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N° 2280

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2019

RAPPORT D’INFORMATION

 FAIT 

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1),

sur la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (n° 2200) et la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes (n° 2201)

 

PAR

Mme Fiona LAZAAR,

Députée.

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(1) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Pierre Rixain, présidente ; Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Valérie Boyer, Mme Fiona Lazaar, M. Gaël Le Bohec  vice-présidents ; Mme Isabelle Florennes, Mme Sophie Panonacle, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Sophie Auconie ; M. Erwan Balanant ; Mme Huguette Bello ; M. Pierre Cabaré, Mme Céline Calvez ; M. Luc Carvounas ; Mme Annie Chapelier ; M. Guillaume Chiche ; Mme Bérangère Couillard ; Mme Virginie Duby-Muller ; M. Philippe Dunoyer ; Mme Laurence Gayte ; Mme Annie Genevard ; M. Guillaume Gouffier-Cha ; Mme Nadia Hai ; Mme Sonia Krimi ; M. Mustapha Laabid ; Mme Nicole Le Peih ; Mme Geneviève Levy ; M. Thomas Mesnier ; Mme Cécile Muschotti ; M. Mickaël Nogal ; Mme Josy Poueyto ; Mme Isabelle Rauch ; Mme Laëtitia Romeiro Dias ; Mme Bénédicte Taurine ; Mme Laurence Trastour‑Isnart ; M. Stéphane Viry.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

SynthÈse des propositions

I. Renforcer les dispositifs et les outils existants

A. Les dispositifs visant À mieux apprÉhender les violences conjugales

1. La formation de l’ensemble des personnels susceptibles d’être impliqués dans la prise en charge des victimes de violences conjugales

2. Consolider les efforts réalisés en matière d’accueil et d’accompagnement des victimes, en particulier au moment du dépôt de plainte

B. Les dispositifs visant À protÉger les victimes de violences conjugales

1. L’ordonnance de protection

2. Le téléphone grave danger

II. COMBLER les failles dans la prise en charge des victimes de violences conjugales en crÉant de nouveaux dispositifs

A. Mieux protÉger les victimes et Mieux prendre en charge les auteurs de violences conjugales et intrafamiliales

1. Le déploiement du bracelet électronique anti-rapprochement

2. La prise en charge des auteurs de violences conjugales

B. Mieux protÉger les enfants confrontÉs À des violences conjugales dans le cadre familial

1. Les enfants, victimes directes des violences conjugales

2. Organiser l’exercice de l’autorité parentale pour garantir la protection du conjoint victime et des enfants

III. Les violences conjugales, une rÉalitÉ omniprÉsente et multiforme qui ne se RÉSOUDRA qu’en agissant rÉsolument en amont et en aval

A. Accentuer La prÉvention et l’Éducation de toutes et tous À l’ÉgalitÉ

1. Éduquer dès le plus jeune âge à l’égalité entre les femmes et les hommes pour en finir avec les violences faites aux femmes

2. Prévenir l’apparition de violences tout au long de la vie et dans toutes les circonstances

B. Garantir un accompagnement dans la durÉe des victimes

1. Développer un dispositif plus cohérent d’hébergement d’urgence et de moyenne durée, adapté à la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales

2. Favoriser la logique d’un accompagnement sur le moyen et le long terme

TRAVAUX DE LA dÉlÉgation

annexe 1 : personnes entendues par lA dÉlÉgation

I. Audition du Ministre de l’intérieur du 10 septembre 2019

II. Audition de la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, du 18 septembre 2019

III. Table ronde de structures associatives du 25 septembre 2019

annexe 2 : personnes entendues par lA RAPPORTEURE

 


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introduction

En 2017, 130 femmes et 21 hommes ont été tués par leur partenaire.

En 2018, 121 femmes et 28 hommes ont été tués par leur partenaire.

En 2019, à la fin du mois de septembre, 111 femmes ont été tuées par leur partenaire ([1]).

111 féminicides ont eu lieu depuis le début de l’année et ces chiffres soulignent clairement la gravité et l’urgence de la situation : les violences conjugales tuent et nous devons agir plus rapidement et plus fermement.

On estime qu’en moyenne, 220 000 femmes sont victimes chaque année de violences physiques et/ou sexuelles par leur ancien ou actuel partenaire – ces chiffres devant sans doute être considérés comme une estimation minimale et ne prenant pas en compte l’ensemble des types de violences (psychologiques, économiques, administratives…). D’ailleurs, d’après l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), réalisée en 2000, chaque année, environ 10 % des femmes âgées de 20 à 59 ans serait victime de violence de la part de leur partenaire.

Il s’agit donc d’une réalité massive, touchant près d’une femme sur dix, contre laquelle il faut lutter résolument et efficacement. Le Gouvernement a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat et, cette année encore, cet engagement s’est traduit par une nouvelle action : le lancement du Grenelle contre les violences conjugales le 3 septembre 2019.

En parallèle de ce travail de concertation, de réflexion et de proposition, deux propositions de loi ont été déposées, le 28 août 2019, par M. Aurélien Pradié et Mme Valérie Boyer, visant principalement à agir contre les violences faites aux femmes dans le cadre du couple ([2]). Compte tenu de l’importance cruciale de ce sujet, la Délégation a souhaité être saisie de ces deux propositions de loi qui abordent principalement quatre sujets : l’amélioration des dispositifs de protection des victimes, le renforcement du suivi des auteurs, la protection des enfants et la définition civile et pénale des violences conjugales.

À travers ces deux propositions de loi votre Rapporteure a souhaité aborder les violences conjugales de manière pragmatique afin d’améliorer des points concrets de procédures, tout en procédant à une analyse plus globale de ce sujet afin de proposer des pistes de réflexion qui pourront utilement enrichir le travail lancé dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et qui doit être le point de départ d’un véritable sursaut national.

Votre Rapporteure formule 19 recommandations afin d’amplifier et d’adapter les dispositions des propositions de loi. Considérant que l’arsenal législatif et réglementaire est déjà riche, et que des groupes de travail spécifiques sont à l’œuvre dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales et livreront leurs propositions d’ici fin novembre, elle a choisi de privilégier la piste du renforcement de la mise en œuvre des outils déjà existants et de n’ajouter de nouveaux dispositifs que pour combler les éventuelles failles ou pour lever les verrous encore présents.

 


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   SynthÈse des propositions

 

Recommandation n° 1 : pérenniser la formation des magistrats et des forces de l’ordre sur les violences conjugales et en développer le volet opérationnel par la mise à disposition d’outils pratiques et de procédures de référence adaptés à la prise en charge des victimes de violences conjugales.

Recommandation n° 2 : diffuser plus largement les formations et les outils existants sur la spécificité des violences conjugales à l’ensemble des professionnels en charge du traitement de ces violences ou susceptibles de détecter ou d’accompagner une victime.

Recommandation n° 3 : utiliser le modèle du centre d’accueil d’urgence des victimes d’agressions (CAUVA) de Bordeaux pour développer le dépôt de plainte à l’hôpital et compléter cette procédure par la possibilité du recueil de preuves sans dépôt de plainte.

Recommandation n° 4 : développer l’échange de bonnes pratiques et l’édiction de « fiches repères » procédurales pour permettre aux victimes de bénéficier d’un accompagnement par les forces de l’ordre lorsqu’elles déclarent subir des violences conjugales et souhaitent revenir à leur domicile pour, par exemple, récupérer des affaires personnelles.

Recommandation n° 5 : intégrer les moyens de protection à la disposition des victimes, en particulier l’ordonnance de protection, aux campagnes de communication sur la lutte contre les violences conjugales.

Recommandation n° 6 : réduire le délai de délivrance des ordonnances de protection par le juge aux affaires familiales.

Recommandation n° 7 : étudier les possibilités de simplifier ou de compléter les conditions de délivrance d’une ordonnance de protection pour couvrir toutes les situations de violences conjugales et faciliter l’évaluation du danger encouru par les victimes.

Recommandation n° 8 : prévoir que le juge aux affaires familiales se prononce systématiquement sur les différents sujets pour lesquels il est compétent à l’occasion de la délivrance d’une ordonnance de protection en application de l’article L. 515-11 du code civil.

Recommandation n° 9 : poursuivre l’assouplissement et l’harmonisation des conditions d’attribution du téléphone grave danger, afin d’en accroître le déploiement.

Recommandation n° 10 : prévoir, par exemple dans le cadre d’un rapport du Gouvernement au Parlement, l’analyse quantitative et qualitative du dispositif du téléphone grave danger en vue d’en améliorer le déploiement.

Recommandation n° 11 : garantir, dans le cadre de la procédure de délivrance d’une ordonnance de protection, une information efficace et sans délai du parquet par le juge aux affaires familiales sur la dangerosité d’un conjoint présumé violent, en particulier dans l’hypothèse où celui-ci serait amené à refuser le port d’un bracelet anti-rapprochement, afin de prendre les mesures nécessaires à la protection de la victime.

Recommandation n° 12 : développer et harmoniser les modalités de prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs de violences conjugales.

Recommandation n° 13 : renforcer la politique interministérielle d’éducation à l’égalité, en s’assurant notamment de la mise en œuvre effective des séances prévues sur ce sujet dans tous les établissements scolaires.

Recommandation n° 14 : développer l’éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cadre, d’une part, des enseignements moraux et civiques et, d’autre part, du nouveau service national universel.

Recommandation n° 15 : continuer à sensibiliser la société française dans son ensemble aux formes et aux facteurs d’aggravation des violences conjugales, afin notamment d’en améliorer la prévention à toutes les étapes de la vie.

Recommandation n° 16 : adapter la prise en charge des victimes de violences conjugales aux spécificités de chacune d’entre elles, que ce soit en termes de lieu de résidence, d’âge, de situation d’immigration ou encore de situation de handicap.

Recommandation n° 17 : prendre en compte l’ensemble des formes de violences dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Recommandation n° 18 : édicter une circulaire à destination des magistrats pour préciser les différentes et principales formes que peuvent prendre les violences conjugales.

Recommandation n° 19 : faire de l’hébergement d’urgence et de moyenne durée un des sujets prioritaires de la politique de lutte contre les violences conjugales, afin de proposer aux victimes une solution cohérente et adaptée à la spécificité de leur situation.

 

 


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I.   Renforcer les dispositifs et les outils existants

Le confinement dans la sphère intime et familiale des violences conjugales a longtemps participé à une dissimulation et à une méconnaissance profonde de ce type de violences, pourtant omniprésent dans la société. L’inscription aux agendas gouvernementaux des enjeux d’égalité au fil des années 1980 et 1990 a conduit à une prise de conscience sur ce sujet. En 1997, est commandée par le Secrétariat d’État aux droits des femmes la première enquête nationale sur les violences faites aux femmes (ENVEFF). Permettant de mesurer l’ampleur et la diversité de ces violences, celle-ci a directement participé à une prise de conscience de la gravité du phénomène et à l’institutionnalisation d’une politique publique de lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Cette politique s’est notamment traduite par l’adoption de plusieurs lois dédiées, une forte mobilisation des acteurs de terrain et la mise en place de cinq plans interministériels de prévention et de lutte contre ces violences. Les différents dispositifs institués dans ces cadres constituent aujourd’hui un arsenal législatif et réglementaire solide, dont certains points doivent sans doute encore être renforcés.

