N° 1814

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mars 2019.

RAPPORT DINFORMATION

DÉPOSÉ

en application de larticle 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur lévaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations
au sein des forces armées

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Bastien LACHAUD et  Christophe LEJEUNE,

Députés.

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(1)   La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La mission dinformation sur lévaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées est composée de :

– MM. Bastien Lachaud et Christophe Lejeune, rapporteurs ;

– M. Luc Carvounas, Mmes Anissa Khedher, Sereigne Mauborgne et Josy Poueyto, membres.


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  SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Synthèse des propositions

Première partie :  discriminations et forces armées : état des lieux

I. La définition des discriminations et du droit de la nondiscrimination

A. La lente montée en puissance du droit de la nondiscrimination

1. Une approche pragmatique des ruptures dégalité

2. La reconnaissance de formes indirectes de discrimination

3. La reconnaissance du harcèlement comme une forme de discrimination

B. Des dispositifs nationaux, étatiques et professionnels

1. Une action en justice facilitée

a. Laménagement du régime de la preuve

b. Lassistance de la victime présumée

c. La protection de la victime présumée

2. Une action publique antidiscriminatoire

a. Des mesures pour favoriser laccès au droit

b. Un enjeu déducation

c. La sensibilisation des employeurs et des médiateurs sociaux

3. Limites et prolongements

a. Des rapports étroits entre inégalités sociales et discriminations

b. Des rapports complexes avec « légalité des chances » ou la « géographie prioritaire »

c. La « promotion de la diversité »

C. Un « fléau » pour la cohésion sociale

1. Un sentiment vivace et en progression

a. Des réclamations croissantes dans le domaine de lemploi

b. Un sentiment de discrimination également présent dans le secteur public

2. Une réalité difficile à appréhender

a. Des enquêtes de victimation insuffisantes

b. De rares études sur la mesure de la diversité dans les entreprises et la fonction publique

c. Un manque deffectivité du droit de la non-discrimination

II. Discriminations dans les forces armées : état des lieux

A. Létat militaire, un état singulier mais pas hors normes

1. Des droits et libertés restreints proportionnellement au principe de libre disposition de la force armée

2. Des critères de sélection et de gestion particuliers

a. Les impératifs du combat moderne

b. La disponibilité en tout temps et tous lieux

c. Des restrictions et exceptions à légalité qui doivent être justifiées et proportionnées

3. Un environnement spécifique

a. Une mission particulière

b. La vie en collectivité dans un milieu clos

c. Luniformité et le devoir dobéissance

d. Une formation permanente

B. Des dispositifs de lutte contre les discriminations qui sétoffent mais sans être évalués

1. Des dispositifs anciens et propres au monde militaire

a. Le rôle particulier du commandement

b. Les représentants de catégorie

c. Les « capteurs » du moral

d. Les inspections

e. Le contrôle général des armées

2. Un foisonnement dinitiatives depuis 2014

a. Une politique active en faveur de « légalité des chances » cependant non évaluée

b. Un plan de prévention des risques psycho-sociaux

c. Le renforcement des instances de concertation

d. Une politique volontariste mais récente de lutte contre le sexisme

e. Un dispositif élargi dans la gendarmerie

C. Un diagnostic encore incomplet

1. Une cartographie des risques psycho-sociaux informelle

a. Des risques inhérents à la condition militaire

b. Des risques différents selon les forces armées ou les catégories de personnels

c. Des risques propres aux établissements denseignement

d. Des risques conjoncturels

2. Des données éparses qui permettraient pourtant de mesurer limportance des phénomènes de discrimination

a. Des données satisfaisantes sur légalité professionnelle entre les femmes et les hommes

b. Dautres données qui permettraient de détecter des discriminations indirectes

c. Des données qui permettraient dapprécier la prévalence dautres types de discriminations ou de risques psycho-sociaux

d. Des statistiques nautorisant pas un suivi du sort donné aux signalements

e. Aucun sondage mesurant le sentiment de discrimination ou la discrimination « diffuse »

3. Une situation « inacceptable » dans certains établissements denseignement

a. Des traditions dévoyées dans certains lycées de la défense

b. Un strict encadrement des activités dintégration dans les écoles militaires qui tarde à produire des résultats

Deuxième partie :  Un ensemble de propositions pour renforcer la cohésion

I. Renforcer la transparence

1. Encourager les travaux universitaires sur la sociologie militaire et les trajectoires de carrière

2. Développer les sondages sur le ressenti des militaires et des candidats au recrutement

3. Compléter linformation sur les discriminations dans les forces armées

II. Moderniser la sélection et la gestion des ressources humaines : un enjeu pour la fidélisation

A. Favoriser légalité réelle dès le recrutement initial

1. Dans les centres de recrutement des armées

2. Dans les conditions daptitude

3. Dans laccès aux grandes écoles militaires

B. Assouplir les carrières et les organisations

1. Faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle

2. Faciliter les départs

III. Prévenir les discriminations et les risques psycho-sociaux

A. Appliquer la laïcité et les règles de vie en commun

1. Mieux associer les aumôniers à la lutte contre les discriminations

2. Veiller au strict respect de la neutralité

3. Gérer la mixité des hébergements avec souplesse

4. Mieux prendre en compte les individus

5. Appliquer et contrôler le plan « dexcellence comportementale » dans les lycées militaires

B. Former & sensibiliser

1. Faire évoluer les traditions

2. Renforcer la déontologie et promouvoir les savoirs-être militaires

3. La sensibilisation aux risques psycho-sociaux et de discrimination

IV. tecter et réparer

A. Détecter les comportements inappropriés

1. Renforcer les cellules dalerte professionnelle

2. Organiser les « capteurs » en réseaux

3. Faciliter la communication interne

B. Restaurer la confiance dans les dispositifs

1. Rendre les sanctions disciplinaires plus efficaces et lisibles

2. Créer un collège faisant office dombudsman militaire

Examen en commission

AVIS SÉPARÉ DE M. BASTIEN LACHAUD

Annexe 1 :  Recommandations du rapport de la mission denquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées (4 avril 2014)

Annexe 2 :  Plan daction contre les harcèlements, violences et discriminations (15 avril 2014)

Annexe 3 :  Données sur la mobilité sociale des militaires

Annexe 4 :  Fonctionnement des comptes rendus « Evengrave »

Annexe 5 :  Nombre d« Evengrave » des catégories 18 et 19 depuis 2014* par armée, direction et service

Annexe 6 :  Plan d« excellence comportementale »  dans les lycées de la défense (8 juin 2018)

Annexe 7 :  Plan Mixité (8 mars 2019)

Annexe 8 :  La fonction dOmbudsman militaire dans quatre pays

Annexe 9 : Auditions et déplacements de la mission dinformation


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   Introduction

Dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025, promulguée le 13 juillet 2018, le Législateur affirme que « le ministère des armées poursuit avec détermination sa politique de tolérance zéro en matière de harcèlement, discrimination et violence à caractère sexuel. Les victimes sont accompagnées sur les plans juridique et psychologique. Des cellules découte, dédiées aux situations de harcèlement ou de discrimination sont créées et produisent un bilan annuel. Un plan de formation pour lensemble du personnel du ministère est mis en place. » Ces dispositions ont été ajoutées à l’initiative des députés, qui ont entendu rappeler que le ministère des Armées poursuivait déjà l’objectif de lutter contre le harcèlement ou les discriminations mais que cette politique méritait d’être reconduite.

Au lendemain de l’adoption de ces amendements au projet de loi de programmation militaire, le 23 mars 2018, le journal Libération publiait une série d’articles sur la persistance de dérives misogynes, de propos homophobes et racistes, et de bizutage au lycée militaire de Saint-Cyr l’École.

Le 16 mai 2018, la commission de la Défense nationale et des forces armées a donc constitué une mission d’information sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des armées. Outre ses deux rapporteurs, en ont été désignés membres : M. Luc Carvounas, Mme Anissa Khedher, Mme Sereine Mauborgne et Mme Josy Poueyto.

Les rapporteurs ont décidé d’étendre le champ de la mission à l’ensemble des forces armées, en incluant la gendarmerie. La condition militaire leur a en effet paru justifier une approche spécifique en matière de lutte contre les discriminations. En outre, la gendarmerie, du fait de ses contacts avec le public et de sa compétence en matière d’enquêtes judiciaires, a développé des instruments déontologiques et des dispositifs que les rapporteurs ont jugés intéressant de comparer avec les dispositifs en vigueur au ministère des Armées.

Les rapporteurs ont travaillé dans le respect de leurs attributions et de leurs prérogatives constitutionnelles. Le rapport ne contient donc aucun jugement sur des situations individuelles, pas plus qu’il ne détermine la prévalence des discriminations dans les forces armées, une telle étude restant à mener.

Entre le 28 juin 2018 et le 21 mars 2019, la mission d’information a entendu plus d’une centaine de personnes au travers d’une trentaine d’auditions et de visites sur des sites militaires. Ce programme de travail a été élaboré conjointement par les deux rapporteurs. Toutes les demandes d’auditions ont été acceptées. Seule l’une d’entre elles n’a pu être satisfaite, pour des raisons d’agenda. Les personnes qui l’ont souhaité ont bénéficié de la garantie d’anonymat.

Un questionnaire écrit a été adressé à la ministre des Armées ainsi que des demandes précises concernant des rapports établis par le contrôle général des armées ou les inspections. En particulier, les rapporteurs ont obtenu communication du rapport n° 006/ARM/IGA/DR rendu à la ministre par le collège des inspecteurs généraux des armées le 29 mars 2018 (diffusion restreinte), ainsi que le rapport de la mission d’enquête associant l’inspecteur général des armées – terre et le contrôle général des armées sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées du 4 avril 2014.

De leurs travaux, les rapporteurs retirent

plus de soixante propositions pour se donner les moyens de mesurer la diversité des forces armées et le bien-être de tous les militaires, favoriser un recrutement plus diversifié, améliorer la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, prévenir les conduites et les propos inappropriés ou intolérants et pour renforcer les dispositifs existants de lutte contre les discriminations.

Ils dédient ce travail à tous les militaires qui s’engagent au service de la Nation, et dont la diversité et la cohésion font, à juste titre, l’honneur et la fierté de la France.

 


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   Synthèse des propositions

I.   Des moyens de suivi et de contrôle

Proposition n° 2 : formaliser une cartographie des risques psycho-sociaux dans les armées

Proposition n° 3 : susciter des travaux universitaires indépendants et publics sur la sociologie militaire et sur les trajectoires de carrière des militaires selon leur sexe, leur genre, leurs origines sociales, géographiques ou la nationalité de leurs parents

Proposition n° 4 : conformément à une recommandation du 11e rapport du HCECM, commander une étude indépendante sur les parcours des anciens militaires en situation de précarité

Proposition n° 5 : faire réaliser régulièrement, à différents stades de sélection ou de gestion des personnels, en particulier en écoles, des sondages sur le bien-être des militaires et leur sentiment de discrimination, garantissant l’anonymat des réponses

Proposition n° 6 : fournir aux parlementaires des données sur les motivations et les attentes des candidats au recrutement, ainsi que sur les motifs de départ

Proposition n° 7 : réaliser et publier régulièrement des sondages sur le bien-être au travail des militaires, et notamment sur le bien-être personnel et familial

Proposition n° 8 : centraliser et diffuser l’information relative aux discriminations signalées et les suites qui leur sont données

Proposition n° 24 : conduire une étude sur les éventuels biais discriminatoires qui pourraient résulter des règles relatives aux dispositifs d’aide au départ

Proposition n° 10 : évaluer les plans « Égalité des chances »

Proposition n° 61 : créer un ombudsman militaire collégial associant des parlementaires

II.   un recrutement plus diversifié

Proposition n° 9 : créer une médiation destinée aux candidats au recrutement contestant leur orientation

Proposition n° 11 : développer le recrutement local de sapeurs-pompiers de Paris

Proposition n° 12 : réviser les coefficients associés au VIH dans le référentiel d’aptitude

Proposition n° 13 : mieux faire connaître les voies de contestation d’une décision d’inaptitude

Proposition n° 14 : prohiber les dépistages du VIH sans consentement exprès des intéressés

Proposition n° 15 : poursuivre la diversification du recrutement des officiers

Proposition n° 17 : favoriser l’intégration des élèves étrangers aux soldes moins élevées

Proposition n° 34 : proposer des rations de combat végétariennes avec un apport en protéines végétales suffisant

III.   Une meilleure prise en compte de la famille dans la gestion des ressources humaines

Proposition n° 18 : élargir les créneaux d’avancement pour mieux tenir compte de la parentalité

Proposition n° 19 : mettre en œuvre des systèmes de notation qui ne pénalisent pas les jeunes parents, et en particulier les femmes l’année de leur grossesse

Proposition n° 20 : conduire des études sur les risques psycho-sociaux propres aux personnels ayant leurs attaches outre-mer, sur les freins éventuels que cette situation susciterait pour leur carrière et sur les moyens de mieux les accueillir en métropole

Proposition n° 21 : veiller à ce que les allers-retours des personnels ayant des attaches outre-mer soient effectivement financés en cas de graves événements familiaux

Proposition n° 22 : mettre fin à la pratique de l’affectation systématique à terre des jeunes femmes enceintes

Proposition n° 23 : au-delà de la problématique de l’aménagement pour la féminisation des sous-marins, conduire une réflexion sur une évolution de l’organisation de la FOST et des parcours de carrière des sous-mariniers pour faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et une vie familiale

Proposition n° 25 : faciliter les mutations pour prévenir les risques psycho-sociaux ou y faire face

IV.   plus de progrès et de souplesse sur la mixité

Proposition n° 1 : ouvrir le recrutement étranger aux femmes dans la légion étrangère

Proposition n° 33 : féminiser les grades, à l’instar de la gendarmerie

Proposition n° 32 : suivre un indicateur de la satisfaction du personnel féminin à l’égard de ses effets et remplacer immédiatement les effets blessants ou dangereux

Proposition n° 16 : appliquer avec souplesse la mesure n° 5 du « Plan Mixité » et en évaluer les effets au bout d’un an

Proposition n° 30 : ne pas appliquer avec trop de rigidité les règles relatives à la mixité de l’hébergement

Proposition n° 31 : favoriser le développement de l’hébergement en chambres individuelles pour accompagner la féminisation

V.   Davantage de laïcité pour davantage de cohésion

Proposition n° 27 : augmenter le nombre d’interlocuteurs à la disposition des militaires en créant un statut pour des conseillers éthiques et spirituels non religieux

Proposition n° 28 : publier des directives de façon à ce que les activités à caractère religieux soient plus rigoureusement séparées des activités collectives

Proposition n° 29 : veiller à ce que les pèlerinages militaires cessent d’être financés par le ministère des Armées

Proposition n° 47 : faire comprendre aux nouvelles générations la pertinence des savoirs-êtres militaires comme la neutralité, la discrétion ou l’absence de familiarité en uniforme

VI.   pour Un plan d’excellence comportementale complet dans les lycées militaires

Proposition n° 35 : renforcer la part des personnels féminins parmi les encadrants dans les lycées militaires, sans porter préjudice aux militaires de carrière et donc, au besoin, en recourant à des cadres civils

Proposition n° 36 : faire participer des élèves officiers plus anciens aux « retours des intégrants » dans les lycées militaires

Proposition n° 37 : s’assurer d’une totale maîtrise des activités de cohésion par les autorités militaires

Proposition n° 38 : mettre en place des périodes consacrées aux activités militaires, strictement encadrées par des militaires, pour les élèves des classes préparatoires des lycées militaires

Proposition n° 39 : faire entrer le mentorat des élèves des classes préparatoires des lycées militaires dans un cadre officiel

Proposition n° 40 : veiller à ce que les enseignants des lycées militaires soient inspectés

Proposition n° 41 : sanctionner immédiatement les élèves qui refusent de parler aux femmes, veiller à ce que les élèves commettant de tels faits soient exclus de tout lycée militaire et des concours des grandes écoles militaires

VII.   Des activités de transmission des traditions mieux encadrées

Proposition n° 42 : encadrer par des directives écrites le déroulé des activités de transmission des traditions dans toutes les écoles militaires

Proposition n° 43 : mettre fin à certaines activités folkloriques dangereuses pour la santé dans les écoles militaires

Proposition n° 44 : sonder les étudiants des écoles militaires, pendant leur scolarité et après leur départ, sur leur vécu des activités de tradition, en garantissant le respect de l’anonymat

Proposition n° 45 : interdire les activités dégradantes comme les classements d’élèves ou les remises de médailles humiliantes et sanctionner avec sévérité les élèves qui s’y livrent

Proposition n° 46 : engager une réflexion sur les traditions et les activités de cohésion pour susciter de nouvelles idées

VIII.   Un plan de formation sur les risques psycho-sociaux et les discriminations

Proposition n° 26 : organiser des formations obligatoires pour les aumôniers sur les dispositifs de lutte contre les discriminations et les risques psycho-sociaux

Proposition n° 48 : élaborer un plan de formation sur les risques psycho‑sociaux et les risques de discrimination en accordant la priorité à la formation des référents de tous types, des capteurs du moral et du commandement

Proposition n° 49 : sensibiliser et former l’ensemble des militaires sur les risques psycho-sociaux et les risques de discrimination grâce au e-learning, des jeux en ligne ou des interventions extérieures

Proposition n° 50 : renforcer les outils à la disposition du commandement en publiant des « fiches réflexe » largement diffusées sur les dispositifs de lutte contre les discriminations

IX.   Pour des dispositifs de lutte contre les discriminations plus complets et mieux connus

Proposition n° 53 : augmenter les effectifs de la cellule Thémis et élargir son champ à toutes les formes de harcèlement

Proposition n° 52 : simplifier le numéro d’appel Écoute Défense et renforcer l’effort de communication sur ce numéro, qui devrait devenir le numéro unique en cas de problème

Proposition n° 55 : diligenter une campagne d’affichage sur les dispositifs d’alerte professionnelle

Proposition n° 56 : donner aux inspections l’instruction de contrôler la présence d’affiches et de documents de communication en nombre suffisant dans l’ensemble des hôpitaux, centres médicaux, et antennes médicales, ainsi que dans les bureaux où sont présents les assistants sociaux et les aumôneries

Proposition n° 51 : envoyer un dépliant sur les dispositifs d’alerte professionnelle avec le bulletin de solde

X.   Pour des mécanismes de détection et de sanction plus vertueux

Proposition n° 57 : généraliser la procédure de réhabilitation mise en œuvre dans la gendarmerie

Proposition n° 60 : sanctionner l’auteur de la dénonciation calomnieuse avec sévérité

Proposition n° 58 : sans préjudice du principe d’individualisation des sanctions, élaborer un barème de sanctions harmonisé et plus lisible

Proposition n° 59 : s’assurer que la hiérarchie qui n’a pas rendu compte de faits à bon escient soit également sanctionnée


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   Première partie :
discriminations et forces armées : état des lieux

I.   La définition des discriminations et du droit de la non‑discrimination

A.   La lente montée en puissance du droit de la non‑discrimination

1.   Une approche pragmatique des ruptures d’égalité

La lutte contre les discriminations est un corollaire du principe constitutionnel d’égalité devant la loi (articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, article 1er de la Constitution du 4 octobre1958), précisé par plusieurs textes internationaux et par la loi.

D’après la jurisprudence administrative et constitutionnelle, si le principe d’égalité impose de traiter de la même manière des personnes placées dans une même situation, il n’exclut pas les différences de traitement, à condition qu’elles soient justifiées par une différence de situation ou par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi qui les établit, ou que ces différences de traitement soient proportionnées à la cause qui les justifie.

Les discriminations sont donc des différences de traitement, inspirées par des critères définis comme illégitimes. Ces définitions évoluent, comme en témoigne la reconnaissance progressive aux femmes de droits égaux à ceux des hommes à partir de 1945 et la remise en cause de distinctions en droit fondées sur le sexe, la nationalité ou l’âge à partir des années 1970.

À cette période s’est aussi développé un nouveau corpus juridique de lutte contre les discriminations hors de la sphère du droit public où il était jusqu’alors cantonné, schématiquement appelé « droit de la non-discrimination ». La loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme (dite loi Pléven) a ainsi pour la première fois réprimé des discriminations exercées par toute personne morale ou physique, fondée sur « lappartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » dans le code pénal. Le droit français de la non-discrimination s’est ensuite étoffé au fil des ans, à travers un élargissement progressif de l’ensemble des motifs illégitimes et avec l’introduction de dispositions prohibant la discrimination en droit du travail. Puis, du champ des relations sociales marchandes (fourniture de biens ou de services, exercice d’une activité économique, embauche, sanction ou licenciement d’une personne), ce droit s’est progressivement étendu au monde de l’éducation, des loisirs, de la santé, etc.

Modifié pour la dernière fois par la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, l’article 225‑1 du code pénal liste désormais 23 critères de distinctions illégitimes. L’article L. 1132‑1 du code du travail prévoit quant à lui 25 motifs de discriminations, voire 26 si l’on y ajoute l’exercice du droit de grève. Plusieurs universitaires, juristes ou parlementaires ont souligné la complexité qui résulte de la multiplication des textes dans ce domaine et appelé à une remise en cohérence, en partie effectuée par la loi du 18 novembre 2016 précitée. ([1])

Article 225-1 du code pénal

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques (ou morales) sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée.

La non-discrimination a pu aussi se traduire par la mise en place de mesures destinées à garantir l’effectivité des droits. En France, de telles mesures ont été prises par la loi en direction de certaines catégories sociales, comme les femmes (parité politique) – qui a nécessité une révision constitutionnelle, celle du 8 juillet 1999 – et les personnes en situation de handicap (quotas de recrutement dans les entreprises de plus de vingt salariés).

Comme le soulignait le vice-président du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé en 2015, lors d’un colloque consacré au droit de la non-discrimination, le développement de ce droit répond à une approche pragmatique. L’égalité n’est plus seulement recherchée dans la généralité de la loi, elle « se développe désormais aussi par différenciation, sintéressant non plus seulement à lhomme abstrait et universel, mais aussi à lhomme incarné et situé, pris dans ses déterminations physiques, sociales et économiques » ([2]). Le droit à la non‑discrimination fournit à cet égard « des solutions opératoires auxquelles légalité seule ne pourrait parvenir ». ([3]) Car ce droit offre « une technique de qualification des ruptures dégalité » ([4]) ou, pour le dire autrement, il fait « office de “médiateur” entre le principe général dégalité et des situations empiriques ». ([5])

2.   La reconnaissance de formes indirectes de discrimination

Le droit français résultant de la transposition des directives communautaires, elles-mêmes inspirées par une notion développée en droit américain dès 1971 avec la décision de la Cour suprême Griggs v. Duke Power Company, distingue désormais la discrimination directe de la discrimination indirecte.

Article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008
portant diverses dispositions dadaptation au droit communautaire
dans le domaine de la lutte contre les discriminations

Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

Une discrimination est qualifiée de directe lorsqu’elle consiste en un acte volontaire, intentionnellement discriminatoire d’un individu ou d’un groupe d’individus. La discrimination directe est le résultat d’un acte concret. Elle suppose un discriminant et un discriminé et de fait que le discriminant possède le pouvoir de discriminer.

Une discrimination peut être considérée comme indirecte lorsqu’il n’y a pas d’intentionnalité. L’introduction de la notion de discrimination indirecte en droit doit permettre d’attaquer des mesures qui, apparemment neutres, sont discriminatoires. Elles peuvent être révélées par des techniques statistiques. Les normes ayant des effets discriminatoires doivent être supprimées et la victime peut demander une indemnisation. En tout état de cause, comme le soulignait Mme Gwenaële Calvès, professeur de droit public à l’université de Cergy‑Pontoise, entendue au Sénat en 2014 sur ce thème, « la discrimination systémique na pas dauteur donc le droit pénal nest pas utilisable ». ([6])

Un cas archétypal est celui de l’entreprise qui réserve le bénéfice d’une prime à des salariés ayant cumulé un nombre minimal d’heures supplémentaires. Cette distinction exclut d’emblée du bénéfice de la prime les travailleurs à temps partiel, la part des femmes à temps partiel par rapport au total des travailleurs féminins étant considérablement plus élevée dans l’entreprise considérée que celle des hommes à temps partiel par rapport au total des travailleurs masculins. Compte tenu de la disproportion entre les bénéfices attendus de cette incitation financière pour l’entreprise et ses effets sur la population féminine, les juridictions ont pu considérer cette prime et son mode de calcul comme une discrimination indirecte fondée sur le sexe.

3.   La reconnaissance du harcèlement comme une forme de discrimination

En vertu des directives européennes sur l’égalité raciale, sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, sur l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès aux biens et services, et sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes, le harcèlement est également considéré comme une forme de discrimination. L’article 225‑1‑1 du code pénal réprime plus spécifiquement le harcèlement sexuel tandis que l’article 225‑1‑2 du même code, créé par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, définit aussi le bizutage comme une forme de discrimination : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce quelles ont subi ou refusé de subir des faits de bizutage définis à larticle 225161 ou témoigné de tels faits. » 

La définition des discriminations exclut a priori les injures, les incivilités ou l’expression ponctuelle de préjugés. Devant les rapporteurs ([7]), le Défenseur des droits s’est en revanche félicité du fait que la cour d’appel d’Orléans ait reconnu, le 7 février 2017, le caractère discriminatoire de l’ambiance hostile et sexiste de la rédaction d’un journal, constituée de blagues salaces, de propos insultants envers les femmes, de photographies sur les murs de « l’open space » représentant ses collègues de la rédaction dans des positions déplacées, de fonds d’écran d’ordinateurs avec des femmes nues, etc. ([8]) Il a fait droit à son argumentaire selon lequel « un harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou dambiance, où, sans être directement visée, la victime subit des provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. »

B.   Des dispositifs nationaux, étatiques et professionnels

Les discriminations ont été reconnues comme un « fléau » pour la cohésion sociale, dont la gravité et le caractère subreptice ont justifié un régime de la preuve spécifique. Plusieurs dispositions connexes ont donc bâti une politique contentieuse adaptée tandis qu’une action publique antidiscriminatoire visait à remédier aux lacunes d’une approche purement juridictionnelle.

1.   Une action en justice facilitée

La voie pénale, longtemps privilégiée puisqu’elle décharge la victime présumée du fardeau de la preuve et parce que la jurisprudence puis la loi ont affirmé la totale liberté de la preuve, y compris déloyale (testing, provocation), aurait en effet trouvé ses limites du fait de la difficulté de prouver lintention discriminatoire et du fait de la faiblesse des sanctions prononcées. C’est pourquoi le législateur, explorant plusieurs voies, s’est attaché depuis plusieurs années à développer des alternatives au recours pénal en aménageant le régime de la preuve aussi en matière civile et en s’appuyant sur la notion de discrimination indirecte.

a.   L’aménagement du régime de la preuve

En application du droit communautaire ([9]), la charge de la preuve, en matière pénale et civile, repose désormais sur l’auteur présumé de la discrimination, la victime supposée n’ayant que la charge de réunir des éléments factuels laissant présumer une discrimination. En outre, ont été admises des méthodes de preuve inspirées des sciences sociales comme les régressions statistiques ou le CV anonyme, qui cherchent à mesurer l’effet sur une variable (revenu, taux de chômage, etc.) d’une modalité à tester, en l’occurrence, un critère illégitime de discrimination, ainsi que des techniques dites « déloyales » comme les tests de situation (testing).

b.   L’assistance de la victime présumée

Les associations, les syndicats ainsi que le Défenseur des droits peuvent assister une victime de discrimination qui souhaite ester en justice en la conseillant et en l’aidant à réunir des preuves. La loi du 18 novembre 2016 précitée, de modernisation de la justice du XXIe siècle, a aussi prévu un recours collectif en matière de discriminations.

c.   La protection de la victime présumée 

Les agissements, comportements et actes pris par l’employeur à l’égard du salarié sont privés d’effet dès lors que la discrimination est reconnue. Autrement dit, le licenciement d’un salarié ayant été reconnu victime de discrimination sera annulé.

2.   Une action publique antidiscriminatoire

Le droit de la non-discrimination s’accompagne aussi d’une action publique antidiscriminatoire. Elle vise généralement à faciliter le recours au droit par les victimes potentielles et à infléchir, de manière plus ou moins prescriptive, les comportements des discriminateurs potentiels.

a.   Des mesures pour favoriser l’accès au droit

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) s’est vue conférer de larges pouvoirs par la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 encore élargis par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006. Elle a ensuite été remplacée par le Défenseur des droits ([10]) qui est doté des mêmes pouvoirs spécifiques : pouvoirs d’investigations, intervention en amont d’un contentieux (prévention, intervention en équité, médiation, transaction), conseil et assistance de la victime présumée, mise en demeure, saisine du juge des référés.

b.   Un enjeu d’éducation

L’action publique antidiscriminatoire prend aussi la forme de campagnes de sensibilisation ou de formation des professionnels publics et privés ou d’intervention sur les programmes d’enseignement public (enseignement de l’histoire des migrations ou du fait religieux à l’école, par exemple) pour lutter contre les préjugés.

c.   La sensibilisation des employeurs et des médiateurs sociaux

Les discriminations étant particulièrement sensibles dans le domaine de l’emploi et de l’accès à la formation, les employeurs ont été incités à mettre en place des mesures de prévention consistant à développer des formations spécifiques, à renforcer leurs services de gestion des ressources humaines par des équipes tout particulièrement chargées de la médiation ou à créer des réseaux de correspondants chargés de détecter les difficultés. Cette démarche a rejoint la recherche d’une meilleure prévention des risques dits « psycho-sociaux », c’est‑à‑dire des phénomènes d’épuisement professionnel, de harcèlement ou les suicides liés au travail.

Les organisations syndicales, les délégués du personnel, les associations ou encore les agents de contrôle de l’inspection du travail étaient, quant à eux, invités à participer aux actions de formation et d’information, à se saisir des dispositions légales et à accompagner les victimes potentielles de discrimination. Pour mémoire, les agents de contrôle de l’inspection du travail (inspecteurs et contrôleurs du travail, agents de contrôle assimilés) peuvent se faire communiquer tout document ou tout élément d’information, quel qu’en soit le support, utile à la constatation de faits susceptibles de permettre d’établir l’existence ou l’absence d’une méconnaissance des articles du code du travail ou du code pénal prohibant les discriminations. Les associations de lutte contre les discriminations régulièrement constituées depuis au moins cinq ans peuvent exercer en justice toute action relative à des agissements discriminatoires, en faveur d’un salarié de l’entreprise ou d’un candidat à un emploi, à un stage ou une période de formation en entreprise. Dans le cadre de la lutte contre les discriminations liées au handicap, l’action peut également être intentée, sous les mêmes conditions, par les associations œuvrant dans le domaine du handicap.

3.   Limites et prolongements

Dans une acception stricte, la lutte contre les discriminations désigne donc une politique contentieuse spécifique, assortie de mesures pour faciliter l’accès au droit des victimes et infléchir les comportements. Lato sensu, la lutte contre les discriminations peut inclure toute une palette de mesures relevant de la prévention des risques psycho-sociaux, de la lutte contre les inégalités sociales, dactions positives pour garantir légalité des chances, de la promotion de la diversité ou de la promotion dune égalité réelle. Ces politiques peuvent reposer sur une grande variété d’outils : aides sociales, rénovation urbaine, construction et attribution de logements sociaux par la puissance publique, création de zones franches, géographie prioritaire pour les services publics, formes de discrimination positive à l’égard de groupes désignés, etc.

Ces différentes mesures sont inspirées par des philosophies différentes, souvent concurrentes, qui s’opposent généralement sur :

– les causes des inégalités (économiques, sociales, culturelles, biologiques, etc.) et les liens de causalité ou de conséquence qu’elles entretiennent ;

– le caractère juste ou acceptable des inégalités (tant en termes de nature qu’en termes d’intensité) ;

– la réponse qui peut être celle de la puissance publique pour y remédier.

Les éléments qui suivent témoignent de la diversité des réponses apportées dans le temps au problème de l’égalité et des rapports complexes que les causes d’inégalité entretiennent.

a.   Des rapports étroits entre inégalités sociales et discriminations

Comme une publication de l’Observatoire des inégalités le soulignait en 2013 : « en pratique, il est souvent difficile de démêler ce qui relève de la discrimination entre des individus du fait de certaines de leurs caractéristiques et ce qui relève des inégalités entre leurs milieux sociaux dorigine. Par exemple, si les étrangers sont plus souvent au chômage que les Français, cela tient dune part à une discrimination à lembauche mais aussi à une inégalité de niveau de qualification ; le taux de chômage est plus élevé pour les peu diplômés. Les deux effets se cumulent. De même, les femmes sont en moyenne moins payées que les hommes car elles subissent des discriminations, mais aussi parce quelles sorientent vers des filières moins rémunératrices, quelles exercent plus souvent en temps partiel, et que le poids des tâches domestiques et familiales freine leur carrière. On a longtemps mis en avant les inégalités sociales et sous-estimé les discriminations. Aujourdhui, cest linverse : la lutte contre les discriminations a volé la vedette à la lutte contre les inégalités, souvent au nom de la “diversité”. Laccent mis sur les discriminations a tendance à masquer les mécanismes sociaux qui produisent les inégalités. » ([11])

Entendu par la mission d’information le 24 juillet 2018, le Défenseur des droits a lui aussi prévenu contre un risque d’individualisation ou de psychologisation des conflits sociaux. « Il ny a pas de profil sociologique type de la personne qui discrimine, pas plus quil ny en a de la personne discriminée », a-t-il souligné. « Les discriminations résultent de structures, de hiérarchies sociales historiquement constituées. Linégalité femme-homme est, à cet égard, exemplaire. Le monde du travail est marqué par des rapports de domination, des hiérarchies sociales », a-t-il analysé. S’ajoutent à cette cause structurelle d’autres difficultés plus conjoncturelles, notamment le chômage de masse et les nouvelles pratiques managériales qui se traduisent par des pressions informelles sur les jeunes, les femmes, les moins qualifiés, et les plus précaires. Le Défenseur des droits juge ainsi « nécessaire de se dégager dune posture victimaire, qui tend à reléguer les rapports sociaux au second plan, au profit des rapports purement individuels, lenjeu restant légalité des droits. »

b.   Des rapports complexes avec « l’égalité des chances » ou la « géographie prioritaire »

L’école républicaine, obligatoire et gratuite, devant assurer seule l’égalité entre les citoyens, s’est trouvée remise en cause dans les années 1960 par plusieurs sociologues qui, à l’instar de Pierre Bourdieu, ont théorisé la perpétuation des inégalités sociales par le système scolaire, ainsi désigné comme le « meilleur allié du conservatisme social et politique ». ([12]) La massification de l’enseignement n’a pas permis de surmonter ces difficultés. Dans ce contexte, la notion d’égalité des chances a inspiré plusieurs mesures destinées à compenser certaines inégalités initiales, essentiellement sociales ou liées à l’état de santé, afin de conforter la méritocratie républicaine.

Ces mesures concernent toutes l’accès au savoir, à l’éducation ou à la formation ; elles reposent sur un renforcement des moyens dans des zones géographiques (« parcours d’excellence », « zones » ou « réseaux d’éducation prioritaire ») ou sur des programmes de mentorat (« les cordées de la réussite », « une grande école pourquoi pas moi » ou « PQPM »…). Le 11 juillet 2001, l’Institut d’études politiques de Paris a aussi introduit une forme de discrimination positive, via les conventions d’éducation prioritaire, dans l’enseignement supérieur.

La politique de l’égalité des chances a pris un nouveau tournant après les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues. La logique appliquée à l’école a été étendue au domaine de l’emploi, s’accompagnant d’une réflexion sur les causes du moindre accès à l’emploi de certaines catégories de la population. La loi du 31 mars 2006 a ainsi créé une agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSÉ), remplacée depuis 2014 par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), renforcé les outils de lutte contre les discriminations, créé de nouvelles zones franches urbaines et mis en place un service civil volontaire.

Sous-tendue par le postulat qu’il faut amener des personnes moins capables à atteindre une norme (par exemple, une certaine culture générale), l’égalité des chances n’amène pas à réinterroger la pertinence de cette norme ou à l’élargir (par exemple, à d’autres formes de connaissances ou d’arts), ce qui limite les apports de la diversité.  

c.   La « promotion de la diversité »

L’avènement de labels et de chartes se réclamant d’une logique de « promotion de la diversité » témoigne encore d’une autre approche de l’égalité. Le « management de la diversité » est né du mouvement des droits civiques aux États-Unis et des revendications du mouvement des femmes aux États-Unis et au Canada. Apparu au début des années 1990, ce mouvement aurait été favorisé par les critiques de plus en plus fortes concernant les politiques d’Affirmative action instaurées dans les années 1960 aux États-Unis. Contrairement à ces politiques, le « diversity management » ne repose pas sur un impératif de justice et des injonctions législatives, mais il consiste à valoriser la représentation dans l’entreprise de différents groupes d’individus sur la base de leurs caractéristiques socio démographiques (sexe, âge, origine ethnique, lieu de résidence, handicap, etc.) et à faire de ces différences des sources de valeur ajoutée et donc de performances économiques. Les avantages attendus d’une politique de promotion de la diversité sont de trois types : humains, commerciaux et financiers.

L’Union européenne a participé à l’inscription dans l’agenda public de ce discours basé sur le triptyque diversité/responsabilité sociale/intérêts économiques dès le début des années 2000 en diffusant de bonnes pratiques de gestion de la diversité à travers la publication de nombreux rapports entre 2003 et 2008. La notion de diversité s’est diffusée dans le débat public français à partir de 2004, sous l’action conjointe des milieux d’entreprises et des pouvoirs publics. Cette diffusion s’est notamment appuyée sur des rapports visant à promouvoir la diversité dans les entreprises en lieu et place, ou de façon complémentaire, de la lutte contre les discriminations. Cette approche s’est appuyée sur des chartes et des procédures de labellisation (label Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, label Diversité).

En tout état de cause, une analyse de 80 accords d’entreprise réalisée par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) en 2014 ([13]) montre qu’un certain flou demeure autour de la définition de la diversité. En effet, sa promotion repose sur la définition de groupes désavantagés, vulnérables ou minoritaires. L’origine ethnique, culturelle et sociale n’a été finalement que peu traitée dans les accords français étudiés. Ce sont davantage les composants de la diversité, déjà encadrés par la législation, que les signataires traitaient dans ces accords : égalité entre femmes et hommes, emploi et conditions de travail des salariés âgés et des travailleurs handicapés. Les objectifs et les moyens ont eux aussi fait l’objet de compromis. Les promoteurs de la diversité que sont les think tank d’entreprises s’inscrivaient généralement davantage dans une optique d’égalité des chances et étaient partisans d’actions positives, c’est‑à‑dire de mesures ciblées sur des populations sous-représentées. Les organisations syndicales de salariés s’inscrivaient, elles, avant tout dans le registre de l’égalité de traitement et de la lutte contre les discriminations.

Les rapporteurs se sont fait communiquer la Stratégie des forces armées canadiennes à légard de la diversité du 10 janvier 2017 ainsi que le Plan pour légalité professionnelle 2015-2020. Ils constatent que la politique canadienne en faveur de la diversité dans les forces armées repose sur la définition de « minorités » (aborigènes, femmes, minorités visibles, personnes en situation de handicap). Les documents précisent que la formation de ces groupes repose sur une auto-identification et ne constituent donc pas une assignation. Toutefois les rapporteurs sont dubitatifs à l’égard d’une institutionnalisation par la puissance publique de groupes dits minoritaires, en dehors du champ universitaire, dont la permanence paraît contrevenir à l’idéal républicain d’émancipation à l’égard de communautés d’appartenance pour rejoindre in fine une communauté d’adoption, fruit d’un « plébiscite de tous les jours ». ([14])

C.   Un « fléau » pour la cohésion sociale

 Les discriminations sont donc des différences de traitement illégitimes, le plus souvent subreptices, inspirées par des préjugés ou des généralités, qui entretiennent des rapports complexes avec les inégalités de toute nature et qui mettent en évidence des rapports de domination entre groupes sociaux au sein d’une société. À ce titre, elles sont considérées à juste titre comme un « fléau » pour la cohésion sociale et les fondations de la République.

1.   Un sentiment vivace et en progression

La mesure de la prévalence des discriminations dans la société française est peu développée et s’avère, en tout état de cause, malaisée. Mais le sentiment de discrimination est, lui, en progression.

a.   Des réclamations croissantes dans le domaine de l’emploi

Au cours de son audition par la mission d’information, le 24 juillet 2018, M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, a pointé l’évolution du nombre des « réclamations » – ou saisines du Défenseur des droits – qui concernent les discriminations. Leur nombre ne faiblit pas, passant de 3 000 en 2011 à 5 400 en 2017, et lui paraît très en deçà de la réalité, comme en témoignent plusieurs enquêtes menées par le Défenseur des droits. « Les personnes discriminées nont que rarement conscience de lêtre », a précisé M. Toubon, « et lorsquelles le sont, elles font peu de réclamations ». ([15])

Comme en témoignent les statistiques présentées dans le rapport annuel 2017 du Défenseur des droits, la majorité des discriminations concernerait le domaine de lemploi (environ 50 % des réclamations). Le baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi réalisé chaque année avec l’Organisation internationale du travail (OIT) montre qu’une personne sur deux considère que les discriminations sont fréquentes pendant la recherche d’emploi, et une sur trois durant la carrière. Une personne sur trois considère ainsi avoir fait l’objet d’une discrimination dans l’accès à l’emploi ou dans le déroulement de carrière au cours des cinq dernières années.

b.   Un sentiment de discrimination également présent dans le secteur public

« Les discriminations dans lemploi ne se limitent pas au seul secteur privé », a souligné M. Toubon au cours de l’audition précitée. « Les agents publics sont également victimes de discriminations, malgré lanonymat, les règles, les grilles, les concours, etc. » En 2014, il est ressorti du 7e Baromètre sur la perception des discriminations dans le travail que le ressenti et la crainte des discriminations avaient atteint chez les agents publics le même niveau que chez les agents privés, « un tournant notable ». « Lidée que la fonction publique serait un cadre protecteur est donc fausse », a-t-il insisté. « LÉtat nest sans doute pas exemplaire. » Les discriminations à légard des agents publics affecteraient essentiellement le déroulement de leur carrière. Les réclamations concernent majoritairement les refus de promotion et les retards de carrière (50 % des réclamations). 20 % des réclamations concernent des faits de harcèlement moral ou sexuel, « ce qui est considérable », a regretté M. Toubon.

Si les critères de discrimination varient sensiblement selon les domaines, lorigine demeure le premier critère de saisine dans le domaine de l’emploi privé (20 % des réclamations) tandis que létat de santé constitue le premier motif de saisine dans l’emploi public (environ 21 % des réclamations).

Ce sentiment de discrimination dans l’emploi masque sans doute des discriminations manifestes dans d’autres domaines comme le logement ou dans la fourniture de biens et services. Le Défenseur des droits décèle un enjeu de pédagogie, notamment concernant les discriminations qui peuvent advenir dans le domaine du logement social.

2.   Une réalité difficile à appréhender

La réalité des phénomènes de discrimination est difficile à appréhender. Le suivi des condamnations prononcées présente des limites, tout comme une approche fondée sur les déclarations d’une population. 

a.   Des enquêtes de victimation insuffisantes

Le rapport annuel du Défenseur des droits et le Baromètre annuel de la perception des discriminations dans lemploi, réalisé en partenariat avec l’Organisation internationale du travail, fournissent des données sur la perception des discriminations, pas sur leur prévalence dans la société française. Même si l’enquête Trajectoires et origines réalisée en 2016 par l’Institut national des études démographiques (Ined) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) fait état de « la cohérence entre la déclaration et la mesure de la discrimination dans lemploi » ([16]), l’absence de véritable enquête de victimation est regrettable.

Par exemple, le rapport d’enquête annuel Cadre de vie et sécurité ([17]), publié chaque année par le ministère de l’Intérieur, indique qu’en moyenne, chaque année entre 2011 et 2017, 173 000 personnes âgées de 18 à 75 ans de France métropolitaine ont été victimes de violences sexuelles de la part d’une ou plusieur(s) personne(s) ne vivant pas avec elles au moment de l’enquête, c’est‑à‑dire « hors ménage » selon la terminologie de l’enquête. Cela représente 1 personne sur 250 dans cette tranche d’âge (0,4 %). Mises à part ces données sur les violences sexuelles, ce rapport ne contient aucune donnée sur les autres actes de discrimination réprimés par le code pénal (harcèlement moral et sexuel, bizutage, violences sexuelles). 

b.   De rares études sur la mesure de la diversité dans les entreprises et la fonction publique

Des démographes et des sociologues ont tenté de mesurer l’importance de biais discriminatoires dans les processus de sélection mais se sont heurtés à une absence de données sur l’origine sociale, géographique ou nationale des populations chez la plupart des employeurs.

