il s’agit uniquement d’ingénierie, le statut de la Polynésie française ne permettant pas de faire plus.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Madame la ministre, je tiens d’abord à vous remercier d’être venue dans nos îles peu de temps après le passage des ouragans Irma et Maria. Cela vous a permis de mesurer l’ampleur du désastre et de prendre les premières mesures qui s’imposaient.

La reconstruction de Saint-Martin est engagée et je souhaiterais savoir comment l’État entend à long terme aider nos îles, la Guadeloupe et la Martinique en particulier, à mener une politique de prévention contre les risques sismiques et cycloniques.

Nombre de nos infrastructures publiques et la plupart des bâtiments privés ne répondent pas aux normes. Comment l’État pourrait-il engager, à travers des financements directs ou des dispositifs fiscaux spécifiques, les chantiers nécessaires pour mettre aux normes l’ensemble des constructions ? Certes, il y a le fonds Barnier mais nos collectivités n’ont pas la possibilité de l’actionner. Nos territoires sont exposés à des risques sismiques très élevés et il serait important que nous puissions mettre nos populations à l’abri le plus rapidement possible, d’autant qu’un prochain séisme est redouté.

Je terminerai par une question qui ne relève pas de votre mission. Mme la ministre de la culture a annoncé que le budget de l’audiovisuel public sera réduit de plus de 80 millions d’euros. Quel jugement portez-vous sur ce coup de rabot ? Comment entendez-vous conforter les moyens consacrés à France Ô ?

Mme Maina Sage. Je tiens tout d’abord à exprimer le soutien de la Polynésie française à tous nos collègues des Antilles.

Depuis quelques années, nous nous sommes engagés pour que nos territoires soient à la pointe de l’innovation et augmentent leur résilience face aux aléas climatiques. Les circonstances récentes nous conduisent à nous interroger sur la façon dont les territoires touchés vont être reconstruits. Il faut que les politiques publiques prennent en compte ces nouveaux faits très clairement liés au réchauffement climatique. Il importe de miser sur les constructions durables et d’apporter des solutions en matière d’assurance.

Par ailleurs, au mois de juillet dernier, la délégation aux outre-mer nous a confié le soin de rédiger un rapport sur la mise en application de la loi pour l’égalité réelle outre-mer. Il me semble important, madame la ministre, que vous nous indiquiez où en sont les décrets d’application, notamment en matière de continuité territoriale. Certaines mesures sont très attendues, notamment celles qui concernent la prise en charge des stages, la continuité funéraire et la continuité intérieure.

L’examen de la loi de finances nous donnera l’occasion de revenir sur la défiscalisation.

Nos territoires sont encore trop souvent perçus comme des sources de dépenses alors qu’ils constituent des atouts pour l’ensemble français. Rappelons qu’ils représentent 80 % de la biodiversité et 97 % de la zone économique exclusive.

Nous souhaiterions voir aborder l’ensemble de ces enjeux lors des futures Assises, qui devront être celles de l’action et de la mise en œuvre de la loi EROM, et non pas une redite des débats que nous avons déjà eus ces derniers mois.

Je terminerai par une question d’ordre pratique. Pourriez-vous nous préciser les dates d’examen de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances ? Vous connaissez les contraintes de déplacement qui sont les nôtres : ces informations nous seraient fort utiles.

Mme Nathalie Bassire. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir annoncé que les APL ne baisseraient pas outre-mer. C’est une bonne nouvelle qui fera plaisir à nos populations.

Vous avez évoqué l’avenir de nos territoires et le nombre important de dispositifs qui pourraient être améliorés. Vous avez insisté aussi sur le développement économique, qui est notre objectif commun.

La loi Girardin de 2003 prévoyait que les mesures de défiscalisation qu’elle comportait fassent l’objet d’une évaluation régulière par le biais d’un rapport. La Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM) créée par la suite n’a jamais repris à son compte l’exigence d’une évaluation statistique précise des dispositifs de défiscalisation. En 2012, la Cour des comptes soulignait la difficulté d’évaluer leur efficacité et mettait en évidence divers effets non désirés. Si la défiscalisation – chacun en convient – est le premier outil de la politique de l’État en faveur des territoires ultra-marins, il est essentiel de donner à la fois à l’État et aux parlementaires les outils d’analyse permettant d’apprécier son application et de l’optimiser. Pourriez-vous donner des instructions à qui de droit pour que de telles statistiques soient élaborées puis portées à la connaissance de la représentation nationale et du public ?

Autre point que j’aimerais aborder : les longs délais d’obtention du formulaire Kbis et des documents d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS). Ce problème, récurrent à La Réunion, et sans doute plus largement dans les outre-mer, n’a pas trouvé de solution. Selon les chiffres communiqués par le greffe des tribunaux mixtes de commerce de La Réunion, il faut attendre plus de quatre mois pour obtenir un Kbis d’immatriculation de société et quatre à cinq mois pour un Kbis de modification contre deux semaines à quelques jours en métropole. Vous parliez de l’importance du développement économique et de la lutte contre le chômage. Ces délais sont autant de freins qui handicapent les jeunes entreprises, dès les premiers mois de leur activité, dans leurs rapports avec les banques, les clients et les fournisseurs, et qui entravent leur accès à la commande publique.

Pouvez-vous nous assurer que le transfert de la gestion du registre du commerce et des sociétés aux chambres de commerce et d’industrie sera mise en œuvre rapidement outre-mer ? Cela permettrait de réduire ces délais.

Mme Justine Benin. Tout d’abord, je souhaite, madame la ministre, vous remercier, remercier la femme courageuse et déterminée que vous êtes. Après le passage des ouragans dévastateurs Irma, José et Maria, vous avez fait preuve d’un courage exemplaire et vous êtes venue rapidement dans les territoires dévastés pour mobiliser les secours et rétablir l’ordre public, tout d’abord à Saint-Martin, ensuite en Guadeloupe. J’ai ici une pensée pour Claire Javois, députée de Saint‑Martin, mais aussi pour l’ensemble des élus et des populations des Antilles.

Quels seront le périmètre et les modalités de mises en œuvre des mesures de prévention et de gestion des catastrophes naturelles aux Antilles ? Le Gouvernement souhaite-t-il engager des discussions avec les États de cette zone pour inscrire la prévention et la gestion des prochaines catastrophes climatiques dans une logique de coopération et de concertation régionales ?

S’agissant des retraites agricoles outre-mer, le Gouvernement est-il ouvert à des discussions pour permettre leur revalorisation ?

J’ai entendu les propos de M. Letchimy à propos du POSEI pour la pêche et je salue ses positions. S’agissant du POSEI pour le secteur agricole, nous rencontrons une difficulté avec nos maraîchers. Les critères des fonds d’urgence ne sont pas adaptés aux réalités des outre-mer.

M. Serge Letchimy. Très juste !

Mme Justine Benin. Si nous souhaitons engager une discussion sur le POSEI pour la pêche, il faudra aussi engager un débat sur les critères afin de mieux prendre en compte le cas des maraîchers ayant subi des catastrophes naturelles.

J’ai entendu que le budget des outre-mer serait revalorisé. Et je vous en remercie, madame la ministre.

Mme la ministre. Je ne crois pas avoir dit « revalorisé » mais « en hausse »…

Mme Justine Benin. Vous savez que je suis à vos côtés et que je le resterai. Toutefois, je ne suis pas satisfaite des arguments que vous avez avancés pour les contrats aidés. Les Antilles grondent de toute part, qu’il s’agisse des associations ou des collectivités. Je puis vous assurer que la députée que je suis saura prendre, le moment venu, toutes ses responsabilités.

Mme la ministre. Madame Vainqueur, je veux apaiser vos inquiétudes. Le coût de la reconstruction ne viendra pas peser sur le plan Séisme Antilles qui va continuer à se déployer en tenant compte des conditions spécifiques à cette zone. Les fonds de secours ou de reconstruction à Saint-Martin, Saint-Barthélemy ou à la Guadeloupe ne seront pas alimentés par des crédits du ministère des outre‑mer correspondant à ce dispositif.

Pour Saint-Martin, là où le travail de reconstruction est le plus important, nous avons voulu créer une délégation interministérielle à la fois pour suivre l’ensemble de la reconstruction et pour gérer l’ensemble des financements, qu’ils soient interministériels ou qu’ils proviennent de sources extra-ministérielles.

Nous ferons en sorte, bien sûr, d’activer le fonds Barnier. Il continuera à fonctionner comme il fonctionne aujourd’hui. Nous demanderons également la contribution d’autres ministères pour la mise aux normes des bâtiments. Citons l’exemple du centre hospitalo-universitaire de la Guadeloupe : l’État a consacré 600 millions d’euros à sa reconstruction selon les normes françaises et européennes.

Je tiens à faire une mise au point sur l’arrêté d’état de catastrophe naturelle pour les dégâts provoqués par l’ouragan Maria. La commission interministérielle s’est réunie en urgence et il a pu être publié dans les quarante-huit heures comme pour Saint-Martin. Il s’applique aux Îles du Nord, à l’ensemble de la Guadeloupe et aux communes du centre et du nord de la Martinique. Une distinction a été établie selon les localités en fonction de la nature des impacts subis : vents cycloniques, inondations, coulées de boue, submersions marines. Cela ne veut pas dire que cet arrêté sera le dernier, comme je l’ai dit tout à l’heure. Nous examinons la situation de communes de la Martinique qui n’ont pas été retenues dans un premier temps ainsi que les dégâts de vents cycloniques dans certaines communes de Guadeloupe. Après étude de l’ensemble des dossiers, nous publierons un nouvel arrêté si cela apparaît nécessaire.

Rappelons toutefois que l’arrêté n’est utile que pour les personnes ayant souscrit une assurance, or c’est le cas de moins de la moitié de la population. C’est la raison pour laquelle il importe que nous déployions d’autres dispositifs assurantiels et des fonds de secours pour répondre au cas des particuliers, des petites entreprises, des agriculteurs, des collectivités locales qui ne seraient pas indemnisés dans le cadre classique.

Les fonds de secours seront mobilisables sous trois mois. Les préfets vont lancer des missions dans les différents territoires.

Soutenir l’effort en matière d’investissements structurants, madame Sage, est un grand enjeu pour la Polynésie française, auquel le Gouvernement donnera une traduction concrète à travers des contrats et un troisième instrument financier. Il s’appuiera sur la dotation globale d’autonomie (DGA).

Vous avez évoqué les défis auxquels est confrontée la Polynésie en matière de dérèglement climatique. C’est un combat que chacun doit mener, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, dans l’Océan Indien, dans les Antilles, en s’inscrivant dans le plan Climat, lequel prend en compte la totalité du territoire français, donc les outre-mer et plus particulièrement les petits États insulaires français. La France a une responsabilité forte à leur égard. Nous savons que certains sont menacés d’immersion, compte tenu de l’élévation du niveau de la mer. Au-delà de la résilience, c’est d’adaptation que nous avons besoin. Soyez à nos côtés pour soutenir notre combat : l’outre-mer doit avoir toute sa place dans le plan Climat.

Pour le calendrier budgétaire, je peux vous préciser les dates dont je dispose à l’heure actuelle et qui sont susceptibles de modifications. La mission « Outre-mer » serait examinée le 2 novembre en commission élargie et le 9 novembre en séance publique.

Vous m’avez également interrogée sur l’aide à la continuité territoriale (ADOM). La continuité funéraire est la dernière mesure mise en place dans le cadre de la loi EROM. Les décrets ont été pris. Je m’engage à ce que l’ensemble des décrets soient publiés avant la fin de l’année, c’est le mieux que je puisse faire compte tenu de la charge de travail actuelle.

S’agissant du Kbis et du registre du commerce et des sociétés, madame Bassire, je vais être très franche : le ministère de la justice n’assume pas ses responsabilités. Deux lois, la loi Lurel et la loi Macron, ont ouvert la voie à l’expérimentation et au transfert aux chambres de commerce et d’industrie mais nous en sommes au point mort. Pour remédier à ce problème, il faut que le ministère de la justice s’engage avec efficacité. J’ai saisi le Premier ministre et je vous informerai rapidement de la réponse qu’il m’aura donnée. Sachez que je continuerai à plaider cette cause pour que le transfert puisse se faire dans les délais souhaités.

Enfin, s’agissant des retraites outre-mer, rappelons qu’une réforme des retraites a été annoncée par le Premier ministre. Avec M. Jean-Paul Delevoye, qui vient d’être nommé Haut-commissaire à la réforme des retraites, nous devrons travailler sur les spécificités de l’outre-mer, notamment sur les difficultés rencontrées par les retraités agricoles. Comptez sur moi pour insister sur ces aspects.

Mme Nadia Ramassamy. J’avais posé en séance publique deux questions au Gouvernement.

L’une portait sur les aides personnalisées au logement : sachez, madame la ministre, que je me réjouis de l’annonce que vous avez faite, selon laquelle elles ne baisseraient pas en 2018 en outre-mer.

L’autre sur les contrats aidés : vous nous avez précisé que leur nombre resterait inchangé pour 2017. Rappelons que, dans les DOM, les contrats aidés correspondent à de vrais emplois. Ils contribuent à faire diminuer le taux de chômage. Grâce à eux, celui-ci est passé à La Réunion de 30 % à 20 %. Il faudrait non seulement les maintenir mais aussi revoir leur distribution pour qu’elle soit plus équitable.

Les Assises des outre-mer, qui auront lieu d’octobre à janvier, donneront lieu à de nombreuses réflexions mais il faut penser aussi aux mesures d’application immédiate, en attendant que les dispositions de la loi sur l’égalité réelle outre-mer trouvent enfin une traduction budgétaire.

J’évoquerai quelques pistes : le renforcement de la défiscalisation, qui a été très utile pour le développement du logement ; l’installation de zones franches, pour relancer l’emploi ; ou encore à la politique de formation. Même si de fortes sommes sont investies, les jeunes ont des difficultés à obtenir des contrats d’apprentissage ou de professionnalisation car il y a un problème de convention avec les entreprises.

Enfin, je déplore que la réserve parlementaire ait été supprimée alors qu’elle était très utile au tissu des associations qui œuvrent pour améliorer le sort des plus démunis.

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la ministre, votre feuille de route est séduisante et ambitieuse et cela ne m’étonne pas connaissant votre honnêteté et votre abnégation. Et ma première question sera directe : si vous continuez à éviter la langue de bois comme vous l’avez fait aujourd’hui, combien de temps pensez-vous rester à la tête du ministère des outre-mer ? (Sourires.)

Je reviendrai après bien d’autres sur les contrats aidés. Ce ne sont pas des contrats de complaisance. Ils ne sont certes pas une panacée mais tout le monde gagnerait, État compris, à ce que les emplois ainsi créés, qui n’ont rien de fictif, soient pérennisés.

Vous avez évoqué le plan Climat pour lutter contre le réchauffement climatique mais je vous invite aussi à réfléchir à un plan Climat social. Nos territoires sont au bord d’une énième explosion sociale dont le coût risque d’être bien supérieur aux gains procurés par les calculs d’apothicaire du Gouvernement, qui a décidé unilatéralement de mesures de restriction.

Je citerai d’autres problèmes importants comme l’indivision ou la fiscalité des entreprises, notamment le cadre juridique qui n’est pas adapté à leur développement.

Et puis, il y a la politique de santé. Malheureusement, dans nos territoires, l’idée se répand qu’en cas de problème, mieux vaut avoir l’argent du billet d’avion pour se faire soigner à Paris. Nous avons plusieurs propositions à vous soumettre, en particulier à propos des maladies chroniques provoquées par l’usage massif du chlordécone. Nous voulons faire de nos territoires des territoires d’excellence en matière de sport-santé. Nous avons engagé une réflexion et des actions en ce domaine et attendons un soutien autre que verbal de la part du Gouvernement. Il faut poser aussi la question de l’amiante : le coût du désamiantage de certains logements est considéré comme trop élevé pour envisager leur réhabilitation et les dossiers restent bloqués. On marche sur la tête ! Nous attendons des réponses concrètes.

M. le Président Olivier Serva. Merci de conclure !

M. Jean-Philippe Nilor. Enfin, nous appelons de nos vœux un plan Marshall pour les infrastructures sportives. Nos territoires représentent 80 % de la biodiversité et 97 % de la ZEE, comme l’a rappelé Maina Sage, mais ils sont aussi un vivier pour les équipes nationales, fournissant 80  % à 90 % des médailles françaises. La moindre des choses serait de permettre en contrepartie à nos jeunes de pratiquer leur sport dans les meilleures conditions possibles.

M. le Président Olivier Serva. Je me vois contraint de vous retirer la parole !

M. Jean-Philippe Nilor. Je tiens à souligner que nos propositions ne s’inscrivent pas dans une logique de mendicité. Ce sont autant de revendications légitimes de ce qui nous revient naturellement.

M. Max Mathiasin. Madame la ministre, je salue, après ma collègue Justine Benin, votre arrivée rapide dans les territoires dévastés par les ouragans.

Vous savez que les territoires d’outre-mer éprouvent de la méfiance à l’égard de l’organisation des Assises. En 2009, les états généraux ont abouti à des conclusions très claires. Souvenons-nous, par exemple, de la préconisation consistant à donner, à compétences égales, la priorité à l’embauche ou à la mutation d’un candidat ultra-marin pour un poste outre-mer dans la fonction publique d’État. Nos populations ont besoin de confiance ; or certaines décisions sapent cette confiance. Ainsi, à la Guadeloupe, alors qu’il y a eu changement massif des fonctionnaires à la tête des services de l’État, aucun ultra-marin n’a été nommé.

Je suis content que cette délégation aux outre-mer soit composée pour moitié par des collègues de l’Hexagone. Cela leur permet de mieux comprendre les réalités que nous vivons. La vérité, c’est que nous avons besoin d’égalité. L’expression d’« égalité réelle » n’a pas de sens. L’égalité est une équation : soit elle existe, soit elle n’existe pas. Nous attendons que les Assises soient l’occasion de parler de l’égalité entre nous et nos concitoyens de l’Hexagone.

Je terminerai par la situation à Saint-Martin. Des Saint-Martinois sont logés en Guadeloupe dans des infrastructures provisoires comme les gymnases ou l’École de la deuxième chance. Des mesures sont-elles prévues pour leur offrir un meilleur accueil, y compris en métropole ?

M. Jean-Hugues Ratenon. J’aimerais tout d’abord appeler l’attention sur les employés communaux. Beaucoup d’entre eux se trouvent dans des situations précaires, même après des dizaines d’années de travail, et vivent en dessous du seuil de pauvreté.

J’insiste aussi sur la problématique des mutations en métropole. Elles brisent des familles entières à cause de la distance qui rend très difficiles, pour les personnes travaillant dans l’Hexagone, les retours auprès de leurs proches. Cela provoque des divorces et même des suicides. Il est temps de trouver des solutions.

Les outre-mer connaissent une accélération du vieillissement de la population. Là encore, il faut réfléchir à des solutions rapides. Faute de quoi, nous serons confrontés à de grandes souffrances chez les personnes âgées dans les quinze à vingt ans à venir. À l’horizon 2040, 35 % des personnes âgées seront en situation de dépendance à La Réunion.

 

Enfin, j’évoquerai le sort de la prison Juliette-Dodu à Saint-Denis-de-La Réunion, menacée de démolition. Construite en 1718, elle a enfermé dans ses murs esclaves et engagés. Comment accepter que l’on raye ce patrimoine de la mémoire des Réunionnaises et des Réunionnais ?

M. Philippe Dunoyer. Je tiens d’abord à exprimer la solidarité des Calédoniens à l’égard de celles et ceux qui ont subi aux Antilles les effets dévastateurs des ouragans.

Je vous remercie ensuite, madame la ministre, pour votre discours empreint de détermination. Je profite de votre présence pour vous interroger au sujet d’une disposition de la loi EROM qui consistait à délocaliser l’instruction de dossiers de défiscalisation. Aujourd’hui, on déplore un retard important en Nouvelle-Calédonie. Les dossiers en attente correspondent à des sommes élevées – 130 millions d’euros de constructions, soit 15 milliards de francs Pacifique – alors que plusieurs milliers de familles attendent un logement, comme dans d’autres territoires ultra-marins. Quelles sont les perspectives, selon vous ?

Enfin, pourriez-vous nous donner des précisions quant au calendrier des discussions que l’État français doit mener à Bruxelles à propos de l’évolution du statut des PTOM, enjeu d’importance aussi bien pour la Nouvelle-Calédonie que pour Wallis et Futuna et la Polynésie française ?

M. Thierry Robert. J’irai droit au but : les contrats aidés ont joué un rôle important de dépannage tout en répondant à l’urgence sociale mais tout le monde est d’accord pour dire qu’ils n’ont pas permis d’assurer un avenir pérenne pour ceux qui en ont bénéficié. Pour créer des emplois débouchant sur des contrats à durée indéterminée, il faut qu’il y ait dans chaque territoire un développement économique efficace. Je pense entre autres à un choc de la commande publique. Le Gouvernement a défini des axes d’investissements. L’outre-mer compte des secteurs porteurs comme le logement – logement social, logement privé –, les énergies renouvelables ou encore le tourisme.

Ma première question est la suivante : connaissez-vous les budgets alloués à ces secteurs ?

Ma deuxième question porte sur le développement touristique, source de créations d’emplois. L’île Maurice est équipée d’un aéroport international ; La Réunion n’en a pas. Ne pourrait-on envisager l’ouverture du ciel réunionnais ?

Troisième question : pourquoi ne pas mettre en œuvre une défiscalisation de l’emploi en outre-mer à l’instar de la défiscalisation de l’investissement ?

Enfin, à La Réunion, comme dans les outre-mer en général, il existe des monopoles et des oligopoles qui entament le pouvoir d’achat des habitants. Certes, la loi Lurel a été adoptée pour lutter contre la vie chère outre-mer mais les prix restent encore trop élevés par rapport à la métropole. Le Gouvernement compte‑t‑il agir en ce domaine ?

Mme Maud Petit. Madame la ministre, ma question portait sur l’urbanisation et le respect de normes parasismiques et paracycloniques. Mais comme Mme Vainqueur l’a déjà posée et que vous lui avez apporté une réponse très claire, je n’y reviens pas.

Mme la ministre. Sur les contrats aidés, je répéterai ce que le Premier ministre a déclaré : 2018 sera au même niveau que 2017 – bien sûr, avec les augmentations que nous avons pu obtenir ces jours derniers. Je tenais à le repréciser, puisque vous êtes revenus les uns et les autres sur le sujet.

Si le nombre des contrats d’apprentissage est faible outre-mer, c’est parce que les entreprises, souvent de très petite taille, ne sont pas à même de prendre en charge la part qui leur revient. En revanche, le SMA, ou service militaire adapté, dispositif militaire d’insertion professionnelle s’appuyant également sur l’alternance, y est une vraie réussite. Sans doute faudra-t-il regarder comment les contrats d’apprentissage pourraient être rediscutés en outre-mer. Mais là encore, il faudra procéder territoire par territoire.

M. Letchimy a souri tout à l’heure quand j’ai dit que la baisse des APL n’allait pas s’appliquer outre-mer. Certes, les APL elles-mêmes ne s’appliquent pas aux outre-mer. Mais il est tout de même important de préciser qu’en aucun cas, cette baisse ne sera répercutée sur les autres allocations logement qui, elles, peuvent y être mobilisées : allocation de logement familial (ALF) ou allocation de logement social (ALS).

M. Serge Letchimy. C’était un sourire respectueux !

Mme la ministre. Tout à fait ! Mais cela méritait une précision.

M. Serge Letchimy. Vous avez aussi indiqué que le Premier avait institué un moratoire sur la question de la baisse des contrats aidés. Oui ou non ?

Mme la ministre. J’ai dit que le nombre de contrats aidés de 2017 serait maintenu en 2018 – bien sûr, en comptabilisant ce que nous avons obtenu en plus, grâce au combat que nous avons mené.

M. Serge Letchimy. Très bien, c’est noté.

Mme la ministre. Monsieur Nilor, l’État fait aujourd’hui des économies. Il ne le fait pas sur le budget des outre-mer, mais sur d’autres budgets qui sont effectivement en baisse. Cela dépend des priorités décidées par le Gouvernement.

L’indivision pose un vrai problème. Cette question doit être au cœur de la stratégie logement. Je reconnais qu’aujourd’hui il faut apporter des réponses plus claires.

En matière de désamiantage, on n’est pas financièrement à la hauteur. Je veux dire par là que l’on n’a pas les moyens, aujourd’hui, dans les territoires d’outre-mer, de satisfaire les besoins qui ont été exprimés. Il est urgent de s’attaquer au problème et de mieux quantifier, dans les mois à venir, ces besoins. Je n’ai pas suffisamment d’éléments pour répondre, et il faudra que j’en discute avec les bailleurs sociaux. Mais je vous remercie de m’avoir alertée.

Une autre de vos questions portait sur la santé et le sport.

La ministre de la santé a présenté le 30 août une stratégie « prévention santé ». Étant très sensible aux questions de l’outre-mer, elle a voulu aussitôt inclure celui-ci dans sa stratégie de prévention, ce dont on peut se féliciter. Maintenant, il faut voir comment cette stratégie sera mise en place et quels outils seront donnés aux territoires pour atteindre les principaux objectifs poursuivis : promotion d’une alimentation saine et de l’activité physique.

Nous avons par ailleurs l’occasion d’ouvrir un vrai débat sur la question du sport et des infrastructures. La semaine dernière, en conseil des ministres, alors que nous nous félicitions que la France ait été choisie pour organiser les Jeux olympiques de 2024, le Président de la République a rappelé que ce n’étaient pas les Jeux olympiques de Paris, mais bien ceux de toute la France. Et il a précisé devant la ministre des sports – qui a elle aussi une certaine sensibilité pour nos territoires… – que l’outre-mer devrait trouver toute sa place dans l’organisation des Jeux et dans la formation des élites sportives.

Il a aussi été rappelé que l’outre-mer avait apporté sa quote-part aux Jeux olympiques, et on a fait allusion aux sportifs de très haut niveau qui ont porté les couleurs de la France à l’occasion de plusieurs rendez-vous sportifs.

C’est l’occasion pour nous de porter un certain nombre de projets. Comment, sous quelle forme, avec quel type de dispositifs ? Il faut trouver le moyen de faire participer l’outre-mer à cette grande mobilisation autour des Jeux olympiques.

Cela peut passer par la préparation des sportifs de haut niveau, l’objectif étant de remporter des médailles – car il n’y a pas que l’organisation des jeux qui compte. Mais comment entraîner les équipes de France en outre-mer ? Je suis d’accord pour en débattre avec vous. Vous pouvez le faire aussi avec la ministre des sports, qui sera partante.

Le nombre de personnes ayant quitté Saint-Martin et Saint-Barthélemy à la suite de l’ouragan Irma est estimé entre 7 000 et 8 000. Au total, 1 700 personnes ont rejoint la métropole. Toutes sont suivies, 140 d’entre elles ayant nécessité des prises en charge spécifiques d’accompagnement.