A.   Les dispositifs visant À mieux apprÉhender les violences conjugales

Les violences conjugales fonctionnent selon un schéma particulier, caractérisé notamment par le phénomène d’emprise, la volonté de discrétion quant à la vie du couple, le poids des charges familiales, le poids des conventions sociales ou encore la crainte des conséquences sur les enfants. Le processus pour comprendre et nommer les violences, révéler les faits et prendre des décisions quant à sa vie familiale et personnelle s’avère la plupart du temps long et complexe pour les victimes. Les acteurs qu’elles sont amenées à rencontrer dans leur démarche de sortie des violences doivent donc être spécifiquement formés sur ce processus particulier des violences conjugales.

1.   La formation de l’ensemble des personnels susceptibles d’être impliqués dans la prise en charge des victimes de violences conjugales

La révélation de ces violences et leur passage de l’intimité à la sphère publique peut se traduire par de nombreuses difficultés de compréhension entre les femmes victimes et les professionnels non spécialisés sur ces problématiques, qu’elles sont amenées à rencontrer.

Cet enjeu de formation des acteurs a été mis en avant dès le 1er plan de lutte contre les violences faites aux femmes (2005-2007) qui prévoyait le développement de modules de formation à destination, en particulier, des forces de l’ordre, des intervenants sociaux, des sages-femmes et des médecins. Cette thématique a ensuite été reprise et développée tout au long des plans suivants. Dans son évaluation intermédiaire du 5e plan interministériel (2017-2019) ([3]), selon la grille du tableau de suivi, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), considère que cette action ([4]) est « en cours de réalisation ».

Si des progrès importants ont, en effet, été réalisés dans ce domaine, plusieurs associations et acteurs de terrain pointent encore des difficultés rencontrées par les femmes victimes de violence qui se retrouvent régulièrement confrontées à l’incompréhension de la part, par exemple, de certains membres de forces de l’ordre ou de certains magistrats.

Au cours de son audition, Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a souligné l’absolue nécessité de la formation des magistrats sur cette question, rappelant ce qui a déjà été mis en œuvre et ce qu’elle entend développer pour compléter les dispositifs existants. « Parce que la violence au sein du couple comporte certaines spécificités, et que des mécanismes psychologiques - comme l’emprise - n’ont été clairement identifiés et définis que récemment, j’ai également souhaité renforcer l’offre de formation des magistrats. De nouvelles formations ont été ouvertes en collaboration avec l’École de la magistrature non seulement aux magistrats, mais aussi aux personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), aux officiers de police judiciaire, aux avocats et aux associations sur l’ensemble du territoire national. […]

Des éléments nouveaux ont également été introduits dans la formation initiale. Enfin, dans le cadre de la formation obligatoire continue des magistrats, les sessions intervenant à chaque changement de fonction – en théorie tous les trois ou quatre ans, en pratique tous les deux ans – comporteront un volet sur la lutte contre les violences au sein du couple » ([5]).

La Garde des Sceaux a également présenté des outils pratiques permettant de renforcer, de manière très concrète, cette politique de formation et d’aider les magistrats à adapter leurs pratiques en fonction de cette problématique. Il s’agit par exemple de « fiches réflexes » ou encore du Guide pratique de l’ordonnance de protection qui a été récemment mis à la disposition des personnels de justice.

La même démarche de renforcement des formations initiales et continues est également mise en œuvre pour les forces de l’ordre. Lors de son audition, M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, a en ce sens indiqué : « dans le même esprit, nous avons amélioré la formation des policiers et des gendarmes ; c’était nécessaire. À l’heure actuelle, ils bénéficient tous en école de formation initiale d’une formation sur les violences sexuelles et sexistes. […] Nous allons renforcer la formation des policiers et des gendarmes pour qu’ils comprennent les enjeux et adoptent les bons comportements tout au long de leur carrière. En plus de la formation initiale qui est déjà assurée en école, je souhaite qu’un module de formation continue soit instauré ou renforcé à tous les moments de l’évolution de carrière de nos policiers et de nos gendarmes, afin qu’ils soient sensibilisés à cette problématique » ([6]).

Votre Rapporteure salue les progrès réalisés en matière de formation de l’ensemble des professionnels impliqués dans la prise en charge des victimes de violences conjugales. Elle considère en effet que tous les pans de la formation doivent aujourd’hui intégrer, de manière distincte et systématique, des modules spécifiquement dédiés aux violences faites aux femmes en général et, parmi elles, aux violences conjugales. Si ces problématiques sont aujourd’hui prises en compte dans la formation initiale et continue, elles peuvent encore être renforcées. Votre Rapporteure invite, par ailleurs, à développer les outils pratiques mis à disposition des magistrats et des forces de l’ordre pour faire évoluer rapidement les pratiques.

Recommandation n° 1 : pérenniser la formation des magistrats et des forces de l’ordre sur les violences conjugales et en développer le volet opérationnel par la mise à disposition d’outils pratiques et de procédures de référence adaptés à la prise en charge des victimes de violences conjugales.

Votre Rapporteure tient aussi à saluer la récente initiative de formations conjointes réunissant magistrats et officiers de police judiciaire. Ce type de formations interdisciplinaires permet une meilleure coordination des acteurs et le développement d’échanges de bonnes pratiques. À moyen terme, ces échanges permettront sans doute de faire progresser les méthodes et de gagner en efficacité dans le traitement des dossiers et dans la prise en charge des victimes.

Les magistrats et les enquêteurs ne doivent toutefois pas être les seuls destinataires de formations communes et des efforts de coordination. Les professionnels de santé, les travailleurs sociaux, les médiateurs ou encore les pompiers doivent eux aussi être sensibilisés et formés aux problématiques spécifiques liées aux violences conjugales. Chaque professionnel susceptible de détecter ou d’accompagner une victime de violences conjugales doit avoir connaissance des caractéristiques de ces violences, ainsi que des dispositions légales, dispositifs et procédures en vigueur. Plusieurs formations et outils ont été développés par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) ; ceux-ci devraient sans doute être encore plus largement diffusés.

Recommandation n° 2 : diffuser plus largement les formations et les outils existants sur la spécificité des violences conjugales à l’ensemble des professionnels en charge du traitement de ces violences ou susceptibles de détecter ou d’accompagner une victime.

 

2.   Consolider les efforts réalisés en matière d’accueil et d’accompagnement des victimes, en particulier au moment du dépôt de plainte

L’accueil et le primo-accompagnement des victimes de violences conjugales constituent un moment-clef dans leur prise en charge et dans leur orientation vers une démarche de sortie de ces violences, voire vers une procédure judiciaire contre leur auteur.

Si les efforts de formation mentionnés ci-avant sont une partie de la réponse à cette problématique, votre Rapporteure estime que d’autres solutions pratiques peuvent aujourd’hui être mises en œuvre. Tout dispositif permettant de faciliter la révélation des violences par la victime doit être développé, afin de les aider à dépasser les différents freins, spécifiques aux violences conjugales, et notamment le phénomène d’emprise.

Le développement et la valorisation du « 3919 Violence Femmes Info », le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...) est un exemple de ce type de dispositifs. La récente campagne menée par le Gouvernement pour le faire connaître a été bénéfique et devra, sans doute, être renouvelée. Dans cette même logique de facilitation du signalement des violences et d’accompagnement du dépôt de plainte, a été lancée en novembre 2018, une plateforme ministérielle en ligne dédiée aux violences sexuelles ou sexistes. Ouverte en permanence, cette plateforme permet d’entrer en contact, par écrit, avec un policier ou un gendarme formé aux violences sexuelles, sexistes et conjugales, qui écoute la victime, l’informe, notamment sur le dépôt de plainte, et l’oriente vers des dispositifs d’accompagnement et de prise en charge.

En outre, des plateformes numériques permettent pour l’instant de déposer des pré-plaintes en ligne. À la suite de la loi de réforme de la justice ([7]), ce type de plateforme évoluera pour permettre de déposer directement les plaintes en ligne. Cette nouvelle procédure de dépôt de plainte doit être l’occasion de mettre en œuvre des procédures de suivi spécifique et de garantir un traitement adapté, par des professionnels formés, des plaintes pour violences conjugales.

À l’occasion du lancement du Grenelle contre les violences conjugales, le Gouvernement a également rappelé son intention de généraliser la possibilité de déposer plainte à l’hôpital. Pour M. Christophe Castaner, il s’agit en effet d’une priorité : « nous allons généraliser la possibilité offerte aux victimes de porter plainte au sein des hôpitaux. Je souhaite que les préfets engagent des discussions au plus vite avec les agences régionales de santé et les établissements de santé et que les travaux nécessaires soient achevés au plus tôt afin de rendre ce dispositif opérationnel » ([8]). Ce type de procédures existe déjà dans certains hôpitaux et votre Rapporteure tient à souligner leur pertinence. Elle considère cependant que le dépôt de plainte à l’hôpital doit se doubler d’un accompagnement de la victime, ainsi que, dans le cas où la victime ne souhaite pas porter plainte, d’une possibilité de conserver les preuves de manière sécurisée pour lui laisser le temps de se décider à s’engager dans une démarche judiciaire.

Cette possibilité existe déjà, par exemple au Centre d’accueil d’urgence des victimes d’agressions (CAUVA) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, qui a mis en place ce type de procédures de recueil et de conservation de preuves sans dépôt de plainte, dans le cadre d’une convention signée avec le parquet en 1999.

Ce système a été expertisé par Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain dans leur rapport d’information sur le viol. « Dans les cas où une victime de viol se présente au CAUVA sans avoir préalablement déposé plainte, les prélèvements légaux sont effectués. Puis deux types de procédures de dépôt de plainte existent :

 soit le dépôt de plainte se fait ensuite en commissariat ou en gendarmerie lors d’un rendez-vous fixé en amont ;

 soit le dépôt de plainte se fait sur place, le plus souvent parce que la victime doit être hospitalisée.

Enfin, une troisième procédure est appliquée pour les cas dans lesquels la victime ne veut pas porter plainte, ou du moins pas immédiatement : l’examen médico-légal est alors pratiqué hors procédure pénale et les prélèvements sont mis sous scellés ; un dossier conservatoire, contenant les données psychologiques, médico-légales et sociales, est également établi ; la victime est aussi prise en charge de manière pluridisciplinaire et il lui est expliqué qu’elle a la possibilité d’engager des poursuites pendant trois ans, période pendant laquelle les relevés médico-légaux sont conservés » ([9]).

Considérant le modèle du CAUVA comme une réussite, votre Rapporteure considère qu’il serait pertinent de le généraliser pour compléter et déployer la possibilité, annoncée par le Gouvernement, du dépôt de plainte à l’hôpital.