« La question de la mesure de la diversité dans les entreprises et dans la fonction publique est un sujet qui a fait couler beaucoup dencre ces dernières années. Les coordonnées du problème sont assez simples à rappeler : alors que lon sinterroge sur lexistence de biais discriminatoires dans les process de recrutement et de gestion des carrières, affectant la représentation de groupes désavantagés (pour ne pas dire de minorités), en particulier dans les postes à responsabilité, les données manquent pour construire les diagnostics, formuler des actions damélioration et en évaluer les effets. Le problème ne se pose de la même façon et dans les mêmes termes pour tous les groupes désavantagés. Ainsi, le sexe est une caractéristique figurant dans tous les fichiers et bilans sociaux des entreprises et collectivités, même si lexploitation des informations disponibles laisse à désirer et devrait être considérablement renforcée. Linformation est en revanche complètement ou partiellement manquante pour dautres critères, et en premier lieu sur lorigine des agents ou des candidats à lembauche. […] Plusieurs recherches ont été menées entre 2008 et 2010 sur légalité dans lemploi public : suivi dune cohorte de candidats aux concours des IRA ; études sur la composition des effectifs et le déroulement de carrière à la Ville de Nantes (Eberhard, Meurs, Simon, 2008) ; études sur les carrières au ministère de lIntérieur (Heran, Meurs, 2009) et dans laudiovisuel public – RadioFrance, France2, France3 et RFO (Meurs, 2009). Cette dernière enquête avait été commandée par la Halde dans le cadre de la loi égalité des chances. » ([18]) 

Si la loi prohibe la réalisation de toute statistique ethnique, rien ne justifie, en revanche, qu’il soit impossible de mesurer les trajectoires professionnelles des descendants d’immigrés ou des personnes issues, par exemple, de milieux ruraux, pour identifier des difficultés structurelles. La définition de groupes sociaux selon certaines caractéristiques à des fins scientifiques pour mesurer l’effet d’une variable sur un processus de sélection est tout à fait légitime. Cela permet un diagnostic et la découverte de solutions. Cela n’emporte pas de nécessité de reconnaître des droits spécifiques à ces groupes par la suite, suivant un modèle communautariste.

c.   Un manque d’effectivité du droit de la non-discrimination

Selon M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, le droit de la non‑discrimination se caractérise encore par un manque d’effectivité, en dépit des réformes législatives adoptées dans les années 2000 qui n’ont pas eu les résultats escomptés. « Linstrument juridictionnel nest manifestement pas appréhendé par les citoyens. Fin 2015, un rapport parlementaire a démontré que la loi sur le harcèlement sexuel nétait pas du tout utilisée. Les parquets se saisissent peu des dispositions en matière pénale. »

En tout état de cause, le suivi des condamnations prononcées ne permet pas de prendre en compte les litiges réglés par des mécanismes précontentieux.

II.   Discriminations dans les forces armées : état des lieux

La plupart des personnes entendues par la mission d’information considèrent que l’« écosystème militaire » est en lui-même un puissant facteur d’intégration et d’égalité. Toutefois, l’existence de discriminations est des plus vraisemblables ; la population des militaires étant le reflet de la société, il serait étonnant qu’elle ne partage pas les préjugés qui sont ceux du reste de la société civile, comme l’a souligné le président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM). ([19]) Enfin, les forces armées ont mis en place des dispositifs, ce qui confirme l’existence de problèmes à traiter.

A.   L’état militaire, un état singulier mais pas hors normes

Définie par la loi ([20]), en application de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la mission de l’armée de la République ([21]) est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la Patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. Cette mission particulière fait de l’état militaire un état singulier. Les différences entre les militaires et leurs concitoyens doivent cependant être dûment justifiées et proportionnées.

1.   Des droits et libertés restreints proportionnellement au principe de libre disposition de la force armée

Pour remplir leur mission, les hommes et les femmes constituant l’armée de la République, et formant la fonction militaire, ont besoin d’un cadre juridique particulier garantissant la disponibilité de la force armée, le loyalisme et l’obéissance des militaires au Gouvernement, quel que soit leur grade et leur emploi. Le Conseil constitutionnel a ainsi dégagé le principe constitutionnel de nécessaire libre disposition de la force armée ([22]), qui implique « que lexercice par les militaires de certains droits et libertés reconnus aux citoyens soit interdit ou restreint ». ([23]) Les militaires jouissent donc de tous les droits reconnus aux citoyens sauf ceux qui sont exclus ou restreints expressément. « Ces énoncés sont évidemment le fruit dune construction historique. Cela ne veut pas dire quils seraient datés, désuets ou inopérants », a souligné le président du HCECM au cours de son audition par la mission d’information. ([24])

Le loyalisme, énoncé au deuxième alinéa de l’article L. 4111-1 du code de la défense, n’est pas la simple loyauté. Il en résulte que les militaires ne sont pas une catégorie particulière de la fonction publique. Les militaires en activité ont par exemple l’interdiction d’adhérer à des partis politiques ou à des groupements professionnels à caractère syndical, n’ont pas le droit de grève et sont soumis à des règles d’éligibilité ou d’incompatibilité électorales particulières. Ces restrictions n’ont pas été remises en cause dans leur principe par le Conseil constitutionnel à l’occasion de sa décision du 28 novembre 2014, qui a cependant censuré l’interdiction totale d’exercice d’un mandat électoral ou d’une fonction élective par un militaire en activité, cette interdiction excédant manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l’électeur ou l’indépendance de l’élu contre les risques de confusion ou de conflits d’intérêts.

En censurant deux dispositions du code électoral, le Conseil constitutionnel a ainsi demandé de mieux concilier les nécessaires restrictions des droits politiques des militaires découlant du principe de nécessaire libre disposition de la force armée avec l’article 6 de la Déclaration de 1789.

L’article 33 de la loi n° 2018‑607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense a alors ouvert aux militaires la possibilité, à compter du 1er janvier 2020, d’exercer un mandat de conseiller municipal dans les communes de moins de 9 000 habitants et mandat de conseiller communautaire dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant moins de 25 000 habitants, tout en restant en position d’activité.

2.   Des critères de sélection et de gestion particuliers

Aux termes de l’article L. 3211‑2, la mission des armées est de préparer la défense de la Patrie et des intérêts supérieurs de la Nation par la force des armes. Les armées ont bien une mission de combat, y compris de haute intensité conformément à la politique de défense et aux engagements internationaux de la France.

a.   Les impératifs du combat moderne

Les exigences du combat requièrent des militaires jeunes et aptes, notamment, à supporter les contraintes physiques auxquelles les combattants sont exposés. Cela conduit à ce que des conditions daptitudes physiques soient exigées (article L. 4132-1 du code de la défense), que des limites d’âge ([25]) ou de

durée de service ([26]) soient posées, même si l’on peut devenir militaire dès 17 ans (article L. 4132-1). De fait, la moyenne d’âge des militaires était de 34,2 ans en 2015 contre 43,3 ans parmi les agents civils de la fonction publique de l’État. ([27]) Cet impératif de jeunesse impose un renouvellement important et permanent des forces vives opérationnelles et de leur environnement immédiat. Les exigences physiques attendues d’un soldat conduisent de ce fait à écarter 23 % des candidats pour inaptitude (contre 17 % en 2011).

b.   La disponibilité en tout temps et tous lieux

Le Législateur, aussi bien en 1972 ([28]) qu’en 2005 ([29]), a rappelé que l’état militaire exigeait une disponibilité dans des proportions qui excèdent les nécessités de continuité du service public applicables aux autres fonctions publiques. Cette obligation de disponibilité en tout temps et en tous lieux peut avoir pour conséquences :

– une mobilité géographique imposée ;

– des absences à des dates ou pour des durées indéterminées ;

– une incompatibilité a priori avec un aménagement permanent du temps d’activité, comme le temps partiel ;

– la non application des normes générales relatives à la durée maximale du travail.

Comme l’ont décrit plusieurs rapports du HCECM, ces dispositions font peser une forte contrainte sur la vie personnelle des militaires, qui ouvre droit à des compensations sous la forme de primes ou de prestations diverses. Restent que certaines évolutions sociales, comme la généralisation de l’emploi du conjoint, accentuent la perception de la contrainte liée à l’obligation de disponibilité. Ainsi, aujourd’hui, 85 % des conjoints de militaires sont actifs, avec un taux de chômage légèrement plus élevé que la moyenne nationale pour ces derniers, à cause de la mobilité et des contraintes géographiques.

C’est pourquoi l’aménagement de la contrainte de disponibilité a donné lieu à l’adoption de dispositions innovantes à l’occasion de la dernière loi de programmation militaire ([30]), qui a créé un dispositif original d’aménagement du congé pour convenances personnelles pour faciliter la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, et du « Plan famille » du ministère des Armées. L’enjeu d’attractivité et de fidélisation encourage les réflexions en la matière.

Comme l’ont fait observer plusieurs personnes entendues par la mission d’information, l’obligation de disponibilité rend malaisée la reconnaissance, par les juridictions, d’une surcharge de travail ou de demandes exorbitantes, constitutives de harcèlement moral.

c.   Des restrictions et exceptions à l’égalité qui doivent être justifiées et proportionnées

L’égalité est un principe constitutionnel et un principe fondateur du statut auquel les militaires sont particulièrement attachés.

L’égalité fait l’objet de restrictions et dexceptions prévues par le statut, qui ont heureusement évolué depuis 1972 et qui doivent en effet être dûment justifiées et proportionnées. La professionnalisation de l’armée engagée en 1997 ([31]) et la suppression des quotas en 1998 ([32]) ont ainsi permis une féminisation progressive quoiqu’inégale des forces armées. Fin 2017, pour la première fois, quatre femmes ont été affectées dans un équipage de sous-marin nucléaire lanceur d’engin. En outre, depuis 2016, après une expérimentation conduite en 2015, les sous-officiers de gendarmerie féminins peuvent, sur la base du volontariat, rejoindre des unités de gendarmerie mobile. ([33]) Il n’existe ainsi plus aucune limite à l’emploi des femmes dans les forces armées, sauf dans la légion étrangère.

Proposition n° 1 : ouvrir le recrutement étranger aux femmes dans la légion étrangère

Dans le cadre de sa mission, le militaire peut avoir accès à des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l’accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale (article 413‑9 du code pénal). En application de l’article D. 4122-1 du code de la défense, le militaire doit respecter des règles de protection du secret. La diversité du recrutement peut par ailleurs être légitimement limitée par les enquêtes de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). De nombreuses fonctions nécessitent une habilitation « Confidentiel Défense ». Avoir un parent étranger ou vivant à l’étranger peut être un facteur de pressions, et à ce titre peut être rédhibitoire pour certaines fonctions. Le directeur du personnel de la marine (DPMM), a ainsi cité le cas d’un sous-marinier, capitaine de frégate, très bien noté, qui, du fait d’un avis réservé de la DRSD pour commander un sous-marin, se verra finalement proposer un autre poste, sans préjudice des responsabilités ultérieures qu’il serait en mesure d’occuper, y compris jusqu’aux postes sommitaux. ([34]) Comme l’a précisé le DPMM, le facteur déterminant en l’espèce n’est pas le grade, mais le besoin d’en connaître. Ainsi, le besoin d’en connaître d’un poste dirigeant peut être inférieur à celui de commandant de sous-marin. Ce n’est pas l’aptitude à servir qui est visée par l’avis de la DRSD, c’est l’habilitation à accéder à certaines informations. En l’occurrence, la carrière de ce marin devra être réorganisée.

3.   Un environnement spécifique

L’état militaire est constitué non seulement d’un statut et d’un ensemble de contraintes et de compensations, c’est-à-dire de la condition militaire, mais aussi d’un rapport particulier à la vie et à la mort, d’une expérience particulière du rapport à autrui et d’un métier qui consiste peut-être davantage à se préparer à des éventualités plutôt qu’à produire un bien ou un service précis, attendu, défini.

a.   Une mission particulière

Le militaire se prépare « mentalement et physiquement au combat » (article D. 4122-1 du code de la défense). Le législateur, aussi bien en 1972 qu’en 2005, a en effet rappelé que l’état militaire exigeait en toutes circonstances esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême (article L. 4111­‑1 du code de la défense). Comme l’a souligné le général de corps d’armée Frédéric Hingray, directeur des ressources humaines de l’armée de terre, « le soldat côtoie la mort dans un rapport particulier, étant amené à la donner et à la recevoir. Il le perçoit assez vite. Il se doit de rester fort face à cette perspective. » ([35]) Un réseau de psychologues, de référents formés à des techniques d’optimisation du potentiel personnel, entoure ainsi les soldats.

La fonction militaire repose sur un principe méritocratique. Toutes les responsabilités sont accessibles aux individus qui remplissent les conditions d’aptitude physique et de compétence pour les exercer, sans autre distinction. Comme l’a bien souligné le président du HCECM, M. Bernard Pêcheur, au cours de son audition, la discrimination positive pourrait poser des problèmes de légitimité, en particulier au combat. ([36])

Ce principe méritocratique se traduit aussi dans les modalités d’accès aux postes d’officiers supérieurs. Tous les officiers supérieurs et généraux doivent commencer leur carrière au premier grade d’officier. En conséquence, une décision prise aujourd’hui en matière de recrutement d’officier ne sera visible que vingt ans plus tard parmi les officiers supérieurs. Concrètement cela signifie que l’ouverture de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr aux femmes en 1983 n’a été visible qu’à partir de 2013 parmi les officiers généraux. Les premières femmes ne sont montées à bord de bâtiments militaires qu’en 1993, année qui a également vu l’admission des premières femmes à l’École navale. Cette féminisation tardive n’a donc des conséquences visibles sur les grades supérieurs que depuis une date récente. Elles restent, en tout état de cause, limitées.

b.   La vie en collectivité dans un milieu clos

Conformément au principe constitutionnel de libre disposition de la force armée, de nombreux militaires vivent en collectivité, afin de garantir leur disponibilité et leur niveau de préparation. Ces sujétions ouvrent droit à un hébergement gratuit ou à un logement à tarif préférentiel.

Le quotidien des militaires est donc encadré par des règles de vie et de discipline communes. Dans l’armée de terre, en particulier, chaque militaire est soumis au code du soldat (l’équivalent dans la gendarmerie est la charte du gendarme, tandis que la marine et l’armée de l’air n’ont pas de référence commune formalisée). Chaque nouvelle recrue doit le connaître, le réciter au cours d’une cérémonie de présentation au drapeau et surtout l’appliquer au quotidien. Un des articles indique que « le soldat est ouvert sur le monde et la société et en respecte les différences ». Comme l’a fait remarquer le général de corps d’armée Frédéric Hingray, directeur des ressources humaines de l’armée de terre, l’attitude du soldat n’est pas seulement un enjeu pour la cohésion ; c’est limage de la nation française qui est projetée. ([37])

En application de l’article L. 4121‑2 du code de la défense, « les opinions et croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées quen dehors du service et avec la réserve exigée par létat militaire. » La République est cependant garante du respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Cela implique une égalité de traitement entre croyant et non-croyant mais aussi le devoir, pour les pouvoirs publics, de garantir la possibilité dune pratique religieuse dans les environnements contraints que sont les établissements pénitentiaires, les établissements hospitaliers, les internats, et dans les armées.

Le ministère des Armées garantit ainsi le libre exercice des cultes des militaires suivant un modèle spécifique, celui des aumôneries des armées. Les aumôniers militaires relèvent de l’état-major des armées (EMA) et ne sont pas hiérarchisés. En vertu du principe dit « du grade miroir », l’aumônier est ainsi réputé avoir le même grade que son interlocuteur militaire. Au sein des armées françaises, il existe des aumôneries avec une organisation confessionnelle catholique, protestante, israélite depuis 1874 et musulmane depuis 2005.

L’origine des aumôneries des armées

Après l’adoption de la loi de 1872 qui instaura la conscription universelle, la loi des 20 mai ‑ 3 juin 1874 institua une aumônerie militaire permanente, présentée comme son corollaire. En 1876, elle fut remise en cause par les républicains nouvellement élus à la Chambre, qui n’eurent toutefois pas le temps de faire adopter une loi d’abrogation avant la crise du 16 mai 1877. Après trois années de crise institutionnelle, le texte finalement adopté le 8 juillet 1880 abrogea les aumôneries militaires tout en prévoyant d’attacher des ministres des différents cultes aux camps, forts détachés et garnisons situés à plus de trois kilomètres d’un lieu de culte civil et comptant un effectif d’au moins 2 000 hommes, ainsi qu’aux hôpitaux et pénitenciers militaires, aux armées, corps d’armée et divisions en campagne. Voulant éviter la constitution d’un service religieux autonome qui pourrait être un ferment de cléricalisme au sein des armées, le législateur a exclu toute distinction hiérarchique entre les ecclésiastiques et prévu que les aumôniers soient recrutés selon des critères fixés par la puissance publique. La loi de 1880 se présentait ainsi comme un compromis entre le principe de neutralité de l’État et la liberté religieuse reconnue individuellement aux soldats isolés ou mobilisés. Par la suite, l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 reconnut l’existence de services d’aumônerie, exceptions facultatives au principe de laïcité, en permettant aux collectivités publiques de les financer.

Historiquement liée à la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003, la reconnaissance, certes tardive, d’une aumônerie musulmane a permis de pallier une inégalité de traitement des cultes. Un document ([38]) publié par le ministère des Armées et la direction générale des relations internationales et de la stratégie de novembre 2017 affirme que la France compte aujourd’hui davantage d’aumôniers musulmans que l’ensemble des pays de l’Alliance atlantique réunis.

Le modèle français d’aumôneries militaires se distingue du modèle américain dans lequel tous les cultes sont insérés dans une seule aumônerie sous une direction unique. Un aumônier américain peut donc avoir été accrédité par une organisation bouddhiste et avoir un supérieur hiérarchique appartenant à un autre culte. Toutefois, chaque aumônier militaire français assure les mêmes missions au profit de tous les militaires : le soutien spirituel et moral des combattants, le conseil au commandement, en particulier sur les questions religieuses, le soutien cultuel et la fonction sacramentelle, le cas échéant. Un aumônier d’un culte en particulier n’est ainsi pas l’aumônier des militaires de ce culte ; il est l’aumônier de tous les militaires.

Les militaires ont enfin la possibilité de se conformer à des prescriptions religieuses alimentaires et peuvent bénéficier de rations sans porc voire, dans la mesure du possible, certifiées halal ou casher.

c.   L’uniformité et le devoir d’obéissance

En application de l’article L. 4122‑1 du code de la défense, « les militaires doivent obéissance aux ordres de leurs supérieurs et sont responsables de lexécution des missions qui leur sont confiées. » Le chef militaire prend des décisions et les exprime par des ordres. Le subordonné exécute loyalement les ordres qu’il reçoit. Aux termes de l’article D. 4122‑3 du code de la défense, « il cherche à faire preuve dinitiative réfléchie et doit se pénétrer de lesprit comme de la lettre des ordres ». Il a aussi « le devoir de rendre compte » et « ne doit pas exécuter un ordre prescrivant daccomplir un acte manifestement illégal ou contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés et aux conventions internationales en vigueur. »

Ce devoir dobéissance fait naître une responsabilité particulière du commandement à l’égard de ses subordonnés (voir infra). Le code de justice militaire prévoit d’ailleurs un « outrage à subordonné » (articles L. 323-19 et suivants), une protection qui n’a pas d’équivalent dans le monde civil. De même, l’État est tenu de protéger les militaires contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l’objet à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (protection fonctionnelle). La loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a par ailleurs transposé dans le code de la défense les dispositions relatives au harcèlement sexuel et moral applicables aux fonctionnaires (articles L. 4123‑10‑1 et suivant du code de la défense).

Corollaire de la vie en collectivité et du devoir d’obéissance, la discipline garantit la réussite de la mission. Elle est mise en œuvre par une hiérarchie. Les chefs tirent leur légitimité d’un parcours complet passé dans les forces, qui leur confère expérience opérationnelle, vécu commun et crédibilité. Des parcours professionnels dynamiques avec une promotion interne qui valorise l’expérience acquise et les compétences permettent une progression dans cette hiérarchie.

Les militaires portent un uniforme durant leurs heures de service. « Peu importe lorigine, la religion, la couleur de peau : tous les gendarmes portent le même uniforme », a souligné le général Renaud, directeur du personnel militaire de la gendarmerie nationale (DPMGN). « Cest un élément fédérateur, avec la laïcité. » ([39]) Cet uniforme s’accompagne d’un protocole et d’un cérémonial, corollaires de la discipline, qui font aussi la spécificité de l’état militaire (le salut, les règles de présentation, l’ordre serré, etc.). Certaines personnes entendues par la mission ont aussi souligné leur fort pouvoir d’intégration. Comme l’a relevé un encadrant militaire à l’École d’enseignement technique de l’armée de l’air (EETAA) : « les codes militaires sont enseignés, eux, au contraire de la plupart des codes sociaux qui créent des distinctions subreptices ». ([40])

d.   Une formation permanente

Une dernière caractéristique soulignée au cours des travaux de la mission d’information réside dans la formation permanente dont bénéficient les militaires. À cet égard, le général de corps d’armée Bruno Paccagnini, sous-chef Performance de l’état-major des armées a employé l’image d’une « machine à former ». ([41]) « Essentiellement pratique, devant sadapter en permanence (notamment aux évolutions technologiques), sans équivalent sur le marché du travail, caractérisée par une dimension collective essentielle, la formation aux métiers des armes est dense et régulière », a-t-il souligné. Cette capacité à organiser des formations, à transmettre des valeurs et des savoir-faire est directement liée au modèle de flux induit par l’impératif de jeunesse précédemment décrit. Cette « machine à former » nécessite un encadrement compétent et expérimenté. Selon la délégation du CSFM entendue par la mission d’information ([42]), la professionnalisation a eu pour conséquence que les personnels sont aujourd’hui mieux formés.

B.   Des dispositifs de lutte contre les discriminations qui s’étoffent mais sans être évalués

Dans le cadre précédemment décrit, des dispositifs de lutte contre les discriminations ont été créés pour s’aligner sur les dispositifs en vigueur dans le reste de la fonction publique et pour répondre à des problématiques mises en évidence par plusieurs rapports relatifs à la condition militaire.

1.   Des dispositifs anciens et propres au monde militaire

Avant même la transposition de plans nationaux, les forces armées ont développé une grande expertise dans la production de cohésion, cette dernière étant une nécessité opérationnelle absolue. Comme l’ont souligné maintes personnes entendues par la mission d’information, les mécanismes traditionnels régissant les relations entre militaires constituent déjà en eux-mêmes des dispositifs de prévention des discriminations.

a.   Le rôle particulier du commandement

Comme indiqué précédemment, le devoir d’obéissance des militaires a pour corollaire une responsabilité exorbitante du chef militaire, prévue et organisée par les articles D. 4122‑1 et suivants du code de la défense. Le chef militaire « respecte les droits des subordonnés », « récompense les mérites ou sanctionne les fautes » et « porte attention aux préoccupations personnelles des subordonnées et à leurs conditions matérielles de vie ; il veille à leurs intérêts et, quand il est nécessaire, en saisit lautorité compétente ». En outre, il « veille à la formation et à la préparation de ses subordonnés ».

Au-delà du « devoir de rendre compte », les militaires ont aussi un « droit au rapport hiérarchique », c’est-à-dire qu’ils peuvent obtenir un rendez-vous formel avec leur « n+2 ». Cette procédure n’a été formalisée que dans l’armée de terre et relève d’une pratique informelle dans les autres forces armées.

Tous les militaires entendus dans le cadre de la mission d’information ont insisté sur le caractère essentiel de cette relation, qui est le corollaire de l’autorité du chef militaire. Les états-majors sont ainsi particulièrement soucieux de conserver des leviers de gestion, de récompense et de sanction de leurs subordonnés, garants de cette relation d’autorité.  

b.   Les représentants de catégorie

Aux termes de l’article D. 4121‑3 du code de la défense, les militaires participent à la prise des décisions relatives à la vie courante de leur formation par l’intermédiaire de commissions dont les membres sont désignés dans les conditions fixées par arrêté du ministre de la Défense et, pour la gendarmerie nationale, du ministre de l’Intérieur. Élus par leurs pairs (officiers, sous-officier, militaires du rang), ces présidents de catégorie traitent des questions relatives aux personnels. Leur rôle s’exerce dans les domaines professionnel, social et moral.

c.   Les « capteurs » du moral

Outre les représentants de catégorie, le commandement peut utilement s’appuyer sur les militaires des chaînes spécialisées, considérés comme des « capteurs » du moral. Les médecins du service de santé des armées – qui jouent entre autres rôles celui de la médecine du travail –, les assistants sociaux du ministère des Armées et les aumôniers militaires ont été cités par la plupart des interlocuteurs de la mission d’information comme des relais indispensables pour détecter des « signaux faibles » et avoir connaissance de situations de souffrance au travail. Ces personnels sont tous tenus à une obligation de discrétion. En visite dans plusieurs emprises du ministère des Armées, les rapporteurs ont pu constater combien ces professionnels étaient impliqués dans la résolution des difficultés.

Le médecin militaire doit pour sa part concilier ses deux rôles dans les cas de discriminations. Il est à la fois le médecin généraliste et de prévention du militaire, et le conseiller du commandement qui doit lancer l’alerte chaque fois qu’un faisceau de preuves médicales rend nécessaire la prise de mesures pour préserver la cohésion et la capacité opérationnelle des forces que certaines situations de discrimination peuvent dégrader. « Cela est toujours réalisé dans le strict respect du secret médical, bien sûr, qui demeure absolu », a souligné la directrice centrale du service de santé des armées. « En matière de discrimination, laction du SSA est donc menée dans le meilleur intérêt du patient et en préservant le secret médical. » ([43])

Enfin, dans les lycées de la défense et les écoles militaires, le personnel enseignant, civil, observe aussi les rapports entre élèves.

Bien que le commandement s’appuie volontiers sur les « capteurs du moral », il semble qu’aucune directive n’organise leur réunion régulière autour de problématiques de discrimination ou de souffrance au travail et que les échanges demeurent informels. En visite dans des écoles, des lycées ou des formations militaires, les rapporteurs ont eu le sentiment que la pratique pouvait varier mais que de telles réunions suscitaient l’adhésion des personnels concernés. Les aumôniers ont par exemple reconnu n’être que peu formés à l’égard des risques psycho-sociaux et des discriminations quand les médecins du SSA ont admis n’avoir que des contacts informels avec les référents Mixité.

d.   Les inspections

Chaque chef d’état-major d’armée (CEM) a autorité sur une inspection placée sous la responsabilité d’un officier général et composée presque exclusivement de militaires, majoritairement des officiers. Outils de contrôle, de conseil et de concertation, ces inspections s’assurent que les ordres, directives et orientations des CEM sont mises en œuvre et proposent des mesures d’amélioration. Elles peuvent recevoir des réclamations de la part des militaires appelées « saisines » (article D. 4121-2 du code de la défense).

Placée sous l’autorité du chef d’état-major des armées (CEMA), linspection des armées (IdA) remplit les mêmes missions sur un périmètre d’intervention qui couvre les opérations, les organismes interarmées et les groupements de soutien des bases de défense.

Enfin, le ministre peut avoir recours au collège des inspecteurs généraux darmées. Généraux d’armées, les six officiers généraux issus des trois armées, du service de santé des armées, de la gendarmerie nationale (DDGN) et de la direction générale de l’armement (DGA) agissent individuellement ou collectivement suivant les directives du ministre. Ils portent le titre d’inspecteurs généraux des armées et possèdent un droit d’inspection général et permanent sur l’ensemble des forces et services de leur armée d’appartenance. Ils reçoivent les rapports d’inspection établis par les inspecteurs de leur armée d’appartenance. Individuellement, ils sont une instance de recours (article D. 3124‑12 du code de la défense) pour les militaires de leur armée et doivent être consultés sur la politique de gestion et sur les mesures individuelles intéressant les officiers généraux de leur armée.

e.   Le contrôle général des armées

Le contrôle général des armées (CGA) est le corps dinspection générale et de contrôle à la disposition du ministre de la Défense, à l’instar de corps d’inspection comme l’inspection générale de l’administration, l’inspection générale des finances ou l’inspection générale des affaires sociales dans d’autres ministères. Il vérifie, dans tous les organismes soumis à l’autorité du ministère ou à sa tutelle, l’observation des lois, règlements et instructions ministérielles, ainsi que l’opportunité des décisions et l’efficacité des résultats au regard des objectifs fixés et du bon emploi des deniers publics. Il veille au respect des droits des personnes et aux intérêts de l’État (article D. 3123‑1 du code de la défense).

Les membres du contrôle général jouissent d’une indépendance totale à l’égard de la hiérarchie militaire (article D. 3123‑3 du code de la défense) mais restent sous l’autorité du ministre. Le CGA est composé pour moitié de personnels militaires, très majoritairement des officiers, et pour moitié de personnels civils.

2.   Un foisonnement d’initiatives depuis 2014

À ces mécanismes traditionnels et bien établis de lutte contre les discriminations s’ajoutent depuis 2007, et surtout depuis 2014, de nouveaux dispositifs dont la création fait généralement suite à une crise ayant eu de fortes répercussions médiatiques. Ces nouveaux dispositifs, récents, n’ont, pour la plupart, pas été évalués.

a.   Une politique active en faveur de « l’égalité des chances » cependant non évaluée

En 2007, deux ans après les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues françaises, le ministre de la Défense Hervé Morin avait ouvertement posé la question : « Où est le Colin Powell français ? », faisant ainsi allusion au chef d’état-major de l’armée américaine, d’origine jamaïcaine, nommé à ce poste en 1989. En 2008, le ministère de la Défense avait ainsi lancé un « plan d’égalité des chances » qui regroupait plutôt des dispositifs favorisant le lien entre la jeunesse et les armées : les classes défense et sécurité globale, les cadets de la défense, les réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté, le tutorat, les périodes militaires d’initiation et de perfectionnement, etc. Mais une des propositions consistait à « réserver 360 places dans les six lycées de la défense à des élèves sélectionnés sur critères sociaux » tout en créant des classes préparatoires à l’enseignement supérieur (CPES) offrant 120 places à des élèves issus de milieux défavorisés pour leur permettre de préparer les concours des grandes écoles militaires.

Renouvelé en 2016, le plan « Égalité des chances » piloté par la direction du service national et de la jeunesse, concerne aujourd’hui plus de 35 000 jeunes. Les lycées de la défense ont été ouverts aux jeunes boursiers. Des classes de défense et de sécurité globale (CDSG) ont été créées autour de partenariats entre une classe (en général, de collège) et une unité militaire d’active. Les « cadets de la défense », qui reposaient jusqu’alors sur des initiatives locales, ont acquis une reconnaissance nationale. Cette initiative facilite localement la mixité sociale par des contacts entre jeunes de 14 à 16 ans de milieux différents, à travers des activités sportives, éducatives, civiques et de découverte du monde de la défense.

Le tutorat s’est développé, conformément au programme interministériel « cordées de la réussite ». Il s’adresse à des lycéens motivés et à potentiel, mais dont la situation familiale et sociale pourrait limiter les possibilités d’accéder à l’enseignement supérieur. Les Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan ont ainsi développé des liens avec quatre établissements de l’académie de Rennes. Les élèves officiers jouent le rôle de tuteurs auprès de jeunes autour d’activités sportives et de projets liés aux relations internationales.

D’après les éléments de réponses obtenus par les rapporteurs, les résultats concrets de cette politique sur le recrutement militaire n’ont cependant jamais été mesurés.

b.   Un plan de prévention des risques psycho-sociaux

L’accord-cadre du 22 octobre 2013 relatif à la prévention des risques psycho-sociaux (RPS), qui engage les employeurs des trois versants de la fonction publique à mettre en place une démarche de prévention au sein de leurs services, mais aussi la circulaire du Premier ministre en date du 20 mars 2014 décrivant les principales étapes de la mise en œuvre du plan national de prévention des RPS, ont conduit, le 16 décembre 2014, le ministre de la Défense à donner ses orientations en matière de prévention et de traitement des RPS.

En 2013, a ainsi été instituée une cellule appelée Écoute Défense, dont la mission initiale était d’apporter un soutien médico-psychologique immédiat à tous les militaires exposés à des situations de stress et de traumatismes psychiques en service. La cellule offre aujourd’hui un service d’écoute médico-psychologique à tous ceux qui, militaires ou civils, sont confrontés à la difficulté d’exprimer leur souffrance ou sont témoins de la souffrance d’une personne de leur entourage familial, amical ou professionnel.

Le ministère de la Défense a édité en septembre 2016 un guide de prévention et de traitement des risques psycho-sociaux destiné principalement aux chefs d’organismes, à la chaîne hiérarchique, aux membres de l’équipe pluridisciplinaire ainsi qu’à l’ensemble des professionnels de la santé et de la sécurité au travail (psychologues, ergonomes, etc.). Il définit ce qu’est un RPS, les différents facteurs de RPS, la réglementation, comment prévenir les RPS et le traitement des situations.

c.   Le renforcement des instances de concertation

Créé par la loi n° 69-1044 du 21 novembre 1969, dont les dispositions ont depuis été codifiées à l’article L. 4124-1 du code de la défense, qui le définit comme « le cadre institutionnel dans lequel sont examinés les éléments constitutifs de la condition de lensemble des militaires », le Conseil supérieur de la fonction militaire a fait l’objet d’une profonde rénovation en 2015. Sa compétence, jusqu’alors concentrée sur le statut militaire, a été élargie à l’ensemble de la condition militaire. Le CSFM est désormais saisi pour avis de tous les textes, réglementaires et législatifs, modifiant le statut général des militaires. Enfin, les liens avec le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire ont été renforcés.

La loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la Défense a en outre instauré un droit d’association pour les militaires, sous la forme d’associations professionnelles nationales de militaires (APNM). La loi prévoit leur accès, sous condition de représentativité, à la concertation au niveau national, autrement dit au CSFM. Uniquement composée de militaires, l’objet d’une APNM est précis : préserver et promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire, terme défini dans le code de la défense.

Ceci ne devait pas altérer la place du commandement, les chefs étant les premiers représentants des militaires, responsables de veiller à leurs intérêts.

d.   Une politique volontariste mais récente de lutte contre le sexisme

Après la publication du livre La guerre invisible, de Leila Miñano et Julia Pascual, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a confié une enquête sur les faits de sexisme allégués au contrôle général des armées. ([44]) Le rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées établi le 4 avril 2014 par le contrôle général des armées et l’inspecteur général des armées – terre a constitué un tournant dans la prise en compte des phénomènes de harcèlement ou d’agressions sexuels. « La victime ne doit en aucun cas se retrouver seule », insistaient les rapporteurs, « elle doit être au centre des attentions et de la préoccupation première du commandement. Il en va de la crédibilité et de la responsabilité du ministère. » Les rapporteurs ont proposé un ensemble diversifié de mesures (voir annexe 1) comme la transposition dans le code de la défense des dispositions relatives au harcèlement sexuel et moral de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires ou encore la création d’une structure indépendante des hiérarchies pour accueillir les plaintes de victimes.

À la suite de ce rapport, le ministère de la Défense a mis en place le plan d’action contre les harcèlements, discriminations et violences d’ordre sexuel (HDV-S) et les outrages sexistes préconisé par le rapport précité (voir annexe 2). Il a conduit à la création de la cellule Thémis, du nom de la divinité grecque de la justice, le 21 juillet 2014.

Le contrôleur général des armées à la tête de cette cellule dirige trois rapporteurs ; deux hommes et une femme ; deux militaires et un personnel civil. Hors hiérarchie, la cellule relève directement de l’autorité du ministre. Elle peut être saisie par la victime alléguée, par un tiers relevant ou non du ministère des Armées, par la hiérarchie ou s’autosaisir sur la base d’un message EVENGRAVE (voir infra). La procédure n’a été formalisée que tardivement. Elle a dû en effet recevoir l’aval de l’ensemble des grands subordonnés du ministre, et notamment des chefs d’état-major. Ce processus a commencé en 2015 et la ministre des Armées Florence Parly a finalement signé l’instruction correspondante le 23 octobre 2018. ([45])

Environ 370 signalements de HDV-S ont été traités par la cellule Thémis depuis 2014. La moyenne annuelle est stable, entre 70 et 80 signalements pour l’ensemble du ministère, entre 58 et 68 signalements juste pour la population militaire. L’évolution du nombre de saisines de Thémis reste donc linéaire, alors que le nombre d’appels à la cellule Écoute Défense augmente continûment depuis sa création, en 2013. Les rapporteurs estiment que cela manifeste un défaut d’appropriation du dispositif Thémis, qui aurait logiquement dû connaître une hausse des signalements avant, éventuellement, une stabilisation. Ce constat est étayé par le faible niveau de connaissance que les militaires manifestent à propos de la cellule Thémis, cinq ans après sa création.

Évolution comparée des appels enregistrés par Écoute Défense et des dossiers ouverts par la cellule thémis

(en nombre d’appels / de dossiers ouverts)

Note de lecture : la courbe qui décrit l’évolution du nombre de signalements à Thémis reste plate entre 2014 et 2018 alors qu’elle devrait connaître une hausse avant, éventuellement, une réduction ou une stabilisation, comme la courbe des appels à Écoute défense, dispositif créé une année auparavant.

Source : Bilan année 2017 de la cellule Écoute Défense, Service de santé des armées et données Thémis.

Ont également été édictées de nouvelles normes de gestion de la mixité dans les locaux d’hébergement : le personnel féminin doit pouvoir disposer de locaux sanitaires et de vestiaires séparés et sécurisés. À défaut et au minimum, un accès séparé des femmes aux douches et aux vestiaires communs doit être organisé. Des mesures ont été prises pour « éviter de créer des situations de promiscuité favorisant les risques de dérapage. » ([46]) L’augmentation du nombre de femmes parmi les cadres de contact a aussi été recommandée.

L’armée de terre a mis en place des référents « Mixité » dans chaque régiment, distincts des présidents de catégorie. Les choses sont pour l’instant « un peu moins formalisées dans les deux autres armées », a indiqué le sous-chef Performance de l’état‑major des armées. ([47]) En déplacement dans des emprises de l’armée de l’air ou de la marine, les rapporteurs ont toutefois systématiquement vu l’équivalent de référents Mixité.

e.   Un dispositif élargi dans la gendarmerie

En 2014, dans le cadre d’un plan d’action pour l’égalité professionnelle, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a créé une cellule appelée Stop­‑Discri au sein de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Il s’agissait – pour les personnels civils et militaires, quel que soit le grade – de pouvoir signaler des faits anormaux, qu’il s’agisse de discrimination, de violences ou de harcèlement moral ou sexuel, pour pallier un éventuel manque d’écoute de la hiérarchie, parce que celle-ci serait fautive ou parce que le personnel n’aurait pas osé s’ouvrir à sa hiérarchie, en particulier dans le cas du harcèlement sexuel. Outre les personnels concernés, des camarades et des proches peuvent faire des signalements à Stop-Discri. La cellule est composée de six personnels, de tous grades. L’effectif, déjà bien supérieur à celui de la cellule Thémis du ministère des Armées, devrait prochainement être porté à sept, voire huit.

Le dispositif de la gendarmerie est exemplaire en ce qu’il a associé la lutte contre les discriminations à la couverture des risques psycho-sociaux, et aussi parce que le réseau de référents déployés sur l’ensemble du territoire a d’emblée visé l’ensemble des discriminations, et pas uniquement le sexisme.  

Outre les assistantes sociales, les médecins militaires, les membres de la chaîne de concertation, la gendarmerie projette des psychologues cliniciens dans les groupements, au contact des unités. Un réseau Égalité & diversité (RED) a été mis en place. Le réseau compte 175 RED : 83 % sont des sous-officiers et 17 % des officiers ; 58 % sont des femmes et 42 % des hommes. Ils sont animés au niveau national par une colonelle, qui a suivi une formation complémentaire de deux jours. Un réseau de communication dédié leur permet d’échanger sur les bonnes pratiques. 82 % des membres de ce réseau sont par ailleurs des membres des instances de concertation.

Cette politique s’accompagne d’une politique de formation, initiale et continue. En formation initiale, l’éthique, le discernement, la déontologie et les compétences relationnelles sont particulièrement cultivées. Le volet « Libertés publiques et droits fondamentaux » est présenté dès le début de la formation afin de susciter l’acquisition de bons réflexes, nécessaires dans les situations d’urgence auxquelles les gendarmes peuvent être confrontés. De grands témoins interviennent régulièrement aux côtés d’associations de lutte contre les discriminations comme SOS homophobie, Flag!, la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), l’association d’aide aux parents d’enfants victimes (APEV) ou la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme dans les formations. Cette démarche serait particulièrement appréciée. Perçue comme un signe d’ouverture, elle contribuerait à donner des clés de compréhension aux gendarmes.

La gendarmerie veille à compléter cette formation initiale tout au long de la carrière. Avant une prise de commandement, une formation d’environ quinze jours permet de faire « quelques piqûres de rappel ». ([48]) C’est la direction du personnel militaire de la gendarmerie nationale qui choisit les thèmes de ces piqûres de rappel, en fonction des besoins et des évolutions de la société.

Des dépliants sont aussi envoyés avec le bulletin de solde sur les risques psycho-sociaux ou de discrimination.

C.   Un diagnostic encore incomplet

Comme au niveau national, les données manquent pour évaluer précisément la prévalence des discriminations. Pourtant, réaliser ce diagnostic ne paraît pas hors de portée.

1.   Une cartographie des risques psycho-sociaux informelle

À la fonction militaire sont associés des risques psycho-sociaux spécifiques, bien appréhendés par les militaires, mais qui n’ont apparemment jamais été formalisés ou, à tout le moins, qui n’ont jamais fait l’objet d’une publication.  

a.   Des risques inhérents à la condition militaire

Les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire ont souligné les conditions dégradées dans lesquelles les militaires sont amenées à opérer (fatigue, stress, promiscuité, travail en horaires atypiques, exigences de la mission). « Il sagit dune caractéristique du métier militaire susceptible daccentuer les tensions interpersonnelles, générant ainsi, parmi dautres comportements, des attitudes discriminatoires, avec dimportances variations » ([49]), ont-ils expliqué.

De toute évidence, les standards de confort et la promiscuité ne sont pas les mêmes en opérations et en temps de paix, en casernement ou sur un bâtiment de la marine nationale. Mais la faible distinction entre la vie personnelle et la vie professionnelle, d’une part, et le devoir d’obéissance, d’autre part, sont des marqueurs de la condition militaire, qui peuvent constituer des facteurs aggravants. A également été soulignée la visibilité plus forte de la pratique religieuse en opérations du fait de labsence de coupure entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

La délégation du CSFM a également évoqué des débordements pouvant être liés à leffet de groupe, ainsi que le silence de victimes lié à la peur d’être exclu du groupe et enfin, des mesures de déplacement ou mutation conservatoires, justifiées par la nécessité pour le commandement de garantir le succès de la mission coûte que coûte.

Le président du HCECM a évoqué les difficultés de fidélisation, qui se manifestent notamment par un taux d’attrition de 25 % six mois après l’engagement. ([50]) Si l’armée de terre est plus sensible que les autres armées à cette dynamique, la marine et l’armée de l’air sont quant à elles plus affectées par le non-renouvellement des contrats initiaux des militaires du rang : deux tiers des fusiliers de l’air ne renouvellent pas leur contrat, en raison du caractère routinier de la mission. Ailleurs, le taux de renouvellement est d’environ 70 %. Ces difficultés de fidélisation renforcent le rythme de renouvellement des effectifs, ou « turn over », déjà induit par l’impératif de jeunesse des forces armées. Il en résulte que leffort de formation et de sensibilisation à l’égard des discriminations ou des risques psycho-sociaux doit être plus intense que dans d’autres milieux professionnels.

b.   Des risques différents selon les forces armées ou les catégories de personnels

Comme l’ont souligné les représentants du CSFM, l’importante diversité des forces armées et formations rattachées impose une approche différenciée par armée et par secteur dactivité pour éviter des idées reçues et des généralités. Les armées, armes ou unités sont en effet inégalement féminisées ou dotées en effectifs. Par exemple, la présence de femmes au sein des armées est plus ou moins importante selon les services ou les unités, et leur arrivée plus ou moins récente. Elles ont par ailleurs des cultures professionnelles différentes.

