N° 1442

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 Novembre 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux outre-MER (1)

sur la drépanocytose

PAR

M. Olivier SERVA

Président de la Délégation

Rapporteur

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 


 

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La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Olivier Serva, président ; MM. Philippe Dunoyer, Hubert Julien-Laferriere, Mme Marie Lebec, MM. Jean-Philippe Nilor, Didier Quentin, viceprésidents ; Rodrigue Kokouendo, Mmes Josette Manin, Danièle Obono, Maud Petit, secrétaires ; M. Lénaïk Adam, Mmes Ramlati Ali, Ericka Bareigts, Nathalie Bassire, Huguette Bello, Justine Benin, MM. Sylvain Brial, Moetai Brotherson, André Chassaigne, Stéphane Claireaux, Mmes Françoise Dumas, Sophie Errante, MM. Jean-Michel Fauvergue, Laurent Furst, Raphaël Gérard, Philippe Gomès, Philippe Gosselin, Mmes Claire Guion-Firmin, Sandrine Josso, M. Mansour Kamardine, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, MM. Jean-Christophe Lagarde, FrançoisMichel Lambert, Mohamed Laqhila, Mme Charlotte Lecocq, MM. Serge Letchimy, David Lorion, Max Mathiasin, Mmes Monica Michel, George Pau-Langevin, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, MM. Pierre-Alain Raphan, Jean-Hugues Ratenon, Hugues Renson, Mmes Cécile Rilhac, Maina Sage, Nicole Sanquer, M. Gabriel Serville, Mmes Laurence Trastour-Isnart, Hélène Vainqueur-Christophe, Laurence Vanceunebrock-Mialon et M. Philippe Vigier.

 

 


 

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Mesdames, Messieurs,

La drépanocytose, maladie invalidante et dangereuse pour la vie même, est encore trop souvent, aujourd’hui, à l’origine de très grandes souffrances pour nombre de nos concitoyens, notamment parmi les personnes originaires des Antilles et de Mayotte.

Pourtant, elle reste ignorée de beaucoup de Français, d’autant plus que les ravages qu’elle inflige ne se voient pas et n’incitent donc pas spontanément à la compréhension, à la sympathie ou à la compassion.

Plus grave encore, les médecins et les structures de santé sont inégalement préparés à recevoir et à traiter les personnes drépanocytaires. Les entreprises ne savent pas nécessairement comment intégrer ces personnes dans les relations de travail ni comment aménager leurs conditions de travail pour tenir compte des contraintes liées à la maladie. La société n’est pas préparée à accueillir convenablement des malades qui peuvent, pour leur part, hésiter à parler d’un mal qui leur paraît les condamner, outre à diverses formes de handicap, à une certaine mise à l’écart.

La Délégation aux outre-mer est pleinement dans son rôle en voulant appeler l’attention de l’Assemblée nationale et, au-delà, de l’opinion, sur ce qui est un problème majeur de santé publique dans notre pays. Le colloque dont les actes sont publiés par ce rapport a été l’occasion de faire le point à son propos.

Témoignages de personnes drépanocytaires et exposés scientifiques se sont succédé, le 18 octobre, à l’Assemblée nationale. Des spécialistes reconnus ont présenté le bilan des savoirs, des pratiques de soin et des perspectives de la recherche. Des acteurs de l’engagement associatif et notre collègue Ramlati Ali, députée de Mayotte, ont décrit la situation des malades drépanocytaires dans les territoires dont ils sont originaires. Je remercie tous ces intervenants de leur participation active. Je tiens à remercier tout spécialement Mme Jenny Hippocrate, l’infatigable présidente de l’Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose (APIPD), qui a apporté à l’organisation de notre colloque l’appui généreux de son expérience et de son engagement.

Je serais comblé si la lecture des Actes qui vont suivre permettait à chacun de mesurer le chemin parcouru dans la lutte contre la drépanocytose, de comprendre l’ampleur des difficultés individuelles et sociales que subissent les personnes drépanocytaires et d’apprécier pleinement les perspectives encourageantes que la recherche médicale ouvre désormais aux victimes de la drépanocytose et à leur entourage.

 


 

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SOMMAIRE

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Pages

Présentation des travaux

première partie. Mieux comprendre la drépanocytose en 2018

moignage d’un malade de la drépanocytose

vivre son handicap au travail

la drépanocytose en france

comment optimiser la prise en charge de la drépanocytose ?

résultats actuels et perspectives des greffes allogéniques et de la thérapie génique dans la drépanocytose

seconde partie. la lutte contre la drépanocytose à l’échelle de nos territoires

Les actions de l’Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose (APIPD)

drépanocytose, combat d’une vie : doule en peyi-la

La drépanocytose en guyane

La drépanocytose à MAYOTTE

Propos de conclusion du Président Olivier Serva

 


 

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   Présentation des travaux

Olivier SERVA

Député de la Guadeloupe

Président de la Délégation aux outre-mer

de l’Assemblée nationale

Nous sommes réunis afin de traiter d’un sujet important et grave qui touche principalement nos populations : la drépanocytose.

L'idée de ce colloque est née d’une sensibilisation forte et de divers échanges avec Madame Jenny Hippocrate, Présidente de l’Association Pour l’Information et la Prévention de la Drépanocytose (APIPD) lors de son gala annuel de charité en avril dernier. À cette occasion, j’ai pu faire la connaissance de nombreux malades ainsi que de professeurs renommés qui ont su mettre en lumière les difficultés rencontrées dans le cadre de la lutte contre la drépanocytose.

Lors de cet événement, j’ai été particulièrement touché par le témoignage poignant de Taylor Fixy, qui a su nous démontrer sa force et son courage dans la lutte contre cette maladie. C’est pour cela que j’ai souhaité qu’il soit présent aujourd’hui et qu’il soit le premier à intervenir. Son témoignage, je le crois, vous touchera.

Mon engagement dans la lutte contre la drépanocytose remonte à de nombreuses années. Dès 2015, j’ai souhaité, dans le cadre de mon mouvement politique Eko Zabym, faire toute la lumière sur cette maladie génétique et donner la parole aux associations de terrain à travers plusieurs conférences et débats, ainsi que des échanges fructueux entre médecins, professionnels du secteur, malades et familles afin de sensibiliser la population sur cette maladie. Par ailleurs, l’une de mes anciennes et plus proches collègues était atteinte de la drépanocytose. Je connais donc bien les difficultés rencontrées notamment dans le cadre du travail.

Aujourd’hui, il est nécessaire de faire toute la lumière sur cette maladie qui touche l’ensemble des territoires ultramarins. Je remercie d’ailleurs la députée de Mayotte, Mme Ramlati Ali, qui nous apportera un éclairage quant à la situation sur son territoire et les besoins nécessaires en termes de dépistage et de prise en charge des malades. J’espère que les engagements de la ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, lui laisseront le temps de nous présenter le plan gouvernemental de lutte contre cette maladie. Je pense ici à la généralisation du dépistage néo-natal, à l’importance du financement de la recherche médicale ou encore au développement d'une campagne d’information à l’échelle nationale.

À l’issue de ce colloque qui, je l’espère, sera riche en enseignements, je m’engage à porter la question de la lutte contre la drépanocytose devant la ministre des solidarités et de la santé.

Je vous souhaite un bon débat et un bon colloque.

 


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   première partie. Mieux comprendre la drépanocytose en 2018

 

Jean-Jacques SEYMOUR

Modérateur des débats

Ce n’est pas la première fois que je vais parler de la drépanocytose. Très souvent, le corps médical fait appel à moi pour un exercice du même genre que celui auquel on va se livrer ce soir.

La drépanocytose est une maladie génétique très répandue en France, et qui reste pourtant – on a–cette impression, en tout cas – encore peu connue du public. Alors que les Nations Unies l’ont reconnue comme une priorité de santé publique, en France, où elle est la maladie génétique la plus répandue, on peut voir régulièrement que sa prise en charge médicale est encore insuffisante.

Nous allons entendre ce soir un certain nombre de témoignages, dont le premier sera celui de Taylor Fixy, qui connaît cette maladie depuis son plus jeune âge.

témoignage d’un malade de la drépanocytose

Taylor FIXY

Je suis Taylor Fixy, le fils de Mme Jenny Hippocrate, la présidente de l’Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose.

Il y a vingt-six ans, on a dit à ma mère que son fils n’allait pas dépasser l’âge de cinq ans. Aujourd’hui, j’en ai vingt-six. Il est vrai que j’ai vécu pas mal d’expériences que je n’aimerais pas revivre, et que pourtant, puisque je suis malade de la drépanocytose, je suis exposé à vivre encore.

Je vais vous raconter mon parcours, de mon enfance et de mon adolescence jusqu’à ma vie de jeune adulte.

Quand ai-je pris conscience de la maladie ? J’étais souvent absent, essoufflé, fatigué, mais je ne savais pas que j’étais malade. J’ai pris conscience de la maladie quand ma petite cousine en est décédée. J’ai aussi pris conscience de la mort, à cette époque-là, et cela n’a pas été facile pour moi. Très jeune, j’ai commencé à réfléchir, et j’ai avancé.

À l’école, la maladie m’a causé beaucoup de difficultés. J’ai dû redoubler, j’ai passé plusieurs fois Noël et mon anniversaire à l’hôpital. L’hôpital était ma deuxième maison, ou plutôt ma première.

Au collège, c’était pareil. J’ai passé dix-huit mois en fauteuil roulant, car j’étais atteint d’une ostéonécrose à la tête fémorale ; du fait de la dégradation de l’os, je ne pouvais pas marcher.

Toutes les six semaines, il faut changer mon sang, sinon je fais des crises qui provoquent des douleurs indescriptibles, comme si on vous électrocute, on vous brise les os, on vous charcute. C’est une torture atroce. Cela semble facile à dire, mais il faut le vivre pour le comprendre. Souvent, des personnes qui ont assite à mes crises m’ont dit qu’elles étaient loin de penser à de telles souffrances. Même les vibrations du sol nous font mal, même le vent nous fait mal, tout nous fait mal, tout nous perturbe. Quand on est en crise, souvent, on a envie d’arrêter de vivre pour arrêter de ressentir la douleur.

Parce que je souffrais énormément, je ne pouvais pas réaliser mes rêves. Je voulais être pilote de ligne. On m’a dit que c’était impossible, parce que le manque d’oxygène en altitude crée une contre-indication, dès lors que la drépanocytose, maladie des globules rouges, affecte la circulation du sang.

Je n’ai pas pu aller en classe de mer ou à la montagne. Avant que je ne prenne l’avion, on était obligé de changer mon sang. Quand j’étais dans mon pays, en Martinique, je n’avais pas le droit d’aller à la plage, au soleil : quel intérêt, alors, d’être là ?

J’étais brisé, c’était dur pour moi.

À l’école, mon proviseur adjoint m’avait dit que je ne pourrais pas être caissier, parce que j’étais souvent absent, en fauteuil roulant. Pour lui j’étais un échec et je n’avais rien à faire là. J’ai quand même continué à me battre, grâce à ma mère et aux membres de l’association.

Aujourd’hui, je me porte plutôt bien, même si je souffre toujours de la drépanocytose. J’ai passé une licence de pilote privé. J’ai ouvert deux entreprises, l’une à Hong Kong, l’autre à Paris.