Recommandation n° 3 : utiliser le modèle du centre d’accueil d’urgence des victimes d’agressions (CAUVA) de Bordeaux pour développer le dépôt de plainte à l’hôpital et compléter cette procédure par la possibilité du recueil de preuves sans dépôt de plainte.

Par ailleurs, concernant la prise en charge des victimes de violences conjugales au début de leur démarche de sortie des violences, votre Rapporteure insiste sur l’impérieuse nécessité de mettre en œuvre, de manière systématique, des procédures permettant aux victimes d’être accompagnées et protégées par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont besoin de revenir à leur domicile. La séparation et le début de la procédure de sortie des violences sont des moments cruciaux souvent marqués par une explosion de la violence. La Fondation des Femmes rappelle d’ailleurs que les féminicides ont lieu, dans bien des cas, au moment des séparations, souvent quand les plaintes ont été déposées ([10]). Il s’agit donc d’un moment de particulière vulnérabilité de la victime de violences conjugales pendant lequel les forces de l’ordre doivent faire preuve d’une vigilance sans faille.

Certains territoires ont en ce sens mis en place des procédures adaptées, par exemple à Villiers-le-Bel, où à la victime de violences conjugales a la possibilité d’être escortée par un policier municipal. Votre Rapporteure suggère qu’un échange de bonnes pratiques soit réalisé et permette d’édicter des « fiches repères » pour que chaque commissariat et chaque gendarmerie adopte en ces cas-là la marche à suivre la plus adaptée et la plus protectrice pour la victime.

Recommandation n° 4 : développer l’échange de bonnes pratiques et l’édiction de « fiches repères » procédurales pour permettre aux victimes de bénéficier d’un accompagnement par les forces de l’ordre lorsqu’elles déclarent subir des violences conjugales et souhaitent revenir à leur domicile pour, par exemple, récupérer des affaires personnelles.

B.   Les dispositifs visant À protÉger les victimes de violences conjugales

Plusieurs dispositifs sont aujourd’hui spécifiquement dédiés aux femmes victimes de violences conjugales, notamment l’ordonnance de protection et le téléphone grave danger. Salués par les associations d’aide aux victimes, ces deux dispositifs pertinents, dont le déploiement semble toutefois inégal sur le territoire, pourraient sans doute être perfectionnés pour mieux protéger les femmes face aux situations de danger et ainsi mieux prévenir les féminicides.

1.   L’ordonnance de protection

● L’ordonnance de protection est un dispositif civil introduit par la loi du 9 juillet 2010 ([11]) et complété́ par la loi du 4 août 2014 ([12]). Il est défini aux articles 515‑9 à̀ 515‑13 du code civil. Visant à protéger les personnes victimes de violences au sein du couple, ainsi que leurs enfants, ce dispositif permet au juge aux affaires familiales (JAF) de statuer sur des mesures de protection lorsqu’il « existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés » ([13]). Il n’est pas nécessaire que la personne ait déposé plainte pour obtenir une ordonnance de protection, les violences et le danger pouvant être prouvés par tous moyens.

Comme cela est proposé par la proposition de loi de M. Aurélien Pradié (article 1er), votre Rapporteure considère qu’inscrire explicitement dans la loi, à l’article 515‑10 du code civil, que la délivrance d’une ordonnance de protection n’est pas conditionnée par le dépôt d’une plainte devant la justice pénale permettra de renforcer le déploiement de ce dispositif.

L’ordonnance de protection permet aux victimes d’obtenir du JAF des mesures pour garantir leur sécurité le plus rapidement possible. Ces mesures permettent de mettre rapidement à l’abri toute femme en danger à l’intérieur de son foyer, qu’elle soit en concubinage, pacsée ou mariée, sans présager de la culpabilité de l’auteur et tout en organisant provisoirement (six mois renouvelables depuis 2014) les modalités de la séparation. L’ordonnance de protection peut ainsi comprendre des mesures très concrètes : le JAF est, par exemple, compétent pour décider d’interdire au conjoint présumé violent d’entrer en contact avec la demanderesse, d’organiser la garde des enfants et l’exercice d’un droit de visite, d’attribuer la jouissance exclusive du logement familial à la victime, etc.

Les mesures pouvant être comprises dans l’ordonnance de protection

L’article 515‑11 prévoit plusieurs compétences du JAF lors de la délivrance d’une ordonnance de protection :

« 1° Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge aux affaires familiales, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;

2° Interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme et, le cas échéant, lui ordonner de remettre au service de police ou de gendarmerie qu’il désigne les armes dont elle est détentrice en vue de leur dépôt au greffe ;

3° Statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal et sur les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence ;

4° Préciser lequel des partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou des concubins continuera à résider dans le logement commun et statuer sur les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences, même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence ;

5° Se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et, le cas échéant, sur la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, sur l’aide matérielle au sens de l’article 515-4 pour les partenaires d’un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;

6° Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l’avocat qui l’assiste ou la représente ou auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance pour toutes les instances civiles dans lesquelles elle est également partie. Si, pour les besoins de l’exécution d’une décision de justice, l’huissier chargé de cette exécution doit avoir connaissance de l’adresse de cette personne, celle-ci lui est communiquée, sans qu’il puisse la révéler à son mandant ;

6° bis Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile pour les besoins de la vie courante chez une personne morale qualifiée ;

7° Prononcer l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle de la partie demanderesse en application du premier alinéa de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ».

● En 2018, 2 703 ordonnances de protection ont été délivrées. Les juges aux affaires familiales ont été saisis de plus de 3 332 demandes de protection et, parmi elles, plus de 600 demandes ne sont pas allées au terme de la procédure. Malgré une réelle progression depuis le lancement de ce dispositif de protection, dont le format non corrélé au dépôt de plainte est tout à fait adapté à la prise en charge des victimes de violences conjugales, l’ordonnance de protection est insuffisamment utilisée. La ministre de la Justice souligne d’ailleurs que « nous sommes en retard par rapport à l’Espagne, où plus de 30 000 ordonnances de protection sont délivrées, puisque nous n’atteignons même pas 10 % de ce chiffre » ([14]).

Des mesures ont été prises pour remédier à cette insuffisance : une enquête a été réalisée pour mieux comprendre la manière dont est utilisé ce dispositif et le Guide pratique de l’ordonnance de protection a été publié par le ministre de la Justice afin d’améliorer la connaissance de l’ordonnance de protection et de faciliter le travail des JAF pour la délivrer. Par ailleurs, le 9 mai 2019, une circulaire relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes a été transmise par la Garde des Sceaux aux procureurs de la République et aux procureurs généraux ([15]). Par cette circulaire, la ministre a affirmé une nouvelle fois sa volonté de développer le recours à ce dispositif : « J’y exprime mon souhait que soit développé le recours à l’ordonnance de protection, un dispositif efficace malheureusement insuffisamment prononcé et trop rarement demandé, tant par les avocats que par les procureurs. J’incite en particulier ces derniers à solliciter de leur propre initiative le juge aux affaires familiales pour qu’une telle ordonnance soit délivrée dans les cas où ni la victime ni son avocat n’en ferait la demande. » ([16]).

En outre, votre Rapporteure tient à rappeler que les associations dénoncent une utilisation extrêmement disparate de l’ordonnance de protection selon les juridictions. À l’occasion des travaux de la Délégation sur le projet de loi de réforme de la justice ([17]), le Collectif féministe contre le viol (CFCV) avait souligné cette réalité à travers l’exemple de la Seine-Saint-Denis, département dans lequel ce dispositif est régulièrement utilisé, avec près de 300 ordonnances par an, tandis que dans certains départements, les magistrats ne s’en sont pas emparés et il peut arriver qu’aucune ordonnance de protection ne soit prononcée.

Votre Rapporteure insiste sur la nécessité d’analyser les raisons de ces différences de recours à ce dispositif selon les juridictions, soulignant que cette analyse pourrait utilement enrichir l’enquête actuellement menée par le ministère de la Justice à ce sujet. En sus du travail de sensibilisation et de formation des magistrats, votre Rapporteure suggère d’intégrer l’ordonnance de protection dans les campagnes de communication sur les violences conjugales, afin d’élargir la connaissance de ce dispositif par le grand public.

Recommandation n° 5 : intégrer les moyens de protection à la disposition des victimes, en particulier l’ordonnance de protection, aux campagnes de communication sur la lutte contre les violences conjugales.

Au-delà du recours insuffisant à ce dispositif  constat qui semble unanimement partagé  les personnes auditionnées ont quant à elles attiré l’attention de votre Rapporteure sur certains points de difficultés dans la mise en œuvre de l’ordonnance de protection.

● Tout d’abord, les délais d’obtention de l’ordonnance de protection entre un mois et demi et deux mois selon l’association Libres Terres des Femmes  apparaissent comme trop longs compte tenu de l’urgence des situations et du danger auquel les victimes peuvent être particulièrement exposées pendant cette période. En effet, comme l’a souligné la Fondation des Femmes lors de la table ronde d’associations organisée par la Délégation ([18]), à partir du moment où une femme victime de violences conjugales a décidé de dénoncer ces violences et d’enclencher une démarche (par une ordonnance de protection ou par une plainte par exemple), celle-ci se trouve dans une situation de particulière vulnérabilité où la violence de son partenaire peut atteindre son paroxysme.

C’est en ce sens également que l’article 2 de la proposition de loi n° 2201 propose d’instaurer un délai maximal pour la délivrance de l’ordonnance de protection. Il ne faudrait toutefois pas que la fixation d’un tel délai maximal conduise à accroître le nombre de refus de délivrance d’une ordonnance par les JAF qui n’auraient par exemple pas en leur possession de dossiers suffisamment complets pour être en mesure de se prononcer. La réduction de ce délai de délivrance pourrait aussi se faire, comme le souligne notamment la Fondation des femmes, par une simplification des pièces obligatoires à la constitution d’un dossier de requête d’une ordonnance de protection. Cette question de la réduction des délais et de la meilleure solution pour y parvenir mériterait sans doute d’être expertisée au regard de l’enquête conduite par le ministère de la Justice sur l’utilisation de ce dispositif par les JAF.

En tout état de cause, votre Rapporteure considère que la réduction du délai d’obtention d’une ordonnance de protection participerait pleinement à une meilleure protection des victimes de violences conjugales et contribuerait sans aucun doute à réduire le risque de féminicide dans cette période charnière du début de la démarche de sortie des violences.

Recommandation n° 6 : réduire le délai de délivrance des ordonnances de protection par le juge aux affaires familiales.

● Selon la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), qui regroupe 67 associations de lutte contre les violences faites aux femmes et en particulier les violences conjugales ([19]), la notion de « danger », qui constitue un prérequis à la délivrance de l’ordonnance de protection ([20]), pose difficulté. Elle considère en effet que toutes les violences mettent nécessairement celle ou celui qui les subit en situation de danger. Le magistrat Edouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, a également souligné que cette notion continuait de poser problème.