Les rapporteurs observent ainsi que certains facteurs de risques sont plus présents dans certaines armées ou spécialités. Ainsi, la gendarmerie paraît consciente des risques psycho-sociaux particuliers auxquels faire face, du fait de la dispersion des gendarmes sur le territoire national et de leffacement entre la vie professionnelle et la vie privée qu’induit la vie en caserne. La marine a naturellement développé une expertise sur la vie en commun dans des espaces confinés et la gestion de la promiscuité. À l’« esprit d’équipage » s’ajoutent des règles originales de gestion du collectif en milieu fermé et de respect de l’intimité d’autrui. La marine prend aussi en compte les risques propres à lisolement, qui caractérise les personnels des sémaphores. L’armée de terre a quant à elle une riche expérience de gestion de la diversité sociale et culturelle. Comme l’ont souligné les sociologues entendus par la mission d’information, « larmée de terre est celle qui ferait preuve du plus grand attachement aux valeurs républicaines. Se qualifiant volontiers de deuxième employeur de France, pourvoyeur de deuxièmes chances, elle se veut à limage de la Nation et fidèle aux valeurs de la France. Cette volonté sexprime dans son recrutement de militaires du rang de toutes origines. » ([51]) L’armée de l’air est sans doute celle des trois armées qui présente le moins de risques spécifiques, même si elle dispose aussi d’une expertise dans la construction d’un esprit d’équipe.

En outre, il ressort des travaux de la mission d’information qu’une plus grande vigilance est nécessaire à l’égard des personnels sous statut « fragile ». Selon le rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées de 2014 précité, « les militaires du rang présentent une plus grande vulnérabilité que les autres ». « Le grade, voire la spécialité, protège, à la fois en créant une distance et en offrant au personnel visé une meilleure capacité de réaction. » À cet égard, le général Jean-Marc Loubès commandant de la région de gendarmerie d’Île-de-France au moment de son audition, a fait part de la particulière attention qu’il portait aux gendarmes adjoints volontaires (GAV), qui ont entre 18 et 30 ans, sont employés sous contrat court, et qui constituent une population fragile par définition. Les deux populations « qui sont plutôt la cible des discriminations quand il y en a, ce sont les jeunes femmes ou les jeunes à statut fragile » ([52]), a-t-il confirmé. Dans le même ordre d’idées, il convient d’être particulièrement attentif à tous les jeunes contractuels des forces armées, y compris les légionnaires, dont le statut plus précaire ne favorise pas l’expression de difficultés.

Enfin, les rapporteurs ont le sentiment que certains élèves ou personnels ultramarins qui ont gardé des attaches fortes dans les territoires d’outre-mer sont sujets à des risques particuliers, du fait de léloignement de leurs proches. Les armées permettent bien entendu l’accumulation des droits à congés pour permettre des séjours plus longs outre-mer. Mais cette facilité peut aussi amener des élèves ou des personnels originaires des outremers à rester seuls le week-end ou pendant des permissions, ou à ne pas se reposer suffisamment. Le commandement en est conscient et est vigilant à cet égard. Les rapporteurs ont constaté que leurs camarades prenaient parfois d’heureuses initiatives consistant à les inviter pendant les week-ends.

c.   Des risques propres aux établissements d’enseignement

Les écoles militaires et lycées de la défense présentent des risques spécifiques communs à tout établissement d’enseignement ou accueillant des jeunes. Ils se caractérisent en effet par un stress important, lié à l’objectif de réussir un cursus ou un concours. Dans ce dernier cas, le stress peut être accentué par l’émulation avec les autres élèves.

Il convient ainsi de distinguer les risques qui concernent les élèves des lycées militaires avant le bac de ceux qui concernent les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles militaires et les élèves des écoles militaires. Pour les premiers, l’esprit de corps peut inciter au conformisme et nourrir des effets de groupe. Selon les professionnels du lycée militaire de Saint-Cyr l’École ([53]), l’adolescence suscite le besoin de transgresser des interdits, de se confronter à l’autorité, de vivre en bande avec des rituels pour marquer une rupture avec le passé, ou encore de s’isoler. Une hypersensibilité peut apparaître, en lien avec la puberté, ainsi que des troubles alimentaires. C’est aussi l’âge de conduites à risques qui peuvent donner lieu à des addictions.

Le taux d’encadrement généralement élevé dans ces établissements est en revanche un facteur d’amélioration.

La réflexion faite par la délégation du CSFM à l’égard de la visibilité accrue de la pratique religieuse en opération du fait de la promiscuité peut vraisemblablement être transposée dans les établissements d’enseignement, où les élèves sont internes. En outre, la pratique religieuse semble plus élevée dans les lycées de la défense et les écoles militaires que dans le reste de la société. Ainsi, l’aumônier catholique de l’École des sous-officiers de Rochefort se félicitait que la pratique religieuse atteigne 9 à 10 % en moyenne dans l’établissement, contre 1 % au niveau national et 0,9 % en Charente-Maritime. ([54])

d.   Des risques conjoncturels

Une analyse des risques psycho-sociaux dans les armées ne peut omettre d’évoquer des risques conjoncturels. Les importantes déflations réalisées depuis 2008, même compensées à compter de 2015 par l’arrêt de ce mouvement, dans un contexte opérationnel intense ont nécessairement eu un impact sur les risques psycho-sociaux et les discriminations, qui n’est pas aujourd’hui mesuré.

Comme l’a démontré un rapport récent de notre collègue Thomas Gassilloud sur la préparation opérationnelle des forces terrestres ([55]), ce contexte réduit le temps consacré à la formation, en général. Le directeur du personnel militaire de la marine a confirmé que la durée de formation des marins avait été réduite d’un tiers en dix ans, du fait des contraintes budgétaires. ([56]) Avec ses moyens limités, la cellule Thémis ne dispense qu’une trentaine de formations par an pour l’ensemble du ministère. Le contrôleur général des armées Christian Giner ([57]) a déploré le manque de temps dont disposaient les armées pour ce type de formation, éloignées de leurs préoccupations opérationnelles.

Les rapporteurs observent que la contrainte budgétaire a également eu pour effet de retarder les travaux damélioration des infrastructures prévus.

Enfin, comme en atteste la dernière revue de la condition militaire du HCECM, les recrutements intenses réalisés depuis 2015 entraînent une baisse de la sélectivité, ce qui est à la fois positif – comme l’a souligné le directeur des ressources humaines de l’armée de terre, la discrimination à l’embauche n’est pas concevable, ne serait-ce qu’à cause des forts besoins de recrutement ([58]) – et constitue toutefois un risque pour la suite du parcours des jeunes recrues, attirées par tous les moyens dans ce métier si particulier.

En définitive, les rapporteurs n’ont rien vu qui s’apparente à une cartographie des risques et à des plans de prévention. Chaque état-major d’armées ayant toute latitude en la matière, il est vraisemblable que des démarches de prévention existent, sans reposer sur une même base harmonisée. Les inspecteurs des forces armées ont ainsi tous affirmé porter la plus grande attention aux facteurs susceptibles de porter atteinte à la cohésion. Outre les plans d’action propres à chaque état-major, des plans d’action ministériels imposent depuis 2014 aux inspecteurs de conduire des enquêtes régulières et ciblées sur certains établissements (les écoles, notamment), certains moments (les périodes d’intégration dans les écoles, les opérations) ou sur certains aspects, comme les HDV-S.

Proposition n° 2 : formaliser une cartographie des risques psycho-sociaux dans les armées

2.   Des données éparses qui permettraient pourtant de mesurer l’importance des phénomènes de discrimination

Le ministère des Armées dispose de nombreuses données sociologiques qui lui permettraient d’évaluer l’existence de biais discriminatoires dans les processus de sélection et de gestion. Si l’attention accordée à l’enjeu de la mixité a permis de multiplier les données sur l’égalité entre les femmes et les hommes, les statistiques qui permettraient de lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, liées à d’autres critères que le sexe ne sont pas publiées, ni exploitées dans ce but.

a.   Des données satisfaisantes sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

La politique de facilitation et de développement de la mixité dans les armées peut s’appuyer sur des données collectées en grand nombre, qui offrent un diagnostic complet et facilitent la découverte de leviers d’action qui bénéficient à tous les militaires, conformément à l’approche promue notamment par le HCECM dans son 7e rapport sur les femmes dans les forces armées françaises. ([59])

Publié chaque année, le Bilan social du ministère des Armées contient des indicateurs sur les ressources humaines. Depuis 2016, il inclut le rapport de situation comparée relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ces données ont indirectement permis d’identifier des solutions promues dans le plan Mixité du 8 mars 2019 (voir annexe 7) et ont nourri les réflexions de nos collègues Berangère Couillard et Bénédicte Taurine, autrices d’un rapport d’octobre 2018 sur la féminisation des forces armées. ([60])

Le plan d’action contre les harcèlements, violences et discriminations du 15 avril 2014 (cf. annexe 2) prévoyait de :

– recenser l’ensemble des signalements, leurs suites disciplinaires et éventuellement judiciaires, les suites professionnelles, auprès des différents services compétents du ministère (commandement, DRH, affaires pénales militaires, prévôté, etc.) ;

– charger le Haut Fonctionnaire à l’égalité des droits, en lien avec l’Observatoire de la parité, de les traiter pour fournir annuellement des statistiques sur les faits de harcèlement et de violence ;

– insérer ces statistiques dans le Bilan social du ministère des Armées ;

– présenter ces statistiques aux instances de concertation et de dialogue social du ministère.

Les rapporteurs observent que ces recommandations ont été suivies, à l’exception de la première qui ne l’a été qu’incomplètement puisqu’elle fait l’objet d’un rappel dans le rapport précité de Mmes Couillard et Taurine.

Des progrès pourraient être faits pour mesurer « l’évaporation » des recrues féminines en cours de formation initiale. Seule l’armée de l’air a été en mesure de fournir des chiffres sur l’évaporation des recrues féminines pendant leur cursus à l’école de l’air, où « l’évaporation » est de toute évidence masculine, dans un délai, certes court (cf. note infra).

Taux de féminisation des inscrits, des admis et des élèves diplômés des grandes écoles militaires

(pourcentage)

École de l’air

 

2014

2015

2016

2017

2018

Taux de féminisation des inscrits

17,19

17,39

18,6

19,73

20,27

Taux de féminisation des admis

14,58

15,22

19,19

20,54

15,38

Taux de féminisation à la sortie

18,8

31

20,4

16,66

20

École navale

 

2014

2015

2016

2017

2018

Taux de féminisation des inscrits

nd

nd

19

19,5

19,2

Taux de féminisation des admis

nd

nd

7,1

8,1

6,6

Taux de féminisation à la sortie

nd

nd

nd

nd

nd

École spéciale militaire de Saint-Cyr

 

2014

2015

2016

2017

2018

Taux de féminisation des inscrits

nd

nd

nd

nd

nd

Taux de féminisation des admis

nd

nd

nd

nd

nd

Taux de féminisation à la sortie*

nd

10,1

9,7

Été 2020

Été 2021

(*) Ces chiffres incluent les recrutements des officiers sur titres et des officiers de l’école militaire inter-armes.

Note : plusieurs données n’ont pu être réunies dans le délai court de dix jours laissé au ministère des Armées pour répondre à cette question précisément.

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire des rapporteurs du 19 mars.

b.   D’autres données qui permettraient de détecter des discriminations indirectes

Comme en témoigne le tableau ci-dessous, les armées offrent de vraies perspectives de carrière et d’ascension sociale. Cela n’exclut pas pour autant l’existence de biais discriminatoires dans les carrières.

L’escalier social dans les armées

(en pourcentage)

 

Part des officiers supérieurs issus du rang ou anciens sous-officiers

Part des officiers anciens sous-officiers

Part des officiers anciens militaires du rang (1)

Part des sous-officiers anciens militaires du rang (1)

Gendarmerie

39,0

62,0

16,0 (2)

34,0

Armée de terre

31,0

33,6

3,9

42,9

Marine nationale

33,7

24,0

14,2

47,8

Armée de lair

32,4

32,7

3,4

8,6

(1) ou volontaires, dans la gendarmerie.

(2) Ce chiffre global masque une disparité entre les officiers du corps technique et administratif (17 % sont d’anciens volontaires) et les officiers de gendarmerie (5 % d’anciens volontaires).

Champ gendarmerie : requête Agorh@, périmètre organique, personnels en activité, non activité ou détachement au 31.12.2018.

Champ armées : militaires en activité au ministère des armées et affectés en métropole.

Sources : enquête DRHMD « Être militaire aujourd’hui », 2015 ; DGGN, DPMGN, SDPRH, BAA, 2019.

La direction des ressources humaines (DRHMD) dispose de nombreuses données permettant d’apprécier la diversité sociologique des militaires. Ces données sont complétées par les résultats d’enquêtes sociologiques, essentiellement consacrées à la condition du personnel. Sans surprise, elles révèlent l’existence de phénomènes de reproduction sociale comme dans le reste de la société quoique la mobilité sociale ascendante des militaires paraisse supérieure à la moyenne nationale (cf. annexe 3).

Conformément à l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le ministère des Armées ne collecte pas d’informations faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales, ethniques ou les opinions religieuses des militaires.

Les travaux de l’Insee permettent cependant d’apprécier les trajectoires des Français issus de l’immigration en combinant des critères comme l’origine géographique, la nationalité ou la profession des parents. D’après les données de l’Insee rassemblées par le HCECM, 12,8 % des militaires du rang sont ainsi issus de limmigration contre 11 % dans la société française. ([61]) L’armée française est ainsi plus diverse que celle d’autres pays européens tels que l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cette caractéristique est attribuable à plusieurs facteurs, notamment l’héritage colonial français et la professionnalisation tardive des armées par rapport à d’autres pays européens, survenue après les vagues successives d’immigration. L’Allemagne a en effet longtemps fait primer le droit du sang dans l’accès aux rangs militaires et le Royaume-Uni a professionnalisé son armée dès les années 1960, soit bien avant les premières vagues d’immigration. Au Royaume-Uni, les militaires issus de l’immigration représentent moins de 5 % des effectifs. À l’inverse, les statistiques concernant l’armée américaine démontrent une surreprésentation des minorités au sein des armées : les afro-américains, qui représentent par exemple 12 % de la population américaine, représentent 18 % du personnel militaire. ([62])

Toutefois, 5,3 % de sous-officiers sont issus de limmigration et 6 % dofficiers. « Ce trou dair entre les deux niveaux interpelle », a observé le président du HCECM. ([63]) Le HCECM ne dispose pas de données plus précises décrivant de façon dynamique les trajectoires de carrière individuelles des militaires issus de l’immigration : les données de l’Insee ne permettent pas une telle analyse. En revanche, le ministère de la Défense a déjà suscité plusieurs travaux sur cette question, notamment une étude, réalisée en 2007, de Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, professeur à SciencesPo, et M. Christophe Bertossi, docteur en sciences politiques et directeur de recherches à l’Institut français des relations internationales. ([64]) 

M. Elyamine Settoul, auteur d’une thèse sur les trajectoires d’engagement des militaires issus de l’immigration ([65]) et de nombreux articles sur la diversité des forces armées, confirme que le recrutement des militaires du rang est méritocratique et transparent. Le centre d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) reçoit en effet tout candidat motivé avant d’effectuer une évaluation objective de ses capacités. Plusieurs jeunes soldats ont ainsi fait part au chercheur de leur reconnaissance pour avoir été reçus sans préjugés par l’institution militaire tandis que le secteur civil ne leur avait pas accordé cette opportunité. Les discriminations napparaissent donc peu ou pas à loccasion du recrutement mais surviendraient par la suite.

Le manque de diversité des grades supérieurs, en revanche, est patent. Il résulterait des mêmes dynamiques que celles qui sont à l’œuvre dans le reste de la société et qui sous-tendent la reproduction sociale (inégalités sociales et territoriales, biais d’auto sélection, valorisation par le système scolaire d’un certain capital culturel, etc.). Selon M. Settoul, il peut aussi s’expliquer par des données sociologiques incluant l’environnement familial de la majorité des candidats aux écoles militaires, marqué par la pratique du catholicisme et du scoutisme, porteuse de valeurs et de codes reproduits dans les rangs militaires. Si cette perpétuation des codes est aussi un facteur explicatif de la reproduction sociale dans d’autres professions (enseignants, médecins), le phénomène serait particulièrement significatif chez les officiers, selon les deux universitaires entendus par la mission d’information. ([66])

Afin de favoriser l’accès d’élèves en difficulté aux écoles militaires, les armées ont mis en place depuis 2008 des classes préparatoires à l’enseignement supérieur (CPES), dans le cadre du plan Égalité des chances précité. À l’école des pupilles de l’Air et au lycée naval, une classe intermédiaire a été créée pour favoriser l’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), de jeunes bacheliers de filière S issus de milieux défavorisés. Dans les lycées de l’armée de terre, quatre classes préparatoires à l’enseignement supérieur accueillent chacune 20 élèves boursiers pour les préparer à affronter les difficultés des classes préparatoires aux grandes écoles. La gendarmerie a quant à elle ouvert une classe préparatoire intégrée (CPIGN) en 2010 à Paris, à la caserne Babylone, pour aider chaque année une vingtaine de jeunes titulaires d’un master, sélectionnés sur critères sociaux, à présenter les concours d’officier et de sous-officier, avec d’excellents taux de réussite rapportés. ([67])

Plus de dix ans après son lancement, le plan pour légalité des chances na toujours pas fait lobjet dune évaluation publique, d’après M. Settoul.

Enfin, l’écart important entre le nombre de demandes d’aides au départ et le nombre d’aides accordés présentées dans le Bilan social justifierait une étude complémentaire. Les auditions conduites par la mission ont confirmé l’enjeu que représentait pour les militaires laccès aux dispositifs daide au départ ou de reconversion. Leur attribution peut susciter des sentiments d’injustice. Un rapport de notre collègue Claude de Ganay avait déjà, en 2017, pointé le moindre accès des jeunes engagés volontaires de l’armée de terre aux prestations de Défense Mobilité et à la reconversion. ([68]) « Les militaires du rang les plus jeunes non éligibles à un congé de reconversion représentent 20 % du coût de lindemnisation chômage. Ils sont bien identifiés comme une cible prioritaire par Défense Mobilité. Ils disposent en effet dune expérience souvent limitée et dun faible niveau de qualification, qui les rendent plus vulnérables sur le marché de lemploiEn novembre 2013, un rapport dobservations provisoires de la Cour des comptes relatif à la reconversion sinquiétait déjà du “risque de paupérisation des militaires du rang au niveau scolaire très faible qui quittent l’institution sans formation.” ([69]) Dans son [11e] rapport ([70]), le HCECM préconisait en outre de conduire une étude sur les anciens militaires en situation de précarité. » Les rapporteurs constatent que cette étude n’a toujours pas été réalisée.   

c.   Des données qui permettraient d’apprécier la prévalence d’autres types de discriminations ou de risques psycho-sociaux

Une rubrique de la Revue annuelle de la condition militaire est entièrement consacrée au suivi des risques psycho-sociaux, avec des données sur les suicides de militaires, les violences ou encore les conduites addictives. Le HCECM réalise systématiquement un effort de comparaison avec le secteur civil ou avec d’autres armées étrangères.

Certaines données pourraient être mieux exploitées pour mesurer les risques psycho-sociaux dans les armées, directions, services et formations rattachées, comme le nombre de visites spontanées aux médecins de prévention, la mesure du temps de service, le nombre de congés pour maladie, le nombre de départs du service actif ou le nombre de jours d’absence. Ces données sont publiées dans le Bilan social, globalement, et pourraient être utilisées afin de mettre en place des plans de prévention. D’après la directrice centrale du service de santé des armées, aucune comptabilité analytique ne permet de suivre le volume des consultations menées sur la question spécifique des cas de HDV-S ou du harcèlement moral au travail (HMT). La mise en place d’un nouveau système d’information de la médecine des forces (Axone) permettra peut-être d’y remédier. ([71])

INFRACTIONS SEXUELLES DECLARÉES À LA CELLULE THEMIS
par des militaires* depuis 2017

 

2014
(6 mois)

2015

2016

2017

2018
(au 22/09)

TOTAUX

Impliquant un contact physique

Viols

8

7

8

6

4

33

10 %

97

Autres agressions sexuelles

13

13

13

12

13

64

20 %

Sans contact physique

Harcèlement

16

21

21

28

30

116

38 %

205

Atteinte à la vie privée

5

4

9

5

5

28

10 %

Discrimination

16

20

5

5

15

61

20 %

Autres

0

0

2

2

1

5

2 %

5

Total des dossiers ouverts

58

65

58

58

68

307

100 %

368

(*) Les données ne concernent en l’occurrence que les militaires. Thémis reçoit aussi des signalements du personnel civil du ministère des Armées.

Source : Thémis, CGA.

Le Bilan social retrace le nombre de dossiers instruits par la cellule Thémis en précisant naturellement que certaines de ces affaires n’ont pas encore été jugées.

En revanche, le nombre dappels à la cellule Écoute Défense n’est pas recensé dans le Bilan social. Le bilan fourni par le service de santé des armées ([72]) montre pourtant une hausse significative des appels à la cellule Écoute Défense en lien avec les situations de harcèlement moral au travail et de souffrance au travail depuis le 20 octobre 2015, date à laquelle le mandat de recueillir et comptabiliser ces appels a été confié à la cellule (cf. infra). Ces données mériteraient de figurer dans la revue annuelle de la condition militaire du HCECM aux côtés des données relatives aux signalements effectués auprès de Thémis ou de Stop-Discri. Elles donnent évidemment une indication sur le ressenti des militaires et ne constituent en aucun cas une mesure de la prévalence du harcèlement moral dans les armées. L’évolution du nombre d’appels peut indiquer une sensibilité accrue sur le thème du harcèlement, soit du fait de la sensibilisation effectuée par le ministère des Armées, soit en lien avec d’autres phénomènes de société (effet « #meeto »).

La hausse des appels en lien avec les situations de harcèlement moral au travail (HMT) et de souffrance au travail (ST)

Source : extrait du bilan 2017 d’Écoute Défense, Service de santé des armées.

 

Enfin, un suivi des comptes rendus EVENGRAVE est effectué dans la Revue annuelle de la condition militaire. La catégorie 18, créée en 2014, concerne les HDV‑S et la catégorie 19, créée en 2016, concerne le HMT. Ces deux dernières catégories représentent respectivement 7,40 % et 1,74 % des messages EVENGRAVE reçus par la ministre en 2018 (voir le détail en annexe 5).

Il est essentiel que les faits visés par les messages donnent effectivement lieu à la rédaction d’un message. D’après le chef de la cellule Thémis, entendu dans le cadre de la mission d’information, la moitié des cas traités par la cellule Thémis auraient dû faire l’objet d’un EVENGRAVE. ([73]) Il n’a pas été possible de déterminer si cette sous-déclaration était liée à un manquement du commandement ou si les victimes avaient préféré s’adresser à Thémis plutôt qu’à leur hiérarchie.

La procédure EVENGRAVE

La procédure EVENGRAVE organise l’information immédiate et directe du ministre et de son cabinet pour tout fait survenant au sein du ministère et de ses organismes dont il assure la tutelle qui aurait un impact politique ou médiatique de nature à susciter l’intérêt de la représentation nationale ou de l’opinion publique. Créée en 1969, la procédure EVENGRAVE est aujourd’hui organisée par l’instruction n° 1950/DEF/CAB/SDBC/CPAG du 6 février 2004 modifiée. Elle se décompose en trois phases distinctes :

– un message est diffusé dans les 3 à 6 heures suivant les faits le justifiant ou leur découverte ;

– dans les trente jours, un compte rendu détaillé doit être envoyé ;

– dans les soixante jours, les faits doivent faire l’objet d’une synthèse à la suite de quoi le dossier est clôturé.

À la suite d’un audit effectué par le contrôle général des armées, la procédure est sur le point d’être refondue. Le dispositif actuel ne paraît plus adapté. Le caractère immédiat de la transmission n’est, en effet, plus assuré. Sous l’impulsion du cabinet militaire qui, depuis le 1er janvier 2019, a pris en charge la gestion de ces messages, la procédure va être redéfinie de façon à :

– cadrer les CR vers les chaînes de commandement organiques (unicité du CR) (sic) ;

– servir les organismes qui ont besoin d’en connaître (dont Thémis) ;

– rendre compte au cabinet militaire de la ministre lorsque l’événement peut avoir des répercussions médiatiques, judiciaires, politiques ou diplomatiques.

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

Évolution du nombre d’EVENGRAVE concernant des faits de violences aux militaires, femmes et hommes, depuis 2014.

Faits

Cas de violences présumées à lencontre de militaires

Cas de violences présumées à lencontre de militaires femmes

2014

2015

2016

2017

2014

2015

2016

2017

Harcèlement moral

52

58

27

36

29

50

22

23

Harcèlement sexuel

32

59

53

34

31

50

50

28

Agression sexuelle

11

24

39

21

11

23

38

16

Viol

3

9

7

5

3

9

6

3

Ensemble

98

150

126

96

74

132

116

70

Champ : affaires ayant fait l’objet d’une procédure de compte rendu « événement grave » au sens de l’Instruction n° 1950/DEF/CAB/SDBC/CPAG du 6 février 2004, modifiée.

Avertissement : le nombre d’EVENGRAVE relatifs au harcèlement moral a fait l’objet d’un retraitement pour les années 2014 et 2015, la catégorie 19 n’ayant été créée qu’en 2016.

Source : réponses des forces armées à un questionnaire du HCECM, in Revue 2018 de la condition militaire.

d.   Des statistiques n’autorisant pas un suivi du sort donné aux signalements

Les données recueillies par les rapporteurs ne permettent pas de suivre le devenir des signalements réalisés par les militaires.

En quatre ans, Stop-Discri a enregistré près de 700 signalements pour 130 000 personnels (incluant les réservistes) ([74]), soit près du double du nombre de signalements traités par la cellule Thémis sur la même période. Compte tenu du champ plus large de Stop-Discri, il faudrait ajouter aux signalements enregistrés par Thémis les saisines reçues par les inspecteurs d’armée, l’inspection des armées et les inspecteurs généraux d’armée, toutes ne concernant pas des discriminations, pour comparer les données.

En 2018, dans l’armée de terre, 58 cas de discriminations ont été signalés au commandement, dont dix cas étaient avérés, selon la DRHAT (deux pour propos homophobes, huit pour propos racistes). Entre janvier 2016 et septembre 2018, sur les 188 saisines de l’inspection de l’armée de terre, seulement deux auraient relevé de situations de discrimination. ([75]) Dans la marine, en revanche, quarante cas de HDV-S ont été traités par l’inspection depuis 2014 et cinq cas de HDV-S ont été signalés rien que sur les huit premiers mois de 2018. ([76]) Dans l’armée de l’air, 170 EVENGRAVE avaient été rédigés au 30 novembre 2018, dont 16 relevaient a priori de situations de discriminations. Dans le même temps l’inspection de l’armée de l’air a été saisie 52 fois, sur des sujets variés : la notation, le statut, l’avancement, les primes, les tensions interpersonnelles, etc. ([77])

Ces quelques chiffres transmis aux rapporteurs montrent l’ampleur du travail qui reste à mener pour obtenir une vue complète des faits de harcèlement, de violence ou de discrimination. Ils peuvent masquer un phénomène de sous‑déclaration ou une difficulté à catégoriser les faits signalés. La pluralité des voies de détection et de traitement des faits problématiques peut certes être un atout, mais elle peut aussi, en l’occurrence, s’opposer à la construction d’une vue d’ensemble sur des faits problématiques.

En outre, les systèmes d’information actuels de la direction des affaires juridiques du ministère ne lui permettent pas de repérer le statut – militaire ou civil – des parties à l’instance dans les affaires contentieuses. ([78]) Par exemple, les données fournies par le ministère des Armées mettent en évidence un pic de saisines du procureur de la République en 2015, avec 154 dossiers de poursuites pénales visant des militaires. Sur ces 154 dossiers, 76 relevaient du harcèlement moral et sexuel ; 78 de violences. Il est impossible de savoir si les victimes étaient d’autres militaires ou même des ressortissants du ministère des Armées. En 2015 toujours, 17 condamnations ont été prononcées, quatre pour des faits de harcèlement moral et/ou sexuel, 13 pour des violences. ([79]) Ces chiffres doivent être interprétés avec précaution : d’une part, les condamnations de l’année n ne correspondent pas forcément aux dossiers ouverts la même année  et d’autre part, l’absence de condamnation peut être liée à un désistement en cours d’instance ou à une transaction entre les parties. En définitive, la direction des affaires juridiques dénombre, depuis 2010, parmi les affaires contentieuses impliquant des militaires :

– trois affaires de discrimination ;

– neuf affaires de harcèlement moral ;

– une affaire d’abus sexuel ;

– une affaire de harcèlement moral ou sexuel ;

– deux affaires de violences ;

– deux affaires de harcèlement sexuel.

La DRHMD a pour sa part fourni le tableau suivant.

Évolution du nombre de jugements* impliquant des militaires pour des faits de violences ou de harcèlement depuis 2010

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Violences

10

13

15

11

6

13

46

34

38

Harcèlement moral

0

0

1

0

1

4

0

0

2

Harcèlement sexuel

0

0

0

0

0

0

1

0

1

(*) Ont été pris en compte les condamnations fermes et avec sursis ainsi que les dispenses de peines.

Source : réponses écrites fournies par la DRHMD après l’audition du 22 janvier 2019.

Bref, à ce jour, les systèmes d’information du ministère des Armées ne lui permettent pas de répondre à la question de savoir ce que deviennent les signalements à Thémis.

e.   Aucun sondage mesurant le sentiment de discrimination ou la discrimination « diffuse »

Le moral des militaires des armées et des services est mesuré semestriellement par un indicateur produit par la mission d’aide au pilotage (MAP) du ministère des Armées, placée auprès du secrétariat général pour l’administration (SGA), et portant sur plusieurs domaines qui concourent à la condition militaire. Comme le signale le HCECM, le recueil des données et le calcul de l’indicateur « sont, par nature, complexes ». ([80]) Des militaires sélectionnés pour être représentatifs répondent à un questionnaire « indice de mesure du moral » (I2M) sur intranet et les données de chaque armée sont transmises à l’EMA qui réalise une synthèse. Les populations interrogées dans le cadre de l’I2M sont donc différentes d’un semestre à l’autre.

Principaux motifs de satisfaction et d’insatisfaction,
extraits de l’indicateur de mesure du moral du deuxième semestre 2017,
par armée et par catégorie

Champ : échantillon représentatif de militaires des armées (terre, marine et air) interrogé dans le cadre de l’I2M. Motifs de satisfaction et d’insatisfaction les plus couramment cités parmi les 32 items, indépendamment de leur influence sur le moral.

Source : Revue de la condition militaire 2018, page 35.

Les chefs d’état-major ainsi que la ministre s’appuient également sur le rapport sur le moral, fruit d’une synthèse des rapports des chefs de corps. Comme l’a expliqué le sous-chef Performance de l’état-major des armées, « quelques données statistiques sont parfois inclues mais il sagit généralement dun exercice plutôt littéraire, une appréciation subjective du chef de corps de la situation de son unité. » ([81]) En 2013, le ministère des Armées a publié une directive pour formaliser les rapports des chefs de corps, qui doivent désormais traiter dix thèmes. D’autres processus de remontée d’information portent plus spécifiquement sur la qualité de service rendu (QSR) dans le cadre de la relation soutenants-soutenus. Quoi qu’il en soit ce type d’exercice, s’il donne une vision d’ensemble de l’état du moral, ne permet pas la détection de problèmes individuels ou de « signaux faibles ».

La DRHMD conduit des enquêtes auprès de militaires sur la condition du personnel. Certaines de ces enquêtes abordent le sentiment de bien-être au travail, de la perception de son parcours professionnel par rapport à ses homologues du sexe opposé ou l’exposition aux risques psycho-sociaux. En revanche, aucune question n’a encore été posée sur le sentiment de discrimination. Interrogés récemment sur leur satisfaction au travail, 49 % des militaires se déclarent satisfaits, 29 % moyennement satisfaits et 22 % insatisfaits. ([82])  

De manière plus ponctuelle, on relèvera qu’une directive régissant les activités de transmission des traditions aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan ([83]) fait état d’une procédure de sondage au moyen d’un outil appelé Sphinx pour détecter les éventuels problèmes de comportements durant le déroulement de ces activités. Toutefois, rien ne permet d’affirmer que cet outil permet l’anonymisation des témoignages.

De manière générale, les rapporteurs constatent qu’aucun mécanisme de sondage offrant des garanties d’anonymat ne permet aux états-majors ou à la ministre des armées de détecter des problèmes minoritaires ou tabous. Interrogés par les rapporteurs sur l’opportunité de réaliser des sondages sur le thème des discriminations, la plupart des responsables militaires entendus s’y sont déclarés favorables, tout en invitant à ne pas « créer un problème là où il ny en a pas. ».

3.   Une situation « inacceptable » dans certains établissements d’enseignement

La directive ministérielle du 6 août 2013 a rappelé les responsabilités de la chaîne hiérarchique de tous les établissements d’enseignement sous tutelle du ministère des Armées en cas de bizutage ou de comportements répréhensibles. ([84])

Le rapport précité de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées de 2014, réalisé après la publication du livre La guerre invisible également précité, a consacré plusieurs développements au « cas des écoles ». Certaines d’entre elles donnaient lieu à un constat sévère en 2014 : 

« Lexpérience de certaines écoles montre la difficulté de la tâche et la persévérance quil convient davoir. […] Si léchec est patent – malgré le retournement de quelques cas individuels qui nourrit lengagement [des] cadres – ce nest pas faute davoir pris à leur niveau certaines mesures qui leur paraissaient appropriées. Mais des maladresses, une confiance excessive dans la politique menée sur la foi de sondages, le désaveu dun échelon supérieur qui na pas confirmé la sanction prononcée, ne leur ont pas permis dobtenir les résultats escomptés. » ([85])

À la demande du ministre de la Défense, un cycle d’inspection a donc été conduit  par le collège des inspecteurs généraux d’armée en 2014. Leur rapport faisait état d’une « amélioration manifeste » ([86]) dans chacun des établissements de la défense. Pour « maintenir un haut niveau de maîtrise des risques dans le domaine de la transmission des traditions », le ministre a toutefois demandé aux inspecteurs généraux d’armée, le 15 octobre 2014, de réaliser une inspection trisannuelle des écoles du ministère, fondée notamment sur des questionnaires anonymes aux élèves.

a.   Des traditions dévoyées dans certains lycées de la défense

Le 23 mars 2018, une série d’articles a été publiée dans le journal Libération, qui relate des actes misogynes et de bizutage commis par des élèves de lycées militaires au cours des dix années précédentes. Ces témoignages ont été rassemblés par les journalistes après réception d’une lettre de la part d’une élève de deuxième année de classe préparatoire au lycée de Saint-Cyr-l’École. Cette lettre, adressée au président de la République, n’a jamais reçu de réponse.

Les rapporteurs ont reçu d’autres témoignages corroborant le constat des inspecteurs généraux des armées, exprimé dans un rapport du 29 mars 2018 en « diffusion restreinte » que la ministre des Armées a bien voulu leur communiquer à leur demande. ([87])

Les lycées de la défense

Six établissements constituent des lycées de la défense, quatre pour l’armée de terre (Prytanée national militaire de La Flèche, lycée militaire de Saint-Cyr-l’École, lycée militaire d’Aix-en-Provence, lycée militaire d’Autun), un pour la marine nationale (lycée naval de Brest) et un pour l’armée de l’air (école des pupilles de l’air de Grenoble). Ils sont placés sous la tutelle des DRH des armées correspondantes.

Les lycées de la défense sont commandés par des officiers supérieurs en activité, chefs d’établissement, qui exercent leur autorité sur l’ensemble de l’établissement (article R. 425-3 du code de l’éducation). Le commandant du lycée est assisté par au moins un membre du corps des personnels de direction d’établissement d’enseignement ou de formation, de première classe ou de seconde classe, pour les questions relatives à l’enseignement.

Les élèves des lycées militaires ne sont pas eux-mêmes militaires. Avant le baccalauréat, l’admission des élèves dans les lycées militaires répond à une logique d’aide aux familles de militaires (contrepartie de l’obligation de mobilité) et d’égalité des chances (boursiers sur critères sociaux). Les élèves suivent un programme scolaire analogue au programme des établissements publics. Après le baccalauréat, l’admission des élèves répond à une logique de recrutement puisque les classes préparatoires préparent aux grandes écoles d’officiers : l’École polytechnique, l’École spéciale militaire, l’École navale, l’École de l’air, l’École nationale supérieure des ingénieurs des études et techniques de l’armement, à titre militaire, et l’École nationale supérieure des ingénieurs de l’infrastructure militaire.

Les élèves des classes préparatoires sont exonérés des frais de pension et de trousseau et perçoivent une solde spéciale modique. Ils sont sélectionnés sur dossier. S’ils ne deviennent pas militaire ou agent de l’État, ils doivent rembourser les frais de pension et de trousseau.

Le code de l’éducation est en cours de modification pour permettre aux lycées militaires de délivrer un enseignement de type BTS et aux étudiants de bénéficier de la solde spéciale. Un arrêté expérimental du ministère des Armées permet déjà de leur faire signer un contrat d’éducation et de les exonérer temporairement des frais de pension et de trousseau. En attendant cette modification attendue pour la fin de l’année (le décret en Conseil d’État est actuellement à l’étude du ministère de l’enseignement supérieur), les élèves sont scolarisés administrativement au sein du lycée Jules Ferry de Versailles avec qui la DRHAT a établi un protocole. Une expérimentation de « BTS externalisés » débutera à la rentrée 2019 permettant l’accueil de 5 élèves de BTS au lycée d’Aix en Provence et 5 élèves au lycée de Saint-Cyr l’École. Ces élèves suivront des BTS d’informatique ou d’électrotechnique dans des lycées de proximité (protocole avec le rectorat et avec le lycée partenaire). Ces élèves seront internes en lycée militaire et auront le même régime que les élèves des BTS internalisés.

Source : armée de terre.

Si la situation globale s’est certainement améliorée du fait des mesures mises en œuvre depuis 2014, elle reste néanmoins « inacceptable » dans certains établissements, du fait du comportement d’une minorité d’élèves de classes préparatoires aux grandes écoles, « en particulier à Saint-Cyr lÉcole et au Prytanée national militaire de La Flèche ». ([88])

Les élèves de ces lycées militaires sont organisés en fraternités appelées « familles tradis » ou « quartiers ». Ces systèmes de mentorat existent dans la plupart des écoles militaires et au-delà, dans d’autres grandes écoles. Ils ont vocation à faciliter l’intégration des nouveaux venus, à transmettre une expérience et des traditions, et donc contribuent à la cohésion. Dans d’autres établissements visités par les rapporteurs, ces regroupements d’élèves ne semblent pas entraîner de dérives particulières. Il n’existe alors qu’une seule association d’élèves, mixte, et le commandement veille à ce que d’éventuelles dynamiques de groupes ne portent pas atteinte à la cohésion de l’ensemble de l’établissement ou aux études des élèves. Il surveille étroitement les activités de transmission des traditions. Dans certains lycées militaires, actuellement les deux lycées précités, de jeunes « tradis extrémistes » ([89]) ont une influence négative sur leurs camarades. Certaines fraternités non mixtes promeuvent une vision rétrograde de l’armée, déconnectée de sa réalité et de ses besoins d’aujourd’hui. Comme le soulignait la jeune « Mathilde » dans sa lettre au président de la République, « des fraternités se forment. Cest juste quil ny a pas de sœurs. » ([90])

La professionnalisation des armées a renforcé la sélectivité à l’entrée des écoles d’officiers et la fin des quotas a été suivie par une féminisation des classes préparatoires aux écoles d’officiers. Dans le même temps, certains cadres font valoir qu’une relative « démilitarisation » des formations et des traditions a eu lieu dans les lycées militaires. ([91]) En réaction, des jeunes garçons, véritablement misogynes ou mal conseillés, ont promu des traditions réputées plus authentiques et des pratiques d’exclusion des élèves féminines, parmi lesquelles une intolérable « indifférence courtoise », qui consiste à ne pas adresser la parole aux femmes.

Il est difficile de s’assurer que ces pratiques ne « relève[en] au départ que de dérives juvéniles ». ([92]) En tout état de cause, la situation a été aggravée par un dévoiement des mécanismes traditionnels censés favoriser la cohésion et la transmission de valeurs et par des influences néfastes. Le rapport des inspecteurs généraux souligne ainsi linfluence néfaste de certains anciens, et même de certains parents, qui font pression sur les élèves pour faire perdurer des comportements qui n’ont pas lieu d’être. L’aumônier en chef du culte catholique a aussi évoqué l’existence de groupes « religieux intégristes, non reconnus par lÉglise catholique, sur lesquels laumônerie na pas de prise » ([93]), dans l’environnement immédiat du Prytanée. Un groupe scout aux environs de La Flèche a ainsi été identifié comme ne répondant pas aux exigences du lycée militaire, selon l’aumônier en chef du culte catholique, qui a précisé que cela avait amené l’aumônerie à constituer un groupe scout composé à parité de filles et de garçons, autonome du scoutisme local. L’aumônier en chef du culte catholique a indiqué que l’aumônerie était « particulièrement » attentive aux risques de discrimination, rappelant à cet égard que l’aumônier du lycée militaire de Saint‑Cyr l’École était désormais une femme.

L’encadrement militaire peine à réguler des activités qui ont lieu en dehors du lycée militaire et à condamner des pratiques de mise à l’écart qui se font plus insidieuses. À cet égard, la direction des ressources humaines de l’armée de terre a rappelé que les classes préparatoires étaient ouvertes à tous et que les élèves n’avaient pas de statut militaire. ([94]) Ces établissements sont en quelque sorte dans un entre-deux : ni complètement militaires, ni complètement civils.

À la suite du rapport des inspecteurs généraux du 29 mars 2018, la ministre des Armées Florence Parly a décidé la mise en œuvre d’un plan « d’excellence comportementale » dans les lycées de la défense (annexe 6).

Depuis, les jeunes signent, avec leurs parents, un règlement de discipline général et prennent ensuite un engagement solennel par oral devant leurs camarades et leurs familles réunis. Ils s’engagent à travailler, à être loyal et à développer un esprit de camaraderie avec tous. Comme l’ont préconisé les inspecteurs généraux, un élève exclu d’un lycée militaire pour comportements contraires aux valeurs militaires ne pourra pas être réinscrit dans un autre lycée de la défense. La période de transmission des traditions dans les classes préparatoires a été réduite, afin de recentrer les élèves sur le cursus académique. Les autorités de ces lycées ne doivent plus reconnaître désormais qu’une seule « corniche » ou qu’un seul « quartier », c’est-à-dire une seule association d’élèves.

À Saint-Cyr l’École, les élèves masculins de classes préparatoires n’ont toutefois pas caché que les « familles tradis » subsistaient à l’extérieur du lycée. ([95]) Il en existerait plus d’une trentaine, la plupart mixtes, certaines, non. Les élèves trouvent dans ces fraternités un « frisson de militarité » ([96]), des rites initiatiques séduisants pour des adolescents, et surtout un mentorat, qui s’avère être une aide précieuse pour la préparation des concours. Ils ne comprennent pas le silence qui entoure ces petites associations et la prohibition dont elles font l’objet. Elles permettent à certains de cultiver un entre soi prétendument élitiste, appuyé sur la transmission de valeurs (sens du sacrifice) et de récits particuliers (idée d’une mission historique héritée et à perpétuer). ([97])

b.   Un strict encadrement des activités d’intégration dans les écoles militaires qui tarde à produire des résultats

Les écoles militaires ont mis en place un éventail de mesures pour prévenir les risques de HDV-S et de comportements déviants relevant du bizutage :

– une formalisation des activités de transmission des traditions, sous la forme d’ordres permanents ou de directives régulièrement actualisés ;

– des inspections régulières ;

– une limitation de la consommation d’alcool ;

– la féminisation de l’encadrement et la désignation de référents féminins ;

– la sensibilisation de l’encadrement et des « capteurs » du moral aux risques ;

– la formation et la sensibilisation des élèves ;

– la tenue de sondages ;

– une politique de sanction pour les HDV-S avec inscription au dossier de l’élève.

La mise en œuvre de cette politique semble grandement favorisée par le fait que les élèves ont le statut de militaires.