J’ai pu ainsi réaliser beaucoup de mes rêves, mais parfois la réalité me rappelle à l’ordre. Il y a un mois, j’avais le projet de mer rendre en Californie dans le cadre de mon activité professionnelle, l’électronique. Pour cela, je voulais arrêter les transfusions. Quand j’étais en Chine, j’avais dû faire, à de très nombreuses reprises, un aller-retour en France toutes les six semaines pour me faire changer le sang. J’ai voulu tester un traitement qui n’avait pas marché sur moi à l’époque, espérant que les choses avaient changé avec l’âge. Malheureusement, à nouveau, il n’a pas marché. J’ai fait une très grosse crise, un huitième syndrome thoracique aigu, qui m’a coûté dix jours en réanimation. La crise s’est diffusée dans tout mon corps. On m’a tout administré, morphine, codéine, Xanax, Acupan, amphétamines, etc. On a tout testé et rien ne marchait ; les médecins voulaient me mettre en coma artificiel. Cependant, après deux transfusions, j’ai commencé à reprendre conscience et la douleur s’est apaisée.

La drépanocytose est une sale maladie, qui détruit, qui gâche la vie. C’est un combat physique, à cause de la douleur, mais aussi moral, psychologique. Comme je le dis souvent à ma mère, je n’ai pas peur de mourir, mais j’ai peur de ne pas avoir vécu. La maladie m’a privé de beaucoup de choses, étant enfant, adolescent et même jeune adulte. Mais je n’abandonne pas, je continue à me battre.

Parfois je me dis « pourquoi ai-je cette maladie, moi ? » Mais, en réfléchissant, je me rappelle que d’autres aussi sont malades. Ma maladie, c’est un mal pour un bien, car, si je n’étais pas malade, je ne pense pas que ma mère aurait entrepris le projet. Le combat contre la drépanocytose a bien avancé. Ma mère me dit souvent qu’elle n’a pas entièrement réalisé son rêve, car elle voudrait que je guérisse, mais il ne faut pas qu’elle oublie qu’elle en a réalisé plus de la moitie, puisque je suis encore en vie. À chaque fois que mon cœur bat, le combat est déjà gagné.

Jean-Jacques SEYMOUR

Merci, Taylor. Je rappelle que Taylor a écrit un livre sur ce qu’il a vécu[1]. Son témoignage se passe de commentaire. Tout a commencé avec un fils, avec une mère qui s’est battue. Je l’ai entendu avec beaucoup d’émotion, ayant, avec ma femme, adopté, grâce à l’association, une petite fille. Taylor se bat et il ira encore plus loin, à force de volonté. Aujourd’hui, il est chef d’entreprise, il pilote des avions, c’est impensable.

vivre son handicap au travail

Valérie NOIRAN

Psychologue du travail

Psychologue interculturelle

Comme d’habitude, le témoignage de Taylor, que nous venons d’entendre, serre le cœur. C’est quelqu’un que j’admire énormément, comme sa mère.

Pour ma part, je suis rentrée dans l’association il y a quatorze ans, juste avant la naissance de ma fille. En effet, Mme Hippocrate et moi avons le même métier, et c’est parce que nous avons commencé à travailler ensemble que je me suis rendu compte qu’elle menait un combat où entrait beaucoup de souffrance psychologique, et qu’elle se trouvait parfois toute seule à assurer le physique, le psychologique, son rôle de mère. Du coup, nous nous sommes épaulées, et je suis venue apporter une toute petite pierre à son édifice. Je la remercie et je remercie ceux qui me donnent la possibilité d’échanger, ce soir, sur la question du travail.

Pourquoi parler du travail ? Parce que, par chance, les personnes drépanocytaires, maintenant, vivent plus longtemps, deviennent de jeunes adultes et, donc, rentrent en emploi.

En Ile-de-France, le problème de l’insertion professionnelle des personnes drépanocytaires commence à se poser. La drépanocytose est qualifiée de maladie invalidante. En effet, elle ne se voit pas, il ne manque pas un membre au malade, on ne constate aucune dégénérescence neuronale.

Donc un employeur qui fait passer un entretien d’embauche à une personne qui, quatre jours plus tard, est absente sans aucune explication, en raison d’une crise,  il lui est difficile de le comprendre.

En fait, la situation de handicap vécue par le salarié ne correspond pas à notre image collective : dès lors, on estime qu’étant absent à peine arrivé, il exagère, et, au bout de six absences, il ne passe pas la période d’essai.

L’association a, ainsi, été de plus en plus sollicitée en raison de difficultés portant à la fois sur l’accès à l’emploi et au maintien dans l’emploi. Pour mieux le faire comprendre, je vais vous raconter l’histoire d’une des personnes que nous avons accompagnée, et que nous appellerons Marie-Emmanuel.

Celui-ci avait déjà éprouvé de grosses difficultés scolaires. Comme l’a très bien dit Taylor Fixy, la maladie hachure complètement la scolarité, avec des redoublements ; des propos scandaleux, comme ceux du proviseur adjoint qu’il a rapportés, forment le quotidien des personnes concernées. Quand celles-ci arrivent à Pôle Emploi et qu’elles présentent une demande de reconnaissance de travailleur handicapé, elles ont déjà fait beaucoup, et, là, elles se trouvent dans la même situation que les autres personnes à la recherche d’un emploi.

Marie-Emmanuel n’a pas un très haut niveau d’études – attention, cela ne veut pas dire qu’une personne drépanocytaire ne peut pas faire d’études très poussées et exercer une profession hautement qualifiée, il est très important de le rappeler. C’est un jeune homme de 27 ans, qui occupe un emploi logistique dans un service de reprographie, à temps partiel. Son environnement direct de travail est bruyant, mal ventilé, avec du port de charge. Il lui est aussi arrivé d’aider aux livraisons clients, quand des collègues sont absents. Il a tenu ainsi pendant vingt mois, même si c’était douloureux, en gérant chez lui les crises qui le frappaient.

Comme beaucoup de personnes drépanocytaires en emploi ou en recherche d’emploi, Marie-Emmanuel n’a rien dit à son employeur quand celui-ci l’a embauché. Il ne lui a pas parlé de sa maladie et de ses conséquences. Il ne l’a pas informé qu’il bénéficiait d’une Reconnaissance Qualité Travailleur Handicapé (RQTH) ; donc, il n’a pas non plus évoqué les contre-indications médicales, par rapport à son métier. Marie-Emmanuel ne voulait surtout pas que ces collègues se rendent compte de son état de santé. Il ne voulait pas qu’on pense qu’il était moins que les autres parce qu’il était handicapé, qu’il était un poids pour l’entreprise. Du coup, il s’est tu, il a souffert en silence, mais évidemment la maladie l’a rattrapé.

 

 

En 20 mois, il a eu 12 absences plus ou moins longues et toutes pour raisons médicales. Et il a sollicité notre association parce que sa situation professionnelle se dégradait.

Bien qu’appréciant la qualité de son travail et son sérieux, son responsable direct était devenu très insistant par rapport à ses absences et rechignait de plus en plus à assouplir son rythme de travail, même s’il se rendait compte que ce salarié présentait des signes évidents de fatigue.

De plus, Marie-Emmanuel avait l’impression que ses collègues le laissaient de plus en plus de côté et ce, même à la pause-déjeuner. Il disait que ces derniers ne communiquaient pas vraiment avec lui. Ce qui le perturbait assez. Il avait l’impression que certaines réflexions lancées à la cantonade, le visaient personnellement : « … quand on est fainéant, on ne fait pas ce boulot là… » ou « J’en ai marre de faire le boulot des autres qui font semblant d’être malades ». Il en souffrait et en plus de gérer ses crises dans le plus grand secret, il a perdu peu à peu l’envie de se rendre à son travail.

Marie-Emmanuel a toujours eu peur de dire à son employeur qu’il était malade parce qu’il a toujours eu peur d’être renvoyé. Pour lui, aucun patron garderait une personne atteinte de drépanocytose.

Son anxiété croissante accentue les potentialités de déclencher à chaque fois une crise et cela le stresse encore plus.

Lorsqu’il a pris contact avec l’association, il était dans une situation limite, à la veille du licenciement. Notre premier travail a consisté à lui faire prendre la mesure de ce qui se passe dans le service, lorsqu'il est absent. Il n'évaluait pas l'impact direct de surcharge de travail pour ses collègues qui sont d’ailleurs dans l’ignorance de son état de santé, ni la réorganisation au pied levé pour son responsable. Comme il accomplissait des efforts inimaginables pour venir travailler alors qu’il est douloureux, mal en point, en crise, il ne comprenait  pas la réaction de ses collègues.

Mais, il était le seul à avoir conscience de ces efforts !

Il fallait d’abord qu’il acceptât cela, et ensuite qu’il comprît que, tout en occupant un emploi, il était aussi malade et devait donc être protégé dans son milieu de travail.

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées assure cette protection. La personne drépanocytaire est reconnue comme handicapée ; or la loi prévoit l’adaptation des conditions de travail du salarié reconnu travailleur handicapé.

Il faut définir un protocole, à partir d’une explication des contre‑indications liées à la maladie : ne pas porter de charge, ne pas être dans les courants d’air, s’hydrater, éviter les endroits surchauffés, et surtout éviter les situations de stress au travail.

Pour l’accompagnement dans la mise en œuvre du protocole, le salarié comme l’employeur doivent faire appel au médecin du travail. Le médecin du travail doit être le premier informé de la maladie. C’est lui, en effet, qui va préciser à l’employeur les conditions de travail du salarié drépanocytaire et les dispositions à prendre en cas de crise. Le protocole est simple : information, recours au médecin du travail, prise en compte des restrictions médicales et des contre-indications. Il ne permet pas de tout résoudre, mais, en tout cas, il permet le maintien dans l’emploi.

Malheureusement, cette démarche n’est pas souvent respectée. Du coup, il y a des personnes drépanocytaires qui vont de petit boulot en petit boulot, même si elles possèdent une compétence. D’où une démotivation, qui va amener une situation de mal-être, voire de dépression, s’ajoutant au mal-être lié à la douleur : les personnes se disent qu’elles ne peuvent pas travailler, qu’elles ne peuvent pas rester dans un emploi.

Il y a deux ans, l’association a commencé à agir pour la mise en place de tels protocoles, et elle en voit actuellement les premiers résultats. Elle ne se contente pas, en effet, de travailler avec les employeurs. Elle travaille aussi avec le service public de l’emploi, Cap Emploi, Pôle Emploi, pour une formation à la drépanocytose de leurs conseillers, qui permettra à ces derniers d’assurer l’accompagnement vers des emplois adaptés aux contre-indications.

Nous avons également une action de formation auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), parce que ce sont ces maisons qui délivrent le titre de reconnaissance de personne handicapée, qui attribuent les allocations d’aide à l’emploi. À défaut, par méconnaissance, les personnels de ces maisons présentent régulièrement des difficultés à évaluer convenablement une maladie qui, comme maladie invalidante, est cotée par le même outil (guide barème) que le diabète et de nombreuses autres maladies.

