N° 1400

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIEME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 novembre 2018.

 

RAPPORT DINFORMATION

DÉPOSÉ

en application de larticle 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

valant avis sur le projet de contrat dobjectifs et de moyens entre lÉtat et lAgence française de développement (AFD) pour la période 2017-2019

 

ET PRÉSENTÉ

 

PAR M. Frédéric BARBIER

Député

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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. Une AFD en croissance rapide

A. Une agence au fonctionnement original

1. Les missions et le fonctionnement de lAFD

2. Un modèle original mettant laccent sur les prêts

B. Une croissance rapide de lactivité de lAFD

1. Laugmentation de lactivité de lAFD depuis 2015

2. La poursuite de laugmentation à partir de 2018

a. Les prévisions dengagements du Groupe en 2018

b. Les déterminants du niveau des autorisations dengagement

c. Les déterminants du rythme dexécution des projets

d. Laugmentation des ressources humaines :

e. Laugmentation des moyens immobiliers et informatiques :

II. Un COM tiraillé entre les objectifs du développement durable et les objectifs de la politique étrangère française

A. Ladaptation de lactivité de lAFD aux Objectifs du développement durable

B. Ladaptation des priorités géographiques

C. La stratégie de lAFD dans les zones de crise et la facilité Minka

D. La recherche de partenariats

III. Un COM de transition

A. Un COM tardif

B. Un COM provisoire

C. Faciliter le contrôle du Parlement

D. Sortir de la triple tutelle

Conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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   introduction

Mesdames, Messieurs,

Notre commission est chargée, en application de l’article 1er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, d’examiner le projet de Contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française de Développement pour la période 2017-2019.

Ce texte vise à permettre aux assemblées d’exercer un contrôle sur les agences contribuant à la politique étrangère de la France. Le contrat d’objectif et de moyen est une convention passée entre l’État et l’agence concernée qui détaille, comme son nom l’indique, les objectifs assignés à l’agence et les moyens devant être mis à sa disposition.

L’examen du présent projet de COM est cependant l’occasion pour notre commission de s’interroger à la fois sur la politique d’aide au développement de la France, dont l’Agence française de Développement est l’un des principaux acteurs, et sur la pertinence de cette procédure d’examen.

Le fait que l’examen de ce document intervienne au mois de novembre 2018 peut en effet surprendre. Un premier projet de COM avait été élaboré au mois d’avril 2017, mais il a été jugé peu opportun de faire procéder à son examen par les assemblées très peu de temps avant les élections présidentielles et législatives. Le changement de majorité ayant entraîné une réévaluation de la politique d’aide française, et par conséquent des missions de l’Agence, il a encore fallu attendre que certains arbitrages soient faits pour que nous puissions disposer de ce document.

Cependant, la mise en œuvre de la politique d’aide décidée par le président de la République est progressive et impliquera entre autres choses l’intégration au sein du groupe AFD de l’agence Expertise France, qui fait elle-même l’objet d’un contrat d’objectifs et de moyens. Le rapprochement entre les deux agences au sein d’une entité commune, le groupe AFD, conduira par conséquent à l’examen d’un nouveau COM dont la période d’application commencera en 2020. C’est pourquoi le présent projet de COM, qui portait initialement sur la période 2017-2020, ne s’applique plus désormais que jusqu’à la fin de l’année 2019. Le présent projet de COM porte donc, concrètement, sur une seule année, et l’AFD aura fonctionné pendant deux ans sans qu’un COM ait été formellement adopté.

L’examen du projet de COM 2017-2019 constitue cependant une occasion d’examiner la politique d’aide française et la place de l’AFD au sein de son dispositif, préalablement à l’examen de la loi d’orientation et de programmation qui devrait nous être soumise au début 2019.


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I.   Une AFD en croissance rapide

A.   Une agence au fonctionnement original

1.   Les missions et le fonctionnement de l’AFD

Créée en 1941 en tant que Caisse centrale de la France libre, l’Agence française de développement (AFD) est un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial (EPIC) dont les missions et l’organisation sont fixées aux articles R. 516-3 et suivants du code monétaire et financier. Elle a pour mission de « réaliser des opérations de toute nature en vue de contribuer à la mise en œuvre de la politique d’aide au développement à l’étranger et de contribuer au développement des départements et collectivités d’outre-mer, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie ».

Les concours apportés par l’agence peuvent consister en prêts, avances, prises de participation, garanties, dons ou « toute autre forme de concours financier ».

Les destinataires peuvent être des États, des organisations internationales, ainsi que des personnes morales ou physiques. L’agence peut attribuer des concours soit pour son compte propre, soit pour le compte de l’État, soit même pour d’autres organismes français ou étrangers, comme la Commission européenne dans le cadre d’une délégation de gestion.

L’AFD finance des projets de développement dans quatre-vingt-dix pays ou territoires. Elle dispose d’un réseau de soixante-dix agences dans le monde, dont onze outre-mer. En 2017, elle employait 2 027 personnes, dont 707 étaient en poste à l’étranger.

L’agence est dirigée par un directeur général, nommé pour trois ans par décret.

M. Rémy Rioux a été nommé à la direction de l’agence le 2 juin 2016. Les trois directeurs précédents ont été M. Jean-Michel Severino (2001-2010), M. Dov Zerah (2010-2013) et Mme Anne Paugam (2013-2016).

Le Conseil d’administration, qui se réunit en pratique environ une fois par mois, est composé de dix-sept membres :

        un Président, nommé par décret et disposant d’une voix prépondérante ;

        six membres représentant l’État ;

        cinq personnalités qualifiées nommées par décret en raison de leur connaissance des questions économiques et financières, ainsi que de l’écologie et du développement durable ;

        deux députés ;

        deux sénateurs ;

        deux représentants du personnel.

2.   Un modèle original mettant l’accent sur les prêts

L’AFD est avant tout une banque spécialisée dans le financement de projets de développement. Elle emprunte des ressources sur les marchés financiers à des taux favorables, proches des conditions obtenues par l’État. Elle prête ensuite à des conditions qui peuvent être ou non bonifiés par rapport aux taux habituels des marchés ; l’agence applique des marges et commissions, qui varient selon les pays et les projets.

Sur ses prêts dits concessionnels (avec bonification), l’AFD reçoit elle-même de la part de l’État des bonifications correspondant à ce qui est qualifié d’un « coût-État » défini dans la convention cadre entre le ministère de l’économie et des finances, celui des affaires étrangères et l’AFD.

Bien que l’activité de prêts sans bonification soit aujourd’hui majoritaire dans l’activité de l’agence, son image reste plutôt celle d’une agence de coopération qui octroie des subventions au nom de l’État. Ainsi, l’AFD attribue, au nom du ministère des affaires étrangères, les dons destinés à la réalisation de projets dans les secteurs de l’agriculture et du développement rural, de la santé et de l’éducation de base, de la formation professionnelle, de l’environnement, du soutien au secteur privé, des infrastructures et du développement urbain.

La France est pratiquement le seul bailleur important qui ait pour principal instrument une institution financière soumise au régime des établissements de crédit. La Commission européenne, les États-Unis ou le Royaume-Uni utilisent ainsi uniquement ou quasi-uniquement l’outil des subventions, sans recourir aux prêts qui sont plutôt utilisés par les banques multilatérales. L’Allemagne et le Japon ont développé une activité importante de prêts, qui représente cependant une part moins importante du volume d’activité que pour l’AFD : respectivement, environ 55 % et 75 %, contre 85 % pour l’AFD.

Par ailleurs, le mode de financement de l’agence est particulièrement original, y compris pour un opérateur de l’État puisqu’elle ne reçoit pas de subvention pour charges de service public mais se rémunère sur l’ensemble des opérations qu’elle gère. Elle prélève ainsi des commissions auprès des bénéficiaires de ses prêts tandis que l’État lui verse des rémunérations censées couvrir ses frais réels pour les autres opérations.

B.   Une croissance rapide de l’activité de l’AFD

1.   L’augmentation de l’activité de l’AFD depuis 2015

Le Président de la République avait annoncé, lors du sommet des Nations Unies sur le développement durable de septembre 2015, puis à la COP 21 en décembre 2015, une croissance de 4 milliards de l’activité de l’AFD dans les États étrangers à l’horizon 2020 (par rapport à 2015) ([1]), dont 2 Mds€ pour le climat.

Cela signifiait environ 12,7 Mds€ d’activité annuelle pour le Groupe AFD à horizon 2020, dont près de 11 Mds€ dans les États étrangers. Cette croissance de 4 milliards devait reposer principalement sur les prêts, garanties et prises de participation, mais incluait aussi, à due proportion, l’activité de dons, qui devait augmenter de près de 400 M€ dans la même période.

Cette trajectoire reposait sur une croissance de 3,1Mds€ pour l’AFD et de 900 M€ pour Proparco, avec un rythme relativement linéaire de +800M€ de prêts et garanties supplémentaires par an, afin de lisser cette croissance.

De plus, un renforcement des fonds propres de l’AFD a été réalisé en 2016 pour un montant de 2 408 M€, ce qui a permis d’accroître sensiblement les montants annuels moyens d’engagement, notamment dans une douzaine de géographies, où l’activité du groupe AFD était contrainte par la limite grands risques. Ces pays sont le Nigéria, le Brésil, la Colombie, le Mexique, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam, le Maroc, la Turquie, l’Afrique du Sud et la Tunisie.

Les prêts du Groupe AFD ont atteint 7,7 Mds€ en 2017 en autorisation d’engagement dans les États étrangers, soit une augmentation de 1,4 Mds€ (+23 %) par rapport à 2015. Cette croissance est en ligne avec l’objectif de +4 milliards en 2020.

Quant à l’activité en don, elle a atteint 1,5 Md€ en 2017 en autorisation d’engagement dans les États étrangers, soit une augmentation de 387 M€ par rapport à 2015. Cette croissance est en ligne avec, et dépasse même largement, l’objectif de +400 M€ en 2020.

Il convient cependant de noter que cette trajectoire 2020 annoncée en 2015 est moins ambitieuse que la nouvelle trajectoire fixée à l’aide française par le CICID de février 2018, pour atteindre le nouvel objectif présidentiel de consacrer 0,55 % du RNB français à l’APD en 2022.

Cette trajectoire 2020 de l’AFD sera donc révisée à la hausse à concurrence des moyens budgétaires qui lui seront alloués.

2.   La poursuite de l’augmentation à partir de 2018

Le Titre I du COM, « Une nouvelle dynamique de croissance », tient compte de l’augmentation du volume d’aide française et de l’activité de l’AFD. Conformément aux conclusions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018, le COM annonce que « l’AFD bénéficiera de moyens accrus, y compris au moins un milliard d’autorisations d’engagements dès 2019, dans le cadre d’un effort qui sera soutenu sur l’ensemble du quinquennat ». Les engagements annuels doivent atteindre 11 milliards d’euros en 2018 et 14 Mds€ en 2019 (objectif 1). Les instruments doivent également être diversifiés et la part des engagements non souverains augmentée (objectif 2).

L’augmentation de l’activité de l’AFD s’est traduite dans les lois de finances : en 2017, l’AFD a bénéficié de plus de moyens en dons (plus 170 millions d’euros par rapport à 2016), notamment grâce aux moyens issus de la taxe sur les transactions financières. Plusieurs chantiers ont été lancés en 2018 pour préparer le groupe AFD à générer progressivement plus d’APD, en gérant des montants financiers supérieurs, en mettant en œuvre plus de dons, et en décaissant plus rapidement. Avec 10,3 milliards d’euros d’autorisations d’engagement en 2017, l’AFD a fait croître son activité d’un milliard d’euros, à l’instar de l’année précédente.

 

Activité du groupe AFD 2013-2017, en millions deuros

Autorisations en M€

2013

2014

2015

2016

2017

AFD

6 798

6 973

7 220

8 073

8 962

Proparco

1 030

1 105  

1 097

1 330

1 377

Groupe AFD

7 828

8 078

8 317

9 403

10 339

 

a.   Les prévisions d’engagements du Groupe en 2018

Le groupe AFD a pour objectif d’atteindre 11 milliards d’euros d’autorisations d’engagements en 2018, soit une hausse de 7 % par rapport à 2017 (10,3 milliards d’euros). Cette trajectoire est en ligne avec les engagements présidentiels d’augmentation de 2015, mais pas encore avec les annonces récentes (CICID de février 2018) qui se traduiront dans la trajectoire d’activité du groupe AFD dès 2019. La croissance de l’activité présente les caractéristiques suivantes :

– Une hausse de 4 % des engagements de l’AFD dans les États étrangers par rapport à 2017, année durant laquelle les objectifs fixés par le plan d’affaires ont été dépassés (7,4 milliards d’euros estimés pour une cible 7,2 milliards d’euros).

– L’objectif de l’activité dans les Outre-mer est fixé à 1,73 milliard d’euros, soit une hausse de 12 % par rapport à 2017.

– L’activité de PROPARCO devrait passer de 1,37 milliard d’euros en 2017 à 1,63 milliard d’euros en 2018 (+19 %).

– L’Afrique restera la première géographie d’intervention de l’AFD après une année 2017 exceptionnelle, avec 4,4 Mds€ d’activité sur le continent.

b.   Les déterminants du niveau des autorisations d’engagement

En termes budgétaires, la réalisation du plan d’affaires 2018 repose sur l’augmentation des subventions, du coût État et des ressources du programme 123 consacrées aux Outre-mer. D’autres facteurs conditionneront l’atteinte des objectifs :

– La capacité de l’AFD à matérialiser les efforts de prospection, notamment sur l’activité non souveraine, dans un contexte de dégradation du risque pays de certaines géographies prioritaires pour l’AFD ;

– Sa capacité à poursuivre sa trajectoire d’activité en prêts dans un contexte d’atteinte des limites grands risques dans certains pays et de moindre soutenabilité de l’endettement de certains pays africains ;

– La possibilité d’aligner le rythme de recrutements avec la trajectoire d’activité ;

– L’extension du mandat de l’AFD à de nouveaux secteurs.

La nouvelle trajectoire budgétaire vers l’objectif de 0,55 % est encore en cours de définition et qui doit faire l’objet d’une loi de programmation au début de l’année 2019, ce qui devrait permettre d’affiner les prévisions d’engagement du groupe AFD pour 2019.

Enfin, le milliard d’euros additionnel d’autorisations d’engagements en dons figurant dans le projet loi de finance 2019 doit permettre de satisfaire les priorités politiques fixées par le CICID de février 2018. Jusqu’à la moitié de cette enveloppe, c’est-à-dire 500 M€, sera allouée à l’éducation, la jeunesse, l’égalité femmes-hommes, à la santé et à la nutrition dans une logique de résorption des inégalités. Le climat et la biodiversité d’une part, les traitements des crises et des fragilités d’autre part, sont les deux autres grandes priorités et bénéficieront chacune d’environ 200 M€ supplémentaires. Le solde sera consacré à la préparation des projets, à la coopération décentralisée et aux sujets émergents comme la culture et le sport au service du développement.

L’AFD poursuit enfin ses discussions avec les administrations sur sa trajectoire pour les années 2020-2022. Ces orientations devraient être fixées dans le futur Contrat d’Objectifs et de Moyens du groupe AFD, qui inclura Expertise France.

c.   Les déterminants du rythme d’exécution des projets

Par ailleurs, l’AFD va favoriser les interventions avec des décaissements et des impacts plus rapides sur le terrain. Pour cela, elle va :

– construire une gamme d’instruments plus lisible : l’AFD souhaite structurer et développer une gamme de produits facilement identifiables, pour gagner en impact et faire mieux valoir sa valeur ajoutée auprès de ses bénéficiaires. Peuvent être cités à titre d’exemples Sunref ou Agreenfi dans le domaine de l’intermédiation financière, les initiatives Sawa (Moyen-Orient), Tiwara (Sahel), et plus récemment le fonds MINKA.

– rechercher des impacts rapides dans les projets, tout en combinant l’exigence de durabilité des interventions avec l’urgence des résultats, notamment dans les pays les plus fragiles. L’AFD vise à faire évoluer ses modes d’actions comme au sein de l’Alliance Sahel ou de la facilité MINKA.

– piloter progressivement son activité par les signatures et les versements et pas seulement par les engagements.

d.   L’augmentation des ressources humaines :

L’augmentation de l’activité de l’AFD a entraîné une croissance de ses effectifs de près d’un quart entre 2013 et 2017, principalement du fait de la croissance des effectifs au siège. Sur la même période, l’activité de l’Agence a augmenté de 32 % (de 7,8 Mds€ en 2013 à 10,3 Mds€ en 2017). L’AFD a effectué 550 recrutements entre 2016 et 2017, puis a quelque peu réduit ce rythme en 2018, avec 164 créations de postes, afin de s’enrichir de profils nouveaux.

En termes d’égalité de genre, l’AFD atteindra 53 % de femmes parmi ses managers au siège à l’issue du mouvement 2018. Les chiffres progressent aussi dans le réseau : de 40 à 43 % de femmes en 2018 parmi les directeurs adjoints d’agence, et de 12 à 19 % parmi les directeurs d’agence. Fin 2017, l’AFD a signé un accord d’égalité professionnelle, et va de surcroît postuler pour les certifications AFNOR « égalité professionnelle » et « diversité ».