Compte tenu du nombre insuffisant d’ordonnances de protection délivrées chaque année et en application du principe de précaution, votre Rapporteure estime opportun d’en faciliter la délivrance pour assurer une meilleure protection des femmes victimes de violences conjugales.

Deux solutions pourraient selon la Rapporteure permettre de faciliter la délivrance des ordonnances de protection : la suppression de la notion de danger ou la précision que toutes les formes de violences sont concernées par l’ordonnance de protection. Ces deux types de modification de l’article 515-9 du code civil permettraient ainsi de souligner que les violences, quelles qu’elles soient, sont un danger et doivent être prises en compte par le JAF lors de la décision de délivrance d’une ordonnance de protection.

Recommandation n° 7 : étudier les possibilités de simplifier ou de compléter les conditions de délivrance d’une ordonnance de protection pour couvrir toutes les situations de violences conjugales et faciliter l’évaluation du danger encouru par les victimes.

● Au cours des auditions conduites par votre Rapporteure, plusieurs associations ont fait état de difficultés rencontrées par les victimes quand certains éléments, pourtant compris dans les compétences du JAF en cas de délivrance d’une ordonnance, n’ont pas été inclus dans la mesure de protection.

Ont plusieurs fois été évoqués des exemples de coexistence d’une ordonnance de protection avec une mesure d’éloignement et d’un droit de visite et d’hébergement « classique » du père (le plus souvent un week-end sur deux et la moitié des vacances) qui implique donc de rencontrer la mère. Cette réalité a d’ailleurs été confirmée par le magistrat Edouard Durand, qui souligne que ces situations contradictoires mettent en danger les femmes victimes qui sont mises en présence du conjoint violent en raison de ces modalités du droit de visite et d’hébergement. Au cours de la table ronde du 25 septembre ([21]), plusieurs associations ont d’ailleurs indiqué qu’il s’agissait souvent là d’un moyen de pression et d’intimidation de la part du conjoint violent, conduisant ainsi à une prolongation des violences.

Comme l’a résumé lors de son audition l’association Libres Terres des Femmes : « Les mesures de protection doivent être prises de manière complète en pré-sentenciel pour permettre au droit de ne pas être retard par rapport à la situation concrète des femmes victimes de violences conjugales ». Ainsi, votre Rapporteure rappelle qu’une ordonnance de protection, pour être la plus efficace possible, doit comprendre toutes les mesures nécessaires à l’organisation et à la sécurisation de la vie de la victime et, par répercussion, de celle de l’auteur présumé. C’est en ce sens que l’article 2 de la proposition de loi n° 2201 de M. Aurélien Pradié propose de préciser dans le code civil que le JAF, en cas de délivrance d’une ordonnance de protection, est compétent pour attribuer la jouissance du logement à la victime et pour définir les modalités du droit de visite et d’hébergement.

Dans les faits, le JAF dispose d’ores et déjà de ces compétences en vertu de l’article L. 515-11 du code civil. Votre Rapporteure adhère toutefois à cet objectif de clarification des compétences du JAF sur ces sujets, tout à fait prioritaires dans les situations de violences conjugales que sont le logement et l’exercice de l’autorité parentale. Si ces précisions apportées par la proposition de loi de M. Aurélien Pradié (article 2) lui semblent donc bienvenues, elle invite à renforcer de manière plus directe l’action du JAF pour résoudre très concrètement ces difficultés récurrentes.

Afin de garantir qu’aucun des sujets relevant de la compétence du JAF ne fasse l’objet d’un oubli qui pourra ensuite avoir des conséquences lourdes, voire tragiques, sur la vie de la victime ou de ses enfants, votre Rapporteure suggère de prévoir que le JAF se prononce systématiquement sur les différents sujets, énumérés à l’article L. 515-11 du code civil, pour lesquels il a compétence.

Le fait de trancher de manière systématique sur ces différents sujets permettra d’éviter toute incohérence entre les mesures s’appliquant à la victime et celles concernant l’auteur (comme la coexistence d’une mesure d’éloignement et d’un droit de visite régulier) et garantira qu’aucun ne puisse être oublié. Comme le rappelle la FNSF, le juge aux affaires familiales ne peut prendre aucune mesure qui n’aurait pas été demandée par la victime – des demandes complémentaires pouvant toutefois toujours être soumises tout au long de la durée de validité de l’ordonnance. Cette obligation se traduit par certaines difficultés, par des oublis ou encore des approximations. Par ailleurs, la victime n’est parfois tout simplement pas en mesure de formuler une requête dans un de ces domaines : lorsqu’elle ignore par exemple que son compagnon détient une arme, elle n’a aucune raison de demander au JAF de lui en interdire la détention.

Recommandation n° 8 : prévoir que le juge aux affaires familiales se prononce systématiquement sur les différents sujets pour lesquels il est compétent à l’occasion de la délivrance d’une ordonnance de protection en application de l’article L. 515-11 du code civil.

2.   Le téléphone grave danger

Institué après une expérimentation permise par le nouvel article L. 41-3-1 du code de procédure pénale par la loi sur l’égalité réelle de 2014 ([22]), le téléphone grave danger (TGD) a vocation à prévenir les nouvelles violences que pourrait subir la victime de viol ou la victime de violences conjugales du fait de son conjoint ou ancien conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité. En cas de grave danger menaçant une victime de violences dans le cadre conjugal ou de viol, le procureur de la République peut ainsi lui attribuer, pour une durée de six mois renouvelable, et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d’alerter les forces de l’ordre en cas de danger.

Il s’agit concrètement d’un téléphone portable disposant d’une touche dédiée, permettant à la victime de joindre, en cas de grave danger, le service de téléassistance accessible 7j/7 et 24h/24. Cette plate-forme téléphonique reçoit les appels et évalue la situation. Après l’analyse de la situation, le télé-assisteur, relié par un canal dédié aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale, demande immédiatement l’intervention des forces de l’ordre. Ce dispositif permet également la géolocalisation du bénéficiaire.

Dans un objectif de simplification de la procédure, la proposition de loi n° 2201 de M. Aurélien Pradié (article 8) prévoit que le TGD est attribué à la demande de la victime. L’article L. 41‑3‑1 prévoit actuellement que « le procureur de la République peut attribuer à la victime [un téléphone grave danger], pour une durée renouvelable de six mois et si elle y consent expressément ». La nouvelle rédaction proposée par la proposition de loi conduirait à attribuer automatiquement le téléphone sur demande de la victime. Cette rédaction semble toutefois exclure la faculté du procureur de prendre l’initiative de cette attribution. En outre, elle ne permettrait pas de piloter de manière opérationnelle ce dispositif qui se doit de demeurer le plus efficace possible pour protéger les femmes en situation de danger. Votre Rapporteure alerte également sur le rôle crucial que jouent les associations dans l’accompagnement des victimes dans cette procédure du TGD, dont elles prennent souvent l’initiative. Une nouvelle rédaction de ce dispositif ne devrait pas minimiser l’importance de ce rôle ou nuire à la possibilité d’action de ces associations.

Les auditions conduites par votre Rapporteure ont révélé une disparité des critères d’attribution et de répartition du dispositif du TGD. Certains critères seraient plus ou moins strictement appliqués, la durée d’attribution pourrait également varier, ainsi que les modalités de renouvellement du dispositif. Ces disparités interpellent votre Rapporteure qui recommande d’y mettre fin et de garantir un égal accès à ce dispositif de protection pour toutes les victimes de violences conjugales, quelle que soit leur situation géographique.

Par ailleurs, certaines associations regrettent une trop grande rigidité de la procédure d’attribution des TGD. En ce sens, la ministre de la Justice a intégré cette question dans la circulaire du 9 mai 2019 ([23]) afin d’assouplir les conditions de leur attribution. Elle a indiqué, lors de son audition, que depuis cette circulaire, le nombre de téléphones à la disposition des juridictions et mis en service pour les victimes s’est accru ([24]). Votre Rapporteure se félicite de cette évolution allant dans le sens d’une meilleure protection des victimes et invite à mesurer rapidement l’accroissement du nombre de TGD attribués.

Recommandation n° 9 : poursuivre l’assouplissement et l’harmonisation des conditions d’attribution du téléphone grave danger, afin d’en accroître le déploiement.

L’article 9 de la proposition de loi de M. Pradié prévoyant la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur la possibilité de compléter le dispositif de téléphone grave danger par la mise en place d’une application dédiée que les victimes pourraient télécharger et activer sans doute plus discrètement sur leur propre téléphone, votre Rapporteure suggère de compléter ce rapport par une analyse quantitative et qualitative complète de ce dispositif.

Elle rappelle par ailleurs que certains territoires d’Outre-mer ne seraient pas couverts par le TGD et souhaite que cette problématique fasse également l’objet d’une expertise pour résoudre au plus vite cette difficulté.

Recommandation n° 10 : prévoir, par exemple dans le cadre d’un rapport du Gouvernement au Parlement, l’analyse quantitative et qualitative du dispositif du téléphone grave danger en vue d’en améliorer le déploiement.

II.   COMBLER les failles dans la prise en charge des victimes de violences conjugales en crÉant de nouveaux dispositifs

Les violences conjugales causent des dommages graves et durables non seulement aux victimes mais aussi aux enfants qui en sont les témoins. Le renforcement de la protection des premières passe à la fois par la généralisation du bracelet anti-rapprochement et par la prise en charge sociale et sanitaire des conjoints violents. La sécurité des enfants justifie aujourd’hui de s’interroger sur les possibilités d’aménagement ou de suspension de l’autorité parentale.

A.   Mieux protÉger les victimes et Mieux prendre en charge les auteurs de violences conjugales et intrafamiliales

Le bracelet anti-rapprochement constitue un outil recommandé par les associations et mis en œuvre avec succès dans plusieurs pays européens, au premier rang desquels figure l’Espagne. S’il constitue une solution d’urgence efficace, il ne suffit toutefois pas à assurer à moyen et long terme la sécurité de la victime. Sur ce dernier plan, la prise en charge sanitaire, sociale et psychologique de l’auteur des faits peut au contraire se révéler très fructueuse.

1.   Le déploiement du bracelet électronique anti-rapprochement

Le bracelet « anti-rapprochement » (appelé également « dispositif électronique de protection anti-rapprochement » ou « DEPAR ») permettant de signaler à distance que l’auteur des faits de violences se trouve aux alentours de la victime, constitue un outil jugé performant par les associations. Le gouvernement espagnol a systématisé en 2009 le recours à ce type de dispositif qui permet d’alerter tant la victime que les forces de police de la proximité du conjoint violent (système de contrôle télématique COMETA, incluant la pose d’un bracelet électronique, avec appareil de localisation GPS, sur la personne de l’agresseur).