Le travail par rapport à l’emploi ne fait que commencer. Nous avons encore beaucoup de choses à faire. Mais l’association se tient à la disposition des familles, des employeurs, des services publics de l’emploi. En Ile-de-France, elle est maintenant identifiée, de sorte que désormais nous n’allons presque plus vers l’extérieur, c’est l’extérieur qui vient vers nous.Questions sur l’exposé de Mme Valérie Noiran

Jean-Jacques SEYMOUR

Vous êtes identifiés en Ile-de-France, mais l’êtes-vous ailleurs ?

 

 

Valérie NOIRAN

Nous travaillons pour cela. En Martinique, la collectivité territoriale nous a demandé une intervention sur « Emploi et drépanocytose ». Nous avons démarré en Ile-de-France, parce que c’est là où se trouve notre siège, mais nous allons partout où on a besoin de nous.

Un intervenant

Je ne comprends pas le caractère tardif de l’action, il m’effraie même. D’après les lois nouvelles,n’importe quel salarié, quel que soit son handicap, peut s’adresser au médecin du travail, qui le convoque et peut régler le problème…

Valérie NOIRAN

Il faut le savoir, le nombre de médecins du travail diminue beaucoup actuellement. Vous avez raison, tout salarié, pour une situation de handicap mais aussi pour un problème de qualité de vie au travail, peut faire appel au médecin du travail sans passer forcément par une convocation de l’employeur. Mais jusqu’à présent, il n’existait pas de protocole d’intervention pour la drépanocytose, parce que les drépanocytaires eux-mêmes ne souhaitaient pas que leur situation soit connue. On ne peut agir que si le malade s’exprime. On a pu mettre en place un protocole parce que de grandes entreprises comme la SNCF ou La Poste, qui avaient embauché des personnes drépanocytaires, se sont adressées à nous en nous disant qu’elles ne savaient pas comment agir avec ces personnes. C’est nous  qui avons bâti ce protocole, avec les médecins du travail. Auparavant, lorsqu’un malade subissait une crise, il était mis en arrêt maladie, et quand il revenait, il passait une visite de reprise, et c’était tout. Mais rien n’était travaillé à l’intérieur de l’entreprise.

Il existe des solutions. Le travail en binôme, par exemple : lorsque le salarié drépanocytaire est absent, la personne qui travaille avec lui est capable de dire où en sont les tâches en cours, et ce qui reste à faire. S’il occupe un poste à responsabilité, il fait un reporting journalier : en cas d’absence inopinée, l’état des dossiers est connu, et quelqu’un peut prendre le relais. Cela est surtout vrai de fonctions supports comme la comptabilité ou les paies. Mais on n’avait pas pensé jusqu’à présent à ces solutions toutes simples. Attention : travailler en binôme ne veut pas dire doubler le travail, mais éviter qu’une absence ne cause le moindre préjudice au fonctionnement de l’entreprise. Il suffisait d’y penser.

Et pourtant, il reste compliqué de rester employé. Nous avons accompagné une jeune fille qui, à force de ne pouvoir passer le cap des périodes d’essai, a repris ses études, pour pouvoir être son propre patron : elle est devenue avocate, parce qu’elle s’est dit que c’était le seul moyen qu’elle avait pour pouvoir travailler.

Donc, chacun trouve sa solution. Tout simplement.

Raphaëlle ANELKA

Présidente de l’association SOS Globi Paris

Je suis drépanocytaire, comme beaucoup le savent dans cette salle. Je suis chef de projet informatique. Mon entreprise connaît ma maladie. Je lui ai proposé d’être référente handicap, pour accompagner les gens dans mon milieu de travail, pour leur expliquer ce qu’est le statut du handicap, comment fonctionne la MDPH. Moi-même, je suis passée par là, donc il m’était plus facile de parler de ces sujets. J’ai en outre reçu une formation dans mon entreprise, et je dispose d’heures dédiées, à l’instar des heures syndicales, à l’accompagnement des personnes handicapées et malades.

J’accomplis des tâches analogues dans mon association. SOS Globi Pa ris accompagne des personnes en situation de handicap, y compris pour remplir les dossiers de la MDPH, expliquer les droits que donne la loi handicap et notamment pourquoi le bénéfice de l’allocation d’adulte handicapé n’est pas forcément un acquis. Nous expliquons aux personnes malades qu’elles doivent solliciter au plus tôt la reconnaissance de leur situation, parler au médecin du travail. En effet, on s’aperçoit que beaucoup de médecins du travail ne connaissent pas la drépanocytose. Les gens n’osent pas en parler, et pourtant il faut le faire, parce que, tôt ou tard, la crise survient et il faut la gérer.

Ma maladie est reconnue depuis 1998, et j’accomplis cette tâche d’explication depuis 2008. J’ai donc une expérience qui me permet de parler aux malades. Au demeurant, il revient aux drépanocytaires, lorsqu’ils ont été aidés, d’aider les autres à leur tour.

Yolande ADJIBI

Présidente de la fédération nationale SOS Globi

La fédération que je préside regroupe quatorze associations sur le territoire national. Je suis également drépanocytaire. Un intervenant précédent s’indignait à juste titre de l’approche récente de cette maladie. Mais la prise de conscience du handicap et de ses conséquences sur l’accès à l’emploi a été tardive. En effet, malheureusement, il y a quelques années, les drépanocytaires ne parvenaient pas à l’âge adulte et, donc, n’accédaient pas à l’emploi. La problématique est assez récente : cela fait dix ans que nos associations agissent sur ce terrain.

Les choses sont allées dans le bon sens. Il s’agissait d’identifier la drépanocytose comme maladie handicapante et de ne pas la classer dans la même catégorie que le diabète. Les MDPH ne disposaient pas des outils appropriés pour coter le handicap associé à la drépanocytose. Avec la filière nationale des maladies constitutionnelles du globule rouge, j’ai été sollicitée par Orphanet pour mettre en place une grille spécialement dédiée à la drépanocytose. Quand cette grille sera validée, elle sera à la disposition de l’ensemble des MDPH.

Nous avons beaucoup à faire pour travailler, ensemble, à la prise de conscience, et à l’optimisation de ce type de grille qui permettra le maintien des malades drépanocytaires dans leurs emplois.

Valérie NOIRAN

Les MDPH utilisent, en effet, des cotes, des grilles qui permettent de déterminer le taux de handicap. Le travail avec Orphanet est positif, mais les grilles établies sont nationales, et il faudrait pouvoir les intégrer dans les pratiques de cotation des MDPH. On ne pourra pas sortir la drépanocytose des maladies invalidantes. La classification distingue quatre catégories : handicaps moteurs, handicaps psychiques, maladies invalidantes, Handicap sensorielles : l’amélioration recherchée doit se faire dans ce cadre. La MDPH a un rôle essentiel, car tout le dossier du malade qui donne droit à une compensation de la situation de handicap au titre de la loi de 2005, les différentes cartes (invalidités, priorités, stationnement), la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, l’allocation adulte handicapé, les différentes prestations de compensation de handicap (PCH), etc, etc… Tout passe par la MDPH.

Je viens de prendre mes fonctions de responsable du pôle Vie professionnelle à la MDPH de Seine-et-Marne. Je vois donc, désormais, les choses de l’intérieur : le travail à faire est encore énorme, mais la volonté existe d’aller plus loin. Quand la cotation attribuée est basse, c’est peut-être parce que le dossier, tout simplement, ne mentionne que « quelques crises par an » : comment peut-on coter autrement au vu d’une telle mention ? Il faut que le dossier soit complet. Nous travaillons sur dossiers ; nous ne voyons les personnes en visite médicale que de temps en temps. Et, à la MDPH, les dossiers sont très nombreux... Donc il faut donner le maximum d’informations. Le formulaire récemment publié permet au malade d’établir un projet de vie à l’occasion de chaque demande, qu’elle porte sur la vie quotidienne, la vie professionnelle… Il permet au demandeur de développer ses explications et, du coup, aux MDPH de mieux coter et évaluer.

la drépanocytose en france

Professeur Robert GIROT

Centre de la drépanocytose, Hôpital Tenon, Paris

J’évoquerai successivement le mode de transmission génétique, l’épidémiologie, l’évolution de l’espérance de vie et la prévention, qui me semble devenir capitale aujourd’hui.

La drépanocytose : un mode de transmission génétique

La drépanocytose est une maladie génétique transmise selon le mode autosomique récessif due à la présence de l'hémoglobine S dans les globules rouges, étant rappelé, ce qui est parfois méconnu, que chacun a reçu la moitié de ses caractères génétiques de son père et l’autre moitié de sa mère. Il faut distinguer l’bémoglobine A et l’hémoglobine S, et se souvenir qu’il existe, parmi les populations atteintes par la drépanocytose, une autre hémoglobine C. On distingue donc les porteurs sains, AS ou AC, des patients, SS et SC, atteints par la maladie drépanocytaire, la forme SC étant atténuée par rapport à la forme SS.

 


Tous les couples à risque, AS et AC, ou les sujets drépanocytaires SS, au moment où ils quittent la médecine pédiatrique, devraient bénéficier d’un conseil génétique, c’est-à-dire être informés sur leur statut et savoir le risque génétique auquel ils sont confrontés.

Données épidémiologiques

La drépanocytose n’est pas répandue de façon homogène dans le monde entier. On a démontré que les premiers patients drépanocytaires étaient apparus en Afrique intertropicale et en Inde. A partir des migrations de population que l’on connaît, la maladie s’est répandue sur certains territoires, mais pas partout dans le monde : l’Extrême-Orient ne connaît pas la drépanocytose, par exemple.

Selon une étude d’Orphanet, il naît chaque année, en moyenne, dans le monde 250 000 nouveaux-nés atteints de drépanocytose. En France, il naît chaque année de 400 à 450 enfants affectés par la maladie drépanocytaire SS (75%) ou SC (25%) et 12 000 enfants porteurs sains AS ou AC. La drépanocytose est répandue sur tout le territoire mais surtout dans les départements et territoires d'outre-mer et en Île de France. Le nombre de patients  drépanocytaires se situe entre 20 000 et 25 000.

L’évolution de l’espérance de vie

Le sujet est délicat à traiter, mais il traduit bien la gravité de la maladie : la drépanocytose peut être fatale. Aux États-Unis, l’espérance de vie des personnes drépanocytaires se situait, en 1994, selon une étude de O.Platt, autour de cinquante ans.

Selon les médecins de l’hôpital Robert-Debré et du CHI de Créteil, 96‑97 % des enfants nouveaux-nés dépistés et correctement pris en charge parviennent à l'âge de 20 ans. Aujourd’hui, il y a à peu près autant d’adultes drépanocytaires que d’enfants drépanocytaires : de plus en plus, la médecine adulte sera appelée, avec l’augmentation de l’espérance de vie, à prendre le relais de la pédiatrie lorsque les malades atteignent 18 ans. La moyenne d’âge des adultes est de 30-35 ans

Récemment, une étude publiée à Londres par le Dr Kate Gardner a montré que l’espérance de vie des adultes se situait autour de 65 ans. Ainsi, au cours des vingt dernières années on a observé une augmentation de l'espérance de vie des patients bien pris en charge d'environ un an chaque année. L’efficacité des traitements contre la drépanocytose est ainsi démontrée.