À l’École navale, les traditions sont formalisées par écrit ([98]) ainsi que les sources historiques auxquelles elles se rapportent. ([99]) Toutes les activités de traditions de l’École navale sont répertoriées dans cet « ordre permanent » qui décrit, pour chaque activité, l’origine historique, l’objectif pédagogique et l’esprit du déroulement. Chaque activité ou chaque période d’activité fait en outre l’objet d’un ordre de circonstance. Chaque ordre de circonstance précise l’officier responsable de l’organisation et de l’exécution de l’activité ainsi que les dispositions de sécurité des personnes et des biens. Les activités de tradition non autorisées, ou non suivies par l’encadrement, sont interdites. Enfin, toutes les activités sont fondées sur le volontariat. D’après les élèves, ces traditions ont beaucoup évolué ces dernières années en lien avec les normes de sécurité. Certains ne cachent pas qu’ils déplorent une forme d’aseptisation et l’abandon de certaines activités jugées dangereuses, qui avaient un certain panache, comme le saut du haut d’un mât dans des filets. L’ensemble des capteurs du moral veille à ce que ces activités traditionnelles soient bien vécues par les élèves. La relation de mentorat implique essentiellement les élèves de première et de deuxième année. Elle s’appuie un binôme « Ancien » et « Fistot ». Elle ne se traduit pas par des « lignages » sur plusieurs générations.

Aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (ESCC), un ordre du chef d’état‑major de l’armée de terre a rappelé l’esprit des activités de transmission dans l’armée de terre et fourni des références textuelles. ([100]) Il prévoit que la place, le sens et les finalités des traditions doivent être expliqués dans une directive interne et que le commandement comme les « jeunes anciens » doivent être responsabilisés. Cet ordre a donné lieu à la rédaction d’une directive générale sur la transmission des traditions aux ESCC, qui veille à dissiper tout malentendu. ([101]) Ainsi, « la dureté des rapports entre anciens et jeunes », bien quayant longtemps été la marque dun certain aguerrissement « na définitivement plus sa place à Coëtquidan ». Le manque de considération pour la partie académique de lenseignement na plus lieu dêtre non plus : « quand on réalise que lespérance de vie dun saint-cyrien à lépoque des guerres mondiales ou des conflits coloniaux ne dépassait guère les 25 ans, on comprend que certains aient considéré que létude des logarithmes et des intégrales nétait pas vraiment indispensable pour commander au feu. » Mais la directive ajoute : « Il faudrait aujourdhui faire preuve dune incohérence totale pour négliger lenseignement académique […] cela reviendrait à ne pas être fidèle à la devise “Ils sinstruisent pour vaincre”. » La directive prévoit que chaque activité fasse l’objet d’une note d’organisation préalablement visée par le commandement des ESCC.

En outre, un plan pour la mixité des ESCC ([102]) a été publié le 22 février 2018. Il présente des avancées intéressantes, comme une remontée d’information plus systématique des sanctions décidées par les cadres de contact ayant un lien avec le sexisme. En revanche, les remontées d’information au moyen de sondages (enquêtes Sphinx) ne permettant sans doute pas l’anonymisation des réponses, il est probable que les résultats soient quelque peu éloignés du ressenti véritable des élèves.

L’aumônier en chef du culte catholique a affirmé n’avoir vu sur le terrain que des officiers ayant le souci du moral des troupes, tout en relevant qu’« à Coëtquidan, il y a un certain nombre de points de vigilance qui font lobjet dun dialogue. » ([103]) Ces points de vigilance ont trait principalement au sexisme à l’égard des élèves-officiers féminins, souvent qualifiées par des propos orduriers. Les rapporteurs ont reçu plusieurs témoignages attestant de l’existence de comportements plus qu’inappropriés dans les « peignes » de l’École spéciale militaire. Du fait de leur gravité, certains éléments ont été transmis à la ministre des Armées pour qu’une enquête soit conduite et que la justice soit éventuellement saisie.

À l’instar de nombre d’établissements d’enseignement supérieur, l’École polytechnique cultive une culture potache et festive qui donne lieu à des dérives, en particulier lors de soirées trop alcoolisées. En 2017, dix anciennes élèves ont également engagé une réflexion sur des propos ou pratiques diffuses constitutives d’une ambiance permissive à l’égard des comportements sexistes. Plusieurs agressions sexuelles et viols ont décidé ces anciennes élèves à témoigner. ([104])

Témoignages et réflexions sur le sexisme à l’École polytechnique

Dans un numéro hors-série du magazine IK au féminin, publié en février 2017, dix anciennes élèves de l’École polytechnique ont fait état de comportements sexistes banalisés entre 2009 et 2013. Les remarques déplacées étaient fréquentes de la part d’encadrants de sport, de jurys de soutenance ou d’encadrants militaires. Un classement dit « TO7 ranking » (les élèves de première année sont appelés les TOS pour « très obligés successeurs » et les filles des « TOSettes » ou « TO7 ») donnait lieu à la publication des photographies d’identité des filles prises le jour de leur intégration sur un site Internet avant un classement des trois plus jolies, des trois moins jolies, etc. Dans le même ordre d’idées, des remises de médailles en fin d’année ont pu avoir une signification insultante, sans que la direction de l’École ne juge bon d’intervenir. L’ambiance sexiste était aussi constituée par des affiches, des clips vidéo, des propos, des plaisanteries douteuses.

Plusieurs agressions sexuelles sont évoquées par les anciennes élèves. D’autres événements plus tragiques encore ont suscité une prise de conscience et la publication de l’article. Beaucoup des faits relevant du harcèlement adviennent dans des soirées, en lien avec la consommation d’alcool. « Ces dérives sont minimisées. Cela constitue une forme de culture de limpunité », ont fait valoir les deux anciennes élèves entendues par la mission d’information. La dénomination de la soirée dite « de la dernière chance » avant le départ pour l’armée était, à elle seule, un catalyseur de comportements inappropriés.

Les deux anciennes élèves membres de l’association X-Féminisme ont insisté sur le caractère tardif de leur propre prise de conscience. Plusieurs d’entre elles se sont étonnées de leur propre comportement à l’X. Elles ont souligné l’importance de la pression sociale qui amenait à intérioriser le sexisme. « LX conditionne tous les jours à accepter le sexisme ambiant. Sinon on na pas dhumour, on nest pas drôle, on est folle. Dans le petit village quest lX, se révolter contre les clichés et les faits inégalitaires est un suicide social. Je suis pourtant convaincue que tous et toutes, filles et garçons, y gagneraient à sen dégager. »

 


—  1  —

   Deuxième partie :
Un ensemble de propositions pour renforcer la cohésion

Les forces armées bénéficient d’un ensemble de dispositifs – anciens et nouveaux – de lutte contre les discriminations qui paraît bien plus développé que ceux qui sont à la disposition du reste de la population. Ils sont un facteur de succès indéniable dans la lutte contre les discriminations, mais ces dispositifs méritent d’être complétés.  

I.   Renforcer la transparence

L’information est au cœur des stratégies de prévention des discriminations des forces armées dans au moins deux pays plus particulièrement examinés par les rapporteurs : le Canada et la Norvège. En France, la politique volontariste en faveur de la mixité mise en œuvre depuis 2014, s’est constamment appuyée sur ce volet. Il est essentiel qu’un même niveau puisse être atteint pour les autres types de discriminations.

1.   Encourager les travaux universitaires sur la sociologie militaire et les trajectoires de carrière

Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, professeur à SciencesPo, autrice d’une enquête commandée par le ministère de la Défense sur le soldat français issu de l’immigration, a fait état d’un accueil initial favorable et d’une reconnaissance de son travail par le ministère, suivis d’une attitude de fermeture et de rejet après la publication de son enquête par le journal Le Monde. Les armées ont paru inquiètes des conséquences de la publication de l’étude sur la cohésion. « Une étude nest pas là pour dire que tout va bien. Ceci dit, il y avait aussi beaucoup de bonnes nouvelles » ([105]), a souligné Mme Wihtol de Wenden. L’armée ayant aujourd’hui, et depuis sa professionnalisation, un impératif de recrutement, elle veut présenter un visage ouvert et à l’image de la Nation. Sa communication, qui met par exemple en avant des femmes et des soldats de différentes origines ethniques sur ses brochures, en est l’illustration. Cette attitude s’expliquerait par la crainte qu’une visibilité accrue donnée à la question des discriminations ne ternisse l’image des militaires et ne nuise au recrutement.

Les rapporteurs regrettent cette attitude de déni à l’égard des études sociologiques, qui repose en grande partie sur la crainte qu’elles ne finissent par donner lieu à de la discrimination positive, crainte à laquelle la DRHMD a tenté de répondre par la publication d’un « quatre pages » sur la question : « Des enquêtes sociologiques : pour quoi faire ? ». ([106]) Ces inquiétudes ont été accrues par la formulation d’objectifs volontaristes de féminisation des grades supérieurs dans les différents plans de lutte contre le sexisme. Comme l’ont suggéré les chercheurs rencontrés par la mission, des membres du CSFM et des élèves féminines de l’École des sous-officiers de l’armée de l’air, il convient de rassurer les armées sur l’attachement des autorités politiques à l’égalité statutaire, à une progression fondée sur la compétence, et sur leur rejet de toutes formes de quotas. Les craintes des armées sont aussi nourries par le constat objectif qu’elles héritent de situations acquises, liées à l’état de la société, et sur lesquelles elles n’auraient pas de leviers. Cette dernière affirmation relèverait sans conteste d’une facilité, tant les liens entre les armées et la jeunesse sont développés. Les rapporteurs invitent néanmoins à replacer leurs préconisations dans le contexte plus large d’une politique visant à atteindre l’égalité réelle au niveau national.

À cet égard, ils rappellent que la définition de groupes sociaux selon certaines caractéristiques à des fins scientifiques pour mesurer l’effet d’une variable sur un processus de sélection est tout à fait légitime. Cela permet un diagnostic et la découverte de solutions. Ils constatent à cet égard que la vaste production de statistiques sur les femmes dans les forces armées a grandement contribué à faire émerger des solutions utiles à tous les militaires, hommes et femmes, notamment sur la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle.

Les rapporteurs préconisent de s’appuyer sur l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) pour susciter des travaux de recherche sur ces trajectoires de carrières.

Proposition n° 3 : susciter des travaux universitaires indépendants et publics sur la sociologie militaire et sur les trajectoires de carrière des militaires selon leur sexe, leur genre, leurs origines sociales, géographiques ou la nationalité de leurs parents

Proposition n° 4 : conformément à une recommandation du 11e rapport du HCECM, commander une étude indépendante sur les parcours des anciens militaires en situation de précarité

2.   Développer les sondages sur le ressenti des militaires et des candidats au recrutement

En dépit de la grande variété des remontées d’information dans les armées, les rapporteurs n’ont vu aucune démarche indépendante et systématique de sondage à propos des discriminations, quelles qu’elles soient.

Des sondages en ligne auprès des militaires norvégiens

Jusqu’aux années 1980, les forces armées norvégiennes n’avaient pas de statistiques sur les violences sexuelles. Le sujet a en réalité vraiment émergé il y a quelques années et fait l’objet d’intenses réflexions aujourd’hui. Les chiffres ont donc eu tendance à augmenter depuis cinq ans, en lien avec cette prise de conscience collective et l’amélioration des dispositifs de détection.

Chaque année, un sondage est réalisé auprès des conscrits, surtout au sujet du bien‑être dans les armées. Un autre sondage est réalisé auprès de la population norvégienne dans son ensemble sur l’image des forces armées. Enfin, un sondage plus spécifique est conduit auprès des officiers. Ces enquêtes sont réalisées par des instituts spécialisés, indépendants des forces armées. Elles alimentent de nombreuses statistiques. Elles montrent par exemple un changement dans la détection des violences sexuelles depuis 2013.

Un sondage en ligne a été conduit auprès des conscrits entre novembre et décembre 2017, puis entre février et avril 2018, recevant 46 % de réponses. 29 % des répondants étaient des femmes. L’avis des conscrits à propos du service militaire est très favorable à 44 % et favorable à 39 %. 1 % du panel est très critique. « Il est intéressant de noter que les femmes sont plus enthousiastes que les hommes ». Le colonel Pål Eirik Berglund, attaché de défense de Norvège en France, a estimé que cela témoignait du fait que les armées n’étaient un environnement particulièrement sexiste. Les conscrits étant parfaitement représentatifs de la population norvégienne, il est aussi intéressant de comparer les statistiques sur le harcèlement sexuel parmi eux et dans les lycées, par exemple. Le colonel a noté que les statistiques étaient comparables, de sorte que le rigoureux processus de sélection semble n’avoir pas spécialement pour effet d’écarter les auteurs potentiels de harcèlement sexuel, « un constat décevant, finalement », a-t-il regretté.

Les statistiques sur la prévalence du harcèlement sexuel (incluant le harcèlement en ligne) font état de 6 % de conscrits se déclarant victimes, dont 1 % d’hommes. 22 % des femmes dans la marine ont eu des problèmes par rapport à 16 % dans l’armée de terre et 13 % dans l’armée de l’air. Le suivi pluriannuel montre qu’en dépit d’améliorations ponctuelles, la prévalence du harcèlement sexuel se maintient à peu près au même niveau. Les statistiques apportent aussi des précisions sur les auteurs. En général, le harcèlement vient des autres conscrits (75 %), très rarement des supérieurs. Cela confirme que les discriminations sont avant tout un enjeu de société.

Les propos déplacés et commentaires sur le physique représentent la majorité des actes identifiés. Ils constituent 73 % des actes dits discriminants. Les attouchements ou gestes représentent 48 %. 11 % des actes ont lieu en ligne.

Source : audition de l’attaché de défense de l’ambassade de Norvège en France, le 29 novembre 2018.

Comme exposé dans la première partie du rapport, certaines enquêtes sont conduites par la DRHMD sur des échantillons sélectionnés pour être représentatifs de l’ensemble des militaires ([107]). Le rapport de situation comparé relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et plusieurs enquêtes de fond sur les militaires et leurs familles, ou encore le logement des militaires, constituent des outils qui pourraient être utilisés pour détecter des biais discriminatoires dans les politiques du ministère.

Chaque état-major est par ailleurs doté d’une capacité de sondage interne, soit au sein de la DRH, soit à l’inspection. Seul l’Observatoire social de l’armée de l’air (OSAA), rattaché à la DRHAA, a pour mission de prévenir les risques psycho-sociaux. ([108]) Les élèves des écoles répondent à des sondages, sans garanties d’anonymat.

Les candidats au recrutement dans les centres d’information et de recrutement doivent aussi remplir un questionnaire personnel détaillé, incluant des questions sur leurs motivations et leurs caractéristiques personnelles.

En tout état de cause, aucune étude ou enquête n’a été communiquée spontanément aux rapporteurs dans le cadre de la mission d’information. Elles ne semblent pas être utilisées pour mesurer d’éventuels biais discriminatoires. En définitive, les rapporteurs n’ont rien vu qui s’apparente aux sondages réalisés auprès des militaires norvégiens.

Les rapporteurs proposent d’y remédier en conduisant des sondages plus systématiquement, à l’instar de ce que pratiquent les forces armées norvégiennes.

Proposition n° 5 : faire réaliser régulièrement, à différents stades de sélection ou de gestion des personnels, en particulier en écoles, des sondages sur le bien-être des militaires et leur sentiment de discrimination, garantissant l’anonymat des réponses

Dans le prolongement de leurs propositions précédentes, ils souhaitent aussi que la représentation nationale puisse disposer des résultats des études sur les motivations et les attentes des candidats au recrutement, ainsi que les travaux portant sur les motifs de départ. La fidélisation est en effet l’un des principaux enjeux de la loi de programmation militaire 2019‑2025 et les parlementaires ont vocation à y contribuer et à être pleinement informés des résultats des politiques conduites en ce sens.

Proposition n° 6 : fournir aux parlementaires des données sur les motivations et les attentes des candidats au recrutement, ainsi que sur les motifs de départ

Plus précisément, à la suite de leurs échanges avec les aumôniers, les rapporteurs préconisent de sonder davantage les militaires sur les craintes qu’ils peuvent nourrir à l’égard des ruptures familiales. Le « Plan famille » du ministère des Armées a été d’autant plus apprécié qu’il mettait enfin l’accent sur un des aspects les plus souvent évoqués avec les aumôniers. « La crainte du divorce est extrêmement forte chez les militaires et le rapport sur le moral nen rend pas compte », ont souligné certains aumôniers.

Proposition n° 7 : réaliser et publier régulièrement des sondages sur le bien-être au travail des militaires, et notamment sur le bien-être personnel et familial

3.   Compléter l’information sur les discriminations dans les forces armées

Le rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées établi le 4 avril 2014 par le contrôle général des armées et l’inspecteur général des armées – terre l’affirmait déjà : « labsence de statistiques fiables ouvre la voie aux thèses les plus diverses et doit être comblée impérativement. » Ses rapporteurs déploraient également que « la brièveté du temps imparti leur [ait] imposé de rencontrer des groupes représentatifs de personnel féminin sans pouvoir effectuer une véritable enquête de “victimation”, qui reste donc à faire. »

Six ans plus tard, les plans d’action se multiplient mais les données ne sont toujours pas disponibles.

Une très large majorité des interlocuteurs de la mission d’information, toutes forces armées confondues, ont cité parmi leurs propositions d’amélioration des dispositifs cet effort en faveur d’une meilleure recension des signalements et faits. Quand ces statistiques existent, comme dans la gendarmerie, elles sont centralisées au sein de l’inspection ou de l’état-major et ne sont pas rediffusées. Elles ne permettent ainsi pas aux chefs locaux de mettre en œuvre des dispositifs de prévention ou de détection précoce.

L’exemple de Stop-Discri suggère que Thémis pourrait avoir la charge de recenser les discriminations signalées et avérées dans les forces armées. Pour cela, il faut veiller à ce que les inspections des armées lui transmettent les informations nécessaires dans le cadre d’une procédure formalisée. La procédure doit également définir précisément le champ des faits ou des saisines à catégoriser dans le champ « discriminations signalées ». Les exemples mentionnés précédemment dans les trois armées montrent que ce travail d’indexation n’est pas aisé et peut donner lieu à interprétation. Il est probable qu’une communication renforcée sur ce thème amène davantage les militaires à catégoriser leurs difficultés sous ce vocable. Une hausse des signalements de discriminations serait donc normale.

Plusieurs auditions de responsables de la gendarmerie ont confirmé que l’engagement de la hiérarchie au plus niveau était indispensable pour que les cadres se sentent incités à signaler des problèmes en apparence isolés.

Proposition n° 8 : centraliser et diffuser l’information relative aux discriminations signalées et les suites qui leur sont données

II.   Moderniser la sélection et la gestion des ressources humaines : un enjeu pour la fidélisation

Comme le remarquait le HCECM en 2013 ([109]), il existe aujourd’hui de nombreuses étapes dans une carrière militaire, plus nombreuses que dans l’ensemble de la fonction publique civile : des conditions d’accès à des examens, des lieux de formation, autant d’éléments qui forment des « filtres invisibles » et écartent des talents de l’accès à des responsabilités importantes. Ces filtres constituent un « plafond de verre » pour certaines catégories de personnels.

A.   Favoriser l’égalité réelle dès le recrutement initial

1.   Dans les centres de recrutement des armées

L’attention des rapporteurs a été appelée par des jeunes femmes sur l’orientation dont elles avaient fait l’objet dès le centre d’information et de recrutement (CIRFA). L’une d’entre elles, qui souhaitent s’orienter vers la cavalerie, le génie ou l’aviation légère de l’armée de terre s’est entendue répondre que c’était des armes « masculines » et qu’elle n’y trouverait pas sa place. Elle s’est ainsi redirigée vers l’armée de l’air.

Le recrutement doit naturellement permettre de favoriser la rencontre entre les attentes des candidats et les besoins des armées. À cet égard, un des enjeux majeurs dans la période actuelle consiste à élargir et diversifier le vivier de recrutement, à intéresser de nouveaux publics, notamment les femmes et les étudiants de l’enseignement supérieur. En visite dans un centre de recrutement de l’armée de terre à Angoulême, les rapporteurs ont pu constater que cette dernière avait fait un effort de féminisation bienvenu, que ce soit dans la communication visuelle (affiches) ou grâce à l’affectation de conseillers-recruteurs féminins dans les CIRFA.

Selon la DRHMD, la part des femmes militaires affectées dans les CIRFA est de 26,5 % pour l’armée de terre, 35 % pour la marine et 50 % pour l’armée de l’air. L’un des objectifs proposés du plan Mixité serait d’affecter au moins une femme dans chaque CIRFA d’ici 2020 pour permettre aux candidates féminines de trouver des réponses spécifiques à leurs questions. Les rapporteurs sont soucieux que cet objectif d’une femme dans chaque CIRFA ne conduise pas paradoxalement à leur « éviction douce » d’autres fonctions plus opérationnelles et préviennent contre toute politique trop rigide en la matière.

Les conseillers recruteurs ont évoqué une mission complexe, qui associait étroitement écoute, conseil social et réponse aux besoins des armées. Une salle permet ainsi des échanges en toute confidentialité, beaucoup de jeunes candidats relatant des parcours de vie douloureux. Le conseiller en recrutement est souvent amené à déconstruire des fantasmes liés aux jeux vidéo ou à donner aux candidats une vision plus exacte des métiers qu’ils envisagent. « Maître-chien, par exemple, cest très exigeant. Et le malinois, en OPEX, ce nest pas exactement la même chose que le yorkshire de la cousine. » ([110]) Compte tenu des besoins actuels, un licencié en informatique va plutôt être orienté vers un poste de sous-officier dans l’informatique que vers l’infanterie, sauf s’il insiste. Le dialogue de recrutement est ainsi perméable aux appréciations personnelles des recruteurs.

Sans remettre en cause la qualité du travail exceptionnel des conseillers‑recruteurs, les rapporteurs préconisent de créer une modalité de recours pour les candidats au recrutement déçus de leur orientation. Cette procédure devrait permettre de restaurer la confiance dans l’équité du processus de recrutement, d’expliquer les besoins des armées et certaines contraintes. En somme, il s’agit de formaliser et de mieux faire connaître un processus qui est déjà mis en œuvre informellement, et d’en retirer des enseignements.

Proposition n° 9 : créer une médiation destinée aux candidats au recrutement contestant leur orientation

Comme l’expose la première partie du présent rapport, les plans successifs censés accroître l’égalité des chances réunissent des mesures d’inspiration diverse et leur effet sur la diversification du recrutement n’a jamais été évalué. Les résultats des classes préparatoires à l’enseignement supérieur ne sont pas disponibles, sauf pour la gendarmerie. Les rapporteurs préconisent donc de procéder à cette évaluation.

Proposition n° 10 : évaluer les plans « Égalité des chances »

Sans attendre les résultats de cette évaluation, les rapporteurs estiment qu’il serait urgent et souhaitable de diversifier le recrutement de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Celle-ci défend les 124 communes des départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Pourtant, la majorité des sapeurs-pompiers de la BSPP sont recrutés en dehors de l’Île-de-France. Il doit être possible de mieux faire connaître la BSPP en Île-de-France et de mettre en place des programmes de mentorat pour encourager les jeunes franciliens qui souhaitent postuler.

Proposition n° 11 : développer le recrutement local de sapeurs-pompiers de Paris

2.   Dans les conditions d’aptitude

L’attention des rapporteurs a été appelée par l’association AIDES sur la situation des candidats et des militaires séropositifs, théoriquement inaptes à la plupart des postes dans les armées.

Le référentiel SIGYCOP

L’arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale, modifié pour la dernière fois le 25 janvier 2018 (BOC n° 10 du 15 mars 2018, texte 7), prévoit une mesure du profil médical des militaires par la définition de sept rubriques (état général, vision, audition, psychisme, etc.) auxquelles sont associés des coefficients exprimant le niveau d’aptitude correspondant.

Ce profil est défini par sept rubriques ; chacune est identifiée par un sigle : c’est le référentiel SIGYCOP. Chaque sigle correspond à une région du corps ou à un état général et psychique qui font l’objet d’un examen. Ainsi, le sigle « S » correspond à la ceinture scapulaire et aux membres supérieurs ; le sigle « O » correspond aux oreilles et à l’audition ; le sigle « G » correspond, quant à lui, à l’état général. Les coefficients peuvent varier de 1 à 6 pour les critères S, I, G, Y et O ; de 1 à 5 pour le sigle C ; et de 0 à 5 pour le critère P. Le coefficient 1 signifie « une aptitude à tous les emplois de l’armée, même les plus pénibles, les plus contraignants ou les plus stressants ». Le coefficient 6 entraîne « une inaptitude totale ». À la suite de l’examen médical, un coefficient est attribué à chacun des sigles. Et, c’est ce résultat qui définit le « profil médical ». Ce profil est ensuite comparé aux profils d’aptitudes minimales requis pour les différentes forces armées. Ceux-ci sont fixés par des textes réglementaires spécifiques à chaque corps d’armée.

L’élaboration de ce profil SIGYCOP est assurée par le service de santé des armées (SSA) en lien étroit avec la Haute Autorité de santé. Chaque armée fixe le profil SIGYCOP limite associé à chaque emploi ou à chaque mission, en tenant compte des possibilités et des conditions d’intervention du personnel médical en cas de nécessité. En cas de contestation, il existe deux voies de recours : le conseil régional de santé et le conseil national de santé. Ainsi, en 2018, l’armée de terre a accordé 120 dérogations sur 140 demandes. La marine a accordé 147 dérogations en 2016 et 118 en 2017. En 2018, 139 cas ont été présentés en conseil régional de santé pour la marine, dont 128 ont donné lieu à un avis de maintien dans la spécialité par dérogation et sept à un avis de réorientations vers une autre spécialité à la demande du marin.

Source : réponses écrites au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

Les infections au VIH entraînent l’attribution des coefficients suivants.

Coefficients attribués au tite de l’état général (G)
du fait d’une infection au Virus de l’immuno-déficience humaine

Infection à VIH asymptomatique, sans traitement, avec une immunité cellulaire satisfaisante et selon avis spécialisé             

3

Infection à VIH asymptomatique, sans traitement, avec une immunité perturbée (inférieur 500 CD4/mm3)

4

Infection à VIH asymptomatique, traitée, charge virale indétectable et immunité cellulaire satisfaisante (supérieure à 500 CD4/mm3)

3 à 4

Infection à VIH traitée avec charge virale détectable ou immunité cellulaire perturbée (inférieur à 500 CD4/mm3)

4

Infection à VIH symptomatique

5

Source : arrêté modifié du 20 décembre 2012 relatif à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale.

Le coefficient 3 entraîne une restriction significative dans l’entraînement (notamment l’entraînement physique au combat) et limite l’éventail des emplois (en particulier ceux de combattants en première ligne). Le coefficient 4 exempte de tout entraînement physique au combat et impose des restrictions importantes d’activité, précisées par le médecin. Le coefficient 5 impose des restrictions majeures d’activité, précisées par le médecin et entraîne une inaptitude à la conduite des véhicules. Les cotations SIGYCOP sont établies par des spécialistes militaires du domaine considéré en se fondant sur les connaissances scientifiques les plus récentes ainsi que sur les recommandations de la Haute Autorité de santé et des collèges scientifiques.

Dans le cas des cotations correspondant aux infections au VIH, « aucune évolution nest envisagée au regard des connaissances scientifiques actuelles », selon les réponses du ministère des Armées. ([111])

L’association AIDES juge pour sa part la cotation actuelle « surprenante et anachronique quant aux réalités scientifiques et biologiques du VIH. […] Ainsi, vivre avec le “VIH en phase asymptomatique (ndlr : cest-à-dire quil ny a pas de manifestations du virus), sans traitement, avec une immunité cellulaire satisfaisante et avec avis de spécialiste” est coté de manière équivalente voire mieux quune personne vivant avec le VIH sous traitement avec une charge virale indétectable. À laune de cette grille, il y a une sorte de prime à ne pas être sous traitement. » ([112])

Les traitements de cette pathologie ont par ailleurs fait des progrès considérables. L’arrivée de la trithérapie à la fin des années 1990 a représenté un tournant majeur dans la prise en charge et le traitement du VIH. Si elle n’offre pas de guérison du VIH, elle permet néanmoins d’empêcher la réplication du virus dans l’organisme, de maintenir un bon système immunitaire et de faire baisser la charge virale, c’est-à-dire la quantité de virus présente dans le sang, jusqu’à la rendre indétectable. En 2015, 73 % des personnes vivant avec le VIH avaient une charge virale indétectable en France, et donc ne pouvaient plus transmettre le virus. Et 65 % des personnes vivant avec le VIH ont un taux de CD4 supérieur à 500/mm3, c’est-à-dire possède une bonne immunité. ([113])

Le ministère des Armées reconnaît que les multi thérapies antirétrovirales prennent aujourd’hui le plus souvent la forme d’une « prise par jour dun comprimé unique » mais il persisterait « plusieurs risques liés aux conditions de la mission dans laquelle est engagé le militaire : problème de conservation en environnement chaud, rupture thérapeutique, décalage de prise du fait des horaires irréguliers, suspension du traitement un à plusieurs jours par mois, rupture de stock, et impossibilité de se réapprovisionner. » ([114])

Avec l’association AIDES, les rapporteurs se montrent particulièrement étonnés par ces dernières affirmations, et ce pour deux raisons :

– d’une part, les difficultés d’approvisionnement alléguées ne semblent pas refléter la qualité du service rendu par le service de santé des armées français, reconnue mondialement à cet égard ;

– d’autre part, la reconnaissance de ces difficultés, au demeurant regrettables, signifierait que des militaires infectés par le VIH en opérations à la suite d’un rapport sexuel à risque, par exemple, ne seraient pas correctement traités. 

Les rapporteurs constatent donc que des personnes séropositives, sous traitement, avec une charge virale indétectable, sont jugées a priori inaptes à entrer dans les armées alors même que plusieurs centaines de militaires ont chaque année des rapports sexuels à risques en opération (hors de France métropolitaine dans 82,1 % des cas, principalement en Afrique et avec une prostituée dans 56,4 % des cas) ([115]) et présentent alors beaucoup plus de risques pour leurs camarades. Ainsi, le risque qui caractérise des actions de secourisme au combat « avec des possibilités très limitées voire sans possibilité dune prophylaxie postexposition bien conduite » ne paraît pas réduit par la mesure d’éviction des personnes séropositives sous traitement.

Enfin, le ministère des Armées signale qu’« en cas de blessure hémorragique, le militaire verrait sa pathologie révélée du fait de la nécessité dadministrer une prophylaxie post-exposition aux militaires qui lauront pris en charge. De même, son exclusion au don du sang total (en situation transfusionnelle dexception) lexposerait à la révélation de son infection. » ([116]) Les rapporteurs sont à nouveau étonnés par cette réponse. D’une part, il leur semble que tout accident avec exposition au sang doit normalement être suivi d’une prophylaxie adaptée, quel que soit le statut sérologique des personnes impliquées, précisément parce que celui-ci est a priori inconnu. D’autre part, il existe de multiples motifs de ne pas donner son sang, outre une infection au VIH. Enfin, la révélation de l’état de santé de la personne séropositive justifierait qu’un effort de pédagogie soit entrepris plutôt que des mesures d’exclusion systématiques.

Le standard d’une prise quotidienne de la trithérapie par voie orale évolue déjà et est amené à profondément se transformer pour laisser la place à une autre norme : l’individualisation du traitement, au cas par cas. Des essais ont lieu actuellement sur une prise continue quatre jours sur sept. Un traitement à diffusion prolongée serait disponible à horizon 2020/2021. Le rapport sur la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH, sous la direction du professeur Philippe Morlat, actualisé en 2018, fait déjà état de certaines de ces innovations. ([117]) Dans ce cas, comment justifier une norme aussi générale ?

Les rapporteurs préconisent donc de revoir les coefficients associés au VIH dans le référentiel d’aptitude.

Proposition n° 12 : réviser les coefficients associés au VIH dans le référentiel d’aptitude

Proposition n° 13 : mieux faire connaître les voies de contestation d’une décision d’inaptitude

Proposition n° 14 : prohiber les dépistages du VIH sans consentement exprès des intéressés

3.   Dans l’accès aux grandes écoles militaires

Le 7e rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire indiquait déjà en 2013 que la question du recrutement des officiers devrait faire l’objet d’une réflexion plus large, à la lumière des processus de recrutement de certaines grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, qui disposent d’un recrutement niveau baccalauréat, pour l’accès à des classes préparatoires intégrées et d’un recrutement sur concours à l’issue des classes préparatoires.

Dans le même esprit, la diversification des voies de recrutement pour les grandes écoles d’officiers favoriserait la résolution des difficultés rencontrées. « Un effort particulier doit viser à associer les écoles dofficiers, dans le respect de leur identité militaire, à des institutions civiles de même niveau en sinscrivant dans la logique actuellement à lœuvre de regroupement entre grandes écoles et universités et en permettant ainsi la mise en commun de diplôme. Dautres rapprochements peuvent être envisagés pour des écoles de formation techniques de sous-officiers et des écoles rattachées à la DGA. » ([118]) Les passerelles entre les grandes écoles et l’université sont plus nombreuses. Certaines grandes écoles d’ingénieur et de commerce proposent également des doubles diplômes – ingénieurs et management. Ce décloisonnement progressif mériterait d’être appliqué aux écoles d’officiers, cette évolution présentant également l’avantage d’une plus grande mobilité entre des fonctions militaires et des fonctions civiles publiques en cours de carrière.

À l’École navale, peu d’officiers sont issus de milieux défavorisés, du fait d’un recrutement par la voie de classes préparatoires scientifiques, qui offrent peu de diversité sociale. La marine est pour sa part réticente à recruter des profils autres que scientifiques. Elle craint par ailleurs qu’une telle politique d’ouverture ne se traduise par une hausse du taux d’attrition alors que la marine est déjà très contrainte en termes d’effectifs. ([119])

L’armée de terre a rappelé que le recrutement des officiers de l’École spéciale militaire était d’ores et déjà divers, puisque le concours était ouvert à des élèves de classes préparatoires (bac+2) littéraires comme scientifiques ainsi qu’à des étudiants de niveau Mastère, après avis d’une commission de recrutement nationale. L’ESM a d’ores et déjà mis en place des doubles-diplômes avec l’Institut d’études politiques de Paris et l’École supérieure des sciences économiques et commerciales.

L’école de l’air de Salon-de-Provence a quant à elle ouvert une nouvelle voie de recrutement pour des officiers non-scientifiques. Cette coopération avec l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, a permis, depuis 2011, de recruter des élèves au profil littéraire et donc de diversifier les parcours et les approches. Cette nouvelle voie de recrutement a notamment permis d’accroître la part des femmes à l’École de l’air.

Les rapporteurs invitent à poursuivre cet effort de diversification du recrutement des officiers.

Ils préconisent ensuite d’en tirer toutes les conclusions nécessaires pour la poursuite de la scolarité de ces officiers sur titres, en s’inspirant notamment du pragmatisme norvégien (cf. infra).

Les Jegertroopen norvégiennes, une approche pragmatique

Le 29 novembre 2018, le colonel Pål Eirik Berglund, attaché de défense de Norvège en France a présenté l’histoire des forces spéciales féminines norvégiennes, leur recrutement et leur entraînement. En Norvège aussi, la féminisation des forces armées est progressive et rencontre des freins. Même si au niveau global les femmes sont réputées moins fortes que les hommes, le colonel constate que les femmes engagées dans les forces armées norvégiennes ont, elles, un niveau physique au moins équivalent à celui des hommes.

L’effort de féminisation des forces armées a résulté d’une prise de conscience de la difficulté à échanger avec les femmes afghanes en 2011. Pour pallier cette difficulté, des femmes issues d’autres unités ont été détachées, y compris au sein des forces spéciales. Auparavant, les femmes ne réussissaient généralement pas les épreuves d’entrée dans ces unités très exigeantes.

Les forces armées norvégiennes ont alors créé l’unité des Jegertroopen avec une formation un peu différente. Le concours est différent et les femmes apprennent le métier militaire d’une façon également différente. Les officiers ont en effet remarqué que des modifications pédagogiques donnaient de meilleurs résultats : plus de temps est consacré à l’entraînement physique et moins à la théorie. Les jeunes filles ont en effet généralement un niveau académique supérieur et une capacité de travail intellectuel avérée, d’où l’accent mis sur le développement de leurs qualités physiques.

Certaines femmes militaires de cette unité rejoignent ensuite les forces spéciales norvégiennes mixtes. Mais leur nombre est tenu secret. D’autres rejoignent d’autres armes, par exemple, la cavalerie. Le colonel a relaté le cas d’une femme policier, devenue Jegertroopen, tireuse d’élite. « Elle a passé du temps avec des US Marines quelle a impressionnés. Elle était biathlète ; physiquement mieux entraînée et meilleure tireuse. » En Norvège, il est désormais de notoriété publique que des femmes « normales », joueuses de handball par exemple, rejoignent cette section et y réussissent.

Source : audition du colonel Pål Eirik Berglund, attaché de défense de Norvège en France, 29 novembre 2018.

Pour offrir à tous les élèves des grandes écoles militaires davantage de chances d’atteindre leurs objectifs, les rapporteurs invitent à diversifier aussi les formations. Par exemple, il devrait être possible à un élève issu d’un cursus de sciences politiques d’avoir des cours de mathématiques et de physiques renforcés ou davantage d’entraînement physique.

Proposition n° 15 : poursuivre la diversification du recrutement des officiers

Les rapporteurs sont bien conscients que leur propos emporte une remise en cause plus générale du fonctionnement des classes préparatoires et des grandes écoles en France et assument pleinement cette prise de position.

Les rapporteurs alertent enfin sur une mesure du « Plan mixité » qui leur paraît nécessiter un suivi attentif dans les prochaines années. Il s’agit de la mesure n° 5 : « Intégrer une femme dans chaque jury d’examen et de concours d’entrée ». Ils remarquent que des mesures de ce type ont été mises en œuvre dans d’autres milieux professionnels, notamment à l’université, où elles auraient eu des effets inattendus et préjudiciables aux femmes : d’une part, en obligeant les enseignantes-chercheuses à consacrer beaucoup plus de temps que leurs homologues masculins à ces jurys de concours, du fait de leur petit nombre, au détriment de leur production scientifique ; et d’autre part, parce que les membres de jurys féminins se sont avérés beaucoup plus durs avec les candidates féminines que leurs homologues masculins. La mesure n° 19, qui consiste à mieux former les jurys de concours et présidents de jurys, leur paraît bienvenue et serait peut-être préférable.

Proposition n° 16 : appliquer avec souplesse la mesure n° 5 du « Plan Mixité » et en évaluer les effets au bout d’un an

L’attention des rapporteurs a été appelée à plusieurs reprises sur les freins à l’intégration que constituaient les faibles soldes de certains élèves étrangers dans les grandes écoles militaires. La solde varie en effet selon le pays d’origine. Si, à l’École navale, les élèves se cotisent chaque année pour que leurs camarades étrangers les plus dépourvus ne paient pas pour le café ([120]), ils constatent que les différences de soldes limitent la capacité des élèves étrangers les moins fortunés à participer à certaines activités d’intégration. Ils estiment qu’une solution devrait être trouvée pour réduire ces écarts préjudiciables à la cohésion. 

Proposition n° 17 : favoriser lintégration des élèves étrangers aux soldes moins élevées

B.   Assouplir les carrières et les organisations

Les rapporteurs souscrivent pleinement à la méthode actuelle promue par la ministre des Armées consistant à lever les freins invisibles aux carrières des femmes par des mesures qui bénéficient en réalité à l’ensemble des militaires et des civils. Ils préconisent de mettre en œuvre la même méthode pour détecter d’autres freins et les lever.

1.   Faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle

Le lancement du « Plan famille » en 2017 a marqué un tournant dans la prise en compte des enjeux de la conciliation entre la vie familiale et la vie personnelle pour la fidélisation des militaires. 37 % des militaires estiment qu’ils ne parviennent pas à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle de manière satisfaisante, notamment en cas d’affectations au sein d’unités opérationnelles. Et 68 % considèrent que le ministère n’agit pas au mieux pour les aider en ce sens. ([121])

Le « Plan mixité » accentue l’effort, notamment en assouplissant les règles de gestion pour l’accès aux grades et aux responsabilités. Les rapporteurs se félicitent des mesures volontaristes destinées à élargir les créneaux d’avancement et à assouplir les conditions d’accès aux examens et concours, notamment à l’École de guerre. Ces mesures bénéficieront à tous les parents de jeunes enfants, hommes et femmes.

Proposition n° 18 : élargir les créneaux d’avancement pour mieux tenir compte de la parentalité

L’attention des rapporteurs a aussi été appelée sur la double notation des militaires. Outre une lettre-note portant sur l’activité de l’année écoulée, il semble que chaque militaire se voit attribuer un indice de potentiel, l’indice IRis. L’indice relatif interarmées (IRIs) est une cotation chiffrée constituant un des éléments de l’appréciation du potentiel de chaque officier. La valeur de cet IRIs attribué annuellement est comprise entre 1 et 7. L’évaluation du potentiel de manière pluriannuelle est réalisée au travers de l’IRIs cumulé (IRC), constitué de la somme des différents IRIs attribués annuellement ou transposés lors de l’établissement de l’IRC initial (IRCi). Ce score a une influence plus ou moins automatique selon les armées sur la progression de carrière. Or, d’après les témoignages reçus par les rapporteurs, les femmes enceintes voient généralement leur indice IRis chuter brutalement l’année de leur grossesse. Le chef d’état-major de l’armée de terre a annoncé que les notes d’une militaire enceinte pourraient à l’avenir être « gelées » l’année de sa grossesse, afin d’éviter qu’elle ne se traduise par une pénalité dans sa carrière. Les rapporteurs proposent que cette politique soit étendue à l’ensemble des armées.

Proposition n° 19 : mettre en œuvre des systèmes de notation qui ne pénalisent pas les jeunes parents, et en particulier les femmes l’année de leur grossesse

L’aménagement du temps constitue un autre enjeu important d’une meilleure conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Donner davantage de préavis pour les départs en mission ou les retours, ou encore pour les affectations, répond ainsi à une demande forte de la part des militaires. C’est aussi un des objectifs promus par le « Plan famille » et par le « Plan mixité ». Le service à la semaine des marins isolés des sémaphores, postés le long des côtes, en est une illustration. Enfin, après la généralisation des doubles équipages pour la flotte sous-marine, le principe est actuellement expérimenté sur les frégates multi-missions. Ces aménagements nécessitent naturellement des moyens humains suffisants mais sont aussi des facteurs d’attractivité.

L’attention des rapporteurs a été appelée sur la situation particulière des personnels ayant des attaches outre-mer. Ceux-ci peuvent cumuler leurs permissions, dans une certaine mesure, pour effectuer des séjours plus longs hors métropole. Jusqu’à 45 jours de permission peuvent être cumulés mais doivent être utilisés en deux fois. Le plus souvent, les permissions sont demandées au moment des congés scolaires. Le ministère des Armées finance un aller-retour tous les cinq ans après deux ans d’engagement. Dans certaines unités, les personnels invitent leurs camarades ultra-marins pour éviter qu’ils ne se retrouvent seuls pendant les fêtes. Mais les témoignages collectés par les rapporteurs tendent à montrer qu’ils présentent plus que d’autres le risque de s’isoler, précisément du fait de leur volonté d’accumuler leurs congés. En dépit des nombreux dispositifs d’aide sociale et de soutien existant dans la marine, il semblerait que certaines personnes n’aient pu financer leur voyage pour rejoindre leur famille après le décès d’un de leur parent. Interrogé à ce propos, l’état-major de la marine n’a pas caché sa surprise. Si de nombreux dispositifs existent, ils ne sont peut-être pas tous bien connus des marins.

En outre, il semble que les plus jeunes pourraient être mieux accueillis à leur arrivée en métropole, à l’aéroport. Le préfet maritime de Brest a ainsi reconnu qu’ils « doivent se débrouiller tout seul à larrivée. Cest très difficile. Leur nouvelle famille professionnelle doit pouvoir mieux les accueillir. » ([122])

Proposition n° 20 : conduire des études sur les risques psycho-sociaux propres aux personnels ayant leurs attaches outre-mer, sur les freins éventuels que cette situation susciterait pour leur carrière et sur les moyens de mieux les accueillir en métropole

Proposition n° 21 : veiller à ce que les allers-retours des personnels ayant des attaches outre-mer soient effectivement financés en cas de graves événements familiaux

De nouveaux statuts sont créés pour diversifier les carrières, s’adapter aux évolutions de la vie des marins et répondre aux besoins de la marine. Cette dernière a ainsi grandement contribué à l’élaboration du dispositif prévu par l’article 12 de la loi de programmation militaire 2019‑2015 qui permet à des militaires en congés parentaux de continuer à entretenir leurs qualifications pour faciliter leur retour.