L’AFD s’est ainsi engagée dans une transformation profonde de son organisation en relation avec les nouvelles ambitions qui lui sont assignées aux horizons 2020 et 2022. La trajectoire induite pour son activité – bien qu’elle ne soit pas définie pour l’heure – s’accompagnera d’une modernisation des règles et du cadre de gestion des ressources humaines (étude en cours sur l’opportunité de la refonte du statut du personnel). La nouvelle stratégie en termes de Ressources Humaines du groupe sera présentée au CA de l’AFD d’ici la fin de l’année 2018.

Concernant le réseau, l’effectif opérationnel y est composé des agents du cadre général soumis à mobilité (SAM), des volontaires internationaux (VI) et des cadres locaux opérationnels. L’augmentation des effectifs dans le réseau a été plus importante sur les SAM (+31 %) et les VI (+33 %), notamment dans les agences des États étrangers.

Le tableau suivant renseigne sur les effectifs au siège de l’AFD et dans son réseau sur les cinq dernières années (hors Proparco).

 

Effectifs positionnés

2013

2014

2015

2016

2017

Évolution
2013-2017

TOTAL effectifs Réseau

766

778

787

832

852

11 %

dont agences États étrangers

617,5

628

639

687

707

14%

dont agences Outremer

135

136

136

134

134

-1%

dont autres Réseau*

13

14

12

11

11

-15 %

TOTAL effectifs Siège

885

905

941

1 041

1 175

33 %

TOTAL EFFECTIFS AFD

 

1 651

1 683

1 728

1 873

2 027

23%

* Bureau de Bruxelles, assistants techniques et mises à disposition dans le Réseau

 

Concernant Proparco, filiale du groupe AFD, l’évolution des effectifs est la suivante :

Effectifs positionnés*

2014

2015

2016

2017

 

Évolution 2014-2017

TOTAL effectifs Réseau

 

146

150

166

205

 

40%

TOTAL effectifs Siège

 

12

12

12

14

 

16%

TOTAL EFFECTIFS Proparco

 

158

162

178

219

 

38%

* au 31 décembre de lannée en cours

 

e.   L’augmentation des moyens immobiliers et informatiques :

Afin d’accueillir dans de bonnes conditions ses nouveaux effectifs, l’Agence doit poursuivre l’adaptation de ses moyens immobiliers et informatiques :

– l’AFD ouvrira à la rentrée 2018 un nouveau bâtiment « Art & Co », situé dans le quartier de la Gare de Lyon à Paris (rue Traversière), à proximité des bâtiments Barthes (Siège), Mistral et Viva City. Cet espace accueillera dans un premier temps 250 agents. Une réflexion plus globale sur la stratégie immobilière de l’AFD est en cours, de premières orientations seront proposées aux administrateurs lors d’un CA d’ici la fin de l’année 2018.

– l’AFD poursuivra et intensifiera les investissements conduits en matière informatique. À titre d’exemple, l’AFD a lancé la dématérialisation des parapheurs et continue à déployer des outils de travail collaboratifs (tel que Skype Entreprise).


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II.   Un COM tiraillé entre les objectifs du développement durable et les objectifs de la politique étrangère française

A.   L’adaptation de l’activité de l’AFD aux Objectifs du développement durable

Le projet de COM reprend ensuite les grandes orientations décrites dans le Plan d’orientation stratégique 2018-2022 intitulé « Pour un monde en commun », adopté en août 2018 par l’AFD, et les traduit sous forme d’objectifs. Ce document fait suite à l’adoption des « objectifs du développement durable » (ODD) par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015, qui faisaient suite aux « Objectifs du millénaire », adoptés en 2000.

Les ODD visent à faire du développement non plus un objectif des pays du Sud que les pays du Nord les aideront à atteindre, mais un objectif partagé et beaucoup plus général, non seulement de développement économique et humain, mais également de stabilité politique et sociale, incluant des objectifs environnementaux et sociétaux ainsi que de paix et de sécurité. Le projet de COM reflète l’adaptation de l’AFD à cette feuille de route.

L’application des Objectifs de développement durable ODD se décline ainsi en six « grandes transitions » : démographique et sociale ; énergétique ; territoriale et écologique ; numérique et technologique ; politique et citoyenne ; économique et financière. L’agence doit adapter sa stratégie et son fonctionnement interne aux ODD (objectif 3), contribuer à la mise en œuvre de l’accord de Paris (objectif 4) avec un objectif de 5 milliards d’euros annuels en 2020, tout en mobilisant 3 milliards d’euros entre 2016 et 2020 pour le développement des énergies renouvelables en Afrique et en maintenant une part de 50 % des autorisations de financement du groupe AFD à l’étranger comportant un co-bénéfice climat. La préservation de la biodiversité fait l’objet de l’objectif 5.

L’accès à l’éducation de qualité pour tous (ODD 4) fait l’objet de l’objectif 6. l’AFD complétera les engagements pris par la France dans le cadre du Partenariat Mondial pour l’Éducation en apportant 100 M€ de subvention additionnels au secteur de l’éducation de base sur la période 2018 – 2020.

La réduction des inégalités entre femmes et hommes (ODD 5) fait l’objet de l’objectif 7, avec une cible de 50 % de projet comportant un objectif genre principal ou significatif (c’est-à-dire un marqueur 1 ou 2 selon la méthodologie de l’OCDE) à l’horizon 2020.

Le transfert à l’AFD du mandat gouvernance qui a eu lieu le 1er janvier 2016 lui permet de mettre en avant l’objectif n° 8 est de contribuer à l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives reposant sur des institutions efficaces (ODD 16).

Le COM de l’AFD met donc en avant cinq thématiques prioritaires issues des 17 objectifs du développement durable, laissant donc de côté certains d’entre eux comme la lutte contre la pauvreté (ODD n° 1), la santé (ODD n° 3), ou encore l’eau et l’assainissement (ODD n° 6), qui sont pourtant des secteurs d’activité importants de l’aide française.

Cette sélection d’objectifs, qui est conforme au Plan d’orientation stratégique de l’AFD et qui reflète pour l’essentiel les priorités listées dans le relevé de conclusions du CICID de février 2018, souffre du même défaut. On est plus en présence d’une liste d’objectifs séparés, quelle que soit leur pertinence, que d’une véritable stratégie d’ensemble. Ce problème peut résulter à la fois du caractère complexe du pilotage de l’aide française, éclaté entre plusieurs ministères et administrations, et du caractère universel des ODD, qui constituent eux-mêmes un ensemble d’objectifs très diversifié et peu hiérarchisé.

B.   L’adaptation des priorités géographiques

Le titre 3 « Agir de manière différenciée dans les zones géographiques d’intervention de l’AFD » vise à répondre aux priorités géographiques de l’aide publique au développement de la France.

Le CICID de février 2018 a étendu de façon modérée la liste des pays prioritaires de l’aide française, qui étaient auparavant au nombre de 17 et qui sont désormais 19 ([2]). L’inclusion de la Gambie et de l’Éthiopie, après celles du Liberia et d’Haïti, soit trois pays non francophones et un pays non africain, laisse supposer que les critères d’appartenance à la liste sont devenus moins stricts. Le problème principal était toutefois que les pays prioritaires, plutôt que de devenir plus nombreux, fassent l’objet d’une priorité plus effective, puisque malgré les règles applicables aux pays prioritaires de l’aide ([3]), la structure de l’aide française est aujourd’hui telle qu’aucun de ces pays ne figure parmi les dix premiers bénéficiaires de l’aide publique au développement française. Élargir leur liste ne peut qu’accentuer cette tendance.

L’AFD, de par sa double fonction de banque prêtant notamment à des pays émergents, opérations génératrices de revenu, et d’opérateur de l’aide destinée aux pays prioritaires, doit maintenir un équilibre entre ces deux types d’activité, tâche qui a été rendue difficile ces dernières années du fait du faible volume de subventions. Les pays prioritaires ont en effet une capacité d’emprunt extrêmement limitée et ne peuvent faire l’objet que d’une aide sous forme de dons-projets, laquelle a été fortement limitée jusqu’à cette année. Le milliard d’euros de subventions supplémentaire apporté par le projet de loi de finances pour 2019 devrait donc permettre un rééquilibrage de l’aide française.

Le projet de COM ne se contente cependant pas d’insister sur les pays prioritaires, mais prévoit que le déploiement de l’activité de l’AFD s’articulera autour de trois zones géographiques pertinentes : l’Afrique (sans distinguer désormais entre le Nord et le Sud), les « trois océans », zone correspondant à la problématique de l’Outre-mer français et des régions voisines, et la zone « Amériques et Orients », correspondant à la problématique des économies émergentes.

L’AFD entend néanmoins concentrer son effort financier sur les zones prioritaires : l’Afrique, le Proche et Moyen Orients et les pays les moins avancés (PMA). L’objectif 9 vise à faire en sorte que l’AFD reste un bailleur bilatéral de référence pour le continent africain, l’objectif 10 à renforcer les financements du Groupe AFD à destination des pays les moins avancés, l’objectif 11 à concentrer l’effort financier de l’État sur les pays prioritaires ainsi qu’en Afrique et au Moyen Orient, et l’objectif 12 à renforcer l’action de l’AFD dans les pays fragiles, avec la poursuite de la mise en œuvre de la facilité d’atténuation des vulnérabilités et de réponse aux crises (FAV), dite « Minka », créée en 2016 et dont le CICID du 8 février 2018 a acté le doublement des montants alloués, pour atteindre 200 M€ par an d’ici 2020 dont une partie significative sera consacrée au traitement de la crise sahélienne et l’intensification de la participation de l’AFD à la mise en place de l’Alliance Sahel. Enfin, l’objectif 13 vise à soutenir les secteurs public et privé ultra-marins.

La priorité africaine de la politique française est donc réaffirmée mais fait l’objet d’une double approche dont la cohérence mérite peut-être d’être questionnée. L’AFD insiste sur la pertinence d’une zone « Afrique » incluant le Nord et le Sud, vision qui s’appuie sur les relations effectivement de plus en plus denses existant entre les deux parties du continent, peut-être particulièrement en ce qui concerne la politique marocaine vis-à-vis du Sud du continent, effectivement très active. D’un autre côté, l’AFD applique les recommandations du CICID en matière de priorité géographique et s’implique fortement dans l’effort de stabilisation des zones de crises, problématique qui concerne plus particulièrement l’Afrique subsaharienne, et notamment le Sahel.

C.   La stratégie de l’AFD dans les zones de crise et la facilité Minka

Les orientations stratégiques de l’AFD en matière de lutte contre les vulnérabilités et de réponse aux crises font l’objet d’un cadre d’intervention transversal (CIT) éponyme adopté en conseil d’administration le 13 juillet 2017. Le CIT s’inscrit dans le cadre plus général de la Stratégie française « Prévention, Résilience et Paix durable. Approche globale de réponse à la fragilisation des États et des sociétés » lancée par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères le 13 juin 2018.

Le CIT vise à améliorer la capacité de l’AFD à anticiper le risque de crise et réagir lorsqu’il se matérialise, en travaillant sur les déterminants des crises et non seulement ses effets. Il s’applique dans l’ensemble des pays d’intervention du Groupe AFD, quelles que soient les crises envisagées et les instruments de financement mobilisés.

Parce que les enjeux de vulnérabilités et de résilience face aux crises et la manière d’y répondre peuvent différer significativement en fonction des géographies et thématiques concernées, la Division Fragilités, Crises et Conflits de l’AFD accompagne les départements géographiques et techniques de l’AFD dans l’identification des enjeux, des objectifs et des actions à mener dans son champ d’intervention, et la mise en œuvre du CIT.

Afin de permettre à l’Agence de développer efficacement son activité dans ce domaine, la création d’une nouvelle Facilité pour agir dans les bassins de crise a été décidée par le CICID de novembre 2016 : la Facilité pour l’Atténuation des Vulnérabilités et la réponse aux crises, rebaptisée Fonds Paix et Résilience, dit « MINKA » (« phœnix » en aborigène).

Cette facilité a vocation à financer des réponses structurantes à des crises (et non simplement des projets en zones de crise), le plus souvent à l’échelle régionale, les crises ayant souvent des causes et/ou des effets transfrontaliers. Une telle réponse s’organise autour d’initiatives, qui incluent généralement une composante analytique, un portefeuille cohérent de projets (nouveaux et/ou réorientés sur la base des enjeux posés par la crise) dédiés à la lutte contre les vulnérabilités dans lesquelles la crise prend racine, et un ou plusieurs projets régionaux pour répondre à la dimension régionale de la crise.

Les initiatives financées par MINKA (mais également par d’autres instruments) sont conçues en concertation, en amont de leur présentation en Conseil d’Administration de l’AFD, avec les ministères de tutelle (Trésor et Affaires étrangères), les autres ministères et agences, notamment Expertise France, et les organisations de la société civile.

Ces initiatives ont vocation à financer des réponses structurantes à des crises : soit en restaurant la confiance entre gouvernants et gouvernés (grâce par exemple à la restauration de services de bases), soit entre groupes sociaux déchirés par des tensions (grâce par exemple à des projets bénéficiant à la fois aux réfugiés et aux communautés d’accueil). Ceci peut inclure la restauration de la confiance entre les forces de sécurité et les populations si cela ne comporte pas de risque pour les populations, ainsi que la prévention de l’extrémisme violent. En revanche, MINKA n’a pas vocation à financer des actions qui relèvent principalement de la défense nationale, de la sécurité de l’État, ou de la lutte antiterroriste.

De même, si la facilité MINKA finance largement des opérations à double dividende (projets visant des résultats transformateurs à moyen terme mais aussi des résultats visibles à court terme), elle n’a pas vocation à dupliquer les acteurs humanitaires ou de la stabilisation.

Chaque Initiative abondée par MINKA est approuvée par le Conseil d’Administration. Quatre initiatives ont été adoptées en Conseil d’Administration en 2017 (encadré ci-dessous). Les financements du Fonds Paix et Résilience, prévus à hauteur de 82 millions d’euros en 2017, viennent compléter les financements classiques (209, prêts, C2D) et fonds délégués, pour atteindre un total de 202,5 millions d’euros en 2017. Sur ces 82 millions d’euros en 2017 prévus en mars 2017, 79,9 millions d’euros en 2017 ont été octroyés.

En février 2018, le CICID a réaffirmé les nouvelles priorités gouvernementales pour la solidarité internationale parmi lesquelles figure la stabilisation des zones fragiles et en crises.

La stratégie d’emploi du Fonds MINKA, en conjonction avec les autres financements AFD et français, consiste prioritairement à trouver les leviers pour passer rapidement à l’échelle, compte tenu des montants disponibles au regard de ceux des autres bailleurs bilatéraux de rang comparable (Royaume-Uni et Allemagne), sans quoi les résultats risquent de ne pas être durables.

Enfin, l’AFD est consciente que la sortie de crise repose en grande partie sur la création d’emplois et que le secteur privé, particulièrement affecté par le niveau très élevé de risque dans ces environnements, doit être accompagné par les acteurs publics pour se développer et contribuer pleinement à une croissance plus inclusive. Dans cette perspective, des instruments de mixage de ressources sont en cours de développement, notamment un produit de garantie permettant de mobiliser plus efficacement les ressources financières locales au bénéfice des très petites entreprises dans les zones les plus fragiles. Une enveloppe de 5 millions d’euros a été réservée en 2018 pour le financement de projets pilotes.

D.   La recherche de partenariats

La dernière partie du COM aborde la question des moyens. Ceux mis à la disposition de l’AFD par l’État font l’objet d’une forte augmentation conforme à la trajectoire prévue par le CICID de février 2018, qui sera précisée par la loi d’orientation et de programmation. Le COM insiste cependant sur la nécessité pour l’AFD de mobiliser plus largement les financements extérieurs, publics et privés. Sont également abordés brièvement les partenariats avec la Caisse des Dépôts, qui doit donner accès à l’AFD à un vaste réseau d’acteurs français, et avec Expertise France, dont l’intégration prévue au sein du groupe AFD « élargi » doit permettre à l’AFD de proposer une offre incluant l’expertise.

Plus généralement, l’AFD entend multiplier les partenariats en favorisant une approche multi-acteurs au service du développement (ODD 17). Elle poursuivra le rapprochement engagé avec la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) tandis que le véhicule de financement commun entre l’AFD et la CDC « Stoa » consacrera la moitié de ses engagements à la mise en œuvre de projets d’infrastructures en Afrique, soit 300 M€. Expertise France intègrera un groupe AFD élargi à horizon mi-2019. L’AFD entretiendra également sa relation stratégique avec le secteur privé et renforcera son appui et ses financements à destination des collectivités territoriales françaises. Elle renforcera enfin ses partenariats avec les organisations de la société civile, les banques nationales de développement, les institutions européennes et les bailleurs bilatéraux et multilatéraux.