La prévention

La prévention de la drépanocytose regroupe l'ensemble des actions visant à réduire la prévalence et l'incidence de la maladie. L’identifiation des porteurs et leur information des porteurs des hémoglobines S ou C sur leur statut et du risque génétique auxquels ils sont exposés de donner naissance à un enfant malade constituent la base de toute prévention. Les couples à risque doivent bénéficier d’une consultation génétique qui leur expliquera les moyens que la médecine peut mettre à leur disposition pour faire face à ce risque. Mais il faut rigoureusement respecter la règle selon laquelle l’information précède toujours le dépistage ; on ne fait pas de dépistage sauvage, sans avoir prévenu le patient du test auquel on envisage de le soumettre.

Quelles sont les particularités du dépistage de la drépanocytose ? En médecine, le dépistage obéit généralement à la règle du bénéfice individuel direct : on recherche un malade pour traiter la maladie dont il est atteint. Si on centre l’action sur les porteurs AS ou AC, on ne recherche pas des malades pour les traiter, mais pour les prévenir du risque auquel ils sont exposés d’avoir un enfant qui, lui, va être malade. Cette originalité du dépistage génétique n’est pas réservée à la drépanocytose, et il pose des problèmes bioéthiques généraux liés à la recherche de sujets porteurs de maladies dont ils ne sont pas atteints. Mais il ne faut pas confondre le cas de la drépanocytose avec celui de nombreuses autres maladies génétiques : quand on a devant soi un porteur AS ou AC, on sait exactement ce qu’on a à lui dire, le risque qu’il faut lui expliquer ; on n’est pas devant la probabilité d’un gène à l’état hétérozygote qui peut peut-être développer une maladie. Les débats bioéthiques actuels incitent à insister sur la nécessité de ne pas tout mélanger. Le test auquel on recours pour le dépistage est une étude complète de l’hémoglobine.

Conclusion

La prévalence et l’incidence de la drépanocytose dans notre pays sont de mieux en mieux appréhendées. Quand on veut mener des actions politiques, il vaut mieux qu’on sache le plus précisément possible le nombre de patients et l’importance du problème, pour prendre les décisions les plus pertinentes. La prise en charge revêt de multiples aspects que les intervenants suivants développeront. Je le répète, la médecine adulte sera de plus en plus impliquée dans le traitement de la maladie ; or, il n’est pas toujours simple de développer des centres de médecine adulte. Il faut vraiment, aujourd’hui, mettre l’accent sur la prévention, avec des moyens et le personnel suffisants, et des consultations génétiques, pour que les personnes soient informées exactement et ne reçoivent pas de fausses informations. Enfin, les progrès thérapeutiques qui ont agi puissamment sur l’espérance de vie et dont la poursuite est attendue par les malades supposent le développement de la recherche médicale.

comment optimiser la prise en charge de la drépanocytose ?

Professeur Frédéric GALACTEROS

Hôpital Henri Mondor, Créteil

La drépanocytose est une maladie singulière, qui allie le besoin d’interventions d’extrême urgence, qui ne souffrent aucun délai, et une prise en charge au long cours et dans la continuité et la confiance, avec les malades et leurs familles quand cela est requis.

1. L’accès et la disponibilité des soins sont encore loin d’être satisfaisants partout en France; ils le sont moins, par exemple, à Mayotte ou en Guyane, ou dans des départements hexagonaux où les patients sont un peu isolés. Les inégalités d’accès aux soins et de qualité des soins sont parfois flagrantes quand les conséquences se mesurent clairement comme des pertes de chance. Il y a certes, des centres de référence, intégrés dans une FSMR (Filière de Santé de Maladies Rares) qui a pour vocation de développer un réseau national homogène, mais il reste beaucoup de travail à faire pour remplir cette mission. – la drépanocytose reste une maladie rare, même si elle est fréquente aux Antilles, par exemple, et il faut continuer à la tenir pour telle, car sa rareté globale réelle nous a apporté des moyens précieux dont nous manquions terriblement. Tous les pays européen classent cette maladie dans les maladies rares.               L’accès aux soins, c’est l’accès aux soins en urgence et de façon adaptée. Tous les drépanocytaires ont été confrontés, un jour ou l’autre, à des interlocuteurs dans les services d’urgence qui ne leur apportaient pas une réponse adéquate, ou ne leur répondaient pas en temps et en heure. Il faut que cela change : c’est un des enjeux de la filière de santé de maladies rares que j’anime pour apporter, justement, des moyens de réagir à tout jeune médecin de garde, n’importe où en France que le patient y soit résident ou de passage. Une des solutions passe par la télémédecine, encore inexistante pour cela en France.

2. Autre point très important, la faisabilité et la sécurité des actes transfusionnels. La drépanocytose est une maladie du sang, qui engendre des anémies parfois extrêmement graves, incompatibles avec le maintien en vie, et donc il faut pouvoir, de toute urgence, transfuser. Assez souvent, les transfusions sont faites, non pas pour compenser l’anémie, mais pour améliorer des atteintes organiques gravissimes, comme celle dont Taylor Fixy a parlé tout à l’heure, et pour laquelle il était vital qu’il bénéficiât, en réanimation, de soins intensifs. Or la qualité de la transfusion reste très inégale, en France, et d’autre part il faut que la transfusion ait une mémoire, parce que lorsqu’on est drépanocytaire, c’est pour toute une vie, et une vie longue, de nos jours. Par conséquent le patient va être exposé à  de multiples transfusions, c’est-à-dire à un risque d’accidents transfusionnels majoré Si on veut arriver à améliorer la sécurité du programme transfusionnel il faut mettre en place un suivi spécifique tout au long de leur vie. Fort heureusement l’EFS (Etablissement Français du Sang) collabore activement pour atteindre cet objectif.

3. Se pose en outre la question de l’accès aux médicaments. En particulier, il faut arriver à une bonne information sur de nouveaux médicaments comme l’hydroxycarbamide et une série de nouveaux médicaments encore en cours de tests, qui vont apparaître. L’accès à la recherche thérapeutique, en France et en Europe, est absolument capital. Si la France et l’Europe restent à l’écart des grands essais thérapeutiques qui se développent aux Etats-Unis ou ailleurs, la perte de chance est évidente. Des années de retard vont s’accumuler avant que les drépanocytaires ne puissent bénéficier de leurs apports.

4. Quelle est la disponibilité des antalgiques majeurs ? Quels progrès doivent être faits pour mieux prendre en charge le premier symptôme de la Drépanocytose : la douleur ? On a entendu, tout à l’heure, parler de la douleur. Cette antienne revient sans cesse à propos de la drépanocytose, maladie de la douleur. C’est loin d’être le seul élément de définition de la maladie, mais c’est un aspect extrêmement important pour les patients et pour les familles. Des progrès énormes sont à accomplir pour la prise en charge de la douleur, le développement de la recherche et l’accès aux médicaments. Il n’y a pas si longtemps, en pédiatrie, la morphine n’était pas utilisée ! Aucun enfant ne recevait de la morphine qui est seule capable de soulager les crises douloureuses les plus graves. Depuis, les choses ont bien changé. Mais elles doivent encore changer, parce que le contrôle de la douleur n’est pas satisfaisant. Et il ne faut pas que le soupçon de toxicomanie plane sur chaque drépanocytaire en crise algique se présentant aux urgences.

5. Je voudrais évoquer maintenant la faisabilité des prophylaxies. Tout drépanocytaire qui veut aller en zone impaludée va devoir prévoir un budget très important pour se prémunir du paludisme, parce que les médicaments nécessaires ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. De même pour le renforcement nécessaire de la couverture vaccinale. La prévention des accidents vaso-occlusifs graves passe par une éducation thérapeutique spécifique à la drépanocytose, et nous sommes loin d’avoir la capacité de fournir le support éducatif à chacun de ces patients.

6. Il est très important qu’on puisse proposer à nos patients des prises en charge multidisciplinaires, pour ne pas multiplier les consultations. Telle patiente souffre d’une protéinurie : elle doit voir le néphrologue ; d’une surcharge en fer hépatique : elle doit voir l’hépatologue ; d’une dilatation de l’oreillette gauche : elle doit voir le cardiologue ; d’une ostéonécrose des hanches : elle doit voir l’orthopédiste. J’arrête là : ce n’est pas possible ! Il faut arriver à une prise en charge multidisciplinaire réelle. Il serait tout à fait illusoire de penser que la prise en charge intégrative de la drépanocytose puisse ne pas être hospitalo-centrée, et je dirais même « CHU-centrée ». c’est une des conditions qui permettra de réduire la morbidité de la maladie et de poursuivre l’augmentation de la longévité des patients.

7. Toutes ces actions devraient s’inscrire dans une politique de santé publique. Or, bien que le traitement de la drépanocytose ait indéniablement progressé en France, ce n’est pas encore un thème qui est singulièrement pris en compte, autant que, par exemple, la mucoviscidose l’a été, depuis maintenant vingt ans, avec des associations extrêmement puissantes, qui apportent des dizaines de millions d’euros à la recherche. Or la mucoviscidose, en France, ne compte pas plus d’un tiers des malades de la drépanocytose, et elle n’est pas plus grave et a à peu près les mêmes conséquences sur l’espérance de vie. Je vous laisse méditer cette discordance. On a parlé tout à l’heure des environ 400 naissances de nouveaux malades chaque année. Si on regarde la population drépanocytaire dans son ensemble, avec l’espérance de vie qui augmente, les nouveau-nés qui arrivent, quelques migrants (contrairement à ce qu’on raconte, il n’y a pas une submersion de la France par les drépanocytaires migrants !), la population drépanocytaire augmente de 5 à 6 % par an, depuis plus de dix ans. cela aboutit à des conséquences qui devraient être très sérieusement prises en compte : une énorme pression démographique sur les services de pédiatrie, tout particulièrement en Ile de France et l’apparition depuis 30 ans d’une population d’adultes rapidement croissante et qui ne va se stabiliser que dans 10 à 20 ans environ. Les structures de prise en charge pour adulte ont du être inventées et pâtissent actuellement des restrictions appliquées aux Hôpitaux qu’ils soient CHU ou non. La charge de travail pour la prise en charge des adultes devient écrasante et nous sommes proches de la rupture aussi bien dans les DOM qu’en IDF. La qualité des soins ne peut que s’en ressentir et cela entrave aussi les efforts de recherche.

8. L’espérance de vie des patients et la qualité des soins forment une réalité totalement mouvante du fait de sa très forte dépendance de l’accès à des soins optimisés. On peut dire seulement que, si les pédiatres font des miracles, et ils en ont fait, les générations qui vont arriver à l’âge adulte vont y arriver dans un bien meilleur état que précédemment. Par conséquent, l’espérance de vie qui s’approche des soixante ans, soixante-dix ans pour certains patients, progresse indiscutablement, et va encore progresser. Mais la vie des patients n’est pas simple pour autant. La morbidité importante, multi-organes, liée à l’âge, complique grandement la prise en charge et retentit beaucoup sur la qualité de vie.