En France, la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants ([25]), instituant l’ordonnance de protection, avait autorisé l’expérimentation du bracelet anti-rapprochement pendant une durée de trois ans, dans des ressorts déterminés par le ministère de la justice. Destiné à contrôler le respect de l’interdiction de rencontrer la victime, le dispositif visait les personnes mises en examen pour un crime ou un délit commis à l’encontre de leur conjoint et placées sous assignation à résidence avec surveillance électronique mobile (ARSEM) et celles condamnées pour un crime ou un délit commis à l’encontre de leur conjoint et placées sous surveillance électronique mobile (PSEM) dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire ou d’une libération conditionnelle.

Prévue dans les ressorts des tribunaux de grande instance de Strasbourg, d’Aix-en-Provence et d’Amiens, cette expérimentation n’a jamais été mise en œuvre, les conditions prévues par la loi pour entraîner le déclenchement du dispositif n’ayant, semble-t-il, jamais été réunies concrètement. Le Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes du 30 novembre 2012 y a ensuite mis un terme.

La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ([26]) a tenté de relancer le dispositif, toujours à titre expérimental et dans des ressorts fixés par arrêté du ministre de la justice. Notre collègue Aurélien Pradié, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, indique que cette expérimentation n’a pas fait l’objet d’une véritable mise en œuvre à ce jour. Cette carence avait d’ailleurs été également soulignée par notre collègue Guillaume Vuilletet par un amendement au projet de loi de réforme de la justice ([27]).

La proposition de loi n° 2201, pour encourager le recours à ce dispositif, prévoit d’inscrire ces règles protectrices, à titre définitif, et non plus seulement expérimental, dans la loi, et de les élargir au champ civil. Cette évolution avait d’ailleurs déjà été annoncée par la Garde des Sceaux, notamment à la suite de la mobilisation des acteurs et actrices du Val d’Oise.

M. Aurélien Pradié propose que le juge aux affaires familiales puisse, dans le cadre d’une ordonnance de protection, imposer le bracelet à l’auteur des violences (article 2). Pour ce qui est du domaine pénal, il s’inspire des dispositions prévues dans le cadre des expérimentations passées et vise une série d’hypothèses, tant en pré-sentenciel qu’en post-sentenciel, où un conjoint violent peut faire faire l’objet d’une assignation à résidence sous surveillance électronique ou d’un placement sous surveillance électronique : dans le cadre d’une mise en examen ou d’une convocation par procès-verbal ou d’une comparution immédiate (article 4), en cas de condamnation à une peine de détention à domicile sous surveillance électronique ou dans le cadre d’une mesure de sûreté (article 3), comme mode d’exécution de la peine ou dans le cadre d’une libération conditionnelle (article 5). Il prévoit à chaque fois que le coût du dispositif électronique est à la charge du conjoint violent.

Votre Rapporteure est convaincue de la pertinence de ce type de dispositif en termes de sécurité, comme les auditions menées tant par M. Pradié que par elle-même l’ont montré. Maître Nathalie Tomasini, par exemple, a souligné que le seul contrôle judiciaire ne suffisait pas dans bien des cas à éloigner le conjoint violent qui souvent n’en tient nul compte. Des magistrats comme Mme Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal de grande instance de Pontoise, militent pour la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement depuis longtemps. Le Premier ministre, à l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales le 3 septembre 2019, s’est également engagé en faveur de sa mise en place. Votre Rapporteure se félicite de la généralisation du dispositif, mais note que celleci ne doit pas en freiner le déploiement et qu’il conviendra de tout mettre en œuvre pour que le bracelet anti-rapprochement soit mis en place le plus rapidement possible afin de proposer au plus vite cette solution aux victimes et d’éviter de nouveaux drames.

Il convient néanmoins de noter que, comme l’a rappelé la garde des Sceaux lors de son audition par la Délégation le 18 septembre 2019 ([28]), les bracelets anti-rapprochement, contrairement aux TGD, n’entraînent pas l’intervention systématique des services de police ou de gendarmerie. Quand le dispositif se déclenche, la personne qui le porte est contactée par les forces de l’ordre, mais sans qu’un déplacement soit immédiatement décidé. Votre Rapporteure tient aussi à souligner que le dispositif peut, dans certaines situations, n’être pas sans désagréments pour la victime si le récepteur dont elle dispose est susceptible de se déclencher à toute heure du jour ou de la nuit, ce qui peut nourrir une certaine angoisse. Elle invite, tout en insistant sur la nécessité d’une mise en œuvre rapide, à évaluer les bénéfices et les inconvénients des deux modalités techniques envisageables, celle où le récepteur de la victime sonne (modèle portugais)  et celle où seules les forces de l’ordre sont alertées (modèle espagnol).

Les auditions ont fait émerger la nécessité de recueillir le consentement de l’auteur des violences pour le port du bracelet, faute de quoi les dispositions concernées pourraient encourir une inconstitutionnalité. S’agissant d’un procédé qui touche de près au corps humain, ainsi qu’à la liberté d’aller et venir et au respect des données personnelles de chacun, ce consentement paraît indispensable au regard du principe de dignité de la personne humaine. On peut noter que, dans sa décision n° 2005‑527 DC du 8 décembre 2005 ([29]), le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité du placement sous surveillance électronique mobile en relevant expressément qu’il ne pouvait « être mis en œuvre qu’avec le consentement du condamné ». La question semble moins se poser dans le domaine pénal dans la mesure où, si l’on se réfère au dispositif de la proposition de loi de M. Pradié, le conjoint violent sera incité à accepter le bracelet, l’alternative étant pour lui le départ ou le retour en détention.

La question est plus délicate dans le domaine civil dans la mesure où le juge aux affaires familiales n’a pas compétence pour décider une mise en détention. On pourrait estimer que, la violation d’une ordonnance de protection étant punie de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende par l’article 227-4-2 du code pénal, cette sanction devrait suffire à persuader le conjoint violent de se plier à la décision du JAF. Il n’est pas certain toutefois que cette sanction potentielle soit toujours suffisante. Aussi pourrait-on prévoir que le JAF, en cas de refus d’un conjoint violent de porter un bracelet, avise immédiatement le parquet, à charge pour celui-ci, sous réserve de son pouvoir d’appréciation, de procéder aussitôt aux diligences qui s’imposent (garde à vue, contrôle judiciaire, etc.).

Outre ces mesures à destination de l’auteur présumé des violences conjugales, votre Rapporteure souligne qu’en cas de refus du port du bracelet la coordination entre le JAF et le parquet doit également inclure des mesures à destination de la victime. Tout comme le parquet, sous réserve de son pouvoir d’appréciation, pourra dans ces cas procéder aux diligences vis-à-vis du conjoint, votre Rapporteure souhaite qu’il puisse également prévoir des mesures de protection renforcée à l’égard de la victime supposée, par exemple l’attribution d’un TGD.

Recommandation n° 11 : garantir, dans le cadre de la procédure de délivrance d’une ordonnance de protection, une information efficace et sans délai du parquet par le juge aux affaires familiales sur la dangerosité d’un conjoint présumé violent, en particulier dans l’hypothèse où celui-ci serait amené à refuser le port d’un bracelet anti-rapprochement, afin de prendre les mesures nécessaires à la protection de la victime.

2.   La prise en charge des auteurs de violences conjugales

Imposer un bracelet anti-rapprochement ne saurait constituer qu’une mesure de protection immédiate, justifiée par l’imminence du danger potentiel. Elle n’est pas de nature en soi à garantir à la victime une protection à plus long terme. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’associations militent pour un renforcement du suivi sanitaire et socio-psychologique de l’auteur des violences, compte tenu notamment des addictions (à l’alcool, aux stupéfiants, etc.) que l’on rencontre chez bon nombre d’auteurs de violences conjugales. Ce type d’accompagnement, surtout s’il intervient tôt, est de nature à assurer l’efficacité de la mesure de protection prononcée par ailleurs. Lors de leurs auditions par M. Aurélien Pradié, Mme Éva Darlan, comédienne engagée de longue date dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, ont insisté sur la nécessaire généralisation de la prise en charge des conjoints violents dans une optique de prévention des violences et de la récidive.

Certes, le suivi socio-judiciaire existe déjà en matière pénale (il constitue une peine complémentaire ([30])). La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ([31]) a étendu aux auteurs de violences commises au sein du couple ou à l’encontre des mineurs ce dispositif prévu aux articles 131‑36-1 et suivants du code pénal. Le suivi socio-judiciaire emporte, pour le condamné, l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive ainsi que, sous certaines conditions, à une injonction de soins selon les modalités prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique.

L’article 41-1 du code de procédure pénale permet par ailleurs au procureur de la République de demander à l’auteur des violences, à titre d’alternatives aux poursuites, de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique.

Le même type d’obligation existe également dans le cadre du contrôle judiciaire. En effet, le code de procédure pénale prévoit qu’« en cas d’infraction commise soit contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit contre ses enfants ou ceux de son conjoint, concubin ou partenaire, [l’auteur présumé des violences peut être astreint à] une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique » ([32]). En matière civile, en revanche, le juge aux affaires familiales ne peut pas, en l’état du droit, contraindre le conjoint violent à se soumettre à ce type de prise en charge pendant la durée de l’ordonnance de protection.

Concernant le suivi socio-judiciaire en post-sentenciel, les auditions et entretiens conduits par votre Rapporteure ont toutefois révélé une importante disparité dans la mise en œuvre de cette prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs de violences conjugales. D’une part, l’offre de prise en charge n’est pas la même sur tous les territoires, les associations impliquées dans ce domaine n’étant pas présentes partout et ne proposant pas toujours le même type d’accompagnement. D’autre part, comme l’a souligné Mme Gwenola Joly‑Coz, présidente du tribunal de grande instance de Pontoise, il n’existe pas d’homogénéité dans les types de prise en charge des auteurs de violences conjugales par les différents services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Il peut s’agir de suivi social, d’ateliers divers, de groupes de parole, de formations, etc. Insuffisamment développée, cette prise en charge des auteurs de violences conjugales est donc en outre très hétéroclite.

Lors de la table ronde du 25 septembre 2019 ([33]), la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV) a d’ailleurs souligné que le principe de la prise en charge des auteurs n’était à ce jour pas vu comme une priorité dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales. Au cours de la même table ronde, l’association La Clède a partagé ce constat et a souligné que ce manque de dispositifs de prise en charge des auteurs se faisait de plus en plus flagrant. Elle a ajouté que leur association n’était d’ailleurs aujourd’hui pas en mesure de répondre au nombre de demandes de prise en charge d’auteurs de violences conjugales de la part du procureur. S’il semble émerger une forme de prise de conscience quant à l’importance de cette prise en charge, elle n’est cependant aujourd’hui pas développée de manière suffisante pour répondre aux besoins, pour lutter efficacement contre les violences conjugales et pour prévenir la récidive. Il s’agit pourtant d’une partie essentielle de la lutte contre le phénomène de violences conjugales. La FNACAV souligne ainsi que cette prise en charge permet « de lever le déni, de responsabiliser les auteurs et de changer les comportements ». Cette prise en charge doit s’adresser aux primo-délinquants comme aux récidivistes avec des formats distincts permettant de répondre concrètement aux différentes situations.