L’AFD entend par conséquent accroître la part de ses projets en cofinancement avec des partenaires privés et publics (objectif 14) ainsi que ses partenariats avec les acteurs économiques français (objectif 15), accompagner l’action extérieure des territoires français dans les pays en développement (objectif 16) et renforcer le financement et le dialogue avec les organisations de la société civile (objectif 17). L’objectif 19 vise l’intégration d’Expertise France au groupe AFD élargi (le document ne semble pas comporter d’objectif 18).

L’objectif 20 (« Mettre la recherche et le développement au service de la décision et de l’action ») vise à lancer une stratégie de recherche et développement orientée à la fois vers la valorisation des connaissances sur le développement et l’innovation. L’AFD entend poursuivre la transformation de ses méthodes d’analyse et de conception de projets ainsi que sa gamme d’instruments financiers, à l’instar du Fonds Paix et Résilience MINKA lancé en 2017. Elle mobilisera les atouts de la révolution numérique pour renforcer sa proximité avec le terrain  et le suivi des impacts en temps réel.

Le projet de COM, malgré son intitulé, traite cependant très peu des moyens financiers de l’AFD. Il se contente de rappeler que l’État met à la disposition de l’AFD les crédits d’intervention nécessaires au financement de ses opérations dans les États étrangers via :

– les programmes de la mission « Aide publique au développement » (programmes 110 et 209),

– les programmes « Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France » (programme 852) et « Prêts à l’agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans les États étrangers » (programme 853).

Des ressources extrabudgétaires peuvent également être allouées à l’Agence pour la mise en œuvre de ses missions.

Concernant les subventions destinées aux ONG. Le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères réserve une part de son enveloppe du programme 209 pour l’initiative en faveur des ONG.

Concernant l’Outre-mer, l’État met à la disposition de l’AFD des ressources lui permettant de mettre en œuvre des bonifications d’intérêts pour les prêts aux départements, territoires et collectivités d’Outre-mer. Ces ressources sont gérées par le Ministère des Outre-mer (programme 123) et par le Ministère de l’Économie et des Finances (programme 110) pour les crédits de paiement correspondant aux autorisations d’engagement antérieures à 2010.


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III.   Un COM de transition

A.   Un COM tardif

En application de l’alinéa 3 de l’article 1er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale a la faculté d’émettre un avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens conclu entre l’État et l’Agence française de Développement pour la période 2017-2019 ([4]).

L’avis que notre commission est invitée à formuler est donc facultatif et consultatif. C’est toutefois l’occasion, conformément à l’intention du législateur, de faire un point sur l’activité et le fonctionnement d’un établissement public contribuant à l’action extérieure de la France, l’Agence française de Développement, dont l’importance et le rôle sont appelés à s’accroître au cours des prochaines années et dont le positionnement au sein du dispositif français d’aide publique au développement évolue rapidement.

Le contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2017-2019 arrive tardivement, à la fin de l’année 2018, ce qui doit nous amener à nous interroger sur l’adéquation de cette procédure à la mission de contrôle de l’action de l’exécutif dont notre commission est chargée.

L’objectif de l’article 1er de la loi relative à l’action extérieure de l’État est de permettre aux Assemblées d’exercer un contrôle sur l’action des agences concernées. Un tel contrôle ne doit pas être une simple formalité et devrait permettre un véritable suivi de l’activité au fil de l’eau.

Il apparaît tout d’abord que l’AFD a poursuivi son action au cours de l’année 2017 et de la plus grande partie de l’année 2018 en l’absence d’un tel document sans que son activité ne s’en trouve gravement perturbée. Au cours de cette période, l’AFD a par ailleurs accru son activité et a commencé à mettre en œuvre son rapprochement avec la Caisse des Dépôts et Consignation, tout en préparant l’intégration à venir d’Expertise France au sein du groupe AFD élargi.

La période d’application du précédent COM, 2012-2016, s’accordait par ailleurs assez mal avec la tenue d’élections générales en 2017, dont le résultat était susceptible d’aboutir à une remise en cause des orientations du COM suivant, qui devait s’appliquer à partir de 2017. Il a donc fallu attendre que le gouvernement ait pu définir les orientations de sa politique d’aide publique au développement pour que ses relations avec l’AFD puissent faire l’objet d’un document formel décrivant les grandes orientations de l’agence. C’est ce document que nous examinons aujourd’hui.

B.   Un COM provisoire

Cependant, l’AFD est elle-même appelée à évoluer au cours de la période d’application de ce COM, du fait, en particulier, de l’intégration prévue de l’agence Expertise France au « groupe AFD élargi ». Cette intégration va non seulement contribuer à la croissance actuelle de l’AFD, qui est rapide, mais aura également une influence sur la vocation même de l’agence. D’une institution strictement financière, l’AFD sera devenue, en partie, un opérateur et pourra proposer des « packages » incluant à la fois financement et expertise. L’agence Expertise France faisant elle-même l’objet d’un renforcement en raison de la poursuite du regroupement en son sein des organismes français d’expertise, l’impact de son intégration au sein du groupe AFD en sera encore renforcé.

Cette évolution en profondeur, qui devrait être effective à la fin de l’année 2019, rendra nécessaire l’élaboration d’un nouveau COM dont la période d’application commencera en 2020. Par conséquent, le COM que notre commission est appelée à examiner ne s’applique concrètement qu’à l’année 2019. Il convient donc de relativiser l’importance du document présenté à notre examen.

Le COM 2017-2019 est donc un document dont l’application a précédé de presque deux ans l’adoption, et une feuille de route qui a suivi les changements d’orientation de la politique française d’aide au développement au lieu de les annoncer. Le contrôle du Parlement s’exerce donc au mieux a posteriori sur les deux tiers de la période couverte.

Il convient également de remarquer que le document qui nous est soumis est long de seize pages, la partie consacrée aux moyens tenant pour sa part sur une page unique. Si ce format peut suffire pour décrire les grandes orientations de l’agence, il ne permet pas de rendre compte de son action passée depuis l’adoption du précédent COM, ni depuis 2017.

L’examen du présent projet de COM est donc l’occasion de s’interroger sur la pertinence de cette procédure et sur les modalités possible d’un véritable contrôle parlementaire de l’action de l’Agence.

Il convient en effet de distinguer le fond et la forme de ce projet de COM. Sur le fond, ce projet de COM ne pose pas de problème particulier. Les orientations qu’il assigne à l’agence sont conformes aux priorités énoncées par le Président de la République, puis par le CICID de février 2018. Les priorités géographiques et sectorielles de l’agence reflètent l’équilibre parfois difficile entre les objectifs universels du développement que forment les ODD et les objectifs plus immédiats de la politique étrangère française, notamment vis-à-vis de ses partenaires traditionnels africains. Ces deux séries de priorités ne sont pas nécessairement en conflit : plus l’aide française peut s’insérer dans les objectifs de développement partagés par nos principaux partenaires, bilatéraux comme multilatéraux, plus il lui est facile de les mobiliser sur des objectifs plus particuliers comme la stabilisation du Sahel.

La forme et le contexte posent en revanche un certain nombre de problèmes. Le contexte est celui décrit au début du présent rapport : la présentation d’un document dont le champ d’application est aux deux tiers épuisé au moment de sa présentation, et dont l’élaboration dans les temps a été perturbée par le calendrier électoral n’est probablement pas le meilleur moyen de permettre un contrôle parlementaire efficace de l’action d’une agence.

C.   Faciliter le contrôle du Parlement

Votre rapporteur suggère donc que notre commission réfléchisse à cette fin à une procédure plus appropriée. L’Agence française de développement est une institution dont la transparence n’est pas en cause. Le site internet de l’Agence donne accès à de nombreuses données, et l’Agence publie chaque année un rapport annuel qui permet de se faire une idée de son activité.

Le parlement aurait cependant besoin d’un document plus spécialisé que le rapport annuel, qui contient beaucoup d’illustrations graphiques et qui semble viser un objectif plus promotionnel qu’informatif. Un meilleur contrôle parlementaire pourrait être exercé sur la base d’un document annuel relativement court et synthétique, mais présentant les principaux chiffres de l’activité de l’Agence sur l’année écoulée, et faisant le point sur l’évolution de chacun des objectifs du COM. Certains de ces objectifs se prêtent à une évaluation chiffrée précise qui pourrait figurer dans le document en question ; d’autres sont d’ordre plus prospectif et ne peuvent être évalués qu’à moyen terme, mais pourraient toutefois faire l’objet d’une brève synthèse sur leur mise en œuvre.

La présentation régulière d’un tel document aurait pour but de permettre aux nombreux parlementaires intéressés par l’activité de l’Agence française de Développement de mieux prendre connaissance de son activité et de ses évolutions.

D.   Sortir de la triple tutelle

Au-delà de la question du contrôle parlementaire, l’examen du COM de l’AFD révèle un problème de fond tenant au positionnement de l’AFD au sein du dispositif français d’aide publique au développement.

La réforme de 1998, avec la suppression du ministère de la Coopération, a créé une dichotomie du pilotage de l’aide publique au développement de la France qui n’a jamais été résorbée depuis cette date. La création d’un secrétariat d’État au développement n’a pas permis d’aboutir à un pilotage fort et unifié de l’aide française, qui se trouve aujourd’hui politiquement sous l’égide du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, mais qui fonctionnellement continue à faire l’objet de processus de décision complexes impliquant de nombreux acteurs, étatiques ou non-étatiques.

Cette situation se reflète dans le système de triple tutelle de l’AFD, soumise à l’autorité du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de l’Économie et de l’Outre-mer.

Cette situation se reflète dans le document soumis à l’examen de la commission des Affaires étrangères. Le projet de COM 2017-2019 a d’abord fait l’objet d’un processus d’élaboration manifestement long et complexe, qui a entraîné un premier retard, lequel en a entraîné d’autres. En effet, si le projet de COM avait pu être présenté avant la fin 2016, il aurait pu entrer en application avant la transition politique de 2017 et n’aurait pas présenté le caractère anachronique du présent document.

Mais le contenu du document lui-même révèle une certaine confusion au sein du dispositif français d’aide publique au développement. Le COM suit en effet de près les conclusions du CICID de février 2018, notamment en ce qui concerne ses orientations stratégiques. Or, ces dernières s’identifient plus à une simple liste de priorités qu’à une véritable stratégie. Le document donne l’impression d’un compromis les priorités respectives de plusieurs centres de décision plutôt que d’une stratégie véritablement globale résultant d’une réflexion suivie dans la longue durée.

L’examen de ce COM provisoire, qui sera rendu caduc par la loi de programmation et d’orientation attendue pour le début 2019, est donc l’occasion de réfléchir à un dispositif susceptible de placer l’aide publique au développement de la France sous une autorité politique plus cohérente. Plusieurs pistes ont été évoquées dans des rapports récents ([5]).

Celle d’un ministère du développement regroupant les services des ministères de l’Économie et de l’Europe et des Affaires étrangères a été proposée par plusieurs rapports récents, dont celui de nos collègues Rodrigue Kokouendo et Bérengère Poletti ([6]) ainsi que celui de notre collègue Hubert Julien-Laferrière ([7]). Du point de vue politique, il est en effet important que l’aide française soit conduite par un ministre dont le rang lui permette de placer la politique d’aide au plus haut niveau, et d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de long terme à côté de celles qui seront adoptées en matière de défense ou de diplomatie. Du point de vue administratif, l’éclatement de l’aide en services rattachés à des ministères différents, s’il est inévitable dans une certaine mesure, doit cependant être réduit au minimum. Dans ce domaine, la coordination interministérielle ne suffit pas et risque trop souvent d’aboutir à des compromis entre priorités divergentes plutôt qu’à une véritable stratégie.

Une autre piste, évoquée dans son rapport par notre collègue Hervé Berville ([8]), consiste à établir une Conférence de pilotage permanente, remplaçant le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement Placée sous l’autorité du Premier ministre, cette conférence se réunirait à la suite des Conseils de développement présidés par le chef de l’État et rendrait caduc le CICID. Par ailleurs, un Cadre de partenariat global, document stratégique unique exposant la vision de la France à long terme, serait élaboré par une commission de rédaction pilotée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères incluant les principaux ministères et opérateurs concernés.

Dans chacun de ces deux cas, la politique d’aide publique au développement de la France pourrait être placée sous une autorité unique et faire l’objet d’une stratégie cohérente.

En tout état de cause, quel que soit le moyen retenu, il est important que l’AFD puisse être placée sous une tutelle sinon unique, du moins plus cohérente. À cette fin, le conseil d’orientation stratégique ([9]) qui regroupe les différentes tutelles et qui a en charge l’élaboration et le contrôle de l’exécution du COM devrait sans doute être plus clairement placé sous l’autorité de la tutelle « chef de file » qu’est celle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la politique de développement étant in fine l’un des volets de la politique étrangère de la France.

Il est en tout cas essentiel que la politique d’aide française soit portée par une autorité politique unique, en mesure de la doter d’une véritable stratégie et disposant d’un poids suffisant pour la diriger au niveau international et pour la défendre auprès de l’opinion publique au niveau national. La trajectoire budgétaire ambitieuse définie par le président de la République et précisée par le CICID de février 2018 devrait en effet rendre notre politique d’aide plus visible et plus souvent sujette à un examen critique. Le besoin de transparence et de contrôle s’en trouvera probablement accru et la nécessité d’un pilotage plus clair et plus cohérent sera par conséquent renforcée.


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   Conclusion

Le projet de COM qui nous est soumis est transitoire : il porte sur une période en réalité très courte et vise principalement valider l’activité de l’Agence pendant une période au cours de laquelle une nouvelle politique a été élaborée.

Le contenu du projet ne pose pas de problème majeur. Les priorités thématiques et géographiques qui y figurent sont conformes aux choix politiques faits par la France. L’adaptation de l’Agence à la croissance prévue de son activité devra faire l’objet de décisions ultérieures que nous devrions être amenés à examiner lors de l’examen du contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et le groupe AFD élargi qui devrait, en principe, nous être soumis à la fin 2019.

Votre rapporteur vous invite donc à approuver ce projet de COM. Cet avis est toutefois assorti de deux recommandations.

En premier lieu, il conviendrait de réfléchir à une procédure plus exigeante visant à permettre au Parlement d’exercer son contrôle sur les agences contribuant à la politique extérieure de la France. Les contrats d’objectifs et de moyens pourraient faire l’objet d’une périodisation plus pertinente et plus en lien avec les mandats politiques. Leur contenu pourrait être plus dense, et pourrait inclure une synthèse de l’exécution du COM précédent.

En second lieu, ce projet de COM pose la question du pilotage de l’aide publique au développement, qui fera l’objet d’un débat à l’occasion de l’examen de la loi d’orientation et de programmation qui nous sera soumise au cours de l’année 2019.

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de contrat d’objectifs et de moyens au cours de sa séance du mercredi 14 novembre 2018.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen pour avis par notre commission du projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’Agence française de développement (AFD) pour la période 2017-2019, sur le rapport de notre collègue Frédéric Barbier.

Un contrat d’objectifs et de moyens est, aux termes de la loi du 17 janvier 2010, une convention pluriannuelle passée entre l’État et un établissement contribuant à l’action extérieure de l’État ; il définit « au regard des stratégies fixées, les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en œuvre de ses missions ». Les commissions compétentes des deux assemblées ont la possibilité d’émettre un avis sur ces conventions avant leur adoption formelle par les autorités dirigeantes des établissements concernés.

Cette procédure est de nature à susciter plusieurs remarques.

En premier lieu, les commissions ne peuvent prononcer qu’un avis consultatif, ce qui limite le contrôle effectivement exercé par le Parlement sur l’action des établissements visés par l’article 1er de la loi de 2010.

En deuxième lieu, concernant son contenu, ce projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD se présente sous la forme d’un document de seize pages composé de deux parties. La première dresse une liste de vingt-cinq objectifs ; la seconde, limitée à une page et demie, affiche la programmation des moyens. Le document n’est donc guère détaillé.

Mais le plus surprenant dans l’exercice qui est aujourd’hui le nôtre tient à ce que ce contrat d’objectifs et de moyens s’applique à une période qui commence avec l’année 2017 et se termine fin 2019, alors que nous sommes déjà au mois de novembre 2018. Autrement dit, la période concernée par ce projet de COM est déjà écoulée aux deux tiers. Je sais que vous reviendrez, monsieur le rapporteur, sur la raison de ce que je nommerai, pour le moins, une « originalité » !

Par ailleurs, comme l’AFD fera bientôt l’objet d’un regroupement avec l’agence Expertise France, elle-même soumise à un COM, et qu’interviendra au premier trimestre 2019 une loi d’orientation et de programmation sur l’aide au développement, il faudra – et cette fois, je l’espère, dans des délais appropriés – écrire un nouveau COM pour le « groupe AFD » ainsi formé, qui déclinera ce qui aura été écrit et voté dans la loi d’orientation.

Cette situation un peu étrange nous conduit à nous interroger à la fois sur le contrôle parlementaire et sur la véritable valeur à accorder aux contrats d’objectifs et de moyens lorsqu’un établissement peut fonctionner sans problème apparent pendant deux ans alors que son COM n’a pas été adopté, et encore moins examiné par les assemblées.