Un dispositif particulier a été instauré en Guadeloupe et en Martinique. Cet après-midi, une réunion aura lieu sur le suivi de ces 7 000 à 8 000 personnes, en particulier de celles qui ont besoin d’un accompagnement. Sont concernés tous ceux qui ont rejoint leur famille, en Guadeloupe, en Martinique ou ailleurs, ou encore dans l’Hexagone, et qui n’ont fait que signaler leur départ et leur lieu de résidence actuel.

Des accueils ont permis de suivre le cheminement des Saint-Martinois et des Saint-Martinoises, d’abord en Guadeloupe, puis à Roissy et à Orly. Nous travaillons en association avec l’ensemble des ONG et de nos partenaires sur ces questions, par exemple la Croix-Rouge. Les préfectures devront présenter très vite les chiffres exacts.

Ce travail, qui sera fait cet après-midi, se poursuivra. Il est nécessaire d’apporter un soutien financier, mais surtout psychologique, aux victimes d’Irma sur l’ensemble du territoire français. Il faut leur assurer une prise en charge de qualité, et leur donner envie de participer à la reconstruction de Saint-Martin. Il est en effet important que les forces vives puissent y revenir.

Nous devons être exemplaires en la matière, notamment la fonction publique dans son ensemble. Les fonctionnaires sont des hommes et des femmes qui s’engagent au service de tous. Ils doivent pouvoir le faire aussi à Saint-Martin.

Quant aux fonctionnaires originaires des outre-mer, ils doivent pouvoir regagner leur territoire le plus vite possible quand les postes sont vacants. Les CIMM doivent être appliqués, nous l’avons rappelé avec Éricka Bareigts lorsque j’étais ministre de la fonction publique. Cela a certes déjà été fait, mais de manière insatisfaisante selon nous : nous les avons renforcés.

Dans les jours qui viennent, je demanderai que l’on en dresse le bilan pour 2017. Les réticences sont fortes ; elles ne viennent pas toujours de l’État, mais souvent des commissions administratives paritaires. Le niveau syndical local n’est pas toujours en accord avec le niveau syndical national, et les plus grands obstacles que j’ai rencontrés en matière de CIMM étaient liés au fonctionnement des organisations syndicales, je vous le dis en toute franchise. Il faudra peut-être organiser différemment les débats.

S’agissant du corps préfectoral, il est extrêmement important de promouvoir les originaires des outre-mer dans les plus hautes fonctions de l’État, mais également que ces fonctionnaires puissent travailler outre-mer. Certes, il est beaucoup plus compliqué d’exercer dans son propre territoire, mais c’est le choix que fait aujourd’hui le ministère de l’Intérieur. Là où cela devient délicat – et c’est ce qui s’est passé en Guadeloupe et dans d’autres territoires d’outre-mer –, c’est lorsque les renouvellements d’équipes comportent essentiellement des hauts fonctionnaires métropolitains qui, par ailleurs, arrivent tous en même temps. Se pose alors un problème de suivi et de mémoire des dossiers dans le territoire : plus personne ne sait ce qui a déjà été fait ou discuté. Tous les acteurs locaux ont alors l’impression de devoir répéter les mêmes discours, tous les deux ou trois ans…

Pour cette raison, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) a été une catastrophe dans les outre-mer. Si vous regardez les organigrammes de toutes les administrations – là aussi, je suis très franche, car j’ai moi-même été fonctionnaire –, les fonctionnaires originaires d’outre-mer ne sont visibles qu’en dessous d’un certain niveau… Pourquoi est-ce un problème ? Non pas parce qu’il faudrait obligatoirement des gens issus des outre-mer dans l’organigramme, mais – et c’est plus grave – parce que la vision de ces administrations n’est pas complétée par celle de personnes qui connaissent bien le territoire, qui savent ce qui a marché ou non, ce qui peut être essayé, ou pas. Nous rencontrons là une véritable difficulté.

Le regroupement des services de l’État, engendré par la RGPP, a contribué à l’empilement des organigrammes. Ceux qui étaient souvent deuxièmes ou troisièmes dans une administration, et qui vivaient dans les territoires, se sont retrouvés un peu plus bas. C’est la raison pour laquelle il faut retravailler ces organigrammes. Je l’ai largement demandé, je continuerai à le demander et à faire en sorte que les outre-mer aient bien les promotions qu’ils méritent, partout. Des promotions devraient d’ailleurs arriver très vite.

Monsieur Ratenon, vous avez raison en ce qui concerne le vieillissement des populations. Les territoires d’outre-mer doivent faire face à deux grands défis : soit une démographie explosive, soit le vieillissement de leur population. Pour répondre à ce défi du vieillissement, la prise en charge de la dépendance constitue un enjeu majeur et une stratégie nationale de santé. Il convient de mieux travailler avec les collectivités territoriales pour apporter des réponses rapides en la matière et mobiliser l’ensemble des partenaires financiers sur ces sujets.

Pour les contrats aidés, je vais le répéter : même volume en 2018 que fin 2017. Allez-vous me faire répéter cette phrase à l’envi ? Nous ne sommes pas à la fin de l’année 2017. Nous devrons aussi jouer sur les taux de prise en charge, des négociations locales étant désormais possibles avec les associations et les collectivités. La diminution ne doit pas être générale, mais il faut ajuster ces taux au mieux pour accompagner les acteurs et atteindre les objectifs souhaités.

M. Serge Letchimy. Je vous rappelle que la Martinique et la Guadeloupe sont actuellement bloquées par un mouvement social. Pour vous protéger et nous protéger, afin d’être parfaitement clair, je souhaiterais reprendre vos propos. Vous nous indiquez un niveau similaire en 2018 et fin 2017, avec des taux de prise en charge qui seront sans doute plus faibles, de l’ordre de 50 %. Mais vous n’avez pas indiqué que le niveau de 2017 serait le même que celui de 2016.

Mme la ministre. Non. Je n’ai pas confirmé ce dernier point.

M. Serge Letchimy. Pourquoi ? Je prends un exemple : la Martinique disposait de 6 500 contrats aidés en 2016. 3 000 contrats devaient être initialement supprimés. Grâce au combat que vous et nous tous avons mené – et grâce à la mobilisation – nous avons obtenu 1 000 contrats supplémentaires. Le solde sera négatif d’environ 2 000 contrats.

Vous vous battez pour que l’on puisse atteindre cet objectif. Le même schéma se reproduit un peu partout. Nous n’aurons pas de réponse positive sur une reconduction totale du même nombre de contrats aidés qu’en 2016. Pour l’ensemble de la Nation, ce sont 200 000 contrats qui seront financés en 2018. C’est ce qu’a annoncé le Premier ministre. Au sein de ces 200 000 contrats, l’outre-mer bénéficiera du même nombre de contrats qu’en 2017, mais avec un taux inférieur. Dans ce cadre, vous condamnez à mort l’ensemble des structures associatives et des entreprises d’insertion qui ne trouveront jamais les 50 % de prise en charge complémentaires. Je souhaite une réponse précise pour que les répercussions que connaîtront la Guadeloupe et la Martinique soient extrêmement claires.

M. Jean-Philippe Nilor. Pour appuyer – une fois n’est pas coutume ! – ce que vient de dire mon collègue Serge Letchimy, la Martinique toute entière est très attentive à votre réponse. Nous n’allons pas nous laisser « couillonner » par une formulation alambiquée.

Même si je suis solidaire de mon collègue, je veux par ailleurs m’étonner que le Président, qui a voulu me retirer la parole à plusieurs reprises, fasse preuve d’une telle passivité à l’égard des prises de parole inopinées de Serge Letchimy.

Mme la ministre. J’ai désorganisé la réunion pourtant tenue d’une main de fer par le président et, de fait, nous avons déjà dépassé de plus d’une demi-heure le temps prévu. Reste que je souhaite apporter cette dernière réponse car elle est très importante.

La Martinique n’est pas la seule concernée par la question des emplois aidés : tous les territoires ont la même difficulté. Le Premier ministre a affirmé qu’en 2018 il y aura le même nombre de contrats aidés qu’en 2017. En 2018, nous allons devoir faire aussi bien : travailler sur le taux de prise en charge. Il me semble avoir été claire.

Je reconnais que des inquiétudes, des insatisfactions subsistent ; mais nous avons tous ensemble mené un combat grâce auquel, par l’intermédiaire des préfets et par le biais d’une utilisation flexible des fonds, nous avons pu répondre le mieux possible aux besoins de chaque territoire, en privilégiant tels domaines par rapport à tels autres. Quant à jouer avec les taux de participation de l’État, cela nous a été refusé.

En ce qui concerne les PTOM, la phase post-Cotonou est importante ; rendez-vous est pris pour février 2018 pour discuter, notamment, du Fonds européen de développement (FED). Là encore, soyons attentifs aux conséquences du Brexit. La négociation relative aux Pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) se tiendra dans les dix-huit mois. Ayant déjà travaillé sur ces sujets en tant que députée, je suis très attentive aux pas que nous pouvons faire, aux missions réalisées. Je vais rencontrer Pascal Lamy, chargé d’une mission sur les partenariats entre l’UE et les pays ACP après 2020.

Nous devons en tout cas renouveler notre approche et je vérifierai dans chaque territoire que nous poursuivions bien le même but. Il faut encourager l’Union européenne à appliquer les dix-sept objectifs de développement durable. Si nous parvenions à les appliquer dans nos territoires, nous parviendrions à une meilleure coordination – de nature en tout cas à dissiper les inquiétudes actuelles.

M. Robert m’a interrogée sur le grand plan d’investissement. Un milliard d’euros sur cinq ans sont réservés aux outre-mer, destinés en particulier à la rénovation énergétique des logements. Nous devrons ainsi répondre au besoin d’activité économique des territoires. Je dis toujours : « On ne fait pas du BTP pour du BTP ». C’est un secteur d’activité qui permet souvent d’avoir suffisamment d’emplois adaptés à l’ensemble des populations. En même temps, on « fait du BTP » parce que certaines infrastructures sont nécessaires au développement d’un territoire ; et j’ai bien entendu la question récurrente des ports et des aéroports. Il s’agit de prendre toute notre place dans les bassins maritimes où nous nous trouvons.

Pour ce qui est de la défiscalisation de l’emploi, que fait-on des exonérations de charges, je les appelle ainsi, dans le cadre du CICE, dans celui de la LODEOM 2 ? Le CICE, ce sont 400 millions pour l’outre-mer.

M. David Lorion. On a plutôt annoncé 580 millions d’euros.

Mme la ministre. Nous ferons le point sur les chiffres : la transparence s’impose. Il faut également tenir compte du milliard d’euros d’investissements promis par le candidat Macron et qu’il a tenu à confirmer ces derniers mois.

M. le président Olivier Serva. Au nom de la délégation, je salue votre disponibilité, madame la ministre, votre sens du dialogue et votre sens de la répartie sans langue de bois. Je ne peux que constater également que les députés ont fait preuve de vitalité et ont posé des questions très précises.

Je retiens deux annonces de votre part : le maintien du même nombre de contrats aidés en 2018 qu’à la fin de 2017 ; l’absence d’impact sur les territoires d’outre-mer de la réforme des aides au logement.

Plus généralement, vous avez insisté sur le fait que les Assises des outre-mer constitueront le creuset où seront discutées les réponses à apporter aux questions des députés. Vous avez souligné que l’objectif, dans le cadre de ces Assises, est d’appliquer la loi pour l’égalité réelle des outre-mer, ainsi que les plans de convergence à l’horizon de dix ou vingt ans.

Soyez assurée, madame la ministre, du partenariat vigoureux, fidèle, honnête et vigilant de la délégation aux outre-mer, pour co-produire avec vous les réponses les plus adaptées aux ultramarins, et nous comptons sur vous. Notre porte vous reste grande ouverte pour qu’à chaque fois qu’il est nécessaire, nous puissions échanger, discuter.

Mme la ministre. Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que tous les députés présents. Vous savez que mon cabinet est à votre disposition et moi‑même dès que je peux. N’hésitez pas à me saisir de toute difficulté.

II.   Audition de Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé

(Séance du 21 février 2018)

M. le président Olivier Serva. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accepté de venir devant la Délégation aux outre-mer pour échanger avec ses membres sur les graves problématiques de santé publique auxquelles font face nos outre-mer et tout particulièrement sur les conséquences de la pollution par le chlordécone pour la santé de nos concitoyens de Guadeloupe et de Martinique.

Il y a deux semaines, la Délégation aux outre-mer a entendu M. Volatier, adjoint au directeur de l’évaluation des risques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). M. Volatier a exposé, en toute liberté, les grandes lignes des travaux menés par l’Agence dans le cadre de ses compétences scientifiques. Mais il ne lui appartenait évidemment pas d’apporter des réponses aux questions politiques soulevées par l’affaire du chlordécone.

Comme vous le savez, la Délégation a adopté, après avoir entendu l’ANSES une résolution qui aborde comme il se devait ces questions politiques. Elle y exprime son inquiétude quant à l’ampleur des effets de ce qu’il faut bien considérer comme une catastrophe de santé publique et son désir de voir poursuivre, reprendre ou amplifier les recherches de toute nature propres à cerner l’ampleur exacte du fléau et à en contrecarrer les effets nocifs pour la santé.

À la permanence redoutable des suites à long terme du chlordécone doit en effet répondre une action multiforme et également à long terme des pouvoirs publics. Une action qui doit être, de plus, à l’abri de toute contingence financière. Je vous serais reconnaissant, Madame la ministre, de bien vouloir exposer à la Délégation comment vous entendez assurer la continuité et la force de l’action contre la pollution par le chlordécone et ses effets sanitaires et quels moyens le Gouvernement entend mobiliser pour y parvenir ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. C’est avec grand plaisir que je m’exprime devant vous sur ce sujet auquel j’ai eu l’occasion de m’intéresser lorsque je présidais l’Institut national du cancer (INCa) dans les années 2011 à 2016. L’INCa a d’ailleurs été très impliqué dans la recherche sur le chlordécone. C’est donc un sujet de préoccupation qui m’anime depuis plusieurs années.

J’ai par ailleurs la ferme volonté d’éviter aux départements d’outre-mer toute perte de chance dans le domaine de la santé publique. C’est aussi la raison pour laquelle, la stratégie nationale de santé comporte un chapitre consacré, non pas aux outre-mer, mais à chaque territoire, car chacun d’entre eux connaît des besoins particuliers. Je veux vous persuader de mon entière détermination à réduire les inégalités de santé dans ces territoires.

Le traitement de la crise du chlordécone est compliqué par le fait que plusieurs autorités publiques sont impliquées. J’ai demandé que me soit communiqué l’ensemble des mesures prises dans le cadre du Plan National d’action chlordécone (PNAC) 1, 2, et 3 : la Direction générale de la santé (DGS), qui pilote la plupart de ces actions, a fait preuve de constance dans leur organisation telle que prévue par le plan. L’ensemble des registres des cancers a été récolé, toutes les études programmées ont été lancées et financées, certaines sont terminées. D’autres vont être prolongées comme l’étude Ti Moun, qui porte sur les enfants et va être prolongée jusqu’à la puberté afin de savoir si ce perturbateur endocrinien a des effets sur la puberté précoce.

Nous avons également adopté des mesures de suivi des travailleurs exposés, et mesuré l’intoxication des populations à le chlordécone. Par ailleurs, nous encourageons l’exploitation des jardins familiaux.

Notre premier axe de travail porte sur l’amélioration des connaissances des liens entre chlordécone et maladie, que ce soit des maladies hormonales parce qu’il s’agit d’un perturbateur endocrinien ou de maladies du développement neurologique, du fait de la toxicité sur les enfants, ou de cancers, particulièrement de la prostate.

Le deuxième axe concerne une meilleure information des populations vulnérables, singulièrement les femmes enceintes qui doivent absolument être préservées de la contamination.

Les moyens alloués jusqu’à présent par le ministère se sont élevés à 6,7 millions d’euros en dix ans. La seule étude demeurée inachevée est Madiprostate ; j’ai en l’occasion d’en parler ce matin aux parlementaires. Cette étude a été financée pendant trois ans, elle a fait l’objet de multiples avis scientifiques, et un certain nombre d’experts à, in fine, jugé irréalisable, non pas pour des raisons techniques, mais pour des raisons de méthodologie. C’est pourquoi elle a été arrêtée.

En revanche, d’autres études se poursuivent, sur lesquelles je reviendrai.

Nous avons, par ailleurs, la ferme volonté d’augmenter le nombre des messages de prévention, notamment de ceux portant sur l’alimentation, qui doit impérativement être sécurisée. Le moyen d’aboutir à une alimentation sans chlordécone est le développement des jardins familiaux, après évaluation de la contamination des sols chez les particuliers afin de le permettre de pratiquer une agriculture saine à leur propre usage.

Nous pensons être en mesure, dans les années qui viennent, d’organiser des circuits sans chlordécone à l’issue du nouveau zonage de la contamination, d’après le ministre de l’agriculture, sera achevé avant l’été prochain, ainsi que de l’évaluation individuelle des sols. Des registres sont donc en place, et des études en cours, dont l’étude d’imprégnation individuelle des personnes Kannari.

En outre, nous prévoyons de saisir les trois alliances scientifiques, ce qui est plus du ressort de la ministre chargée de la recherche, qui connaît parfaitement le dossier : l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), l’Alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna) et l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi). Nous leur demandons de nous fournir une synthèse scientifique de toutes les connaissances acquises sur le chlordécone ; ensuite nous publierons un rapport complet portant sur tous les travaux menés depuis des années dans les territoires antillais.

Nous organisons un grand colloque scientifique pour le mois d’octobre prochain afin de réunir l’ensemble des scientifiques travaillant sur le sujet, notamment pour déterminer s’il y a lieu de lancer de nouvelles études que nous serons évidemment prêts à financer.

Le directeur général de la santé, qui est à mes côtés aujourd’hui, ainsi que le directeur de l’Agence « Santé publique France », agence sanitaire chargée de la santé publique et de la surveillance du territoire, François Bourdillon, se déplaceront en Martinique et en Guadeloupe, pour informer les populations en organisant des forums citoyens. Nous sommes en effet confrontés à un enjeu de transparence, et je demanderai aux deux Agences régionales de santé (ARS) de produire des documents d’information à l’intention des populations portant particulièrement sur les connaissances acquises et les moyens de se prémunir de toute contamination, particulièrement pour les personnes les plus vulnérables.

Par ailleurs, nous poursuivons l’accompagnement du développement des jardins familiaux, qui permettent aux familles d’utiliser leur propre sol, par des financements ad hoc, déjà disponibles à la DGS.

Voilà pour les actions en cours ; à ma connaissance, dans le cadre du plan chlordécone 1,2 et 3, la seule étude qui n’a pu être menée jusqu’à présent est Madiprostate, non pas pour des raisons financières, car le financement n’a pas fait défait, mais pour des raisons de robustesse scientifique qui n’était pas au rendez-vous.

M. le président Olivier Serva. Merci, madame la ministre, pour cette présentation synthétique. Je prends note de ce que vous avez annoncé la mise en place, à terme, de circuits de production agricole sans chlordécone en testant les terrains des particuliers désireux de recourir à la production locale. J’ai encore pris acte de l’organisation d’un colloque qui favorisera l’approfondissement des études scientifiques. S’agissant de ces études, j’ai retenu que vous financez celles dont la robustesse scientifique était avérée, et que vous avez l’intention de lancer un grand plan d’information à l’intention des populations sur les risques que présente le chlordécone.

Mme Sandrine Josso. Au cours des semaines passées, vous avez pu, madame la ministre mesurer le degré d’inquiétude et de colère régnant en Martinique et en Guadeloupe depuis la publication du rapport de l’ANSES sur la pollution par le chlordécone. Les populations antillaises les plus exposées à cette contamination ont ainsi pu être identifiées. Elles en commun d’avoir consommé des produits agricoles vendus hors des circuits contrôlés : on parle de jardins familiaux, de bords de route, etc.

Les chiffres indiqués par le rapport sont particulièrement éloquents, notamment sur les écarts importants de contamination des produits en cause selon qu’ils ont été soumis ou non à un contrôle sanitaire. Les personnes exposées souffrent d’une double injustice, sanitaire et sociale, dans la mesure où leur niveau de vie détermine en partie leur exposition à cette pollution. Si l’État devait se saisir de cet enjeu de santé publique, il ne devra pas oublier ceux qui, ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour adopter une alimentation saine, car contrôlée.

Vous avez certes déjà ébauché quelques solutions, mais pouvez-vous nous donner des exemples concrets d’actions susceptibles d’être conduites ?

Mme Josette Manin. Nous avons eu ce matin la chance d’être reçus par trois ministres qui nous ont apporté quelques réponses. Toutefois, nous ne sommes toujours pas satisfaits : un communiqué émis aujourd’hui même ne correspond pas complètement à ce dont nous pensions être convenus ce matin.

Le non-achèvement de l’étude Madiprostate est source à la Martinique d’une sorte de contradiction entre les médecins, les agriculteurs, les politiques et même les administrations, notamment d’État, comme l’ARS. C’est pourquoi nous souhaiterions connaître les suites qu’il est envisagé de donner à cette recherche scientifique.

M. Serge Letchimy. Ce matin, madame la ministre, nous avons eu une discussion très intéressante avec le ministère de l’outre-mer. Je souhaiterais simplement vous relire une phrase du communiqué interministériel publié ce jour afin que puissions être d’accord sur son interprétation. En tout état de cause, je vous remercie d’avoir rappelé votre détermination à mettre en œuvre tous les plans que vous avez mentionnés, non seulement dans le domaine de la limite maximale de résidus (LMR), mais aussi des dispositifs à mobiliser pour sortir de cette situation.

On peut donc lire que l’État n’a pas changé son dispositif de contrôle : « basé sur les LMR fixées en 2005. Les ministres vont saisir la Commission européenne afin de confirmer la stratégie française en matière de contrôle. » Cela signifie que c’est la réglementation européenne établie en 2005 et approuvée en 2008 qui est applicable, ce qui est une bonne chose, car nous avons ainsi notre moratoire.

Cependant, au mois de septembre 2017, le ministre de l’agriculture, M. Travert, a signé une instruction à son ministère prenant acte des modifications réglementaires portant sur le calcul du taux de tolérance. Il a en effet été constaté que, dans le poulet froid, le taux de chlordécone est de 330 microgrammes par kilo ; par ailleurs, en se fondant sur une base 100, on observe que la dose légale a été multipliée par 5 pour la viande, passant de 20 à 100 microgrammes par kilo et par 10 pour la volaille, passant de 20 à 200 microgrammes par kilo. On est donc fondé à juger que la mécanique a conduit à une augmentation des doses.

Or, M. Travert dit clairement qu’il va appliquer, sur la base de l’instruction du mois de septembre dernier, un LMR de 100 microgrammes par kilo pour le poulet froid et la graisse mammifère, et de 200 microgrammes par kilo pour la viande de volaille.

Ma question donc la suivante : pourriez-vous intervenir auprès de M. Travert afin qu’il annule cette instruction ? Ce qui serait cohérent avec votre décision de ce matin, que j’approuve.

M. Laurent Furst. Merci, madame la ministre de venir devant notre délégation.

J’ai découvert le sujet du chlordécone lors de notre précédente réunion, et j’avoue avoir été surpris par le faible retentissement de cette question en métropole. Député alsacien, je me suis simplement dit que si le même problème s’était posé en Bretagne ou en Normandie, les médias en auraient plus parlé en métropole ; et cela m’a semblé surprenant. Il ne s’agit pas de critiquer la ministre, mais de livrer une réflexion d’ordre général.

Par ailleurs, madame la ministre : sommes-nous assurés que toutes les données sont connues ? Les études épidémiologiques réalisées sont-elles récentes ? Portent-elles sur un spectre large ? Le niveau de connaissance est-il suffisant ? Toutes les études ont-elles été synthétisées et mises à jour ?

En tant que député, devant une telle question de santé publique, je souhaite savoir quelles sont les conséquences dans le domaine des cancers, et des naissances prématurées. La connaissance est-elle suffisante ? Car elle constitue l’élément premier de toute bonne politique publique.

Ensuite, sachez que je ne tiens pas à porter la polémique à un sujet qui transcende par sa gravité tous les clivages partisans : vous avez indiqué que deux hauts fonctionnaires sont prêts à se rendre sur place et s’expliquer. Il me semble qu’il faut faire preuve de transversalité, car les questions de la prévention, de l’alimentation, de l’eau, mais aussi de l’urbanisme sont posées.

Il faut que des acteurs compétents, connus et reconnus soient présents dans les territoires à travers une mission qui ne peut qu’être transversale, car elle concerne autant la gestion des collectivités locales que des questions de santé publique. Je me demande donc s’il ne faudrait pas dépêcher quelqu’un qui incarnât une mission dans un territoire afin de travailler avec les élus et les médecins pour conduire une action efficace. Car il me semble qu’incarner une politique publique c’est lui donner une chance d’exister.

Mme Nathalie Bassire. Notre collègue Huguette Bello a demandé la constitution d’une commission d’enquête dont les investigations porteraient sur la leucose bovine à La Réunion.

Il s’agit aujourd’hui de se tourner vers l’avenir et d’aller vers une sortie de crise. L’abattage systématique des bêtes atteintes est la règle en métropole, en termes de santé publique, il est inconcevable que l’on ne puisse aboutir à une solution identique à La Réunion.

Toutefois, et cela se comprend, les éleveurs s’opposent à une telle mesure s’ils ne sont pas indemnisés en proportion de leurs pertes. Il conviendrait en outre de permettre à terme la réintroduction de ruminants à La Réunion ; ce qui est interdit aujourd’hui.

Une solution transitoire suffisamment financée doit venir régler ce problème afin de retrouver une situation normalisée. Je vous demande donc, madame la ministre, dans quelle mesure l’État peut nous accompagner dans la définition des modalités de cette solution transitoire.

M. le président Olivier Serva. Merci, madame Bassire ; sans préjuger de la réponse de la ministre, il me semblait que le thème de notre réunion était le chlordécone…

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. À Madame Bassire, je dois faire part de ma confusion, car je suis incapable de répondre à une question purement agricole, qui doit être adressée à mon collègue Stéphane Travert.

Par ailleurs, vous avez raison, madame Josso, d’évoquer une double injustice sanitaire et sociale. Vous m’interrogez sur les éléments concrets pouvant être apportés à la population. Il s’agit pour nous d’accompagner cette population dans la création de jardins familiaux propres au développement de circuits courts exempts de chlordécone. Le but est d’éviter des circuits non contrôlés pour lesquels nous n’avons aucune visibilité en matière de contamination, et au sujet desquels nous ne pouvons pas aider la population à se repérer.

Il est donc impérieux à nos yeux de poursuivre cette politique à laquelle le nouveau zonage ne manquera pas de concourir, car il permettra une meilleure connaissance des sols contaminés. Ce zonage, dont Stéphane Travert a la responsabilité, devrait être achevé prochainement. L’idée est d’être au plus près des populations afin de proposer des lieux de culture sans chlordécone et des circuits courts, non contrôlés par l’État certes, mais placés au sein d’un dispositif garantissant l’absence de contamination.