Recommandation n° 12 : développer et harmoniser les modalités de prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs de violences conjugales.

La proposition de loi de M. Aurélien Pradié comporte au demeurant une disposition de nature à renforcer la prise en charge sanitaire des auteurs de violences, disposition qui rencontre le plein assentiment de votre Rapporteure (article 6). Il propose en effet de compléter l’article 721 du code de procédure pénale qui permet de retirer à certains condamnés, notamment pour faits de viols et agressions ou atteintes sexuelles sur un mineur, les réductions de peine dont ils bénéficient, dès lors qu’ils refusent pendant leur incarcération de suivre le traitement qui leur est proposé par le juge de l’application des peines, sur avis médical. M. Aurélien Pradié propose que cette possibilité de retrait s’applique également aux personnes condamnées pour des faits de même nature commis à l’encontre de leur conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

B.   Mieux protÉger les enfants confrontÉs À des violences conjugales dans le cadre familial

Les violences conjugales non seulement entraînent des souffrances physiques et psychologiques pour les femmes, qui en sont les victimes dans l’immense majorité des cas, mais ont aussi des répercussions particulièrement graves sur les enfants. Comme l’a rappelé le Premier ministre à l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales, un conjoint violent n’est pas un bon père et « maintenir à tout prix le contact entre un enfant et son père, qui risque de l’utiliser comme un instrument de pression, ne semble raisonnable ni pour l’enfant, ni pour la mère qui est mise en péril dès qu’elle exerce son droit de visite » ([34]). C’est pourquoi la question de l’autorité parentale constitue un enjeu majeur que votre Rapporteure invite à prendre en compte.

1.   Les enfants, victimes directes des violences conjugales

Dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, notre collègue Valérie Boyer indique que, en 2018, 11 enfants sont décédés concomitamment à l’homicide de leur père ou de leur mère et 14 enfants été tués dans le cadre de violences conjugales sans qu’un parent ne soit tué. Selon le Centre Hubertine Auclert ([35]), « en France, en moyenne 143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des formes de violences sexuelles et/ou physiques au sein de son couple. 42 % ont moins de 6 ans. Deux sur trois vivent dans un foyer où les violences sont répétées. »

Même s’ils ne sont pas eux-mêmes touchés physiquement, ils souffrent directement des violences endurées par leur mère (étant rappelé que 80 % des femmes victimes de violences conjugales ont au moins un enfant). En effet, comme l’explique M. Édouard Durand, « un enfant témoin est un enfant victime ([36]) ». Lors de son audition, M. Luc Frémiot, ancien magistrat, a souligné que des IRM ([37]) réalisées sur des nourrissons exposés à un environnement violent (sans être eux-mêmes physiquement touchés) révélaient une importante perte de substance.

Le Plan interministériel de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants 2017-2019 relève de son côté qu’ « assister à des scènes de violences a des effets sur la santé des enfants : énurésie, encoprésie, anxiété, syndrome de stress post-traumatique... Des conséquences sur leur développement ont également été observées, en particulier la perte d’estime de soi et une construction identitaire fondée sur des convictions stéréotypées concernant les femmes et les hommes. Enfin, l’isolement auquel le secret familial oblige, et la méconnaissance de modalités relationnelles autres que la violence, surexposent l’enfant à l’effet désocialisant de la violence, augmentant ainsi le risque de reproduction des comportements violents » ([38]).

2.   Organiser l’exercice de l’autorité parentale pour garantir la protection du conjoint victime et des enfants

L’autorité parentale se définit comme l’ensemble des droits et devoirs dont disposent à égalité les parents à l’égard de leur enfant mineur et ayant pour finalité l’intérêt de celui-ci ([39]). Elle vise à le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, à assurer son éducation et à permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Des violences commises par un parent ne sauraient rester sans effets sur l’exercice de l’autorité parentale.

L’article 378 du code civil prévoit d’ores et déjà que « les père et mère qui sont condamnés, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant, soit comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime sur la personne de l’autre parent » « peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale par une décision expresse du jugement pénal ». L’article L. 515-11 du même code dispose de son côté que le JAF, dans le cadre de la délivrance d’une ordonnance de protection, peut se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Il peut fixer à ce titre un droit de visite simple, dans un endroit médiatisé, à l’encontre de l’auteur des violences.

En pratique, ces dispositions sont insuffisamment mises en œuvre par les juridictions civiles. Comme M. Édouard Durand, que votre Rapporteure a rencontré, a eu l’occasion de le souligner, « très peu de décisions de justice retirent l’autorité parentale à un parent agresseur et trop peu accordent à un parent protecteur l’exercice exclusif de l’autorité parentale : nous avons encore une conception de l’autorité parentale servant principalement à reconnaître le parent dans son statut de parent [...]. Or l’autorité parentale peut être un moyen d’exercer une emprise sur les membres de la famille. De la même façon, en voulant coûte que coûte maintenir un droit de visite et d’hébergement, voire une résidence alternée, au profit du parent agresseur, nous laissons celui-ci continuer à exercer sa domination sur l’enfant » ([40]). Les JAF semblent répugner à faire droit aux demandes tendant à l’interdiction de contact avec l’enfant, à la médiatisation du droit de visite ou à l’attribution de l’exercice exclusif de l’autorité parentale alors même que le moment de présentation des enfants est, de l’avis unanime, l’un des plus risqués en termes de passage à l’acte.

Votre Rapporteure partage l’avis exprimé par le Premier ministre le 3 septembre 2019, lors du lancement du Grenelle contre les violences conjugales, lorsqu’il affirmait : « lorsqu’un père commet des violences sur la mère de ses enfants, souvent devant ses enfants, on peut supposer que la relation entre le père et son enfant est fortement abîmée, au moins le temps du jugement de la procédure. Maintenir à tout prix le contact entre un enfant et son père, qui risque de l’utiliser comme un instrument de pression, ne semble raisonnable ni pour l’enfant, ni pour la mère qui est mise en péril dès qu’elle exerce son droit de visite » ([41]).

Les deux propositions de loi qui font l’objet du présent rapport visent à renforcer l’effectivité des dispositions du code civil en la matière. Celle de M. Aurélien Pradié (article 2) prévoit de donner expressément au JAF compétence pour aménager le droit de visite du conjoint présumé violent, en visant l’article 373-2-9 du code civil. Ce droit de visite pourra ainsi être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge. La remise de l’enfant à l’autre parent pourra s’effectuer, le cas échéant, avec l’assistance d’un tiers de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée.

Quant à la proposition de loi de Mme Valérie Boyer (article 3), elle prévoit de modifier l’article 378 précité afin de rendre automatique le retrait de l’autorité parentale du parent condamné pour des crimes ou délits commis contre son enfant ou sur la personne de l’autre parent, sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant. Dans ce dernier cas, le juge devra motiver spécialement sa décision.

Ces dispositions poursuivent des objectifs légitimes. Toutefois, s’agissant de celles proposées par M. Pradié, pour qu’elles soient pleinement effectives, il convient, aux yeux de votre Rapporteure, de réfléchir à une rédaction permettant de « contraindre » le JAF à se prononcer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, comme cela a été développé ci-avant ([42]). Par ailleurs, concernant la disposition proposée par Mme Valérie Boyer, votre Rapporteure rappelle l’importance de préserver le pouvoir d’appréciation des magistrats. Elle souligne également qu’il s’agit là d’un sujet particulièrement délicat qui se doit de préserver les droits de chacune des parties au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce sujet faisant actuellement l’objet d’une réflexion dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, votre Rapporteure souhaite que la concertation et les travaux menés permettent de prévoir une solution qui assure la protection des enfants tout en préservant la liberté des magistrats.

III.   Les violences conjugales, une rÉalitÉ omniprÉsente et multiforme qui ne se RÉSOUDRA qu’en agissant rÉsolument en amont et en aval

Comme l’a rappelé le collectif Nous Toutes au cours de son audition par votre Rapporteure, les violences faites aux femmes sont une problématique systémique, dont font partie les violences conjugales, et qui ne saurait se résoudre par la seule réponse judiciaire. La réponse se trouve avant tout dans la promotion d’une culture de l’égalité qui passe par des actions de prévention, de sensibilisation et d’éducation.

A.   Accentuer La prÉvention et l’Éducation de toutes et tous À l’ÉgalitÉ

Lors de son discours du 25 novembre 2017, le Président de la République a souligné que la récente « libération de la parole » montre de la société qu’elle est « encore culturellement empreinte de sexisme, qu’elle est une société où dans nombre d’endroits et de lieux, il y a encore cette brutalité au quotidien, cette violence et que cette empreinte est loin d’être neutre ; par le rapport de domination qu’elle légitime, elle est à la source d’actes encore plus destructeurs et insupportables, comme précisément le harcèlement et les violences. Car le combat contre les violences qui sont l’expression la plus extrême et odieuse de la domination d’un sexe sur l’autre, c’est bien le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. » ([43]).

Rappelant par ces mots le caractère systémique des violences faites aux femmes, le Président de la République invite à lutter de manière holistique à la fois contre toutes les formes de violences sexistes ou sexuelles et pour l’égalité dans tous les domaines. La prévention et l’éducation à l’égalité constituent en effet une condition nécessaire à l’avènement d’une société sans violences sexistes et sexuelles, sans violences conjugales.

1.   Éduquer dès le plus jeune âge à l’égalité entre les femmes et les hommes pour en finir avec les violences faites aux femmes

La prévention des violences faites aux femmes et des violences conjugales passe en effet par le développement d’une réelle culture de l’égalité, indissociable d’un apprentissage de ce qu’est l’égalité dès le plus jeune âge. C’est par ce type d’éducation que les stéréotypes et les préjugés sexistes pourront être combattus et éradiqués.

Dès 2001 ([44]), le législateur a souhaité créer un enseignement à la sexualité dans un objectif de respect du corps humain, de soi et d’autrui. Depuis près de vingt ans est donc prévu qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupe d’âge homogène » et que ces séances « contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain ». Une circulaire d’application en date du 17 février 2003 ([45]) vient préciser le dispositif et affirme de manière très positive que « l’éducation à la sexualité est inséparable des connaissances biologiques sur le développement du corps humain, mais elle intègre tout autant, sinon plus, une réflexion sur les dimensions psychologiques, affectives, sociales, culturelles ou éthiques » ([46]).

Par la suite, la Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif de février 2013 a permis d’indiquer explicitement que l’éducation à la sexualité est un outil pour « renforcer l’éducation au respect mutuel et à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes » ([47]). Enfin, en 2016, a été précisé que « ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes » ([48]).

Malgré un cadre juridique clair, les associations constatent sur le terrain que ces séances ne sont pas suffisamment mises en œuvre et le même constat a été fait par le HCEfh dans son enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de 3 000 établissements scolaires publiques et privés au cours de l’année scolaire 2014/2015 ([49]). Votre Rapporteure considère urgent d’actualiser cette évaluation des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective. Elle estime que ces séances doivent être l’occasion d’aborder l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la question des violences (de toutes formes) et du respect du consentement.