Rappelons que l’AFD, avec un rôle et des moyens en augmentation, est devenue également un lieu central d’élaboration de la stratégie française d’aide au développement.

L’examen de ce projet de COM est ainsi l’occasion de nous amener à réfléchir à la question du pilotage de l’aide publique française au développement et de sa dispersion, une question qui devient encore plus pressante en raison de l’augmentation du budget de l’aide.

Nos collègues Bérengère Poletti et Rodrigue Kokouendo ont recommandé dans leur rapport d’information le regroupement des services de l’État compétents au sein d’un ministère unique de l’aide au développement. Notre collègue Hervé Berville a, pour sa part, préconisé dans son rapport la création d’une conférence de pilotage permanente placée sous l’autorité du Premier ministre.

Ces différentes pistes doivent être examinées très attentivement car l’aide publique au développement de la France ne pourra pas atteindre les objectifs ambitieux fixés par le Président de la République si elle demeure éclatée comme elle l’est aujourd’hui, au détriment d’un pilotage politique fort.

C’est au bénéfice de ces remarques liminaires que je vous laisse la parole, monsieur le rapporteur, avant le débat avec nos commissaires.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Notre commission est chargée, en application de l’article 1er de la loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, d’examiner le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française de développement pour la période 2017-2019.

Ce texte vise à permettre aux assemblées d’exercer un contrôle sur les agences contribuant à la politique étrangère de la France. Le contrat d’objectifs et de moyens est une convention passée entre l’État et l’agence concernée qui détaille, comme son nom l’indique, les objectifs assignés à l’agence et les moyens devant être mis à sa disposition.

L’examen du présent projet de COM nous donne cependant l’occasion de nous interroger à la fois sur la politique d’aide au développement de la France, dont l’AFD est l’un des principaux acteurs, et sur la pertinence de cette procédure d’examen.

Le fait que l’examen de ce document intervienne au mois de novembre 2018 peut en effet surprendre. Un premier projet de COM avait été élaboré au mois d’avril 2017, mais il a été jugé peu opportun de faire procéder à son examen par les assemblées très peu de temps avant les élections présidentielles et législatives. Le changement de majorité ayant entraîné une réévaluation de la politique d’aide française et par conséquent des missions de l’Agence, il a encore fallu attendre que certains arbitrages soient rendus pour que nous disposions de ce document.

Cependant, la mise en œuvre de la politique d’aide décidée par le Président de la République est progressive et impliquera, entre autres choses, l’intégration au sein du groupe AFD de l’agence Expertise France, qui fait elle-même l’objet d’un contrat d’objectifs et de moyens distinct.

Le rapprochement des deux agences au sein d’une entité commune conduira, par conséquent, à l’examen d’un nouveau COM dont la période d’application commencera en 2020. C’est pourquoi le présent projet de COM, qui portait initialement sur la période 2017-2020, ne s’applique plus désormais que jusqu’à la fin de l’année 2019. Le présent projet de COM porte donc, concrètement, sur une seule année, et l’AFD aura fonctionné pendant deux ans sans qu’un tel document ait été approuvé.

Le projet de COM 2017-2019 constitue cependant une occasion d’examiner la politique d’aide française et la place de l’AFD au sein de ce dispositif, préalablement à l’examen de la loi d’orientation et de programmation qui devrait nous être soumise au début 2019.

Créée en 1941 en tant que Caisse centrale de la France libre, l’Agence française de développement est un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial (EPIC). Elle a pour mission de « réaliser des opérations de toute nature en vue de contribuer à la mise en œuvre de la politique d’aide au développement à l’étranger et de contribuer au développement des départements et collectivités d’outre-mer, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie.

L’AFD finance des projets de développement dans 90 pays ou territoires. Elle dispose d’un réseau de 70 agences dans le monde, dont onze outre-mer. En 2017, elle employait 2 027 personnes, dont 707 étaient en poste à l’étranger.

L’AFD est avant tout une banque spécialisée dans le financement de projets de développement. Elle emprunte des ressources sur les marchés financiers à des taux favorables. Elle prête ensuite à des conditions qui peuvent être ou non bonifiées par rapport aux taux habituels des marchés. Les montants correspondant aux bonifications sont reçus de l’État.

Bien que l’activité de prêts sans bonification soit aujourd’hui majoritaire dans l’activité de l’agence, son image reste plutôt celle d’une agence de coopération qui octroie des subventions au nom de l’État. Ainsi, l’AFD attribue, au nom du ministère des affaires étrangères, les dons destinés à la réalisation de projets dans les secteurs de l’agriculture et du développement rural, de la santé et de l’éducation de base, de la formation professionnelle, de l’environnement, du soutien au secteur privé, des infrastructures et du développement urbain.

Le projet de COM que nous examinons intervient dans un contexte d’augmentation historique de l’aide publique au développement de la France et par conséquent de l’activité de l’AFD.

Le président Hollande avait annoncé une première trajectoire d’augmentation de l’aide en 2015 avec une hausse prévue de l’activité de l’AFD de 4 milliards d’euros à l’horizon 2020, dont 400 millions d’euros sous forme de dons, soit une activité prévue d’environ 12,7 milliards en 2020.

Le président Macron a annoncé une nouvelle trajectoire budgétaire, confirmée par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018, qui doit porter l’activité de l’AFD à 14 milliards d’euros à la fin de 2019. La part des dons est également augmentée d’environ un milliard d’euros d’autorisations d’engagement dans le projet de loi de finances, actuellement en discussion.

Il s’agit donc au total d’un quasi-doublement de l’activité de l’AFD depuis 2013, qui s’accompagne d’une croissance importante des effectifs de l’agence, ses effectifs étant passés au cours de cette période de 2 027 à 2 651 agents.

Une telle augmentation du niveau de l’aide publique au développement de la France implique un effort d’adaptation important de la part de l’AFD, qui est son principal opérateur, en particulier si l’Agence doit orienter davantage son activité vers les pays ayant le plus besoin d’un soutien financier. Il a ainsi été nécessaire d’augmenter les fonds propres de l’agence en 2016 afin qu’elle puisse faire face aux risques financiers plus importants de ces pays.

Le projet de COM insiste également sur la dimension de plus en plus partenariale que l’AFD entend donner à son activité.

La recherche de partenaires extérieurs doit être systématique, qu’il s’agisse de la société civile, du secteur privé ou de collectivités territoriales, du nord comme du sud. L’AFD entend également diversifier ses partenaires bénéficiaires de l’aide en développement et son activité de prêts non souverains.

Le caractère partenarial de l’activité de l’agence sera enfin renforcé par l’approfondissement du rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) entériné en décembre 2016 et par celui qui est prévu avec Expertise France, formant ainsi un groupe AFD élargi qui fera l’objet donc du prochain COM.

Le projet de COM 2017-2019 énonce donc les grandes lignes de la stratégie de l’AFD, à la fois du point de vue sectoriel et du point de vue géographique.

Reprenant les grandes lignes du plan d’orientation stratégique adopté en août 2018 et intitulé « Pour un monde en commun » et conformément aux priorités énoncées par le CICID de février 2018, le projet de COM met l’accent sur six grandes transitions : démographique et sociale, énergétique, territoriale et écologique, numérique et technologique, politique et citoyenne, économique et financière avec une importance particulière accordée à l’application des Accords de Paris.

Du point de vue géographique, l’augmentation des dons-projets doit faciliter le respect des priorités françaises en matière d’aide puisque les pays pauvres prioritaires et, plus généralement, les pays d’Afrique subsaharienne sont souvent dépourvus de la capacité d’endettement qui permettrait de leur accorder des prêts. L’AFD peut donc réorienter son activité vers l’Afrique subsaharienne et les pays pauvres et contribuer aux objectifs de la politique française dans les régions, tels que la stabilisation à long terme du Sahel.

Le projet de COM prévoit cependant que l’activité de l’AFD s’articulera autour de trois zones géographiques pertinentes : l’Afrique, sans distinguer désormais le nord et le sud ; les trois océans, zone correspondant à la problématique de l’outre-mer français et des régions voisines ; la zone Amérique et Orient correspondant à la problématique des économies émergentes.

Le projet de COM 2017-2019 est donc quelque peu paradoxal. Il s’agit d’un projet ambitieux qui énonce une conception renouvelée de l’aide, inspirée des objectifs du développement durable de 2015 et qui entend même dépasser la notion d’aide publique au développement. Ainsi le COM insiste sur la recherche de ressources tierces, notamment privées, pour amplifier l’impact de son action ; d’un autre côté, le document lui-même est court. Il est tardif et son examen par les assemblées s’apparente plus à un enregistrement formel qu’à une véritable occasion de se prononcer sur le fond du projet. Je recommande néanmoins d’approuver ce projet de COM qui ne pose pas de problèmes particuliers, mais en assortissant ce vote de quelques remarques.

En premier lieu, il serait utile de savoir quand et sous quelle forme les vingt-quatre objectifs énoncés par le projet de COM feront l’objet d’un suivi et d’un bilan.

Une information plus régulière du Parlement sous la forme d’un document suffisamment détaillé, mais tout de même accessible, serait utile.

En second lieu, la situation qui fait que nous examinons à la fin de 2018 un projet de COM qui doit s’appliquer entre 2017 et 2019 renvoie plus généralement à la place qu’occupe l’AFD dans le dispositif français d’aide publique au développement.

Le pilotage politique de l’aide publique au développement est aujourd’hui divisé entre plusieurs ministères et manque de cohérence, comme cela a été relevé dans plusieurs rapports récents, comme celui de notre collègue Hervé Berville et celui de nos collègues Rodrigue Kokouendo et Bérengère Poletti.

Cette situation aboutit notamment à ce que l’AFD se trouve soumise à une triple tutelle, impliquant une coordination complexe entre ministères, ce qui a pu jouer dans le retard initial du projet de COM qui aurait pu être présenté à la fin 2016.

Plus généralement, un pilotage politique divisé peut s’avérer inadéquat face à une agence qui est cohérente, qui détient le savoir, l’expertise et l’expérience de terrain. Ce déséquilibre ne peut qu’être accentué par l’accroissement présent et à venir de l’activité de l’agence.

L’examen de ce COM doit donc nous amener à réfléchir sur le rôle exact de l’AFD, mais aussi et surtout sur la cohérence du pilotage politique de l’aide française, sujet que nous serons amenés à étudier à l’occasion de l’examen de la loi d’orientation et de programmation qui nous sera soumise en 2019. Sous ces réserves, je recommande donc d’approuver ce projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française de développement.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Un grand merci, monsieur le rapporteur, pour votre expertise et ce rapport, que je trouve pertinent et qui pose parfaitement les questions qui sont devant nous et auxquelles il nous faudra répondre.

J’ouvre le débat pour que les représentants des différents groupes puissent s’exprimer.

M. Hervé Berville. Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre rapport. Je souscris au propos de Mme la présidente sur la mise en perspective et sur les perspectives que vous tracez vous-même sur les échéances qui se profilent pour les six prochains mois.

Vous avez parlé d’intégration, ensuite de rapprochement. Comment percevez-vous cette intégration-rapprochement entre l’Agence française de développement et Expertise France ? Quelles en sont les conséquences en termes de pilotage politique ? Expertise France, en effet, ne se limite pas à des actions d’aide publique au développement, mais réalise aussi des missions hors APD. Quelle en est l’articulation ?

Par ailleurs, les moyens qu’accorde l’État français à l’AFD sont-ils à la hauteur des enjeux que s’est fixé le président de la République et de ceux que nous nous sommes collectivement fixés ? Les estimez-vous un peu trop élevés, ou au contraire insuffisants ? Le fait qu’une grande partie des moyens soit concentrée à l’AFD est-il une force ou estimez-vous nécessaire une diversification en accordant un peu plus de moyens, par exemple, au ministère des affaires étrangères ou à d’autres canaux ?

M. Frédéric Barbier, rapporteur. L’intégration d’Expertise France – et, globalement, le rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations – constitue un grand chantier. Que la France retrouve toute sa place est une ambition forte. Jusqu’à aujourd’hui, compte tenu d’une situation économique compliquée pour notre pays, nous procédions sous forme de prêts et de financements, contrairement à d’autres pays très présents qui procèdent plus souvent sous une forme bilatérale parce qu’ils ont les capacités de subventionner et de faire des dons.

Avec ce grand chantier de l’AFD, la France se dote d’une véritable force de frappe. Nous avons tout intérêt à permettre à d’autres structures d’intégrer, non plus l’AFD, mais le groupe AFD parce qu’en filigrane se pose la question du coût de ces agences, y compris en termes de personnel. En intégrant Expertise France et en rapprochant la Caisse des dépôts et consignations et l’AFD, nous gagnerons en efficience, en pertinence et en efficacité sur le territoire. C’est un chantier véritablement utile en termes de pilotage politique. Nous y reviendrons certainement.

Je dis toujours qu’un aigle à deux têtes ne fonctionne pas, un aigle à trois têtes encore moins, c’est-à-dire que l’AFD aujourd’hui dépend globalement de trois tutelles : du ministère des outre-mer, de la direction générale du Trésor et du ministère des affaires étrangères.

Il existe différentes expressions sur une ambition et un pilotage politiques forts. Je pense au rapport d’information de Rodrigue Kokouendo et de Bérengère Poletti, du vôtre également, monsieur Berville. Si je prends le cas des Comores et de Mayotte, les Comores seront traitées par le ministère des affaires étrangères, Mayotte par celui des outre-mer. Dès lors, comment le Parlement ou bien le Gouvernement seront-ils assurés de la pertinence des actions ? Il convient donc de clarifier et de rendre le pilotage politique plus fort.

En termes de moyens de l’État, nous sommes sur une trajectoire qu’il convient de poursuivre. En outre, il ne faut avoir ni état d’âme ni langue de bois sur les raisons pour lesquelles la France investit dans ces pays et les aide. Nous voulons parvenir à un juste retour et alimenter un cercle vertueux de l’économie avec les pays que nous aurons aidé à se développer.

M. Didier Quentin. Monsieur le rapporteur, dans votre rapport, la priorité africaine de la politique française est réaffirmée, mais elle fait l’objet d’une double approche que je vous demanderai de préciser car elle pourrait susciter un problème de cohérence.

L’AFD insiste sur la pertinence d’une zone Afrique incluant le nord et le sud. Une telle vision s’appuie sur les relations de plus en plus denses existant entre les deux parties du continent, illustrées notamment par la politique marocaine très active à l’égard du sud du continent. D’un autre côté, l’AFD applique les recommandations du CICID en matière de priorités géographiques et s’implique fortement dans l’effort de stabilisation des zones de crise qui concerne plus particulièrement l’Afrique subsaharienne, le Sahel notamment.

Pouvez-vous donc préciser, d’une part, les efforts consentis par l’AFD pour stabiliser la bande sahélienne ; d’autre part, la stratégie mise en œuvre pour favoriser nos entreprises ou, à tout le moins, les entreprises européennes dans les appels d’offres financés par nos crédits et non en faveur des entreprises, en particulier chinoises, qui construisent nombre d’infrastructures, comme nous avons pu encore récemment le constater à Djibouti ?

Enfin, est-il prévu de participer à des actions pour maîtriser l’explosion démographique que connaissent certains pays et qui risque d’annihiler tous les progrès réalisés en matière de développement ?

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Je vous remercie, cher ami, de vos questions.

Ainsi que le relève le rapport, une véritable difficulté à voir se dessiner une stratégie pèse sur l’ensemble des objectifs. Aussi, une stratégie politique devra-t-elle apparaître dans le futur COM. Mais l’on revient à la multiplicité des tutelles de l’AFD. En outre, le COM est tardif et rapide. Il ne vous aura pas échappé qu’il n’y a que vingt-quatre objectifs sur les vingt-cinq affichés dans la mesure où le numéro 18 n’existe pas dans le COM présenté.

L’idée consiste à ne plus distinguer entre le nord et le sud de l’Afrique et de raisonner globalement. D’autres pays doivent pouvoir participer aux actions que nous mettons en œuvre et des pays de la bande subsaharienne y être associés. L’action de la France ne doit plus se limiter à l’Afrique.

Un objectif s’attache aux appels d’offres. C’est ainsi que les entreprises françaises doivent être présentes, ce qui, certes, n’est pas simple. Je me souviens de réunions au Mouvement des entreprises de France (MEDEF) qui mettaient en avant la difficulté pour les entreprises à suivre l’action de la France dans divers pays. Dès lors que nous avons la volonté de nous redéployer en Afrique, il convient de déployer notre aide et de faire en sorte que nos entreprises françaises aient la capacité de nous accompagner.

Le contrôle démographique est un sujet extrêmement sensible, qui s’inscrit dans le cadre de l’objectif de santé et qui ne peut se faire sans l’accord des pays, en partenariat avec la France.

M. Sylvain Waserman. Au nom du groupe MoDem, je veux vous remercier, monsieur le rapporteur, d’avoir mis l’accent sur des points qui posent problème et qu’il faudra résoudre collectivement dans les années à venir.