Comme je l’ai indiqué, la Direction générale de la santé dispose de financements destinés à aider à la création de ces jardins familiaux. À cette fin, les intéressés doivent demander un contrôle de leur sol auprès de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), qui peut réaliser le contrôle du sol individuel et ensuite rassurer la famille sur le fait que la culture est saine et peut être consommée par elle, voire vendue au voisinage.

Ce dispositif est encore mal connu, ce qui nous impose un devoir d’information et de développement de ces jardins familiaux.

Madame Manin m’a interrogée ce matin et cette après-midi sur l’étude Madiprostate. Il s’agissait d’une étude scientifique financée hors appel à projets, en plus des appels à projets portant sur le cancer, spécifiquement consacrée à la recherche du lien entre cancer de la prostate et chlordécone en Martinique.

Cette étude était mal construite. Comme je tenais absolument qu’elle réussisse, j’ai fait travailler un groupe d’experts la première année pour accompagner les chercheurs en rendant l’étude plus robuste sur le plan scientifique afin qu’elle puisse répondre à la question posée. Nous n’avons pas obtenu les résultats espérés.

J’ai donc demandé à un autre groupe d’experts appartenant à l’ITMO Santé publique, c’est-à-dire l’institut thématique de l’Alliance Aviesan, qui regroupe ponctuellement tous les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et d’autres institutions comme l’Institut Pasteur, etc., de travailler à améliorer cette étude. Il s’est avéré que cette étude n’était pas réalisable méthodologiquement, alors que l’argent était disponible et que je l’ai financée plusieurs années de suite.

Ce financement a été interrompu au bout de trois ans, car pratiquement aucun malade n’était inclus, mais surtout parce que nous savions que, in fine, nous n’obtiendrions pas de résultats scientifiques. Je comprends l’attente des populations et des élus qui réclament leur étude. Mais il ne suffit pas de mener une étude : il faut qu’elle produise des résultats. Si pendant dix ans nous effectuons des dizaines de milliers de prélèvements sans obtenir de réponse, nous n’aurons pas fait correctement notre travail.

Nous sommes prêts à financer la démarche de tout scientifique qui proposerait de monter une nouvelle étude, la difficulté que présente le chlordécone, c’est de faire le départ entre la surincidence, liée à des facteurs génétiques, du cancer de la prostate aux Antilles et des cancers de la prostate éventuellement dus à le chlordécone.

Cette surincidence des cancers de la prostate due à des facteurs génétiques était connue depuis les années 1980, avant même l’utilisation du chlordécone. C’est aussi le cas des populations afro-américaines aux États-Unis. L’ensemble de la population antillaise étant exposé à le chlordécone, nous ne pouvons pas établir de comparaison entre des gens exposés et des gens non exposés ; c’est là que réside la difficulté scientifique de l’étude.

Encore une fois : si d’autres chercheurs sont prêts à nous aider à résoudre ce problème, ils seront les bienvenus, et nous sommes tout à fait disposés à lancer des appels à projets pour tenter de susciter des recherches. C’est une question complexe, purement scientifique.

 

Nous n’en avons pas moins créé des choses qui manquaient : les registres des cancers aux Antilles, qui vont permettre de comparer l’incidence des cancers aux Antilles avec d’autres populations métropolitaines, mais aussi afro-américaines de même origine. Car la question demeure celle de l’incidence de l’origine génétique de ces cancers.

J’ai rappelé ce matin que lorsque je travaillais à l’INCa, j’ai été en contact avec un professeur d’urologie sénégalais qui souhaitait s’investir et procéder à des études communes dans ce domaine à cause d’une surincidence constatée en Afrique. Nous avions même imaginé de conduire des études comparatives entre une population africaine et une population antillaise. Nous avons échoué à la mettre en place parce que l’Afrique n’est pas tout à fait équipée à l’époque pour la recherche scientifique.

Nous avons tout tenté à l’époque pour améliorer la connaissance sur ce sujet, et mon ministère s’engagera auprès de tout chercheur souhaitant le reprendre. Nous avons travaillé pendant trois ans dans le but de rendre cette étude Madiprostate réalisable.

M. Letchimy a posé la question de la limite maximale de résidus. Il s’agit là encore d’un sujet mieux connu par le ministre de l’agriculture ; aussi ne voudrais-je pas dire de bêtises.

Je sais, en revanche, que l’État n’a pas modifié sa façon de contrôler, et que les résultats obtenus malgré le changement de la norme européenne sont totalement conformes aux taux que nous utilisions auparavant comme seuils maximums tolérés. Ainsi, nonobstant cette directive européenne, aucune évolution n’est intervenue dans les seuils de résidus tolérés dans les viandes en France.

Je m’étais engagée, ce dont j’ai fait part au Parlement, à demander la modification de cette directive ou à tout le moins d’en débattre. Mais je préférerais que Stéphane Travert réponde précisément sur la circulaire de son ministère, car je ne la connais pas.

Ma seule certitude est que la modification du seuil de tolérance décidée à l’échelon européen a été sans incidence sur la réglementation française.

Vous posez, monsieur Furst, une excellente question et vous faites part de votre étonnement devant le peu d’attention accordée à ce sujet en métropole. J’ai éprouvé le même sentiment lors de l’incendie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe, qui a constitué un drame absolu. L’île de Guadeloupe n’a plus d’hôpital, des centaines de lits ont été évacuées, et il n’y a plus de malade. Or les médias métropolitains sont pratiquement restés muets ; je pense que si le CHU de Nice ou de Tours avait brûlé, cela aurait fait la une des journaux télévisés métropolitains.

Il est vrai qu’il y a un problème d’intérêt de la Métropole pour les sujets ultramarins. C’est à nous, élus et politiques, qu’il revient de rappeler que ces territoires sont des territoires français. Ce n’est toutefois pas parce que la contamination par le chlordécone n’est pas un sujet pour le public Métropolitain qu’elle n’en est pas moins un pour la ministre de la santé.

Vous demandez par ailleurs si nous sommes sûrs que toutes les données sont connues : bien sûr que non ! Car la France est le seul pays à essayer d’obtenir des données sur le chlordécone. Ce produit a été utilisé dans d’autres pays européens, comme, me semble-t-il, la Pologne, mais le sujet n’a pas soulevé l’intérêt et les études sont rares, et sont quasi exclusivement françaises.

Comme pour toute recherche scientifique, la connaissance évolue, elle s’accumule avec le temps, et si nous disposions de toutes les connaissances nécessaires sur le chlordécone, j’en serais ravie. Mais tel n’est pas le cas, ainsi ne connaissons-nous pas les effets à long terme. C’est pourquoi nous posions la question du risque de cancer, notamment hormonaux dépendant, puisqu’il s’agit d’un perturbateur endocrinien. Nous connaissons bien, en revanche, les effets à court terme, dus à des expositions massives de travailleurs qui ont développé des troubles neurologiques aigus régressifs, notamment aux États-Unis.

Nous disposons de données portant sur les petits enfants qui peuvent développer des troubles neurologiques régressifs.

Aussi, toutes les études financées aujourd’hui portent-elles sur les effets à long terme afin d’accumuler de la donnée et des connaissances.

Vous demandez encore s’il serait possible d’établir une synthèse des études, c’est ce que j’ai évoqué dans mon propos liminaire, en proposant de réunir les trois grandes alliances de recherche scientifique, qui sont constituées de l’ensemble des organismes de recherche français. Nous allons leur demander la rédaction d’une synthèse de l’état des connaissances nationales et internationales actuelles sur le chlordécone, de façon à les rendre publiques.

Il est préférable que ce travail soit réalisé par les alliances qui sont constituées de chercheurs plutôt que par le ministère, et on peut espérer que les intéressés auront soin de rendre la synthèse compréhensible par le grand public.

Vous évoquez ensuite une politique ancrée dans les territoires et le fait que des hauts fonctionnaires se rendant sur place ne régleront pas le problème, et vous avez raison. En effet, en dix ans j’ai pu mesurer l’incongruité qu’il peut y avoir à envoyer un directeur général de la santé faire des conférences.

Il n’en demeure pas moins que la volonté de transparence existe, et que la population a besoin qu’on lui montre que nous sommes prêts à répondre aux questions, et que nous sommes là pour rendre compte, pas pour cacher des choses.

À cet effet, il me semble qu’envoyer le directeur de la santé ou d’autres responsables publics à une population inquiète constitue un moyen de montrer que l’État est présent, et ne se défile pas.

Certes, cela ne règle pas le sujet de long terme, qui relève d’une politique interministérielle ancrée dont la responsabilité revient au préfet. Les deux préfets de la Martinique et de la Guadeloupe sont en responsabilité des plans chlordécone. Il me semble que ce pilotage doit être redynamisé, et un exercice de pédagogie reste à mener au sujet de l’action de l’État sur place et en métropole afin de rassurer la population.

Les divers ministres concernés pourraient demander à ces préfets un plan d’action local susceptible de rendre compte de cette politique interministérielle ancrée dans les territoires.

M. Max Mathiasin. C’est la troisième fois que nous nous rencontrons dans la journée, madame la ministre, nous ne nous sommes jamais autant vus que le jour où vous étiez venu à cause du cyclone Irma. Nous nous sommes rencontrés souvent…

Lorsque notre collègue Furst dit qu’il s’agit d’un réel problème national de santé, je frémis, car je suis guadeloupéen, et cela fait très longtemps que nous nous battons – je dirais presque tout seuls – avec lui. Tout seuls parce qu’il y a une double responsabilité de ce qui ont, alors que ce produit a été fabriqué en 1958 aux États-Unis, qu’une catastrophe est survenue dans une usine, et que ce pays a cessé la fabrication dans les années 1960, continué à le produire au Brésil à l’usage de la France, et selon un dosage métropolitain.

Nous avons pourtant le sentiment de nous battre tout seuls comme si nous étions confinés dans les deux îles de la Guadeloupe et de la Martinique avec ce problème. À telle enseigne que les Guadeloupéens ont dû s’organiser en collectif, et l’affaire est pendante devant les tribunaux depuis déjà douze ans.

Il me semble que nous progressons, comme nous l’avons fait aujourd’hui, car je note que vous annoncez la tenue d’un grand colloque scientifique au mois d’octobre prochain. Cette innovation constitue un énorme progrès, nous allons pouvoir discuter en toute transparence. Car la scientifique que vous êtes connaît la dangerosité de cette molécule, composée d’éléments extrêmement solides, qui ne se détériorent pas, s’attaquent à la terre, aux agents organiques et à l’homme.

Je souhaite simplement vous demander si, entre aujourd’hui et la tenue de ce colloque, les scientifiques vont pouvoir définir une meilleure méthodologie afin d’achever l’étude Madiprostate.

M. Gabriel Serville. Madame la ministre, je ne parlerai pas du chlordécone, et je m’en excuse.

Je souhaite seulement vous rappeler qu’en Guyane un enfant sur cinq est contaminé au plomb. C’est également le cas de 40 % des adultes vivant dans les communes isolées de l’intérieur. C’est ce que révèlent deux enquêtes épidémiologiques réalisées par la cellule interrégionale d’épidémiologie (CIRE), publiées à Cayenne, et qui font état, d’une nouvelle contamination au plomb dans l’ensemble de la Guyane ainsi que des progrès d’une intoxication au mercure dans les villages autochtones de l’intérieur.

Ces études ont été menées entre 2015 et 2017 sur près de 600 jeunes Guyanais âgés de moins de six ans. En définitive, on observe qu’avec 22 microgrammes de plomb par litre de sang en Guyane, la moyenne géométrique relevée est deux fois plus élevée que la moyenne nationale.

Plusieurs cas de saturnisme ont d’ailleurs été observés, autant à l’est qu’à l’ouest du territoire, et 16 enfants prélevés sur 20 connaissent une plombémie supérieure au seuil de signalement obligatoire.

Vous le voyez, madame la ministre, la situation est gravissime puisque, dans la zone du parc amazonien de Guyane, sur 300 femmes enceintes 87 % présentent un risque de malformations définitives du fœtus. Nous sommes confrontés à un véritable scandale sanitaire, qui s’ajoute à celui du mercure, et appelle des réponses fortes et immédiates. Je vous ai d’ailleurs adressé un courrier à ce sujet à la fin du mois de janvier.

Madame la ministre, les Guyanais attendent que vous sensibilisiez vos collègues du Gouvernement en vue d’apporter collectivement au territoire les réponses pérennes attendues.

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la ministre, je tiens moi aussi à saluer votre présence et votre participation à cet échange. Mais si vous le permettez, j’arrêterai là mes louanges. En effet, j’ai le sentiment que jusqu’à présent, l’État n’a pas pris la mesure de sa responsabilité dans ce scandale. Quand je parle de responsabilité de l’État, je ne vous vise pas personnellement, pas plus que les ministres qui sont en place aujourd'hui. Mais il y a bien une continuité dans la responsabilité de l’État, qu’il convient de ne pas fuir. Je ne dis pas que vous fuyez vous-même, mais il me semble déceler une certaine volonté de limiter cette responsabilité de l’État.

L’augmentation annoncée des limites maximales de résidus était un très mauvais signal, compte tenu de l’émotion déjà immense dans nos pays. Cela a eu toutefois le mérite de réveiller les gens. D’une certaine façon, on a répondu à un désastre sanitaire par un désastre communicationnel.

Certes, le chlordécone n’a pas été utilisée que dans nos territoires. Mais les dérogations ont permis que cette substance y soit utilisée plus longtemps, alors même qu’elle était interdite ailleurs sur le sol français. En outre, on ne peut pas comparer les effets d’une telle substance dans un pays continental étendu et dans un espace micro-insulaire : chez nous, ils sont encore plus dévastateurs. C’est cela, la réalité.

Les plans se succèdent, sans que nous en voyions concrètement les résultats. Et en vous disant cela, je me fais le porte-parole des Martiniquais et des Guadeloupéens de base.

En tant que député, en avril 2015, j’ai posé une question sur le chlordécone. La ministre de l’époque m’a répondu en juillet 2016, plus d’un an après, en évoquant les deux premiers plans chlordécone. Je cite ses propos : « Au travers de ces deux plans, l’action de l’État et de ses opérateurs s’est principalement déployée dans cinq directions : l’amélioration des connaissances sur les caractéristiques du chlordécone et la pollution, la protection des populations à travers des points de contrôle du respect des normes de contamination des denrées alimentaires, le développement et le renforcement de moyens régionaux de mesure (laboratoires d’analyse), la sensibilisation de la population à travers des actions de communication et à travers le programme JAFA (Jardins Familiaux) et le soutien aux agriculteurs impactés (programme de diagnostic d’exploitations et développement d’outils d’aide à la décision… » Je remarque que c’est le même discours qui nous est servi aujourd’hui.

Le lien entre le cancer de la prostate et le chlordécone…

M. le président Olivier Serva. Mon cher collègue, posez votre question…

M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, je pense que le collègue Serville qui s’est exprimé de manière très brève va me passer quelques secondes de son temps de parole. Je précise que j’accepterai la même chose des autres collègues. En effet, je parle, au nom de tous, d’un sujet d’importance, et il faut que Mme la ministre entende certaines choses.

Le lien avec le cancer de la prostate et le chlordécone, que nous ressentons dans notre chair, dans nos vies, dans nos familles, doit être établi de manière formelle. Cela suppose que l’on engage des études. Mais il ne faut pas adopter une attitude passive, en conditionnant ces études à la volonté des chercheurs. Il faut passer à l’offensive, provoquer ces études. J’ai noté que vous parliez d’appel à projets. Ainsi, on n’aura plus à se réfugier derrière une surincidence d’origine génétique ou je ne sais quoi d’autre, comme on l’a fait pour expliquer les taux de sucre qui provoquent des diabètes chez nous – nous aurions une appétence particulière pour le sucre, pour des raisons génétiques.

Le financement du troisième plan chlordécone pose également problème, il faut avoir le courage de le dire : le premier (2008-2010) était de 33 millions ; le deuxième (2011-2013) de 31 millions, mais il était financé et par des fonds de l’État, et par des fonds européens ; le troisième baisse également, puisqu’il avoisine 30 millions, peut-être moins, et que les financements européens risquent de faire défaut.

 

Nous ne voulons pas que l’on fasse endosser la responsabilité de cette situation aux collectivités régionales, qui ont en charge la gestion des fonds européens, dans la mesure où ce n’est pas avec les impôts des Martiniquais et des Guadeloupéens que l’on doit financer ce fonds. Déjà, nous sommes les victimes ! L’État n’a qu’à en prendre l’entière responsabilité et financer à 100 % le prochain plan.

Par ailleurs, les explications qui nous ont été fournies nous donnent l’impression qu’on veut stigmatiser le secteur informel, au risque de favoriser encore une fois les importations au détriment des productions locales. C’est parce que nous consommons les produits au bord des routes que nous nous sur empoisonnerions ? Il faut savoir raison garder et ne pas oublier que si le chlordécone a été utilisée de façon dérogatoire chez nous, c’est parce que le secteur conventionnel, parce que les lobbies l’ont imposé. Pas le secteur informel.

Enfin, madame la ministre, le principe de précaution doit être appliqué jusqu’au bout. Voilà pourquoi j’appelle votre attention sur un autre scandale qui se profile aujourd’hui : celui de l’Azulox, une substance particulièrement toxique utilisée aujourd’hui, par voie de dérogation, dans les champs de canne à sucre. Ce n’est même pas un pesticide, ce n’est qu’un herbicide, mais celui-ci est particulièrement toxique en milieu aquatique.

Mme Justine Benin. Madame la ministre, pour paraphraser un auteur bien connu de chez nous, Guy Tirolien, je dirai que dans ce bouquet de silence, le Gouvernement a entendu nos cris et nos voix. En effet, je n’aurais jamais cru que trois ministres recevraient les parlementaires de la Martinique et de la Guadeloupe pour parler d’un sujet ô combien important de santé publique. Je vous en remercie, comme je l’ai fait pour Annick Girardin, et comme je le ferai pour Stéphane Travert.

J’ai entendu vos interventions, et la réponse que vous avez adressée à notre collègue M. Furst. Oui, très souvent, monsieur Furst, l’éloignement a fait que la République nous a oubliés. Ainsi, nous avons eu le sentiment du désengagement permanent de l’État, s’agissant d’un problème qui affecte la santé de nos populations.

Madame la ministre, votre réponse prouve votre détermination. J’espère bien qu’au-delà des mots, au-delà de l’engagement que je peux percevoir chez vous, le Gouvernement posera des actes très forts. J’espère qu’il demandera aux autorités européennes de réviser la LMR. J’espère aussi que la conférence que vous voulez initier sur cette affaire ô combien sérieuse verra le jour.

Comme vous le savez, en Guadeloupe, nous rencontrons de nombreuses difficultés, avec l’incendie du CHU et la désorganisation médicale, ou la contamination des sols. Nous sommes une terre archipélagique, et l’étude Karuprostate a prédit que cette contamination serait plus grave en Basse-Terre qu’en Grande-Terre. Une psychose s’est développée au sein de la population, et il va falloir agir. Madame la ministre, je veux vous faire confiance pour les actions que le Gouvernement mènera prochainement : des actions fortes pour nos agriculteurs, nos maraîchers, nos enfants, nos femmes enceintes ; davantage de communication, d’information ; des études claires, sans approximation. Il faudra surtout que le Gouvernement ose reconnaître qu’il a failli.

Vous l’avez dit ce matin, mais j’aurais aimé retrouver dans le communiqué de presse le même niveau d’engagement. Quoi qu’il en soit, je souhaite que vous posiez des actes forts pour les populations de la Guadeloupe et de la Martinique. Sachez que je serai vigilante.

Mme Éricka Bareigts. Je suis ici aujourd’hui en tant que députée de la Réunion. Nous n’avons pas de chlordécone, mais il m’a semblé important de venir exprimer notre solidarité avec les populations de la Martinique et de la Guadeloupe.

Je voudrais saluer le travail collectif de mes collègues. Je voudrais également, madame la ministre, saluer votre qualité d’écoute et la qualité de vos réponses. Tout n’a pas encore été fait, et mes collègues ont raison d’être très attentifs à ce qui va se passer. Mais je crois que les mots que vous avez utilisés, et les engagements précis que vous avez pris méritent d’être soulignés.

Comme le disait tout à l’heure un de nos collègues, il est arrivé que dans nos territoires, on défende des causes injustes, qu’on ait des comportements injustes qui ont laissé des traces énormes, qui ont abouti à des morts et qui ont fait beaucoup de mal très loin de l’hexagone. Nous ne sommes pas là en pleureurs et en pleureuses. Nous essayons de prendre nos responsabilités et d’avancer, mais pour cela, nous avons besoin d’avoir à nos côtés des personnes déterminées.

Mme la ministre. Monsieur Mathiasin, vous dites que vous vous battez tout seul contre le chlordécone. Je comprends parfaitement le sentiment des élus et de la population, qui ne voient pas l’État prendre à bras le corps un problème qui est très anxiogène – on sait qu’il y a une contamination, sans savoir où, ni ce que l’on mange.

La réalité est sans doute un peu différente, car nous avons fait beaucoup. Le ministère de la santé a tenu tous ses engagements – mise en place de cohortes, de suivi épidémiologique ; mesures de la contamination chez les habitants. Le ministère de l’agriculture a réalisé un nouveau zonage du chlordécone. Bref, le plan chlordécone avance. Mais en fait, il avance de façon souterraine.

Nous n’avons pas su – ni moi ni mes prédécesseurs – communiquer sur ce plan. Force est de constater qu’il est inconnu en Guadeloupe et en Martinique, et qu’aujourd’hui pas un Guadeloupéen, pas un Martiniquais ne sait dire ce que l’État a fait. C’est tout de même dommage, puisque 30 millions d’euros ont été dégagés entre 2014 et 2016 pour son financement. Tout n’a pas été consommé, mais un certain nombre d’actions, dont nous avions la responsabilité, ont été mises en œuvre.

Certes, vous avez le sentiment de vous battre seuls, mais vous n’êtes pas seuls, car des mesures ont été prises. Il convient maintenant de les rendre transparentes et de les faire connaître. Bien sûr, on n’a pas complètement évalué l’impact sanitaire de l’utilisation du chlordécone. Reste que l’on s’est donné les moyens d’accumuler les connaissances sur le chlordécone et son impact sanitaire, et que le rapport que nous avons demandé aux trois alliances – qui nous sera remis, je l’espère, d’ici le colloque – sera rendu public.

Pour illustrer la bonne foi de l’État, je reviendrai à ce qu’a dit M. Serville sur la contamination par le mercure et le plomb en Guyane. C’est effectivement un vrai problème, dont l’État a rendu compte – plus précisément, il s’agissait de la CIRE, une équipe territoriale dédiée à la surveillance de la santé dans les territoires, qui dépend de l’Agence publique France, une agence du ministère de la santé.

Ainsi, l’État surveille, l’État rend compte, l’État est transparent. En Guyane, ce n’est pas une équipe indépendante qui a révélé le problème de contamination au mercure et au plomb. Je me rendrai d’ailleurs en Guyane dans quinze jours ou trois semaines, et nous en discuterons avec les autorités sanitaires. Aujourd’hui, l’ARS et l’AP-HP sont mobilisées. Cette contamination est liée à l’orpaillage, contre lequel nous devons impérativement lutter.

L’État ne garde pas secrets les « scandales sanitaires », il rend compte. Et nous devons aujourd’hui rendre compte à la Guadeloupe et à la Martinique de tout ce que nous faisons, et de tout ce que nous savons. À mon sens, c’est une urgence. Voilà pourquoi nous allons demander au directeur de l’ARS et au préfet d’engager une campagne d’information, de communication, et de faire de la pédagogie.

M. Nilor a prononcé un réquisitoire à charge. Je suis un peu embêtée. En fait, je n’ai pas envie de faire de politique autour du chlordécone. Si la situation traîne depuis des années, d’une certaine manière nous en sommes tous responsables – élus de la Nation, élus locaux, État. Au lieu de chercher un responsable unique, mieux vaut dire qu’il est temps d’agir. C’est ce que nous faisons. Nous avons pris des engagements – Annick Girardin ce matin, mais aussi Stéphane Travert et moi-même.

Monsieur Nilor, vous demandez qu’on lance en Martinique une étude complémentaire sur le cancer de la prostate, par voie d’appel à projets. Cela ne peut pas dépendre de mon ministère, mais je vais solliciter ma collègue de la recherche. Peut-être faudra-t-il passer par l’Inca ? Nous verrons.

Ce n’est pas que nous ne souhaitions pas mener cette étude. Simplement, l’administration de l’État, en l’occurrence la Direction générale de la santé, ne sait pas écrire une étude scientifique. L’argent est là, mais il faut impérativement que des chercheurs s’engagent. En revanche, nous pouvons dire que l’étude Madiprostate menée en Guadeloupe pose la même question. Et l’on peut imaginer que les résultats que l’on tirera de cette étude – nous devrions les avoir en 2020 – pourront être extrapolés, au moins en partie, sur la Martinique.

Madame Benin, vous posez la question de la révision des LMR par le Gouvernement. Je crois savoir que le ministre Stéphane Travert s’est engagé à mener une action au niveau de l’Europe. Nous avons prévu une clause de revoyure avec les élus de la Martinique et de la Guadeloupe dans un mois, afin de lancer un plan d’action très précis de communication, de présence sur place, de sollicitation des préfets et des directeurs généraux d’ARS. Tout cela aboutira à une forte mobilisation, aussi bien au niveau national qu’au niveau territorial, que la population pourra interpréter comme une manifestation de la ferme volonté de transparence du Gouvernement. Voilà à quoi je m’engage aujourd’hui devant vous.

M. le président Olivier Serva. Madame la ministre, au terme de cette audition, il me reste à vous remercier très chaleureusement de votre présence. Nous avons pu constater que la douceur de votre voix contrastait sérieusement avec la robustesse et la force des annonces que vous nous avez faites.

Ainsi, avec la ministre de la recherche, vous seriez toute disposée à lancer un appel à projets pour définir un protocole scientifique robuste, susceptible d’apaiser la situation en Martinique et en Guadeloupe. C’est une réponse importante.

Vous avez l’ambition de mettre en place une labellisation « sans chlordécone » des jardins familiaux. Elle serait remise aux producteurs qui s’assureraient que leur terrain, et donc leur culture, sont sains. C’est important également, étant donné la place prise chez nous par le secteur informel.

Vous nous avez indiqué que se tiendrait en octobre un colloque scientifique qui permettra d’y voir plus clair, en insistant sur votre volonté d’informer et de communiquer avec les publics concernés par cette problématique.

Le Gouvernement a annoncé que la cartographie en Martinique serait disponible au premier semestre 2018, et qu’en Guadeloupe elle le serait au premier trimestre 2018. C’est une information importante.

Vous avez dit, avec le ministre de l’agriculture, que nonobstant la nouvelle position de l’Europe sur les LMR, l’État avait décidé d’être plus restrictif en conservant les anciens critères de taux de matière grasse.

Enfin, vous avez annoncé que vous alliez solliciter les trois grandes alliances de recherche scientifique pour disposer d’une synthèse, et connaître l’état de la situation actuelle s’agissant de la contamination par le chlordécone.