Les rapporteurs estiment que ces réflexions doivent se poursuivre et se concentrer sur le cursus des sous-mariniers.

Des femmes sur les sous-marins

En 2018, quatre officiers féminins – le médecin du bord, deux officiers énergie et un chef de quart – ont été embarqués à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engin pour une première patrouille de deux mois et demi. Les officiers jouissant de quartiers individuels, cette expérimentation n’a nécessité aucun aménagement particulier si ce n’est une douche séparée. D’après plusieurs témoignages, les freins résident aussi dans les inquiétudes manifestées par les conjointes des sous-mariniers. L’expérimentation sera renouvelée à l’automne.

Pour féminiser les équipages de sous-marins d’attaque, beaucoup plus exigus, il faudra attendre la prochaine génération de type Barracuda, conçue en amont pour accueillir un équipage mixte.

À Brest, des commandants de la force océanique stratégique estiment que la féminisation est rendue difficile par le modèle RH en flux tendu qui caractérise les armées, et qui se double, chez les sous-mariniers, d’une progression rythmée de poste en poste. La contrainte de place à bord d’un sous-marin oblige en effet à concentrer un maximum de compétences avec un effectif réduit. ([123])

Les coupures dans le cursus de commandement opérationnel seraient ainsi difficiles au-delà d’un ou deux ans. Entendue à ce propos ([124]), une des jeunes femmes ayant participé à la première patrouille féminisée de SNLE estimait qu’une grossesse n’avait aucune raison d’être plus bloquante qu’une jambe cassée à la suie d’un accident de ski pour un homme. Elle contestait ainsi l’affectation à terre dont avait fait l’objet une de ses camarades après une première maternité, qui préjugeait de son souhait d’avoir d’autres enfants ou de vouloir leur consacrer plus de temps.

Proposition n° 22 : mettre fin à la pratique de l’affectation systématique à terre des jeunes femmes enceintes

Au lycée naval, les rapporteurs ont rencontré plusieurs jeunes filles qui ont manifesté leur intention de s’orienter vers des carrières sous-marines. ([125]) Le fait que la féminisation des sous-marins soit encore aujourd’hui expérimentale les inquiète, tout comme leurs perspectives d’avenir après une éventuelle maternité.

Un officier de la FOST a évoqué le modèle américain, qui voit des femmes servir à bord des sous-marins depuis 2010. Chaque officier féminin est systématiquement « doublé » par un officier masculin. D’autres pays comme le Royaume-Uni, le Canada, la Norvège, l’Australie ou la Suède autorisaient déjà les femmes à servir à bord des sous-marins. Ces pays ont peut-être des solutions qui mériteraient d’être étudiées.

Les rapporteurs estiment pour leur part qu’il est indispensable de fluidifier les parcours de carrière des sous-mariniers. Le désir de parentalité n’est pas le propre des femmes et son insuffisante prise en compte dans le modèle RH n’est peut-être pas étranger aux difficultés de recrutement de la FOST.

Proposition n° 23 : au-delà de la problématique de l’aménagement pour la féminisation des sous-marins, conduire une réflexion sur une évolution de l’organisation de la FOST et des parcours de carrière des sous-mariniers pour faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et une vie familiale

2.   Faciliter les départs

Les plans de lutte contre les discriminations s’attachent souvent et prioritairement au recrutement et à la gestion des carrières : moins aux départs.

Les auditions de représentants de la gendarmerie nationale ont mis en évidence la nécessité de favoriser les départs, pour faire face à certains risques psycho-sociaux. Ainsi, le chef du pôle affaires réservées et déontologie en charge de la cellule Stop-Discri à l’inspection générale de la gendarmerie nationale a pointé le fait que la moitié des « signalants » de discriminations (25 % des 150 signalements de 2017) ne savaient pas dire en quoi ils étaient discriminés. Ces dossiers concernent souvent des gendarmes qui n’arrivent plus à supporter les contraintes de la vie en gendarmerie (engagement permanent, disponibilité, etc.) dont « on peut regretter quils naient pas fait lobjet dune meilleure écoute et dune aide à la reconversion » ([126]), a pointé le colonel. L’objectif de fidélisation ne doit pas conduire à conserver à tout prix dans les armées des militaires démotivés et malheureux. Les rapporteurs s’inquiètent à cet égard de la pression très forte exercée aujourd’hui sur les chefs de corps des trois armées pour garder leurs personnels le plus longtemps possible. Certaines auditions ont suggéré que des militaires auraient recours de manière croissante aux congés de longue maladie pour quitter les forces armées. ([127])

Le modèle de gestion des ressources humaines militaires, en flux, pour répondre à « l’impératif de jeunesse », s’appuie sur de nombreux dispositifs d’aide au départ, sur la possibilité de bénéficier d’une pension militaire de retraite à jouissance immédiate au bout de dix-sept ans, et sur des prestations de reconversion allant de l’aide à la rédaction de curriculum vitae jusqu’à des formations qualifiantes. Les rapporteurs ont rappelé dans la première partie du présent rapport que les jeunes engagés volontaires de l’armée de terre bénéficiaient moins des dispositifs de reconversion que d’autres publics. Ils renouvellent ici leur recommandation de conduire une évaluation urgente des éventuels biais discriminatoires qui pourraient résulter des règles relatives aux dispositifs d’aide au départ.

Proposition n° 24 : conduire une étude sur les éventuels biais discriminatoires qui pourraient résulter des règles relatives aux dispositifs d’aide au départ

La même vigilance est requise à l’endroit des blessés. Certains éléments recueillis par les rapporteurs font craindre que les militaires blessés ayant des attaches outre-mer ont plus de difficultés à faire venir leurs familles auprès d’eux. D’autres font état de limites administratives qui empêcheraient la pleine jouissance des droits reconnus aux blessés. Enfin, les rapporteurs sont attentifs au risque d’éviction des blessés psychiques sous contrat. Le rapport de la mission d’information de nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart, attendu pour l’année 2019, permettra de s’assurer que les difficultés sont bien identifiées et traitées.

Enfin, les rapporteurs conviennent que les mutations ont un coût mais elles peuvent cependant se révéler un bon investissement. Au cours de son audition, le général Jean-Marc Loubès a relaté le cas d’un « jeune malmené » qui subissait des railleries de la part de ses camarades et de l’encadrement de son unité, du fait de son embonpoint. Ce jeune volontaire avait été jugé inapte par ses cadres de contact et par le commandant de groupement mais il ne voulait pas renoncer à être gendarme. Son beau-père, gendarme à la retraite, ne supportant plus la situation, a écrit au général Loubès. « Le commandant de groupement a[vait] estimé que ses cadres de contact avaient raison de juger ce jeune homme inapte. […] Le jeune volontaire a été incité à faire du sport pour réussir les tests daptitude et il sest vu proposer de sortir de cette unité. Depuis, le jeune a réussi ses tests et est heureux dans son nouvel emploi ». Fort de ce cas d’espèce, le général a invité à créer de la souplesse dans la gestion des personnels : « une mutation, ça coûte plus de 1 500 eurosPour cette raison, il y a trois ans, on naurait pas muté le jeune en surpoids ! »  ([128])

Proposition n° 25 : faciliter les mutations pour prévenir les risques psycho-sociaux ou y faire face

III.   Prévenir les discriminations et les risques psycho-sociaux

La plupart des plans d’action ministériels ont été élaborés en réponse immédiate à des crises médiatiques. Les rapporteurs invitent à s’appuyer sur le statut militaire, la loi et les règles de vie en commun pour prévenir dans la durée les dérives et les phénomènes de harcèlement ou de discriminations.

A.   Appliquer la laïcité et les règles de vie en commun

La prévention des risques de discriminations et des risques psycho-sociaux dans les armées doit s’appuyer sur les règles de vie en commun.

1.   Mieux associer les aumôniers à la lutte contre les discriminations

Le ministère des armées a doté les aumôniers militaires – environ 200 – d’un véritable statut. Aujourd’hui, quatre aumôneries permettent le libre exercice des cultes catholique, israélite, protestant ou musulman et assurent une double mission de soutien aux combattants et de conseil au commandement. Leur formation s’effectue dans le cadre du décret n° 2017-756 du 3 mai 2017 et de l’arrêté du 5 mai 2017 qui en fixe le contenu : « Institutions de la République et laïcité, Grands principes du droit des cultes, Sciences humaines et sociales ». Actuellement, une vingtaine d’instituts universitaires sont habilités à former les aumôniers militaires. Leur pratique reste toutefois diverse ; certains assument un rôle éthique, d’autres un rôle d’écoutant ; d’autres enfin insistent sur la fonction sacramentelle. Aux côtés des médecins militaires ou des assistants sociaux, ils font en tout état de cause pleinement partie de la chaîne des soutiens.

Les aumôniers semblent jouer un rôle positif de médiateurs du fait religieux. Comme l’a résumé l’aumônier en chef du culte musulman, il ne s’agit pas de « rendre les gens plus bigots quils nétaient en rentrant dans les armées  » : « lobjectif, cest de leur permettre dêtre militaire ». ([129]) Ils facilitent la conciliation entre la pratique religieuse et la vie militaire. Ils contribuent aussi à dénouer des tensions en expliquant le fait religieux. Ils détectent certaines situations de mal‑être. Pour toutes ces raisons, les rapporteurs estiment qu’il faudrait prioritairement inscrire les aumôniers dans les plans de formation sur les risques psycho-sociaux et la lutte contre les discriminations. Ils pourront partager leur expérience et mieux conseiller ceux qui se confient à eux.

Proposition n° 26 : organiser des formations obligatoires pour les aumôniers sur les dispositifs de lutte contre les discriminations et les risques psycho-sociaux

En outre, les rapporteurs souhaiteraient qu’une réflexion soit conduite sur l’opportunité de mettre à la disposition des militaires des conseillers éthiques et spirituels non religieux. Ils sont en effet préoccupés de l’égalité de traitement qui doit prévaloir entre « ceux qui croient » et « ceux qui ne croient pas ». La réponse qui leur a été faite – à savoir : « Ils peuvent s’adresser au médecin s’ils ne veulent vraiment pas parler à l’aumônier » – ne leur paraît pas entièrement satisfaisante, le registre médical n’étant pas exactement le registre spirituel.

Proposition n° 27 : augmenter le nombre d’interlocuteurs à la disposition des militaires en créant un statut pour des conseillers éthiques et spirituels non religieux

2.   Veiller au strict respect de la neutralité

La laïcité est un pilier de la République. Plus généralement, la neutralité prémunit de tout mélange des genres préjudiciable à la cohésion. Il suffit d’examiner quelques cas d’espèce pour mesurer qu’elle n’a rien perdu de sa pertinence.

Par exemple, pendant longtemps, dans la marine, le commandement a été incité à prendre en compte les fêtes religieuses, à signaler le début du Ramadan, du Yom Kippour ou du Carême. Il y a quelques années, décision a été prise d’arrêter ces signalements ; plus personne ne savait plus, en effet, où s’arrêter. ([130]) Depuis, chacun est libre de célébrer ses fêtes dès lors que cela est compatible avec le service. Au cours d’une demi-journée de sensibilisation sur les enjeux de gestion des ressources humaines en mer, il est rappelé que chacun doit pouvoir pratiquer sa religion.

Les membres de la délégation du CSFM ont estimé que les cérémonies religieuses avaient pu revêtir un caractère quasiment obligatoire jusque dans les années 1980, tout en affirmant que ce n’était plus le cas aujourd’hui. ([131]) Certaines traditions, comme les fêtes patronales (Éloi, Geneviève, Barbe, Michel, etc.), sont censées souder les soldats autour de codes, de valeurs et de symboles communs. À propos de l’opportunité de supprimer ou de laïciser ces fêtes, « il y a une réponse ministérielle, qui fait droit à ces fêtes darmes compte tenu notamment de la réalité de lhistoire et de leur dimension culturelle. En pratique, personne nest jamais obligé à poser un acte religieux en tant que tel », a assuré l’aumônier en chef du culte catholique. ([132]) La valeur historique de ces symboles justifierait leur présence dans l’apprentissage des soldats, « à condition quils soient remis dans leur contexte », ont précisé les membres du CSFM. Les rapporteurs observent que beaucoup de ces saints-patrons n’ont été « confirmés » qu’à partir des années 1980. À l’époque, il aurait peut-être été judicieux de choisir de se référer à des grandes batailles militaires ou à des anciens glorieux, plutôt qu’à des saints catholiques pour instaurer des fêtes dans les Transmissions, le Commissariat ou l’aviation légère de l’armée de terre.

Quoi qu’il en soit, les rapporteurs estiment qu’une meilleure séparation entre les activités religieuses et les activités de cohésion doit être avant tout assurée. Par choix, l’aumônerie du culte musulman ne célèbre pas d’offices, à une exception près : en opérations extérieures, lorsque les militaires n’ont pas accès à un lieu de culte. Il s’agit d’éviter de regrouper les militaires musulmans en fonction de leur confession : « ce sont eux qui font la démarche de venir. Le but cest déviter de créer une sous-communauté au sein de la communauté des forces armées, qui se réunirait autour de croyances pour les promouvoir ». ([133]) Certains aumôniers du culte catholique, et surtout leurs coreligionnaires, ne prennent pas les mêmes précautions.

Les moyens généraux sont en effet trop souvent utilisés pour envoyer des invitations à des cérémonies catholiques. Il n’est pas rare que le courriel d’invitation à la messe en l’honneur du saint-patron soit envoyé depuis la boîte courriel de l’unité ou depuis celle du commandant. Certaines activités sont organisées de telle sorte que le moment religieux revêt un caractère quasiment incontournable. S’en exonérer reviendrait à rompre l’unité du groupe. Par exemple, la journée de cohésion organisée au Mont Saint-Michel par les saint‑cyriens donne lieu à un baptême du sabre ou du casoar. Après une telle journée dont l’acmé est manifestement cette cérémonie, les rapporteurs s’interrogent sur l’envie que peut avoir un élève de s’éclipser à ce moment précis en manifestant ainsi sa différence.

Ce mélange des genres s’est aussi manifesté à l’occasion d’un évènement tragique à l’École spéciale militaire en 2012. À la suite du décès d’un de leurs camarades, les élèves de la promotion ont été réunis pour une messe suivie d’une veillée funèbre catholique, qui a tenu lieu d’unique moment de recueillement et de cohésion. Ce choix n’était pas, en l’occurrence, guidé par la religion de leur camarade décédé, celui-ci n’étant pas catholique. Les hommages militaires sont ainsi fréquemment rendus de manière concomitante à des cérémonies religieuses.

Comme l’a bien dit un aumônier, « lauteur du mail au service de la communication de létat-major na sans doute pas eu le sentiment de faire du prosélytisme ». Ces pratiques relèvent d’un manque de rigueur qu’il convient de corriger.

Proposition n° 28 : publier des directives de façon à ce que les activités à caractère religieux soient plus rigoureusement séparées des activités collectives

Proposition n° 29 : veiller à ce que les pèlerinages militaires cessent d’être financés par le ministère des Armées

Enfin, les rapporteurs estiment qu’une plus grande confidentialité doit entourer les dernières volontés des militaires relatives à leurs obsèques avant un départ en OPEX. Il leur a en effet été rapporté que les militaires se voyaient demander avant tout départ en opération le rite selon lequel ils souhaitaient que leur dépouille soit traitée. Ce choix figure dans le dossier du militaire. Les rapporteurs estiment qu’une plus grande confidentialité doit entourer ces dernières volontés et qu’elles pourraient, par exemple, être remises dans une enveloppe cachetée, comme le dossier médical.

3.   Gérer la mixité des hébergements avec souplesse

Le rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées établi le 4 avril 2014 par le contrôle général des armées et l’inspecteur général des armées – terre a recommandé de mettre à disposition du personnel féminin des locaux sanitaires et des vestiaires réservés et sécurisés. À défaut et au minimum, il était recommandé de veiller à organiser un accès séparé des femmes aux douches et aux vestiaires communs.

S’ils ne remettent pas en cause ces mesures de bon sens, les rapporteurs ont été frappés à plusieurs reprises par l’attitude des personnels féminins à l’égard de la gestion actuelle de la mixité et de ses règles, fréquemment dénoncées pour leur rigidité. Ainsi, à l’École de sous-officiers de Rochefort, l’augmentation du nombre d’élèves féminins et les règles relatives à la non-mixité risquent d’entraîner la construction d’un bâtiment supplémentaire. Après un rapprochement, lors d’une garde de nuit, entre deux élèves, les personnels féminins ont été dispensés de garde de nuit pour supprimer tout risque d’isolement d’un personnel féminin avec du personnel masculin. Il va sans dire que les personnels des deux sexes ont mal ressenti cette distinction. ([134]) En tout état de cause, comme l’a recommandé le président du HCECM, il faut être vigilant car toutes les distinctions peuvent être interprétées de manière ambiguë.

De manière générale, le regroupement des personnels féminins entre en contradiction avec la cohésion d’une unité et nuit à la circulation de l’information au sein de celle-ci. En opérations extérieures, des personnels féminins de plusieurs unités regroupés dans une même tente ont ainsi souffert d’être continuellement réveillés par leurs camarades dont les horaires différaient des leurs. « Dans la bande sahélo-saharienne, les femmes vivent avec leur section dans des tentes collectives mais tous les soldats bénéficient de parois amovibles en tissu ainsi que de sanitaires individuels mais non dédiés. Mais lorsquon leur demande si elles veulent avoir une tente à part, la réponse est unanime : les femmes ne veulent pas être à part », a indiqué l’amiral Olivier Coupry, chef de l’inspection des armées. Un effort doit encore être fait sur les sanitaires pour davantage préserver l’intimité : « il marrive de faire prendre des mesures de remédiation immédiate », a confirmé l’amiral. ([135])

Sur un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, en revanche, le président du HCECM a estimé que c’était une distinction souhaitable. ([136]) Dans la marine, en général, la modernisation des bateaux a grandement facilité la gestion de la féminisation. Sur les bâtiments les plus récents, la réduction de la taille des postes (ou chambres) permet d’en affecter certains uniquement au personnel féminin. 

En école, la situation est différente. La gestion de la mixité doit être conciliée avec l’objectif de créer un esprit de promotion, que favorise l’hébergement collectif. Les jeunes recrues âgées de 18 à 25 ans sont plutôt favorables à la mixité. Avec l’âge, le discours change, sans qu’il soit facile d’en déterminer la raison. Les craintes des conjoints, l’expérience ou peut-être aussi un effet générationnel expliquent ce discours moins enthousiaste.

Quoi qu’il en soit, les rapporteurs préconisent une gestion souple de la mixité des hébergements, adaptée aux circonstances. Sur le plan budgétaire, il ne leur paraît pas souhaitable de consacrer des sommes exagérées à la construction de bâtiments uniquement destinés à la gestion de la non-mixité, au détriment de programmes de construction de chambres individuelles ou de nouveaux bateaux plus favorables à la mixité.

Proposition n° 30 : ne pas appliquer avec trop de rigidité les règles relatives à la mixité de l’hébergement

Proposition n° 31 : favoriser le développement de l’hébergement en chambres individuelles pour accompagner la féminisation

4.   Mieux prendre en compte les individus

Le ministère des Armées fait des efforts croissants pour s’adapter aux individus, dès lors que cela est compatible avec l’état militaire.

Le « Plan Mixité » du 8 mars 2019 prévoit ainsi de créer un volet dédié aux « effets féminins » au sein de chaque commission de la tenue de chaque armée, direction et service. Les rapporteurs s’en félicitent, d’autant que les effets féminins sont toujours une source de préoccupation pour les personnels. Outre des coupes parfois inexplicables, des personnels signalent des coiffures blessantes, qui laissent des marques au front des femmes militaires.

Les récents progrès de la numérisation permettent désormais de commander ses effets depuis son téléphone mais ce changement s’est accompagné d’une restriction d’accès : les personnels féminins n’accèdent désormais plus qu’aux effets féminins alors qu’apparemment, beaucoup d’entre elles commandaient des effets masculins, de meilleure qualité.

Proposition n° 32 : suivre un indicateur de la satisfaction du personnel féminin à l’égard de ses effets et remplacer immédiatement les effets blessants ou dangereux

Les rapporteurs préconisent de généraliser la féminisation des grades, à l’instar de ce que pratique désormais la gendarmerie.

Proposition n° 33 : féminiser les grades, à l’instar de la gendarmerie

La question des rations de combat est un autre sujet de conversation récurrent parmi les militaires. Il existe aujourd’hui trois types de rations : sans porc, halal ou casher. Personne n’est obligé de manger halal ou casher, a rappelé l’aumônier en chef du culte musulman. Toutefois, il a pu arriver, pour simplifier la gestion des stocks, que les militaires se voient très largement distribuer des rations sans porc, qui conviennent a priori à tout le monde. La gestion des stocks par le commissariat des Armées a aussi entraîné des livraisons de plusieurs centaines de rations identiques. Il semble que la constitution de palettes diversifiées ait résolu le problème.

En revanche, en visite aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, les rapporteurs ont partagé des rations avec des élèves du 4e bataillon, officiers sous contrat (OSC), sélectionnés sur titres. Environ 10 % des élèves-officiers ont alors spontanément mis de côté une bonne partie de leurs rations. Végétariens ou végétaliens, ils évitent en effet de manger de la viande sauf en cas d’absolue nécessité. Ils s’alimentent tous avec des produits achetés dans le commerce qu’ils transportent avec eux. À défaut, ils mangent moins, ce qui peut poser un problème opérationnel.

Selon le médecin en chef Laurent Martinez, coordinateur national du service médico-psychologique des armées, il n’existe pas, en effet, de rations végétariennes mais « on trouve toujours des légumes au self, même si cela ne résout pas la question de lapport en protéines ». ([137]) La directrice centrale du SSA a reconnu que le service de santé des armées ne s’était pas penché sur la question, malgré son rôle de conseiller du commandement en matière nutritionnelle. Il a été précisé que le régime alimentaire ne faisait pas l’objet d’une question durant les différentes visites, et notamment la visite de sélection (on peut devenir végétarien plus tard, ou cesser de l’être), sauf en vue de déceler une éventuelle allergie. Les rapporteurs estiment qu’il serait utile de veiller à l’élaboration de rations végétariennes en veillant à ce qu’elles apportent suffisamment de protéines végétales.

Proposition n° 34 : proposer des rations de combat végétariennes avec un apport en protéines végétales suffisant

En 2018, le secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées a publié un vade-mecum sur le changement de genre, afin d’aider le commandement face à la situation délicate de transition. Il aborde les dimensions juridiques, médicales, et managériales de cette démarche. Les quelques cas survenus, pour l’instant uniquement dans la marine et dans l’armée de l’air, ont apparemment été appréhendés sans difficultés.

5.   Appliquer et contrôler le plan « d’excellence comportementale » dans les lycées militaires

Les rapporteurs saluent le plan « d’excellence comportementale » mis en œuvre dans les lycées de la défense et en approuvent la plupart des orientations.

Ils recommandent toutefois de veiller à ce que la recherche de cadres féminins ne cantonne pas celles-ci à des postes non opérationnels, limitant leurs perspectives de carrière et renforçant ainsi certains préjugés. Il convient d’être particulièrement vigilant à cet égard pour éviter ce que d’aucuns ont appelé « léviction douce » des femmes des postes les plus opérationnels. Comme l’ont mis en évidence plusieurs auditions, l’essentiel reste de mettre au contact des élèves des personnels bien formés.

Proposition n° 35 : renforcer la part des personnels féminins parmi les encadrants dans les lycées militaires, sans porter préjudice aux militaires de carrière et donc, au besoin, en recourant à des cadres civils

Ensuite, ils relèvent qu’en juin 2013, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire recommandait que les contacts institutionnalisés entre les classes préparatoires des lycées militaires et les grandes écoles d’officiers fassent l’objet d’une réflexion conduite par l’institution. Les officiers-élèves les plus anciens pourraient, par exemple, se charger de maintenir les liens traditionnels avec les élèves des classes préparatoires à la place de ceux qui viennent d’intégrer l’école d’officier.

Proposition n° 36 : faire participer des élèves officiers plus anciens aux « retours des intégrants » dans les lycées militaires

Les rapporteurs ont été sensibles au désarroi exprimé par les élèves à propos de la prohibition de leurs traditions estudiantines et du manque de militarité ressenti pendant leur formation. Comme le prévoit le plan « d’excellence comportementale », les rapporteurs préconisent de consacrer du temps à une préparation militaire dans les armées. En outre, ils souhaitent qu’une forme institutionnalisée de mentorat voie le jour, avec des traditions attractives mais étroitement encadrées par le commandement, pour concurrencer les dérives informelles qui ne manqueront pas de persister à l’extérieur des lycées si elles sont totalement interdites en son sein.

Proposition n° 37 : sassurer dune totale maîtrise des activités de cohésion par les autorités militaires

Proposition n° 38 : mettre en place des périodes consacrées aux activités militaires, strictement encadrées par des militaires, pour les élèves des classes préparatoires des lycées militaires

Proposition n° 39 : faire entrer le mentorat des élèves des classes préparatoires des lycées militaires dans un cadre officiel

Les enseignants des lycées militaires sont des personnels détachés de l’Éducation nationale. De l’aveu même des intéressés, qui ne s’en satisfont pas, leurs liens avec les rectorats sont très distendus. Les enseignants ne sont plus inspectés. L’attention des rapporteurs ayant été appelée sur des propos négationnistes tenus par un enseignant dans un lycée militaire, ils estiment que des inspections régulières sont nécessaires. Par ailleurs, il ne leur paraît pas souhaitable que des enseignants puissent rester plusieurs décennies dans un même lycée militaire.

Proposition n° 40 : veiller à ce que les enseignants des lycées militaires soient inspectés

Tout comportement misogyne doit être immédiatement sanctionné. Le refus de parler aux femmes doit entraîner une exclusion de l’élève, comme le prévoit le plan ministériel, et l’interdiction de rejoindre un autre lycée de la défense. Les rapporteurs ajoutent que ces élèves devraient se voir interdire de passer les concours des grandes écoles militaires.

Proposition n° 41 : sanctionner immédiatement les élèves qui refusent de parler aux femmes, veiller à ce que les élèves commettant de tels faits soient exclus de tout lycée militaire et des concours des grandes écoles militaires

Si ces mesures ne suffisent pas, il conviendra alors d’étudier d’autres pistes, plus radicales. Une première piste consisterait à affecter aléatoirement les élèves dans les différents lycées militaires. À ce stade, les rapporteurs ne l’ont pas retenue, estimant que cela porterait préjudice notamment à des élèves ultra-marins, soucieux d’étudier non loin de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Une seconde serait de remettre en cause le caractère en partie militaire de ces établissements, et de mettre fin à l’entre-deux actuel en faveur d’une formule civile accompagnée de préparations militaires encadrées en dehors du lycée. Les rapporteurs se sont en effet demandé si la situation actuelle ne mettait pas les cadres militaires des lycées en porte-à-faux, faute d’avoir à leur disposition l’ensemble des leviers de commandement qui caractérisent normalement les chefs militaires. Cela ne remettrait toutefois pas en cause la mission d’aide aux familles de militaires de ces lycées. Une troisième piste consisterait à renouveler à intervalles réguliers l’ensemble des personnels, civils et militaires, travaillant dans ces établissements, afin de rompre avec certaines habitudes acquises ou certaines ententes. Les rapporteurs regrettent de n’avoir pas eu l’occasion d’évoquer cette piste avec tous les professeurs du lycée de Saint-Cyr l’École, en particulier les professeurs de la section Lettres, absents le jour de leur visite.

B.   Former & sensibiliser

Comme l’ont souligné les membres du CSFM ([138]), les armées ne peuvent assumer toute la responsabilité du travail de sensibilisation qui relève d’une politique nationale. La lutte contre les discriminations devrait reposer avant tout sur l’éducation. Toutefois, les armées peuvent y prendre part à l’occasion des formations qu’elles délivrent.

1.   Faire évoluer les traditions

Les traditions sont une manifestation concrète de l’esprit de corps et de l’identité militaire. Elles puisent leur fondement dans le patrimoine historique, inscrivent les militaires dans la Tradition, celle du métier militaire, et au-delà dans une histoire collective, qui doit donner du sens à leur action. Elles offrent des symboles qui permettent à chaque militaire d’aborder intimement son rapport à la mort, à l’histoire, au collectif et aux autres. Comme le souligne un document interne à l’armée de terre, la sélection a un caractère impitoyable : « tel élément reste, tel autre sombre dans loubli ». ([139]) Des traditions naissent, évoluent et parfois disparaissent.

Comme en témoignent les mesures prises par les armées pour encadrer la transmission des traditions dans les grandes écoles militaires, nombre de traditions ont dû être remises en cause pour des raisons de sécurité. Certaines ont disparu, d’autres doivent être légitimement remises en cause. Il en est ainsi, par exemple, pour certaines pratiques dangereuses comme les bains de fluorescine dans la marine ou les activités des saint-cyriens à « Bazar beach », autrement dit dans la mare insalubre de Coëtquidan.

Sans remettre en question l’importance des traditions, les rapporteurs estiment qu’un effort de créativité doit être mis en œuvre pour remplacer certaines activités.

L’École polytechnique souligne l’enjeu de pérenniser
les dispositifs de lutte contre le sexisme

Depuis 2015, l’École polytechnique a ainsi mis en place des mesures pour lutter contre le sexisme et les discriminations envers les étudiantes, sous l’impulsion du pôle « Diversité et réussite », créé en 2014, et des élèves féminines engagées sur ces sujets, notamment membres du « binet » (association étudiante) « X au féminin ». Ce dialogue a permis de libérer la parole en interne et d’aboutir à la publication d’une revue LIK au féminin.

Les responsables de la « Khomiss » sont davantage sensibilisés aux sanctions et aux peines qu’ils encourent en organisant des activités humiliantes. Le directeur général François Bouchet rappelle à cet égard que le responsable de l’année 2014 a fait l’objet d’une mesure d’exclusion et de poursuites judiciaires, à la suite de la publication de photomontages pornographiques mettant en scène le personnel de l’École.

Une référente Mixité a été nommée le 2 novembre 2015. Elle organise des formations en début d’années, adaptées à un public étudiant. Un plan de lutte « Harcèlement, Discrimination et Violences Sexuelles » a été lancé en juin 2017 et l’École polytechnique a rejoint l’initiative #StOpE (Stop au sexisme ordinaire en entreprise) en décembre 2018. « La question de la pérennisation et de lextension à tous les acteurs de la lutte contre les HDV-S est centrale », a souligné le président du conseil d’administration de l’École, M. Éric Labaye. En effet, la population des élèves se renouvelant sans cesse, l’effort de formation et de sensibilisation doit être maintenu.

 

Proposition n° 42 : encadrer par des directives écrites le déroulé des activités de transmission des traditions dans toutes les écoles militaires

Proposition n° 43 : mettre fin à certaines activités folkloriques dangereuses pour la santé dans les écoles militaires

Proposition n° 44 : sonder les étudiants des écoles militaires, pendant leur scolarité et après leur départ, sur leur vécu des activités de tradition, en garantissant le respect de lanonymat

Proposition n° 45 : interdire les activités dégradantes comme les classements délèves ou les remises de médailles humiliantes et sanctionner avec sévérité les élèves qui sy livrent

Proposition n° 46 : engager une réflexion sur les traditions et les activités de cohésion pour susciter de nouvelles idées

Certaines traditions peuvent être simplement adaptées. Ainsi, les armées veillent depuis plusieurs années à développer les alternatives à l’alcool, dans le cadre de la prévention des conduites addictives. L’aumônier en chef du culte musulman a également relaté une anecdote datant d’une rencontre avec le commandant de la légion étrangère en 2007-2008 : « “la poussière” est une célèbre tradition de la Légion. Cela consiste à servir un fond de verre de vin, censé nettoyer le verre, et à le boire. Après on entonne : “Tiens, voilà du boudin !”. Jappréhendais ce moment-là. Spontanément, le responsable de table ma fait un clin dœil : il avait remplacé le vin par de la grenadine. » ([140])

2.   Renforcer la déontologie et promouvoir les savoirs-être militaires

Les rapporteurs préconisent de s’appuyer davantage sur les textes déontologiques et sur les formations relatives au comportement du militaire pour diffuser des messages préventifs incitant à la discrétion, à la neutralité ou à l’absence de familiarité en uniforme.

Au cours de leur audition, le général Jean-Marc Loubès, commandant à l’époque la région de gendarmerie d’Île-de-France, et la lieutenante Marie-Ange Detey, coordinatrice du réseau Égalité et diversité en Île-de-France ([141]), ont relaté un exemple de cas pouvant être traité sous l’angle de la déontologie. Ils ont décrit le « paternalisme maladroit » d’un gradé, adjoint au commandant d’une unité territoriale, qui touchait les cheveux et tirait la queue de cheval d’une jeune gendarme. « Cela faisait rire les autres. Ce personnel critiquait aussi beaucoup le conjoint de cette jeune femme. Elle sest adressée à une gradée féminine, qui a rendu compte au commandant de compagnie, qui sest déplacé sans délai. Le gradé a reconnu les faits, mais pas la faute. Il a assuré que les propos quil avait pu tenir à légard du compagnon de cette jeune femme étaient bienveillants. Il a fallu lui expliquer que son comportement était inapproprié. Eu égard à ses responsabilités, il a été muté et a été sanctionné de vingt jours darrêt. Dune ancienne génération, ce militaire était incapable de se remettre en cause. Il a toutefois accepté sa mutation, qui lui permettra peut-être de samender. » À la suite de cet événement, le commandant de compagnie a effectué une action de sensibilisation dans la compagnie à destination de ses commandants d’unités.

Rebondissant sur ce cas d’espèce, le général Jean-Marc Loubès a souligné le lien avec les dispositifs de prévention. À titre personnel, il estime que « faire la bise » aux personnels féminins sans leur accord (« Ici, c’est comme ça ! ») est inapproprié. Ce genre de choses est donc traité via les campagnes d’information. La lieutenante Marie-Ange Detey a ajouté qu’il était utile d’amener à une réflexion sur ces pratiques lors de réunions collectives.

Proposition n° 47 : faire comprendre aux nouvelles générations la pertinence des savoirs-êtres militaires comme la neutralité, la discrétion ou l’absence de familiarité en uniforme

Les rapporteurs considèrent que l’observance des règles de vie militaires peut être d’un grand secours pour le traitement de ces comportements qui seraient peut-être plus difficiles à appréhender dans le monde civil. Ils s’en félicitent.

3.   La sensibilisation aux risques psycho-sociaux et de discrimination

En 2017, la cellule Thémis a réalisé 38 interventions directes d’une durée moyenne d’une heure trente, touchant environ 1 850 personnels. En 2018, 31 interventions ont eu lieu, visant 1 000 personnels. S’agissant des formations au profit de formateurs relais qui dispenseront des informations au sein de leurs organismes respectifs, deux séances de formation ont été organisées en 2017, au profit de 127 personnels devenus formateurs-relais. En 2018, une séance a réuni 44 personnes. En 2019, une séance s’est tenue en février, pour 46 personnes. D’autres sont planifiées. ([142])

Avec ses moyens limités, la cellule Thémis ne dispense donc qu’une trentaine de formations par an pour l’ensemble du ministère. Le contrôleur général des armées Christian Giner a aussi déploré le manque de temps dont disposaient les armées pour ce type de formation, éloignées de leurs préoccupations opérationnelles. Les états-majors envoient tout de même des formateurs relais auprès de la cellule Thémis pour être formés : 120 l’ont ainsi été en 2017, 150 en 2018. L’armée de terre est volontaire dans ce domaine : « elle envoie énormément de monde. […] Larmée de terre considère les cas de discriminations comme une altération de la cohésion, qui porte atteinte à lefficacité opérationnelle. Elle est donc très allante », a estimé le contrôleur général des armées Christian Giner. ([143])

Un plan de formation a en effet été mis en place en 2017 dans l’armée de terre ([144]) sur la question spécifique du harcèlement et des violences à caractère sexuel. L’objectif est de sensibiliser 40 000 soldats par an. À ce stade, 16 000 soldats de la force opérationnelle terrestre ont été formés. Ce chiffre progresse mais il est aujourd’hui limité par la capacité de formation de formateurs référents par la cellule Thémis (trois stages de 48 places par an).

D’après les éléments recueillis par les rapporteurs, les formations dispensées par Thémis sont très axées sur le droit et peu attractives pour des militaires du rang ou un public de jeunes élèves. Les formateurs relais ont commencé à adapter les formations aux spécificités de leurs publics. La diffusion de l’information reste toutefois lente. Au cours de l’audition de la délégation du CSFM, le manque d’information, en particulier des militaires du rang, sur les dispositifs, mais aussi sur les types de discriminations prohibés par le code pénal a ainsi été souligné. ([145]) Compte tenu du taux de renouvellement des personnels et de la mobilité, les membres du CSFM estiment que l’effort d’information doit être renouvelé constamment. La plupart des militaires du rang n’ont pas d’ordinateur, ce qui réduit la portée d’une approche seulement numérique, ont averti les membres de la délégation. Des documents visuels pourraient permettre de familiariser les soldats avec les outils à leur disposition en cas de discrimination.

Enfin, la directrice du SSA a indiqué aux rapporteurs que 200 personnels du service avaient suivi les formations relatives aux risques psycho-sociaux depuis 2014, sous la forme de sessions de 30 à 40 participants, sur un total de 1 800 médecins, dont 560 (660 en théorie) dans les centres médicaux des armées. « Il ne faut pas oublier que le SSA forme ainsi des formateurs et que les informations délivrées irriguent ainsi au-delà des seules sessions organisées à Paris », a aussi souligné la directrice centrale. ([146]) Le médecin en chef Laurent Martinez a indiqué qu’il faudrait attendre 2020 pour établir un premier bilan. Les formations Thémis ayant débuté en 2017, il n’y aurait aujourd’hui pas assez de recul.

Les rapporteurs préconisent de renforcer les moyens consacrés à la formation et d’adopter un plan de formation structuré autour de trois publics prioritaires :

– le commandement ;

– les « capteurs » du moral (médecins, assistants sociaux, aumôniers, référents Mixité, présidents de catégorie…) ;

– les militaires du rang.

Les rapporteurs suggèrent de varier les supports selon les publics : des « fiches réflexes » seraient prioritairement adressées au commandement, afin de réserver les formations délivrées par Thémis aux « capteurs » du moral. Enfin, la formation des militaires du rang pourrait reposer sur des stratégies de sensibilisation plus ludiques, comme le e-learning, des jeux en ligne ou une campagne sur les réseaux sociaux.

Deux pratiques de la gendarmerie pourraient être généralisées :

– d’une part, l’intervention de grands témoins et d’associations de lutte contre les discriminations comme SOS homophobie, Flag!, ou la LICRA dans les formations ;

– d’autre part,  une mission au profit des « hauts potentiels » qui permet notamment de faire travailler des officiers sur leur mode de commandement, au besoin avec des formateurs extérieurs, spécialisés en « management ».

Proposition n° 48 : élaborer un plan de formation sur les risques psycho-sociaux et les risques de discrimination en accordant la priorité à la formation des référents de tous types, des capteurs du moral et du commandement

Proposition n° 49 : sensibiliser et former l’ensemble des militaires sur les risques psycho-sociaux et les risques de discrimination grâce au e-learning, des jeux en ligne ou des interventions extérieures

Proposition n° 50 : renforcer les outils à la disposition du commandement en publiant des « fiches réflexe » largement diffusées sur les dispositifs de lutte contre les discriminations

Proposition n° 51 : envoyer un dépliant sur les dispositifs d’alerte professionnelle avec le bulletin de solde

IV.   Détecter et réparer

Toutes les forces armées promeuvent une « tolérance zéro » à l’égard des comportements déviants. L’enjeu majeur reste de les détecter.  

A.   Détecter les comportements inappropriés

Le dispositif de détection paraît devoir être réorganisé.

1.   Renforcer les cellules d’alerte professionnelle

Les rapporteurs proposent de redessiner les dispositifs de lutte contre les discriminations dans les forces armées de la manière suivante.

La cellule Écoute Défense resterait pertinente pour la prise en charge médicale de la souffrance psychique des militaires. Les appelants doivent être des professionnels formés à l’écoute. Ils doivent pouvoir orienter les appelants vers la cellule Thémis, ce qu’ils font déjà, en pratique.

Le numéro d’appel gratuit d’Écoute Défense est certes plutôt bien connu mais les rapporteurs préconisent de le simplifier davantage. Il doit devenir incontournable et être identifié comme le numéro unique en cas de problème. Cette simplification devrait favoriser la communication.

Proposition n° 52 : simplifier le numéro d’appel Écoute Défense et renforcer l’effort de communication sur ce numéro, qui devrait devenir le numéro unique en cas de problème

Garant d’une autonomie à l’égard de la hiérarchie militaire et néanmoins d’une bonne compréhension des spécificités militaires, le positionnement de Thémis serait maintenu sous l’égide du contrôle général des armées. La cellule verrait ses effectifs renforcés dans des proportions significatives pour atteindre au moins le niveau des huit personnels qui devraient prochainement constituer la cellule Stop-Discri, laquelle est compétente sur un périmètre beaucoup moins vaste. Thémis serait plus spécifiquement chargée de la prise en charge juridique d’une situation occasionnant une situation de souffrance, autrement dit : son champ serait élargi au harcèlement moral et aux discriminations de toutes natures, en lien avec l’inspection du travail des armées (composante du contrôle général des armées).

Outre le conseil juridique des réclamants, elle aurait la possibilité de demander des enquêtes internes et des procédures disciplinaires. Elle doit avoir une capacité de juger de la qualité des enquêtes internes. Elle doit pouvoir compter sur le soutien du ministre pour obtenir les éléments demandés aux états-majors, qui rechignent à répondre pour 10 à 20 % des dossiers, d’après les informations fournies à la mission d’information.

Proposition n° 53 : augmenter les effectifs de la cellule Thémis et élargir son champ à toutes les formes de harcèlement

2.   Organiser les « capteurs » en réseaux

Le général Jean-Marc Loubès, commandant la région de gendarmerie d’Île-de-France (RGIF), a expérimenté plusieurs bonnes pratiques que les rapporteurs jugent utile de promouvoir. En 2016, à son arrivée à la tête de la RGIF, le général a souhaité renforcer les outils de mesure de la souffrance au travail. Il s’est d’abord appuyé sur la hiérarchie, considérant que « cest fondamental ». ([147]) Pour autant, son constat est sans appel : la hiérarchie ne voit pas toujours les problèmes vécus par un individu en particulier ou une catégorie de personnels : « quoi quon fasse, la hiérarchie ne verra pas tout ce qui se passe dans son dos. » ([148]) Pour « donner un vrai démarrage à la lutte contre les discriminations », le général a donc nommé une coordonnatrice à la tête du réseau « égalité professionnelle et diversité » (RED) conformément au dispositif préconisé par la direction générale de la gendarmerie nationale. Des outils ont ensuite été mis en place en complément de la chaîne hiérarchique. Ils ont été optimisés pour détecter les signaux faibles qui montrent qu’il y a, ici ou là, des difficultés, des dysfonctionnements, ou des problèmes relationnels.

Le général a distingué plusieurs cercles de capteurs, outre la hiérarchie. Depuis 2016, l’officier adjoint police judiciaire zonal s’est vu confier le rôle de référent Déontologie, au sein de l’état-major, auprès du général. Ce référent anime un réseau d’officiers déontologues auprès des commandants de groupement. Il conseille le général, de même que les officiers déontologues en groupement conseillent les commandants de groupement. En outre, le général bénéficie d’un officier et d’un sous-officier chargés de la concertation. « Depuis 2017, la gendarmerie sest résolument engagée dans le dialogue interne », a rappelé le général Loubès. « Les 120 conseillers Concertation en Île-de-France élus par leurs pairs dans les trois niveaux hiérarchiques structurants de la gendarmerie, conseillent le commandement ainsi que leurs pairs sur la réglementation interne, lambiance, le moral. Leur rôle a été renforcé après la crise de 2001-2002 [nb : grève inédite de sous-officiers d’active, en tenue, pour dénoncer leurs conditions de travail]. À mon niveau, mes deux conseillers Concertation ont accès à tous les bureaux de létat-major et à tous les dossiers. Il ny a aucun secret pour eux. Depuis un an, un conseiller Officiers y a été adjoint. Ce nest pas prévu dans les régions zonales alors que cela existe au niveau national et au niveau départemental. Lobjectif est de mieux comprendre les problématiques propres aux officiers. » La direction générale a autorisé l’expérimentation de ce dispositif qui n’existe qu’en Île-de-France aujourd’hui. Le premier cercle du général Jean‑Marc Loubès était donc composé d’un colonel référent Déontologie, de trois conseillers Concertation et d’une correspondante animatrice du réseau Égalité professionnelle et diversité.