Je m’explique : nous avons été très nombreux à nous féliciter de la volonté présidentielle de faire passer l’aide publique au développement de 0,38 % à 0,55 % du produit intérieur brut (PIB). Nous avons également été très nombreux – en tout cas je l’ai été en tant que nouveau député – à être surpris par le manque de visibilité et de contrôle qui nous empêche de lire sur une feuille Excel la ventilation de 0,38 % par nature et par destination au niveau national.

J’aurais préféré que ce contrat d’objectifs et de moyens pour l’AFD – qui recouvre une part importante, même si elle n’est pas exclusive, de l’aide publique au développement – s’appelle « document de transition » dans la mesure où l’on passe d’une situation où le Parlement, à mon sens, n’a pas les moyens d’exercer son contrôle et son suivi des activités à une ambition plus claire, plus détaillée et plus mesurée de l’aide publique au développement et de l’action de l’AFD.

Dans cette logique, vous avez souligné les différentes tutelles ministérielles. Nous avons la chance d’avoir un seul Parlement, une seule Assemblée nationale. En tant que parlementaires, nous avons donc, à mon sens, une exigence démocratique et une responsabilité d’autant plus fortes d’atteindre l’objectif d’une lisibilité de la granularité des destinations et de l’utilisation de l’aide publique au développement dans son ensemble, en particulier de l’action menée par l’AFD. Par conséquent, nous ne devons pas manquer collectivement le rendez-vous du prochain contrat d’objectifs.

Mme la présidente l’a relevé ; je le dis, pour ma part, en termes moins diplomatiques. Nous validerons le contrat triennal 2017-2018-2019 et c’est très bien, mais j’aurais préféré, encore une fois, qu’on l’appelle « plan de transition » avant l’arrivée d’un nouveau contrat d’objectifs qui tienne la route et sur lequel le Parlement exercera réellement son rôle de vigilance et d’exigence de contrôle démocratique.

Pensez-vous qu’exercer notre contrôle est la priorité et l’objectif de l’exécutif ? Les échanges que vous avez sur cette thématique sont-ils rassurants ? Le prochain COM nous permettra-t-il de jouer notre rôle de contrôle démocratique sur l’activité de l’AFD ? L’attente des organisations non gouvernementales (ONG) que nous rencontrons tous régulièrement est forte et légitime. C’est aussi une attente démocratique de l’ensemble des parlementaires.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Monsieur Waserman, je suis très attaché, tout comme vous, au pouvoir politique, dans le bon sens du terme, celui de l’organisation et de la gestion. Tout comme vous, le modeste député que je suis a été heurté, choqué, de constater que les parlementaires avaient été saisis si tardivement d’un document succinct et incomplet – il manque un article sans que l’on nous en ait donné aucune explication et sans que, pour autant, la numérotation ait changé. Je partage avec vous le sentiment que nous avons été assez mal traités.

Je pense que tout ce qui est sous contrôle s’améliore et que le rôle du politique doit s’affirmer. Ce rapport nous est soumis pour avis consultatif, à la limite facultatif, tant il est vrai que ne pas étudier ce rapport n’empêche nullement le conseil d’administration de l’AFD de se prononcer. Aussi devons-nous en tirer des conclusions et présenter des propositions comme l’évoquent les rapports de M. Hervé Berville, de Mme Bérengère Poletti et de M. Rodrigue Kokouendo.

Il convient de présenter des propositions et d’insister sur le fait qu’un contrat d’objectifs et de moyens n’est pas un document qui, une fois présenté, n’est revu qu’un an plus tard. Il doit être réexaminé au fil de l’eau. Nous devons vérifier que les indicateurs sont atteints. Si ces indicateurs ne sont pas suffisamment lisibles, il faut qu’ils soient modifiés. Si les actions correctives doivent être engagées, il faut qu’elles puissent l’être.

Dans toute entreprise, un plan d’action, un contrat d’objectifs et de moyens est revu mensuellement. Je ne veux pas aller jusque-là. Il n’en reste pas moins que le Sénat comme l’Assemblée nationale doivent pouvoir, selon un rythme à définir, procéder à un suivi au fil de l’eau pour déterminer ce qui fonctionne ou dysfonctionne et les domaines qui nécessitent d’intensifier leur action. Les parlementaires doivent retrouver leur place dans l’examen de la politique d’aide au développement mise en œuvre, surtout au cours d’une période où l’AFD prendra de l’ampleur, se réorganisera et où l’ambition de la France sera portée à son plus haut niveau.

Mme la présidente et moi-même vous présenterons des propositions sur une amélioration du suivi de l’AFD.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous ferai des propositions à l’issue de notre débat. Au préalable, nous entendrons vos propositions que notre commission pourrait porter dans les semaines prochaines.

M. Alain David. Monsieur le rapporteur, je vous remercie de votre présentation.

Je reviens sur la politique que promeut notre agence. Dans l’ensemble, elle est conforme à nos objectifs. Prenons l’exemple de l’initiative en faveur de la forêt d’Afrique centrale, menée en 2017 en République démocratique du Congo. La France a financé à hauteur de 6 millions de dollars ce projet qui devait contribuer à la gestion durable des forêts et lutter contre la déforestation dans une zone qui représente 7 % des forêts tropicales mondiales. La disparition de ces forêts serait une catastrophe face au changement climatique. En réalité, ce projet a été dénoncé par une coalition d’ONG environnementales puisqu’il devait conduire à tripler les superficies accordées aux exploitants industriels – de 11 à 30 millions d’hectares – l’amélioration de la gouvernance du secteur et la protection de l’environnement sont passées à la trappe au profit des intérêts privés.

Faut-il octroyer des prêts aux seuls pays qui respectent les règles démocratiques ? À l’époque, François Mitterrand l’affirmait sans toujours s’y tenir. Emmanuel Macron, quant à lui, estime que l’Europe n’est pas là pour dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire.

Ma seconde interrogation fait suite aux déclarations de notre ministre des affaires étrangères, en septembre dernier, lorsqu’il présentait la feuille de route de l’agence. Jean-Yves Le Drian déclarait alors : « Ce n’est pas parce que certains régimes ne partagent pas les valeurs de la France que nous devons exclure leur population de l’aide française. »

Or ce n’est pas ce que nous faisons avec l’AFD en réalité. Financer les projets d’États farouchement opposés à tout concept démocratique ne bénéficiera pas à leurs populations mais seulement à leurs dirigeants. Prenons l’exemple du Gabon, auquel l’AFD accorde un prêt pour qu’il rembourse des échéances, ce qui ne contribue pas au développement économique et conforte un président à la légitimité contestée. Pourtant, d’autres options sont possibles en attendant de construire des alternatives et de faire émerger une société civile qui, elle, croit réellement à son développement.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Cher collègue David, je mesure à quel point mon action est modeste en tant que député, car mon rapport porte sur le COM et sur la question de savoir s’il est conforme à notre politique alors que votre propos va plus loin et porte sur le suivi, les actions correctives et les remarques.

Des contrôles des différentes actions sont effectués, soit par l’AFD en interne, soit par des cabinets externes, soit encore par les ambassades qui ont leur mot à dire sur le sujet. Les parlementaires sont présents au conseil d’administration de l’AFD, où l’Assemblée nationale et le Sénat comptent chacun deux représentants, pour juger plus précisément et concrètement – c’est la raison pour laquelle j’en appelais à ma modestie – sur ce type d’actions. Il n’en reste pas moins que le débat est nécessaire, sans avoir besoin d’évoquer l’adéquation du COM à notre politique. Nous mènerons ce type de débat à l’occasion de l’examen du projet de loi. Ces sujets doivent remonter par nos collègues qui siègent au conseil d’administration de l’AFD.

M. Jean-Paul Lecoq. Je ne reviens pas sur les délais pour les critiquer, car cela a été fait à plusieurs reprises.

Je note, en revanche, que la santé est le parent pauvre des aides bilatérales. Est-ce à dire que les questions de santé dans le monde sont gérées par le multilatéralisme ? Si oui, il serait intéressant de mesurer à quel niveau.

Par ailleurs, l’intégration au sein du groupe AFD de l’agence Expertise France conduira à rendre l’AFD très puissante, quasi indépendante. Comment un tel défi peut être relevé sans appui politique, sans ministère de plein exercice ? J’esquisserai une réponse. Depuis le début, nous sommes dans « la com » et non dans le COM… (Sourires.) Mon analyse est confortée par l’intervention du Président de la République. Je prétends que l’Élysée pilote et qu’il n’a pas besoin que les parlementaires ou qu’un ministère s’en mêle. Cela lui permet d’avoir les mains libres. Ce n’est pas juste, mais il semble néanmoins qu’il en soit ainsi.

Le pilotage par l’Élysée permet le clientélisme. Le clientélisme, notamment avec les pays d’Afrique, nous fait souvenir l’histoire de la France avec l’Afrique. Au surplus, les pays avec lesquels nous travaillons sont presque tous francophones. Nous avons choisi un espace qui rappelle davantage encore la « Françafrique ». Aussi n’est-ce pas uniquement un pilotage de l’AFD qui est nécessaire, mais un contrôle démocratique indispensable du Parlement sur les objectifs et les fonds de cette politique.

S’ajoute un verbiage qui pose question, tant il est vrai que la sémantique n’est pas neutre en politique. On commence à remplacer les mots « aide publique au développement » par « investissement solidaire ». Monsieur le rapporteur, vous avez utilisé les termes « un juste retour sur investissement ». Je suis désolé de le dire, mais l’aide publique au développement ne peut viser un juste retour sur investissement. Cela a été, nous nous sommes servis en Afrique, le développement français s’est fait sur le dos de l’Afrique – pas uniquement, mais aussi. Notre obligation doit être celle du désintéressement total : aider l’Afrique à se développer et accompagner son développement excluent la dimension d’un retour sur investissement. Le contrôle doit être désintéressé.

Quant au pilotage, si nous ne pouvons passer par un ministère que nous contrôlerions, une commission spécifique du Parlement devra avoir l’œil sur cette politique. Merci, madame la présidente, de votre indulgence et de votre bienveillance.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Monsieur Lecoq, ma réponse sera brève car vous dressez en partie des constats que je partage. Je pense, en effet, qu’il est nécessaire de renforcer le pilotage politique dans le cadre duquel le Parlement doit jouer un rôle essentiel, en participant à l’élaboration du prochain contrat d’orientation d’objectifs et de moyens et à son évaluation au fil de l’eau.

S’agissant de la santé, nous aborderons dans deux mois la loi de programmation et d’orientation. Nous devons retrouver un fil conducteur et une véritable stratégie.

Enfin, je n’ai pas utilisé les termes de « retour sur investissement » et si je l’ai fait, je m’en excuse. J’ai parlé de cercle vertueux, qui, pour moi n’est pas un juste retour sur investissement. La France se porte mieux, elle est plutôt en bonne santé. D’où la nécessité pour elle d’aider d’autres pays afin de progresser ensemble, car tel est le principe d’un monde en commun.

Mme Clémentine Autain. Dans le prolongement des remarques émises par mon collègue Jean-Paul Lecoq, je poserai trois questions précises qui portent sur le nouveau contrat d’objectifs et de moyens pour 2017-2019 de l’Agence française de développement.

Ma première question porte sur la filiale de l’AFD, Proparco, qui ne figure pas dans le rapport, ce qui suscite notre inquiétude. Il est indiqué dans l’introduction qu’il ne sera pas traité de cette filiale alors que nous estimons, quant à nous, que son activité est assez opaque. Aussi, je voudrais savoir pourquoi il n’y est pas fait référence. Son activité est dédiée au privé, elle accompagne des projets et des institutions financières. Il semble que Proparco agisse comme n’importe quel investisseur privé dans le choix des projets. Je citerai Mediapart qui livre un avis, j’imagine très informé ; il n’en reste pas moins que le Parlement aurait besoin de précisions supplémentaires. Selon Mediapart, 10,46 % des financements de Proparco vont au renforcement des institutions financières et des marchés financiers, au développement du secteur bancaire, au financement des entreprises agro-industrielles contre seulement 6 % à la santé et à l’éducation. Une privatisation de l’aide publique au développement se profile-t-elle ? Il semblerait même que Proparco investisse régulièrement dans des sociétés situées à l’île Maurice, aux îles Caïmans, au Luxembourg, à Chypre ou à Jersey. La question intéresse le Parlement et doit faire partie de la feuille de route fixée par l’État.

Deuxième question : dans la partie 1, titre 2, qui fait partie des objectifs de développement durable affirmés dans ce contrat, je vois un petit loup qui a déjà été soulevé au sein de la commission : 41 millions d’euros sont accordés à la Chine pour aider une centrale à charbon à créer un système de cogénération et de chauffage urbain. Je souhaite vous alerter sur cette question car je relève une contradiction.

Enfin, j’avoue éprouver une inquiétude quant à l’objectif 12 visant à intensifier l’action de l’AFD au Sahel par la mise en place de l’Alliance Sahel. Il appartient aux parlementaires d’exprimer leur point de vue sur ce sujet car un glissement est possible vers un financement d’opérations militaires. J’aimerais que vous nous fournissiez un éclairage car si l’aide au développement se traduisait par le renforcement d’une action à caractère militaire, nous ferions littéralement fausse route !

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Proparco est une filière de l’AFD qui ne consomme pas de fonds publics ; c’est la raison pour laquelle nous ne l’évoquons pas dans le COM. Nous avons auditionné M. Rémy Rioux, le directeur général de l’AFD ; je ne sais pas s’il s’est exprimé sur le sujet. La question pourra être posée.

Vous avez raison, madame, le dossier de la centrale à charbon a déjà été soulevé. Je crois même que la question a été posée au directeur général de l’Agence au cours d’une audition. Je n’ai pas sa réponse en mémoire, mais nous pourrons la reprendre.

Les investissements de l’objectif 12 en faveur du Sahel ne sont en rien liés à une action militaire. Ils cherchent à asseoir la reconstruction des différentes structures nécessaires à la vie sur ces territoires.

M. Jacques Maire. Merci, monsieur le rapporteur. Il est extrêmement important de réfléchir à la façon dont nous pouvons mener un débat approfondi sur l’AFD, aujourd’hui et dans les mois qui viennent, car l’enjeu est majeur. Nous passons beaucoup de temps sur des sujets sur lesquels nous n’avons pas toujours beaucoup de prise. Si le projet politique consiste à renforcer le rôle de l’AFD au sein de l’administration française, il doit être validé et porté par le Parlement.

L’AFD est une belle boutique, très bien gérée ; en tant qu’institution, elle est crédible et facteur de lisibilité sur le plan international. Le projet de création et de transformation de l’AFD en outil majeur de développement est totalement réussi. Il n’en reste pas moins que nous sommes confrontés à des difficultés pour reprendre les remarques du rapporteur.

La première tient à la multiplicité des tutelles. Sans enjeux politiques portés par la société, l’objectif de 0,55 % du PIB ne sera pas atteint. Les contraintes budgétaires imposées par Bercy empêcheront d’y parvenir. Si l’objectif de 0,55 % est perçu comme une augmentation de la capacité à participer à des tours de cofinancement par une banque et si ce pourcentage n’est pas lié à des enjeux politiques que nous portons, que nous aurons délibérés et validés, nous n’atteindrons pas cet objectif. D’où la question de la gouvernance de l’AFD qui, depuis plusieurs mois, voire depuis plus d’un an, est élyséenne avec ses avantages et ses inconvénients, bien décrits par M. Lecoq.

Le second problème tient au périmètre d’action, dans la mesure où nous avons attribué à une banque de développement des domaines qui se situent hors de son champ culturel et professionnel. Je pense à la gouvernance, au contenu sécurité et développement ; on peut également s’interroger sur la migration. Nous n’avons pas donné à l’AFD ce qui relevait de son métier de base, à savoir l’ensemble des prêts et des outils de financement classiques. Je pense au guichet d’aides liées parce que le Quai d’Orsay a baissé les bras et que le Trésor a fait de la résistance. Pour résumer, le périmètre n’est pas du tout optimisé, qui est le résultat d’un rapport de force. Il faut réinterroger, vérifier l’efficacité et mesurer la réversibilité des choix qui sont faits.

Mme Jacqueline Maquet. Merci, monsieur le rapporteur, pour ce rapport éclairant et clairvoyant.

Parmi les objectifs et indicateurs du contrat d’objectifs et de moyens présenté figure la lutte contre les changements climatiques en regard des Accords de Paris. Rappelons que, lors de l’Assemblée générale des Nations unies de 2015, tous les pays du monde s’étaient mis d’accord sur dix-sept objectifs de développement durable afin de lutter contre les changements climatiques ou encore les inégalités.

Sur ces deux volets, l’AFD joue un rôle. Votre rapport souligne d’ailleurs que le sommet des Nations unies de 2015 a directement participé à la croissance rapide de l’activité de l’AFD. Le retrait des États-Unis des Accords de Paris, plus récemment encore les positions du nouveau président brésilien, semblent inexorablement fragiliser cette mission. Pouvez-vous nous éclairer sur l’impact à venir de ces prises de position sur le contrat d’objectifs et de moyens ?