Madame la ministre, je tiens à vous dire, en mon nom personnel, toute la satisfaction que m’ont procurée ces différentes annonces, qui augurent d’une volonté ferme et définitive de l’État français d’avancer avec nous. Je vous en remercie.

III.   Audition de Mme Laura Flessel, ministre des sports

(Séance du 18 avril 2018)

M. le président Olivier Serva. C’est une très grande joie de vous accueillir, madame la ministre, pour cette audition par la délégation aux outre-mer. Nous ne pouvons oublier avec quel courage et quelle énergie vous avez porté haut les couleurs de la Guadeloupe, des outre-mer et de la France dans les compétitions internationales et aux Jeux Olympiques.

En tant que ministre – et l’une des plus reconnues dans son travail –, vous mettez cette énergie au service du développement des activités sportives. Vous savez mieux que personne à quel point les hautes performances que les sportifs issus de nos territoires enregistrent dans de nombreuses disciplines sont assises sur le développement de la pratique quotidienne des équipes, des clubs et des sociétés locales.

Vous savez aussi que le sport est une école de valeurs, un moyen de faire comprendre et aimer le vivre-ensemble, une école de l'égalité. À condition toutefois de se souvenir que la pédagogie, celle des programmes comme celle des comportements, est le lieu d'une lutte sans cesse recommencée.

Le sport illustre à la fois la vanité, le caractère scandaleux des discriminations et la force des tentations qui en assurent la perpétuation. Les personnes originaires des outre-mer ne peuvent qu'être sensibles à ce risque. Je vous félicite d'avoir pris l'initiative d'un plan ambitieux de lutte contre les comportements discriminatoires dans le sport.

Le sport peut représenter pour de jeunes ultramarins une voie de réussite et d'épanouissement, à condition que l’on veille à leur accompagnement durant leur séjour dans l'Hexagone et que l’on se pose la question de leur retour dans leur territoire d'origine. Ils vivent sur un mode particulier un problème dont nous connaissons tous l'acuité, celui de l’exode.

Enfin, si les sportifs de nos territoires contribuent brillamment au prestige national, la question de la participation ès qualités de champions originaires des outre-mer aux compétitions de leur zone géographique ne paraît pas encore réglée de façon satisfaisante – je pense aux Gwada Boys de Guadeloupe qui voudraient se confronter, dans leur zone d’origine, aux clubs de la confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF).

Dans le même esprit, la présence des ligues sportives locales dans les compétitions internationales organisées au sein de leur zone géographique constitue un enjeu important de coopération régionale, dont nous ne pouvons faire l’économie dans un monde globalisé. Nous devons mettre en place des solutions innovantes et adaptées.

Voici les principales interrogations que je souhaitais soulever, en préalable à votre intervention. Mes collègues sauront certainement faire preuve d'inventivité pour en évoquer d'autres. Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Laura Flessel, ministre des sports. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir invitée à m’exprimer sur la politique de mon ministère en direction des territoires d’outre-mer.

Dresser un état des lieux du sport outre-mer n'est pas chose facile. Chaque territoire a ses particularismes et le développement du sport ne s'y fait pas de manière uniforme. Il faut garder à l'esprit qu’entre les Antilles, la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Polynésie, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Nouvelle-Calédonie, la situation est différente et les besoins ne sont pas les mêmes.

Toutefois, des sujets transversaux peuvent être identifiés, comme la carence en équipements sportifs, l’aide aux déplacements, le sport-santé et la lutte contre les discriminations. Nous avons lancé il y a quelques semaines une campagne contre le racisme, le sexisme, l’homophobie et stigmatisation du handicap dans le sport, intégrant aussi un volet de lutte contre la radicalisation.

En comparaison de la métropole, le déficit en infrastructures sportives est évident en outre-mer et est aussi bien quantitatif que qualitatif. Le ratio d'équipements sportifs pour 1 000 habitants est inférieur à la moyenne nationale et les conditions climatiques imposent des équipements adaptés, tant pour la pratique que l'entretien et la pérennité des infrastructures, avec des coûts de réalisation et de fonctionnement très élevés.

Je sais que les attentes des Ultramarins en matière de politique sportive sont importantes ; elles sont légitimes. Je me suis engagée à développer le sport partout et pour tous, à aller chercher 3 millions de nouveaux pratiquants. L'outre-mer ne sera pas oubliée, vous pouvez me faire confiance.

Le plan de rattrapage mis en place en 2017 par le ministère des sports et le ministère des outre-mer visait à répondre de manière structurelle aux carences de l'offre sportive, par la combinaison de l'ensemble des politiques publiques – ville, santé, éducation, etc. Ce plan comportait plusieurs innovations : priorité donnée aux opérations sur les équipements sportifs de proximité existants ; organisation d'un diagnostic territorial approfondi pour une planification des opérations de programmation ; réflexion sur les équipements sportifs pour garantir un retour sur investissement le plus élevé possible pour les collectivités territoriales partenaires et les utilisateurs.

Ce plan a donné d'excellents résultats : 56 dossiers ont été financés par le ministère des sports, via les crédits du Centre national pour le développement du sport (CNDS), pour un montant total de 10 944 600 euros en 2017. Nous consacrons cette année une nouvelle enveloppe de 7 millions d’euros aux équipements outre-mer et j'ai demandé à Annick Girardin de poursuivre l’implication de son ministère via le fonds exceptionnel d'investissement (FEI).

Au-delà du développement quantitatif des équipements sportifs outre-mer, il est nécessaire de mener un travail de fond sur les équipements sportifs afin de réaliser ce fameux saut qualitatif. En outre, il faut continuer d’innover pour que ces équipements soient adaptés aux conditions climatiques et aux usages spécifiques aux outre-mer. L'épisode cyclonique qui a frappé les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy doit nous interroger sur les équipements sportifs du futur. Le 8 mars, j’ai dévoilé qui étaient les lauréats de l’appel à projet relatif aux études d’équipements démonstrateurs innovants en outre-mer ; sur les 38 dossiers déposés entre le 15 novembre et le 31 janvier, le jury, qui réunissait des expertises plurielles, a retenu cinq projets, en Polynésie, à Mayotte, à la Martinique, à Wallis-et-Futuna et en Guadeloupe.

Pour donner les moyens et l'envie de pratiquer, la proximité des équipements est un élément clé. Il convient de raisonner en termes de temps de déplacement et non de distance. Cela fait toute la différence lorsque le réseau de transports n'est pas optimum.

L’éloignement et le coût des déplacements pour les sportifs sont une problématique commune aux outre-mer à laquelle je suis particulièrement sensible. Avec la ministre des outre-mer, nous souhaitons mener une réflexion globale et avoir une vision unifiée des différents dispositifs – fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif (FEBECS), dispositif régional de continuité territoriale, aide aux transports. Il s’agit de fluidifier les déplacements de nos athlètes vers la métropole et de faciliter les rencontres dans l’environnement géographique proche, lesquelles constituent une chance pour la confrontation sportive et les échanges avec d'autres nations. En 2017, le FEBECS a été mobilisé à hauteur de 996 800 euros, dont la moitié pour le sport.

Le sport est un outil formidable pour favoriser la santé et le bien-être. L’une de nos priorités est la lutte contre la sédentarité, un fléau qui, conjugué à de mauvaises habitudes alimentaires, engendre des pathologies comme le diabète et des maladies cardiovasculaires. L’enjeu est plus important encore outre-mer, puisqu’un adulte sur deux est en surpoids aux Antilles et en Guyane, 52 % des hommes et 79 % des femmes à Mayotte, 87 % de la population en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. La Réunion, Mayotte, la Guadeloupe et la Martinique ont les taux départementaux de prévalence du diabète les plus élevés de France : 10 % de la population de La Réunion et de Mayotte souffre de diabète, soit deux fois plus qu'en métropole.

Il est désormais démontré que l'activité physique et sportive agit directement sur ces pathologies, tout comme il est prouvé que le sport renforce l'efficacité des traitements anticancéreux et apporte un confort réel aux personnes âgées dépendantes. Diverses initiatives sont menées et j’ai pu découvrir lors de déplacements en Guadeloupe et en Martinique des innovations comme la marche nordique, les ateliers alimentation et sports pour les enfants, l'escrime ou le tir à l'arc en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

 

Je souhaite que les outre-mer prennent toute leur place dans la stratégie sport-santé que nous sommes en train de mettre en place. Le premier comité de pilotage, réunissant l’ensemble des acteurs de la santé et du mouvement sportif, s’est tenu la semaine dernière. La double inspection que nous avons lancée en août avec la ministre de la santé, a formulé une vingtaine de préconisations. Des maisons sport-santé seront créées sur tout le territoire pour favoriser des pratiques adaptées, avec un suivi personnalisé.

Pour ce qui est du sport de haut niveau, je sais ce que la France doit à l'outre-mer. Je sais aussi ce que c’est que de pratiquer loin des structures d'entraînement hexagonales, ou au contraire, de partir à 7 000 ou 16 000 kilomètres de chez soi pour s’entraîner en métropole. L’éloignement doit être utilisé à bon escient et les jeunes sportifs, détectés précocement, doivent rester le plus longtemps possible sur leur territoire.

Notre objectif est d’accompagner le sportif tout au long de sa vie, lors de sa détection, pendant sa carrière sportive, et pendant sa reconversion. Au début de leur carrière, les athlètes ultramarins font la même expérience du déracinement, de l’adaptation à une nourriture et à un climat différents. Nous devons en tenir compte. La carrière de sportif de haut niveau, à l'échelle d'une vie, est courte. Sa fin, qu’elle soit choisie ou qu’elle s’impose, ne signifie pas que la vie s’arrête. Rebondir, mettre à profit son expérience, se réorienter n'est pas évident, mais avec sa force de caractère et l'accompagnement adéquat, on peut faire tout ce que l'on veut.

Les athlètes ultramarins font la fierté de nos équipes et sont d'importants pourvoyeurs de titres et de médailles pour notre pays. C'est pourquoi nous devons offrir à ceux qui s'entraînent outre-mer la possibilité de participer à des compétitions dans leur région géographique. Ils pourront ainsi étoffer leur calendrier et se confronter à une concurrence de qualité, avec des déplacements limités.

Nous signons des conventions bilatérales avec les pays frontaliers des départements et territoires ultramarins afin de développer les échanges et les coopérations dans le domaine sportif. Dimanche, je rencontrerai mon homologue au Québec pour parler sport-santé, haute performance et proximité avec les outre-mer.

Je ne saurais parler de rayonnement sans évoquer les disciplines territoriales spécifiques à l'outre-mer, très importantes pour le ministère car elles permettent un ancrage qui va bien au-delà de la simple pratique sportive. Par le biais du CNDS, l’État a ainsi souhaité accompagner financièrement l’association Tahiti Va’a 2018, à hauteur de 250 000 euros, pour l'organisation des championnats du monde de Va’a, la pirogue polynésienne, à Tahiti.

Lors des échanges liés aux accords de Guyane, la reconnaissance de la pratique du djokan, art martial amérindien, comme discipline sportive a été évoquée. Une fédération pourrait être créée, mais nous penchons plutôt pour le rattachement à une fédération d'art martial existante. Nous menons une réflexion similaire pour les mixed martial arts (MMA), discipline fort pratiquée mais de façon cachée, l’idée étant d’instaurer un observatoire des comportements pour évaluer ces pratiques et se positionner à horizon de deux ans.

Le sport constitue un enjeu sociétal, environnemental, diplomatique et économique, puisqu’il représente 2 points de PIB. Notre objectif est d’aller chercher un quart de point supplémentaire, grâce à des échanges avec le monde économique et aux relations internationales. Nous voulons transformer le monde du sport, et innover. Nous suivons deux chantiers importants, celui des Jeux Olympiques et Paralympiques, et celui du sport pour tous, tout au long de la vie.

Le monde du sport n’a pas bougé depuis plus de soixante ans. Pour imaginer un nouveau modèle sportif, nous avons lancé en janvier une concertation avec 80 acteurs, dont l’association nationale des élus en charge du sport (ANDES), l’Association des maires de France (AMF), l’Association des départements de France (ADF), Régions de France ou encore l’association France urbaine. L’objectif est de ne plus travailler en silos, mais d’harmoniser la transformation du territoire. Il existe encore des zones blanches du sport, des territoires dépourvus de toute infrastructure sportive.

C’est la raison pour laquelle le CNDS doit se réformer et reporter ses priorités sur la pratique du sport par les femmes ou les personnes handicapées, afin de rattraper le retard de la France dans ces domaines. Si nous voulons montrer au reste du monde que nous sommes en harmonie avec les performances de haut niveau que nous pouvons produire, tout un chacun doit pouvoir se retrouver dans son projet humain et sportif.

M. le président Olivier Serva. Merci pour cette intervention claire et objective, dont je retiendrai la belle ambition d’aller chercher un quart de point de PIB et de faire rayonner les outre-mer au sein de la République française.

Mme Huguette Bello. Madame la ministre, les outre-mer sont des terres de sportifs et souvent de champions – vous en êtes l’illustration. À La Réunion, le sport scolaire compte près de 35 000 licenciés, répartis dans une soixantaine de sections sportives validées. Mais cette appétence pour le sport rencontre de nombreux obstacles, dont le faible nombre d’équipements – 23 équipements pour 10 000 habitants, quand le ratio moyen est de 35 – et le coût des licences. Il reste donc encore beaucoup de travail, puisque nous comptons tout de même 245 000 élèves ! Peut-on imaginer une prise en charge du coût des licences pour les familles les plus modestes ? Disposez-vous d’un premier bilan de l’application du plan de développement des équipements sportifs – 80 millions sur quatre ans –, et singulièrement à La Réunion ? Dans le même ordre d’idées, j’aimerais connaître votre appréciation sur l’adaptation des équipements sportifs à nos latitudes. Je pense par exemple à une couverture photovoltaïque des stades pour en optimiser l’utilisation.

Il faut accompagner et faciliter la pratique du sport et des activités du plus grand nombre. L’enjeu est de lutter contre la sédentarité et, par là même, contre l’obésité, les maladies cardio-vasculaires et le diabète. Il y a urgence, si l’on considère le nombre croissant de personnes obèses ou en surcharge pondérale et la prévalence du diabète, qui touche 10 % de la population réunionnaise. Seriez-vous favorable à la généralisation dans nos territoires du dispositif « sport-santé sur ordonnance » ?

Il convient aussi de renforcer la mobilité des sportifs pour les compétitions nationales et internationales. Il est étrange que nos athlètes, à mesure qu’ils progressent dans une compétition nationale ou internationale, rencontrent les pires difficultés pour continuer, faute de financement de leurs billets d’avion. La règle selon laquelle ils ont droit à un billet par an n’est pas adaptée à ces compétitions.

Pour finir, je forme le vœu que la prochaine édition des Jeux des îles de l’océan Indien ne voie pas les problèmes diplomatiques l’emporter sur la compétition sportive.

M. Raphaël Gérard. Madame la ministre, vous avez lancé le mois dernier une campagne de lutte contre les discriminations dans le sport, baptisée « Ex Aequo, parfois l'égalité est une victoire. »

Je souscris complètement à l'objectif qui est de rappeler que le monde sportif, en dépit des pratiques sexistes, homophobes et parfois racistes qui peuvent l’habiter, peut être aussi un vecteur de valeurs positives et un modèle de praxis de l'altérité.

Comme l'écrivait Claude Lévi-Strauss dans son ouvrage Race et histoire, « la tolérance n'est pas une position contemplative. C'est une attitude dynamique ». Je me suis personnellement investi sur la question de la lutte contre les discriminations et rendrai fin juin, avec mes collègues Laurence Vanceunebrock-Mialon et Gabriel Serville, un rapport sur les LGBTphobies dans les outre-mer.

Sur ce vaste sujet, de grandes personnalités du sport originaires des outre-mer se sont prononcées. Je pense notamment à Lilian Thuram, qui a eu le courage de briser le tabou médiatique sur l'homophobie existant aux Antilles.

Les collectivités d’outre-mer constituent un vaste creuset de champions avec en tête Dimitri Payet, Kanelle Léger ou encore Teddy Riner. Ceux-ci ne sont pas seulement des sportifs, ils sont des modèles pour la jeunesse ultramarine et, plus généralement, pour la jeunesse française. Comment pensez-vous faire exister cette campagne ô combien importante dans les territoires d'outre-mer ? Pour lutter contre les représentations homophobes enracinées au cœur de ces sociétés insulaires, il me semble que le champ culturel et sportif doit être réinvesti.

Mme Laura Flessel, ministre des sports. Madame Bello, le plan de développement des équipements sportifs en outre-mer a permis de financer à La Réunion six projets en 2017, pour un montant total de 1 153 000 euros, dont 40 000 euros engagés sur le plan « Héritage Paris 2024 » et 245 300 euros sur la part nationale pour les travaux de réhabilitation du centre de ressources, d’expertise et de performance sportives (CREPS). Le « risque requins » constitue l’un des obstacles auxquels doit faire face le CNDS à La Réunion, mais les quatre ministères travaillent afin de faire du sport un atout de l’île.

Vous n’êtes pas sans savoir que le budget du ministère a été réduit. Nous maintenons le plan de développement des équipements sportifs outre-mer, tout en abaissant le montant de l’enveloppe à 7 millions d’euros. L’idée est d’apporter plus d’expertise, notamment grâce au concours de deux nouveaux partenaires, l’Agence française de développement (AFD) et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui travailleront sur l’amélioration qualitative des infrastructures.

L’AFD ne travaillait pas vraiment sur les infrastructures. Aujourd’hui, plus d’acteurs nous permettront plus d’efficience dans la structuration des infrastructures, plus de valorisation des infrastructures, une plus forte valorisation du sport, pour qu’il soit davantage pratiqué. Nos jeunes aiment le sport mais n’ont pas la culture du sport. L’idée a donc été d’y travailler de manière interministérielle. Il faut une culture sportive, il faut plus de sport à l’école, il faut inciter les acteurs du monde sportif à travailler et développer des projets ensemble.

Le coût de la licence, j’en suis d’accord, est un frein. Nous attendons beaucoup d’une nouvelle gouvernance et d’une nouvelle offre – nous travaillons avec mouvement olympique, mouvement paralympique et collectivités –, destinée notamment aux personnes éloignées des pratiques ou aux personnes en affection de longue durée, à qui nous avons des pratiques à proposer. Nous travaillons également avec le milieu économique. Un petit bémol, toutefois : chaque fédération a sa stratégie propre, sa tarification propre, sur laquelle nous ne pouvons influer, même si nous sommes vigilants. L’idée n’en est pas moins d’œuvrer à une harmonisation pour accroître la pratique sportive.

Quant au sport sur ordonnance, l’idée est encore de valoriser la pratique. Il y a quinze jours était lancé le plan national de santé publique. Pour notre part, nous avons lancé le plan sport-santé la semaine dernière, mais, pour valoriser la pratique sur ordonnance, encore faut-il disposer d’une cartographie. Aujourd’hui, les projets sport-santé sont très nombreux : pour le diabète, pour les maladies cardio-vasculaires, mais aussi pour les maladies psychiques. L’idée est vraiment d’utiliser cet outil de manière empathique et appropriée, mais il faut aussi travailler avec les acteurs de la santé ; nous avons donc lancé cette cartographie pour avoir cette analyse et pouvoir transcrire et labelliser.

Nous sommes allés à la Martinique. Dès la maternelle, on y parle de mobilité et de nutrition. Nous allons capitaliser sur cela pour aboutir à une proposition. L’idée serait d’aboutir à un site qui fournisse toutes les informations nécessaires. La personne en affection de longue durée (ALD) doit savoir où aller, quoi faire, qui voir, à quel rythme et comment s’entraîner. Aujourd’hui, les informations sont abondantes, mais il manque une cohérence. Harmonisons tout cela pour que tout le monde puisse s’y retrouver sur son territoire. On parle de « GPS du sport-santé ». C’est aussi notre ambition. Nous avons décidé de lancer des Live Lab’ du sport qui puissent permettre échanges et recueil de données sur les retours des patients ou des futurs pratiquants. Cela nous permettra de structurer cette stratégie et cet accompagnement vers la pratique.

Effectivement, c’est dans la loi, mais il faut aussi que tous les acteurs soient autour de la table pour lancer une stratégie nationale. Nous passons donc par la cartographie, la labellisation, les maisons sport-santé. Le Président de la République l’a dit, nous devons avoir 500 maisons sport-santé, mais il y a déjà énormément d’associations. Nous ferons donc beaucoup de labellisation, et nous pourrons « nationaliser » certains programmes.

Quant à la campagne de lutte contre les discriminations, le sport est un véritable levier d’inclusion et de cohésion. Nous avons décidé de dire stop à la violence dans nos stades. Il y a deux ans, il y a eu une campagne « Coup de sifflet ». Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler que je présidais, il y a six ans, le comité « éthique et valeurs du sport » au sein du ministère. Bénévolement, nous réfléchissions aux outils de nature à former et accompagner nos encadrants et nos bénévoles. L’idée a été de structurer cette campagne pour lutter contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la stigmatisation du handicap. On avait un peu oublié le fait religieux, mais, aujourd’hui, l’histoire nous rappelle à l’ordre. Nous avons donc commencé à travailler avec le ministère de l’intérieur et le ministère la justice à un outil de sensibilisation par rapport au fait religieux. Comment accompagner nos encadrants, nos jeunes, nos sportifs pour qu’ils soient à l’écoute et vigilants, pour qu’ils puissent alerter les fédérations ?

La campagne vise à une prise de conscience. Nous sommes tous des acteurs et nous sommes tous responsables sur le territoire. Nous lançons un appel à l’écoute et à la bienveillance. Nous avons décidé de recourir à dix champions et un arbitre de tennis. Il s’agit de responsabiliser tous les acteurs du terrain, de promouvoir des valeurs, de les inscrire dans les règlements. Comme les règles ne sont pas partout pareilles, je lance le 31 mai un travail informel avec mes homologues européens sur la lutte contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme, le fair-play financier, l’équilibre entre sport professionnel et sport amateur, le streaming, le respect des espaces… Nous pourrons échanger pour préparer l’avenir.

Le 17 mai, j’ouvrirai le colloque sur l’homophobie dans le sport, avec des tables rondes, le matin, et, le soir, une présentation, à France Télévisions, d’un téléfilm d’un footballeur qui a fait parler le monde du sport et du football sur l’homophobie. Refusons le déni, ne détournons pas le regard. Ce serait encourager la passivité et accroître le danger.

 

Dans nos écoles, dans nos CREPS, à l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) et dans le réseau Grand INSEP, des modules de formation seront proposés à nos encadrants, nos formateurs. Il va sans dire qu’il en ira de même outre-mer. Nous devons être vigilants sur la sécurité nos jeunes. Notre responsabilité est de les encadrer et de les accompagner.

Mme Éricka Bareigts. Je vous remercie tout d’abord, madame la ministre, pour la qualité de votre intervention et pour votre pugnacité.

Je souhaite tout d’abord vous faire part de la vive inquiétude de nos partenaires du monde associatif, singulièrement à La Réunion. Malgré les ambitions de haut niveau et de réussite que vous exprimez à l’approche des Jeux Olympiques, ces associations sentent, sur le terrain, un recul en termes d’accompagnement. Je songe au budget du CNDS et au retrait des contrats aidés, véritables outils pour ces associations – sans eux, les bénévoles se sentent vraiment seuls face à la tâche. Pouvez-vous, madame la ministre, nous éclairer ?

Quant à cette fête du sport qui sera organisée demain pour la préparation des Jeux Olympiques, les associations souhaiteraient plus de partage avec les organisations locales. Elles éprouvent le sentiment d’une démarche un peu trop centralisatrice. Pouvez-vous, madame la ministre, nous rassurer ? Je crois que ce sont aujourd’hui 3 millions d’euros qui sont prévus, fléchés vers les collectivités. Les associations en auront-elles une part et comment pourront-elles être accompagnées ? Et les fêtes du sport qui existent au niveau local ne pourraient-elles perdurer ?

Deuxième point, sans répéter les propos de ma collègue Huguette Bello, je pense que le développement du sport-santé n’est possible qu’avec des structures de proximité, non pas seulement les structures innovantes que vous avez récompensées. Il y a ces structures de proximité – les « plateaux noirs », disons-nous –, ces structures de base, parfois à tel point « de base » qu’il peut y manquer l’essentiel, de l’éclairage à la sécurité. Lorsqu’elles ne sont pas sécurisées, les femmes, les jeunes filles ne viennent pas ; nous y retrouvons essentiellement des garçons et nous faisons fuir les jeunes filles. Vous avez parlé du CNDS, mais quid du FEI ? Ma collègue George Pau-Langevin et moi-même y avions recouru. Qu’en est-il donc de la mobilisation du FEI pour continuer ces efforts ?

Enfin, nous sommes tous d’accord sur la mobilité : nos jeunes gens et nos jeunes filles ne peuvent réussir sans possibilité de se confronter à d’autres sportifs. Or, avec un billet par an, ce n’est pas possible. Certes, il y a le FEBECS, dont il est possible, à la suite de la loi de programmation relative à l’égalité réelle des outre-mer, de bénéficier pour des échanges avec les pays de la zone, mais pouvez-vous nous dire ce qu’il en est sur le plan budgétaire ? Cela dit, nous avons une compagnie nationale liée par une convention passée avec l’État sur l’organisation de la mobilité entre les territoires ultramarins et l’Hexagone. Ne pourrions-nous ouvrir des discussions pour en faire évoluer et en compléter les termes ?

Quant au devenir des professionnels de haut niveau, lorsque ces jeunes ultramarins qui, avec leurs familles, font tellement d’efforts, souhaitent revenir dans leur territoire pour y occuper des fonctions dans le secteur public ou le secteur privé, ils rencontrent de véritables difficultés. Ne pourrions-nous nous pencher sur la question et organiser le retour de ces sportifs qui sont un exemple pour ceux qui sont un peu plus jeunes ? Il s’agirait de leur permettre une insertion professionnelle à la hauteur des efforts qu’eux-mêmes et leurs familles ont pu faire pour qu’ils atteignent ce niveau d’excellence.

M. Max Mathiasin. Madame la ministre, je renouvelle mes félicitations habituelles ! Vous êtes pugnace. Nous savons à quel point vous avez fait montre, alors que vous-même étiez une sportive professionnelle, d’une volonté de ne jamais lâcher. Je vous en félicite une nouvelle fois. Vous avez fait notre fierté.

En ce qui concerne le déplacement des sportifs, je voudrais suggérer quelques pistes qui se résumeront en quelques chiffres. Le montant de la dotation pour la continuité territoriale s’est élevé, globalement, à 186 999 159 euros pour l’État au cours des deux dernières années. Le montant de la continuité territoriale outre-mer s’est élevé à 41 millions d’euros pour 2014, soit 7 euros par habitant – nous sommes environ 5 millions d’habitants. La Corse reçoit pour sa part 623 euros par habitant. Et, dans le cadre du Grand Paris, on peut parler d’un montant de 5 800 euros par habitant. Battons-nous donc ensemble, madame la ministre, pour obtenir un peu plus de continuité territoriale, cela facilitera les déplacements de nos sportifs.