Le deuxième cercle est moins directement en contact avec le général. Les aumôniers en font partie, avec les assistants du service social des armées, les médecins militaires et les organisations syndicales des personnels civils. Enfin, le troisième cercle est éloigné géographiquement et hiérarchiquement. Il est composé des référents Égalité professionnelle et diversité, mis en place au niveau départemental, auxquels il faut ajouter les personnels eux-mêmes.

« À part le conseiller Officiers, ces dispositifs préexistaient », a pointé le général. « Ce qui est propre à la région Île-de-France, cest la logique de réseau, les échanges quotidiens, le travail déquipe et danimation. » Revenant sur la difficulté de détecter les personnes en souffrance, le général a souligné la nécessité de mieux faire connaître ces réseaux d’alerte et surtout, de s’assurer de la confiance que suscitent ces réseaux.

La délégation du CSFM reçue par les rapporteurs a fait des constats similaires : les référents gagneraient à s’organiser en réseaux, pourvus de formations plus solides et de bases documentaires complètes. ([149])

Proposition n° 54 : favoriser les échanges au sein des réseaux de référents

3.   Faciliter la communication interne

Thémis a produit un vade-mecum sur le harcèlement et des plaquettes de communication, rééditées récemment en 20 000 exemplaires. Ces plaquettes sont envoyées aux états-majors « qui en font ce quils veulent ». ([150]) En déplacement dans plusieurs emprises du ministère des Armées, les rapporteurs n’ont en effet quasiment jamais vu d’affiche concernant la cellule Thémis, le harcèlement ou les discriminations. Aucun des inspecteurs entendus par la mission d’information ne veille à ce que les affiches d’information sur les cellules d’écoute et d’alerte professionnelle soient présentes en nombre suffisant. Le ministère des Armées convient que Thémis souffre encore aujourd’hui d’un manque de visibilité évident.

Proposition n° 55 : diligenter une campagne d’affichage sur les dispositifs d’alerte professionnelle

Proposition n° 56 : donner aux inspections linstruction de contrôler la présence daffiches et de documents de communication en nombre suffisant dans lensemble des hôpitaux, centres médicaux, et antennes médicales, ainsi que dans les bureaux où sont présentes les assistants sociaux et les aumôneries

L’effort de détection des mauvais comportements ne doit pas être détourné de son objectif par une instrumentalisation malvenue. Les chefs d’unité doivent être mieux formés et soutenus dans leurs décisions. En outre, les rapporteurs suggèrent de s’inspirer d’une bonne pratique en vigueur dans la gendarmerie. « Ce qui paraît avant tout important cest détablir la vérité et déviter quune personne puisse être injustement accusée de discrimination. À ce titre, la lettre de réhabilitation est une idée du général Lizurey », a précisé le général Jean-Marc Loubès. Elle permet de rassurer une personne qui aurait été injustement visée à la suite d’une fausse dénonciation.

Une procédure de réhabilitation bienvenue dans la gendarmerie

Entendu par la mission d’information, le colonel Jean-François Valynseele, chef du pôle affaires réservées et déontologie en charge de la cellule Stop-Discri à l’inspection générale de la gendarmerie nationale, a évoqué la procédure de réhabilitation instaurée par la note-express n° 041892 du 8 juin 2017 à laquelle les rapporteurs ont eu accès, à l’initiative du directeur général de la gendarmerie nationale.

En application de cette note, il est établi que si un personnel a été injustement mis en cause, les trois mesures suivantes seront prises cumulativement :

1.- La sous-direction de l’accompagnement du personnel soumettra à la signature du directeur général de la gendarmerie nationale un courrier de soutien à l’attention du personnel, sous couvert des échelons hiérarchiques.

2.- Le commandant de région de gendarmerie (ou l’autorité assimilée) recevra personnellement l’intéressé en entretien pour l’assurer de son soutien.

3.- Dès réception de la copie du courrier du directeur général, le commandant de groupement ou l’autorité assimilée (voire un officier désigné par lui) se rendra dans l’unité ou le service du mis en cause et informera ce dernier devant l’ensemble des personnels des conclusions tirées par le DGGN sur la base du rapport de l’IGGN.

Une quarantaine de lettres ont ainsi été adressées à des militaires accusés à tort depuis 2017. 

 

Proposition n° 57 : généraliser la procédure de réhabilitation mise en œuvre dans la gendarmerie

B.   Restaurer la confiance dans les dispositifs

1.   Rendre les sanctions disciplinaires plus efficaces et lisibles

Le président du HCECM a estimé que la lutte contre les discriminations devait avant tout reposer sur une application sans faiblesse de la loi, comme pour le respect de l’obligation de loyalisme. Il a cité à cet égard la récente décision ( 412 541 ; 27 juin 2018) de la deuxième chambre du Conseil d’État sur un capitaine de gendarmerie mobile qui critiquait anonymement la politique du gouvernement sur les réseaux sociaux. Les spécificités de l’état militaire permettent en effet de traiter sous l’angle déontologique bon nombre de comportements et de propos qui ne pourraient être sanctionnés dans le monde civil. Il serait regrettable que des propos racistes, sexistes ou homophobes, des entorses à la laïcité, ou autres, soient traités avec plus de légèreté que la publication d’un article de réflexion stratégique dans une revue nationale.

Les rapporteurs estiment qu’une réflexion sur le barème des sanctions est par ailleurs indispensable. Le rapport précité de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées de 2014 recommandait déjà d’utiliser tout l’arsenal disciplinaire, autrement dit de renforcer les sanctions disciplinaires prononcées. En réalité, il ne s’agit pas tant d’aggraver les sanctions que de les rendre plus lisibles en effectuant un travail d’harmonisation entre les forces armées ainsi qu’un effort de communication. En clair, il est gênant qu’un militaire du rang dans l’armée de terre soit sanctionné de vingt jours d’arrêt quand, pour le même fait, l’officier de marine n’aura que cinq jours d’arrêt. Les raisons invoquées, à savoir la prise en compte variable des sanctions dans les carrières selon les grades et les armées, ne paraissent pas convaincantes au regard de l’incompréhension que suscitent ces politiques de sanctions différentes.

Le général de corps d’armée Jean-Marc Loubès, commandant la région de gendarmerie d’Île-de-France au moment de son audition, a également insisté sur l’importance de la progressivité des sanctions. Une réponse graduée garantit d’appliquer une « tolérance zéro » tout en permettant aux auteurs de comportements inappropriés de s’amender. Le suivi des sanctions disciplinaires est, dès lors, essentiel. La réflexion sur la graduation des sanctions doit aussi s’intéresser aux règles de prescription. Dans l’armée de terre, certains faits donnent lieu automatiquement à une sanction de trente jours d’arrêts minimum, de manière à ne pas entrer dans le champ de l’effacement quadriennal. Les travaux de la mission d’information laissent en effet entrevoir un enjeu concernant le suivi des sanctions pour des faits portant atteinte à la cohésion. Ainsi, l’attention de l’un des deux rapporteurs a été appelée sur le cas d’une militaire à qui il fut proposé une affectation qui la mettait en présence de son ancien agresseur.

Les rapporteurs souhaitent que le commandement soit davantage responsabilisé, à l’instar de ce commandant d’unité en gendarmerie, sanctionné pour n’avoir pas fait effacer une inscription homophobe sur un mur de l’enceinte. Cette responsabilisation doit évidemment être précédée d’un effort de formation et doit s’accompagner d’un engagement de toute la chaîne hiérarchique. Les commandants d’unité qui demandent de l’aide ou qui font face à des décisions difficiles doivent pouvoir compter sur le soutien de leur hiérarchie.

Les rapporteurs invitent aussi à sanctionner avec sévérité les auteurs de dénonciations calomnieuses, a fortiori lorsqu’une volonté de nuire est clairement établie. Les cas d’instrumentalisation des dispositifs sont rares mais ils existent. Ainsi, il fut rapporté aux membres de la mission d’information le cas d’un gendarme affecté outre-mer qui se disait harcelé moralement par son supérieur. Après enquête, il s’est avéré qu’il était outre-mer depuis six mois mais que sa famille ne s’y plaisait pas. Il souhaitait rejoindre la métropole à la suite d’une décision prise « dans l’intérêt du service », pour ne pas avoir à rembourser ses primes.

Proposition n° 58 : sans préjudice du principe d’individualisation des sanctions, élaborer un barème de sanctions harmonisé et plus lisible

Proposition n° 59 : s’assurer que la hiérarchie qui n’a pas rendu compte de faits à bon escient soit également sanctionnée

Proposition n° 60 : sanctionner l’auteur de la dénonciation calomnieuse avec sévérité

2.   Créer un collège faisant office d’ombudsman militaire

La question de l’indépendance des dispositifs de lutte contre les discriminations a régulièrement été soulevée au cours des travaux de la mission d’information. Pour plusieurs personnes entendues par la mission, le simple fait que ces dispositifs soient mis en œuvre par des militaires est dirimant. Le modèle américain, qui repose sur de nombreuses agences indépendantes, a été cité en exemple. D’autres personnes auditionnées ont souligné que le positionnement en interne des dispositifs de lutte contre les discriminations avait au moins deux avantages :

– d’une part, les personnels en souffrance peuvent se confier à des écoutants comprenant les spécificités de leur emploi ou de leur unité,

– d’autre part, la proximité avec la chaîne de gestion RH permet d’activer rapidement des leviers pour régler les difficultés (séparation des protagonistes, lancement d’une enquête, mesures disciplinaires).

À l’instar du général de corps d’armée Jean-Marc Loubès, beaucoup ont souligné que la confiance que les personnels pouvaient avoir dans les dispositifs était un élément essentiel. Cette confiance ne pourra être obtenue que si les dispositifs sont :

– lisibles et bien connus ;

– contrôlables et contrôlés ;

– notoirement efficaces.

Les rapporteurs ne sont ainsi pas favorables à la création d’une énième autorité administrative indépendante, dont l’indépendance sera très relative puisqu’elle sera vraisemblablement composée de personnalités très compétentes mais issues de la haute fonction publique, voire du ministère des Armées, et qu’elle dépendra pour partie de la coopération de ce dernier pour obtenir des données.

Ils rappellent qu’outre les dispositifs de lutte contre les discriminations internes aux ministères, qui ne sont jamais que des médiateurs permettant aux employeurs de s’assurer du respect de leurs obligations légales et de promouvoir le bien-être au travail, le recours au juge est l’ultime recours offrant toutes les garanties d’indépendance souhaitables et que le Défenseur des droits a précisément été créé pour apporter conseils et assistance à tous ceux qui souhaitaient accéder au juge ou bénéficier d’une médiation extérieure.

Tout en maintenant les dispositifs existants, les rapporteurs proposent de renforcer l’évaluation de ces dispositifs et de leur articulation et préconisent ainsi la création d’un collège chargé de jouer le rôle d’ombudsman militaire.

La fonction d’ombudsman militaire (du suédois « médiateur », « défenseur » ou « protecteur ») connaît des acceptions et contours distincts d’un pays à l’autre (cf. annexe 8). Elle est généralement assurée par une autorité dont le champ de compétence porte sur des différends dans le secteur public militaire et peut par ailleurs comprendre la promotion du respect des droits de l’Homme, dont les questions de genre, de diversité et celles liées aux handicaps au travail. À partir de plaintes ou d’affaires individuelles, certains Ombudsman se saisissent d’enquêtes plus générales pouvant avoir un retentissement sur le commandement ou la préparation des forces.

En France et au ministère des Armées, qui n’utilise pas le terme, l’arrêté du 30 mars 2015 relatif à la fonction de médiateur militaire a confié cette fonction aux inspecteurs généraux des armées. Les inspecteurs généraux ne participent généralement pas ou de manière très exceptionnelle aux instances ou réunions internationales des Ombudsman militaires. L’activité déployée par ses instances n’est pas connue du ministère. Les rapporteurs le regrettent et préconisent de s’inspirer des modèles étrangers pour renforcer le rôle de contrôle du Parlement sur la condition militaire (voir annexe 4), un renforcement d’autant plus souhaitable et légitime que le statut militaire est en grande partie fixé par le législateur.

Le collège précité pourrait être composé de la façon suivante :

– de parlementaires, désignés de manière à assurer une représentation pluraliste du Parlement, et en particulier des oppositions ;

– le contrôleur général des armées en charge de la cellule Thémis ;

– l’officier de gendarmerie en charge de la cellule Stop‑Discri ;

– un membre du Conseil d’État, nommé par le vice-président de cette institution ;

– un magistrat de la Cour de cassation, nommé conjointement par le premier président et le procureur général près la cour ;

– le président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire.

Ce collège serait chargé d’émettre des recommandations sur l’amélioration des dispositifs de lutte contre les discriminations dans les forces armées, sur l’accès au droit des militaires et sur l’attribution de la protection fonctionnelle. Il établirait un rapport tous les cinq ans, sur la base des saisines dont il aura fait l’objet mais aussi de visites au sein des forces armées et de rencontres avec tous les acteurs de la concertation. Il pourrait notamment entendre les inspecteurs généraux d’armées, les inspections et le président de la commission des recours militaires.

Proposition n° 61 : créer un ombudsman militaire collégial associant des parlementaires


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   Examen en commission

La commission procède à lexamen du rapport de la mission dinformation sur lévaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des armées au cours de sa réunion du mercredi 27 mars 2019.

M. le président Jean-Jacques Bridey. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen du rapport d’information sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées présenté par MM. Bastien Lachaud et Christophe Lejeune, rapporteurs.

M. Christophe Lejeune, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, il y a tout juste un an, nous terminions la première lecture du projet de loi de programmation militaire 2019-2025. Entre autres améliorations, nous avions enrichi le rapport annexé de plusieurs dispositions relatives à la lutte contre les discriminations. Promulguée le 13 juillet 2018, la loi de programmation militaire l’affirme donc : « le ministère des Armées poursuit avec détermination sa politique de tolérance zéro en matière de harcèlement, discrimination et violence à caractère sexuel. Les victimes sont accompagnées sur les plans juridique et psychologique. Des cellules découte, dédiées aux situations de harcèlement ou de discrimination sont créées et produisent un bilan annuel. Un plan de formation pour lensemble du personnel du ministère est mis en place. » Il est bien dit que le ministère des Armées poursuit une politique de lutte contre les discriminations. En effet, un plan d’action avait déjà été élaboré en 2014, à la suite d’une mission d’enquête conduite par le contrôle général des armées et l’inspecteur général des armées – terre, à la demande du ministre, après que deux journalistes ont publié un livre sur des agissements sexistes dans les forces armées. Une cellule d’écoute et d’assistance juridique a alors été créée pour traiter des cas de harcèlement, discrimination et violences à caractère sexuel.

Quatre années plus tard, il y a tout juste un an, c’est-à-dire au moment même où nous rappelions collectivement dans la loi de programmation militaire notre engagement à lutter contre les discriminations, le journal Libération publiait une série d’articles sur la persistance de dérives misogynes, de propos homophobes et racistes, et de bizutage au lycée militaire de Saint-Cyr l’École. Voilà ce qui a motivé la création de notre mission d’information.

Le 16 mai 2018, notre commission a donc constitué une mission d’information sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des armées. Outre ses deux rapporteurs, en ont été désignés membres : M. Luc Carvounas, Mme Anissa Khedher, Mmes Sereine Mauborgne et Josy Poueyto. Entre le 28 juin 2018 et le 21 mars 2019, la mission d’information a entendu plus d’une centaine de personnes au travers d’une trentaine d’auditions ou de tables rondes et dans le cadre de visites sur des sites militaires. Ce programme de travail a été élaboré conjointement, en bonne entente entre nous, je tiens vraiment à le souligner. Nous avons pris le parti d’accepter toutes les demandes d’auditions qui nous ont été adressées. Seule l’une d’entre elles n’a pu être satisfaite, pour des raisons d’agenda. Nous avons garanti l’anonymat aux personnes qui le souhaitaient. Nous avons également reçu des témoignages par écrit et des documents photographiques qui ont été dûment transmis à la ministre pour enquête interne, compte tenu de la gravité des faits qu’ils pourraient refléter. Nous avons également demandé à ce que nous soient communiqués les rapports du contrôle général des armées et des inspections portant sur les lycées militaires et les écoles militaires. Nous avons reçu les responsables des cellules Thémis et Stop-Discri, ainsi que les inspecteurs et les avons interrogés sur leur fonctionnement et aussi sur certaines affaires précises.

Je précise toutefois que nous avons travaillé dans le respect de nos attributions et de nos prérogatives constitutionnelles. Nous ne sommes ni des universitaires, ni des magistrats. Notre rapport ne contient donc pas de jugements sur des situations individuelles, pas plus qu’il ne prétend déterminer la prévalence des discriminations dans les forces armées. Chacun son métier. Nous avons rempli notre mandat qui était d’évaluer les dispositifs mis en œuvre pour lutter contre les discriminations dans les armées, auxquelles nous avons adjoint la gendarmerie, qui est, elle aussi, composée de militaires. Pourquoi la gendarmerie ? Pour deux raisons principalement : la première, c’est que les gendarmes partagent aussi la condition militaire, qui nous est apparue assez vite comme justifiant une approche spécifique en matière de lutte contre les discriminations ; la deuxième raison réside dans les savoir-faire plus particulièrement développés par la gendarmerie, du fait de ses contacts étroits avec le public, et notamment à l’occasion d’affaires judiciaires. Certaines directions ou formations rattachées auraient sans doute mérité une attention que la mission d’information n’a pu leur consacrer dans le temps imparti : la délégation générale de l’armement ou les services de soutien et les organismes interarmées, que nous aurions souhaité voir davantage.

Je crois aussi nécessaire d’indiquer deux choses. Premièrement, notre rapport n’est pas une remise en cause du statut militaire. Deuxièmement, nous n’avons jamais eu l’intention de conduire un travail stigmatisant pour les forces armées. Les discriminations directes ou indirectes sont le fruit de processus communs à toute la société, dont les forces armées ne sauraient être tenues pour seules responsables. Nous n’avons pas de raisons de penser qu’il y aurait plus de discriminations dans les forces armées qu’ailleurs. Mais comme je le soulignais plus tôt, une approche adaptée est nécessaire, compte tenu des spécificités militaires. 

M. Bastien Lachaud, rapporteur. Notre rapport commence par rappeler ce que sont les discriminations et en quoi consiste la lutte contre les discriminations au niveau national. Nous avons encore fort à faire en la matière, mes chers collègues, et les forces armées ne sont pas les plus en retard en termes de plans d’action. Les discriminations sont des différences de traitement illégitimes, le plus souvent subreptices, inspirées par des préjugés ou des généralités, qui entretiennent des rapports complexes avec les inégalités de toute nature et qui mettent en évidence des rapports de domination entre groupes sociaux au sein d’une société. À ce titre, elles sont considérées à juste titre comme un « fléau » pour la cohésion sociale et autant d’injustices qui contreviennent au principe d’égalité que la République promet.

L’action publique antidiscriminatoire a deux volets : d’une part, faciliter l’accès au droit et, d’autre part, infléchir, de manière plus ou moins prescriptive, les comportements par des actions de sensibilisation et d’éduction. J’ajoute que le droit de la non-discrimination est en constante évolution. La cour d’appel d’Orléans a ainsi reconnu, le 7 février 2017, le caractère discriminatoire de l’ambiance hostile et sexiste de la rédaction d’un journal, constituée de blagues salaces, de propos insultants envers les femmes, de photographies sur les murs de « l’open space » représentant des collaboratrices du journal dans des positions déplacées. Ces progrès de la jurisprudence renforcent le besoin de formation et de sensibilisation.

Le sentiment de discrimination est vivace et en progression. Il est insupportable pour les individus et mine les fondements de la vie en société. Pourtant, peu d’enquêtes ou de recueil de statistiques permettent d’évaluer sa prévalence dans la société française.

M. Christophe Lejeune, rapporteur. Notre rapport consacre ensuite plusieurs développements aux spécificités de l’état militaire et propose une cartographie des risques informelle, à partir des retours des personnes que nous avons auditionnées. Chacun comprendra que la disponibilité en tout temps et en tous lieux crée des risques psycho-sociaux spécifiques. Mais qui aura spontanément mesuré les besoins exceptionnels de formation que suscite le turn over très fort qu’impose l’impératif de jeunesse dans les armées ? Au-delà, la vie en collectivité, le désir de cohésion, la pression de la mission, l’uniformité peuvent susciter des pathologies de groupe. Chaque armée, chaque unité, est aussi caractérisée par des risques spécifiques. La promiscuité est forte sur les bateaux de la marine mais certains marins, comme les sémaphoristes, souffrent au contraire d’un certain isolement.

Nous avons ensuite décrit l’ensemble des dispositifs qui concourraient à la lutte contre les discriminations, depuis les modalités particulières de concertation propres aux forces armées jusqu’aux créations les plus récentes, en passant par tous les professionnels qui suivent les militaires au quotidien, comme les médecins militaires, les aumôniers ou les assistants sociaux du ministère des Armées. Je voudrais profiter de la présentation d’aujourd’hui pour leur rendre hommage parce qu’ils assurent véritablement une mission exceptionnelle auprès de nos forces, avec des moyens qui se sont beaucoup réduits ces dernières années.

M. Bastien Lachaud, rapporteur. Parmi les créations les plus récentes figurent en bonne place les cellules d’alerte professionnelle.

Dans la gendarmerie, des événements dramatiques ont amené ses responsables à créer, en 2013, au sein de l’inspection générale, aux côtés des mécanismes de concertation déjà existant, une cellule appelée Stop-Discri, chargée de traiter toutes les réclamations de gendarmes s’estimant discriminés, harcelés ou en souffrance professionnelle.

Au ministère des Armées, la cellule Thémis a été créée en 2014 pour assister les victimes de harcèlement, discrimination et violences à caractère sexuel. Sa création n’est pas sans lien avec la crise médiatique suscitée par le livre La guerre invisible de Leila Miñano et Julia Pascual. C’est seulement par la suite que des liens ont été formalisés entre le réseau de psychologues « Écoute Défense » et la cellule Thémis. Plus récemment, la « crise » du lycée militaire de Saint-Cyr l’École de 2018 a donné lieu à la publication immédiate d’un plan d’action.

Mis en œuvre dans l’urgence, ces dispositifs du ministère des Armées semblent manquer d’une vision d’ensemble et surtout d’un investissement franc et massif. Cinq ans après sa création, la cellule Thémis est toujours très peu connue des militaires. À chacun de nos déplacements, nous avons cherché les affiches informant de l’existence de la cellule dans les lieux de vie ou les centres médicaux, sans succès. La cellule a été officiellement créée le 21 juillet 2014 ; pourtant, il a fallu attendre le 23 octobre 2018 pour que sa procédure de saisine et ses relations avec les états-majors soient formalisées. D’après le chef de la cellule, les états-majors rechignent à transmettre les informations dont ils disposent dans 10 à 20 % des dossiers. Les premières formations dispensées par Thémis ont eu lieu en 2017. Enfin, contrairement au nombre d’appels recensés par la cellule d’aide psychologique Écoute Défense, composée d’écoutants professionnels du service de santé des armées, le nombre de signalements à la cellule Thémis stagne. Bref : ce dispositif a été créé il y a quatre ans mais rien n’a été fait pour le rendre opérant. Thémis n’est composée que de trois personnels contre sept, et bientôt huit, pour son équivalent dans la gendarmerie !

Les plans successifs contre les discriminations liées au sexe et pour favoriser la mixité ont pu s’appuyer sur des données complètes sur la situation comparée des femmes et des hommes, publiées avec le Bilan social du ministère des Armées. S’agissant des autres types de discriminations, force est de constater que très peu de données sont disponibles. Le ministère des Armées a pourtant financé des études sur les trajectoires de carrière des militaires issus de l’immigration. Mais il n’en a pas tenu compte. Il a bien mis en œuvre des plans en faveur de l’égalité des chances mais sans jamais les évaluer et il s’agit essentiellement de mesures destinées à favoriser le lien armées-Nation ou à favoriser l’insertion professionnelle de jeunes dans l’ensemble de la société. Il ne s’agit pas de diversifier le recrutement militaire, ce que le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) avait pourtant préconisé dans son 7e rapport, en 2013.

Avec quelle conséquence ? Une grande diversité culturelle et sociale parmi les militaires du rang qui tranche avec l’homogénéité de l’encadrement supérieur. Qu’on en juge : selon l’Insee, 12,8 % des militaires du rang seraient issus de l’immigration contre 5,3 % des sous-officiers et 6 % des officiers. Comme l’a souligné le président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire : « ce trou dair entre les deux niveaux interpelle ». Bien évidemment, le mode de sélection à l’entrée des grandes écoles militaires présente les mêmes biais que pour la faculté de médecine ou d’autres grandes écoles. Mais le phénomène de reproduction sociale serait particulièrement significatif chez les officiers, selon deux sociologues que nous avons entendus. C’est pourquoi nous recommandons d’évaluer les mesures destinées à diversifier le recrutement des officiers et à élaborer un nouveau plan d’action.

M. Christophe Lejeune, rapporteur. C’est précisément l’effort de collecte de données sur l’égalité entre les femmes et les hommes qui a permis d’élaborer des mesures intelligentes, sans avoir à parler de quotas. Nous préconisons d’avoir la même approche d’évaluation sur toutes les discriminations.

Ancien maire, je suis fier d’avoir célébré le premier mariage homosexuel 100 % militaire dans ma commune. Les deux épouses vont bien et n’ont jamais été inquiétées pour leur relation. Mais ce n’est pas le cas partout. Aujourd’hui, il n’existe pas de sondages offrant des garanties d’anonymat qui permettraient aux militaires de faire état de la discrimination « diffuse » au quotidien, de dire à quelle fréquence ils entendent des réflexions homophobes, lesbophobes, racistes ou sexistes. Ces données seraient pourtant précieuses pour mener des actions de sensibilisation ciblées !

Dans le même ordre d’idées, il n’y a pas davantage de sondages pour qu’ils expriment un éventuel mal-être au travail. Le ministère des Armées procède pourtant à de nombreuses enquêtes mais elles permettent de dresser un tableau général de la situation, pas d’identifier des difficultés individuelles ponctuelles. La détection est donc un enjeu majeur. Notre rapport contient plus de cinquante recommandations pour rétablir la confiance dans le recrutement, la gestion RH, la gestion des carrières, et l’accès au droit, une confiance éprouvée par des pratiques d’un autre âge qu’il faut combattre sans faiblesse. Il s’agit pour l’essentiel de créer des voies de recours, d’instaurer davantage de transparence et de renforcer le contrôle du Parlement sur la condition militaire.

Une de nos propositions phare est la création d’une modalité de contrôle originale, associant des parlementaires, des magistrats et les responsables des cellules professionnelles pour ausculter régulièrement les dispositifs de lutte contre les discriminations. La plupart des armées occidentales se sont dotées d’ombudsman militaires, de médiateurs qui ont une grande liberté de ton. Nous avons voulu nous en inspirer, sans créer une énième autorité administrative indépendante, qui dépendrait de toute façon du ministère des Armées pour obtenir des informations et qui serait vraisemblablement composée de hauts fonctionnaires issus de ce ministère. C’est pourquoi nous proposons une modalité collégiale plutôt qu’un énième comité Théodule ! Il pourrait être composé de plusieurs membres :

– de parlementaires désignés de manière à assurer une représentation pluraliste du Parlement, et en particulier des oppositions ;

– du contrôleur général des armées en charge de la cellule Thémis ;

– de l’officier de gendarmerie en charge de la cellule Stop-Discri ;

– d’un membre du Conseil d’État, nommé par le vice-président de cette institution ;

– d’un magistrat de la Cour de cassation, nommé conjointement par le premier président et le procureur général près la cour ;

– du président du HCECM.

Ce collège serait chargé d’émettre des recommandations sur l’amélioration des dispositifs de lutte contre les discriminations dans les forces armées, sur l’accès au droit des militaires et sur l’attribution de la protection fonctionnelle. Il établirait un rapport tous les cinq ans, sur la base des saisines dont il aurait fait l’objet mais aussi de visites au sein des forces armées et de rencontres avec tous les acteurs de la concertation. Il pourrait notamment entendre les inspecteurs généraux d’armées, les inspections et le président de la commission des recours militaires (CRM).

M. Bastien Lachaud, rapporteur. D’autres recommandations portent plus spécifiquement sur la prévention des discriminations.

En premier lieu, nous croyons utiles de veiller à un strict respect de la neutralité. La laïcité et la neutralité prémunissent de tout mélange des genres préjudiciable à la cohésion. La chance des militaires, c’est précisément de pouvoir s’appuyer sur des règles déontologiques et une discipline éprouvées. Une meilleure séparation entre les activités religieuses et les activités de cohésion doit notamment être assurée. Les moyens généraux sont en effet trop souvent utilisés pour envoyer des invitations à des cérémonies catholiques.

(Mouvements.)

Il n’est pas rare que le courriel d’invitation à la messe en l’honneur du saint-patron soit envoyé depuis la boîte courriel de l’unité ou depuis celle du commandant. Dans les écoles, certaines activités sont organisées de telle sorte que le moment religieux revêt un caractère quasiment incontournable. S’en exonérer reviendrait à rompre l’unité du groupe. Par exemple, les hommages militaires sont trop souvent rendus à l’occasion de cérémonies religieuses. On peut citer aussi la journée de cohésion, organisée au Mont Saint-Michel par les saint-cyriens, et qui donne lieu à un baptême du sabre ou du casoar. Dans une telle journée, dont l’acmé est manifestement cette cérémonie, on peut s’interroger sur la possibilité de s’éclipser pour manifester sa différence. Autre incongruité : la participation des saint-cyriens à une cérémonie d’accueil de l’anneau supposé de Jeanne d’Arc au Puy-du-Fou ! D’autres pratiques comme la bénédiction de régiments entiers, de bateaux ou d’aéronefs doivent être proscrites. Toutes ces maladresses créent un environnement que les militaires d’autres religions, ou ceux qui ne croient pas, peuvent ressentir comme inhospitalier et excluant.

(Exclamations.)

En second lieu, nous proposons un effort de formation et de sensibilisation adapté aux différents publics. Nous proposons d’élaborer un plan de formation sur les risques psycho‑sociaux et les risques de discrimination en accordant la priorité à la formation des référents de tous types, des « capteurs » du moral et du commandement. Au-delà de cette formation juridique, les militaires du rang pourraient être sensibilisés de manière un peu différente grâce au e-learning, à des petites vidéos, des jeux en ligne ou des intervenants extérieurs dans les unités. La gendarmerie a connu un certain succès en envoyant une brochure sur son dispositif de lutte contre les discriminations avec le bulletin de solde.

Enfin, fort de leur succès actuel, il convient de renforcer les outils à la disposition du commandement en publiant des « fiches réflexe » largement diffusées sur les dispositifs de lutte contre les discriminations.

S’agissant des sanctions, le rapport recommande d’utiliser toute la palette des sanctions disponibles en conduisant une réflexion sur leur prescription. Les spécificités de l’état militaire permettent de traiter sous l’angle déontologique bon nombre de comportements et de propos qui ne pourraient être sanctionnés dans le monde civil, et cela sans exclure en cas de besoin la voie judiciaire. En application de l’article L. 4121‑2 du code de la défense, « les opinions et croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées quen dehors du service et avec la réserve exigée par létat militaire. » Il serait regrettable que des propos racistes, sexistes ou homophobes, des entorses à la laïcité, ou autres, soient traités avec plus de légèreté que la publication d’un article de réflexion stratégique dans une revue nationale, par exemple.

(Exclamations.)

Enfin, pour terminer comme nous avons commencé, notre rapport s’appuie sur les recommandations d’enquêtes internes au ministère des Armées pour résoudre les problèmes détectés dans certains lycées militaires. Les problèmes se concentrent aujourd’hui dans les sections Lettres des classes préparatoires de deux lycées militaires. Leurs origines sont multiples et il n’est pas certain que leur disparition dans ces lycées en particulier ne soit pas suivie d’une réapparition ailleurs, dans d’autres établissements. Sans stigmatiser tel ou tel lycée, nous avons donc proposé des mesures qui nous paraissent souhaitables dans tous les lycées militaires et qui recoupent en partie les axes du plan « d’excellence comportementale » publié par la ministre le 8 juin 2018. Nous nous écartons de ce plan avec une proposition supplémentaire. Les élèves des lycées militaires sont organisés en fraternités appelées « familles tradis » ou « quartiers ». Ces systèmes de mentorat existent dans la plupart des écoles militaires et au-delà, dans d’autres grandes écoles. Certaines fraternités non mixtes promeuvent une vision rétrograde, inacceptable, de l’armée, d’ailleurs déconnectée de sa réalité et de ses besoins.

L’encadrement militaire peine à réguler leurs activités qui ont lieu en dehors du lycée militaire. Lors de notre visite au lycée de Saint-Cyr l’École, aucun professeur, ni aucun cadre n’en a parlé. C’est seulement en discutant avec les élèves que nous avons appris qu’en dépit de la reconnaissance par les autorités du lycée d’une unique association d’élèves, les anciennes persistaient à l’extérieur. Les élèves trouvent dans ces fraternités un « frisson de militarité »…

(Exclamations.)

…des rites initiatiques séduisants pour des adolescents et un mentorat, qui s’avère être une aide précieuse pour la préparation des concours. Ils ne comprennent pas le silence qui entoure ces petites associations et la prohibition dont elles font l’objet. Pour notre part, nous préconisons de les faire entrer dans un cadre officiel mais attractif. Les interdire ne ferait que renforcer leur attrait pour des adolescents. Il faut réussir à élaborer une alternative républicaine, donc mixte, présentant un intérêt pour les élèves. Sinon, rien ne changera. Notre rapport ouvre d’autres pistes plus radicales. Nous n’avons pas jugé bon d’en faire des recommandations à ce stade mais nous suivrons la situation avec attention. Je vous remercie.

Mme Anissa Khedher. Je remercie mes collègues pour la qualité de leur rapport. Effectivement, des moyens existent. Ainsi Thémis ou encore Écoute-défense sont des dispositifs qui fonctionnent bien mais qui ne sont malheureusement pas assez connus, bien que les contacts soient de plus en plus nombreux. Je souhaite savoir si la plateforme Stop‑Discri, qui donne de bons résultats dans la gendarmerie, peut être préconisée pour les armées. Par ailleurs, Christophe Lejeune a souligné la place importante des médecins, du personnel médical en général, et des aumôniers dans la détection informelle de cas de harcèlement ; comment ces personnels sont-ils formés et accompagnés ? En ce qui concerne les fêtes traditionnelles célébrant les saints-patrons, il nous a bien été précisé que personne n’était obligé d’y assister. Je souhaiterais savoir quelle est la politique en matière de sanctions, en effet, certains personnels ne seraient pas mutés et certaines sanctions ; seraient trop légères. Pouvez-vous me dire ce qu’il en est ?

M. Christophe Blanchet. Les armées françaises rencontrent un problème quant aux discriminations en raison de l’obédience religieuse, comme vous l’avez rappelé. En dépit de la hausse du nombre d’aumôniers militaires de toutes confessions, certains personnels militaires ne se sentiraient pas libres de pratiquer leur foi et s’estimeraient contraints de participer à certains rituels qui ne sont pas les leurs. Quels échos avez-vous recueillis à ce sujet et qu’est‑il mis en place pour lutter contre ce type de discriminations ?

Mme Aude Bono-Vandorme. J’hésite à m’exprimer car certains propos m’ont profondément révoltée. Je trouve les mots « frisson de militarité » tout à fait déplacés. Chacun d’entre nous a ses valeurs et je préfère ne pas poursuivre car je ne cautionne vraiment pas tout ce qui a été dit. Chacun est libre de se positionner comme il l’entend.

(Applaudissements dans les rangs de plusieurs groupes.)

Mme Marianne Dubois. Les armées françaises ont fait le pari de la féminisation et sont les plus féminisées d’Europe, et parmi les plus féminisées du monde, avec 60 000 personnels féminins. Pourtant les femmes sont sous-représentées parmi les officiers. Est-ce là une forme de discrimination et comment œuvrer, en s’appuyant sur les travaux de la mission, pour que les femmes atteignent les grades les plus élevés ?

M. Joaquim Pueyo. Je remercie nos collègues pour leur rapport. Certains des propos relevés ne m’ont pas interpellé. Vous n’avez pas vu, au cours de vos déplacements, d’informations diffusées à propos de la cellule Thémis, un dispositif très intéressant mis en place en 2014. Quelles sont précisément vos recommandations pour que ces informations figurent dans tous les régiments et dans toutes les écoles militaires. Dans la police, qui a fait des efforts considérables, des formations concernant les discriminations liées à l’orientation sexuelle sont diligentées dans les écoles de police. Ce type de formation existe-t-il dans les lycées et les grandes écoles militaires et, si cela est le cas, par qui cet enseignement nécessaire à la prévention est-il dispensé ?

Mme Manuela Kéclard-Mondésir. Il s’agit d’un rapport courageux que je salue. Vous avez relevé le manque de diversité dans le recrutement et particulièrement en ce qui concerne les officiers. Quelles réponses vous sont apportées quant à la faible présence de militaires originaires de l’outre-mer parmi les officiers ?

M. Joachim Son-Forget. J’ai été moi aussi choqué par les mots de « frisson de militarité ». Il est heureux que ces filles et ces garçons ressentent ce frisson de militarité et se reconnaissent dans des rituels, dans une organisation sociale, qui leur permettent d’être fiers de leur métier. L’armée ne les attirerait certainement pas s’il s’agissait de jouer à des jeux vidéo pour lutter contre les discriminations. Il faut tout de même comprendre que ce métier est très spécifique, impliquant un dévouement pour la patrie, un sens du devoir et des rituels, comme dans toute organisation. Lorsque je me suis déplacé dans des établissements, à l’école navale, par exemple, j’ai rencontré des jeunes responsables, plus mûrs que la moyenne des jeunes de leur âge, faisant preuve d’un sens de l’ouverture et de sérieux très marqué, allant à l’encontre des discriminations. Leur accoler les petits mots de « frisson de militarité » me semble franchement déplacé.

M. Laurent Furst. Vous n’allez pas être déçus du voyage. L’expression est libre et il est sain que l’Assemblée nationale soit la maison de toutes les libertés. Sans que je mette en doute l’ampleur de votre travail, vous accepterez donc d’entendre que certaines expressions sur la militarité et la religion m’ont choqué. C’est la première fois au cours de mes huit années à l’Assemblée nationale que je me sens mal à l’aise. Je refuse donc de m’exprimer sur le sujet.

M. Bastien Lachaud, rapporteur. « Frisson de militarité » ne sont pas mes mots, mais ceux d’un rapport des inspecteurs généraux des armées de mars 2018 concernant les lycées militaires. Ces mots sont donc issus d’une inspection diligentée par la ministre des Armées sur la situation dans les lycées militaires. Ils ciblaient des dérives de jeunes élèves, qui n’ont pas le statut militaire à ce stade, imaginant ce qu’est l’armée en tentant de créer des traditions qui ne sont pas celles des armées. Les militaires que nous avons auditionnés, et je demande à M. Lejeune de me corriger si je fais erreur, ont déclaré que les traditions dénoncées dans ce rapport ne sont, d’une part, pas les leurs et ne correspondent pas, d’autre part, aux valeurs propres aux armées. Nous n’avons peut-être pas été suffisamment précis dans nos propos et je souhaite que cette mise au point soit claire : ces mots ne sont pas les nôtres mais bien ceux des inspecteurs généraux des armées dont nous avons consulté le rapport. Tous les militaires nous ont également indiqué que ces traditions doivent s’arrêter au moment où il est porté atteinte au respect de la personne ou des institutions.

Le dispositif Stop-Discri est très intéressant car il s’agit d’un numéro unique accessible à tout gendarme, alors que les armées mettent à disposition plusieurs numéros qu’il conviendrait peut-être de fusionner pour plus de clarté. En ce qui concerne la messe lors de la fête des saints-patrons, nous n’avons jamais mentionné une quelconque obligation mais plutôt une maladresse que les militaires auditionnés reconnaissent d’ailleurs. Il n’est en effet pas très adroit que l’invitation à la messe parte de la messagerie du commandant plutôt que de celle de l’aumônier du culte concerné. Il s’agit là d’un retour que nous avons eu lors d’auditions de militaires et de certains aumôniers.

M. Joachim SonForget. Vous faites une fixation…

M. Bastien Lachaud, rapporteur. Les aumôniers que nous avons entendus ont fait état d’un manque de personnel les amenant à être parfois l’unique aumônier à se déplacer dans une région entière. Mais la réalité est que l’aumônier d’un culte est l’aumônier de l’ensemble des militaires. L’effet du grade miroir permet à tout militaire de s’adresser à l’aumônier hors de l’échelle hiérarchique, ce qui est également important pour le commandement afin de saisir l’état d’esprit.

En ce qui concerne les ultramarins, il est effectivement constaté un manque de diversité dans les élites militaires. Mais ce n’est souvent que la reproduction des inégalités observées dans le reste de la société, notamment en matière d’accès aux écoles préparatoires aux grandes écoles. Ces inégalités se retrouvent au sein des armées. Nous avons donc proposé que soient évalués les dispositifs facilitant l’accès aux classes préparatoires des enfants issus de milieux défavorisés. Il y a en effet davantage d’ultramarins dans les forces armées que dans d’autres métiers et il serait normal que cette proportion se reflète dans le corps des sous‑officiers et celui des officiers.

M. Christophe Lejeune, rapporteur. L’armée a fait d’énormes progrès en matière de féminisation. Seule la légion étrangère reste aujourd’hui fermée aux femmes. Le taux de féminisation reste néanmoins extrêmement bas, sauf dans le service de santé des armées dont les femmes composent plus de 50 % des effectifs. Si l’on compte qu’il faut trente ans pour devenir général, le nombre de femmes ayant intégré les grandes écoles militaires il y a trente ans était si faible, que seules quelques rares unités ont à leur tête une générale, dont le service de santé des armées dirigé par une femme. Le plan mixité introduit des correctifs notamment en ce qui concerne la maternité de façon à ce qu’elle ne soit pas pénalisante en termes d’avancement et de retour à l’emploi dans l’unité d’origine. Les choses devraient donc s’améliorer.

Abordant les discriminations liées à l’orientation sexuelle, j’ai été très surpris de constater la liberté de ton de jeunes qui ont fait part de leur homosexualité au cours de tables rondes organisées dans le cadre de nos travaux, ce qui semblait parfaitement naturel de leur part et pour l’auditoire. La parole est libre. Cela n’exclut pas les dérives et les armées ne sont ni plus ni moins vertueuses que d’autres administrations, entreprises et la société en général. Des garde-fous existent, des sanctions sont prononcées. Les dispositifs existants ne sont toutefois pas suffisamment connus.

La gendarmerie, que nous avons considérée dans nos travaux, a de plus un contact direct avec la population civile et reçoit dans le cadre de son activité des dépôts de plainte portant sur des discriminations. Il est d’ailleurs palpable que l’approche de ce sujet au sein de la gendarmerie est différente et les autres armées pourraient peut-être s’en inspirer.

M. Yannick Favennec Becot. Le co-rapporteur Christophe Lejeune a déjà répondu en partie à la question que je souhaitais aborder, qui rejoint celle de Marianne Dubois, sur la féminisation. Pour l’instant, les femmes ne sont toujours pas admises dans la légion étrangère. En revanche, une expérience est menée sur leur présence au sein des sous-marins et dans la gendarmerie mobile. A-t-on déjà des retours de cette expérience ? Si oui, quel bilan peut-on en tirer ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Dans un précédent rapport de 2014 sur ce même sujet, il était affirmé que les femmes avaient beaucoup de difficultés à témoigner des crimes et délits dont elles étaient victimes au sein des forces armées. Comme dans le monde civil, les femmes sont souvent contraintes au mutisme du fait de jugements, de possibles sanctions et de l’impact psychologique que leur témoignage pourrait avoir. Afin de résoudre ces problèmes, ce rapport recommandait notamment « de mettre à disposition du personnel féminin des locaux sanitaires et des vestiaires séparés et sécurisés et d’organiser un accès séparé des femmes aux douches et aux vestiaires. » Vous avez abordé ces problèmes : votre rapport confirme-t-il ce constat et cette recommandation ?