Mme Bérengère Poletti. Je remercie Frédéric Barbier pour son exposé et sa sincérité. Ce rapport, en effet, pose deux grands problèmes.

D’une part, un problème de forme que je trouve inacceptable. Il est absolument inadmissible, alors que nous sommes en train de discuter des orientations budgétaires, que l’on nous propose de voter les orientations de l’AFD de 2017, 2018 et 2019. Le groupe Les Républicains s’abstiendra en raison de cet état de fait.

Avec Laëtitia Saint-Paul, nous nous sommes rendus aux Comores. Il n’y a pas eu moyen d’obtenir un rendez-vous avec l’AFD avant de partir. Et parce que, en revenant à Paris, nous avons un petit peu secoué la boutique, aujourd’hui, l’AFD nous demande un rendez-vous d’urgence, on veut nous voir !

Fondamentalement, j’estime qu’il y a un manque de respect du Parlement dans cette affaire et que s’abstenir est le meilleur message que nous puissions délivrer. En tant que parlementaires, nous ne pouvons valider les orientations dans ces circonstances.

D’autre part, un problème de fond tient au pouvoir considérable qui sera celui de l’AFD. Il est déjà opaque, dans la mesure où les décisions se font sans que le Parlement ait grand-chose à dire, les crédits qui sont discutés par le Parlement en faveur de l’aide au développement représentant la portion congrue de cette aide alors que l’on s’apprête à augmenter les moyens de manière considérable pour atteindre 0,55 %. D’ailleurs, nous n’y sommes pas encore. Si l’on a augmenté les autorisations d’engagement, sans doute moins que cela aurait été nécessaire, les crédits de paiement, eux, ne sont pas encore vraiment à la hauteur des ambitions présidentielles. Mais admettons : l’ambition est là, on veut augmenter les crédits et, toujours dans cette ambiance opaque, on continuera d’accorder des moyens considérables à l’AFD.

Si le niveau de ces moyens est discutable au niveau national en raison du peu de contrôle exercé par le Parlement, il l’est également dans les pays où l’AFD est présente, puisque la représentation de la France y est divisée. Les ambassadeurs sont coupés de leurs techniciens alors que l’AFD, hyperpuissante dans les territoires, a ses locaux, ses voitures, son personnel, ce qui, selon moi, reste un grave problème. Nous l’avons constaté quand nous nous sommes déplacés aux Comores. J’aurais souhaité que la question du contrôle politique soit évoquée par ce contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD.

M. Bruno Fuchs. Je félicite mon collègue Barbier pour ce rapport court, synthétique et impactant. Je partage une grande partie de ses conclusions et analyses.

Dans un premier temps, je voudrais dire mon inquiétude sur la méthode. Pourquoi ce rapport est-il présenté si tardivement ? Une raison particulière préside-t-elle à cet état de fait ? Je n’ai pas encore compris pourquoi nous arrivions quasiment aux deux tiers de la période pour considérer ce contrat d’objectifs et de moyens. Pour cette raison, je m’abstiendrai, car on ne peut pas faire un travail correct au terme d’un an et demi.

Sur le fond, nous avons une stratégie de moyens. Depuis 2013, l’AFD tend à doubler de dimension. Seule certitude, les moyens sont là.

Sur la question des tutelles et des objectifs, au-delà de l’Élysée, le nombre élevé d’acteurs rend les stratégies et les objectifs peu clairs, voire contradictoires. M. Lecoq a indiqué que la santé ne figurait pas parmi les objectifs prioritaires ; la pauvreté, l’eau et l’assainissement non plus.

S’agissant de la francophonie, parmi les quatre derniers pays traités, on compte trois pays anglophones : le Liberia, la Gambie, l’Éthiopie. Il n’y a que Haïti qui fasse partie de l’espace francophone. Continuerons-nous à développer des actions dans l’espace francophone ou élargirons-nous le champ d’action ? S’agissant de la stratégie et des objectifs en Afrique, nous avons besoin de clarifications. À cet égard, je propose que notre commission auditionne M. Rioux.

Mme Nicole Le Peih. Monsieur le rapporteur, je veux, à mon tour, vous remercier pour la sincérité de vos propos.

Une question courte : pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure l’AFD coordonne ses actions avec les autres agences nationales impliquées dans l’aide au développement et quelle est la synergie avec les agences de l’ONU et les organisations internationales ?

M. Guy Teissier. Sur le fond, mon intervention se rapproche sensiblement des propos de plusieurs de nos collègues.

On peut tout d’abord saluer la volonté du Gouvernement de renforcer l’AFD et d’avoir établi un contrat d’objectifs et de moyens. Il va sans dire qu’un contrôle suppose de renforcer les moyens de l’Agence et d’évaluer minutieusement l’efficience des politiques menées. L’intérêt même de cette politique, me semble-t-il, est de tendre vers une maîtrise des flux migratoires dans la mesure où plus nous aiderons les pays en voie développement, moins nous subirons une immigration non souhaitée. L’intérêt de cette politique tient également à la place que la France veut conserver dans le monde.

Toutefois, se pose la question des modalités de contrôle des partenariats engagés par l’AFD. En effet, en tant qu’institution mettant en œuvre la politique de développement de la France, les projets qu’elle soutient engagent notre pays.

Il est également question de la bonne gestion des deniers publics. Le partenariat et le soutien financier aux projets doivent intervenir dans un cadre précis afin d’éviter tout détournement – nous savons que de tels phénomènes existent, ô combien ! – ou tout soutien à des actions illégales, voire violentes, puisque cet argent peut servir à des achats d’armes dans des pays que l’on pourrait qualifier de zones grises. À l’heure où les Français demandent plus de transparence dans l’utilisation de l’argent public, l’État doit être exemplaire s’agissant de ses comptes publics. Pourriez-vous, monsieur le rapporteur, préciser dans quelle mesure le contrat d’objectifs et de moyens répond à cette impérieuse nécessité ?

Mme Monica Michel. Merci, cher collègue, pour ce rapport.

Le contrat d’objectifs et de moyens prévoit, en son objectif 4, une contribution à la lutte contre le réchauffement climatique par la mise en œuvre des Accords de Paris qui prennent en compte l’engagement de la France au sommet de Bamako de janvier 2017 et la mobilisation de 3 milliards d’euros entre 2016 et 2020 en faveur du développement des énergies renouvelables en Afrique. Or, le continent est fracturé et présente de fortes disparités régionales, également en matière de consommation d’énergie. L’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud représentent ensemble moins d’un tiers de la population africaine, mais 80 % de la consommation d’énergie. Elles utilisent très souvent des énergies polluantes dans les tâches quotidiennes. Quelque 700 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne utilisent des poêles alimentés par des déchets végétaux pour la cuisson des aliments, dégageant des fumées nocives à l’origine, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de maladies respiratoires, touchant particulièrement les femmes et les enfants et occasionnant près de 600 000 décès prématurés par an.

Je souhaiterais donc savoir si, dans le cadre de cet objectif numéro 4, les actions de formation, d’éducation et de sensibilisation des populations sont prévues.

Par ailleurs, le contrat d’objectifs et de moyens a pour ambition de rendre l’AFD plus innovante, plus agile dans sa partie 1.3, en déclinant dans ses objectifs 20 à 25 des voies pour y parvenir.

Il me semble que ce document fait l’impasse sur la recherche de modes de financements innovants, qui constituent pourtant l’un des leviers de l’amélioration de l’effort français en matière d’aide publique au développement, comme le montrent les exemples de la taxe sur les transactions financières depuis 2012 ou encore de la taxe sur les vols internationaux. L’AFD envisage-t-elle actuellement de recourir à des modes de financement innovants pour assurer l’augmentation de ses ressources et, le cas échéant, nous présenter les pistes envisagées ?

M. Hubert Julien-Laferrière. Sans orgueil aucun, je rappelle qu’un rapport budgétaire sur le pilotage politique a été publié, le mien, l’année dernière, qui recommandait fortement la création d’un ministère unique, avec une tutelle sur les deux programmes 110 et 209 relatifs à la mission de l’AFD.

Je ne voudrais pas que nous raisonnions à l’envers. Le fait que l’AFD devienne un groupe très puissant, une vraie force de frappe, n’est pas une mauvaise nouvelle. Il faut le dire, c’est une bonne nouvelle pour l’aide française. La question, en effet, est celle de la gouvernance et du pilotage, mais avoir un groupe puissant à l’étranger est une bonne chose. Il convient de le rappeler, car les autres pays qui mènent des aides efficaces disposent d’agences de développement puissantes et ont regroupé l’ensemble des moyens et des outils de l’aide publique au développement. C’est donc une bonne nouvelle que d’avoir un groupe regroupant des acteurs puissants tels que la CDC et Expertise France. Il n’en reste pas moins nécessaire de traiter la question de la tutelle et du pilotage.

Le groupe AFD ne sera pas indépendant, monsieur Lecoq. Si la question du pilotage et de tutelle se pose, pour autant, il existe un cahier des charges arrêté par le CICID ; par ailleurs, une loi de programmation doit intervenir. Pour l’heure, les dépenses de l’AFD sont sous la tutelle du ministère des affaires étrangères. Cela restera ainsi même si, encore une fois, il faut améliorer le pilotage.

M. Lecoq a raison quand il déclare que l’aide publique au développement ne doit pas servir nos intérêts économiques. L’objectif de l’aide au développement est la réduction des inégalités entre les territoires dits développés et les territoires dits en développement. Il en va de même pour l’immigration : la lutte contre l’immigration ne doit pas être l’objectif de notre aide publique au développement. Bien sûr, si la réduction des inégalités entre le Nord et le Sud a pour conséquence de réduire l’immigration subie parce que les gens seront plus heureux dans leur pays, c’est tant mieux. Pour autant, le lien entre aide au développement et migration n’est pas automatique. Certaines études montrent, au contraire, que l’augmentation du pouvoir d’achat dans certains pays encourage la mobilité.

Ensuite, se pose un problème de calendrier. Il est important que nous auditionnions le directeur général de l’AFD.

Je crois me souvenir de la réponse de M. Rioux sur la centrale à charbon en Chine. Le temps me manque et je ne veux pas m’en faire le porte-parole, mais je crois qu’il avait répondu de manière assez précise. Nous lui reposerons la question.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je rappelle la publication du rapport de M. Hervé Berville, des rapports de Mme Bérengère Poletti et de M. Rodrigue Kokouendo, et de votre avis, l’an dernier, monsieur Julien-Laferrière. L’ensemble de ces rapports et avis allaient dans le même sens. J’espère bien, par conséquent, que nous serons entendus !

M. Christian Hutin. Ce matin, en arrivant dans cette assemblée qui devient de plus en plus scolaire, j’ai signé. Je vais parler ; mondéputé. fr. sera également content ! (Sourires.) Mais je ne regrette pas d’être venu, car les propos liminaires que vous avez tenus, madame la présidente, sont tout à votre honneur. Ils sont devenus une habitude que nous apprécions. Défendre votre commission comme vous le faites ne s’est pas produit depuis plusieurs mandats.

Monsieur le rapporteur, votre rapport est formidable ! Vous n’avez pas à être modeste, vous n’êtes pas un modeste député, vous n’êtes pas non plus un « MEDEF député ». Ni modeste ni MEDEF ! (Sourires.) Vous avez la franchise de nous expliquer la réalité des situations.

Personnellement, je suis en colère. Pour qui nous prend-on ? On veut nous faire accepter un COM en vigueur depuis deux ans ! Allons-y gaiement ! Ce retard marque le privilège du Président de la République qui décide à qui il va donner de l’argent, où et comment. Et nous, nous sommes là en nous disant que cela va aller, que nous allons peut-être s’abstenir. Je propose, quant à moi, que notre commission ne se prononce pas ! Si jamais nous nous prononcions, cela signifierait que nous ne sommes rien.

Je vous rappelle que la Caisse centrale de la France libre, qui a permis à Charles de Gaulle de rallier à lui un certain nombre de territoires d’Afrique, était constituée de l’argent donné par Paul Reynaud et de quelques bijoux laissés à une époque par des dames anglaises. Si nous voulons être respectés en tant que députés, ne nous prononçons pas car l’abstention ne représente rien. Donnons un peu de courage à cette assemblée ! C’est une petite colère politique qui n’a rien à voir avec nos appartenances politiques respectives. Je vous le dis, madame la présidente, car vous défendez cette commission. Vous avez même réussi à réunir un certain nombre de partis pour porter avec vous les positions de notre commission dans l’hémicycle.

Monsieur le rapporteur, vous avez été extrêmement franc, et c’est très beau.

Je ne sais si tout le monde sera d’accord, mais ne nous prononçons pas. Il faut arrêter de nous prendre pour des imbéciles !

M. Frédéric Petit. Je ferai deux observations.

La première portera sur le COM. Il faut questionner la notion de COM qui est un outil de surface, un outil de « com » comme l’a souligné M. Lecoq, non un outil de pilotage. Il faut que nous nous battions sur ce point. Ainsi que nous l’avions demandé, le COM doit être préparé politiquement en amont et ne doit pas être présenté devant la commission prêt à être ratifié.

Si nous voulons un COM politique, il doit correspondre à un mandat. Pourquoi un COM de trois ans, cosigné à mi-parcours ? Il doit correspondre à un mandat politique – sans quoi ce n’est pas un COM politique – ou lié à une trajectoire budgétaire, ce qui serait encore plus logique.

Le COM doit être signé par Bercy. C’était le sens d’un amendement que j’ai porté l’an dernier qui a été rejeté. Je rappelle que le dernier COM de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), signé en 2014, a été contredit par Bercy six mois plus tard.

Le COM doit s’imposer juridiquement au conseil d’administration des opérateurs. Avec Bérengère Poletti, nous connaissons bien la situation au conseil d’administration d’Expertise France. Le COM est un effort de « com », mais, en l’occurrence, le conseil d’administration se considère supérieur au COM.

Le COM doit être inscrit dans les statuts des opérateurs et être suivi comme on suit un outil en entreprise. Sans doute existe-t-il des outils pouvant être suivis au moins trimestriellement. Si nous n’obtenons pas la révision des statuts des COM, réinvestissons démocratiquement les conseils d’administration, comme l’a indiqué Frédéric Barbier, dans un réflexe que nous partageons. N’envoyons pas des députés au conseil d’administration comme Bérengère Poletti, Hubert Julien-Laferrière ou moi-même, mais préparons nos conseils d’administration au sein de cette commission et reprenons le pouvoir là où il est.

S’agissant de la centrale à charbon, je connais la réponse. Faire un réseau de chaleur est toujours une bonne chose. La centrale à charbon fonctionne aujourd’hui et continuera de produire de l’électricité en perdant 70 % de sa chaleur. Soit, donc, on la laisse en l’état et elle continuera à produire comme elle produit depuis vingt ans. Soit nous installons un réseau de chaleur qui évitera les explosions et la multiplication des petits poêles à charbon dans la ville voisine qui compte un million d’habitants. Le réseau permettra de récupérer la chaleur et sera en mesure demain de gérer la géothermie si on remplace le charbon par la géothermie ou par une énergie plus propre. Un réseau de chaleur reste une amélioration environnementale qui coûte très cher à l’investissement. Telle était la réponse faite par Rémy Rioux.

Mme Valérie Boyer. L’aide publique au développement est l’une des priorités du Président de la République. Elle atteindra 15 milliards d’euros d’ici à la fin du quinquennat, soit une augmentation de 35 %. Pourtant, sur ce budget, c’est l’opacité absolue. Pour l’année 2017, l’AFD a engagé plus de 10,4 milliards d’euros au financement de différents projets, dont un peu moins de la moitié concerne l’Afrique : 44 des 52 pays africains ont bénéficié de cette aide. Ce seront près de 12 milliards d’euros pour 2018 et 14 milliards d’euros pour 2019.

Les 13 et 14 janvier 2017, à l’occasion du 27e Congrès Afrique-France pour le partenariat, la paix et l’émergence qui s’est tenu à Bamako, le Président de la République a annoncé que les engagements de l’AFD pour l’Afrique continentale seraient portés à 23 milliards d’euros sur cinq ans, de 2017 à 2021, soit une hausse de 15 % par rapport aux engagements précédents de 20 milliards d’euros annoncés pour la période 2014 à 2018. Pourtant, ces augmentations interviennent dans un contexte d’austérité budgétaire imposé au réseau diplomatique pour la période 2019-2022 qui risque d’affaiblir la capacité du ministère des affaires étrangères à maintenir un réel pilotage politique de l’agence, en particulier dans les pays étrangers. En termes diplomatiques, cela signifie que le réseau diplomatique est totalement coupé de cette « banque » AFD. Dès lors, l’AFD doit se coordonner davantage en amont des projets avec le ministère des ambassades et les ambassades afin d’insérer son activité dans un véritable dialogue politique entre l’État et l’équipe « France » du développement.