Tout le monde était content que la Coupe Davis se tienne à Baie-Mahault. On s’est dit qu’on pouvait mettre en place des grands équipements structurants pour les outre-mer – je ne pense pas seulement à la Guadeloupe. Le plan Kanner prévoyait 80 millions d’euros sur quatre ans, soit 20 millions d’euros par an pour la remise à niveau des équipements existants et la création de nouveaux équipements, mais voici que le montant alloué aux équipements outre-mer au sein du budget du CNDS passe de 10 millions d’euros à 7 millions d’euros. Ces 7 millions d’euros pourraient-ils devenir 14 millions d’euros avec le concours de l’AFD, des régions, etc. ? Avez-vous déjà entamé des démarches ?

Je vous donnerai, pour terminer, une piste qui concerne le sport-santé. Il y a en Guadeloupe un médecin cardiologue, mon ami le docteur André Attalah, qui a déjà fait des efforts considérables en la matière. Il pourrait vous être utile de prendre contact avec lui, madame la ministre.

Mme la ministre. Monsieur Mathiasin, lors de notre déplacement en Guadeloupe, nous étions en contact avec le docteur Attalah, mais nous sommes aussi en étroite relation avec le professeur Eustase Janky, puisque nous avons à cœur de travailler non seulement sur le sport-santé outre-mer, mais aussi sur le sport à l’université, et avec les États-Unis et le territoire panaméricain. Lorsque vous évoquez la continuité territoriale, c’est au cœur de notre travail. De même, la mobilité est un vecteur qui permettra plus de sorties, mais nous pouvons aussi recevoir, pour des confrontations intra muros, pour que des Colombiens, des Cubains, des Américains viennent. Il faut organiser de grands événements et valoriser le territoire. Nous avons d’ailleurs rencontré le président d’Air France pour mener une réflexion sur sport, hautes performances et outre-mer. Pour valoriser l’outre-mer, nous avons des champions, nous pouvons aussi travailler sur « tourisme et sport », c’est une belle carte de visite.

Quant au plan d’investissement, il y a une solidarité gouvernementale, mais nous avons décidé d’affirmer le travail sur l’outre-mer, de lancer des appels à manifestation d’intérêt pour structurer ces offres. Quels outils pour assurer la pérennité alors que les structures ne peuvent pas forcément résister aux tremblements de terre ou aux cyclones ? Nous avons donc demandé à travailler avec des experts, des architectes, l’AFD, nous voulons aussi un retour des territoires vers le ministère pour structurer notre vision. Soyons tous opérateurs. J’attends beaucoup, effectivement, de ce plan de gouvernance, parce que tous les acteurs sont représentés.

Et il n’est pas acceptable que les sportifs qui reviennent dans les outre-mer ne puissent espérer d’insertion. Aussi avons-nous décidé de lancer une fondation consacrée à l’accompagnement du sportif, pendant et après. Cela passe aussi par la mobilité. Encore faut-il un projet professionnel. C’est pourquoi nous travaillons sur un triple projet : projet sportif, projet professionnel, projet républicain.

Au niveau des formations, nous avons introduit des aménagements appropriés des scolarités au collège et au lycée, avec des dérogations et des adaptations pour nos sportifs outre-mer. Existent aussi des aides à l’insertion professionnelle, avec trois types de convention : conventions d’aménagement d’emploi (CAE) ; conventions d’insertion professionnelle (CIP) ; contrats de travail, contrats d’image. Je vous engage à vous adresser au ministère pour obtenir toutes les informations afin de pouvoir accompagner le sportif, l’aider à une planification en vue du cap de 2024-2025, avec un triple projet.

Quant au dispositif de retraite des sportifs, il doit être retravaillé. Peut-être faudrait-il que nous y réfléchissions ensemble.

Tous ces dispositifs existent déjà. Il faut les valoriser.

Quant à la sécurité et au développement de la pratique au féminin, à travers le CNDS, nous avons un objectif clair d’accompagnement. Nous avons lancé au mois de septembre dernier, le premier comité permanent du développement du sport féminin, qui travaille sur quatre thématiques : la médiatisation du sport au féminin ; la pratique au féminin ; l’économie au féminin ; la gouvernance et l’encadrement au féminin. Nous avons voulu y réunir plusieurs acteurs de terrain : le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ; les grandes fédérations ; les collectivités ; des champions ; le monde économique. Une co‑construction avec tous ces acteurs est nécessaire, il ne suffit pas de décréter que c’est du devoir de l’État. Il faut une réflexion ambitieuse, y compris avec le monde économique, une démarche stratégique, avec un projet, pour que le monde économique aide à ces transformations. Et je vous rejoins : les problèmes de sécurité freinent la pratique dans les outre-mer.

Quant au FEI, je ne sais pas ce qu’il en est du ministère des outre-mer mais, pour notre part, nous nous sommes positionnés clairement, et nous avons lancé ce plan de rénovation pour Saint-Martin, avec 500 000 euros dédiés à la rénovation des infrastructures de proximité pour que cette jeunesse saint‑martinoise puisse retrouver ses pistes de jeu.

La fête du sport, pour tout vous dire, à l’instar de la fête de la musique, c’est un positionnement. Les fédérations nous disent, c’est un paradoxe, qu’elles ont des infrastructures, mais ne comptent plus autant de pratiquants. Et les pratiquants nous disent vouloir pratiquer différemment. Il s’agit donc de permettre à ces deux mondes de se retrouver en un endroit, le territoire français ultramarin. Les clubs seront dans les rues, pas dans les gymnases mais sur les places, dans les savanes, dans les villes, sur les plages. Le but est de rétablir échange et communication entre ces mondes qui ne se parlent plus. Il s’agit aussi de donner la possibilité aux clubs de présenter une offre de pratiques accessibles aux personnes en situation de handicap qui ignorent parfois qu’elles sont possibles où elles‑mêmes vivent. Souvent, on ne connaît pas son quartier, on ne sait pas qu’il s’y trouve un club de tir ou de natation.

Pourquoi une fête du sport ? Parce que c’est un événement festif par définition, dont chacun se rappellera. En ces temps difficiles, il faut redonner le sourire, y compris aux personnes éloignées de la pratique sportive. Cette fête leur permettra, dans un climat de communion, d’oser essayer de nouveaux équipements – un trampoline installé devant une église par exemple. Les clubs ont besoin de nouveaux pratiquants. Les Jeux olympiques et paralympiques sont destinés aux sportifs de haut niveau mais la fête du sport, elle, s’adresse aux pratiquants actifs ou potentiels. C’est une fête populaire dans laquelle chacun pourra se retrouver.

Nous avons décidé, à cette occasion, de réserver des crédits pour accompagner les projets de toutes les associations – petites, grandes, de quartier. Pour valoriser cette fête, il nous fallait un outil adapté : nous avons donc mis au point une plateforme sur le modèle de celle qu’a créée le ministère de la culture pour les Journées du patrimoine. Les associations et collectivités pourront y déposer leurs projets afin qu’ils soient cartographiés, en métropole, en outre-mer et aussi, sur le plan bilatéral, dans nos ambassades au Royaume-Uni, en Allemagne, au Maroc et en Corée du Sud, pays qui feront un clin d’œil à notre fête du sport. Ce sera l’occasion de parler de sports, de les découvrir, de s’y initier. Les territoires organiseront des colloques sur des sujets de leur choix pour ménager un temps de réflexion et d’information. Autre nouveauté : un festival du film et du documentaire sportif, organisé à Paris et en accès gratuit, servira à développer le goût de la pratique sportive.

Le site du CNDS comporte de nombreux renseignements utiles sur cette plateforme, y compris des exemples d’initiatives qui peuvent inspirer d’autres collectivités. Si nous avons choisi d’organiser cette fête du sport du 21 au 23 septembre, c’est parce que c’est l’époque des inscriptions en clubs et en associations. Il existait déjà à ce moment-là de nombreuses fêtes individuelles et nous avons voulu créer une fête nationale où, partout sur le territoire, seront arborées les mêmes couleurs : les kakémonos seront fournis et chacun bénéficiera d’une même visibilité. Nous montrerons ainsi que le monde du sport est une entité et qu’il transforme le pays, notamment en vue d’atteindre l’objectif de trois millions de pratiquants supplémentaires pour mettre la France en mouvement.

Enfin, j’entends les inquiétudes du monde associatif au sujet des emplois aidés. Cela étant, nous pouvons mieux les accompagner grâce aux emplois Sésame, aux emplois sportifs qualifiés et au service civique, et je souhaite favoriser les formations qualifiantes. Tous ces mécanismes ont pour objet d’accompagner les jeunes et d’orienter leurs compétences en direction des métiers du sport et de l’animation sportive. Le service civique a pris de l’épaisseur et les jeunes qui l’effectuent sont autant d’ambassadeurs susceptibles de transformer les clubs. Quant aux contrats aidés, ils n’ont pas disparu puisqu’il en reste tout de même 200 000 dans le secteur du sport, même s’ils ont été orientés vers les clubs des quartiers prioritaires et autres petits clubs qui ont besoin d’un réel soutien. Cela étant, je le répète, notre objectif est d’encourager les formations diplômantes.

M. Stéphane Claireaux. Comme les autres outre-mer, l’archipel de Saint‑Pierre-et-Miquelon est aussi une terre de sports en dépit de sa population modeste de 6 000 habitants. L’offre sportive y est très diversifiée et plus de 44 % de la population est licenciée, soit le double de la moyenne métropolitaine. C’est à Saint-Pierre-et-Miquelon que se trouve le plus ancien club de football encore en exercice, l’Association sportive de Saint-Pierre (ASSP), créée en 1903. Le territoire possède des infrastructures sportives nombreuses mais vieillissantes, ce qui ne l’empêche pas de briller au plus haut niveau : au cours des deux dernières semaines, Bénédicte Siosse a été sacrée championne de France senior élite de taekwondo, Florent Gaudy a gagné le championnat de France universitaire de judo par équipe et décroché la troisième place en individuel, et Quentin Kello a remporté le championnat de division 1 de hockey sur glace avec son équipe d’Anglet.

De tels résultats exigent une grande détermination et ne sont obtenus qu’au prix d’un parcours du combattant et de multiples sacrifices, notamment familiaux ; nombreux sont les jeunes que le déracinement peut décourager. Ces résultats sont la preuve de la qualité de l’enseignement dispensé dans les associations et clubs sportifs locaux qui, pourtant, souffrent de carences importantes en matière de compétitions, en raison du coût des déplacements et de tracasseries administratives liées aux assurances qui ne couvrent pas les séjours au Canada, où se déroulent la plupart des compétitions ; dans certains cas, il même nécessaire de posséder des doubles licences ou des doubles diplômes pour affronter les équipes canadiennes.

Vous avez fait part de votre souhait de signer des conventions bilatérales, notamment avec le Canada. En quoi consisteraient-elles précisément ? Ensuite, pour éviter le déracinement trop précoce de nos espoirs sportifs, ne convient-il pas de développer des pôles d’excellence et des filières sports-études dans les outre-mer ? Saint-Pierre-et-Miquelon a déjà un projet en ce sens en matière de hockey sur glace. Enfin, je partage l’inquiétude de Mme Bareigts au sujet des contrats aidés, piliers du développement des activités sportives et du soutien aux bénévoles.

Mme Sandrine Josso. Ma question porte sur le lien entre sport et entreprise, encore peu évoqué jusqu’ici, alors que les Jeux mondiaux du sport d’entreprise auront prochainement lieu en France. Selon vous, le sport entre-t-il suffisamment dans l’entreprise en outre-mer ?

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. En outre-mer en général et en Guadeloupe en particulier, madame la ministre, ce n’est plus un plan d’investissement qui s’impose mais un véritable plan de rattrapage – un plan Marshall, en somme. La Guadeloupe ne possède qu’une seule piscine opérationnelle et très peu de stades municipaux aux normes. Cela ne nous empêche pourtant pas de produire de très nombreux champions.

D’autre part, je suis en lien très étroit avec la ligue de handball de Guadeloupe : savez-vous qu’elle est souvent contrainte de refuser les dotations nationales en matériel qui lui sont accordées parce qu’elle n’a pas les moyens de couvrir les frais d’approche et de transport ?

Enfin, en tant que professionnelle de santé, je suis consciente de l’importance des maisons sport-santé mais comment seront-elles financées ? En 2014, nous avons eu les plus grandes difficultés à financer l’installation des maisons médicales de santé pourtant inscrites dans la loi. Qu’en sera-t-il des maisons sport-santé ?

M. Pierre-Alain Raphan. Comment s’articule votre action, madame la ministre, avec celle de vos deux collègues chargés de l’outre-mer et de la cohésion des territoires, notamment pour les quartiers relevant de la politique de la ville outre-mer ? Est-il envisagé de créer des emplois sportifs et de réserver des crédits en faveur de ces territoires les plus retirés ?

Mme la ministre. Le lien entre le sport et l’entreprise est au cœur de notre réflexion. Pour augmenter d’un quart de point la contribution du sport au PIB, il est indispensable de travailler avec les acteurs économiques. Certaines entreprises utilisent déjà cet outil, y compris dans le cadre des dispositions législatives relatives à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), pour rassembler les membres de leur personnel, mais ce ne sont encore que des cas isolés. Nous voulons, au contraire, établir une stratégie sport-santé structurée avec la Fédération française du sport d’entreprise (FFSE). Nous dialoguons également avec la ministre du travail pour prendre les dispositions législatives nécessaires afin d’éviter tout conflit d’intérêts et d’empêcher que la valorisation de la pratique sportive en entreprise soit assimilée à un avantage en nature.

Quoi qu’il en soit, le phénomène de valorisation des activités physiques et culturelles – chant, poterie, yoga et ainsi de suite – dans l’entreprise est réel. Nous souhaitons structurer cette offre afin que les petites entreprises puissent elles aussi exercer cette bienveillance à l’égard de leur personnel. Pour ce faire, nous entendons nous appuyer sur des exemples existants de réussite ; c’est un défi collectif. C’est pourquoi nous avons demandé aux acteurs économiques de prendre leur part du chantier de la gouvernance du sport. Jusqu’à présent, ils se contentaient d’un rôle de soutien ou de mécénat ; nous voulons leur confier un rôle de co-construction de la politique du sport dans l’entreprise. Je ferai des annonces en ce sens vendredi.

S’agissant du sport-santé, nous avons d’emblée entrepris d’associer le ministère des sports et celui de la santé. Comme nous le rappelait Mme Buzyn hier, il faut se garder de tout effet d’annonce : malgré un démarrage difficile, l’objectif à atteindre est celui d’un modèle économique viable. Nous avons donc réalisé un tour de France de l’innovation sportive pour cartographier et, à terme, labelliser les innombrables projets de sport-santé émanant d’associations, de fédérations ou de maisons de quartier, selon une stratégie commune d’efficience reposant sur le principe de l’autofinancement et de l’accompagnement par les agences régionales de santé (ARS) et par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), chacun devant pouvoir se retrouver dans son projet. Parallèlement, nous devons mener une réflexion avec les mutuelles, car si ces projets relèvent bien de la prévention, il s’agit aussi de financer la santé de chacun. Tous ces acteurs sont impliqués, mais j’entends les inquiétudes que vous relayez, madame Vainqueur-Christophe, et nous serons très attentifs au démarrage des maisons sport-santé. En attendant, il faut prendre des mesures concrètes, car trois millions de personnes souffrent de diabète et dix millions d’affections de longue durée. Or, les associations et les fédérations travaillent déjà sur des programmes de sport-santé ; citons par exemple le programme Rebond, à Marseille – un programme d’oncologie et de coaching très performant qui aide des personnes ayant reçu une greffe de moelle épinière à structurer leur convalescence – ou encore, à Caen, un programme destiné aux personnes souffrant de maladies psychiatriques. Le handicap plonge souvent les personnes qui en souffrent dans le désespoir et pourtant, il y a quelques semaines, l’équipe de France paralympique a ramené vingt médailles de Pyeongchang. La performance, c’est faire mieux qu’hier. C’est avec tous ces outils et tous ces acteurs que nous voulons transformer la société ; de ce point de vue, le programme sport-santé est stratégique. Les résultats devront être évalués, y compris sous l’angle de l’efficience des programmes.

Je prends note de la question des frais d’approche, madame Vainqueur-Christophe. Nous avons rencontré les instances du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) à la Martinique, qui, avec d’autres acteurs comme Business France, envisagent la mise au point de programmes sportifs à l’échelle territoriale, par exemple pour valoriser la pratique sportive à la Martinique en accompagnant les sportifs de haut niveau, notamment leur réinsertion dans la société. Nous devons aussi mobiliser les acteurs économiques pour financer la haute performance sportive sur les territoires.

Pour valoriser la pratique sportive à Saint-Pierre-et-Miquelon, monsieur Claireaux, votre territoire disposera d’un conseiller technique sportif (CTS) supplémentaire, qui contribuera au déploiement du programme sport-santé et à la lutte contre les discriminations. Les conventions bilatérales reposent généralement sur cinq orientations : le sport-santé, la recherche, l’encadrement, l’emploi et la haute performance. Il se trouve que je pars justement en fin de semaine au Québec, où j’aurai avec nos interlocuteurs canadiens des échanges sur plusieurs thématiques : les commotions cérébrales, tout d’abord – nous pourrons nous inspirer du précieux retour d’expérience du Canada dans les domaines du rugby, du hockey, de la boxe et des MMA – mais aussi les compétitions, de sorte que Saint-Pierre-et-Miquelon et les départements de la Caraïbe puissent participer à des échanges de formateurs, à des stages de jeunes et à des programmes d’entraînement d’élite. Les conventions bilatérales doivent répondre aux besoins et aux ambitions des deux parties, et nous en suivrons l’élaboration de près.

J’en viens enfin à la cohésion des territoires, monsieur Raphan, qui a fait d’emblée l’objet d’un travail interministériel. Nous avons élaboré un plan « 100 % sport » dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville – dans le cadre du plan Borloo – qui comprend une vingtaine de préconisations sur la formation, sur les infrastructures mais aussi sur l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), dont les projets de rénovation englobent encore trop peu les infrastructures sportives.

Tous ces éléments seront repris et structurés dans le projet de loi sur le sport et la société qui vous sera présenté en 2019.

Mme Maud Petit. Comment les fédérations peuvent-elles contribuer à mettre en œuvre votre magnifique et ambitieux projet ? Qu’en est-il de l’inclusion des sportifs handicapés ? Enfin, s’agissant de discriminations territoriales, la Guyane – le plus grand département de France – manque cruellement d’infrastructures : comment amener le sport aux populations de ces territoires qui, souvent, ne peuvent pas elles-mêmes se déplacer jusqu’aux infrastructures ?

Mme Nathalie Bassire. On ne saurait rester insensible au discours que vous tenez, madame la ministre, sur le sport pour tous, même outre-mer, où les sportifs de haut niveau ont parfois plus de difficultés à s’entraîner.

Je suis particulièrement attentive aux modalités de mise en œuvre de votre stratégie de sport-santé et de sport-bien-être dans les quartiers prioritaires, en lien avec les collectivités, les fédérations, mais aussi les associations, qui manquent d’éducateurs et de financements, notamment pour assurer la prise en charge et l’accompagnement de personnes handicapées – enfants, jeunes ou adultes. Je pense aussi aux jeunes sportifs talentueux des quartiers prioritaires de la politique de la ville : vous avez rappelé combien la pratique sportive est essentielle à leur insertion sociale et professionnelle. C’est un sujet dont vous ne pourrez pas faire l’économie lors des Assises des outre-mer.

J’en viens au sport-santé. Vous avez insisté sur les pathologies particulièrement répandues en outre-mer, comme l’obésité et le diabète. Je défendrai justement une proposition de loi pour faire de la lutte contre le diabète à La Réunion une grande cause nationale : mieux vaut prévenir que guérir, ne serait-ce que parce que les soins curatifs sont très coûteux.

Nous célébrons cette année le centenaire de la disparition d’un grand sportif ultramarin, un héros français : Roland Garros. Vous avez parlé de démocratisation du sport, madame la ministre – en l’occurrence, le tennis. L’icône du sport que vous êtes envisage-t-elle de célébrer ce centenaire ?

Mme Justine Benin. Votre programme est ambitieux, madame la ministre, mais je vous sais capable de relever les défis et je ne doute pas de votre succès. 

Puisque vous avez déjà abordé de nombreux points, permettez-moi de vous interroger sur la natation. Les Jeux de l’Association de libre-échange de la Caraïbe – Caribbean Free Trade Association (CARIFTA) – se sont déroulés il y a quelques jours en Jamaïque : les ligues de natation de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane ont dû lutter pour que l’ensemble de leurs nageurs puissent s’y rendre, en raison de difficultés de transport notamment, car aucune compagnie aérienne ne voulait affréter un vol pour emmener ces jeunes en Jamaïque sans passer par Saint-Martin ou ailleurs. Il a fallu batailler durement. Je suis ravie que vous ayez rencontré le président d’Air France : j’ai moi-même dû contacter la présidence de cette compagnie pour qu’elle puisse enfin affréter un vol charter afin que les nageurs de nos trois territoires se rendent en Jamaïque. Or, dans cette compétition à laquelle participaient dix-huit nations, l’équipe de Guadeloupe a récolté 65 médailles et s’est classée deuxième, devant le pays hôte !

Mme Maud Petit. Bravo !

Mme Justine Benin. Je sais que vous avez adressé une lettre de félicitations aux ligues de natation de la Martinique et de la Guadeloupe, madame la ministre. Compte tenu des résultats obtenus par les nageurs français aux Jeux olympiques, les règles ont désormais changé : à compte de l’année prochaine, le CREPS Antilles-Guyane sera remplacé par un centre de formation et d’accession qui n’accueillera plus que dix jeunes au lieu de vingt-cinq. Je m’en félicite, puisque vous avez l’ambition de faire naître une élite de nageurs. Cependant, comme l’a rappelé madame Vainqueur-Christophe, la Guadeloupe ne possède pas de bassin olympique digne de ce nom et à chaque tournoi, les nageurs doivent se rendre à la Martinique, à Trinité-et-Tobago ou ailleurs. Hier, Mme Josette Borel-Lincertin a réitéré sa proposition au ministère des outre-mer : le conseil départemental de la Guadeloupe est prêt à mettre une partie de son patrimoine foncier pour construire un bassin olympique.

Mme la ministre. Cette proposition sera examinée dans le cadre de notre réflexion sur la gouvernance du sport.

Mme Justine Benin. Je vous fais donc confiance pour dialoguer avec elle ainsi qu’avec le président du conseil régional.

Par ailleurs, la ligue de natation de Guadeloupe doit prochainement se rendre à Barranquilla, en Colombie, et souhaite éviter toute difficulté d’acheminement, tant il est difficile pour nos athlètes de se rendre dans les autres territoires caraïbes et américains. C’est en participant à ces manifestations sportives que nos jeunes peuvent se qualifier pour les Jeux Olympiques. Or, nous avons de nombreux talents, en natation comme dans toutes les autres disciplines sportives. Mieux vaut donc ne pas gaspiller leur énergie à régler des questions de transport.

M. le président Olivier Serva. Avant de donner la parole au vice-président de la délégation, M. Nilor, je tiens à insister sur la notion de sport-santé, déjà abondamment évoquée, qui vous préoccupe tout autant que nous, madame la ministre. C’est pourquoi M. Nilor souhaite soumettre à la délégation une proposition à laquelle je suis favorable.

M. Jean-Philippe Nilor. J’ai beaucoup de respect pour la championne que vous êtes, madame la ministre, et je vous souhaite bien du courage parce que la carrière politique est à certains égards plus difficile encore : elle offre des joies et des satisfactions lorsque l’on se donne les moyens d’obtenir des résultats, mais on y prend aussi des coups et il faut savoir accepter les défaites.

Les territoires ultramarins sont considérés comme des terres de champions et, pourtant, sont les parents pauvres du sport français en termes d’infrastructures, d’équipements, de moyens financiers et humains ou encore de formation professionnelle. Hélas, force est de constater que les bénévoles des associations sont usés, découragés : ils font de leur mieux sans valorisation aucune, et les associations sont de plus en plus livrées à elles-mêmes.

L’enjeu de la socialisation des jeunes est pourtant considérable : le sport est l’un des remèdes au développement des conduites addictives parmi les enfants. Le défi à relever – la partie que vous devrez remporter, si j’ose dire – consistera, dans tous les outre-mer, à sortir les jeunes des abribus, à les encourager à la pratique sportive, à les amener à l’encadrement. La montée en gamme peut être progressive, commençant par des certificats de qualification professionnelle (CQP) pour atteindre des niveaux élevés d’encadrement. Le potentiel et l’intelligence existent ; reste à nous donner les moyens de gagner ce match capital.

Les collectivités font ce qu’elles peuvent avec les moyens dont elles disposent. Outre la disparition des emplois aidés, la suppression de la réserve parlementaire porte aussi un coup à nos territoires car les élus de tous bords aidaient les associations sportives et culturelles. Or, les associations ne récupèreront pas ces crédits perdus, du moins pas directement – car ce qui entre dans les caisses de l’État en ressort beaucoup plus difficilement ; Bercy veille.

L’État et les collectivités n’ont plus de moyens financiers, nous dit-on. Cette absence de moyens me semble contradictoire avec la volonté affichée de bloquer l’adhésion de certaines ligues ultramarines à des fédérations internationales. Leur adhésion à la Fédération internationale de football association (FIFA), par exemple, pourrait rapporter 2,5 millions d’euros par an. Nos voisins bénéficient de l’ensemble des moyens accordés par la FIFA en matière de développement du football féminin, du football des jeunes ou encore du transport des délégations lors des compétitions organisées par la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF). À la baisse des ressources accordées par l’État s’ajoute le manque à gagner découlant de la non-adhésion à la FIFA.

Mme la ministre. Elle n’est pas le fait de l’État, mais des fédérations. Depuis dix mois, nous avons mis en œuvre une stratégie d’optimisation de la formation visant à valoriser l’emploi et à orienter les compétences des jeunes en direction des métiers du sport. Nous nous sommes employés, avec Mme Pénicaud, à valoriser le travail des bénévoles au moyen d’une formation diplômante, et ce dans la perspective des Jeux de 2024 pour lesquels plus de 60 000 bénévoles devront être recrutés. Les stages et les formations serviront à relancer l’emploi des bénévoles, qui donnent tant au mouvement sportif.

D’autre part, je vous informe qu’un accord tripartite a été signé entre la FIFA, la CONCACAF et les ligues d’outre-mer. Les ligues de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane percevront désormais quelque 245 000 euros par an jusqu’en 2019 avec effet rétroactif pour 2017, Saint-Martin bénéficiant d’une aide de 100 000 dollars. Vous avez donc eu raison de nous faire confiance, monsieur Nilor !