Mme Françoise Dumas. Je remercie nos collègues pour ce travail qui a le mérite de mettre en évidence une réalité. La féminisation sera, pour l’avenir, l’une des meilleures réponses à apporter au problème des discriminations. Mme la ministre des Armées a lancé récemment un « plan mixité » extrêmement ambitieux. Il devient en effet nécessaire que les armées diversifient, elles aussi, leur recrutement, dans un champ qui est très concurrentiel. La féminisation permettra, à terme, de renouveler les pratiques, de donner confiance à de nombreux jeunes militaires et surtout, de faire évoluer les ambiances de travail. Comment percevez-vous, par exemple, la mise en application des mesures permettant aux militaires de prendre des congés pour convenances personnelles et donc aux femmes d’accéder à tous les postes ? La féminisation est un travail de longue haleine et il n’y a pas que dans les armées que des difficultés de ce type se posent : il n’y a guère de mixité aux postes à responsabilité de l’industrie de la défense, pas plus que dans les autres secteurs d’activité. Qu’avez-vous constaté de positif et de prometteur dans les armées en la matière ?

M. Loïc Kervran. Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour votre rapport et vos recommandations. Ma question portera sur les lycées militaires et je commencerai par citer le roman autobiographique d’Antoine Compagnon, La classe de rhéto, qui décrit La Flèche dans les années 1960 : « Le plus avilissant n’était pas le bizutage mais la vie quotidienne. » Vous avez pointé du doigt d’éventuelles différences de prégnance de certaines dérives entre lycées militaires. Vous avez parlé de Saint-Cyr-l’École, un peu de la Flèche, pas d’Autun. Avez-vous des clefs de compréhension des différences de situation entre ces lycées ? Y a-t-il des différences de culture et de recrutement entre les établissements ?

M. Jean-Louis Thiériot. Messieurs les rapporteurs, je souhaite d’abord saluer le travail que vous avez fait sur la lutte contre les discriminations – objectif que nous pouvons tous partager ici. Pour le reste, j’ai été frappé par l’incompréhension de l’institution militaire que traduit votre rejet des fêtes patronales de nos régiments. Quand nos régiments fêtent la Sainte-Barbe, la Sainte-Geneviève, la Saint-Michel ou la Saint-Georges, c’est un corps qui se réunit autour d’une tradition. Puisque ce sont mille ans d’histoire française, il se tient effectivement une cérémonie religieuse à laquelle personne n’est obligé d’aller – vous l’avez dit, c’est vrai – mais qui fait partie d’un corpus de traditions. Nous avons des régiments qui, en raison de leur histoire, portent sur leurs fanions et leurs drapeaux des insignes musulmans. Je pense au 1er régiment de spahis et au régiment d’infanterie chars de marine, qui portent l’étoile chérifienne, mais aussi au 19e régiment du génie qui porte le croissant musulman sur ses insignes – et la totalité de ce régiment se reconnaît dans ce qui fonde l’esprit de corps et l’unité d’un outil de combat. Le gros problème, c’est que vous avez confondu le cultuel et le culturel. Battons-nous contre les discriminations mais ne nous trompons pas de combat !

(Applaudissements dans les rangs de plusieurs groupes.)

M. Louis Aliot.  Je ne m’attendais pas, en commission de la Défense, à entendre des remarques sur l’histoire de nos armées. En tant que députés, nous recevons tous des invitations aux fêtes de tous les saints patrons des armées. Si on commence à revenir sur ces fêtes, on ira loin ! Que l’on pratique plusieurs cultes n’est pas une nouveauté dans les armées françaises : le premier aumônier musulman a été nommé dans les armées françaises en 1920 ! Le deuxième l’a été, je crois, en 1943 par le Général de Gaulle sous la France libre. Bref, ce phénomène a toujours existé. Le système a bien fonctionné, dans un esprit de corps et de respect de la Nation que les militaires défendaient, au-delà des considérations religieuses ou philosophiques. La lutte contre les discriminations est une chose ; la remise en cause des saints patrons de nos régiments en est une autre. Vous dites que ces fêtes peuvent en heurter certains. Si c’est le cas, c’est que la mentalité française a bien changé, s’agissant y compris de la défense de la Nation par son armée.

M. le président. Chers collègues, j’ai lu ce rapport : il ne comporte aucune remise en cause des fêtes patronales. C’est peut-être un malentendu…

M. Bastien Lachaud, rapporteur. Que les choses soient claires : nous n’avons jamais envisagé de remettre en question les fêtes des saints patrons. Qu’il y ait des messes le jour de la fête des saints patrons est une très bonne chose. Le seul fait que nous ayons pointé, c’est que l’invitation à la messe soit envoyée depuis la boîte mail du commandement.

Mme Patricia Mirallès. Et alors ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur. Si nous l’avons fait, c’est que nous avons eu des retours de soldats et même d’officiers, nous disant qu’en effet, c’était une maladresse et qu’il serait beaucoup mieux que ce soit l’aumônier qui invite à ces messes. Les fêtes des saints patrons – tout le monde nous l’a dit – sont des moments de cohésion rassemblant tout le monde et n’ayant rien de religieux. Nous le soulignons : tous les officiers que nous avons rencontrés confirment que ces fêtes patronales n’ont aucun caractère religieux et qu’elles ne posent aucun problème. Encore une fois, le seul élément que nous ayons pointé – et ce, en quelques lignes dans tout le rapport – concerne l’envoi d’invitations à des cérémonies religieuses par le commandement, que ce soit pour la fête d’un saint patron ou à d’autres occasions. Je rassure donc nos collègues du groupe Les Républicains : il n’y a aucune remise en question des fêtes des saints patrons.

M. Jacques Marilossian. Je remercie nos deux collègues pour la présentation de leur rapport. Je salue vos propositions formulées, entre autres, en matière de gestion des ressources humaines mais aussi de renforcement du contrôle parlementaire.

En octobre 2017, j’avais adressé au Gouvernement une question écrite sur la situation très particulière des personnes séropositives ou transgenres dans nos armées. Le ministère des Armées m’avait répondu rapidement, le mois suivant, ce qui mérite d’être souligné. Il avait confirmé que le personnel séropositif ou transgenre pouvait solliciter à tout moment les médecins militaires des forces ou les médecins hospitaliers et les psychologues du service de santé des armées et qu’un guide serait également en cours d’élaboration pour faciliter le processus de changement d’identité au sein des armées. Dans le cadre de vos auditions, avez-vous rencontré des cas de discriminations à l’égard de la séropositivité ou de personnes transgenres ? Quelles difficultés sont-elles apparues et quelles réponses ont-elles été apportées ?

Mme Patricia Mirallès. Monsieur le co-rapporteur, peut-être nous sommes-nous mal compris mais nous n’avons pas lu le rapport. Dans votre présentation de ce dernier, vous avez confondu les traditions et les religions – c’est ce que j’ai perçu et je ne suis pas la seule. Né en Algérie, mon grand-père a fait la Guerre de 1914 : il est, pour cela, venu en métropole et faisait partie du régiment des zouaves. Je trouve donc que ce que vous dites est discriminant pour l’armée ! J’attendrai de lire le rapport pour me faire mon propre avis. En l’état, je ne le voterai pas.

M. Charles de la Verpillière. Je rends hommage au travail que vous avez accompli, messieurs les rapporteurs. Au travers des interventions qui ont été faites et des questions qui ont été posées, un consensus – voire une unanimité – se dégage pour dire qu’il faut bien sûr lutter contre les discriminations dans les armées, notamment contre celles qui s’exercent à l’égard des femmes mais aussi en fonction de l’orientation sexuelle, de la race ou de la religion et que s’il y a des dispositifs à améliorer, il faut le faire. En revanche, j’ai été – comme beaucoup dans cette commission – très choquée de voir que vous niez la spécificité des armées. Ces dernières sont la seule institution où l’on s’engage en acceptant de mourir pour l’accomplissement de sa mission. C’est une spécificité absolue – je ne connais aucune autre institution de ce type – qui se manifeste dans le respect des traditions. Même Clemenceau l’avait dit dans son discours du 11 novembre 1918 : « La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours soldat de l’idéal. » Tout est dit. Il y a quand même une ligne à respecter, qu’il ne faut pas rompre. Il est très maladroit d’avoir voulu présenter des traditions telles que la référence aux saints patrons comme la manifestation possible d’une discrimination. En l’état, nous ne voterons donc pas ce rapport.

M. Jean-Michel Jacques. Dans votre rapport, vous dénoncez légitimement certains faits mais votre présentation et surtout vos propos, cher collègue Bastien Lachaud, ont fait bouger la salle – à juste titre. J’aimerais donc mettre en perspective vos propos par rapport aux valeurs de l’armée : le respect, la solidarité, la fraternité – ce qu’on appelle l’esprit des frères d’armes. Je ne doute pas que vous sachiez tout cela mais un effet de loupe dans votre présentation a ému notre commission. Vous avez évoqué la tradition des saints patrons. Ayant fait une carrière militaire de vingt-quatre années, j’ai fait vingt-deux Saint-Michel et jamais je n’ai reçu l’ordre d’aller à une messe. Il est évident que c’est le commandant de l’unité qui donne l’ordre d’organiser cette cérémonie d’une demi‑journée car c’est un moment de cohésion important mais la messe est toujours facultative. Si vous en parlez, c’est qu’un problème a dû se poser mais il doit être très marginal et inhabituel. Pour moi, comme pour tous les soldats, il n’y a dans l’armée française que trois couleurs : le bleu, le blanc et le rouge ! Je profite de ma prise de parole pour vous le rappeler tout en reconnaissant l’utilité de votre travail.

D’autre part, pour prévenir toute discrimination, y a-t-il, selon vous, des axes d’amélioration de la communication sur les outils de lutte contre ce phénomène ?

(Applaudissements dans les rangs de plusieurs groupes.)

Mme Séverine Gipson. Vous avez récolté de nombreux témoignages, souvent anonymes, de militaires estimant avoir été victimes ou témoins de discriminations. Quelle démarche avez-vous adoptée pour comprendre et prendre en compte ces témoignages dans vos rapports ? En avez-vous fait état aux personnes auditionnées et quelles ont été leur réaction ?

M. Olivier Becht. Je veux bien donner acte à Monsieur Lachaud qu’il se soit mal exprimé ou que nous l’ayons mal compris. Si nous ne pouvons dénuer vos propos de toute ambigüité idéologique, s’agissant de la laïcité et de la tradition, votre rapport semble correct, d’après la présentation que vous en avez faite avec Monsieur Lejeune.

J’aimerais néanmoins qu’il y soit acté – et il est possible de le faire, puisqu’il n’est pas encore publié - que l’on ne puisse pas remettre en cause les traditions au nom d’une lutte contre les discriminations. La tradition est une mémoire mais aussi ce qui permet de souder le collectif. Or le collectif fait la victoire, à l’armée comme ailleurs. Nous devons donc faire en sorte qu’au nom de l’histoire de la France, mais aussi au nom de l’héritage de sa géographie, ces traditions puissent demeurer, sans qu’il y ait de procès d’intention fait aux armées lorsqu’elles mettent en place ses traditions. Sous cette réserve, je voterai ce rapport.

M. Didier le Gac. Les armées françaises ont incontestablement réussi le pari de la féminisation, il faut le dire à travers votre rapport : elle est la quatrième armée la plus féminisée au monde. C’est une vraie réussite et une vraie fierté pour toute la Nation.

Il faut par ailleurs souligner la mise en place de la cellule Thémis, qui a constitué une avancée considérable. C’est le bon outil pour rappeler dans nos armées que tout harcèlement est une infraction. Ce n’est pas le cas dans toutes les administrations et les armées ont fait l’effort de mettre en place cette cellule.

Il est néanmoins possible de s’interroger sur les raisons de son faible taux de saisine, concernant notamment des actes homophobes. Quels sont les moyens dévolus à cette cellule et comment est-elle organisée ? S’agit-il d’une plateforme centralisée ? Ne devrait-on pas envisager de nommer un responsable ou un référent au sein de chaque base ou chaque unité pour la rendre plus accessible ? Quelles sont vos préconisations pour en améliorer le fonctionnement ?

M. Alexis Corbière. J’ai malheureusement raté des éléments de la présentation du rapport et vous m’en voyez désolé. Je connais la grande prudence et l’attachement à l’armée française de notre collègue Bastien Lachaud. J’appelle donc à faire preuve de davantage de sérénité dans ce débat. Nous sommes tous ici attachés à la laïcité. Tout en la garantissant, il est nécessaire de faciliter l’exercice du culte pour nos soldats : cela fait par ailleurs la singularité de l’armée française, dans laquelle les aumôniers de différentes obédiences sont salariés. Dans cette profession où l’homme est amené par engagement total à risquer sa vie, cela peut l’être aussi en raison de convictions spirituelles. Il faut donc que toutes les religions puissent être pratiquées de la manière la plus libre qui soit. Mais nous devons également rester vigilants au fait que notre société compte un grand nombre de nos concitoyens non croyants et qu’ils se trouvent aussi au sein des armées françaises.

Concernant plus particulièrement l’invitation à participer à une cérémonie particulière, même s’il ne s’agit pas de la fête du saint-patron, les personnes ayant diffusé l’invitation ont elles-mêmes considéré qu’il s’agissait d’une maladresse. Il est nécessaire de rester vigilant sur ce type de problématique. Il n’y a pas de provocation à souligner cela au sein de ce rapport.

Ensuite, l’armée française a vu nombre de ses traditions évoluer : elle en a même vu disparaître. Clemenceau, évoqué par des collègues, ne participe pas au Te deum rendu à Notre-Dame en hommage aux armées le 16 novembre 1918 et ne souhaite pas que le gouvernement y participe. Il s’y refuse en raison de sa conception de la laïcité, c’est-à-dire en tant que séparation nette entre le religieux et le politique. Méprise-t-il l’armée française pour autant ? Méprise-t-il les catholiques ? Non, il réaffirme simplement une certaine conception de la laïcité. L’histoire est donc plus complexe que cela.

Concernant la promotion de Saint-Cyr de 2016 -2019, qui avait pris le nom de Georges Loustaunau-Lacau : l’État-major a décidé par la suite de revenir sur le nom de cet homme, qui certes, avait été un grand résistant, mais avait eu également des prises de position violemment antisémites. Son nom ne pouvait pas être celui d’une promotion de Saint-Cyr, école dans laquelle nous formons nos officiers. Sans s’emporter immédiatement, il est possible de réfléchir tous ensemble à certaines traditions, qui peuvent heurter le bon fonctionnement de l’institution militaire. Il me semble que ce rapport a travaillé dans cet esprit et il faut le saluer.

L’armée de 2019, évidemment, n’est pas la même que l’armée de 1950, qui elle‑même n’est pas la même que l’armée de la fin du dix-neuvième siècle. Je veux donc rendre hommage aux auteurs de ce rapport : il me semble primordial de réfléchir à certaines traditions. Il y a désormais plus de femmes dans nos armées et cela suscite certaines réflexions : comment chacun y trouve-t-il sa place ?

Je ne suis pas spécialiste des armées, mais je suis frappé de voir que lorsque l’on s’entretient avec nos officiers, force est de constater qu’il s’agit d’une institution sensible à ces questions. Elle s’est donné les moyens de revenir sur certaines pratiques et les a remises en cause, pour être réellement à l’image de notre pays. Il me semble que ce rapport s’inscrit dans cet esprit. Certaines pratiques disparaîtront, et cela créera les conditions nécessaires afin que nous soyons fiers de notre armée, qui est à l’image de la France de 2019.

M. Stéphane Trompille. Messieurs les rapporteurs, je vous présente mes excuses pour mon arrivée tardive. Ma question a été largement abordée par notre collègue Alexis Corbière concernant les noms de promotion à Saint-Cyr. Ma question concerne spécifiquement le nom donné à la promotion Loustaunau‑Lacau : quelles mesures pourraient être prises pour régler ce type de problématique ?

M. Gilbert Collard. J’ai eu l’occasion d’assister aux obsèques d’Abel Chennouf, un militaire victime de Mohamed Merah. J’étais à l’époque l’avocat de sa famille. Aux obsèques étaient présents l’imam et le rabbin, tous deux militaires. Le prêtre célébrant les obsèques a mentionné à plusieurs reprises la « fraternité d’armes ». À ce moment, dans le silence du cimetière, une sorte de transcendance s’est emparée de chacun. Nous n’étions plus juifs, nous n’étions plus musulmans, nous n’étions plus chrétiens, nous étions dans une sorte d’au-delà de la fraternité. Je crois qu’il s’agit d’une particularité extraordinaire de l’armée que les « ronds de cuir », dans lesquels je m’inscris, ont du mal à vivre. Ce que l’on écrit, on le fait grâce à un stylo. Eux l’écrivent dans la poussière et avec leur sang. Il est vrai que cela donne une force transcendante, même dans le quotidien, à leur existence. Ils ne sont ni juifs, ni musulmans, ni chrétiens, ils sont avant tout militaires et frères d’armes. Je crois que cette cohésion dépassant les identités ne survient que parce qu’il y existe la puissance mélangée d’une tradition. Évidemment, l’armée a évolué : comme l’évoque Alexis Corbière, nous avons pu perdre certaines traditions. L’on peut le regretter ou s’en féliciter. Que l’armée soit contrôlée, surveillée et rappelée à des choix plus subtils me semble normal, mais l’on ne peut abîmer par idéocratie cette difficile construction de siècles et de siècles, de sang et de sang, par la théorisation d’une époque. Au moment où je me permets de prononcer cela, j’ai encore en mémoire les émotions de l’imam, du rabbin et du prêtre des obsèques d’Abel Chennouf.

M. Philippe Folliot. Le 18 août 2008, dix de nos soldats tombaient dans la vallée d’Uzbin. Huit d’entre eux étaient issus du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa), implanté à Castres, dans ma circonscription. Quelques jours plus tard, deux cérémonies furent successivement organisées, la première aux Invalides, la seconde dans la cathédrale de Castres, à laquelle étaient associées toutes les familles des soldats tués lors de cette embuscade, quelles que soient leurs convictions comme leur confession. Il est des traditions dans notre armée qu’il ne faut pas confondre avec un quelconque prosélytisme. Dès lors, messieurs les rapporteurs, permettez-moi de saluer votre travail et de vous rendre hommage car, de mon point de vue, lutter contre les discriminations est fondamental dans nos armées, comme partout ailleurs. Rappeler les principes élémentaires en la matière est essentiel et doit tous nous rassembler. Monsieur le président, il me revient en mémoire une audition tenue sous la précédente législature, réunissant tous les aumôniers militaires de toutes les confessions. C’était un moment particulièrement fort, notamment car ils avaient souligné la spécificité de l’engagement militaire, au paroxysme duquel se trouve le sacrifice suprême : la vie. C’est bien ce sacrifice qui distingue l’engagement militaire de tous les autres engagements au sein d’autres institutions. Dans ce contexte, l’esprit de corps est un élément fondamental. Il se bâtit notamment sur le respect des traditions. Pour ma part, je suis très attaché aux traditions qui entourent la 11e brigade parachutiste. Aucun régiment ne peut se considérer comme tel s’il ne se réunit pas pour la fête de Saint-Michel ou ne commémore pas la bataille de Bazeilles. Dès lors, ne confondons pas religion et tradition, bien que des pratiques puissent heurter certaines personnes. Ainsi du 8e RPIMa, dont certaines chansons ne sont pas en français mais en polynésien du fait de la tradition polynésienne de ce régiment ! Cela fait partie des éléments constitutifs de ce régiment ! En conclusion, je souhaiterais ainsi insister sur le fait que si la lutte contre les discriminations est bien essentielle – j’allais presque dire « Dieu merci ! » - faisons en sorte de permettre le respect des traditions au sein de nos armées et de nos régiments.

M. Patrice Verchère. À mon tour j’aimerais souligner l’intérêt de votre travail sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées. Vous avez formulé un certain nombre de propositions et je dois avouer que, à l’instar de plusieurs de mes collègues, je m’interroge après avoir entendu certains propos. Je n’ai pas eu accès au rapport et ne l’ai donc pas lu ; et j’ai bien saisi, Monsieur Lachaud, que vous aviez voulu par la suite vous montrer rassurant. Néanmoins, je m’interroge sur le sens de mon vote s’agissant de la publication de ce rapport d’information. Il me vient néanmoins une question sur les discriminations liées au handicap. Avez-vous pu évaluer la situation des personnes souffrant d’un handicap – même si chacun comprend que dans certains cas, le handicap empêche d’intégrer les forces, on peut imaginer que ce n’est pas le cas pour des personnels travaillant sur ordinateur ou spécialiste de l’imagerie comme au sein de la direction du renseignement militaire – et notamment les anciens militaires blessés ?

Mme Sereine Mauborgne. Il me semble important de rappeler, à l’aune des nombreuses auditions auxquelles j’ai pu participer, qu’il n’est pas question d’appeler à une refonte des traditions existantes au sein de l’armée française. Bien sûr, chacun est libre de faire de ce rapport d’information un pur objet politique. Pour ma part, je soutiendrai, à l’instar de Philippe Folliot, qu’il s’agit de cérémonies ressortissant davantage de la cohésion que de la religion à proprement parler, y compris lorsque l’on se place sous la protection d’un saint. Dès lors que l’on accepte de mettre sa vie en jeu, il est évident que la connivence avec le domaine religieux et l’au-delà revêt une importance particulière. Combien de personnes non croyantes découvrent leur foi au seuil de leur vie ? Ce qui est valable dans la vraie vie – dans la maladie par exemple – et je ne vois pas pour quelles raisons il en irait différemment dans les armées. Le lien avec le champ religieux est donc à lire au travers du prisme de ces questions philosophiques : qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que la mort ? Pour le reste, n’attaquons pas ce rapport pour des propos qui n’y figurent pas.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Ma question porte sur les discriminations rencontrées par les élèves des classes préparatoires des lycées militaires – dont les médias se sont fait l’écho – ayant vocation à rejoindre les grandes écoles d’officiers. Dans quelle mesure ces comportements sont-ils à nouveau constatés dans ces écoles ? Certaines d’entre elles sont‑elles particulièrement montrées du doigt ? Le cas échéant, quelles actions ont été mises en œuvre pour y remédier ?

M. Christophe Lejeune, rapporteur. En tant qu’élu de la Nation, nous ne sommes pas là pour faire état de notre situation personnelle. Néanmoins, eu égard à vos interventions, chers collègues, permettez-moi d’enfreindre cette règle. Je suis fils de militaire. J’ai vécu dans cet environnement et, alors que nous avons parlé du don ultime – celui de sa vie – je sais ce que c’est de voir un proviseur toquer à la porte d’une classe et appeler un élève parce que son père vient de décéder. Je l’ai vécu. Loin de moi donc l’idée de remettre en cause les traditions militaires.

Vous n’avez pas pu prendre connaissance en détail de notre rapport. Néanmoins, je vais vous donner lecture du court passage de notre rapport évoquant la question des traditions :

« Former et sensibiliser

Comme lont souligné les membres du CSFM, les armées ne peuvent assumer toute la responsabilité du travail de sensibilisation qui relève dune politique nationale. La lutte contre les discriminations devrait reposer avant tout sur léducation. Toutefois, les armées peuvent y prendre part à loccasion des formations quelles délivrent.

1.  Faire évoluer les traditions

Les traditions sont une manifestation concrète de lesprit de corps et de lidentité militaire. Elles puisent leur fondement dans le patrimoine historique, inscrivent les militaires dans la « Tradition », celle du métier militaire, et au-delà dans une histoire collective, qui doit donner du sens à leur action. Elles offrent des symboles qui permettent à chaque militaire daborder intimement son rapport à la mort, à lhistoire, au collectif et aux autres. Comme le souligne un document interne à larmée de terre, la sélection a un caractère impitoyable : « tel élément reste, tel autre sombre dans loubli ». Des traditions naissent, évoluent et parfois disparaissent.

Comme en témoignent les mesures prises par les armées pour encadrer la transmission des traditions dans les grandes écoles militaires, nombre de traditions ont dû être remises en cause pour des raisons de sécurité. Certaines ont disparu, dautres doivent être légitimement remises en cause. Il en est ainsi, par exemple, pour certaines pratiques dangereuses comme les bains de fluorescine dans la marine ou les activités des saint-cyriens à « Bazar beach », autrement dit dans la mare insalubre de Coëtquidan.

Sans remettre en question limportance des traditions, les rapporteurs estiment quun effort de créativité doit être mis en œuvre pour remplacer certaines activités. (…)

En quelques années, lÉcole polytechnique a ainsi mis fin à des pratiques portant atteinte à la dignité des personnes, et notamment des femmes. (…)

Certaines traditions peuvent être simplement adaptées. Ainsi, les armées veillent depuis plusieurs années à développer les alternatives à lalcool, dans le cadre de la prévention des conduites addictives. Laumônier en chef du culte musulman a également relaté une anecdote datant dune rencontre avec le commandant de la légion étrangère en 2007-2008 : « “la poussière” est une célèbre tradition de la légion. Cela consiste à servir un fond de verre de vin, censé nettoyer le verre, et à le boire. Après on entonne : “Tiens, voilà du boudin !”. J’appréhendais ce moment-là. Spontanément, le responsable de table m’a fait un clin d’œil : il avait remplacé le vin par de la grenadine. » »

Voilà le point sur les traditions dans notre rapport.

Au-delà, s’agissant de la féminisation, l’un d’entre vous a évoqué la présence des femmes dans les sous-marins. Quatre femmes ont été engagées en mission dans le cadre d’un premier test. Il s’agissait d’une expérience complexe en raison de la spécificité des sous‑marins. Des efforts restent à faire. Si certaines ont souhaité mettre un terme à cette expérience, notamment en raison de l’importance des contraintes familiales, l’une de ces quatre femmes a fait part de son souhait de poursuivre son engagement.

Jean-Pierre Cubertafon a relevé la question de la mixité de l’hébergement militaire. Deux points me paraissent illustrer la complexité de la situation. Sur le territoire national, en caserne comme en école, on peut s’attendre à trouver soit des immeubles distincts, soit des immeubles communs mais avec des étages distincts, soit des immeubles et étages communs mais avec des couloirs séparant des chambrées masculines et des chambrées féminines dès lors que les sanitaires sont séparés. Néanmoins, notamment en école, isoler les femmes, moins nombreuses, pourrait conduire à les exclure – ou du moins à provoquer un sentiment d’exclusion – du cœur de la vie de l’emprise, naturellement constitué là où les hommes, plus nombreux, se trouveraient. Sur les théâtres extérieurs, chacun peut comprendre que les conditions soient plus difficiles. Au cours des auditions, nous avons rencontré deux femmes qui étaient parties en opérations extérieures. Le rythme des opérations fait que le groupe vit ensemble, travaille ensemble, dort aux mêmes horaires, et ainsi de suite. Si les femmes sont isolées du baraquement des hommes du même groupe, elles se trouvent à partager un bâtiment accueillant des personnels certes exclusivement féminins, mais ayant des heures de service différentes. Dès lors, les deux personnels que nous avons entendues nous ont expliqué à quel point ce décalage était préjudiciable à la bonne récupération. C’est pourquoi elles nous ont indiqué que, lors de leur deuxième déploiement, elles ont demandé à partager le baraquement de leurs camarades masculins. Leur chambre était isolée et elles avaient accès prioritaire aux sanitaires, ce qui leur convenait tout à fait. L’anecdote peut toutefois prêter à sourire car la situation a été moins confortable pour les conjoints restés en France, moins heureux de cet hébergement mixte !

Enfin, s’agissant des comportements de certains au sein des classes préparatoires des lycées militaires, les règles de vie évoluent, l’encadrement est de plus en plus strict et les référents mixité sont bien identifiés. Autant, Thémis peut souffrir d’un manque de visibilité, autant les référents sont clairement identifiés et disponibles. Néanmoins, il pourrait être envisagé de mieux préciser leur champ de compétence car ces personnels n’étant pas exclusivement en charge de cette mission, peuvent faire face à une lourde charge de travail. 

M. Bastien Lachaud, rapporteur. En réponse à M. Marilossian sur les transgenres, les armées ont mis en place un vade-mecum sur les outils permettant d’accompagner les personnes concernées durant leur transition. Ce document est bien fait, même s’il mériterait sans nul doute d’être mieux connu par les chefs de corps. En tout cas, sur cette question, le ministère, l’état-major des armées et les états-majors ont très clairement fait preuve de leur volonté d’avancer dans la très bonne direction.

S’agissant du VIH, le problème repose dans la rigidité du référentiel d’aptitude qui, d’office, empêche l’accès à des fonctions. Certes, il demeure possible d’obtenir une dérogation mais il s’agit d’une possibilité méconnue. Selon moi, nous nous privons d’un certain nombre de personnes séropositives qui pourraient pourtant être tout à fait aptes à servir dans les armées, notamment au vu de l’évolution médicamenteuse du suivi de cette pathologie. On constate paradoxalement une évolution du référentiel pour les personnes ayant contracté l’hépatite C. Nous recommandons donc une révision du référentiel d’aptitude, aujourd’hui mais également de manière régulière afin de tenir compte des évolutions de la médecine sur ces questions.

Loïc Kervran s’est interrogé sur les lycées militaires. Il existe en effet des distinctions selon les établissements. Le rapport en cite certains, à partir des rapports d’inspection des inspecteurs généraux. Il n’existe néanmoins pas de facteur explicatif unique ; on peut citer la pression familiale, la pression de l’environnement ou encore le poids de l’histoire. Nous avons simplement constaté que les problèmes concernent certains lycées ; d’autres l’étaient auparavant et sont parvenus à les résoudre alors qu’ils subsistent dans d’autres. Tous les acteurs nous l’ont dit : l’objectif est d’atteindre une vigilance absolue afin de résorber les difficultés.

Concernant le nom des promotions, au-delà de la réelle maladresse rencontrée, nous proposons de renforcer le contrôle des choix effectués afin d’éviter que de telles erreurs puissent se reproduire. Le service historique de la défense pourrait utilement exercer un contrôle plus fouillé avant que les promotions se prononcent sur le nom qu’elles souhaitent se donner.

Enfin, M. Verchère, vous avez tout à fait raison de souligner la question du handicap. La vraie question est celle de la réinsertion des blessés. Comme l’a dit M. de Ganay dans son avis budgétaire, nous avons un vrai travail à faire en la matière.

M. Christophe Lejeune, rapporteur. Enfin, bien que cela n’ait pas été évoqué, je souhaite préciser que tout élève ou tout militaire qui souhaite quitter l’institution est reçu en entretien, y compris par le personnel médical. Il s’agit de s’assurer qu’une telle décision ne fait pas suite à une discrimination. Des filtres existent aujourd’hui ; ils sont plutôt efficaces et il me paraît important de le rappeler.

M. le président. Chers collègues, après ce débat vient le temps de la décision quant à la publication. Je rappelle à ce titre que, comme cela se passe habituellement, nous débattons de l’opportunité de publier un rapport d’information sur le fondement de la présentation qui en est faite par les rapporteurs, et non sur le contenu du rapport, que vous n’avez pas lu en amont. Cela étant dit, j’ai eu le privilège de lire ce rapport de manière exhaustive. J’y ai consacré une bonne partie de mon week‑end. Je peux vous assurer qu’il s’agit d’un rapport très complet. J’ai sous les yeux la liste des personnes auditionnées, qui s’étend sur cinq pages recto verso. L’ensemble de la problématique de la lutte contre les discriminations dans les forces armées et les structures qui lui sont rattachées – enseignement, culte, santé, soutien, etc. – a été couvert. Chacun a pu s’exprimer librement et exposer ce qui pourrait être modifié afin que le fonctionnement et les traditions de nos armées puissent correspondre à l’évolution sociale que nous avons vécue depuis plusieurs dizaines d’années. Cela fait longtemps qu’un tel rapport n’avait pas été réalisé et c’est ce qui explique que nos rapporteurs aient étudié le sujet si profondément. À la lecture de leur rapport, je peux vous assurer que mon opinion a facilement été faite : aucune attaque, aucune discrimination, aucune remise en cause ne figure dans ce rapport, y compris à l’encontre de certaines traditions ou procédures mises en œuvre au sein de nos forces. Le rapport souligne les points sur lesquels il convient d’être vigilant afin de ne pas créer de discrimination à l’encontre des personnels civils et militaires qui travaillent au sein du ministère des Armées. Tel est l’objet de la cinquantaine de propositions. Notons tout de même que Thémis, lancée en 2014, n’est opérationnelle que depuis 2018 ! Et encore, il a fallu tout l’engagement de la ministre des Armées pour que ce soit le cas ! Dans ce contexte, force est de constater que le fonctionnement de Thémis n’est pas encore suffisamment satisfaisant, peut-être en raison d’un manque de ressources pour accompagner et écouter les personnels concernés. N’oublions pas que, comme l’ont dit les rapporteurs, les armées sont le reflet de la société. Des discriminations existent dans la société ; il ne faut pas les cacher dans les armées mais les combattre quand elles apparaissent. Il me semble que nous pouvons tous nous accorder sur ce point. Car nous souhaitons tous que les outils mis en œuvre, notamment par la ministre et la secrétaire d’État, soient renforcés.

Enfin, je souhaite rappeler à chacun qu’il s’agit ici de voter pour autoriser la publication du rapport et non pour valider son contenu. Comme je l’ai déjà dit, nous venons d’en débattre publiquement durant deux heures et, en tant que président de la commission, je propose de le rendre public.

M. Charles de la Verpillière. Les députés du groupe LR ne participeront pas à ce vote.

M. Jean-Michel Jacques. En tant que député de la Nation, il me semble important que je puisse expliquer mon abstention. N’ayant pas lu le rapport, je ne peux me prononcer sur son contenu. Néanmoins, au vu de la présentation qui en a été donnée, j’ai un doute quant au fait que sa construction ait été bien faite. C’est ce doute qui me conduit à m’abstenir aujourd’hui.

M. le président. Je regrette de ne pas être parvenu à vous convaincre ; mais c’est ainsi !

*

*     *

La commission autorise le dépôt du rapport dinformation sur lévaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées en vue de sa publication.


—  1  —

   AVIS SÉPARÉ DE M. BASTIEN LACHAUD

Au cours des auditions, deux questions tangentes au sujet du rapport ont été soulevées. Monsieur Lachaud souhaite néanmoins les porter à la connaissance du public afin de susciter la réflexion.

Le premier point soulevé touche la vulnérabilité des soldats de la légion étrangère arrivant en fin de contrat. Leur droit à la naturalisation est en effet suspendu à l’obtention d’un certificat de bonne conduite délivré par le commandement militaire. Cette situation de dépendance formelle porte en elle‑même un risque d’abus qui mérite sans doute d’être prévenu. En effet, pour un légionnaire arrivant à la fin de son engagement et qui a toujours été bien noté, l’attribution d’un certificat de bonne conduite semble une formalité superfétatoire. À l’inverse, un mauvais comportement « tardif » pourrait faire l’objet de signalements voire de sanctions selon des procédures ordinaires. C’est pourquoi Monsieur Lachaud s’interroge sur l’opportunité d’abandonner le recours à ce certificat de bonne conduite.

Un autre sujet a émergé durant les travaux de la commission : le processus d’attribution des noms des promotions au sein des écoles militaires. Le chef d’état‑major de l’armée de terre a été amené à débaptiser une promotion de Saint‑Cyr Coëtquidan. En effet, le nom initialement retenu ne pouvait pas convenir à une école de la République. Si la valeur militaire du personnage sous le patronage duquel avaient souhaité se placer les élèves de l’école n’était pas en question, son antisémitisme ne pouvait être considéré comme un élément secondaire de sa biographie. L’armée de terre a donc eu la réaction appropriée.

Afin d’éviter que ce genre de regrettable mésaventure ne se reproduise, Monsieur Lachaud souhaiterait qu’un processus clair de consultation du service historique de la défense, avant l’attribution définitive d’un nom de promotion, soit effectivement adopté et rendu public. Cette procédure, dont les modalités exactes seraient à préciser, permettrait de donner une pleine information aux élèves et responsabiliserait la totalité des acteurs impliqués.

 

 


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Annexe 1 :
Recommandations du rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées (4 avril 2014)

ALERTER

Transposer dans le statut général des militaires les articles 6 ter et 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, relatifs au harcèlement sexuel et moral.

Créer une structure indépendante des armées et des services, adossée à un organisme d’inspection ou de contrôle ministériel, en vue de recueillir directement, par téléphone et par messagerie, les signalements de faits de harcèlement, discrimination et violence sexuels subis par le personnel de la Défense à l’occasion du service ou à l’intérieur de ses emprises.

Étudier la possibilité de confier l’accueil téléphonique au numéro « Écoute Défense ».

Confier à cette structure la charge de centraliser l’information disponible sur ce sujet au sein du ministère, afin d’en tirer des statistiques utiles, permettant de rechercher l’harmonisation des pratiques des armées, directions et services.

Rendre compte par le biais de la procédure EVENGRAVE de tout cas de suspicion de harcèlement, de discrimination ou de violence sexuels.

Organiser l’élection de « tickets » mixtes de président de catégorie. En cas d’impossibilité liée, par exemple, au trop petit nombre de personnel féminin ou masculin, prévoir la désignation par le commandant de la formation d’un adjoint du président, sur proposition de ce dernier, parmi le personnel du site.

Tenir des statistiques sur les violences sexuelles commises au sein du ministère de la Défense.

PRÉVENIR / ÉDUQUER

Rappeler au personnel et à la hiérarchie locale leurs obligations, droits et devoirs respectifs, dans les locaux d’hébergement. Donner les directives correspondantes aux différents niveaux hiérarchiques locaux.

Mettre à disposition du personnel féminin des locaux sanitaires et des vestiaires réservés et sécurisés. À défaut et au minimum, organiser un accès séparé des femmes aux douches et aux vestiaires communs.

Limiter l’affectation de personnel féminin isolé dans les unités, en particulier en OPEX.

Suivre la mise en œuvre des mesures décidées par les chefs d’état‑major en vue de normaliser la situation des écoles et en évaluer les résultats.

Renforcer l’encadrement de contact féminin dans les écoles et nommer un officier féminin chef de promotion dès que possible.

Mettre en place des actions de formation ciblées au profit de l’encadrement, des présidents de catégorie et des acteurs sociaux, privilégiant la mise en situation.

Inclure dans le code du soldat la prohibition des atteintes sexuelles et en tirer un vade-mecum à diffuser très largement.

SANCTIONNER

Ne pas attendre la sanction pénale pour sanctionner disciplinairement, dès lors que les faits sont avérés.

Utiliser l’ensemble de l’arsenal disciplinaire pour sanctionner les faits de harcèlement, de discrimination ou de violence sexuels.

Sanctionner justement les faits d’agressions sexuelles ou de comportements déplacés à connotation sexuelle, y compris lorsqu’ils surviennent au cours d’activités de tradition.

Inscrire dans les dossiers individuels des militaires l’ensemble des sanctions infligées en école pour des faits de harcèlement, de discrimination ou de violence sexuels jusqu’à leur éventuel effacement réglementaire.

Étudier la possibilité de prévoir dans le code de la Défense une mesure de suspension de l’avancement automatique en cas de commission de crime.

Éviter de prononcer des sanctions avec sursis pour les faits de harcèlement, discrimination ou violence sexuels.

PROTÉGER / ACCOMPAGNER LA VICTIME

Face à une suspicion de violence sexuelle ou de harcèlement, prendre impérativement des mesures conservatoires pour protéger la victime présumée, sans méconnaître cependant les droits de l’auteur suspecté.

Informer systématiquement la victime des conséquences disciplinaires et pénales des comportements prohibés.

Confier le suivi et le soutien psychologique dans la durée des victimes de HDV aux cellules d’aide aux blessés de chaque armée. Celles-ci disposent de l’éventail des expertises et compétences requises et garantissent le maintien du lien avec l’armée d’appartenance.

Sécuriser au plus vite la victime et agréer prioritairement les choix de cette dernière en matière de mutation ou de maintien dans l’emploi et l’unité.

Éditer un « guide d’aide aux victimes de harcèlements, discriminations ou violences sexuels », à l’usage de toutes les autorités civiles et militaires en situation de commandement.

Prendre en compte en « dommage » dans les EVENGRAVE le traumatisme psychologique éventuellement vécu par les victimes d’atteintes sexuelles.

Source : Contrôle général des armées.

 


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Annexe 2 :
Plan d’action contre les harcèlements, violences et discriminations (15 avril 2014)

ACCOMPAGNEMENT

Faciliter l’accès des victimes aux associations agréées par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF).

Ouvrir le réseau de psychologues « Écoute Défense » (numéro national et gratuit destiné à répondre au besoin d’écoute, de soutien et d’information des militaires exposés à des situations de stress et de traumatismes psychiques au cours de leurs missions – 08 08 800 321) à l’accueil et à l’écoute de ces victimes.

Assurer l’information de la victime sur ses droits et les suites disciplinaires et professionnelles données à sa plainte.

Assurer un suivi de la victime dans la durée pour veiller au déroulement normal de sa carrière.

Mettre en place une cellule « Thémis »

Confer au Contrôle général des armées la mise en place et la responsabilité d’une cellule Thémis dont la mission, en liaison avec les inspecteurs généraux des armées, sera :

 daccueillir les signalements directs, par mail, par appel de la victime au réseau « Écoute Défense », ou d’un représentant ;

– de se saisir des cas qu’elle viendrait à recenser et dont elle n’aurait pas eu connaissance par saisine directe ou « EVENGRAVE » (tout fait mettant en cause, comme auteur ou victime, un personnel militaire ou civil dans une affaire susceptible d’avoir des conséquences au plan pénal, et toute atteinte grave aux personnes et aux biens du ministère ou des établissements publics qui en dépendent ; contraction des termes « Événements graves » : ces messages à destination des autorités supérieures sont rédigés par le commandant de la formation dans lequel l’événement s’est déroulé) ;

– de traiter ces signalements en enquêtant indépendamment de la hiérarchie ;

– de recevoir et d’analyser les signalements « EVENGRAVE » ;

– de signaler le cas échéant l’ « EVENGRAVE » à l’inspecteur d’armée, l’inspecteur du personnel civil ou aux inspecteurs généraux des armées ;

– de vérifier la mise en œuvre de mesures de protection de la victime ;

– d’accompagner la victime et le commandement pour la définition des suites judiciaires à donner à l’événement ;

– de proposer au pouvoir disciplinaire de prononcer des mesures conservatoires et, le cas échéant, des sanctions ;

– de conduire ou d’accompagner l’enquête en vue de déterminer dans le délai de quatre mois la sanction adaptée, indépendamment de l’éventuelle procédure judiciaire ;

– d’informer la victime et de s’assurer des conditions de la poursuite de son parcours professionnel

PRÉVENTION

Transposer dans le Code de la défense les articles relatifs aux harcèlements moral et sexuel du statut des fonctionnaires.

Ouvrir un droit à la protection juridique pour la victime de faits de harcèlement

Inscrire l’interdit des actes de harcèlement, de discrimination et de violence dans le Code du soldat (à l’usage de tous les militaires de l’armée de terre professionnelle, ce code est un document constitué de onze règles qui définissent les règles de conduite à suivre). Un code similaire sera généralisé au sein du ministère de la Défense.

Mettre en place des actions de formations ciblées relatives aux procédures, droits et obligations des militaires et du personnel civil au profit du commandement, des présidents de catégorie, des référents mixité et des acteurs sociaux,

Les conseiller et les accompagner lorsqu’ils sont confrontés à ces situations.

Organiser la mixité dans les infrastructures

– Organiser la mixité du personnel dans les locaux de vie ;

– Prévoir, lors de la rénovation des infrastructures, la séparation des sanitaires et des chambrées.

À défaut, prendre des mesures alternatives pour éviter de créer des situations de promiscuité favorisant les risques de dérapage.

Mettre fin aux discriminations dans les écoles militaires

– Poursuivre la mise en œuvre des plans d’action et décisions des chefs d’état-major pour lutter contre ces discriminations ;

– Poursuivre la surveillance des écoles confiée aux inspecteurs généraux des armées.

TRANSPARENCE

Communiquer : Mettre à la disposition le rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées, ainsi que des informations pour l’accompagnement des victimes, sur l’espace intranet et sur le site internet

Créer des espaces internet et intranet dédiés à l’information sur les harcèlements, discriminations et violences

Afficher les coordonnées de la cellule Thémis du dispositif « Écoute Défense » et des associations agréées sur ces espaces intranet et internet ainsi que dans les bureaux, unités et lieux de vie

Élaborer et diffuser un guide relatif aux procédures à appliquer et à la conduite à tenir en cas de harcèlement, discrimination ou violence sexuel(le).

Harmoniser la remontée dinformation

– Préciser par des directives les procédures de signalement de faits, notamment le dispositif EVENGRAVE : description et qualification des faits ; prise en compte des dommages psychologiques dans les dommages subis ; mesures conservatoires pour protéger la victime ; état clair d’avancement de la procédure disciplinaire à la date du signalement.