Enfin, et je pense qu’on peut le dire sans concession aucune, la coopération des pays d’origine à notre politique d’immigration doit devenir une condition de l’aide au développement. Nous devons exiger de ces pays la réciprocité pour faire respecter notre souveraineté nationale. Pourquoi ne pas utiliser l’aide au développement pour financer des projets gouvernementaux aisément contrôlables, par exemple, la mise à niveau de l’état civil national, la sécurisation des documents d’identité, la confection de bases de données biométriques nationales ? Ce sont des exemples parmi d’autres.

Le contrôle des crédits déployés dans le cadre de ces actions pourrait être facilité par des actions de coopération et de formation que la France pourrait y adjoindre. Des partenariats économiques en découleront, l’aide au développement étant l’un des supports de la diplomatie économique et d’influence.

Comme nous l’a proposé Bérengère Poletti, il faut cesser de voter des chapitres, il convient de voter un budget complet et d’avoir un ministère ou une entité ministérielle garantissant la transparence.

Il n’est pas possible de continuer ainsi : nous ne pouvons pas faire comme si nous avions du temps à passer en commission à ne rien construire de concret et comme si nos avis ne comptaient pour rien. Nous ne sommes pas dans un atelier d’occupation, nous sommes parlementaires et nous sommes là pour prendre des décisions en toute transparence !

Mme Marion Lenne. Monsieur le rapporteur, pour éradiquer la pauvreté, pour mettre en œuvre les Objectifs du développement durable (ODD), les Accords de Paris ou encore la protection des biens communs mondiaux, il est essentiel de renforcer le bon usage des financements sur le terrain, et ce d’autant plus s’ils sont voués à être augmentés car là où il y a de l’argent se profilent des schémas de corruption.

En tant que rapporteur, confirmez-vous une réelle évolution de l’évaluation de l’utilisation des fonds par rapport au COM précédent ?

La France a fait le choix de la redevabilité et de l’exemplarité en accompagnant les moyens supplémentaires d’une politique d’évaluation exigeante et qui dit évaluation exigeante, à mon sens, dit transparence. Parmi les 24 objectifs de ce COM, le dernier consiste à renforcer la responsabilité sociale et environnementale et la transparence des activités de l’AFD. Pourquoi cet objectif 24 n’est-il pas assorti d’indicateurs précis ? Est-ce suffisant, selon vous, pour assurer la transparence des activités de l’AFD, lutter contre toute forme d’opacité de l’aide publique au développement et ainsi augmenter l’efficacité de l’aide ?

M. Claude Goasguen. Je trouve ce rapport extrêmement intéressant.

Je voudrais connaître les rapports de l’AFD avec l’Europe et plus particulièrement avec l’Allemagne, car si je m’arrête à la situation de l’Afrique et aux valeurs comparées de la coopération allemande et de l’AFD française, je suis fasciné par la différence financière, voire par l’intention politique, parfois évidente, de suppléer une déficience française en mettant en avant l’importance de l’action allemande. C’est très inquiétant. Je suis de plus en plus d’accord avec M. Lecoq ; j’en suis inquiet car cela révèle un problème européen. Nous ne pouvons pas continuer à faire de l’aide au développement en plastronnant.

Il y a quelques jours, j’étudiais la question tunisienne. L’université allemande de Tunis a été payée cash 4 millions d’euros alors que la France et l’AFD proposaient un prêt de 500 000 euros.

Pourriez-vous nous fournir des informations sur les contacts existants entre l’AFD et l’Europe ?

Et puisque c’est « jour de colère », je voudrais vraiment que notre commission s’intéresse à ce qui se passe entre le Quai d’Orsay et l’Allemagne quant à la préparation du Traité franco-allemand car nous n’avons aucune information sur ce traité dont on nous dit qu’il formera dans quelques mois la pierre angulaire de la diplomatie française.

Je ne peux pas imaginer qu’une commission des affaires étrangères ne soit pas saisie des intentions du Gouvernement avant même la signature protocolaire, à grands coups de flonflons, à l’Élysée ou ailleurs, d’un traité à la signature duquel je suis rétif.

Donc, deux questions ; l’AFD a-t-elle des contacts avec l’Europe et l’Allemagne ? Allons-nous pouvoir étudier précisément la concurrence entre les Allemands et l’AFD, notamment en Afrique ?

Mme Laetitia Saint-Paul. À l’instar de nombre de nos collègues, je suis sidérée par ce que j’ai pu observer sur le terrain aux Comores et par la façon dont s’organisent les liens entre le Quai d’Orsay et l’AFD. Parfois, on a du mal à comprendre la place qu’occupe l’AFD. Il nous a été expliqué de façon très technique que l’AFD n’était qu’une banque, si ce n’est que si vous confiez la grande majorité des fonds à une simple banque et à de simples technocrates, ce sont eux qui vont conduire la politique. Or, c’est à nous et au Quai d’Orsay qu’il appartient de conduire une politique. Peut-être pas aujourd’hui, parce que le rapport est très clair et que j’encourage mes collègues à le voter, mais, par la suite, il sera primordial que nous nous impliquions et que ce soit le Quai d’Orsay et les parlementaires qui conduisent la politique d’aide au développement, et non de simples banquiers – ainsi qu’ils se présentent.

M. Bruno Joncour. Je partage les propos tenus sur la dimension du pilotage, sur la nécessité de la cohérence et de l’évaluation.

Je voulais interroger sur l’articulation qui existe entre l’aide française au développement et l’aide de l’Union européenne. M. Goasguen a cité l’Allemagne, je cite l’Union européenne.

Je mentionnerai également l’articulation qui existe, même si l’initiative en est différente, entre l’aide au développement de l’État et la coopération décentralisée qui revêt, certes, une dimension plus modeste, mais qui, en termes d’initiatives, d’implication et de sensibilisation de la population, a toute son importance. Il est utile, dans un rapport relatif à l’aide au développement, que l’on mentionne la dimension territoriale.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Qui aurait dit ce matin que les débats sur ce rapport auraient été si riches ? Cela dit, nous pouvions le deviner au vu de sujets qui touchent à l’aide publique au développement, à l’AFD et à cette ambition extrêmement forte du Président de la République.

Monsieur Maire, vous avez essentiellement présenté des recommandations, des préconisations et des conseils. Nous sommes d’accord sur le pilotage politique. Nous sommes face à une AFD plus grande, plus agile, plus innovante, plus partenariale, qui réclame que soit portée une grande vigilance aux chantiers qui sont mis en œuvre.

Madame Maquet, le COM répond entièrement aux exigences des Accords de Paris.

Madame Poletti, nous sommes d’accord, le manque de respect du Parlement est flagrant dans la mesure où nous avons été saisis du rapport il y a une quinzaine de jours, nous empêchant de limiter le nombre des auditions. Bien sûr, je n’ai pas de doute sur le fait que l’AFD soit bien dirigée. D’ailleurs, chaque ambassade émet un avis sur tout projet que l’AFD développe sur un territoire et des évaluations sont également réalisées. Il n’en reste pas moins qu’il est totalement anormal que les parlementaires, quel que soit leur parti politique, soient saisis de façon aussi cavalière dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale pour émettre un avis en quinze jours sur le COM, au motif que ce dernier doit être présenté au conseil d’administration de l’AFD fin novembre ou début décembre.

Je m’interroge sur notre prise de position aujourd’hui. Voilà très longtemps que je fais de la politique dans les petites communes, mais, quel que soit le niveau de pouvoir, le rôle du politique est essentiel. Que les administrateurs ne le prennent pas mal, mais la France ne peut être dirigée par une administration. Le rôle du politique est central et le rôle de contrôle de l’action gouvernementale par les parlementaires fondamental. À cet égard, il nous appartient d’être attentifs à cette politique en plein développement qui donnera un pouvoir considérable à l’AFD dans les temps prochains.

Cher Bruno Fuchs, nous avons déjà exposé les raisons de l’examen tardif de ce document.

J’ai auditionné M. Rioux. Il a indiqué qu’il reviendrait devant la commission autant de fois que nous le souhaiterions. Mais la question n’est pas uniquement celle-là. Il nous faut disposer de documents synthétiques – moins que le COM ! – qui nous permettent véritablement d’exercer notre pouvoir de contrôle.

Madame Le Peih, la synergie avec les organisations internationales est une demande forte que nous avons adressée à l’AFD. Il faut, en effet, davantage de financements croisés et de participations venant d’autres acteurs.

Monsieur Teissier, vous êtes intervenu sur les modalités de contrôle et sur la nécessité d’un cadre précis de gestion et de soutien. J’ai répondu à cette question.

Monsieur Julien-Laferrière, vous avez été le premier à avoir proposé une tutelle ministérielle ; d’autres l’ont fait à la suite.

Je suis d’accord avec vous sur la nécessité d’une ambition et d’un affichage politique forts et sur une unicité de responsabilité pour garantir les résultats. Un ministre chargé du développement est l’une des solutions possibles. Il peut y en avoir d’autres, ainsi que l’a proposé Hervé Berville. En tout cas, il faut arriver à cette unicité de responsabilité pour que les résultats soient garantis à l’arrivée.

Monsieur Petit, nous venons tous deux du monde industriel. Il faut un COM et des indicateurs, mesurer leur pertinence, étudier la façon de les suivre, en estimer la fréquence et envisager la façon d’engager des actions correctives.

Monsieur Hutin, j’ai répondu en grande partie, mais pas totalement, sur la position à prendre. Quel message devons-nous envoyer ? Il convient d’en reparler ensemble avec la présidente après mon temps de réponse à vos questions.

Madame Boyer, vous avez exposé un certain nombre de recommandations et dressé un constat d’opacité, en tout cas c’est ainsi que la situation est perçue par les parlementaires.

Nous n’avons pas accès à l’ensemble des données. Si le site internet de l’Agence est très bien fait, il s’adresse essentiellement au grand public et ne répond donc pas aux questions que se posent les députés que nous sommes. Il s’agit de marketing et de communication, alors que les parlementaires réclament des données chiffrées et précises. Je ferai remonter vos questions.

Comme je l’ai précisé, chaque ambassade donne son avis sur chaque projet la concernant. Des sécurités s’appliquent tout au long des procédures, d’où la nécessité de ne pas trop baisser la garde s’agissant de notre réseau diplomatique qui est une forme de garantie de l’ensemble des projets.

Monsieur Goasguen, l’AFD est délégataire de crédits européens. C’est pourquoi nous lui demandons de rechercher des crédits auprès de différents acteurs.

Je laisserai la présidente répondre sur le traité franco-allemand et sur l’aide publique au développement entre Allemands et Français. Sommes-nous partenaires ou concurrents ? La question est intéressante.

J’en viens à notre prise de position. Nous pourrions voter pour et assortir notre rapport, comme l’a fait le Sénat, de remarques ou de recommandations.

Pouvons-nous, dans la mesure où il s’agit d’un vote consultatif, facultatif, que nos débats d’aujourd’hui ont été très riches, que bien des questions ont été posées, ne pas nous prononcer faute d’avoir été saisis dans les temps ? En réorganisant rapidement mon agenda, j’ai eu le temps de procéder à deux auditions, ce qui était très loin de ce qui aurait été nécessaire s’agissant d’un contrat d’objectifs et de moyens. Même si le COM n’est plus valable qu’une seule année, il a pour objet de préparer le futur et aurait dû faire l’objet d’une quinzaine d’auditions afin que je puisse remettre ce matin un rapport circonstancié sur le COM, sur les indicateurs, sur ce qui a été fait pendant deux ans car si cela a fonctionné deux ans sans COM, comment cela a-t-il fonctionné ? Je n’ai pas la réponse.

Le rôle du politique ne consiste pas à manier la langue de bois : il faut dire ce qui fonctionne et ce qui dysfonctionne. Les représentants de la nation doivent faire entendre la nécessité de pratiquer un contrôle plus pertinent de l’AFD, de son fonctionnement, de son COM, même si je n’ai pas d’inquiétude sur le fait que l’Agence est bien tenue, que la sécurité y est assurée, que des contrôles extérieurs et intérieurs sont effectués. L’Agence fonctionne bien, mais les parlementaires jouent un rôle essentiel. C’est la raison pour laquelle je pense que nous pouvons nous interroger collectivement sur la position à prendre pour envoyer un message très clair.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci beaucoup.

Nous reviendrons sur la question du vote ; il était utile de rappeler que le vote du Sénat a été assorti de réserves. C’est une possibilité que nous pouvons retenir si nous le souhaitons.

Notre débat a été très intéressant et substantiel sur le fond. Ce n’est pas la première fois que nous relevons ici le problème qui s’attache à la gouvernance de l’aide publique française au développement en général, non de l’AFD en particulier. Telle est la question qui se pose à nous, et c’est à cette question que notre commission doit apporter des éléments de réponse. Nous avons une responsabilité forte. Il faudra nous saisir du prochain projet de loi d’orientation et de programmation avant qu’il arrive devant notre commission. Je demanderai que l’exécutif tienne compte de la position consensuelle, voire quasi unanime, de la commission des affaires étrangères, sur la question de l’aide au développement.

L’avis d’Hubert Julien-Laferrière, le rapport de Bérengère Poletti et de Rodrigue Kokouendo et celui de Hervé Berville, tous ces documents, sans exception, s’inscrivent dans le même sens pour demander un pilotage accru, identifié, visible et lisible ainsi que des réformes de l’aide publique au développement. Nous avons beaucoup parlé de l’AFD, mais il faut repenser notre aide publique au développement dans sa globalité.

Nous allons connaître une augmentation budgétaire. Je salue la concrétisation de cet engagement fort du Président de la République, mais la qualité devra prolonger la quantité budgétaire. Peut-être serait-il utile de repenser notre aide au développement, notamment dans sa répartition. En Grande-Bretagne, le cinquième de l’aide publique au développement, soit plus d’un milliard d’euros, est géré par des ONG, contre à peine 3 % en France. L’AFD est-elle là pour faire ou pour faire faire ? Quand on est un opérateur fort et solide, n’est-il pas préférable parfois de faire faire par des ONG ? Nos questions ne se limitent pas au pilotage, au contrôle et à l’évaluation, elles portent sur la politique qui est conduite et sur sa substance.

Notre commission devrait défendre une façon de faire et penser l’aide publique au développement de manière plus décentralisée. Notre politique devrait se fonder sur la confiance et passer par les ONG comme cela se pratique, par exemple, en Grande-Bretagne. Cela suppose des actions bilatérales plus nombreuses sans pour autant renier les aides multilatérales, plus de dons et pas uniquement des prêts, une priorisation et une hiérarchisation des priorités.

Parce que cela n’est jamais fait, je souhaite que nous abordions la répartition de l’aide publique. La Grande-Bretagne est exemplaire du point de vue de sa coopération et de son aide au développement, parce qu’elle fait faire par un comité de pilotage, elle ne fait pas tout. C’est une bonne chose que l’AFD prenne de l’ampleur en absorbant Expertise France, qui deviendra un opérateur d’importance. Cet opérateur a-t-il vocation à tout assumer par lui-même, ou bien à « faire faire » ? De ce point de vue, je crois davantage à des délégations, à des coopérations, au « faire-faire » ; la manière de procéder en Grande-Bretagne est préférable à ce qui se pratique en France. Telles sont les questions en suspens.

Notre commission doit être entendue dans le cadre du futur projet de loi d’orientation et de programmation avant qu’il ne soit décidé. Nous l’amenderons, nous ferons notre travail de parlementaire. Je demande que nous participions à la phase cruciale d’élaboration de la loi afin de peser sur la substance de cette loi de programmation et d’orientation.

Par ailleurs, nous demandons un comité de pilotage politique identifié, soit sous la responsabilité du Premier ministre, comme Hervé Berville l’a proposé, soit sous la forme d’un ministère du développement. Ces questions doivent être posées.

Enfin, une fois définies les politiques publiques et repensée l’aide au développement qui, selon moi, doit être transformée en partie en conservant le meilleur et peut-être en améliorant le reste, il faudra renforcer, voire faire exister l’évaluation et le contrôle du Parlement. Disons la vérité des choses : aujourd’hui, le Parlement n’évalue et ne contrôle rien. J’ai été très heureuse de constater que M. le rapporteur et moi-même étions exactement sur la même ligne de pensée. Il s’agit de bon sens. D’ailleurs, tous au sein de cette commission partagent la même expertise sur ce contrat d’objectifs et de moyens.

Il nous faut des COM qui soient d’une nouvelle génération, sérieux, élaborés avec nous et pas seulement dans un bureau, je ne sais où, dans un ministère. Il nous faudra y participer en amont et pas uniquement en aval. Si le contrat devait passer à quatre ans, une évaluation annuelle et un contrôle permanent s’avéreront indispensables.

Les parlementaires membres du conseil d’administration devront exercer cette évaluation et ce contrôle permanent en liaison avec nos rapporteurs : soit nos rapporteurs pour avis budgétaire, soit ceux qui sont saisis des COM. Un travail d’évaluation et de contrôle nous attend et nous allons devoir prendre nos responsabilités.

Voilà résumée la position que nous pourrions porter. Je suis d’accord avec M. le rapporteur pour étudier la position du Sénat. Sa proposition va dans le bon sens. Il est important d’assortir nos votes des réserves que nous venons d’exprimer.