Recommandation n° 13 : renforcer la politique interministérielle d’éducation à l’égalité, en s’assurant notamment de la mise en œuvre effective des séances prévues sur ce sujet dans tous les établissements scolaires.

Par ailleurs, votre Rapporteure adhère à l’analyse développée par Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain dans leur rapport d’information sur le viol : « Au-delà des séances d’éducation à la sexualité, […] l’apprentissage de l’égalité et du respect de l’autre, nécessaire pour éliminer les violences sexistes et sexuelles, soit intégré dans d’autres séquences éducatives. Il serait intéressant d’élargir les questions d’égalité abordées dans le cadre des seuls enseignements moraux et civiques. La réflexion actuellement conduite sur la mise en place d’un service national universel serait l’occasion d’intégrer une large formation sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, incluant une séquence claire sur ce qu’est le viol. » ([50]).

Elle reprend à son compte leur recommandation sur le développement de l’éducation à l’égalité dans d’autres cadres que les séances d’éducation à la vie sexuelle et affective.

Recommandation n° 14 : développer l’éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cadre, d’une part, des enseignements moraux et civiques et, d’autre part, du nouveau service national universel.

2.   Prévenir l’apparition de violences tout au long de la vie et dans toutes les circonstances

● Comme cela a été rappelé en introduction du présent rapport, les violences conjugales constituent un phénomène massif, qui peut être déclenché ou aggravé par certains facteurs. Ainsi, la séparation ou le divorce, mais aussi la grossesse et le moment de l’arrivée de l’enfant sont des contextes d’apparition des violences. D’autres facteurs d’aggravation du risque de violences conjugales avaient été mis en avant par l’enquête ENVEFF en 2000 : la jeunesse des victimes (les femmes de 20 à 29 ans seraient davantage touchées par ces violences), la présence d’enfants, mais également la situation professionnelle. En effet, la dépendance économique vis-à-vis du partenaire peut contribuer à aggraver les violences et constitue également un moyen pour maintenir l’emprise ([51]).

Votre Rapporteure estime que ces facteurs d’aggravation, ainsi que les circonstances des violences conjugales et la diversité de leurs manifestations, ne sont pas suffisamment connus du grand public, ni des professionnels. En vue de faire progresser la prévention des violences conjugales, elle invite à mieux prendre en compte ces différents éléments qui ont été analysés à travers plusieurs études et sont maintenant parfaitement identifiés par les associations et spécialistes du sujet.

Elle rappelle que la lutte contre les violences conjugales ne doit pas se cantonner à une lutte en aval des violences, centrée sur la prise en charge des victimes et la sortie des violences. Cela doit également se faire en amont des violences, par des actions constantes de prévention, de sensibilisation, etc.

Recommandation n° 15 : continuer à sensibiliser la société française dans son ensemble aux formes et aux facteurs d’aggravation des violences conjugales, afin notamment d’en améliorer la prévention à toutes les étapes de la vie.

● Assurer l’égalité et prévenir les violences doit se faire dans toutes les circonstances, à tous les âges de la vie, dans toutes les formes de couples et pour toutes les femmes. Dans une logique inclusive et égalitaire, votre Rapporteure souligne l’importance de prendre en compte les spécificités de certaines victimes. Dans cette logique, l’axe 2 du 5e plan de lutte contre les violences prévoyait des actions à destination des femmes dans les territoires ruraux, dans les territoires d’Outre-mer, des jeunes femmes (18-25 ans), des femmes étrangères et des femmes en situation de handicap. Votre Rapporteure attire l’attention sur le fait que le HCEfh considère que « ces actions ont été peu mises en œuvre » ([52]).

Comme l’ont rappelé les associations entendues par votre Rapporteure, certaines femmes cumulent les vulnérabilités et/ou les discriminations, ce qui les expose souvent encore davantage au risque d’être victimes de violences, y compris de violences conjugales. C’est par exemple le cas des femmes issues de l’immigration qui peuvent être victimes de violences sexistes et racistes. Elles sont d’ailleurs souvent plus vulnérables aux violences administratives (confiscation des titres de séjour par exemple). Cela peut aussi être le cas des femmes handicapées.

Sans pouvoir ici être exhaustive sur les spécificités qui caractérisent certaines victimes de violences, votre Rapporteure souligne que leur prise en compte et l’adaptation des actions à ces spécificités conditionne en partie l’efficacité de la lutte contre les violences conjugales.

Recommandation n° 16 : adapter la prise en charge des victimes de violences conjugales aux spécificités de chacune d’entre elles, que ce soit en termes de lieu de résidence, d’âge, de situation d’immigration ou encore de situation de handicap.

● En dernier lieu, votre Rapporteure souhaite rappeler que les violences conjugales sont multiformes et que la lutte contre celles-ci doit inclure les violences sexuelles, les violences économiques et les cyberviolences qui sont souvent moins associées à la problématique des violences conjugales.

Recommandation n° 17 : prendre en compte l’ensemble des formes de violences dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Elle rappelle également que les violences conjugales s’inscrivent dans un continuum de violences, c’est-à-dire que les violences forment un ensemble polymorphe et que les femmes peuvent subir ces différentes formes de violences dans toutes les sphères de la vie, sous toutes leurs formes et à tous les âges. Votre Rapporteure insiste à cet égard sur la situation particulière des femmes âgées victimes de violences. Cette notion de continuum renforce la nécessité de lutter de manière globale contre toutes les formes de violences en général.

Elle rappelle toutefois que les violences conjugales ne constituent pas, au sens pénal du terme, une infraction autonome, mais une circonstance aggravante de plusieurs crimes et délits de violences. Préciser dans le code pénal, comme souhaite le faire la proposition de loi de Mme Valérie Boyer (article 1er), la liste des formes que peuvent prendre les violences conjugales risquerait d’exclure certaines formes de violences (par exemple les violences administratives ou encore les cyberviolences) et de finalement réduire cette définition au lieu de l’étendre. S’il convient certes de bien prendre en compte toutes les composantes des violences, il ne faudrait toutefois pas qu’une écriture juridique se voulant trop précise conduise à exclure certains cas tout aussi violents.

Il lui semblerait néanmoins opportun de diffuser aux magistrats une nouvelle circulaire sur la question des violences conjugales afin d’identifier de façon claire les différentes formes qu’elles peuvent prendre : physique, sexuelle, psychologiques, administratives, économiques, sur Internet, etc. Cette circulaire ne viserait ainsi pas à instaurer une définition stricte des cas de violences sexuelles, mais à attirer l’attention des magistrats sur certains cas les plus courants qui sont aujourd’hui parfaitement identifiés et analysés par les associations de terrain et les experts.

Recommandation n° 18 : édicter une circulaire à destination des magistrats pour préciser les différentes et principales formes que peuvent prendre les violences conjugales.

Afin de mieux prendre en compte cette diversité et de mieux protéger les victimes, et comme cela a été évoqué dans la première partie du présent rapport, votre Rapporteure estime pertinent de clarifier ce point dans la procédure d’ordonnance de protection prévue par le code civil ([53]). En ce sens, elle adhère donc aux objectifs poursuivis par l’article 2 de la proposition de Mme Valérie Boyer, mais souligne que, en l’état, la rédaction proposée est sans doute trop restrictive en ce qu’elle propose une liste finie de types de violences.

Enfin, pour mieux rendre compte de la réalité des violences conjugales et de leurs formes extrêmes, le féminicide, votre Rapporteure suggère d’étudier les possibilités d’utiliser ce terme, révélateur d’une réalité inacceptable, trop souvent édulcorée, des violences au sein des couples. Elle adhère donc pleinement aux propos prononcés par le Président de la République à l’Assemblée générale des Nations Unies : « les féminicides continuent, en France comme dans tant d’autres États. Nous devons donner un statut juridique à ce sujet et bâtir une action efficace pour l’éradiquer encore davantage que nous ne l’avons fait, parce que nous voyons, dans tant d’États, reculer l’égalité entre les femmes et les hommes, remettre en cause les droits des femmes à disposer de leur corps et les acquis des décennies passées, parce que partout où l’inégalité entre les femmes et les hommes s’installe, c’est du recul de civilisation, c’est l’obscurantisme qui monte, c’est le terrorisme qui grandit, c’est le recul de l’éducation » ([54]).

B.   Garantir un accompagnement dans la durÉe des victimes

Les violences conjugales ont de multiples conséquences, physiques et psychologiques, qui peuvent, selon les cas, impliquer un accompagnement des victimes sur le long terme pour garantir une sortie effective et durable des violences.

1.   Développer un dispositif plus cohérent d’hébergement d’urgence et de moyenne durée, adapté à la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales

Les associations rencontrées par votre Rapporteure ont unanimement signalé les difficultés rencontrées pour l’hébergement d’urgence et de moyenne durée des femmes victimes de violences conjugales.

Deux difficultés principales dominent : d’une part, le manque de places d’hébergement et, d’autre part, l’inadéquation entre l’hébergement d’urgence et la nécessité d’un accompagnement des victimes dans la durée.

Or, le logement est un élément essentiel pour assurer la sécurité de la victime, permettre l’arrêt de la violence (qui n’est évidemment pas possible tant que la victime partage le logement de son agresseur) ; sur plus long terme c’est également une condition de la stabilisation de la situation des victimes, ainsi qu’éventuellement de leurs enfants. En outre, le lieu d’habitation conditionne de nombreux aspects de la vie quotidienne : services administratifs, établissement scolaire, associations, etc. Si la victime est amenée à changer de lieu d’habitation, tous ces aspects peuvent être modifiés, ainsi que ses repères personnels (famille, amis, habitudes quotidiennes, et ainsi de suite), constituant par là-même un bouleversement supplémentaire dans la vie de la victime.

Maintenir la victime de violences conjugales au domicile du couple lui permet de conserver ses repères et ses éventuels soutiens, en particulier lorsqu’il y a des enfants. Votre Rapporteure souligne que, conformément à la volonté du législateur en 2014 ([55]), cette logique d’éviction du conjoint violent du domicile conjugal doit être systématiquement envisagée. Elle rappelle toutefois, en accord avec les constats des associations de terrain, que cette solution n’est pas toujours adaptée. Ainsi, dans certaines situations, la victime ne préférera pas le maintien à domicile : cela peut être trop douloureux et générateur d’angoisse puisque le conjoint connaît bien les lieux, ce qui lui permet de guetter sa victime, voire de s’introduire dans l’immeuble par exemple. Votre Rapporteure souligne donc qu’il est nécessaire de proposer plusieurs solutions pour garantir l’hébergement de chaque victime en fonction de sa situation spécifique.