Recenser l’ensemble des signalements, leurs suites disciplinaires et éventuellement judiciaires, les suites professionnelles, auprès des différents services compétents du ministère (commandement, DRH, affaires pénales militaires, prévôté, etc.)

Charger le Haut Fonctionnaire à légalité des droits, en lien avec l’Observatoire de la parité, de les traiter pour fournir annuellement des statistiques sur les faits de harcèlement et de violence

Insérer ces statistiques dans le Bilan social du ministère de la Défense

Présenter ces statistiques aux instances de concertation et de dialogue social du ministère.

SANCTION

Clarifier la politique disciplinaire

– Harmoniser progressivement les pratiques disciplinaires des armées et services, telles que la proportionnalité des sanctions et les suites professionnelles

Réaffirmer l’indépendance des procédures disciplinaires et pénales

Appliquer des sanctions de groupe II ou III (sanctions les plus graves, allant de l’exclusion temporaire des fonctions, à la radiation des cadres et la résiliation des contrats) pour les actes de violence et d’agression sexuelle.

Prendre et notifier ces sanctions disciplinaires dans le délai maximum de quatre mois suivant le signalement des faits.

Source : ministère des Armées.


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Annexe 3 :
Données sur la mobilité sociale des militaires

épartition du personnel militaire selon la CSP de son père
par catégorie hiérarchique

Répartition du personnel militaire selon la CSP de sa mère
par catégorie hiérarchique

mobilitesociale2014_insee


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Annexe 4 :
Fonctionnement des comptes rendus « Evengrave »

Catégories dévénements graves fixées par linstruction n° 1950 et devant faire lobjet dun compte rendu immédiat au cabinet de la ministre

Catégories

Souscatégories

1

Accident autre qu’aérien, au cours du service ou lors d’utilisation frauduleuse de matériels militaires, ayant occasionné :

1.1

Décès

1.2

Blessure très grave (susceptible de devenir mortelle ou entraînant une incapacité de travail > à 1 mois

2

Accident aérien ayant entraîné disparition, décès, blessure grave ou dommages matériels importants

3

Incident de navigation sur bâtiment de forces armées, ayant entraîné soit une annulation de la mission, soit une indisponibilité

4

Agression sur un personnel Défense en ou hors service, dont la qualité de militaire est connue des agresseurs, ayant occasionné :

4.1

Décès

4.2

Blessure grave (pouvant conduire à une incapacité de travail > à 1 mois)

5

Toutes voies de fait envers un supérieur hiérarchique

5.1

Décès

5.2

Blessure (pouvant conduire à une incapacité de travail > à 8jours)

6

Suicide

6.1

Décès

6.2

Décès sans lien avec le service

6.3

Acte auto‑agressif lié au service (ayant occasionné une blessure entraînant une incapacité de travail > à 1 mois)

7

Sévices, brimades, rixes entre personnels militaire ou civil du ministère ayant entraîné un décès ou une blessure pouvant conduire à une incapacité de travail > à 1mois

8

Stupéfiants

8.1

Trafic (tout personnel)

8.2

Usage ou détention (hors militaires du rang et civils de catégorie C)

9

Atteinte aux matériels

9.1

Vol, perte, dégradation, disparition, destruction ou sabotage de matériels autres que le matériel de guerre de 1ère catégorie (valeur unitaire > à 15 000 €)

9.2

Vol, perte, dégradation, disparition, destruction ou sabotage de matériels de guerre de 1ère catégorie

9.3

Compromission de documents ou logiciels classifiés

10

Tout détournement de fonds, de matériels ou de denrées, quelle qu’en soit la valeur, mettant en cause des responsables administratifs gestionnaires ou tout déficit important dont le montant est > à 7 000 euros

11

Atteinte au domaine militaire

12

Manifestation collective ou tout fait de propagande politique auquel des militaires auraient pris part

13

Accident mettant en cause des matières dangereuses (stockage, manipulation, transport)

14

Mise en cause d’un personnel militaire ou civil

14.1

Dans une affaire pénale (crime ou délit), sans lien avec le service

14.2

Dans une affaire pénale (crime ou délit), en lien avec le service

14.3

Incarcération dans un pays étranger

14.4

Dans les médias locaux ou nationaux

15

Événements concernant des formations ou des militaires étrangers en France

16

Autres faits laissés à l’appréciation de l’autorité concernée

17

Autres décès

18

Harcèlement, violences et discriminations sexuels (HVDS) survenus en service, en lien avec le service, ou hors service dans une emprise du ministère de la défense ou des établissements publics qui en dépendent

19

Harcèlement moral au travail (HMT)

Source : ministère des Armées.

Recensement des comptes rendus « EVENGRAVE » en 2018

Tout accident, autre qu’aérien, en service (trajet exclu)

Cat. 1

 114

6,02 %

Accident aérien

Cat. 2

 14

0,74 %

Accident de navigation

Cat. 3

 2

0,11 %

Toute agression physique sur un personnel civil de la défense ou militaire

Cat. 4

 19

1,00 %

Voies de fait à supérieur ayant entraîné un décès ou une blessure grave

Cat. 5

 10

0,53 %

Suicide ou tentative de suicide grave

Cat. 6

 96

5,07 %

Tous sévices – brimades et rixes entre militaires

Cat. 7

 78

4,12 %

Stupéfiants

Cat. 8

 52

2,75 %

Vol ou perte ou dégradation de matériels

Cat. 9

 102

5,39 %

Tout détournement ou déficit important

Cat. 10

 10

0,53 %

Toute atteinte au domaine militaire

Cat. 11

 131

6,92 %

Manifestation – propagande antimilitariste – revendications

Cat. 12

 1

0,05 %

Atteinte à l’environnement

Cat. 13

 6

0,32 %

Mise en cause dans une affaire pénale

Cat. 14

 884

46,70 %

Unités ou militaires étrangers

Cat. 15

 3

0,16 %

Divers

Cat. 16

 162

8,56 %

Autres décès

Cat. 17

 36

1,90 %

Harcèlement, violences et discriminations sexuels (HVDS)

Cat. 18

 140

7,40 %

Harcèlement moral au travail (HMT)

Cat. 19

 33

1,74 %

Source : ministère des Armées.

 


Annexe 5 :
Nombre d’« Evengrave » des catégories 18 et 19 depuis 2014* par armée, direction et service

Armées, directions et services

Effectifs

Harcèle-ment (sexuel)

Viol

Attouche-ment

Agression sexuelle

Exhibition

Discri-mination liée au sexe

Discrimi-nation liée à lorientation sexuelle

Voyeu-risme

Harcèle-ment moral*

Total

Armée de l’air

41 403

16

1

1

6

2

0

0

5

7

38

Direction générale de l’armement

5 111

5

0

1

1

0

1

0

1

3

12

Service des essences des armées

1 348

0

0

2

0

0

0

0

0

1

3

Marine nationale

36 266

20

8

10

8

3

1

2

4

12

68

Service de santé des armées

9 997

9

0

1

3

0

0

0

0

3

16

Service du commissariat des armées

1 852

3

0

1

0

1

0

0

0

0

5

Armée de terre

113 483

112

22

26

49

7

9

3

25

46

299

Autres

57 332

28

0

6

15

3

0

0

8

16

76

Total

266 792

193

31

48

82

16

11

5

43

88

517

(*) La catégorie 18 a été créée en 2014 et la catégorie 19 en 2016.

Source : ministère des Armées.


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Annexe 6 :
Plan d’« excellence comportementale »
dans les lycées de la défense (8 juin 2018)

CHOIX ET IMPLICATION DE LENCADREMENT

1. Amélioration quantitativement et qualitativement de l’encadrement des lycées militaires, en trouvant un juste équilibre sur son taux de féminisation, y compris parmi les officiers.

Un taux de féminisation de 50 % pour encadrer les sections « Lettres » au sein des CPGE du Lycée militaire de Saint‑Cyr‑l’École sera recherché.

2. Mettre en place de (réelles) périodes dédiées aux activités militaires pour les classes préparatoires, encadrées par du personnel militaire.

ENCADREMENT DES TRADITIONS

3. Soumettre le contenu de toutes les activités de transmission des traditions au préalable au chef de corps, en liaison avec le proviseur. Ces activités seront réalisées uniquement en présence de l’encadrement. Toute activité qui n’a pas reçu l’aval de cette hiérarchie est à proscrire.

4. Pour les classes préparatoires aux grandes écoles, retenir le principe d’une « corniche » unique qui intègre l’ensemble des étudiants des classes préparatoires.

5. Limiter strictement la durée des activités de transmission des traditions. Encadrer le retour des intégrants dans les lycées.

AMÉLIORATION DE LA MIXITÉ

6. Appuyer, par la diffusion de directives, les chefs de corps dans la transmission des valeurs de la République et des armées.

7. Installer une représentation mixte au sein des classes et mettre en place un référent mixité dans l’équipe de commandement.

SURVEILLANCE DES LYCÉES

8. Faire inspecter l’ensemble des établissements scolaires des armées par leur armée d’appartenance tous les deux ans au maximum, tous les ans pour les lycées militaires de Saint‑Cyr l’École et de La Flèche.

9. Engager, sous la responsabilité du commandement et le soutien du SSA, des actions résolues de sensibilisation contre les conduites addictives.

10. Toute sanction ou exclusion d’un lycée de Défense pour faute grave de comportement doit avoir valeur pour tous les lycées de Défense et être tracée pour les organismes de recrutement dans l’armée.

Source ministère des Armées.

 


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Annexe 7 :
Plan Mixité (8 mars 2019)


Source ministère des Armées.


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Annexe 8 :
La fonction d’Ombudsman militaire dans quatre pays

 

 

Royaume-Uni

L’ombudsman militaire britannique est un fonctionnaire du pouvoir législatif, indépendant et non partisan, dont la mission est de contrôler l’administration, dont l’administration militaire. Sa nomination est le fruit d’une collaboration entre le Parlement et le Gouvernement. À titre d’exemple, Nicola Williams, Service Complain Ombudsman for the Armed Forces, a été auditionnée en 2015 par la commission de la Défense de la Chambre des Communes avant d’être titularisée par le ministère de la Défense à la tête du service des plaintes des forces armées. Dans son rôle de médiateur, ce fonctionnaire traite des plaintes émanant du personnel des forces armées, dénonçant une injustice supposée ou des demandes inappropriées de l’administration. La plainte doit être déposée auprès d’un député qui décide ou non de la transmettre à l’ombudsman. Ainsi, en 2017 et 2018, la moitié des milliers de plaintes ont été bloquées par le filtre des députés. L’ombudsman détient le pouvoir d’enquêter, de critiquer et de rendre publique l’action administrative. En revanche, il ne peut pas la modifier ou la réformer. Des études indépendantes suggèrent de donner plus de pouvoir à l’ombudsman et proposent de supprimer le filtre du député.

 

 

Allemagne

En Allemagne, il n’existe pas d’ombudsman à proprement parler. L’action du Wehrbeauftragter, en allemand : commissaire parlementaire aux forces armées, concerne la défense des droits de l’Homme, ce qui constitue une acception distincte et plus large de la notion. Fonction créée en 1961, le Wehrbeauftragter est élu à bulletins secrets par les députés du Bundestag pour une durée de cinq ans. Il n’est ni membre du Bundestag, ni fonctionnaire ; sa position est particulière. Il est désigné « en vue de la protection des droits fondamentaux et en qualité dorgane auxiliaire du Bundestag pour lexercice du contrôle parlementaire », selon la Loi fondamentale allemande. La loi définit précisément ses missions et compétences. Elle identifie avant tout deux situations dans lesquelles le commissaire est amené à intervenir : sur instruction du Bundestag ou de sa commission de la défense, et sur la base d’indices permettant de conclure à une violation des droits fondamentaux des soldats ou des principes de l’ « Innere Führung », l’éducation civique et morale des militaires. Afin de pouvoir remplir ses missions constitutionnelles, le Wehrbeauftragter est habilité à demander des informations, et à contrôler tous les services et toutes les personnes appartenant au ministère fédéral de la Défense. Il peut en outre bénéficier de l’entraide administrative. Les tribunaux et les administrations du Bund, des Länder et des communes sont obligés d’apporter leur soutien au Wehrbeauftragter dans la réalisation des enquêtes qu’il est amené à effectuer. Il peut être sollicité directement par tout militaire en dehors de la voix hiérarchique. Il remet chaque année un rapport sur ses activités dans lequel il consigne les conclusions des examens d’événements critiques survenus au sein de la Bundeswehr.

 

Israël

La fonction d’ombudsman des forces de défense israéliennes (FDI) a été mise en place en 2008. Occupée par un officier général à la retraite, elle consiste à se saisir de tout dysfonctionnement au sein du ministère de la Défense, de le porter à la connaissance des autorités et de la population par le biais de rapports annuels, qui sont très attendus. Ces dysfonctionnements peuvent être repérés, soit directement par l’ombudsman, soit par le biais de remontées d’informations ou de plaintes, chacun, au sein du ministère, étant libre de lui faire parvenir des requêtes. Le titulaire dépend directement du ministre. Le dernier ombudsman en titre était le major général Yitzhak Brick jusqu’au 9 janvier 2019 et son action s’est étendue au domaine de la préparation des forces. En effet, en juin 2018, dans son 10e rapport annuel, fruit de conversations avec des commandants sur le terrain plutôt qu’avec des hauts gradés, il a noté une augmentation des plaintes au sein de l’armée israélienne (le nombre de plaintes écrites a augmenté de 5 % en 2017) et des difficultés de fidélisation des meilleurs officiers qui pourraient compromettre les capacités opérationnelles de l’armée israélienne (notamment l’armée de terre). Avant de quitter son poste, Yitzhak Brick a attribué le problème du manque de préparation des FDI à la stratégie de réforme quinquennale lancée en 2015, qui prévoyait la réduction du nombre de soldats de carrière à moins de 40 000, ainsi que celle de la durée du service militaire obligatoire, réduite à trois mois pour les hommes. L’officier à la retraite estime que ces changements ont entraîné un épuisement professionnel et une perte de motivation pour les officiers des FDI. L’ombudsman semble présenter en Israël une totale liberté de ton et de sujets abordés. Aucune évolution n’est attendue dans un avenir proche, l’ombudsman « jouant exactement le rôle pour lequel il a été créé ».

 

 

Canada

À la suite du rapport de la commission d’enquête sur la Somalie de juin 1997, qui recommandait de modifier la loi sur la défense nationale afin de mettre en place un corps d’examen civil indépendant, appelé « inspecteur général », aux pouvoirs exhaustifs, relevant directement du Parlement, et du rejet de cette recommandation par le ministère de la défense nationale en octobre 1997, un ombudsman indépendant fondé sur un modèle classique a été institué en 1998, sans toutefois de garanties réglementaires suffisantes en matière de gouvernance et d’indépendance. En dépit de ses difficultés relevées par les différents ombudsman qui se sont succédé, l’institution connaît certains succès. L’Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes agit en dernier recours, une fois les voies normales épuisées (mécanismes d’examen interne, par exemple la procédure de redressement des griefs des forces canadiennes, la procédure de règlement des griefs et de traitement des plans de la fonction publique, et autres), dans le cadre de requêtes à formuler directement dans les domaines les plus divers (harcèlement, mutations, pensions, etc.) et son rôle de ce point de vue s’assimile un rôle de médiateur comparable au rôle assigné aux inspecteurs généraux des armées en France. L’Ombudsman des forces armées canadiennes, comme en témoigne son activité sur les réseaux sociaux, intervient également de manière significative dans le champ de la défense des droits de l’Homme, dont les questions de genre, la lutte contre le racisme, avec un accent particulier porté sur la promotion et la reconnaissance du rôle des minorités dans les forces armées. Il produit des rapports annuels et des enquêtes adressées au ministère (la dernière en date de janvier 2019 portait sur l’inspection de santé au travail) dont la diffusion est ouverte.


—  1  —

Annexe 9 :
Auditions et déplacements de la mission d’information

(Par ordre chronologique)

1. Auditions :

 Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM)

 M. le contrôleur général des armées Patrick Macary, secrétaire général ;

– M. le caporal-chef Grégory Minet, secrétaire du conseil (armée de terre) ;

– M. l’ingénieur en chef de 2e classe Vincent Rostand, adjoint au secrétaire du conseil (service des infrastructures de la défense) ;

– M. le capitaine Yannick Rousse (service des essences des armées) ;

– Mme la commissaire principale Marine Messager (service du commissariat des armées) ;

– M. l’infirmier en soins généraux de grade 2 Stéphane Huttin (service de santé des armées) ;

– M. le maître Michaël Pousset (marine nationale) ;

– Mme la quartier maître de 1ère classe Yasmina Manutahi (marine nationale) ;

– M. le major Philippe Antoni (gendarmerie nationale) ;

– M. le chef d’escadron Frédéric Colard (gendarmerie nationale) ;

– M. le caporal-chef Ludovic Novaro (armée de l’air) ;

– M. le Lieutenant Sylvain Munier (armée de terre).

 Audition de deux chercheurs en sciences sociales spécialistes des discriminations religieuses ou liées aux origines dans les forces armées

– Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, professeur à SciencesPo ;

– M. Elyamine Settoul, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers, Paris, auteur d’une thèse intitulée « Analyse des trajectoires d’engagement des militaires issus de l’immigration ».

 Haut Comité à lévaluation de la condition militaire (HCECM) 

– M. Bernard Pêcheur, président ;

– M. Francis Lamy, conseiller d’État, président adjoint de la section de l’intérieur du Conseil d’État, vice-président du Haut Comité ;

– M. le contrôleur général Olivier Maigne, secrétaire général.

 Direction du personnel militaire de la marine (DPMM)

– M. le vice-amiral d’escadre Jean-Baptiste Dupuis, directeur ;

– M. le commissaire en chef de 2e classe François Millet, adjoint au chef du bureau « Politique des Ressources Humaines » ;

– M. le capitaine de vaisseau Dominique Caillé, officier en charge des liaisons parlementaires.

 Défenseur des droits

– M. Jacques Toubon, Défenseur des droits ;

– M. Patrick Gohet, adjoint en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité ;

– Mme Charlotte Avril, cheffe du pôle Fonction publique ;

– Mme Vanessa Barlier, juriste du pôle Fonction publique.

 Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN)

– M. le colonel Jean-François Valynseele, chef du pôle affaires réservées et de la déontologie - cellule Stop-Discri / Plateforme de réclamations des particuliers.

 Direction des ressources humaines de larmée de lair (DRHAA)

– M. le général de corps aérien Alain Ferran, directeur des ressources humaines ;

– Mme le lieutenant Isabelle Menager, assistant militaire du directeur.

 Direction des personnels militaires de la gendarmerie (DPMGN)

– M. le général de corps d’armée Hervé Renaud, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale ;

– M. le colonel Frédéric Monin, chargé de mission.

 Direction des ressources humaines de larmée de terre (DRHAT)

– M. le général de corps d’armée Frédéric Hingray, directeur ;

– M. le général de division Éric Maury, adjoint au directeur, garant du continuum de la formation de l’armée de terre et responsable des écoles de formation initiale et des lycées de la défense relevant de l’armée de terre ;

– M. le lieutenant-colonel David Pawlowski, assistant militaire du directeur ;

– M. le lieutenant-colonel Jobic Le Gouvello de la Porte, officier en charge des relations avec le Parlement.

 Contrôle général des armées – cellule Thémis

– M. le contrôleur général des armées Christian Giner, responsable de la cellule Thémis ;

– Mme Léa Delaizir-Pipart, rapporteure à la cellule Thémis.

 Service de santé des armées (SSA)

– Mme la médecin générale des armées Maryline Gygax Généro, directrice centrale ;

– M. le médecin en chef Laurent Martinez, coordinateur national du service médico-psychologique des armées.

 État-major des armées (EMA)

– M. le général de corps d’armée Bruno Paccagnini, sous-chef « performance » ;

– M. le colonel Rodolphe Hardy, adjoint au sous-chef « performance » ;

– M. le commissaire en chef de 1ère classe Thierry Calentier, chef du bureau « condition du personnel et formation ».

 Aumônerie militaire du culte catholique 

– Mgr. Antoine de Romanet, évêque aux armées françaises ;

– M. Pierre Fresson, aumônier en chef adjoint,  aumônier national de la marine - direction de l’aumônerie militaire catholique.

 Ambassade de Norvège à Paris

– M. le colonel Pål Berglund, attaché de défense de Norvège en France.

 Aumônerie militaire du culte musulman

– M. Abdelkader Arbi, aumônier en chef du culte musulman ;

– Mme Mounira Nouicer, aumônier militaire du culte musulman.

 AIDES - Association de lutte contre le sida et les hépatites en France 

– M. Laurent Pallot, secrétaire général ;

– M. Enzo Poultreniez, responsable « plaidoyer et revendications » ;

– Mme Chloé Le Gouëz, chargée de mission « plaidoyer accès aux droits ».

 Inspection de la marine nationale (IMN)

– M. le vice-amiral d’escadre Éric Schérer, inspecteur de la marine nationale ;

– M. le capitaine de frégate Yann Le Beschu de Champsavin, chargé d’études générales ;

– M. le capitaine de vaisseau Antoine Vibert, chargé des liaisons parlementaires - cabinet du chef d’état-major de la marine.

 Aumônerie militaire du culte protestant

– M. Étienne Waechter, aumônier en chef de l’aumônerie protestante aux armées.

 Inspection de larmée de lair (IAA)

– M. le général de corps aérien Gilles Modéré, inspecteur de l’armée de l’air.

 Région de gendarmerie dÎle-de-France

– M. le général de corps d’armée Jean-Marc Loubès, commandant la région de gendarmerie d’Île-de-France et la gendarmerie pour la zone de défense et de sécurité de Paris ;

– Mme la lieutenante Marie-Ange Detey, coordonnatrice régionale du réseau égalité professionnelle et diversité de la région de gendarmerie d’Île‑de‑France.

 Groupe X-féminisme

– Mme Alexandra Cosseron, ingénieur de recherche ;

– Mme Morgane Barthod, entrepreneur.

 Collectif « Major Tesan »

– M. Frédéric Carteron, président du collectif (par vidéoconférence depuis San Francisco).

 Direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRHMD)

– M. le vice-amiral d’escadre Philippe Hello, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense ;

– Mme la contre‑amiral Anne de Clauzade de Mazieux, directrice du projet « labellisation ».

 Inspection de larmée de terre

– M. le général de corps d’armée Thierry Burkhard, inspecteur de l’armée de terre ;

–  Mme le commandant Céline Petetin, chef de la cellule « harcèlement moral au travail » ;

–  M. le lieutenant-colonel Jobic Le Gouvello de la Porte, officier en charge des relations avec le Parlement.

 Association de défense des droits des militaires (Adefdromil)

– M. Jacques Bessy, président de l’Adefdromil - Aide aux Victimes ;

– Me Élodie Maumont, avocate spécialisée dans le contentieux militaire.

 Inspection des armées (IdA)

– M. le vice-amiral d’escadre Olivier Coupry, inspecteur des armées ;

– M. le colonel Laurent-Boïté, chef d’état-major de l’inspection des armées ;

– Mme Giovanna Commissionne, conseiller « personnel civil ».

 Direction des affaires juridiques du ministère des Armées 

– Mme Claire Legras, directrice des affaires juridiques.

 École Polytechnique 

– M. Éric Labaye, président du conseil d’administration ;

– M. l’ingénieur général hors classe François Bouchet,  directeur général ;

– Mme Alice Carpentier, responsable du pôle Diversité et réussite ;

– Mme l’aspirant Annabelle Frin, promotion 2016, « kessier » (membre du bureau des élèves) ;

– Mme l’aspirant Clémence Lanfranchi, promotion 2017, du binet (association étudiante) « X au féminin ».

2. Déplacements :

 Jeudi 15 et vendredi 16 novembre 2018 : déplacement à Angoulême, Saintes et Rochefort :

– Visite au centre de recrutement des forces armées d’Angoulême, en présence du colonel Jacques Menthonnex commandant le groupement de recrutement et de sélection sud-ouest ;

– Visite de l’École d’enseignement technique de l’armée de l’air (EETAA), en présence du colonel Thierry Fluxa, commandant la base aérienne 722 ;

– Entretien avec le général de brigade aérienne Manuel Alvarez, commandant les Écoles des sous-officiers et des militaires du rang de l’armée de l’air, la base aérienne 721 de Rochefort, la base de défense Rochefort-Cognac, et délégué militaire départemental de Charente-Maritime, le colonel Le Bras, commandant en second de l’École de formation des sous-officiers de l’armée de l’air (EFSOAA) ; le lieutenant-colonel Schmid, commandant en second de la base aérienne 721 et le lieutenant-colonel Glory, délégué militaire départemental adjoint (armée de terre) ;

– Visite de la base aérienne 721 de Rochefort et de l’École de formation des sous-officiers de l’armée de l’air (EFSOAA) en présence du commandant, de l’adjoint en charge des écoles, du directeur de la formation et des commandants d’escadron ;

– Table ronde sur la mise en œuvre des dispositifs de lutte contre les discriminations en présence du commandement de la base, des commandants d’escadrons, des référents mixité des escadrons, des présidents de catégorie, de représentants de l’antenne sociale, de représentants de l’antenne médicale, des aumôniers, du chef du bureau Appui au commandement, du chef du bureau Maîtrise des risques, de représentants de la brigade de gendarmerie de l’air ;

– Déjeuner avec les participants à la table ronde ainsi que des cadres et des élèves sélectionnés susceptibles d’être concernés par les situations de discrimination.

 Jeudi 24 et vendredi 25 janvier 2019 : déplacement sur la base navale de Brest

– Visite de la frégate multi-mission (FREMM) Aquitaine, présentation des dispositifs de lutte contre les discriminations à bord et rencontre avec les membres d’équipage ;

– Visite à la vigie du Portzic, présentation des spécificités du métier de guetteur de la flotte ;

– Présentation des spécificités du métier à bord d’un sous-marin, présentation de la mise en œuvre des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein de la force océanique stratégique (FOST) et rencontre avec le personnel sous-marinier ;

– Visite au centre d’instruction naval (CIN) de Brest, présentation des chaînes de prévention et d’alerte, tables rondes avec des cadres et des élèves ;

– Visite à l’école navale, déjeuner avec des élèves et des cadres, tables rondes avec des élèves français et étrangers,  avec des personnels militaires et civils.

 Jeudi 7 février 2019 : Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan

– Présentation des écoles par le général de division François Labuze et le colonel Vincent Le Cour Grandmaison, commandant en second, présentation des origines socio-professionnelle des élèves, présentation des activités de transmission des traditions ;

– Passage dans les locaux « vie » et à l’antenne médicale ;

– Visite au musée de l’officier ;

– Partage de rations sur le terrain avec des élèves du 4e bataillon ;

– Table ronde avec les cadres du réseau mixité ;

– Table ronde d’élèves officiers masculins ;

– Table ronde d’élèves officiers féminins.

 Mercredi 13 février 2019 : Lycée militaire de Saint-Cyr lÉcole

– Rencontre avec le commandant, le commandant en second, le proviseur et la proviseure-adjointe du lycée ;

– Table ronde « environnement » avec des professeurs, l’assistante sociale, le médecin, les aumôniers ;

– Table ronde avec des élèves féminins de classes préparatoires ;

– Table ronde avec des élèves masculins de classes préparatoires ;

– Visite des infrastructures.


([1]) Voir notamment Mme Esther Benbassa et M. Jean-René Lecerf, Rapport dinformation sur la lutte contre les discriminations, Sénat, session ordinaire de 2014-2015, n° 94, 12 novembre 2014 ou encore Laure Bereni, et Vincent-Arnaud Chappe. « La discrimination, de la qualification juridique à l’outil sociologique », Politix, vol. 94, n° 2, 2011, pp. 7-34., ainsi que Jean-Yves Frouin, président de la chambre sociale de la Cour de cassation, La lutte contre les discriminations et lemploi, intervention dans le cadre du colloque consacré à « Dix ans de droit de la non-discrimination » organisé par le Défenseur des droits, lundi 5 octobre 2015.

([2]) Jean-Marc Sauvé, Le principe dégalité et le droit de la non-discrimination, intervention dans le cadre du colloque précité, lundi 5 octobre 2015.

([3]) Robert Hernu, Principe dégalité et principe de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, éd. LGDJ, 2003, p. 18.

([4]) Gwenaëlle Calvès, « Non-discrimination et égalité : de la fusion à la séparation ? », in F. Fines, C. Gauthier et M. Gautier, La non-discrimination entre les européens, éd. Pedone, 2012, p. 9.

([5]) Id., p. 10.

([6]) Mme Esther Benbassa et M. Jean-René Lecerf, Rapport dinformation sur la lutte contre les discriminations, Sénat, session ordinaire de 2014-2015, n° 94, 12 novembre 2014.

([7]) Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, le 24 juillet 2018.

([8]) Cour d’appel d’Orléans, décision n° RG 15-02566 du 7 février 2017. URL : https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16139

([9]) Article 4-1 de la directive 97/80/CE du15 décembre 1997.

([10]) Article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011.

([11]) « Quelle est la différence entre inégalité sociale et discrimination ? », article rédigé le 13 mars 2008 et remis à jour le 31 janvier 2013 sur le site de l’Observatoire des inégalités, association loi 1901, associant des philosophes, des sociologues et des économistes. URL : http://www.inegalites.fr/spip.php?article779

([12]) Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Les étudiants et la culture, Éditions de Minuit, collection « Le sens commun »,1964.

([13]) Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, Hélène Garner, Magali Recoules, Document détudes n° 182, « Égalité, diversité, discrimination. Étude de 80 accords d’entreprise sur la diversité. », juin 2014.

([14]) Ernest Renan, Quest-ce quune Nation ?, 1882.

([15]) Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, le 24 juillet 2018.

([16]) Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.), Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France, Ined éditions, 2016.

([17]) Service statistique ministériel de la sécurité intérieur, rapport d’enquête « cadre de vie et sécurité », décembre 2018.

([18]) Mireille Eberhard, Patrick Simon, « Égalité professionnelle et perception des discriminations à la Ville de Paris », Documents de travail de lIned n° 207,2014.

([19]) Audition du HCECM précitée du 19 juillet 2018.

([20])  Articles L. 3211‑2 et L. 4111‑1 du code de la défense.

([21])  L’armée de la République regroupe les forces armées qui, selon l’article L. 3211‑1 du code de la défense, comprennent l’armée de terre, la marine nationale, l’armée de l’air, la gendarmerie nationale, les services de soutien et les organismes interarmées ainsi que les formations rattachées.

([22])  Décision n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014.

([23])  Considérant 6 de la décision n° 2014-450 du 27 février 2015.

([24]) Audition précitée du 19 juillet 2018.

([25])  Larticle L. 4139-16 du code de la défense prévoit que la limite dâge est majoritairement comprise entre 47 et 59 ans.

([26])  La limite de durée de services dun officier sous contrat est fixée à 20 ans, celle dun militaire commissionné à 17 ans, celle dun militaire du rang à 27 ans et celle dun volontaire à 5 ans (article L4139-16 du code de la défense). Les officiers sous contrat et les militaires commissionnés peuvent être maintenus en service pour une durée supplémentaire maximum de 10 trimestres.

([27])  L’âge moyen varie selon les forces armées, les missions qu’elles ont à remplir et les besoins de technicité. L’âge moyen n’est par exemple que de 28 ans pour les équipages embarqués de la marine nationale mais il est de 40 ans et 6 mois parmi les sous-officiers de gendarmerie.

([28]) Loi n° 72‑662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires.

([29]) Loi n° 2005‑270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires.

([30]) Loi n° 2018‑607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([31]) Loi n° 97‑1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national.

([32]) Décret n° 98‑86 du 16 février 1998. Les quotas étaient limitatifs et ne visaient pas, selon l’acception courante aujourd’hui, à favoriser le recrutement de femmes mais au contraire à le limiter.

([33])  Les officiers féminins y ont accès depuis 1989.

([34]) Audition du vice-amiral d’escadre Jean-Baptiste Dupuis, directeur du personnel militaire de la marine, le 19 juillet 2018.

([35]) Audition du général de corps d’armée Frédéric Hingray, directeur des ressources humaines de l’armée de terre, du 25 octobre 2018.

([36]) Audition du HCECM précitée du 19 juillet 2018.

([37]) Audition du DRHAT précitée du 25 octobre 2018.

([38]) Ministère des Armées, Direction générale des relations internationales et de la stratégie, Expliquer la laïcité française : une pédagogie par lexemple de la « laïcité militaire », novembre 2017.

([39]) Audition du général de corps d’armée Hervé Renaud, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, le 23 octobre 2018.

([40]) Visite de l’École d’enseignement technique de l’armée de l’air (EETAA), le 15 novembre 2018.

([41]) Audition du général de corps d’armée Bruno Paccagnini, sous-chef Performance de l’état-major des armées, le 22 novembre 2018.

([42]) Audition d’une délégation du Conseil supérieur de la fonction militaire, le 12 juillet 2018.

([43]) Audition de Mme la médecin générale des armées Maryline Gygax Genero, directrice centrale du service de santé des armées, le 13 décembre 2018.

([44]) Leila Miñano, Julia Pascual, La guerre invisible, Les Arenes Eds, 2014.

([45]) Instruction n° 494/ARM/CAB relative à l’organisation, aux missions et aux modalités d’exercice des missions de la « cellule Thémis » du 24 octobre 2018, publiée au BOC n° 43 du 20 décembre 2018, texte 2.

([46]) Plan d’action contre les harcèlements, violences et discriminations du 15 avril 2014 (cf. annexe 2).

([47]) Audition du général de corps d’armée Bruno Paccagnini, précitée, le 22 novembre 2018.

([48]) Audition précitée du général de corps d’armée Hervé Renaud, le 23 octobre 2018.

([49]) Audition précitée du 12 juillet 2018.

([50]) Audition précitée du 19 juillet 2018.

([51]) Audition de Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, professeur à SciencesPo, et de M. Elyamine Settoul, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, du 12 juillet 2018.

([52]) Audition du général de corps d’armée Jean-Marc Loubès commandant de la région de gendarmerie d’Île‑de-France, le 15 janvier 2019.

([53]) Diapositives présentées lors de la visite au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École, le mercredi 13 février 2019.

([54]) Visite de l’École de formation des sous-officiers de l’armée de l’air (EFSOAA) le vendredi 16 novembre 2018.

([55]) Thomas Gassilloud, Avis fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2019 n° 1306 tome IV, 12 octobre 2018. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/15/budget/plf2019/a1306-tIV.asp

([56]) Audition précitée du vice-amiral d’escadre Jean-Baptiste Dupuis, du 19 juillet 2018.

([57]) Audition du contrôleur général des armées Christian Giner, responsable de la cellule Thémis, le 25 octobre 2018.

([58]) Audition du DRHAT précitée du 25 octobre 2018.

([59]) Haut Comité d’évaluation de la condition militaire,7e rapport, Les femmes dans les forces armées françaises, juin 2013.

([60]) Berangère Couillard, Bénédicte Taurine, La féminisation des forces armées : un impératif dégalité et un besoin opérationnel, rapport d’information n° 1337 de la délégation aux droits des femmes, octobre 2018. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1337.asp

([61]) Audition du HCECM précitée du 19 juillet 2018.

([62]) Audition précitée de Mme Catherine Wihtol de Wenden et M. Elyamine Settoul, du 12 juillet 2018.

([63]) Audition du HCECM précitée du 19 juillet 2018.

([64]) Christophe Bertossi et Catherine Wihtol de Wenden, Les couleurs du drapeau. Larmée française face aux discriminations, éditions Robert Laffont, collection « Le monde comme il va », mars 2007.

([65]) Elyamine Settoul, Contribution à la sociologie des forces armées : analyse des trajectoires dengagement des militaires issus de limmigration, thèse de doctorat en sciences politique, soutenue le 3 février 2012.

([66]) Audition précitée du 12 juillet 2018.

([67]) Réponses au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

([68]) Claude de Ganay, Avis fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2018, n° 235, tome III, 12 octobre 2017. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/15/budget/plf2018/a0277-tIII.asp

([69]) Réponses écrites du HCECM au questionnaire du rapporteur, octobre 2017.

([70]) La fonction militaire dans la société française, Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, 11e rapport, septembre 2017, page 72.

([71]) Audition précitée de Mme la médecin générale des armées Maryline Gygax Genero, du 13 décembre 2018.

([72]) Bilan 2017 fourni par le médecin en chef Laurent Martinez, coordinateur national du service médico‑psychologique des armées, le13 décembre 2018.

([73]) Audition précitée du contrôleur général des armées Christian Giner, du 25 octobre 2018.

([74]) Audition du colonel Jean-François Valynseele, chef du pôle affaires réservées et déontologie en charge

de la cellule Stop-Discri à l’inspection générale de la gendarmerie nationale, le 27 septembre 2018.

([75]) Audition précitée du DRHAT du 25 octobre 2018.

([76]) Audition du vice-amiral d’escadre Éric Schérer, inspecteur de la marine nationale, le 13 décembre 2018.

([77]) Audition du général de corps aérien Gilles Modéré, inspecteur de l’armée de l’air, le 18 décembre 2018.

([78]) Réponses au questionnaire écrit des rapporteurs du 20 février 2019.

([79]) Idem.

([80]) Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, 12e rapport – Revue annuelle de la condition militaire, novembre 2018, p. 34.

([81]) Audition du général de corps d’armée Bruno Paccagnini, précitée, le 22 novembre 2018.

([82]) Réponses de la DRHMD au questionnaire écrit des rapporteurs pour l’audition du 22 janvier 2019.

([83]) Ordre du général François Labuze, commandant les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan portant plan d’action pour la mixité des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (ESCC) n° 501268/ESCC/CAB/NP du 22 février 2018.

([84]) Lettre n° 9585/DEF/CM13/NP du 15 octobre 2014.

([85]) Rapport de la mission d’enquête sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées établi le 4 avril 2014 par le contrôle général des armées et l’inspecteur général des armées – terre.

([86]) Idem.

([87]) Rapport du collège des inspecteurs généraux d’armées n° 006/ARM/IGA/DR du 29 mars 2018.

([88]) Idem.

([89]) Audition du DRHAT précitée du 25 octobre 2018.

([90]) « Pourquoi les Lycées Militaires de la Défense sont-ils hypocrites d’arborer Liberté, Egalité, Fraternité ? », lettre à M. le président de la République, communiquée aux rapporteurs.

([91]) Visite au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École, le mercredi 13 février 2019.

([92]) Audition de M. Antoine de Romanet, évêque aux armées françaises, aumônier en chef du culte catholique, le 22 novembre 2018.

([93]) Idem.

([94]) Audition du DRHAT précitée du 25 octobre 2018.

([95]) Visite au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École, le mercredi 13 février 2019.

([96]) Rapport du collège des inspecteurs généraux d’armées n° 006/ARM/IGA/DR du 29 mars 2018.

([97]) Audition de Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, professeur à SciencesPo, et de M. Elyamine Settoul, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, du 12 juillet 2018.

([98]) Ordre permanent n° 8.1/DG du 22 août 2018 (diffusion restreinte).

([99]) Par exemple, Largot baille de Roger Coindreau, édition de 1957.

([100]) Ordre du général d’armée Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, au général commandant les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan n° 512120/DEF/CEMAT/NP du 28 septembre 2015.

([101]) Note de base n° 508083/ESCC/DPCF/BEG/NP du 16 décembre 2016 portant directive générale sur la transmission des traditions aux ESCC.

([102]) Plan d’action pour la mixité des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan n° 50168//ESCC/CAB/NP du 22 février 2018.

([103]) Audition précitée de l’aumônier en chef du culte catholique du 22 novembre 2018.

([104]) Audition deux anciennes élèves de l’École polytechnique, membres de l’association X-Féminisme, le 15 novembre 2019.

([105]) Audition des deux universitaires précitée du 12 juillet 2018.

([106]) Direction des ressources humaines du ministère de la défense, Repères RH sur la perception de la condition du personnel, novembre 2018.

([107]) Réponses du ministère des Armées au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

([108]) Arrêté du 22 décembre 2016 portant organisation de la direction des ressources humaines de l’armée de l’air, version consolidée au 26 février 2019.

([109]) Haut Comité d’évaluation de la condition militaire,7e rapport, précité.

([110]) Visite au centre de recrutement des forces armées d’Angoulême, en présence du colonel Jacques Menthonnex commandant le groupement de recrutement et de sélection sud-ouest, le 15 novembre 2018.

([111]) Réponses écrites au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

([112]) Audition de représentants de l’association AIDES, le 6 décembre 2018.

([113]) Idem.

([114]) Réponses écrites au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

([115]) Pauline Brouillet, Connaissances, attitudes et pratiques vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles dans larmée française, Thèse pour le diplôme d’État de docteur en médecine, sous la direction des docteures Magali Billhot et Sandrine Duron, soutenue le 11 mars 2016. URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01342566

([116]) Réponses écrites au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

([117]) Professeur Philippe Morlat (dir), Rapport sur la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH, sous l’égide du Conseil national du sida et des hépatites et de l’Agence nationale de recherche sur le sida, chapitre « Initiation d’un premier traitement anti-rétroviral », actualisé en 2018. URL : https://cns.sante.fr/actualites/prise-en-charge-du-vih-recommandations-du-groupe-dexperts/

([118]) Haut Comité d’évaluation de la condition militaire,7e rapport, précité.

([119]) Audition précitée du vice-amiral d’escadre Jean-Baptiste Dupuy, du 19 juillet 2018.

([120]) Table ronde avec des élèves de l’École navale, le vendredi 25 janvier 2019.

([121]) Direction des ressources humaines du ministère de la défense, Repères RH sur la perception de la condition du personnel, novembre 2018.

([122]) Entretien avec le vice-amiral d’escadre Jean-Louis Lozier, préfet maritime de l’Atlantique, à Brest, le jeudi 24 janvier 2019.

([123]) Entretien avec un officier de la force stratégique océanique, le jeudi 24 janvier 2019.

([124]) Entretien à Brest, le jeudi 24 janvier 2019.

([125]) Table ronde avec des élèves féminines du lycée naval de Brest, le vendredi 25 janvier 2019.

([126]) Audition préciéte du colonel Jean-François Valynseele, du 27 septembre 2018.

([127]) Audition de M. Jacques Bessy, président de l’Adefdromil – aide aux victimes et de Maître Élodie Maumont, avocate spécialisée dans le contentieux militaire, le 31 janvier 2019.             

([128]) Audition précitée du général Jean-Marc Loubès, le 15 janvier 2019.

([129]) Audition de M. Abdelkader Arbi, aumônier en chef du culte musulman, le 29 novembre 2018.

([130]) Audition précitée du vice-amiral d’escadre Jean-Baptiste Dupuis du 19 juillet 2018.

([131]) Audition précitée du CSFM du 12 juillet 2018.

([132]) Audition précitée de Mgr. Antoine de Romanet, évêque aux armées françaises, du 22 novembre 2018.

([133]) Audition précitée de M. Abdelkader Arbi du 29 novembre 2018.

([134]) Visite à l’École de sous-officiers de l’armée de l’air le vendredi 16 novembre 2018.

([135]) Audition du vice-amiral d’escadre Olivier Coupry, inspecteur des armées (IdA), le 31 janvier 2019.

([136]) Audition du HCECM précitée du 19 juillet 2018.

([137]) Audition précitée de Mme la médecin générale des armées Maryline Gygax Genero, du 13 décembre 2018.

([138]) Audition précitée du CSFM le 12 juillet 2018.

([139]) Note de base n° 508083/ESCC/DPCF/BEG/NP du 16 décembre 2016 portant directive générale sur la transmission des traditions aux ESCC.

([140]) Audition M. Abdelkader Arbi précitée du 29 novembre 2018.

([141]) Audition précitée du général de corps d’armée Jean-Marc Loubès du 15 janvier 2019.

([142]) Réponses du ministère des Armées au questionnaire des rapporteurs du 20 février 2019.

([143]) Audition précitée du contrôleur général des armées Christian Giner du 25 octobre 2018.

([144]) Éléments de réponse écrits fournis par l’armée de terre en marge de l’audition du DRHAT, le 15 novembre 2018.

([145]) Audition précitée du CSFM du 12 juillet 2018.

([146]) Audition précitée de Mme la médecin générale des armées Maryline Gygax Genero, du 13 décembre 2018.

([147]) Audition précitée du général de corps d’armée Jean-Marc Loubès du 15 janvier 2019.

([148]) Idem.

([149]) Audition précitée du CSFM du 12 juillet 2018.

([150]) Audition précitée du contrôleur général des armées Christian Giner du 25 octobre 2018.