 Enfin, l’État ne souhaite pas se désengager mais il faut tenir compte de la réalité. Nous devons transformer les cœurs de métier. Les collectivités consentent un important effort financier en faveur des infrastructures, et les départements en faveur de la santé. En dix mois, j’ai pris conscience que chacun travaille en silo, sans aucune co-construction. Or, l’envie de travailler ensemble existe ; c’est pourquoi j’ai lancé la concertation qui prend la forme de six séminaires. Nous sommes à mi-parcours et le consensus se dessine entre tous les acteurs –AMF, ADF, Régions de France, France Urbaine – autour d’un nouveau modèle sportif. Cessons de compartimenter notre action et constituons un pot commun tout en assouplissant l’autonomie de chacun et dans le respect de l’identité de chacun. Cette co-construction doit notamment permettre de valoriser la pratique sportive des personnes handicapées. La moitié des 34 millions de pratiquants sont des licenciés et, parmi eux, 90 000 sont en situation de handicap. Il faut donc leur proposer une offre sportive sur tous les territoires. C’est un chantier ambitieux mais nous le réaliserons ensemble, car je pars du principe qu’ensemble, nous pouvons aller loin. Ménageons notre monture, entendons-nous mieux, et définissons des stratégies pour mieux partager l’argent nécessaire, qui existe. C’est ainsi que nous pourrons structurer l’offre destinée aux personnes handicapées, ou encore aux femmes qui ont peur de pratiquer en soirée.

M. Jean-Philippe Nilor. Vous avez gagné, madame la ministre : vous m’avez privé de ballon ! (Sourires)

Mme la ministre. Cessons, au cours des prochains mois, de vouloir protéger tel ou tel territoire plutôt qu’un autre : nous sommes tous français et nous réussirons. Si je suis ravie de m’exprimer devant la délégation aux outre-mer aujourd’hui, c’est parce que les territoires ultramarins regorgent de réussites qu’il faut étendre à l’ensemble du territoire national. Je connais votre territoire, monsieur le député : nous avons tout à gagner à travailler ensemble !

Un dernier mot sur Roland Garros : une réflexion sera engagée et vous y serez associée, madame Bassire.

M. le président Olivier Serva. Permettez-moi, puisque le temps presse, de soumettre à la délégation la proposition de M. Nilor, à laquelle je souscris : nous souhaitons que la délégation produise un certain nombre de rapports, l’un d’entre eux pouvant opportunément porter sur le sport et la santé. Pour respecter l’équilibre entre majorité et opposition, M. Nilor et Mme Petit acceptent d’être corapporteurs sur ce sujet ; en l’absence d’opposition, il en est ainsi décidé.

Il me reste à vous remercier pour cet éclairage très précis, madame la ministre. Le peuple français ne s’est pas trompé en vous désignant comme sa ministre préférée : nous avons pu constater votre compétence, votre pragmatisme et votre vision, que vous formulez avec classe et enthousiasme. Vous nous rendez fiers d’être ultramarins et fiers d’être français !

IV.   Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

(Séance du 24 mai 2018)

M. le président Olivier Serva. Madame la ministre du travail, et vous remercie et je me réjouis avec mes collègues de la délégation d’outre-mer de votre participation nos travaux de ce matin. Vous êtes la ministre perçue, évaluée et reconnue comme la plus efficace : un gouvernement, c’est un collectif, mais celui-ci compte quelques personnalités dont vous faites indéniablement partie, de par votre expérience, mais aussi de par les réformes que vous avez déjà fait passer et celles que vous ferez passer.

Je ne doute pas qu’aujourd’hui, nous allons avoir un échange tout à fait fructueux, d’autant plus que la délégation aux outre-mer a souhaité qu’un rapport soit préparé par des co-rapporteurs sur la formation professionnelle. J’imagine qu’Ericka Bareigts sera notre éclaireur pour échanger avec vous.

Comme vous le savez, la délégation a décidé de se saisir pour avis du projet de loi que vous présentez au nom du Gouvernement, en se concentrant sur les dispositions de ce projet qui réforment la formation professionnelle. Les enjeux particuliers de la formation professionnelle dans les outre-mer expliquent suffisamment cette décision : le sujet concerne d’ailleurs tous les outre-mer, même les collectivités pour lesquelles la formation professionnelle est une compétence propre et qui ne sont donc pas directement touchées par le projet de loi.

Permettez-moi de rappeler brièvement quelques-uns de ces enjeux.

Je voudrais d’abord insister sur le problème récurrent que pose l’écart du niveau de formation initiale scolaire entre les outre-mer et l’Hexagone. L’illettrisme demeure une difficulté grave pour nos territoires, le niveau moyen de formation y est globalement beaucoup plus faible, avec de grandes disparités ; à l’inverse, celles et ceux de nos jeunes qui souhaitent entreprendre des études plus longues n’y trouvent pas nécessairement les filières correspondant à leurs aspirations et à leurs premières compétences. Aux difficultés inhérentes à tout apprentissage de connaissances nouvelles s’ajoute pour eux le choc du déracinement. Et le retour au pays n’est pas assuré.

Le chômage, notamment le chômage des jeunes, est plus élevé dans les outre-mer que dans l’Hexagone. La prépondérance des TPE/PME dans le tissu économique des outre-mer rend plus délicate qu’ailleurs l’adéquation des formations aux besoins des entreprises ; elle pose également des difficultés spécifiques à l’organisation de la formation professionnelle continue, dans la mesure où les branches professionnelles sont bien moins structurées que dans l’Hexagone.

Le Gouvernement s’est fixé comme objectif de développer l’accès à la formation et d’impliquer davantage les entreprises, dont c’est l’intérêt bien compris, dans les actions de formation professionnelle. Cet objectif, auquel je souscris, demande dans les outre-mer une attention particulière. Votre présence ce matin, madame la ministre, montre que vous partagez notre préoccupation. Je vous remercie de bien vouloir nous aider à mieux percevoir la déclinaison dans les outre-mer de la réforme à venir.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’accueillir au sein de votre délégation au lendemain de mon audition par la commission des affaires sociales sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Cette audition est pour moi l’occasion d’échanger de deux manières.

Tout d’abord, je peux vous présenter ce projet de loi, adopté en conseil des ministres le 27 avril et dont la discussion en commission des affaires sociales commencera le 29 mai.

Mais surtout, ce sera l’occasion d’échanger sur les moyens les plus efficients pour que la liberté de choisir son avenir professionnel soit une réalité dans les outre-mer, mais en allant au-delà de la loi, en examinant ce qui peut relever de la loi, du règlement, de la convention ou du plan d’action : le but est que nous construisions ensemble quelque chose d’efficace et d’adapté.

Nous partageons, vous l’avez dit, la même conviction : si nous voulons rendre effectives dans tous les territoires les transformations profondes proposées dans ce projet de loi en matière d’apprentissage et de formation professionnelle, en accord avec les réflexions menées dans le cadre des assises des outre-mer dont le Livre bleu sera finalisé fin juin, nous devons adopter une vision intégrée de tous ces sujets. Il nous faut trouver les voies et moyens les plus efficaces dans les outre-mer dans le cadre de la rénovation profonde de notre modèle social.

Ce projet de loi traduit un engagement fort de notre Président de la République ; c’est une réforme très attendue par nos concitoyens, en particulier dans les outre-mer. Déjà, en métropole, notre système actuel ne parvient pas à endiguer le chômage de masse ; or le taux de chômage est en moyenne deux fois plus élevé dans les outre-mer : 24 % en Guadeloupe, 22 % en Guyane et à La Réunion, 18 % en Martinique et 27 % à Mayotte. Nous sommes très au-dessus des moyennes nationales, elles-mêmes très élevées par rapport aux pays de l’OCDE et aux autres pays européens.

Chez les jeunes, la situation est une priorité absolue : quand le taux de chômage des jeunes atteint 40 % en Guadeloupe, ou 49 % à Mayotte, qui est certes le département le plus jeune de France, contre 18 % dans la France entière, ce qui est déjà énorme, on peut le qualifier de dramatique. C’est critique pour le développement économique, la lutte contre les inégalités et la cohésion sociale : comment parler de cohésion sociale quand la moitié de la jeunesse ne se projette pas dans l’avenir et n’a pas de perspectives ?

Notre système ne parvient pas non plus à protéger les plus vulnérables du manque ou de l’obsolescence des compétences. Dans la France entière, un ouvrier ou un employé a deux fois moins de chances d’aller en formation qu’un cadre, un salarié d’une TPE ou PME a deux fois moins de chances que celui d’une grande entreprise ; et pourtant il en a tout autant besoin, surtout avec les évolutions qui arrivent.

Mais en Guyane, à titre d’exemple, 44 % des demandeurs d’emploi n’ont pas de qualification, contre 21 % au niveau national, ce qui est déjà beaucoup. Le tissu économique des outre-mer est, plus encore qu’en métropole, constitué majoritairement de TPE et PME. De ce fait, on se retrouve dans un cercle vicieux : ces entreprises ne peuvent pas trouver les compétences dont elles ont besoin sur le marché du travail, pourtant nécessaires pour qu’elles grandissent et qu’elles réussissent, du coup, elles créent peu d’emplois et nous nous retrouvons avec des problèmes d’inclusion sociale et professionnelle importants.

Qui plus est, les outre-mer sont confrontés à une problématique particulière, souvent aggravée par « l’effet îlien » : comment retenir les jeunes qui réussissent ? Ceux qui ont une formation qualifiante sont nombreux à aller en métropole ou dans d’autres pays de la zone géographique, ce qui appauvrit d’autant le tissu de compétences nécessaires offert aux entreprises pour se développer, et donc créer des emplois. Et cela ne fait qu’exacerber l’enjeu démographique, puisque le vieillissement de la population est une réalité partout, sauf à Mayotte.

 

Nous devons donc travailler ensemble à des solutions concrètes, pour conforter le retour de la croissance en libérant les initiatives, mais aussi faire en sorte que cette croissance soit riche en emplois et inclusive. C’est tout l’objet du deuxième pôle de rénovation du modèle social que constitue ce projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. La transformation du droit du travail que nous avons réalisée ensemble à travers les ordonnances doit être complétée par ce projet de loi, qui est avant tout un projet de loi d’émancipation sociale individuelle et collective par le travail et par la formation. C’est aussi un moteur économique, puisqu’il faut les compétences, et un vecteur d’émancipation sociale.

C’est crucial, parce que nous avons un double besoin économique et social.

En premier lieu parce que partout dans le monde, nous évoluons très vite vers une société de la connaissance où la croissance est directement liée au niveau de compétence. La bataille mondiale des compétences induit un défi : celui de l’anticipation des besoins en la matière. Les évolutions technologiques majeures ont à peine commencé par rapport à ce que nous allons connaître dans les dix ans ou les vingt ans qui viennent ; l’enjeu des compétences va devenir crucial. On estime que 50 % des emplois seront profondément transformés dans les dix ans qui viennent, 10 à 15 % seront détruits et 10 à 20 % seront créés – évidemment, les chiffres seront faux à la fin, mais les ordres de grandeur seront justes.

Qui plus est, et il est essentiel de le comprendre, à la grande différence des révolutions technologiques que nous avons précédemment connues, qui n’affectaient qu’un secteur d’activité – le secteur industriel, par exemple –, ce sont tous les domaines et toutes les tailles d’entreprises qui sont concernés.

Prenons par exemple le domaine touristique, activité économique de premier plan dans plusieurs territoires d’outre-mer. Aujourd’hui, les réservations ne se font plus de la même façon, les services changent, les attentes des consommateurs aussi. On peut faire de l’e-commerce de n’importe où dans le monde en étant une TPE.

Pour la distribution, aujourd’hui, 20 % des achats se font en e-commerce. Cela change la distribution : nous avons maintenant besoin d’une industrie de la logistique et du transport plus forte pour distribuer les produits. Car l’économie dématérialisée est très matérielle : on achète dématérialisé, mais il faut bien produire et livrer, de façon plus importante qu’avant, et pas seulement en proximité.

Ces quelques exemples montrent bien que toutes les activités sont concernées, toutes les entreprises, les grandes comme les petites, tous les secteurs d’activité, y compris les services administratifs, qui eux aussi se dématérialisent, et tous les territoires.

 

La réussite des entreprises passe évidemment par l’engagement et la motivation des salariés, mais aussi par leur formation. Au regard du modèle de société dans lequel nous souhaitons tous vivre, la possibilité pour les jeunes, les salariés ou les demandeurs d’emploi, d’avoir leur mot à dire sur leur avenir professionnel a un effet libérateur en termes de créativité et de motivation. Lorsqu’on subit, on ne donne pas la même chose que lorsqu’on choisit. Là est le cœur du sujet : nous devons mettre le plus grand nombre de nos concitoyens en situation de choisir leur avenir professionnel.

Cela passe par la compétence, pour répondre aux évolutions technologiques que j’ai évoquées, mais aussi pour les protéger du chômage. Aujourd’hui, au niveau des cadres, il n’y a presque plus de chômage. Au niveau bac +2 et au-dessus, le taux tourne autour de 5 % pour la France entière. Pour les non-qualifiés, atteint 18 %. Et comme en outre-mer, la proportion de la population non-qualifiée est plus élevée, le risque est que l’écart s’agrandisse si nous n’investissons pas massivement dans la formation et les compétences, et si nous ne permettons pas à chacun de mieux choisir ce qui peut le concerner.

C’est un défi majeur, et c’est le cœur de ce projet de loi, qui ne porte pas que sur le sujet de la formation ; mais c’est dans ce secteur que nous pensons qu’il est nécessaire de mener la plus importante révolution.

Parallèlement à la loi, le plan d’investissement compétences permet d’agir immédiatement. L’objectif est de former un million de jeunes et un million de demandeurs d’emploi pour les cinq ans qui viennent, en partenariat avec les collectivités territoriales. Évidemment, nous surpondérons les outre-mer, mais surpondérer la partie financière est le plus facile ; ce qui est difficile, c’est de trouver les bonnes filières et les bons acteurs. La question n’est pas tant de trouver les problématiques et les opportunités. Pour prendre l’exemple de la Guadeloupe ‑ que le président me le pardonne, lui qui connaît un million de fois mieux le sujet ‑, j’ai compris que dans les filières nautiques, les filières du tourisme ou l’hôtellerie-restauration, nous en avions « sous le pied » ; mais nous n’avons pas les acteurs pour structurer une offre économique et une offre de formation. Il faut mobiliser les formations sur les choses utiles, qui peuvent aboutir à un emploi, mais souvent, l’emploi est à créer. Il faut donc articuler les politiques économiques et les politiques de formation.

Mais revenons-en au contenu du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il comporte soixante-six articles, répartis en trois titres qui couvrent six domaines. Le titre premier couvre l’apprentissage et la formation professionnelle ; le titre II, l’assurance chômage ; le titre III, l’inclusion des travailleurs handicapés, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, le travail détaché et une disposition sur la fonction publique. Tous ces titres partagent la même philosophie : choisir plutôt que subir, choisir son avenir.

Le projet de loi comporte des dispositions pour prendre en compte les spécificités de l’outre-mer, notamment dans ses articles 22 et 66. Cela n’exclut pas qu’il puisse y avoir d’autres choses à faire ; ce sera tout l’objet de nos débats.

L’article 22 remplace l’article L. 6523-5-3 du code du travail par une disposition transitoire relative au principe de l’application à Mayotte du déplafonnement progressif des rémunérations versées au titre des dernières années pour les employeurs de moins de vingt salariés. C’est une disposition assez technique, mais très attendue. Le projet renvoie à un décret, mais nous nous en donnons la possibilité législative.

L’article 66 prévoit les adaptations des dispositions de la loi aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution : Saint‑Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces dispositions feront l’objet d’une consultation des collectivités territoriales concernées. J’ai pu constater la situation en décembre à Saint-Martin, et un certain nombre de problèmes ont été réglés depuis par voie réglementaire.

Par ailleurs, concernant Mayotte, le III de l’article 23 prévoit la ratification de l’ordonnance du 25 octobre 2017 portant extension et adaptation de la partie législative du code du travail et de diverses dispositions sur le travail, l’emploi et la formation professionnelle.

Tout cela n’exclut pas qu’il y ait d’autres choses à faire, mais les engagements connus au moment de la préparation du projet de loi y sont d’ores et déjà retranscrits.

Ce projet de loi est marqué par trois grandes lignes directrices. La première consiste à créer de nouveaux droits pour les actifs tout au long de la vie, selon trois principes. Le premier de ces principes est que les nouveaux droits doivent être attachés à la personne, et non au statut. Au cours de sa vie professionnelle, on peut changer de statut : salarié à un moment donné, indépendant à un autre, micro-entrepreneur, fonctionnaire. Il faut que les droits et les sécurités soient attachés à la personne.

Deuxième principe, la protection active. Bien sûr, il faut des filets de sécurité financiers pour les plus vulnérables ; la solidarité est indispensable. Mais ce qu’attendent aussi beaucoup de nos concitoyens, et ils ont raison, c’est d’avoir les moyens de faire leurs choix, de s’émanciper. La meilleure protection contre le chômage, c’est la protection active, c’est la compétence.

Troisième principe : les droits individuels sont importants, mais ils doivent être garantis collectivement. Cet équilibre entre droits individuels et garantie collective traverse tout le texte.

La deuxième ligne directrice de ce texte est de permettre une croissance inclusive qui ne laisse personne sur le bord de chemin, en rétablissant l’égalité des chances. Il y a beaucoup d’inégalités dans notre pays. L’égalité est gravée au frontispice de toutes nos mairies, mais entre l’inégalité des territoires, l’inégalité sociale, l’inégalité de genre, etc., nous sommes loin du compte. C’est particulièrement vrai dans la formation, or la formation est le levier vers l’emploi.

La troisième ligne directrice, c’est de lever les verrous en tous genres : administratifs, financiers, réglementaires. Rien que pour Erasmus pro, c’est-à-dire Erasmus pour les apprentis, on a trouvé trente freins. Et bon nombre de gens qui se découragent quand ils ont trente obstacles à franchir. C’est une course de haies pour envoyer un jeune faire un séjour de quelques semaines ou de quelques mois dans un autre pays. Il y a toujours des pionniers courageux qui affrontent tout, mais on ne peut pas garder un système aussi corseté. Sur l’apprentissage et la formation, nous avons aussi beaucoup de freins à lever, et lever ces freins implique un changement de culture. Il faut rendre possible, et donner confiance.

S’agissant de la transformation de l’apprentissage, les données sont les suivantes : On ne compte que 420 000 apprentis sur la France entière, soit 7 % de nos jeunes. Tous les pays qui ont vaincu le chômage des jeunes comptent 15 % à 20 % des jeunes en apprentissage. L’apprentissage est une voie d’insertion très solide : sept jeunes sur dix trouvent un emploi. Or en Guadeloupe, seulement 2,8 % des jeunes sont apprentis, et seulement 1,6 % en Guyane. Et en Martinique et à La Réunion, ce pourcentage est également inférieur à la moyenne nationale. Autrement dit, non seulement les jeunes des outre-mer ont moins de formation, mais ils ont moins accès à l’apprentissage, qui est la voie vers l’emploi. Il est donc évident qu’il y a plus de chômage.

Il faut libérer l’offre d’apprentissage, et pour cela libérer partout l’offre de formation sur le territoire, inciter les entreprises à recruter en apprentissage et inciter les jeunes. En clair, le trio pour réussir l’apprentissage, c’est un jeune, une entreprise et un centre de formation d’apprentis. Il faut travailler sur les trois fronts pour que cela puisse se développer.

Libérer l’offre de formation d’apprentissage, et cela a une conséquence qui peut être importante pour les outre-mer, c’est permettre à tous les CFA de se développer sans demander d’autorisation administrative, et sans limite financière s’ils trouvent des jeunes et des entreprises.

Les meilleurs réseaux d’apprentis nous assurent qu’avec ce projet de loi, ils pourront doubler ou augmenter leur taille de 30 %, car il y a beaucoup de freins. Si tous les CFA, qu’ils soient publics dans les lycées professionnels, ou des chambres de métiers, ou des collectivités territoriales, n’ont plus besoin d’autorisation administrative pour élargir leurs sections, accueillir plus de jeunes, avoir les financements nécessaires, l’offre de formation sera plus large. Le système est bridé par une double contrainte : l’autorisation administrative et le financement. Nous entendons supprimer l’autorisation administrative délivrée par la région pour créer et développer un CFA, mais il y aura évidemment une procédure de certification pour garantir la qualité.

Nous voulons aussi mettre en place une garantie de financement très simple : à chaque fois qu’il y a un jeune et une entreprise qui passent un contrat d’apprentissage, le centre de formation d’apprentis doit être assuré qu’il a le financement pour la formation. Ce n’est pas du tout la situation actuelle, puisque le système de subventions qui passe par les conseils régionaux aboutit à un plafonnement : une fois la subvention reçue, le CFA n’a pas intérêt à accepter d’autres jeunes et d’autres entreprises, puisque la région ne lui accordera pas de moyens supplémentaires. Ou alors, il faut un budget rectificatif. Ce n’est pas souple. Vous ne pouvez pas demander à chaque région, pour chaque CFA, de voter des budgets rectificatifs chaque année en fonction du nombre d’apprentis.

Le système de financement au coût du contrat repose sur l’idée que chaque fois qu’il y a un jeune et une entreprise, le financement du CFA est garanti partout sur l’ensemble du territoire, avec une péréquation générale interbranches. Pour les branches plus dynamiques, par exemple l’artisanat, qui représente 200 000 des 400 000 apprentis, s’il en compte 300 000 demain, même si l’artisanat cotise proportionnellement moins, ça n’aura pas d’importance puisque la péréquation interbranches leur permettra d’avancer. C’est aussi une péréquation entre territoires ; si on arrive à développer l’offre, trouver des jeunes, des entreprises, et il faut faire tous les efforts pour cela dans l’outre-mer, il n’y aura pas de limitations financières pour développer les sections d’apprentissage. Nous pourrons le faire dans les lycées professionnels, dans les organismes consulaires ; et les collectivités territoriales elles aussi pourront créer des CFA, sans avoir besoin d’une dérogation.

Cela permettra aussi de mettre fin au phénomène d’évaporation de la taxe d’apprentissage. Un nombre significatif de régions, environ un tiers, n’utilise pas toute la taxe d’apprentissage pour l’apprentissage, et parfois de loin, notamment dans les outre-mer. Il n’y a là rien de répréhensible : c’est leur droit absolu, au regard des principes de la décentralisation. Mais à partir du moment où l’on dit : la priorité c’est les jeunes et l’avenir de la jeunesse, cela pose un problème. Avec le nouveau système, toute la taxe d’apprentissage ira à l’apprentissage. Ce qui permettra d’ailleurs, dans nos prévisions, de financer un développement de l’apprentissage significatif sans rajouter un euro de prélèvement obligatoire supplémentaire.

Ensuite, il faudra rationaliser les coûts de formation, ce que permettra le principe du coût au contrat. Il faut savoir, par exemple, que la subvention de la région pour un CAP de cuisinier – nous étions ensemble dans une école d’hôtellerie-restauration en Guadeloupe en décembre –, varie de 2 500 euros par apprenti à 14 000. On peut concevoir qu’il y ait des différences de prix, mais dans de telles proportions… Avec 2 500 euros, je ne pense pas que l’on puisse former un apprenti de manière satisfaisante à la cuisine. Maintenant, faut-il y mettre 14 000 euros ? Certes, je pense que l’apprentissage est le Harvard du futur, mais il y a quand même matière à rationaliser !

L’important, c’est l’aménagement du territoire. La différence selon les territoires est très grande, et nous savons qu’en zone rurale, ou dans des quartiers prioritaires de la ville, ou des zones enclavées, on n’arrivera pas à avoir des sections d’apprentissage suffisamment importantes pour que le coût au contrat suffise. Or, dans un territoire un peu enclavé ou lointain, où il n’y a pas beaucoup de transports en commun, il est peut-être préférable d’avoir des sections à dix apprentis plutôt que de les obliger, de façon très théorique, à faire cinquante kilomètres ou à être internes.

Il faut pouvoir préserver cette possibilité d’adaptation, en plus du coût au contrat. C’est pour cela que nous avons prévu d’attribuer aux régions une enveloppe de 250 millions d’euros, qu’elles pourront abonder. Mais le CFA n’aura pas à craindre de ne pas pouvoir monter sa section, il pourra avoir un complément lorsque cela sera nécessaire.

Les régions resteront les investisseurs en matière d’apprentissage, comme elles le sont pour les lycées professionnels : pour ce faire, elles reçoivent une fraction de la TICPE – taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques – et elles continueront de la recevoir à hauteur d’environ 200 millions d’euros. C’est ce qui leur permet de financer les investissements dans les centres de formation d’apprentis, et cela continuera ainsi, car il faut rester dans une logique territoriale. Cela permettra en plus de créer des campus communs dans lesquels des plateaux techniques pourront être utilisés par un lycée et un CFA.

Ces campus des métiers permettront de mutualiser les plateaux techniques, mais aussi de créer des passerelles. C’est une idée que nous partageons totalement avec le ministre de l’éducation nationale et la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation : si un jeune en a assez d’être sur les bancs de l’école à seize ans, pourquoi ne pourrait-il pas faire son CAP en apprentissage, mais après faire son baccalauréat professionnel en statut scolaire, refaire un BTS en apprentissage, partir faire un master étudiant en étant boursier ? La vision de deux mondes totalement différents, qui oppose le lycée et l’apprentissage, doit être dépassée. Quand, dans la France entière, il y a 1 300 000 jeunes qui ne sont ni en formation ni dans l’emploi, le problème n’est pas la concurrence, mais la mobilisation de tous les systèmes pour que beaucoup plus de jeunes puissent se projeter dans l’avenir.

Pour inciter les entreprises à recruter en apprentissage, nous allons énormément simplifier. L’enregistrement sera supprimé, il n’y aura qu’un dépôt des contrats. Quelques dispositions du droit du travail seront également simplifiées, ainsi que le dispositif des aides. Aujourd’hui, il y en a quatre : trois financées par l’État, dont deux distribuées par les régions, et un crédit d’impôt. Et l’on s’étonne que toutes les entreprises ne connaissent pas toutes les aides, et ne les utilisent pas… Nous allons donc faire un truc très simple : une seule aide pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés qui accueillent des apprentis au niveau CAP et bac pro. Elle sera distribuée par l’URSSAF : autrement dit, les entreprises n’auront pas à faire l’avance, elles seront remboursées automatiquement. C’est infiniment plus simple.

En ce qui concerne les entreprises, quelles sont les compétences nécessaires ? C’est la question des diplômes, sur laquelle les entreprises sont consultées, mais ce ne sont pas elles qui définissent le référentiel. C’est un cas bizarre : dans la plupart des pays, on demande aux professionnels quels seront les métiers de demain, ce qui semble assez logique. En France, ce sont les ministères de l’éducation nationale, du travail, de l’agriculture, qui définissent en consultant – et la consultation n’est pas la codécision. Le projet de loi prévoit donc que les diplômes seront coconstruits, notamment la partie professionnelle. L’État peut avoir un droit de regard, mais ce sera aux professionnels de définir. Pour savoir quels sont les besoins en Guadeloupe ou à La Réunion, je pense qu’il est utile d’associer les professionnels.