9. Je voudrais terminer sur un cri d’alarme. La dernière étude sur l’espérance de vie des drépanocytaires aux Etats-Unis fait apparaître une régression. L’âge moyen du décès était de 45-48 ans en 1990; il est maintenant d’à peine 40 ans environ. Que s’est-il passé ? C’est très simple : les conditions sociales de la santé ont considérablement régressé. L’espérance et la qualité de vie des drépanocytaires étant extrêmement dépendante de leur niveau de protection sociale, les drépanocytaires sont le thermomètre de la société et du système de santé : s’ils vont bien, c’est que tout le monde va bien. Des points de grande faiblesse sont identifiés en Guyane ; dans les secteurs adultes de Martinique et en IDF ; dans la pédiatrie francilienne ; dans le dépistage du risque génétique spécifique dans l’ensemble de la population ; dans le maintien d’un savoir faire des quelques rares laboratoires français spécialisés dans le caractérisation des pathologies du Globule Rouge.

résultats actuels et perspectives des greffes allogéniques et de la thérapie génique dans la drépanocytose

Docteur Françoise BERNAUDIN

Centre de référence pédiatrique, CHI de Créteil

Je vais parler des progrès qu’on peut espérer dans la prise en charge de la drépanocytose, et en particulier de la greffe qui représente un réel espoir pour tous les patients.

Au cours des trente dernières années, d’énormes progrès ont été faits dans la prise en charge, avec les programmes transfusionnels, l’élimination du fer, l’hydroxycarbamide, le dépistage de la vasculopathie cérébrale qui concerne un pourcentage significatif des enfants drépanocytaires. Tout cela a conduit à une amélioration considérable de la survie pendant la période pédiatrique : 97% des enfants atteignent l’âge adulte, dans les pays européens et en Amérique.

A l’âge adulte, des complications apparaisssent, avec les ostéonécroses, les atteintes du poumon, les atteintes cardiaques. Certes, les pédiatres passent beaucoup de patients à la médecine des adultes, mais ils passent aussi des formes de pathologie d’une sévérité nouvelle, avec des patients qui n’auraient pas survécu sans les programmes transfusionnels et l’hydroxycarbamide.

Nous en venons à la greffe de moelle osseuse, qui s’effectue sous forme de transfusion.

Il existe d’abord un risque de rejet. Le patient drépanocytaire n’est pas comme un patient leucémique : il n’a pas été immuno-supprimé, il a reçu beaucoup de transfusions, et le risque de rejet de la greffe s’en trouve accru. En sens inverse, il y a un autre risque, la réaction du greffon contre l’hôte (GVH: Graft Versus Host en anglais), qui peut provoquer des diarrhées, des problèmes pulmonaires ou de peau susceptibles de compliquer la prise en charge ultérieure.

Tout repose sur le système des globules blancs, ou système HLA [Human Leucocyte Antigen]. Dans une fratrie, il y a une chance sur quatre que tel frère ou telle sœur soit « HLA-identique » et permette donc de faire une greffe « HLA-identique ». En outre, plus la famille est grande, plus les chances de trouver un donneur dans la fratrie augmenteront.

Aujourd’hui, c’est un progrès, on peut faire des greffes en situation seulement haploidentique (à moitié identique). Les parents sont tous forcément à moitié identiques à tous leurs enfants, et des frères et sœurs peuvent être également à moitié identiques avec le patient.

Quelles sont les étapes de la greffe ?

D’abord, le conditionnement. Il faut préparer le receveur, par une chimiothérapie ou une radiothérapie. Le greffon est la moelle osseuse qui contient les cellules jeunes : pour en prévenir le rejet, un traitement immunosuppresseur est administré, mais pendant une durée limitée, de l’ordre de neuf mois. La différence est très grande avec les greffes d’organes : une fois que les patients sont greffés, la guérison est réelle, et aucun traitement immunosuppresseur n’est administré à distance.

Comme toujours en médecine, la pratique de la greffe nécessite de peser entre les bénéfices et les risques. La drépanocytose expose à un faible risque de mortalité précoce, mais à une grande morbidité ensuite. La greffe expose à un risque toxique immédiat et à long terme au risque d’infertilité, mais laisse espérer une guérison et la transformation de la qualité de vie.

Quels sont les résultats, en France, de la greffe à partir d’un donneur de la fratrie complètement identique ? C’est un conditionnement lourd qui a été, jusqu’à présent, réservé aux enfants et aux adultes de moins de trente ans. Le nombre de greffes réalisées en France augmente avec les années. Au total environ 300 greffes ont été réalisées, soit un quart des greffes HLA-identiques réalisées dans le monde. 97% de ces enfants et jeunes adultes ont été guéris.

Il y a bien sûr des risques. D’abord le risque de GVH, plus élevé à partir de quinze ans. Le risque de décès lié à la greffe HLA-identique est seulement de 1,3% depuis 2000. Le troisième risque important est l’infertilité ; il existe des moyens de le prévenir, en congelant des fragments d’ovaire ou de testicule, avant le conditionnement selon des techniques qui ont montré leur efficacité. 

Un nouveau protocole, mis au point aux États-Unis, peut, lui, s’adresser aux adultes, même s’ils souffrent déjà d’atteintes au cœur, au foie ou au rein et ayant un donneur familial HLA-identique. Le conditionnement est différent : il n’y a pas de chimiothérapie, mais une immunothérapie et une radiothérapie à faibles doses. Une cinquantaine de greffes ont été réalisées dans le monde jusqu’à maintenant. Le protocole est désormais ouvert en France ; il a été financé par un PHRC [programme hospitalier de recherche clinique]. On n’a relevé ni décès, ni réaction du greffon contre l’autre. Le seul problème est le risque de rejet, dans 13 % des cas, entraînant le retour à la drépanocytose. Mais 87 % des patients sont guéris, et la fertilité est préservée.

 

Pour ceux qui n’ont pas de donneur HLA-identique parmi leurs frères et sœurs, deux possibilités nouvelles sont apparues :

- la greffe à partir d’un donneur semi-identique, un des parents, un frère ou une sœur. C’est un protocole encore expérimental, réservé aux formes très graves de drépanocytose, comme les vasculopathies cérébrales, les enfants ayant fait un AVC ou souffrant d’une artériopathie évolutive. On constate 70 % de guérisons, mais avec un risque de GVH et un risque de mortalité ;

- la thérapie génique, où la moelle osseuse du patient est manipulée génétiquement. Les résultats ont été excellents pour la thalassémie, mais il est vrai que dans ce cas il suffit d’un petit niveau d’expression pour que l’anémie soit vraiment corrigée et que les patients aillent tout à fait bien. Pour la drépanocytose, l’observation est, pour le moment, très limitée : trois grefefs à l’hôpital Necker et une dizaine dans le monde. Pour l’instant, l’expérience est arrêtée en France : il faut savoir patienter. Là aussi une chimiothérapie est nécessaire avant la greffe, exposant aussi au risque d’infertilité. Le protocole est réservé en priorité aux drépanocytaires faisant de nombreuses crises. Il représente un réel espoir, mais pas encore à court terme.

Je concluerai en affirmant que la greffe doit désormais faire intégralemenrt partie de l’arsenal thérapeutique de la drépanocytose. Guérir est possible, il faut le dire aux enfants et aux familles, parce que cela change complètement la façon de voir l’avenir. Le typage HLA familial devrait être fait précocement, et pris en charge par l’assurance-maladie. C’est un droit du patient, pour que la famille sache à quoi s’en tenir, et de toute façon c’est un préalable à la proposition de la thérapie génique/ puisque, pour l’instant, les résultats de la greffe HLA-identique sont les meilleurs, et la thérapie génique sera donc réservée aux patients n’ayant pas de donneur identique dans la fratrie.

Les Antilles connaissent une problématique particulière. Le typage HLA n’est pris en charge que dans les centres de greffes : comme il n’y a pas, actuellement, de centre de greffes aux Antilles, les centres de drépanocytose doivent payer cet examen, d’où la limitation. En outre, comme les greffes ne sont réalisées qu’en métropole, il faut développer les moyens propres à favoriser les séjours en métropole durant en moyenne de neuf mois à un an, et accompagner les familles.

Nous avons créé une association nommée « DREPAGREFFE » pour promouvoir la greffe et favoriser l’amélioration des informations données aux patients, aux familles, aux médecins. Je vous invite à consulter son site internet (www.drepagreffe.fr ) où vous trouverez un formulaire de contact.


Une intervenante

Je suis maman d’un enfant de cinq ans qui a dû subir d’urgence une transfusion à la suite d’une crise, son hémoglobine étant descendue très fortement. J’ai dû faire intervenir une collègue, car, en tant que mère, j’étais, moi aussi, sur le point de faire une crise, une crise de colère. Je me suis dit que, tant que ma fille n’arriverait pas elle-même à se défendre, Nous sommes arrivées à l’hôpital, on nous a laissé deux heures aux urgences, alors que ma fille était bien enregistrée comme drépanocytaire. Elle est restée dans un brancard en attendant qu’un médecin s’occupe d’elle.

Après cinq ou six jours, pas d’amélioration. Je parle au médecin qui s’occupe de la drépanocytose à l’hôpital. Il me dit attendre un peu, pour voir comment les choses allaient évoluer. Je lui ai demandé pourquoi il attendait, en fait, que le taux d’hémoglobine descende encore plus. On a donc attendu, jusqu’à ce que ma fille me dise : « Maman, je veux revenir chez moi, je ne veux plus rester à l’hôpital, jz veux mourir ». C’est alors que le médecin a décidé de lui faire cadeau de deux poches de sang.

On voit ainsi comment les drépanocytaires sont maltraités dans certains hôpitaux. Depuis 2015, ma fille a été hospitalisée plusieurs fois en raison de crises qui n’étaient pas trop graves. Mais là, c’était différent. J’ai demandé au médecin s’il n’y avait pas un médicament qui puisse arrêter les crises.

Quand j’étais enceinte, on m’a dit à l’hôpital que je ne devrais pas faire cet enfant.

Jean-Jacques SEYMOUR

Je vais donner la parole aux médecins pour qu’ils puissent répondre aux questions que vous posez, mais auparavant je voudrais relever un terme qui m’a choqué : vous avez dit que le médecin vous avait fait cadeau d’une poche, alors que c’était un besoin. Le Dr Galacteros veut intervenir.

Professeur Frédéric GALACTEROS

Le témoignage que nous venons d’entendre est une illustration de l’inégalité flagrante dans la qualité des soins dont je parlais tout à l’heure. Elle appelle un travail de fond. Il faut que la drépanocytose soit clairement intégrée dans les politiques de santé publique. La réelle qualité des soins que l’on peut constater dans quelques centres ne résoudra pas le problème posé par des situations comme celle-là. Il faut un véritable plan de santé publique, ouvert, qui ne se cache pas, qui n’a pas peur du Front National !

On vous a dit qu’on vous fait un cadeau : c’est dramatique. Effectivement, le sang est un don. Ce n’est pas le médecin qui offre son sang.

 

Lintervenante précédente

Justement, c’était ma question au médecin : allez-vous me faire ce cadeau, ou est-ce moi qui le paie ? Apparemment, la question est celle de la couverture par la mutuelle. Le sang coûte trop cher à l’hôpital.

Professeur Frédéric GALACTEROS

On voit apparaître ce genre de restrictions, mais pas seulement pour la drépanocytose. Les responsables budgétaires des hôpitaux commencent à prendre la main sur la liberté de prescrire des médecins, et on n’est qu’au début de cette évolution.

Kimora KABA

Je suis Guinéenne, et j’ai été donnée en mariage forcé. J’ai, de ce mariage, un enfant atteint d’une forme très sévère de drépanocytose SS.