Monsieur Goasguen, la commission des affaires étrangères n’est pas saisie du traité parlementaire franco-allemand car la préparation de ce traité a relevé d’un groupe de travail spécifique co-présidée par la Présidente de la Commission des affaires européennes et dans lequel siège un représentant de chaque groupe parlementaire. Ce groupe de travail a élaboré un texte. À diverses reprises, j’ai demandé au président de l’Assemblée que nous y soyons associés. Nous pourrons nous saisir prochainement de ce texte en cours de finalisation. Pour le dire diplomatiquement, la façon de travailler n’est pas optimale. Il est prévu que tout cela débouche sur une résolution au titre de l’article 34-1 de la Constitution, autrement dit non amendable en séance, mais dont le projet peut être modifiée jusqu’à la présentation au Gouvernement.

M. Sylvain Waserman est membre de ce comité de travail ; je lui laisse la parole.

M. Sylvain Waserman. Je rappelle les différentes étapes.

22 janvier 2018 : renégociation du Traité de l’Élysée et décision de lancer un groupe de travail de dix-huit députés transpartisans : neuf Français, dont je fais partie, neuf Allemands.

Après avoir travaillé pendant huit mois, les députés ont abouti à une proposition que je résumerai d’une phrase. Une assemblée parlementaire franco-allemande de cinquante députés français et de cinquante députés allemands dont les objectifs sont triples : le contrôle conjoint de la mise en œuvre d’un nouveau Traité de l’Élysée tel qu’il sera défini ; le travail sur la convergence des droits allemand et français, notamment de l’environnement réglementaire des entreprises et des transpositions plus systématiquement identiques des directives européennes entre la France et l’Allemagne ; le travail entre commissions thématiques pour envisager les thématiques communes que les deux Parlements porteront ensemble au niveau européen.

Cette proposition a été présentée mi-septembre aux bureaux des deux assemblées pour obtenir leur aval. À la mi-septembre, à Lübeck, les deux présidents et les bureaux ont affirmé leur soutien à cette proposition qui doit faire l’objet d’une présentation aujourd’hui. Elle devra être validée, au cours d’une troisième étape, par les bureaux et les groupes politiques du Bundestag et de l’Assemblée nationale.

Si nous parvenions aujourd’hui, ce qui est fort à parier, à un accord majoritaire, nous entrerions dans la logique d’une résolution qui sera présentée au vote aux deux parlements, idéalement le 22 janvier prochain, date anniversaire du Traité de 1963.

Je vous rejoins, madame la présidente, pour juger indispensable que la commission des affaires étrangères ait un temps de débat et d’études si la proposition passait l’étape d’aujourd’hui.

M. Claude Goasguen. Je suis consterné par ce que je viens d’entendre ! Ainsi, d’ici le 22 janvier, nous signerions faire un acte politique majeur qui entraînera des conséquences pour plusieurs années, voire plusieurs décennies, alors que nous n’aurons disposé d’aucune évaluation du passé ?

Je veux absolument travailler sur la coopération franco-allemande. Nous n’allons pas juger du nouveau Traité de l’Élysée sans chercher à en évaluer les bénéfices, les avantages ou les inconvénients. Je ne m’engage pas pour les générations futures à partir d’un vœu de deux exécutifs qui sont, par ailleurs, l’un et l’autre en difficulté.

Madame la présidente, outre les problèmes européens, se posent des problèmes de convergence des attitudes nationales de la France comme de l’Allemagne. Je pense à la coopération. Pouvons-nous imaginer que nous allons discuter des impôts ou des taxes ? Non. Si nous ratifiions un tel traité – ainsi que cela se profile fortement –, il faudrait alors que l’Allemagne fasse des efforts.

Il faut absolument que nous soyons consultés. La question des traités franco-allemands n’est pas simplement européenne, c’est une affaire politique majeure. C’est pourquoi la commission des affaires étrangères doit être associée.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je valide vos propos. Nous tiendrons ce débat.

Merci, monsieur Waserman, de nous avoir fourni tous ces éclairages, mais il faut reconnaître que le fonctionnement parlementaire peut nous interroger. En tout cas, il est positif que la communication se soit faite ce matin. Merci à Claude Goasguen d’avoir appelé notre attention sur ce sujet.

Mme Bérengère Poletti. Je reviens sur la question du vote à émettre.

Le groupe Les Républicains considère que la position exposée par M. Hutin est la meilleure. La non-participation au vote me semble porteuse d’un message très clair.

Je voudrais vous faire part d’une phrase que l’on m’a souvent répétée quand je me formais à la politique : « Votez pour avec des réserves, on ne retiendra que le vote pour. » Si la commission s’exprime pour, c’est un vote pour qui sera enregistré.

Nous ne prenons aucun risque politique, notre vote ne décidera pas de l’application ou non du COM. Nous aurions un peu de tempérament, me semble-t-il, à nous prononcer unanimement pour la non-participation au vote.

M. Hervé Berville. Associer le Parlement dès le début me semble, comme à vous, indispensable.

Mes chers collègues, si je suis d’accord avec les propos que vous avez tenus, je considère que vous exagérez un peu maintenant.

Si l’on fait un peu d’histoire politique, les COM, de l’AFD comme d’autres organismes, ont rarement été délivrés à temps. Il ne faut pas en faire, comme certains s’y essayent ici, le symbole d’une pratique du pouvoir du Président de la République. Je souscris à votre propos lorsque vous appelez à un meilleur pilotage politique et demandez que le Parlement soit associé pleinement dès le début. Repousser le vote nous contraindra à remettre l’ouvrage sur le métier l’année prochaine car le COM est nécessaire pour 2019.

L’opportunité se présente de voter une loi d’orientation et de programmation. En 2014, nous avions voté une simple loi d’orientation. Il faudra que nous soyons impliqués dès le début de la préparation de la loi. Le Parlement aura l’opportunité de programmer, de donner de la visibilité aux crédits et à l’action entreprise au cours des cinq prochaines années dans une trajectoire ascendante mais surtout de remettre à plat de nombreux sujets, notamment les COM ainsi que les conseils d’orientation stratégiques (COS). C’est le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, qui a remis au goût du jour les conseils d’orientation stratégiques qui visent à piloter l’AFD après quatre ans sans COS, marquant ainsi la volonté du Président de la République et du Gouvernement de revenir à des outils de pilotage politique.

J’entends les réserves émises sur un certain nombre de sujets, mais ne faisons pas de ce COM un symbole de quelque chose qui n’est pas puisque, précisément, depuis un an, nous faisons en sorte de réintroduire le pilotage politique et d’y replacer le Parlement au centre, ce dont nous sommes encore assez éloignés. La loi d’orientation et de programmation prochaine permettra de remettre l’ouvrage sur le métier et de faire en sorte que le Parlement soit pleinement intégré à cette politique.

Le groupe La République en Marche émettra un vote « pour » assorti de nos réserves, ainsi que l’a fait le Sénat. Il faut que nous nous inscrivions sur cette voie politique constructive : des problèmes demeurent, que nous réglerons à la faveur de la loi d’orientation et de programmation.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Le COM est conforme à tout ce qui a été dit, écrit et travaillé, que ce soit au CICID ou dans le plan d’action voté au mois d’août. Même si le document est succinct et difficile à suivre puisqu’il est présenté aujourd’hui, je n’ai pas aucun doute sur le fait que notre bras armé qu’est l’AFD fait très bien son travail. Mais nous sommes les représentants de la Nation. Nous recevons un document sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer et qui couvre les années de 2017 à 2019, année 2019 incluse. Deux années se sont écoulées sans que le COM puisse s’appliquer, dans la mesure où il n’avait été présenté ni au Parlement ni au conseil d’administration. En tant que parlementaires, nous envoyons une image étrange sur un sujet très important pour l’ensemble des Français, et qui parfois divise. Nous réclamons plus de transparence. Il n’est donc pas possible d’expliquer que les parlementaires sont saisis d’un COM qui court de 2017 à 2019 et qu’ils se prononcent fin 2018 sur un contrat qui s’exercera uniquement en 2019.

Je suis un député engagé, investi, responsable, et la question me pose difficulté. Il était important que nous débattions ce matin du COM. C’est ce que nous avons fait, nous avons tenu ce débat, qui s’est révélé extrêmement riche.

Plus que de notre mauvaise humeur ou de notre mécontentement d’avoir été saisis tardivement, la question est celle de la cohérence au regard du mandat que nous assumons. Je suis, comme vous, élu depuis 2017. Je dois me prononcer sur un document qui portera uniquement sur 2019. En termes de responsabilité vis-à-vis des Français, je ne suis pas véritablement en phase. Dans la mesure où ce COM arrive très tardivement, il ne s’agit plus d’un vote consultatif, mais d’un vote facultatif. Il est plus que temps de revenir à un vrai pilotage. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne me prononcerai pas sur ce COM et j’expliquerai pourquoi : il court sur trois ans et, dans la mesure où deux ans se sont écoulés, il s’applique uniquement à 2019.

Il est nécessaire de revenir à une saine pratique qui consiste à étudier les COM avant qu’ils n’entrent en application, afin d’en assurer le suivi. Telle est ma position, qui ne remet nullement en cause le fait que celui-ci soit présenté au conseil d’administration de l’AFD qui l’adoptera, et qu’il s’applique en 2019. Mais ma responsabilité d’élu m’engage à ne pas me prononcer sur un COM décidé pour trois ans, alors que deux années sont déjà écoulées et que son application n’a pas été effective à la date prévue.

Voilà donc ma position assortie de l’ensemble des explications, des recommandations et des précisions que nous avons apportées au cours du débat de ce matin. Vous avez été nombreux à vous exprimer. Nous procéderons à une synthèse de vos propos qui seront rapportés à l’AFD et aux différents ministères de tutelle.

M. Jean-Paul Lecoq. Je préciserai notre position.

S’il devait y avoir une dynamique de commission, nous la suivrions et ne participerions pas au vote, en précisant que nous n’acceptons pas la situation à laquelle nous sommes confrontés et que nous ne voulons plus qu’elle se reproduise même si cette façon de faire se pratiquait déjà. Mon collègue Hervé Berville a raison, cela se produisait avant. Ce n’est donc pas une critique, mais nous ne voulons plus que cela se passe ainsi.

Si aucune dynamique collective ne devait se dessiner, nous voterions contre : non pas contre le rapport présenté par notre collègue Barbier, mais contre la démarche.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Deux positions sont possibles. Premièrement, la loi prévoit que la commission peut émettre un avis, ce qui signifie, a contrario, qu’elle peut décider de ne pas en émettre. Le rapporteur a un avis, celui de ne pas émettre d’avis.

Deuxièmement, nous pouvons voter le rapport, dont le contenu est pertinent sur la nécessaire politique d’aide au développement, et décider de ne pas émettre d’avis sur le COM.

M. Christian Hutin. Il me semble compliqué que la commission n’émette pas d’avis, les gens ne comprendraient pas.

J’avais proposé que nous ne nous prononcions pas, mais que nous le fassions d’une manière officielle, en expliquant que la situation ne nous satisfait pas. C’est ce que vous avez dit très honnêtement, monsieur le rapporteur, de même que Mme Poletti et M. Lecoq. Si aucun groupe ne se prononçait, ce serait un acte politique. Mais ce ne sera manifestement pas le cas, puisque nous n’aurons pas l’unanimité. Si certains décidaient de voter « pour » à l’instar du Sénat en émettant des réserves, je resterais, pour ma part, sur la position annoncée par M. Lecoq et par le groupe Socialistes et apparentés : voter contre pour marquer notre désappointement.

Mme Clémentine Autain. Je partage ce point de vue, nous sommes d’accord, mais ce serait un signal plus fort du Parlement, y compris au regard des critiques qui se sont exprimées au sein de tous les groupes politiques, de votre part en particulier, madame la présidente, si nous ne nous prononcions pas. Je n’aurais pas plaisir à voter contre. Nos critiques sont partagées, nous manifestons une insatisfaction, nous partageons le sentiment selon lequel le Parlement est insuffisamment associé à cette feuille de route. Monsieur le rapporteur, ne le prenez pas comme une défiance personnelle, mais nous sommes face à un enjeu politique. Il serait plus raisonnable de procéder de la sorte.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous nous acheminons vers une décision par consensus de notre commission, qui serait donc un refus de se prononcer ?

M. Jacques Maire. On nous demande, sur ce COM, un avis que nous pouvons assortir de réserves. Les rendez-vous très importants et structurants pour l’avenir qui nous attendent nécessiteront sans doute que nous formulions des propositions visant à bouleverser la logique qui préside à l’implication des parlementaires dans la rédaction des COM. Selon moi, ces seconds rendez-vous nous engagent plus fortement. Il n’y a jamais eu autant de parlementaires qui, depuis, quinze mois, s’intéressent à l’AFD et à son action.

Dès lors que l’on nous saisit d’un document, nous exprimons un avis critique, mais clair. Nous nous situons dans le dialogue normal entre exécutif et législatif, il n’y a pas de crise.

Mme Bérengère Poletti. Je voudrais dire à nos collègues de La République en Marche que notre position n’est ni partisane ni dogmatique. Nous sommes les premiers à marquer la nécessité d’augmenter l’aide publique au développement comme de modifier les objectifs et procédures de cette aide. Nous sommes plutôt d’accord avec les orientations du Président de la République, même si le Parlement devra en contrôler l’exécution.

Aujourd’hui, la question est de forme. On nous demande d’émettre un avis sur le fond sur un contrat d’objectifs et de moyens passé, y compris s’agissant de 2019, puisque nous sommes en train de voter le budget. Nous n’avons même pas les moyens d’impacter les inscriptions au titre de 2019.

Refuser d’émettre un avis serait un signal puissant des parlementaires. Cela dit, je me range à l’avis de Christian Hutin. Si nous ne pouvons obtenir un vote unanime, nous nous orienterons vers un vote contre pour un problème de forme. Cela dit, je préférerais que l’ensemble de la commission refuse de voter.

Mme Laetitia Saint-Paul. Dans tous les cas, un certain consensus s’exprime : nous sommes, en effet, tous d’accord sur le fond, peut-être pas sur la forme. Quoi qu’il en soit, il n’est pas question que nous soyons privés de vote ; aussi, la commission s’exprimera-t-elle.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous propose de voter sur l’avis présenté par le rapporteur sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD et sur l’autorisation de sa publication sous forme de rapport d’information.

La commission adopte lavis présenté par le Rapporteur et autorise sa publication sous forme de rapport dinformation.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. En tout état de cause, les questions de fond devront être traitées. Les réserves, nombreuses, et les exigences, non moins nombreuses, seront notées.

 


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   Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

 

Ministère de lEurope et des affaires étrangères

M. Laurent Bili, directeur général de la Mondialisation ;

M. Guillaume Pottier, rédacteur à la sous-direction du développement.

 

Agence Française de Développement (AFD)

M. Rémy Rioux, directeur général ;

M. Yves Guicquero, directeur-adjoint du directeur exécutif de la stratégie, des partenariats et de la communication ;

Mme Zolika Bouabdallah, chargée des relations avec le Parlement.


([1])  Le Contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2014-2016 prévoyait un volume d’activité de 8,5 Mds€ pour le groupe AFD en 2016 soit 200M€ supplémentaires par rapport à 2015.

([2]) Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

([3]) Ces pays reçoivent au moins la moitié des subventions de l’État et les deux tiers de celles mises en œuvre par l’Agence française de Développement (AFD).

([4])  « Une convention pluriannuelle conclue entre l’État, représenté par les ministres concernés, et chaque établissement public contribuant à l’action extérieure de la France, représenté par le président de son conseil d’administration, définit, au regard des stratégies fixées, les objectifs et les moyens nécessaires à la mise en œuvre de ses missions. Le projet de convention est transmis par le Gouvernement, avant sa signature, aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ces commissions peuvent formuler un avis sur ce projet de convention dans un délai de six semaines. »

([5])  Hervé Berville, Rapport sur la Modernisation de la politique partenariale de développement"(septembre 2018) ; Rodrigue Kokouendo, Bérengère Poletti, Rapport d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’aide publique au développement (juin 2018).

([6])  Rodrigue Kokouendo, Bérengère Poletti, Rapport d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’aide publique au développement (juin 2018).

([7]) Hubert Julien-Laferrière, avis présenté au nom de la commission des Affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2018 (n° 235), Tome III, Aide publique au développement.

([8])  Hervé Berville, Rapport sur la Modernisation de la politique partenariale de développement"(septembre 2018).

([9])  Code monétaire et financier, Article R515-7 : « Le ministre chargé de la coopération préside un conseil d’orientation stratégique composé des représentants de l’État au conseil d’administration. Il peut inviter le président du conseil d’administration et le directeur général de l’agence à y participer. Le conseil d’orientation stratégique coordonne la préparation par l’État du contrat d’objectifs et de moyens liant l’agence à l’État et en contrôle l’exécution. Il prépare, avant leur présentation au conseil d’administration, les orientations fixées par l’État à l’agence en application des décisions arrêtées par le comité interministériel pour la coopération internationale et le développement. »