Pour inciter les jeunes à entrer en apprentissage, la rémunération sera revalorisée sans que cela n’augmente le coût pour les entreprises. Une aide de 500 euros leur permettra de financer la moitié du permis de conduire. Il sera possible d’entrer toute l’année en apprentissage, et non plus seulement entre septembre et décembre. Aujourd’hui, à ceux qui trouvent leur entreprise en janvier, on répond de revenir en septembre… Et en septembre, on a perdu le jeune et on a perdu l’entreprise. C’est donc du simple bon sens. Le droit de faire valoir ses acquis sera reconnu, pour raccourcir la durée de formation. De plus en plus de jeunes ont été deux ans à l’université, avant de trouver une vocation et de repasser un CAP ou un bac pro. Pas besoin de leur faire refaire la formation générale, on pourra raccourcir leur formation, et certains pourraient passer un CAP ou un bac pro en six, huit ou douze mois. Inversement, cette durée pourra être allongée à trois ans pour ceux qui ont de lourdes difficultés et qu’il faut accompagner de façon progressive.

L’orientation est très importante. La compétence des régions sera renforcée, et avec les établissements scolaires, les rectorats et les lycées, elles organiseront des présentations des métiers. Parce que la plupart des jeunes ne connaissent pas les différents métiers, et leurs familles non plus. Il faut leur présenter des entrepreneurs passionnés qui vont leur parler de leur métier, ouvrir les murs.

Pour Erasmus pro, nous allons lever les obstacles. C’est un peu plus compliqué pour les outre-mer, car les fonds européens impliquent d’aller dans des pays européens, qui ne sont pas forcément les plus proches des territoires d’outre-mer… Nous devons l’envisager, puisque nous avons des financements européens pour ce faire. Mais il faut aussi que nous travaillions sur des accords bilatéraux ou internationaux, notamment avec l’Afrique du Sud ou l’Île Maurice pour La Réunion. Il faut une approche régionale de ces sujets, mais ce n’est pas l’objet de ce projet de loi.

Pour la formation professionnelle, nous voulons que la totalité des 26 millions d’actifs de notre pays aient un vrai droit à la formation. Aujourd’hui, il existe un droit formel, mais si vous avez eu la curiosité d’aller voir votre compte personnel de formation, je doute que vous ayez eu l’impression d’avoir un pouvoir de décision… C’est compliqué, et à la fin, vous avez un droit un peu théorique, il faut que les organismes paritaires approuvent pour que ce droit débouche réellement sur une formation. Dans la pratique, les organismes paritaires financent plutôt dans les grandes entreprises, où les services de ressources humaines et les services de formation savent comment présenter les dossiers. Et finalement, ce sont les salariés des TPE/PME, ou les moins qualifiés, qui en bénéficient le moins.

Nous allons profondément modifier le compte personnel de formation ; c’était une très bonne idée mais il nous faut maintenant la rendre effective. Nous allons en faire un droit qui sera vraiment à la main de chaque actif. Il sera exprimé en euros, pour le rendre concret, alors que jusqu’à présent il était en heures et il fallait que quelqu’un vous l’approuve. Il sera de 500 euros par an, jusqu’à 5 000 euros en dix ans, et ces sommes passeront à 800 et 8 000 pour ceux qui ne sont pas qualifiés. Une application sera disponible sur tout le territoire à partir de septembre 2019, qui permettra de connaître les formations, de savoir lesquelles sont des réussites en termes de diplômes et d’emplois, ce qu’en ont pensé les stagiaires. On pourra s’y enregistrer, payer, et prendre sa décision.

Enfin, comme l’ont proposé les partenaires sociaux dans l’accord interprofessionnel, elle permettra de bénéficier de l’aide gratuite – ce sont des fonds mutualisés – d’un conseiller en évolution professionnelle. Ce n’est pas une question de niveau. Il y a des gens qui savent exactement ce qu’ils veulent faire, à tous niveaux, et d’autres qui se cherchent. Ceux-là doivent pouvoir être accompagnés : ce sera l’objet du conseil en évolution professionnelle.

Nous allons aussi assouplir le concept de formation pour faciliter la formation à distance, mais je ne vais pas approfondir.

Au niveau institutionnel, la collecte ne sera plus effectuée par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Aujourd’hui, il y a cinquante-sept organismes de collecte pour l’apprentissage et la formation professionnelle. Demain, il n’y en aura qu’un : l’URSSAF. Ce n’est pas l’URSSAF qui répartira ensuite, elle n’a pas de pouvoir d’appréciation, les fonds seront fléchés dans la loi et coordonnés par une agence, France Compétences. Mais c’est le plus simple pour la collecte, ce sera une grande simplification pour les entreprises.

Les OPCA ne s’occuperont plus la collecte, mais offriront des services de proximité pour aider les TPE/PME à monter leurs formations. C’est par eux que transitera le coût au contrat du financement des CFA. Ils pourront aider, dans la construction des diplômes, quand les branches sont déficientes. C’est très important pour l’outre-mer où le système de branches ne fonctionne pas très bien. Il faut donc un opérateur qui a les connaissances techniques pour aider à définir les compétences et faire la gestion prévisionnelle des emplois.

Nous prévoyons aussi dans le projet de loi une mutualisation au profit des TPE/PME, ce qui concerne beaucoup l’outre-mer. Une partie de la cotisation de toutes les entreprises n’ira qu’aux TPE/PME, ce qui permettra d’y doubler le nombre de formations. Aujourd’hui, c’est assez scandaleux, mais c’est une réalité, la mutualisation joue au détriment des TPE/PME. Comme elles savent moins négocier avec les OPCA, elles retirent moins d’argent de la formation que ce qu’elles ont mis, alors que les grandes entreprises retirent plus. En clair, cela veut dire que les TPE/PME mutualisent au profit des grands groupes, ce qui, vous me l’accorderez, est un peu surprenant. Nous allons donc inverser les choses, car il faut vraiment miser sur ce tissu des TPE/PME. Elles représentent la moitié des emplois pour la France entière, et plus encore dans les outre-mer, et c’est là que se créent les emplois.

Nous prévoyons donc de faire une grande simplification administrative : un seul organisme collecteur au lieu de cinquante-sept, douze organismes gestionnaires au lieu d’une quarantaine, une cotisation au lieu de deux. Et un organisme de régulation, France Compétences, où l’on trouvera l’État, les régions et les partenaires sociaux.

J’ai été longue sur l’apprentissage et la formation, car je pense que c’est le cœur du sujet, et nous avons beaucoup de choses à discuter pour savoir comment rendre ces mesures efficientes, et partout.

Une assurance-chômage plus universelle et plus juste, c’était aussi un engagement de la campagne présidentielle. Nous allons permettre aux indépendants et aux démissionnaires, dans certaines conditions, de bénéficier de filets de sécurité. Un indépendant, c’est un artisan, un agriculteur, un micro-entrepreneur, un travailleur des plateformes : en l’état actuel des choses, il n’a droit à aucune protection contre les coups durs en cas de chômage. Nous n’allons pas mettre en place un vrai régime assurantiel, car ils ne cotisent pas, mais nous avons prévu un filet de sécurité pour laisser le temps de se retourner, financé par la CSG et compensé à l’UNEDIC. Ce sera 800 euros pendant six mois, mais aujourd’hui, en cas de liquidation judiciaire, du jour au lendemain, il n’y a rien et on se retrouve face à des situations personnelles et familiales assez dramatiques. Ce filet de sécurité n’épuise pas la question pour le futur, mais je pense que ce sera salué par les intéressés.

En ce qui concerne les démissionnaires, il s’agit également d’un engagement de campagne, l’idée est que des salariés qui ont travaillé durant les cinq dernières années ou plus et qui souhaitent réaliser un projet professionnel d’ampleur – créer une entreprise ou se reconvertir – puissent bénéficier de l’assurance-chômage. La réalité du projet sera vérifiée, sinon ils iraient dans le mur, et passeraient de l’assurance-chômage au chômage longue durée. Il ne serait pas responsable d’encourager cela. Ils pourront avoir du temps et de l’argent pour mener à bien leur projet.

On dit que les entreprises doivent être agiles, que la société doit être agile parce que le monde change vite, il faut que cette mobilité du marché du travail joue aussi au bénéfice des individus.

Si les partenaires sociaux n’ont pas trouvé d’accord d’ici à la fin de l’année, nous mettrons aussi en place un système de bonus/malus pour lutter contre la précarité – c’était également un engagement de campagne. Aujourd’hui, la précarité est excessive, il y a des besoins de flexibilité dans les entreprises, mais le taux d’emploi en CDD et en intérim est supérieur à celui des autres pays européens ; ces contrats représentent la majorité des emplois. Au sein d’un même secteur d’activité, certains recourent énormément à l’intérim et aux CDD, d’autres utilisent davantage les CDI ; il faut retrouver un équilibre. Il n’y a pas de raison que pour les mêmes métiers, les entreprises qui embauchent majoritairement en CDI soient pénalisées et paient pour les autres.

L’accompagnement des demandeurs d’emploi sera amélioré grâce à la mise en place, à titre expérimental, d’un journal de bord dès le premier mois. Nous proposons également une politique de contrôle plus juste et plus efficace : l’actuel barème des sanctions est inéquitable et relativement incompréhensible en bonne logique. Le prononcé des sanctions sera simplifié.

Pour l’emploi des personnes en situation de handicap, nous souhaitons tous une société inclusive qui permette aux personnes en situation de handicap d’accéder à tous les emplois. Je n’ai pas le chiffre pour les outre-mer, nous le regarderons ensemble ; vous savez que la loi impose que 6 % des postes soient occupés par des travailleurs handicapés. Une trentaine d’années après le vote de la loi, ce taux est de 3,4 %, et les chiffres ne bougent plus beaucoup. Le système est très compliqué, mais aussi bourré d’exceptions historiques : certaines se justifient, d’autres paraissent étonnantes en 2018. Il y a 500 000 travailleurs handicapés demandeurs d’emploi, et en moyenne, ils sont moins qualifiés car ils ont moins bénéficié de la formation initiale : on retrouve le phénomène que je décrivais tout à l’heure. Avec la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, nous avons mené une concertation qui va s’achever au début du mois de juin. Nous proposerons donc des amendements gouvernementaux sur ce sujet en séance, après avoir terminé cette concertation.

Le projet de loi comporte également des avancées très importantes concernant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Comme l’a indiqué le Premier ministre aux partenaires sociaux le 7 mars, avec Marlène Schiappa et moi-même, l’ambition commune est grande. Nous avons tenu sept ou huit séances de concertation avec un très fort engagement des partenaires sociaux sur le sujet. La concertation s’est achevée le 9 mai dernier ; nous proposerons des amendements lors de l’examen du texte en commission. Le projet de loi comporte déjà quelques dispositions à ce sujet, mais ce sont plutôt des accroches, nous proposerons des mesures plus importantes.

Sur le détachement des travailleurs, il ne s’agit pas encore de la transposition de la directive, qui sera définitivement adoptée dans les tout prochains jours. Mais le projet vise à lutter plus efficacement contre la fraude. Il faut des sanctions plus dissuasives et des moyens de contrôle élargis. Aujourd’hui, s’il y a une fraude au détachement, que l’entreprise est sanctionnée et qu’elle n’a pas payé ses amendes, on ne peut pas arrêter le chantier. L’entreprise poursuit son activité en se disant qu’ensuite, elle sera partie et qu’elle ne paiera jamais l’amende. On pourra donc faire arrêter les chantiers, et l’appel ne sera pas suspensif. Il faut être cohérent : le travail détaché a du sens, encore faut-il que l’on respecte les règles.

Pour ce qui est de la mobilité dans la fonction publique, nous proposons de valoriser les passerelles entre le public et le privé afin que les agents qui ont fait une autre expérience puissent être valorisés dans leur carrière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Je conclurai ce long propos préalable, en insistant sur un point. Dans le cadre des réflexions sur ce projet de loi et des assises de l’outre-mer, si mon cabinet, celui d’Annick Girardin, et votre délégation aux outre-mer nous estimons ensemble qu’il faut aller plus loin dans les adaptations législatives, je suis tout à fait prête à introduire dans le projet de loi une habilitation à légiférer par ordonnance afin de procéder, si besoin est, aux adaptations nécessaires dans les différents territoires d’outre-mer en matière d’apprentissage et la formation. S’il n’y en a pas besoin, pas la peine d’ajouter des dispositions législatives inutiles, mais si, lors de nos débats aujourd’hui, en commission des affaires sociales ou en séance, nous estimons qu’il faut le faire, nous le ferons ensemble.

Ce projet de loi est important, il traduit une vision de société : l’émancipation par le travail, par la formation, par la compétence. Si nous voulons que nos entreprises puissent trouver les compétences de demain, et donc créer de l’emploi, si nous voulons que nos concitoyens puissent enfin déterminer leur avenir professionnel, avoir un espace de choix, de décision, montrer ce dont ils sont capables, que les jeunes puissent faire la preuve de leur valeur, nous aurons une société plus inclusive, plus cohésive ; c’est ce que nous souhaitons pour l’ensemble du territoire. Je serai évidemment très attentive à vos observations, vos questions et vos suggestions.

M. le président Olivier Serva. Merci de cette présentation exhaustive, mais aussi didactique, pratique et concrète. Elle touche à tous les éléments essentiels pour réformer les compétences dans notre pays. Je vous remercie de la clarté de vos propos.

Je note avec satisfaction, même si je n’en suis pas surpris, que vous êtes totalement disposée au dialogue, et à faire avancer ensemble les dispositifs législatifs et réglementaires en tenant compte des spécificités des outre-mer. J’ai bien retenu que vous êtes prête à procéder, si besoin est, par voie d’ordonnances pour les outre-mer, après avoir échangé avec nous.

 

 

Toutes ces annonces me font penser que vous êtes bien la ministre de l’efficacité de ce Gouvernement. Malgré tout, la délégation a, pour la première fois, décidé de se saisir pour avis de ce projet de loi. Nous avons trois co-rapporteures, Mmes Ericka Bareigts, Josette Manin et Justine Benin.

Je suis sûr qu’elles auront des questions, des précisions, des commentaires ou des remarques qui permettront d’éclairer notre réflexion.

Mme Ericka Bareigts, corapporteure d’information. Madame la ministre, nous avons eu une première rencontre avec votre cabinet et nous vous remercions de cet entretien. Je souhaite remettre en perspective la démarche que nous avons coutume d’adopter lorsque des dispositifs législatifs sont présentés à l’Assemblée nationale et que nous cherchons à savoir s’ils doivent être adaptés de façon particulière pour les territoires ultramarins. Ce n’est pas forcément une démarche systématique : nous n’avons pas toujours envie de parler de spécificités et de singularités dans le seul but de nous faire remarquer. Malheureusement, notre situation nous met toujours au-devant de la scène, et pas forcément dans le rôle que nous aimerions…

Cette loi est fondamentale : dans nos territoires comme ailleurs, les parents et les jeunes gens s’interrogent pour savoir quelle orientation prendre, quelle formation suivre, pour quel avenir professionnel.

Nous sommes sur des territoires singuliers. La géographie est singulière, souvent insulaire, mais la Guyane a une forme de singularité continentale. Nous subissons une forme d’isolement, à partir du moment où l’on considère que le centre est le continent européen – on pourrait imaginer une approche différente, et cela pourrait faire l’objet d’une réflexion à partager avec vous. Quoi qu’il en soit, nous sommes isolés, loin de l’Europe, mais à proximité de bassins océaniques extrêmement concurrentiels. C’est un point qui n’est jamais dit : on a l’impression que les outre-mer sont sous cloche, à toujours venir quémander quelque chose ou faire valoir des spécificités. Mais nous sommes des territoires totalement baignés dans une concurrence violente, mais sans disposer des mêmes armes, du fait de notre histoire. Quatre d’entre nous sont départements depuis soixante-dix ans, d’autres ne le sont pas et ont une législation particulière – je pense à la Polynésie – tandis que Mayotte n’est un département que depuis peu. Mais nous devons faire face à la même concurrence. Je tenais à le rappeler parce que cela traduit peut-être un état d’esprit – partagé ou pas, mes collègues donneront leur point de vue.

Ceci étant dit, comment faire, dans des territoires où les marchés se résument à 850 000, 400 000 ou 200 000 habitants, qui sont très attractifs de par leur situation géographique ? Nous sommes confrontés à des produits qui viennent de Chine, d’Inde et nous devons malgré tout protéger nos entreprises qui sont pour plus de 90 % des TPE/PME – nous n’avons pratiquement pas d’industrie.

 

 

 

Enfin, nous avons une démographie jeune, ce qui est tout à la fois un atout et une gageure dans un tel environnement économique. Cette démographie est également très dynamique, mais je ne rentre pas dans les détails de cette question, très particulière.

Voilà le contexte dans lequel on va nous demander d’appliquer cette loi. La question est de savoir si cela peut fonctionner comme si nous étions sur le continent européen. Plusieurs points doivent à l’évidence être travaillés pour atteindre les objectifs que vous avez fixés : projet de société, émancipation et développement de nos territoires. Sur la formation et l’accompagnement, il va falloir trouver des idées un peu nouvelles, à la hauteur des enjeux, alors que nos taux d’échec scolaires sont importants et nos niveaux de formation initiale parfois très bas. L’accompagnement de ceux qui sortent du secteur de la formation initiale et qui entrent dans la formation professionnelle, ou qui partent à la recherche d’un emploi en étant très éloignés d’un niveau de formation initiale doit-il être abondé, musclé, faire l’objet de dispositions spécifiques ? La phase de pré-entrée en formation professionnelle notamment, je pense à l’illettrisme, mais il y a d’autres sujets particuliers, mériterait des dispositifs tout à fait singuliers. Nous avons l’école de la deuxième chance, mais ne faut-il pas prévoir un dispositif plus fort pour réussir l’étape suivante ?

Sur des territoires aussi exigus et face à ce contexte économique et un tel panel d’attentes, nos TPE/PME ne peuvent pas tout à la fois faire de la création d’emplois immédiate pour ceux qui sont formés, accueillir des contrats professionnels, des contrats d’apprentissage, accueillir plus de personnes handicapées, etc. On ne peut pas tout faire en même temps. La question se pose alors de la mobilité. J’ai défendu une mobilité aller-retour.

Mme la ministre. Avec la métropole ?

Mme Ericka Bareigts, corapporteure d’information. Pas seulement. Aller-retour, disais-je, parce que, historiquement, la mobilité se faisait plutôt en aller simple, car il n’y avait pas de places dans nos territoires pour ceux qui souhaitaient revenir. Ce qui fait que nous nous sommes siphonnés nous-mêmes de jeunes hommes et femmes de très grande qualité, mais qui ne sont jamais revenus et se sont installés ailleurs. Pour développer nos territoires, il faut des gens formés, avec de l’expérience. Je crois beaucoup à cet aller-retour, et il faut des dispositifs d’accompagnement à ce sujet. Nous avons expérimenté une préparation opérationnelle à l’emploi avec Opcalia : lorsque j’étais ministre, j’avais signé une convention d’expérimentation avec aller-retour et contrat de professionnalisation. Et nous ne devons pas le faire uniquement avec la métropole, mais aussi à l’international, avec les pays de la zone.

 

Il nous faut penser à ce que peut être une formation professionnelle, un contrat d’apprentissage, avec les grandes entreprises françaises installées en Inde, en Chine, en Afrique, et qui pourraient très bien jouer un rôle pour développer les compétences de nos jeunes en contrat de professionnalisation ou en contrat d’apprentissage. Ce que pour l’instant elles ne font pas.

Il faudrait également réfléchir à une formule de formation professionnelle en alternance qui permettrait aux jeunes d’alterner des temps en entreprise dans un territoire ultramarin et un temps d’apprentissage théorique dans des centres en Afrique du Sud ou ailleurs – l’Afrique du Sud a su développer une vraie compétence dans la formation en Afrique australe. Mais mes collègues connaissent certainement d’autres pays où ce serait également possible.

Cette mobilité aller-retour avec un pays de la zone nous permettrait de nous enrichir et de développer les relations avec ces pays qui seraient demain d’autres partenaires économiques. Ce sont déjà, de fait, des sources de peuplement pour nous, nous avons des relations culturelles très fortes avec eux et ils seront nos futurs marchés, les axes de développement qui permettront de créer une nouvelle dynamique dans nos territoires.

Si nous devons imaginer des particularités et des singularités dans ce projet de loi, soyons innovants. Ne restons pas dans la tuyauterie habituelle et tâchons de trouver quelques éléments qui inversent les dynamiques. Ce qui ne signifie pas que le reste ne soit pas important : mes collègues parleront de difficultés financières, de valorisation des CPF particuliers, etc. Mais restons dans une démarche un tant soit peu dynamique et innovante.

Mme Josette Manin, corapporteure d’information. Mme Bareigts a bien résumé les questions que nous nous posons depuis que nous sommes en charge de cette mission. Elle a rappelé notre visite au ministère et notre rencontre avec vos collaborateurs, qui ont bien voulu répondre à nos questions. Je me contenterai de poser deux ou trois questions supplémentaires.

Sur la problématique des branches tout d’abord. L’économie de l’outre-mer est caractérisée par de très petites entreprises qui, très souvent, rechignent à accueillir des jeunes en formation ou en apprentissage ; sur pratiquement aucun de nos territoires il n’existe pas de branche. L’idée de mettre en place un observatoire est envisagée. Reste à savoir comment.

Mme Bareigts a évoqué la mobilité internationale, en parlant de l’Afrique du Sud et de l’Australie. Pour la Martinique et la Guadeloupe, c’est évidemment la Caraïbe. Vous avez, madame la ministre, évoqué le programme Erasmus européen et des accords bilatéraux. Il faut envisager la question au-delà de l’Europe car nous avons besoin de pouvoir aller, pas forcément jusqu’à Paris ou en Angleterre, mais juste à côté de chez nous, à la Barbade, à Trinidad, à Cuba, pour des échanges.

Il faut également envisager les coûts spécifiques à l’outre-mer dans le cadre de la formation. C’est également pour nous un aspect préoccupant – vous avez parlé tout à l’heure du coût réel d’une formation de cuisinier.

Par ailleurs, même si ce n’est pas une priorité chez nous, dans le cadre d’un appel à formation, à défaut de trouver la réponse sur un territoire, il faudrait prévoir la possibilité de faire venir des formateurs de l’hexagone ou d’Europe. Il est certes plus attrayant pour nos publics de suivre une formation en dehors de leurs territoires, de « s’ouvrir les ailes », comme on dit chez nous, mais nous pouvons aussi envisager la solution inverse : faire venir des formateurs chez nous, pour des formations spécifiques.

Mme la ministre. Je partage votre sentiment, madame Bareigts : ce n’est pas la spécificité pour la spécificité, mais quand elle existe, elle existe… Il faut la prendre en compte. Et les spécificités régionales se traduisent par des contraintes particulières, mais parfois créent des opportunités.

S’agissant de la nécessité d’un accompagnement plus musclé, vous avez raison. La réponse n’a pas besoin de passer par la loi. Dans le cadre du plan d’investissement pour les compétences, nous avons prévu de financer de la « prépa apprentissage » de trois, quatre mois pour découvrir le métier, et un peu aussi les codes sociaux – se lever le matin, travailler en équipe, revenir chaque jour, savoir s’adresser aux gens –, qui se fera dans les centres de formation d’apprentis (CFA). Le choix de l’opérateur ne relève pas du domaine législatif : cela peut donc démarrer dès septembre. Nous avons réservé de l’argent pour cette prépa apprentissage sur tout le long du quinquennat.

S’agissant des mobilités aller-retour, c’est bien d’aller voir ailleurs, c’est bien aussi de revenir chez soi. En allant voir ailleurs, on s’enrichit, on découvre, mais il faut également que les compétences puissent resservir aux outre-mer. Si vous avez des propositions dans ce domaine, nous pouvons y regarde ensemble.

Je trouve l’idée d’utiliser les ressources régionales pour favoriser des parcours mixtes d’apprentissage, certes pas facile à réaliser, mais intéressante ; cela supposerait un amendement car ce serait dérogatoire : on ne va pas le faire pour la France entière, d’autant que nous avons l’Europe sous la main… Par ailleurs, cela suppose des accords bilatéraux avec les pays des régions considérées ; mais nous pouvons solliciter notre diplomatie et nos conseillers sur place. Si vous déposez un amendement sur ce sujet, je le regarderai avec bienveillance. C’est en tout cas une possibilité à explorer.

S’agissant de l’implication des grandes entreprises, depuis la loi de 2011 un contrat d’apprentissage peut être conduit entre plusieurs entreprises ; mais cette possibilité est très peu connue et très peu utilisée. Un apprenti peut par exemple passer la première année dans une grande entreprise et la deuxième année dans une TPE-PME, ou bien deux TPE-PME peuvent se partager un apprenti. Nous avons donc le cadre légal pour ce genre de choses. Reste à mobiliser les grandes entreprises, et d’abord à cibler celles où cela du sens en raison de leur implication territoriale plus forte dans les zones géographiques proches de l’outre-mer, voire dans les outre-mer. Je serais en tout cas prête à vous soutenir là-dessus, en commençant par les grandes entreprises publiques ou dont l’État est actionnaire.

L’idée de faire venir des formateurs est intéressante, pour la formation continue comme pour l’apprentissage. C’est ce que j’appelle les « sections éphémères » : on n’a pas nécessairement besoin de construire une cohorte chaque année dans tel secteur et former pendant dix ans des jeunes sur le même sujet ; du coup, faire venir des formateurs pendant deux ou trois ans, lorsque les ressources locales font défaut, et créer une offre de formation continue ou à destination des demandeurs d’emploi, c’est une piste intéressante et rien ne l’interdit. Et, dans certains domaines spécifiques, pourquoi ne demanderait-on pas à un CFA de métropole de venir aider à créer une section spécifique pendant trois ans dans un territoire d’outre-mer ? Ce serait bien mieux que l’actuel tout ou rien. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de cadre législatif pour cela, d’autant que le projet de loi donne beaucoup de souplesse pour créer des CFA ou de nouvelles sections. Cela vaudrait le coup d’y travailler dans le cadre des programmes d’action, et je suis prête, avec les DIRECCTE, à vous aider à repérer l’offre – avec 80 000 organismes de formation, ce n’est pas toujours aisé.

Les branches ne s’occupent pas de la gestion de l’apprentissage, ni en métropole ni outre-mer. Ce qu’on leur demande, c’est de proposer le contenu professionnel des diplômes – le CAP de cuisinier, c’est le même diplôme partout, même si la matière première n’est pas toujours la même – et de fixer le coût au contrat. Sur ce dernier point, il peut y avoir des différences dans les outre-mer, c’est précisément l’objet de la dotation régionale. Le problème est donc a priori couvert. En revanche, là où vous avez raison, c’est sur la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) : quand il n’y a pas d’opérateur professionnel sur une île, la définition des besoins ne peut pas être du ressort des seuls députés, sénateurs ou collectivités territoriales. Cela passe par la collectivité économique et ce n’est parfois pas facile. Il y aura des opérateurs de compétences qui aideront les tissus économiques, notamment là où l’on trouve beaucoup de TPE-PME, éclaireront les besoins, avec des professionnels qui iront voir les entreprises. Il faudra travailler territoire par territoire pour voir si les opérateurs doivent se regrouper en associations ou rester dispersés. La loi ne fixe pas de nombre mais cela peut être un bon sujet pour les ordonnances. La situation n’est pas forcément la même en Guyane, à Mayotte ou en Guadeloupe.