Je suis née moi-même dans une famille dont la moitié est décédée de la drépanocytose, mais nous n’en savions rien, parce qu’à l’époque, nous n’avions pas accès à l’électrophorèse. De plus, les jeunes filles comme moi n’avaient pas la possibilité de s’informer, puisqu’à douze ans elles étaient données en mariage forcé.

Je ne savais donc pas ce qu’était la drépanocytose. Je me rappelle que mon père se plaignait de douleurs atroces au thorax et aux membres. On ne comprenait pas, on lui donnait des médicaments traditionnels. Mais, finalement, il est décédé.

Quand je suis arrivée en France, en 2005, j’étais enceinte. Lorsque j’ai accouché, le 10 août 2006, on m’a appris que mon fils était atteint de drépanocytose, et que son espérance de vie n’allait pas atteindre vingt ans. Quand je demandais des explications au médecin, il me disait qu’il n’avait pas le temps, ou il me disait de revenir un peu plus tard.

Et voici que, chaque fois que mon fils tombait malade à l’école, la maîtresse m’appelait pour que je vienne le chercher, parce qu’il se plaignait de douleurs incompréhensibles, qu’il vomissait et qu’il se souillait. Elle me demandait de le retirer temporairement de l’école – il avait trois ans. L’école me demandait un certificat de non-contagion, pour s’assurer que sa maladie ne contaminerait pas les autres enfants.

Face à ce comportement discriminatoire, à ce genre de traitement infligé à un enfant de trois ans et à sa mère, je pose la question : est-ce que les maîtresses ont été informées de l’existence de la maladie ?


 

 

Docteur Françoise BERNAUDIN

Merci beaucoup pour votre témoignage. Les PAI [projets d’accueil individualisé] ont été précisément créés pour sensibiliser les enseignants et les informer, au cas présent,  de la nécessité de permettre aux enfants drépanocytaires de boire en classe, d’aller aux toilettes, etc. Normalement, le médecin qui suit votre enfant drépanocytaire devrait avoir établi un PAI, à transmettre à l’école.

Kimora KABA

La maladie de mon fils a été diagnostiquée au troisième jour de sa naissance. Quand il a commencé à aller à l’école, le médecin a bien établi un PAI, et celui-ci a bien été transmis à l’école. Cela n’a pas empêché qu’on me demande de venir le chercher quand il était malade.

Docteur Françoise BERNAUDIN

Cela montre que l’information en milieu scolaire est encore insuffisante. Il faudrait que vous suggériez à la maîtresse de prendre contact avec les associations. En général, les enseignants sont de très bonne volonté ; c’est par manque d’information qu’ils agissent mal. N’hésitez pas à passer à la maîtresse des documents sur la drépanocytose, pour la sensibiliser personnellement.

 

 


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   seconde partie. la lutte contre la drépanocytose à l’échelle de nos territoires

Les actions de l’Association pour l’information et la prévention de la drépanocytose (APIPD)

Jenny HIPPOCRATE FIXY

Présidente de l’APIPD

L’APIPD a été créée il y a trente ans, le 28 novembre 1988, par Mme Albertine Salcède, également mère d’un enfant drépanocytaire. À la naissance de Taylor, en 1993, j’étais porte-parole de l’association ; j’en suis devenue successivement ambassadrice, vice-présidente puis, depuis 1999, présidente. J’aimerais bien passer la main, et je ne souhaite pas occuper cette fonction en permanence. Mais il est vrai que le travail de l’association est un travail de longue haleine, auquel il convient de préparer des jeunes.

L’APIPD, association de la loi de 1901, est agréée par l’ARS pour intervenir dans toutes les structures de santé. Elle compte, en France métropolitaine, 173 membres actifs, bénévoles, et dans le monde 2 202 membres, dont 102 dans les DOM-TOM, 7 000 adhérents et sympathisants. Elle a 43 antennes dans le monde. Chaque année, plus de 20 000 personnes s’adressent à l’association pour obtenir des renseignements.

L’association est solidement structurée et évite tout amateurisme. Valérie Noiran et Marie Firmin, nos deux psychologues, reçoivent les malades. Toutes les bénévoles qui répondent au téléphone sont formées à la relation d’aide. Il ne faut pas, en effet, qu’elles répondent n’importe quoi aux familles des malades, comme l’a fait cette écoutante d’une association londonienne à qui une future maman faisait part du diagnostic de la maladie posé après amniosynthèse, et qui lui a répondu qu’elle devait avorter. On n’a pas le droit de dire ce genre de chose ; le comprendre suppose une formation.

L’APIPD est soutenue par de grandes structures telles que la région Ile de France, le ministère des outre-mer et la mairie de Paris. Aujourd’hui, la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale s’ajoute à ces structures.

Je suis responsable pour la France de l’EORA [European Organisation for Rare Anemias], dont le siège est en Grèce, et qui regroupe toutes les maladies des globules rouges, pas seulement la drépanocytose. Cela me donne l’occasion de partager avec d’autres les évènements de France, l’évolution de la médecine et de la maladie. Chaque année, des conférences se tiennent en plusieurs endroits d’Europe. Aujourd’hui l’EORA et l’APIPD se répandent un peu partout dans le monde. L’APIPD est présente au Brésil et dans certains pays d’Afrique. On m’a confié le soin de veiller à ces implantations, ce qui me donne, à moi qui suis bénévole, un travail considérable, avec aussi, parfois, la barrière de la langue.

 

Notre mode de fonctionnement est familial. Certes, des salles de réunion peuvent nous être prêtées, mais il m’arrive très souvent de recevoir chez moi quatre-vingt-dix bénévoles, notamment à l’occasion de réunions spontanées destinées à traiter un cas particulier.

Notre stratégie de prise de conscience ne se déploie pas seulement en France, mais aussi en Caraïbe. Je représente les 27 pays de la CARICOM, pour la drépanocytose, auprès de l’ONU.

C’est un travail très absorbant, qui me laisse bien peu de temps pour voir mon mari et mes enfants !

L’Association est gérée par un conseil d’administration de quinze membres et un conseil scientifique de vingt-sept membres, dont les médecins ici présents font tous les trois partie. L’Association, ce sont des hommes, des femmes, tous volontaires, avec une équipe motivée de trente‑cinq jeunes, dont les connaissances, et notamment la pratique des réseaux sociaux, nous stimulent. Au risque d’émouvoir encore une fois mon équipe, je précise que j’essaie de former, parmi ces jeunes, les personnes qui pourraient me succéder, car il faut que je pense à me reposer !

Les membres de notre conseil d’administration ont des profils différents. On n’y trouve pas que des personnes colorées, car la drépanocytose ne concerne pas seulement les Noirs, il faut le souligner.

Nous sommes assistés par des avocats, dont nous avons bien besoin dans les situations d’urgence, notamment pour les problèmes de séjour. L’Association est bien connue à la préfecture de Bobigny : elle a dû intervenir, notamment, à l’occasion de l’exécution d’arrêtés d’expulsion visant des malades en crise. On sait, à la préfecture, que L’APIPD ne se laisse pas faire.

L’Association fait partie de plusieurs instances, telles que l’Alliance des maladies rares, le Comité de lutte contre la douleur, le Collectif inter-associatif sur la santé, la Commission de la relation des usagers et de la qualité de la prise en charge de l’hôpital Robert Debré. Au total, une cinquantaine d’instances et de fédérations.

Elle collabore avec de nombreuses associations proches, avec la conviction que, tous bénévoles, unis, nous serons plus forts.

Nous avons saisi le Conseil d’Etat d’un recours contre le ciblage ethnique dont nous sommes l’objet à l’échelle nationale pour la drépanocytose, et qui constitue une discrimination. Le Défenseur des droits nous a donné raison. J’avais présenté une demande analogue, pour l’Ile-de-France. Non seulement cela ne coûterait pas cher, mais l’État gagnerait beaucoup d’argent.

Nous menons des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires, les entreprises, les CIO, les centres de formation, les entreprises, les facultés et grandes écoles, les présidents de ligues de sports, les foyers de jeunes travailleurs, les CROUSS... Récemment, j’ai été invitée par un collègue du CESER à participer aux maraudes qu’il organise, parce qu’il avait précédemment repéré des drépanocytaires. Nous organisons des conférences-débats et des actions de soutien scolaire. L’année dernière, on a dénombré plus de mille interventions, ce qui montre que les bénévoles sont partout

Je suis impliquée dans la direction de mémoires universitaires, et suis appelée à faire partie des jurys de soutenance des mémoires et des thèses.

Grâce aux ressources que nous procurent Drépaction et nos concerts de solidarité, nous finançons des bourses d’études à l’INSERM et l’institut IMAGINE.

L’association participe à des émissions de radio et de télévision ; je me réjouis de constater que les sociétés de télévision passent nos spots de sensibilisation.

Nos grands évènements récurrents sont : le gala de charité, avec de nombreuses stars ; Drepaction, mois de sensibilisation couronné par un concert ; la Journée écarlate – tous en rouge pour vaincre la drépanocytose – avec maintenant une manifestation sportive (cette année, si nous avons le financement nécessaire, nous organiserons aux Buttes-Chaumont une Foulée écarlate, dont tous les participants seront habillés en rouge) ; l’Arbre de Noël, avec environ cinq cents enfants dont la joie réchauffe le cœur à chaque fois.

Nos objectifs :

- convaincre les responsables politiques, à commencer, n’est-ce pas, par le Président de la Délégation aux outre-mer ;

- sensibiliser les jeunes en âge de procréer, dans les écoles, les facultés, les missions locales, l’armée, la police, les foyers de jeunes travailleurs. L’année dernière, une action de sensibilisation a visé 1 200 membres du personnel de la FNAC ;

- favoriser la mise en commun des compétences, pour faire connaître les progrès scientifiques – je sollicite souvent, pour cela, les médecins proches de l’Association ;

- faire stopper la discrimination envers les malades drépanocytaires ;

- favoriser un autre regard sur les malades drépanocytaires, trop souvent tenus pour paresseux ;

- renforcer les liens entre les associations ;

- offrir un meilleur soutien aux malades dans le monde du travail ;

- développer des services « drépanocytose » dans les hôpitaux ;

- éduquer les familles et les enfants malades pour une meilleure prise en charge de la maladie ; développer le dépistage, en recommençant régulièrement l’information des personnes potentiellement concernées ;

- aider les malades dans leurs démarches administratives ;

- sortir les malades de leur isolement : on permet aux parents bien portants de sortir en gardant leurs enfants malades, ou inversement. M. Patrick Karam m’a récemment confié une mission de sensibilisation des animateurs sportifs à la drépanocytose, afin de permettre l’organisation de sorties sportives pour les enfants malades. À cet effet, j’ai rencontré les responsables de toutes les fédérations sportives.

- agir en faveur de la recherche.

Nos parrains et marraines sont des personnalités prestigieuses, parmi lesquelles je voudrais citer Gaël Monfils, qui s’investit énormément, et Jean‑Marc Loger qui a su trouver, il y a trois ans, les ressources nécessaires au financement intégral de l’Arbre de Noël.

Grâce aux efforts de l’équipe qui m’entoure et de toute l’association, la drépanocytose est sortie de l’anonymat. Ce nom n’est plus réservé aux seuls spécialistes et professionnels du monde médical. Il est aujourd’hui prononcé dans de nombreuses sphères, sociale, politique, médicale, scientifique, entrepreneuriale. Il ne s’agit pas d’un effet de mode mais d’une véritable prise de conscience de l’importance de la mobilisation collective, de la mutualisation des moyens et du partage des connaissances dans la lutte contre la maladie.

Je voudrais terminer en rappelant que je suis aussi la maman de Taylor, jeune homme drépanocytaire, ce qui n’est pas évident. Les médecins disent que chacun de nous vieillit, avec son histoire et sa maladie. Nous, nous avons une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, et j’ai toujours très peur ; mes nuits sont blanches, mes journées sont noires. Taylor a eu un arrêt cardiaque dans mes bras, alors qu’il était hospitalisé dans un service de cardiologie. J’ai appelé au secours, mais il y avait des enfants qui jouaient dans le couloir, et on a cru que c’étaient eux qui criaient. Moi, j’essayais de réanimer mon fils. À un certain moment, j’ai vu tous les signaux des appareils médicaux décliner, puis s’éteindre. Je me suis dit que ce n’était pas possible, que je ne pouvais pas abandonner, après en avoir tant fait. Alors, j’ai balancé mon poing dans le thorax de mon fils en lui disant : « Taylor, si tu meurs, je te tue ! » Et le cœur a recommencé de battre. J’ai donné deux fois la vie à mon enfant, ce n’est pas pour que la drépanocytose l’emporte aujourd’hui..

drépanocytose, combat d’une vie : doule en peyi-la

Marie-France TIROLIEN

Présidente de l’association Guadeloupe Espoir Drépanocytose

Je voudrais commencer par un hommage à un jeune garçon, Aïka, qui aurait eu dix-sept ans aujourd’hui, qui est parti, comme il l’a dit à sa grand-mère, « enlever ses petits cailloux » et n’est jamais rentré, à Noémie, à Célia dont les mamans sont membres de notre association. Les enfants ont arrêté leur combat, mais les mamans continuent, et c’est une très grande preuve de courage.

Nous avons tenu à mettre le mot « espoir » dans le nom de notre association. C’est dire qu’on y croit. En 2009, j’étais à l’ONU, pour la première journée mondiale de la drépanocytose, et je me disais alors que la mise en place de cette journée était le signe qu’il n’y aurait plus de morts, qu’on allait gagner ce combat. Malheureusement, à mesure que le temps passe, on se rend compte que l’on n’a pas encore gagné, et que le combat est vraiment très difficile.

Je viens de la Guadeloupe, où ont grandi mes deux enfants drépanocytaires – c’est l’occasion pour moi de remercier ma fille aînée, qui n’est pas drépanocytaire, mais qui a bien vu le combat mené pour sauver la vie de son petit frère et de sa petite sœur. Imaginez la difficulté du combat des drépanocytaires, alors que le CHU de la Guadeloupe, vous le savez, a été détruit par le feu !

Je voudrais poser aujourd’hui une question : à quand une formation importante pour les internes ? Il n’est pas rare que des drépanocytaires nous appellent le week-end, en larmes, en nous disant qu’ils veulent rentrer chez eux, qu’ils n’en peuvent plus, parce qu’ils ne supportent pas de supplier pour avoir de la morphine, de devoir expliquer leur maladie à un interne qui, parfois, n’arrive même pas à prononcer le mot « drépanocytaire ». Nous nous demandons comment il se fait que la drépanocytose soit si peu connue, qu’une personne embauchée comme interne puisse la méconnaître à ce point, qu’il y ait encore autant de larmes et de souffrances.

Il n’y a pas longtemps, un père m’appelle, complètement anéanti. À 23 heures 30, il avait déposé aux urgences son fils de vingt ans, qui était en troisième année de médecine ; à deux heures du matin, on lui annonce sa mort. Quand on reçoit un tel appel, et qu’on est soi-même parent d’enfant drépanocytaire, on fait bien sûr des transferts impressionnants. Lors d’une réunion, sur les dix mères présentes, quatre avaient perdu leur enfant. Comment faire, ensuite, pour continuer à se battre, pour vivre l’espoir qui figure dans le nom de notre association ? C’est grâce à la force de tous : mères, pères, malades, adhérents. Sans cela, par moments, on a envie de baisser les bras, parce qu’on n’en peut plus. Il n’est pas possible de voir un enfant dans un cercueil, c’esr quelque chose d’atroce. Les enfants, on les voit sur les terrains de foot, dans les cours de récréation, mais pas dans les cercueils.

 

 

Notre centre de référence se bat, mais sa situation n’est pas simple. Nous demandons de l’aide pour que la drépanocytose soit connue et reconnue. Notre association fait énormément de choses avec peu de moyens. Heureusement, des Guadeloupéens très généreux nous font des dons en nature ou en argent. Ils nous permettent ainsi, parfois, de prendre en charge les frais d’obsèques d’un enfant, qu’il est difficile, pour certains parents, de payer. Nous avons aussi pris en charge les études de plusieurs chercheurs guadeloupéens qui préparent une thèse sur la drépanocytose. Nous soutenons des parents qui veulent venir en métropole pour faire passer des radios et des examens un peu poussés à leurs enfants.

Notre combat est quotidien. Nous sommes tous des salariés. En tant que cadre, je peux m’absenter plus facilement quand il le faut pour expliquer notre combat, mais beaucoup de mamans viennent après le travail à nos réunions, qui finissent à vingt-deux heures, vingt-deux heures trente ; le lendemain, il leur faut se lever pour aller travailler.

Nous accompagnons des enfants. Nous allons dans les lycées expliquer la maladie. Nous discutons avec les directeurs d’école. Quand un professeur oblige un enfant drépanocytaire à descendre dans une piscine, en dépit du PAI, et que l’enfant dit que l’eau est trop froide, qu’il va avoir une crise, on le traite de chochotte. Nous sommes obligés de venir, d’expliquer, de réexpliquer.

On aimerait aussi avoir des informations sur les greffes. Le Dr Bernaudin parlait de typage HLA. Prenons le cas d’un drépanocytaire qui a subi un AVC ou d’autres graves atteintes : comment imaginer que l’on ne sache pas que, dans sa fratrie de quatre ou cinq enfants, il puisse y avoir un frère compatible ? Il faut attendre l’AVC pour qu’on pense à prévoir la greffe. Dans les familles nombreuses, où l’on sait qu’il y a un drépanocytaire, le typage HLA des frères et sœurs devrait être systématique. Malheureusement, on attend encore, parfois, d’être au bord du gouffre pour le pratiquer.

Il n’existe pas de service de réanimation pédiatrique en Guadeloupe. Voici un enfant qui fait un syndrome thoracique : on le transporte en Martinique par hélicoptère, mais sa mère, qui est dans tous ses états, doit se débrouiller pour trouver un avion, un lieu d’hébergement. Et pendant ce temps-là, même si le voyage est court, la maman ne sait pas ce qu’est devenu son enfant, qui est en réanimation, là-bas, en Martinique. Elle prie pour qu’il soit là quand elle arrivera. Parfois, l’hélicoptère ne peut pas décoller. Alors, l’enfant reste en Guadeloupe, et il est pris en charge par un service de réanimation pour adultes.

J’ai assisté en direct à la mort de Noémie, Elle avait été hospitalisée le vendredi. Le samedi, le dimanche, ça n’allait pas. Le lundi matin, on l’a transportée en réanimation ; à quatorze heures elle est décédée. J’étais aux côtés de sa mère, une amie. Elle me demandait si, quand sa fille allait sortir de la réanimation, elle irait bien… et voici que les médecins viennent lui annoncer la mort d’une petite fille de huit ans, entre deux couloirs, sans psychologue. J’ai été obligée de jouer un rôle de psychologue auprès de cette mère qui risquait d’exploser, parce qu’elle voulait fuir l’insupportable… Je pense aussi à cette autre maman quo m’expliquait qu’elle était entrée dans une salle où elle avait vu sa petite fille morte, sans personne pour la soutenir, et qu’elle était repartie en bus pour annoncer à son fils de onze ans qu’il n’avait plus de sœur…

Aussi, c’est un cri d’alerte que je veux lancer aujourd’hui.

À Guadeloupe Espoir Drépanocytose, on a besoin d’espoir. Contre cette maladie que nous savons mortelle, nous agissons. Il n’y a pas longtemps, nous avons offert un dépistage à tous les jeunes qui le voulaient – le « drépistage », comme nous l’avons appelé. On nous a dit que beaucoup de jeunes avaient été dépistés mais que, quand on est AS, on ne s’en souvient plus. Or, sur une petite île comme la nôtre, les AS se rencontrent, et vous connaissez la suite…

Je veux encore rendre hommage aux médecins, aux responsables politiques qui, à l’instar de M. Serva aujourd’hui, nous aident et nous soutiennent. Mais, vraiment, tous ces enfants qui meurent, ce n’est plus possible. Il faut sortir les enfants du couloir de la mort !

La drépanocytose en guyane

Lucienne LUCIEN

Présidente de l’association Drépan’Ose Internationale[2]

La Guyane est située au Nord-Est de l’Amérique du sud, entre le Suriname et le Brésil. C’est une collectivité territoriale de plus de 300 milles habitants sur un territoire d’une superficie de 90 000 kilomètres carré. Sa population, multiculturelle, est principalement regroupée sur le littoral.

La maladie en Guyane

La drépanocytose est un problème de santé publique : plus de 10% de la population est porteuse du gène de la drépanocytose. Aussi, chaque année il y a 25 à 30 nouveaux nés drépanocytaires en Guyane.

Le dépistage néonatal systématique de la drépanocytose a été mis en place en 1992 par l’Agence Française pour le Dépistage et la Prévention des Handicaps de l’Enfant. (AFDPHE). En 2016, selon cette agence, l'incidence des syndromes drépanocytaires majeurs en Guyane est la plus élevée des Outre-Mers soit 1/206 naissances. Ainsi, sur 7 193 personnes testées, 809 étaient détectées avec le trait drépanocytaire et 35 malades de la drépanocytose.

En Guyane, il existe plus de 2000 personnes atteintes de la drépanocytose avec une grande majorité de forme homozygote SS.

La prise en charge

Si les malades sur le littoral ont accès aux soins dans les hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint Laurent, et dans les centres de santé, en revanche le suivi des malades vivants dans les communes isolées, accessibles uniquement par la voie fluviale ou aérienne est plus complexe, voire problématique.

La prise en charge à l’hôpital de Cayenne se fait au Centre Intégré de la Drépanocytose (CID). Ouvert depuis septembre 2014. Il a constitué une première réelle prise en charge puisque ce centre au pôle mère-enfant reçoit les adultes et les enfants pour des actions, d’information, de prévention et de suivi. Il a également une mission de dépistage, de conseil génétique et de diagnostic prénatal. La programmation des bilans annuels des personnes suivies réduit les délais d’attente, la fatigue et le stress de malades, facteur de crise.

Ce centre est pourvu de trois chambres d’hospitalisation qui permettent un suivi ambulatoire des personnes en situation de crise aigüe ou reçues pour des soins programmés tels que les saignées, les échanges transfusionnels. Le personnel est pluridisciplinaire et formé au traitement de la maladie.