M. Gabriel Serville. Je resterai sur la question de l’apprentissage, dont on connaît l’importance mais aussi les dysfonctionnements outre-mer. Vous avez indiqué, madame la ministre, que le système des branches professionnelles ne fonctionnait pas très bien. Cette inquiétude est largement partagée et laisse craindre à terme la disparition totale de l’apprentissage ; c’est en tout cas ce qui est remonté d’hommes du terrain qui savent de quoi ils parlent. Cette inquiétude est d’autant plus légitime que le ministère des outre-mer est en train de travailler, avec les parlementaires et le monde socio-économique des outre-mer, à la redéfinition du système économique dans nos territoires ; on peut facilement imaginer que cette redéfinition entraînera un changement de paradigme qui aura nécessairement des conséquences sur l’apprentissage. Je saisis donc la perche que vous nous avez tendue en évoquant la possibilité d’introduire des habilitations dans la loi : je plaide en faveur de cette garantie pour l’avenir qui nous évitera de nous retrouver dans des impasses. Je souhaite que ce soit acté de manière définitive.

Mme la ministre. Quelques régions, en métropole comme en outre-mer, prétendent que la réforme va conduire à la suppression de l’apprentissage, alors même que le but est tout le contraire ; et ceux qui crient le plus fort sont ceux qui en font le moins pour l’apprentissage – je ne donnerai pas de chiffres pour ne pas être désagréable et ne viser personne. Le président des Hauts-de-France, qui salue la réforme, investit beaucoup dans l’apprentissage. D’autres régions investissent, mais regrettent que tout ne passe plus par les régions, et notamment ce que nous confions directement aux entreprises. Mais il y a certaines qui font peur aux CFA alors qu’elles n’utilisent pas toute la taxe d’apprentissage. Les – rares – régions qui font du chantage aux investissements le font donc totalement au détriment des jeunes et des entreprises, alors qu’elles garderont la compétence entière et totale sur les investissements dans les CFA ; il n’y a aucun changement sur ce point.

S’agissant du fonctionnement, le passage du système de subventions à celui du coût au contrat est fixé au 1er janvier 2020. Par conséquent, dans les dix-huit mois qui viennent, les régions auront donc autant d’argent qu’auparavant et même plus puisque la ressource est dynamique : autrement dit, rien ne change du point de vue du système financier, les régions sont en charge et elles ont des moyens renforcés. Si certaines – mais c’est une minorité – persistaient à vouloir pénaliser les jeunes et les entreprises, nous serions conduits à dire que ce n’est pas respectueux de l’intérêt général. Nous n’avons pas encore vu tous les CFA. Chaque fois qu’on les voit et qu’on leur explique la réforme, ils sont rassurés. Il faut dire que certaines fausses informations circulent sur ce projet de loi. Comment pourrions-nous prétendre lever tous les freins pour développer au maximum l’apprentissage et présenter un texte qui ferait le contraire ? Du reste, la plupart des régions, en bilatéral, le reconnaissent, ce qui n’empêche pas certaines postures – c’est de bonne guerre – à propos des compétences.

La réflexion en cours sur la redéfinition du cadre socio-économique à l’occasion des assises des outre-mer peut répondre aussi à la question du calibrage des priorités stratégiques : quelles sont les filières dans lesquelles il faut investir ? Plus ces réflexions avanceront, territoire par territoire, et plus nous serons à même d’organiser ensemble un système efficace d’apprentissage, car nous saurons vers quoi former tous ces jeunes. Le calendrier est donc assez favorable puisque cette réflexion est concomitante avec le projet de loi. Je répète donc que, si vous proposez un amendement pour adapter, par ordonnance, la situation aux différents outre-mer, le Gouvernement lui réservera un accueil tout à fait bienveillant. Qui plus est, les ordonnances pourront être prises d’autant plus vite que la réflexion est déjà en cours. Nous n’aurons pas perdu de temps et nous pourrons ajuster si nécessaire.

M. Max Mathiasin. Madame la ministre, nous parlons de formation et d’apprentissage. J’ai pris le temps de faire mon apprentissage de député et, de votre côté, je tiens à vous féliciter – et il ne m’arrive pas souvent de féliciter un ministre – car vous êtes allée vite. Mes collègues ultramarins et moi avons souvent le sentiment qu’il nous faut parler dix fois plus que les autres députés pour nous faire entendre et faire comprendre les spécificités et les freins de territoires qui contribuent pourtant à la grandeur et au rayonnement de la France. Mais quand nous, ultramarins, parlons de nous, ce n’est pas pour nous singulariser mais au contraire : c’est simplement pour être pareils. Et vous, vous avez vite compris les problèmes : la possibilité des ordonnances est une très bonne chose.

Pouvez-vous, pour ma gouverne, préciser le rôle de la région dans le financement de la formation ? Par délibération de nature législative prise après habilitation du Parlement, la région avait créé un organisme administratif pour gérer son service public de formation professionnelle. Or elle s’est fait épingler par le Conseil d’État qui lui a reproché d’avoir créé dérogé au droit commun des établissements publics. Cela pose un gros problème pour l’établissement Guadeloupe Formation qui, disons-le, ne sait pas aujourd’hui où il va.

Mon cheval de bataille est la continuité territoriale. C’est un vrai problème pour nous. C’est ce qui permet à nos jeunes de venir en métropole se former, d’avoir la possibilité de revenir quelquefois, d’aller ailleurs aussi. Il existe une vraie disparité à cet égard. Je suis très heureux pour la Corse et j’ai dit qu’elle devait conserver toutes ses possibilités en matière de continuité territoriale, mais est-il normal que, d’un territoire de la République à l’autre, il y ait de telles différences ? En Guadeloupe et Martinique – et je crois qu’il en est de même pour La Réunion –, le taux d’aide à la continuité territoriale est très inférieur à celui de la Corse. Serait-il possible de regarder les chiffres ensemble et de mieux adapter les montants alloués et les modalités de financement ?

Mme Nathalie Bassire. Merci, madame la ministre, pour votre écoute attentive et votre discours très rassurant. Vous l’avez dit, pour lutter efficacement contre le chômage des jeunes, le projet de loi vise un développement massif de l’offre de formation, notamment par la voie de l’apprentissage. Un des objectifs est de changer l’image de l’apprentissage, de changer d’échelle et d’en faire une voie d’excellence et de réussite pour tous les jeunes. Nous partageons évidemment ces objectifs. Cependant, il nous semble nécessaire d’adopter une approche spécifique pour les territoires ultramarins afin de créer les conditions de réalisation de ces objectifs.

Pour La Réunion, la mise en œuvre de cette réforme mériterait une période de transition plus longue entre l’ancien et le nouveau système, et ce pour quatre raisons. Première raison, la profonde carence en matière de structuration de branches à La Réunion, où une seule branche est structurée : le BTP. Deuxième raison, conséquence mécanique de la première, l’absence totale de CFA de branche. Troisième raison, le fait que tous les CFA de La Réunion soient installés dans des locaux appartenant au conseil régional. Quatrième raison, les effectifs en apprentissage sont en constante augmentation depuis 2010 ; changer brutalement un modèle qui fonctionne bien risque, c’est la crainte exprimée par le conseil régional, de le fragiliser en provoquant des trous d’air.

Avec plus de 44 % de chômage chez les jeunes, cette fragilisation pourrait se transformer en véritable danger. Une période de transition plus longue permettrait de préparer et d’accompagner nos territoires vers un déploiement réussi de la réforme que vous proposez. Pensez-vous qu’un calendrier de déploiement spécifique aux outre-mer soit envisageable ?

Je rebondis également sur la question de la mobilité aller-retour, que vous soutenez et qui est à mon avis très importante car beaucoup plus motivante pour les jeunes désireux d’aller se former ailleurs tout en étant assurés de revenir au pays si nécessaire.

Mme Maina Sage. Je viens d’un territoire régi par l’article 74 de la Constitution : nous sommes compétents en matière d’emploi et de formation professionnelle. Nous nous intéressons cependant beaucoup à cette réforme majeure car la question de l’emploi se pose en Polynésie comme dans tous les territoires.

J’ai tout d’abord quelques questions d’ordre financier. L’ambition du Gouvernement est un plan d’investissement de 50 milliards d’euros, dont 15 millions dédiés à la formation professionnelle. Est-il envisagé une mise à jour sur les moyens qui seront dédiés aux outre-mer ? Prend-on en compte de manière inversement proportionnelle le retard dont vous avez fait le constat en ouverture, la situation de nos territoires, nos taux de chômage très élevés ? Les territoires d’outre-mer bénéficieront-ils d’un bonus, seront-ils prioritaires dans cet accompagnement à la formation à la fois initiale et continue ?

Pour projeter des politiques publiques, il faut de bons diagnostics. Or nous manquons d’outils d’observation et de suivi de l’emploi dans nos territoires. En Polynésie, nous avons créé, il y a presque dix ans, un fonds paritaire de gestion qui réunit les représentants des employeurs et des salariés, et destinataire d’une taxe prélevée à la source destinée à financer la formation continue. En gros, la masse salariale est de 1 milliard d’euros, la recette annuelle de 5,4 millions, dont 5 millions sont dédiés à la formation. C’est ce fonds qui décide des plans de financement. Mais nous sommes interpellés, en tant que parlementaires, sur le problème des formations non disponibles dans notre territoire. La discussion est en cours dans le cadre des assises de l’outre-mer ; pourrait-on prévoir d’ores et déjà dans le projet de loi, pour accélérer les choses, une disposition garantissant, via la continuité territoriale, un soutien de l’État à la formation continue pour les formations qui n’existent pas dans nos territoires ? Sachant, je le répète, que la formation est bien prise en charge par les professionnels : les employeurs cotisent au niveau local et une convention a été passée avec les organismes de gestion qui accueillent les salariés.

J’apporte mon total soutien aux propos tenus sur la mobilité. La France n’est pas seulement continentale : elle est mondiale et maritime. Plus qu’une charge et une contrainte, ce sont de réels atouts. Il y a un capital humain formidable dans nos territoires, avec des ouvertures dans l’économie bleue, dans les questions environnementales, sur les sujets énergétiques. Encore faut-il que notre jeunesse puisse accéder aux formations requises et revenir dans nos territoires, et profiter aussi d’un essor régional grâce à la coopération avec les États de la zone.

Mme la ministre. Je commencerai par ce qui change et ce qui ne change pas dans le rôle des régions à partir du 1er janvier 2020. Ce qui ne change pas, c’est que les régions seront toujours les seules compétentes pour l’investissement dans les CFA. Je signale au passage que l’État ne récupère aucune compétence ; nous ne transférons pas non plus de compétences des régions aux branches – c’est une présentation déformée : nous libérons d’une série de contraintes. Il est important que la compétence « investissement » reste aux régions : non seulement elles ont une compétence en matière de développement économique, mais elles investissent en même temps dans les lycées professionnels.

Ensuite, les régions auront une compétence renforcée en matière d’orientation. Aujourd’hui, on constate que beaucoup de jeunes ne connaissent pas les métiers. C’est pourquoi le projet de loi prévoit que les DRONISEP soient placées sous l’autorité fonctionnelle des régions et puissent, avec les rectorats, collèges et lycées, organiser à l’intérieur des établissements les heures dédiées à l’orientation – cinquante-quatre heures en seconde, ce n’est pas rien, ce qui permettra d’inviter des entrepreneurs, de présenter des métiers, d’aller dans des salons, de rencontrer des professionnels, etc.

La troisième compétence, c’est la dotation de 250 millions d’euros affectée aux régions. Nous discuterons la clé de répartition avec l’ARF mais ce sera forcément lié au nombre de jeunes, d’apprentis, au taux de chômage des jeunes, etc. Cette dotation permettra de compléter le coût au contrat là où, en territoire enclavé, éloigné, on a besoin de garder une section, y compris lorsqu’elle n’est pas très nombreuse.

Venons-en maintenant à ce que les régions ne feront plus. Sur quatre aides, elles en commandent aujourd’hui deux, mais le problème c’est que cela arrivait tard, après coup, et les TPE-PME devaient s’adresser à trois guichets différents. Résultat, bon nombre d’entre elles ne les touchaient pas. Avec la réforme, tout arrive automatiquement dès que le contrat est enregistré et cela viendra en déduction sur la feuille de paye : l’entreprise n’aura même pas besoin de faire l’avance. Pour les TPE-PME, est important.

Par ailleurs, les régions délivraient l’autorisation administrative d’ouverture d’un CFA mais elles étaient en même temps tenues de verser une subvention d’équilibre : on comprend donc qu’elles aient fait preuve de prudence dans la mesure où cela met en jeu des budgets assez lourds. Comme nous changeons le système de financement, avec une grande péréquation et le coût au contrat, la région sera délivrée de cette contrainte, le CFA n’aura plus à craindre de ne pas obtenir la subvention d’équilibre et le système sera donc bien plus fluide, un peu comme pour le contrat de professionnalisation : un coût au contrat, et l’argent arrive automatiquement. C’est une énorme simplification.

Aucun acteur, que ce soit les régions, les branches, l’éducation nationale, le ministère du travail ne peut réussir l’apprentissage seul. Tout le monde doit se mobiliser. C’est de la formation initiale en contrat de travail, et si tout le monde n’est pas sur le pont nous n’y arriverons pas. Cela marchera quand tout le monde mettra l’intérêt général des jeunes et des entreprises avant toute autre chose, et je suis confiante. Au-delà de quelques prises de parole publiques assez forte, je sais que la grande majorité des présidents de région veulent développer l’apprentissage. Et s’il y a les contrats et les entreprises, mais pas les investissements, on peut en appeler à l’opinion publique : cela peut avoir quelques effets.

Sur la question d’une période transitoire, je n’ai pas de religion a priori mais je vous invite à y regarder de près, car cela pénaliserait les jeunes et les entreprises. En période transitoire, les jeunes n’auraient pas la rémunération supplémentaire, les entreprises ne pourraient pas percevoir les quatre aides en une, et les CFA ne pourraient pas développer les classes faute de subvention supplémentaire, car on ne peut pas découper la réforme en petites tranches. Les jeunes et les entreprises ne manqueraient pas de se tourner vers ceux qui ont décidé une période transitoire en leur demandant pourquoi on les pénalise ainsi. En revanche, c’est très bien que les CFA soient installés dans les locaux de la région, puisque c’est elle qui aura la responsabilité de l’investissement. La région Réunion fait partie des conseils régionaux très impliqués sur le sujet.

La loi libéralise la création des CFA : cela pourra se faire par une branche, par les entreprises, par une collectivité territoriale. Qu’il n’y ait pas de CFA de branche ne pose aucun problème dans la réforme. C’est une possibilité que nous ouvrons, car nous savons très bien qu’il n’y a pas de branches structurées dans tous les territoires. Il existe énormément de métiers dans les collectivités locales, pas seulement dans les régions mais aussi dans les communes et les intercommunalités : espaces verts, cuisine, entretien, ingénierie informatique, etc. Une collectivité pourra demain créer son CFA sans que ce soit dérogatoire. Si vous tenez absolument à un report, nous regarderons, mais je vous ai dit ma conviction intime. Et nous avons d’ores et déjà prévu dix-huit mois de transition.

L’extension du dispositif de continuité territoriale entre les outre-mer et les autres pays, dans le cadre de la formation et de l’apprentissage, cela relève d’une réflexion à mener avec le ministère des outre-mer. Le financement de la mobilité aujourd’hui, c’est entre outre-mer et métropole. Grâce aux outre-mer, vous l’avez dit, madame Sage, la France est maritime et mondiale ; le sujet est de savoir comment utiliser cette force. Ce peut être des menaces, car la compétition peut être rude, mais cela peut être aussi des opportunités. Cela peut faire partie du travail à conduire dans les semaines à venir.

S’agissant du plan d’investissement compétences, la répartition entre régions se fait en tenant compte du taux de chômage des jeunes, des demandeurs d’emploi de longue durée et de la population. En clair, les outre-mer recevront au moins 15 % de l’enveloppe, pour 8 % de la population.

Les outils de diagnostic et de suivi du marché de l’emploi : c’est une bonne question car les statistiques de mon ministère sont toujours un peu moins précises pour les outre-mer, nous n’avons pas le même niveau de granularité et de connaissance. C’est un réel sujet ; nous n’avons pas besoin de passer par la loi mais il faut y travailler. Car c’est vrai, pour cibler les dispositifs, il faut connaître…

Enfin, vous avez été plusieurs à évoquer le potentiel et les atouts géographiques des outre-mer. J’y ajouterai le fait que ce qui sera fondamental dans les années à venir en termes d’emploi, ce sont les technologies – la révolution technologique – et la dimension environnementale. Grâce à la Guyane, 10 % de la biodiversité mondiale est en France. Dans ce domaine vont se créer de nouveaux types de métiers et de filières. S’agissant du numérique, quand j’étais à Marie-Galante, nous avons inauguré une classe Simplon en numérique. Le numérique n’est pas comme l’industrie lourde, on peut le développer partout facilement. Dans le cadre du plan d’investissement compétences, nous avons prévu 10 000 formations numériques. Un grand nombre des métiers qui se développeront dans le futur seront plus universels et n’exigent pas de grosses infrastructures au-delà de bonnes connexions internet. Et c’est dans ces secteurs que nous allons créer des emplois pour les jeunes.

M. David Lorion. Merci, madame la ministre, pour votre exposé très clair et très convaincant sur la volonté du Gouvernement, comme de sa majorité, de développer la formation et l’apprentissage.

La formation est un domaine où n’œuvrent pas seulement les CFA ; il y a de la formation aussi dans les IUT, les BTS, les licences. L’ensemble de ce secteur reste insuffisamment développé dans les outre-mer pour la simple raison qu’il y manque des IUT, des BTS, des structures capables de dispenser cette formation professionnelle. Nous avons par exemple deux fois moins d’IUT en outre-mer que sur le territoire national, et il est donc difficile ensuite de faire une licence en formation professionnelle si l’on manque à la base d’IUT.

Lorsque les jeunes viennent me voir, quand ils veulent passer par l’apprentissage, ils me demandent d’intervenir dans les entreprises car elles ne les prennent pas. C’est une litanie. Que peut-on faire pour inciter – le mot est un peu faible – les entreprises à consentir un effort supplémentaire, car l’État et la région en font déjà ? Si nous menons cette réforme et les entreprises gardent la même attitude par rapport aux entreprises, nous ne nous en sortirons pas.

 

S’agissant de la continuité territoriale, on ne peut pas considérer que les outre-mer soient une « région d’à côté ». La Chine se bat mètre carré par mètre carré pour reconnaître ses îles et îlots dans la mer de Chine ; la France regarde ailleurs et ses outre-mer restent un angle mort de sa politique gouvernementale. Les outre-mer doivent faire l’objet d’une réflexion en matière de formation professionnelle et d’apprentissage ; c’est essentiel car nous n’aurons jamais la possibilité de développer toutes les formations et apprentissages dans des territoires qui ont entre 200 000 et 800 000 habitants. La continuité territoriale n’est pas un gadget, c’est une vision de la France qui est une vision du monde et de la capacité d’avoir un pied dans des bassins régionaux francophones où nous nous faisons aujourd’hui écraser par des puissances concurrentes, la Chine, l’Inde, qui s’emparent de marchés exceptionnels dans les bassins de l’Océan Indien, de la Caraïbe et de Polynésie ; la France est présente, et elle ne s’en soucie pas.

Enfin, les cités des métiers, dont vous avez parlé, sont un excellent concept, mais nous n’avons pas outre-mer…

Mme Cécile Rilhac. Ma question va exactement dans le même sens. Les territoires d’outre-mer manquant cruellement d’ingénierie, alors que l’éducation nationale et l’État prennent déjà en compte beaucoup de choses. Ne conviendrait-il pas de favoriser les lycées professionnels, donc le lien entre CFA et lycée professionnel, en créant des unités de formation par apprentissage (UFA) dans quasiment tous ces lycées en outre-mer ? Cela renforcerait déjà le lien avec les entreprises.

Ce qui manque cruellement, ce sont les campus des métiers, qui existent sur le territoire métropolitain ; or cela peut constituer une solution dans les outre-mer. Mme Bareigts a parlé de l’ouverture à l’international : dans les pays voisins, il y a de quoi faire, en Afrique du Sud pour les DOM austraux, par exemple. Le texte parle beaucoup de l’ouverture à l’Europe mais l’avenir des outre-mer passe par l’ouverture à l’international.

M. Didier Quentin. Dans votre exposé liminaire, madame la ministre, vous avez mentionné Mayotte à deux reprises, notamment pour ce qui est de l’article 22. Pensez-vous que les dispositifs envisagés sont de nature à répondre aux problèmes récemment apparus à Mayotte à propos de ces questions ? Vous avez dit que les mauvais chiffres étaient le double en outre-mer ; à Mayotte, c’est le triple…

Mme la ministre. L’apprentissage en IUT et BTS se développe beaucoup. Dans Parcoursup, les demandes pour les IUT ont augmenté de 25 % et de 18 % pour les BTS : c’est du jamais vu. C’est une révolution des mentalités qui a commencé. Encore faut-il que l’offre soit au rendez-vous et, pour les outre-mer, cela rejoint la question de la continuité territoriale. Le jumelage pourrait être une idée : pourquoi n’y aurait-il pas des IUT mixtes métropole-outre-mer, avec une partie en entreprise qui pourrait se faire dans les deux ? Rien ne l’interdit dans les textes.

Ce que j’entends, dans tout ce que vous dites, c’est que l’on confond spécificité et cloisonnement ; on n’utilise pas les ressources qui existent autour. Nous avons besoin de mobiliser une offre plus grande de formation. Cela faut pour les IUT comme pour certains bacs pro.

Une chose que nous voulons absolument faire dans le projet de loi, c’est articuler lycée professionnel et CFA. Nous le portons ensemble avec Jean-Michel Blanquer ; un ministre de l’éducation nationale et un ministre du travail qui disent exactement la même chose, c’est historique, et surtout ça aide ! Nous partageons tous les deux la même conviction et la même expérience ; notre manière de travailler est donc très fluide. L’idée, c’est que tous les lycées professionnels puissent ouvrir une unité de formation d’apprentis (UFA), ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : seulement une partie des lycées professionnels ont une section d’apprentissage. Quant au campus des métiers, c’est l’idée d’avoir à la fois le lycée professionnel et un CFA. On peut imaginer que des personnels créent des campus des métiers communs, voire des CFA privés-publics, rien ne l’empêche.

Il faut trouver les entreprises et nous sommes là face à un paradoxe : beaucoup d’entreprises disent qu’elles ne trouvent pas les compétences, mais ne mettent pas la main à la pâte pour en former. Mais comme je leur dis, ce n’est pas sur étagères que l’on va trouver les compétences professionnelles : un boucher ne se forme pas dans un livre. Si les entreprises ne participent pas à la co‑construction des compétences, elles n’en trouveront pas. Pôle emploi ne peut pas fabriquer les compétences à partir de rien. Les choses commencent à bouger, dans les territoires en croissance ; beaucoup de branches, d’entreprises, de réseaux se disent qu’il faut s’y mettre, sous peine de voir le manque de compétences freiner la croissance.

De nombreux freins, d’ordre réglementaire, d’ordre législatif, compliquent encore la vie des entreprises et nous allons en lever toute une série. Par exemple, l’apprenti de moins de dix-huit ans ne peut pas travailler dans une boulangerie avant six heures du matin, et donc, comme le pain se fait en général tôt, un apprenti ne peut pas apprendre à faire du pain ; nous abaissons à cinq heures, et l’apprenti quittera une heure plus tôt. Il y a toute une liste de choses qui, une à une, ne sont rien mais qui, prises ensemble, rendent les choses trop compliquées. Ce n’est pas que les entreprises ne veulent pas former les jeunes mais elles peuvent être conduites à se dire que c’est trop compliqué.

M. David Lorion. Ne peut-on imaginer une certaine conditionnalité des aides ?

Mme la ministre. Les entreprises de moins de 250 salariés perçoivent des aides et, au-dessus de 250 salariés, c’est l’inverse, la loi prévoit déjà qu’elles doivent avoir 5 % d’apprentis ou d’alternants, sinon elles payent une pénalité.

M. David Lorion. Ne peut-on généraliser ?

Mme la ministre. Il faut tout de même un tuteur, être capable de bien encadrer le jeune.

M. David Lorion. En outre-mer, des entreprises de 250 salariés, vous n’en trouvez pas.

Mme la ministre. Une autre simplification que nous prévoyons, c’est que, la première année, le reste à charge de l’entreprise pour un apprenti sera très peu élevé. Pour un apprenti de seize ans dans une entreprise de moins de 250 salariés, le coût sera de 200 et quelques euros la première année et 400 euros la deuxième. En réalité, un apprenti ne coûte pas très cher mais, aujourd’hui, comme les entreprises doivent aller chercher quatre aides, elles voient ce qu’elles ont déboursé et pas ce qu’elles récoltent. Et s’il n’y a pas de place en CFA, elles auront accueilli un jeune pour rien : demain, elles seront sûres que la place en CFA est financée. Toutes les simplifications prévues, prises séparément, ne font pas la révolution ; mais prises ensemble, elle créeront un climat dans lequel les entreprises n’hésiteront plus à former les compétences de demain.

L’article 22 aborde des questions ponctuelles et ne traite pas tous les problèmes de Mayotte. L’article 23 ratifie l’ordonnance relative au code du travail à Mayotte : c’était une étape importante, très attendue par les partenaires sociaux mahorais ; elle est entrée en application depuis le 1er janvier. Nous sommes tous sur le pont pour régler les problèmes de Mayotte, autrement plus vastes…

M. Didier Quentin. Ils sont colossaux.

Mme la ministre. En effet. Mais cette loi ne peut pas les traiter tous, même si elle y contribue. J’en suis désolée, mais la sincérité m’oblige à le reconnaître.

M. le président Olivier Serva. Merci mille fois, madame la ministre. Nous avons eu un échange constructif et utile. Vous avez indiqué être disposée à étudier des amendements ainsi que l’idée d’ordonnances, et vous êtes preneuse de toute proposition utile pour les outre-mer. Nous reviendrons vers vous, par l’intermédiaire de nos co-rapporteures notamment, avec des propositions d’amendement pour faire avancer les choses.

 

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[1] Lors de la précédente législature, la pratique constante a été de publier dans les rapports d’activité, pour autant qu’ils ne l’aient pas été dans d’autres rapports de la Délégation, les comptes rendus de ses débats établis par le service des comptes rendus des commissions. Une décision prise pendant l’intervalle entre la fin effective des travaux de la législature précédente et la constitution de la Délégation a inopportunément restreint le recours à ces comptes rendus, que ne saurait pour autant remplacer la consultation du portail vidéo.