Deux associations, Drépaguyane, et Femmes en devenir qui a un volet drépanocytose, sont présentes dans cette unité et assurent des permanences pour diffuser l’information. Elles participent ainsi à l’amélioration des conditions de la vie quotidienne des usagers. Elles les accompagnent dans la connaissance de la pathologie et dans la gestion administrative de leurs démarches.

Dès la création de Drépaguyane, des campagnes de prévention et de dépistages sont ainsi menées sur tout le territoire Guyanais, puis en collaboration avec le CID. Le CID est ouvert la journée. En dehors des horaires d'ouverture et le week-end, les malades en crise doivent se présenter aux urgences.

1000 malades sont suivis régulièrement dans les trois hôpitaux de Guyane. Les autres sont suivis par les médecins libéraux.

Le don du sang inexistant

Le traitement de la drépanocytose nécessite des transfusions sanguines régulières. 4% de patients sont inscrits dans ce programme d'échanges transfusionnel. La transfusion sanguine demeure un moyen de traitement majeur de la maladie.

Mais, en Guyane, depuis 2004 il n’y a plus de collecte de sang à cause de la maladie de Chagas, due à un parasite transmis par les réduves, sorte de punaises. Face au doute concernant les tests de dépistage de la maladie de Chagas, l’Établissement Français du Sang a interrompu les dons. Cette interruption a perturbé une situation sanitaire déjà difficile puisque la Guyane faisait alors face à un besoin annuel de 2 500 poches. Aujourd’hui, ce besoin est à 5000 poches. Depuis la fermeture de la collecte, la Guyane reçoit, par avion, des sérums en provenance de Lille et de Guadeloupe.

Une étude faite de 1995 à 2011, publiée par le professeur Elenga en 2015, souligne que sur 178 patients transfusés, 11% ont eu des complications à cause de l’utilisation de sang provenant principalement de donneurs caucasiens. Les différences ethniques/génétiques sont mises en avant. Les malades font des réactions au sang du donneur et développent des anticorps par rapport à leur propre sang. Des complications qui peuvent être graves et potentiellement mortelles.

Conclusion

Au Brésil, pays frontalier de la Guyane, où la maladie de Chagas est présente, la collecte de sang dans la population générale n’a pas été interrompue. Ainsi, les unités de sangs proviennent de donneurs dont l’origine est proche de celles des patients. La Guyane ne pourrait-elle pas suivre le modèle de notre voisin brésilien? A quand une étude approfondie sur la situation du don de sang en Guyane ? L’association Drépan’Ose Internationale a déjà pris contact avec l’Etablissement français du sang, pour s’associer à une telle étude.

La drépanocytose à MAYOTTE

Ramlati ALI

Députée de Mayotte

J’avais préparé une intervention à tonalité médicale, puisque je suis moi-même médecin, mais, après avoir entendu tout ce qui vient d’être dit, je vais la mettre de côté.

J’ai été confrontée à la drépanocytose en tant que jeune médecin. Lorsque je poursuivais mes études en métropole, mes chefs de l’époque, les professeurs de médecine, étaient eux-mêmes désemparés devant ce jeune malade. Lorsque je suis rentrée à Mayotte, une de mes premières expériences, encore, a été la confrontation avec la drépanocytose. Dans ma propre famille, il y a des drépanocytaires.

Mayotte est composée de deux îles, la Grande Terre et la Petite Terre, d’où je suis originaire. Je travaillais moi-même à la Grande Terre, où se trouve l’hôpital principal ; mais il existe une antenne en Petite Terre, à l’hôpital de Dzaoudzi.

Un jour, après mon travail, je passe à l’hôpital de Dzaoudzi, sur la Petite Terre, je ne sais plus pourquoi. Je vois une ambulance, toutes portes ouvertes, les pompiers à côté. Des médecins étaient déjà là. Par curiosité, j’ai juste demandé ce qui se passait, sans qu’on me réponde réellement. La-dessus,voyant que tous mes collègues entouraient l’ambulance, je suis rentrée chez moi.

Une heure après, je reçois le corps de ma nièce, drépanocytaire homozygote, enceinte et morte avec son bébé en son sein. Personne n’a pensé à enlever l’enfant, alors qu’à l’arrivée à l’hôpital, ce bébé était encore vivant. C’était pour cela qu’il y avait tant de monde autour de l’ambulance : on se demandait ce qu’on devait faire, sachant qu’à l’époque il était difficile de transporter les malades de Dzaoudzi à la Grande Terre.

Ma curiosité ne m’a pas poussé plus loin, et je m’en veux jusqu’à ce jour. Non parce qu’il s’agissait de ma nièce. Mais parce qu’avec mon caractère bien trempé, je suis sûre que j’aurais pu faire faire autrement. L’enfant serait peut-être décédé ensuite ; mais il avait déjà été condamné. Un tel évènement marque toute une vie. J’ai eu l’impression d’être à l’origine du décès de ma propre nièce.

À Mayotte, on a la première maternité de France, voire d’Europe, avec dix mille naissances. En 2017, on a relevé 17 cas de nouveaux-nés drépanocytaires. Aujourd’hui, 400 enfants sont suivis. Le suivi des adultes, que j’ai moi-même pratiqué, se fait correctement. La maladie est très mal connue par la population, mais lorsque le malade arrive à l’hôpital, aujourd’hui tout le monde est rodé pour l’accueillir.

La prévention marche plutôt bien. Sur un territoire où il fait très chaud, où l’on n’a pas tendance à boire énormément, on a pu sensibiliser la population à la nécessité, pour les drépanocytaires, de boire correctement. Au niveau des urgences, le nécessaire est fait, des actions sont mises en place assez rapidement. Pourtant les structures hospitalières de Mayotte ne sont pas très développées. L’hôpital de Mayotte n’a rien à envier au meilleur hôpital de Paris en termes de structures et de moyens matériels, mais on manque de moyens humains : ce n’est pas un désert médical, c’est une catastrophe médicale. Il n’y a que 170 médecins pour 250 000 habitants – chiffre officiel, car on ne connaît pas la population réelle, et de plus nous recevons tous les malades qui viennent des autres îles des Comores. Nous sommes réellement impactés par l’immigration.

À Mayotte, il y a beaucoup d’associations, mais peu d’associations de malades. Cependant l’association Mayotte Drep’Action, créée en 2015, est très active. Elle essaie de faire en sorte que les familles soient alertées, qu’elles n’attendent pas, car la plupart du temps, les malades que l’on reçoit à l’hôpital vont déjà très mal. Grâce aux actions d’information de cette association, aujourd’hui, les malades arrivent beaucoup plus vite à l’hôpital.

Aujourd’hui, nous voyons de jeunes drépanocytaires en bonne santé, qui vont à l’école, et même des parents drépanocytaires qui se portent de mieux en mieux.

Me faisant le porte-parole de cette association et des professionnels de santé qui travaillent sur la drépanocytose, et au-delà des mesures de soutien de l’équipe médicale et des familles – logistique, formation, déplacements pour des consultations de proximité – je mettrai l’accent, avec le directeur du centre des maladies rares de Mayotte, sur une meilleure implication de l’Education nationale pour que les enfants hospitalisés et longtemps absents de l’école bénéficient du concours d’éducateurs spécialisés. Il serait souhaitable que les problèmes particuliers des enfants malades soient mieux pris en compte, par une adaptation des horaires et une meilleure information des professeurs d’éducation physique sur les contraintes subies par leurs élèves. Il conviendrait aussi que la coopération sanitaire soit renforcée : il faudrait que l’équipe ait des correspondants dans chaque île des Comores, afin de pouvoir partager des protocoles médicaux, organiser des déplacements de missions médicales sur place, discuter via la médecine connectée, aider au dépistage, au diagnostic et au traitement médical curatif et préventif.

Il faut le dire : le chemin est long, mais les bonnes volontés sont bien présentes pour améliorer la lutte contre la drépanocytose. L’objectif final est de parvenir à proposer au patient pris en charge à Mayotte le même confort de soins que dans l’Hexagone.

Une intervenante

Ce n’est pas vraiment une question que je voudrais poser, mais, après avoir remercié les intervenants, je voudrais saisir l’occasion de l’organisation de ce colloque dans un haut lieu symbolique de la République pour appeler à nouveau l’attention sur les très grandes inégalités de prise en charge de la drépanocytose sur le territoire national. Nous avions déjà interpellé le ministère de la santé et l’ARS en Martinique sur le manque spécifique de moyens et de soignants pour la prise en charge des patients. Le manque crucial de moyens que nous constatons n’est pas tolérable en 2018.

Moi-même, j’ai dû être prise en charge très récemment aux Antilles, victime d’un syndrome thoracique aigu qui a nécessité une hospitalisation en soins intensifs. À ma sortie des soins intensifs, j’ai été hospitalisée dans le service de prise en charge des malades, et j’ai été choquée par l’état lamentable des locaux hospitaliers, en constatant que les soignants étaient obligés de faire un métier de pointe dans des conditions aussi terribles : des matelas qu’on n’avait pas changés depuis très longtemps, des patients obligés de garder leurs couverts, des couverts en plastique, pendant tout leur séjour, parce que les fournisseurs ne sont plus payés.

Je demande aux élus présents d’agir pour la prise en charge de la drépanocytose, en France, au niveau national, et sur l’inégalité des soins qui existe entre la métropole et les Antilles.

 

 


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   Propos de conclusion du Président Olivier Serva

 

À l’issue de ce colloque, je retiens d’abord les témoignages simples, directs, émouvants, de chacune et chacun d’entre vous, qui décrivent la souffrance sourde, invisible, que vivent vos enfants, vos frères, vos sœurs à cause de la drépanocytose.

Je retiens aussi les réponses médicales : des solutions existent.

Je retiens l’engagement militant, l’amour donné sans compter depuis des années, des dizaines d’années.

Je retiens les réponses à obtenir sur le dépistage néo-natal, sur le financement de la recherche médicale, sur les campagnes d’information à l’échelle nationale, sur les inégalités de prise en charge des malades sur le territoire. Des actions ont été engagées, des plaintes déposées, pour discrimination.

Bien entendu, les actes de ce colloque seront publiés. Au-delà, je compte saisir la ministre des solidarités et de la santé, la ministre de l’enseignement supérieur et la ministre des outre-mer pour obtenir des réponses aux questions que vous avez posées. Si la drépanocytose est la maladie génétique la plus répandue dans le monde, il ne faudrait pas qu’on puisse imaginer que la faiblesse de la réponse soit due au fait qu’elle touche principalement des populations noires et métissées !

Nous poursuivrons donc le combat pour obtenir ces réponses qui nous concernent tous.

 

 


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TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

 

 

Lors de sa réunion du 21 novembre 2018, la Délégation aux outre-mer a nommé son président, M. Olivier Serva, rapporteur d’information sur la drépanocytose. Elle lui a donné mandat d’établir, en cette qualité, les actes du colloque tenu sous ses auspices, le 18 octobre 2018, à l’Assemblée nationale, dont elle a également autorisé la publication.

 

 

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[1] Taylor Fixy, Moi, ça va, et toi ?, S.l., Delma Éditions, 2006.

[2] Mme Lucien ayant été retenue en Guyane par un deuil familial, sa communication a été lue, en son nom, par Mme Ghislaine Léo, secrétaire de l’association Dréoan’Ose Internationale.