L’ensemble des associations rencontrées ont également signalé que les structures d’hébergement non dédiées à l’accueil des femmes victimes de violences ne permettaient pas de les prendre correctement en charge. L’association Une Femme Un Toit (FIT) revendique l’existence de lieux dédiés avec du personnel formé qui permettront à la victime de comprendre le mécanisme des violences conjugales et de retrouver sa capacité d’action. En outre, les lieux d’hébergement mixtes peuvent conduire les victimes à se retrouver confrontées à des difficultés sociales extrêmes (précarité, consommation de stupéfiants, d’alcool, etc.), conduisant parfois à les remettre ainsi en présence de potentiels agresseurs. Les associations sont ainsi nombreuses à plaider pour le développement de centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dédiés aux femmes victimes de violences conjugales.

Votre Rapporteure considère que la question de l’hébergement d’urgence et de moyenne durée est un facteur clef pour permettre à la victime de sortir des violences conjugales et de s’engager dans une procédure de reconstruction, voire dans une procédure judiciaire contre l’auteur des violences. Compte tenu de l’extrême complexité du processus de révélation de ces violences et de sortie de l’emprise des agresseurs, votre Rapporteure souligne que cette prise en charge doit dès le début être spécifique et garantir une solution à chaque femme ayant dénoncé son partenaire et souhaitant entamer les démarches pour sortir de cette situation de violences.

Cette problématique centrale comporte sans doute actuellement une des plus grandes marges de progression dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales. L’importance cruciale de cette question de l’hébergement d’urgence et de moyenne durée conduit votre Rapporteure à penser qu’une expertise approfondie de cette problématique doit être conduite en urgence pour proposer les solutions les plus adaptées possibles. Elle souhaite que le Grenelle contre les violences conjugales, lancé en septembre 2019 par le Gouvernement, soit l’occasion d’expertiser la situation et de construire les solutions pour résoudre les deux difficultés dénoncées par les associations de terrain : le manque de places et le caractère inadapté de l’hébergement d’urgence.

Votre Rapporteure salue d’ores et déjà l’annonce du Gouvernement de créer 1 000 nouvelles places d’hébergement et de logement d’urgence destinées aux femmes victimes de violences conjugales. Elle souligne que ces places doivent effectivement être réservées à ces victimes afin de leur permettre de bénéficier d’un accompagnement adapté.

Recommandation n° 19 : faire de l’hébergement d’urgence et de moyenne durée un des sujets prioritaires de la politique de lutte contre les violences conjugales, afin de proposer aux victimes une solution cohérente et adaptée à la spécificité de leur situation.

2.   Favoriser la logique d’un accompagnement sur le moyen et le long terme

Votre Rapporteure estime que la question de l’hébergement d’urgence et de moyenne durée, qui vise à permettre à chaque victime de s’engager dans une démarche de sortie des violences conjugales en bénéficiant de l’accompagnement adapté, ne doit pas être déconnectée de celle, de plus long terme, du relogement, du suivi socio-psychologique et de l’éventuel besoin de réinsertion sociale des victimes.

Si certaines victimes n’en ont pas nécessairement besoin ou bénéficient d’autres types de soutien, cette recherche de reconstruction et d’autonomie peut nécessiter un accompagnement sur divers aspects par des professionnels spécialisés : travail de compréhension des mécanismes des violences conjugales, réflexion sur les violences subies, accompagnement vers l’insertion sociale et/ou professionnelle, accompagnement administratif, juridique ou encore financier, recherche d’un logement, suivi médical et psychologique, soutien à la parentalité…

Selon leur situation, une fois la période de prise en charge d’urgence et de moyenne durée passée, certaines femmes peuvent avoir besoin d’un soutien pour accéder à un logement pérenne. Dans ce domaine, plusieurs dispositifs existent déjà et des améliorations sont sans aucun doute possibles : il peut s’agir d’une aide financière spécifique, d’une généralisation des partenariats avec des bailleurs sociaux ou encore d’un système de cautionnement par l’État.

En fonction des violences subies, qui peuvent être à l’origine de traumatismes, les victimes doivent également pouvoir bénéficier d’un suivi médical et psychique si cela s’avère nécessaire. Or, comme l’avait souligné le Dr Gérard Lopez lors d’une table ronde organisée en janvier 2018 dans le cadre des travaux de la Délégation sur le viol ([56]), il semblerait que « les soins en psycho-traumatologie en France [soient] extrêmement insuffisants » ([57]). Ces enjeux ont d’ailleurs été intégrés dans le 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (objectifs n° 6 ([58]) et n° 14 ([59])). Le HCEfh considère que ces deux objectifs sont en cours de réalisation ([60]). Votre Rapporteure considère que l’amélioration de la prise en charge psycho-traumatique des victimes est aujourd’hui une nécessité.

Votre Rapporteure souligne que ces problématiques de plus long terme ne doivent pas être négligées, car elles sont une condition nécessaire pour protéger les victimes de manière durable et surtout pour leur permettre de se protéger elles-mêmes face à ce danger. Dans la même logique, la prise en charge des auteurs sur un temps long, évoquée ci-avant, est également un élément essentiel pour briser le cercle vicieux des violences. En ce sens votre Rapporteure suggère que le Grenelle contre les violences conjugales soit l’occasion d’un bilan sur ces sujets en vue d’une amélioration de la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles sur le long terme.


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   TRAVAUX DE LA dÉlÉgation

Lors de sa réunion du 1er octobre 2019, sous la présidence de Mme Marie‑Pierre Rixain, la Délégation a adopté le présent rapport et les recommandations présentées supra (pages 7 et 8).

La vidéo de cette réunion est accessible en ligne sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : http://assnat.fr/nrelHY

 

 

 


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   annexe 1 : personnes entendues par lA dÉlÉgation

I.   Audition du Ministre de l’intérieur du 10 septembre 2019

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, je suis très heureuse d'accueillir M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, à l'occasion du travail mené par la Délégation dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, lancé le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre, Édouard Philippe.

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour la rapidité avec laquelle nous avons pu organiser cette audition – rapidité qui traduit, sans nul doute, la forte mobilisation du Gouvernement, et la vôtre, dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Avant de procéder à cette audition, il nous faut, mes chers collègues, procéder à la désignation d'un rapporteur pour la mission d'information visant à l'élaboration du livre blanc de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes portant sur la lutte contre les violences conjugales. Nous avons décidé la création de cette mission en réunion du bureau afin d'enrichir le plus utilement possible le travail engagé dans le cadre du Grenelle des violences conjugales que j’évoquais précédemment.

À l'instar du rapport d'activité annuel, je vous propose de présider à l'élaboration et à la rédaction, au nom de l'ensemble de la Délégation de ce Livre blanc qui permettra de faire la synthèse de tous les travaux et déplacements liés à cette thématique. Je vous invite à me transmettre d’éventuelles propositions d’associations à entendre lors d’une prochaine table ronde ou des idées de déplacements.

Si vous en êtes d'accord, une fois adopté, ce Livre blanc pourra également être remis à Mme Marlène Schiappa au nom de toute la Délégation, l’ensemble de ses membres figurant sur la couverture.

Je constate que ces propositions recueillent votre assentiment, il en est ainsi décidé.

En 2019, un décompte macabre rythme l'actualité : celui du nombre de femmes mortes sous les coups de leur partenaire. En ce 10 septembre, on dénombre déjà 102 victimes. Cent deux vies arrachées par la violence d'un homme sur une femme parce qu'elle est une femme. Cent deux femmes dont le quotidien a tourné au tragique parce que des hommes ont estimé avoir droit de vie ou de mort sur elles. Cent deux femmes victimes d'un féminicide, un terme que nous adoptons enfin collectivement – journalistes et politiques – et qui matérialise le crime d'un homme qui refuse d'admettre que sa femme est une femme, libre de rompre des liens conjugaux et de mener sa vie en dehors de lui, un homme qui refuse que les liens de l'intime puissent se conjuguer au passé, que le futur de sa conjointe lui appartient en propre. Des drames indicibles qui incarnent aussi bien la domination masculine que les inégalités entre les femmes et les hommes.

Ce décompte, aussi funèbre soit-il, aura au moins permis de briser le silence autour des violences conjugales, de pointer du doigt des agissements séculaires dont la société ne veut plus. Parler de ces femmes qui ont perdu la vie permettra, espérons-le, de soutenir les victimes dans leur volonté de s'affranchir et d'améliorer la réponse que nous apportons à ces femmes envers qui la République a failli.

Ce Grenelle doit inciter chacun et chacune à s'interroger sur ses comportements, sur ce qu'il tolère ou non au quotidien car le meurtre, mes chers collègues, n'est que l'acte ultime des violences conjugales. Ces violences présentent en réalité des niveaux d'agression variables, de l'insulte à l'acte de torture, et concernent bien davantage de personnes que les 102 femmes tuées depuis le début de l'année.

Ces violences sont le symbole même du concept d'assujettissement marital qui a un temps régi notre droit ; elles sont la traduction quotidienne du continuum des violences faites aux femmes. En France, chaque année, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Deux cent vingt-cinq mille femmes sont victimes de violences physiques et sexuelles commises par leur partenaire ou ex-partenaire. Quatre-vingt-quatre mille femmes majeures sont victimes de viols ou de tentatives de viol et, dans 45 % des cas, c'est leur conjoint ou leur ex-conjoint qui est l'auteur des faits.

Je tiens à rappeler que ces chiffres ne tiennent pas compte des nombreux cas non‑déclarés de violence, ils ne sont qu'une estimation minimale des cas de violences conjugales.

Hélas, ces chiffres ne fléchissent pas. C'est trop, beaucoup trop. Et la société n'accepte plus que les hommes considèrent les femmes comme l'exutoire de leurs passions, de leurs troubles et de leur volonté.

Harcèlement, coups, blessures ne sauraient contester aux femmes leur liberté. C'est pourquoi il nous faut, en tant que législateur et aux côtés du Gouvernement, travailler à une dimension politique de la réalité vécue par des millions de femmes ; travailler à organiser une réponse de la puissance publique à ces violences conjugales car c'est avant tout la puissance publique qui n'a pas su protéger ces femmes, qui n'a pas su les entendre et les prendre au sérieux. Trop longtemps, la puissance publique a elle-même généré ces injustices en atténuant la parole des femmes et en négligeant leur vécu. Ce n'est plus possible !

La puissance publique doit désormais organiser l'accompagnement de ce délicat moment où ce qui relève de l'intime devient social, où une femme décide de dépasser le déni, la peur, la honte et parfois même le sentiment de culpabilité.

Cette étape, qui a lieu dans une enceinte rarement confortable et rarement bienveillante, est pourtant un élément clé dans le cheminement qui permet à nos mères, nos sœurs, nos filles, nos amies, nos voisines, nos concitoyennes de se libérer de l'emprise d'un homme violent.

C’est la raison pour laquelle je me réjouis qu'aux côtés du Gouvernement, le Parlement se mobilise, notamment à travers notre Délégation . Nous remettrons à Marlène Schiappa un Livre blanc avec nos recommandations.

C'est dans cette perspective, Monsieur le ministre, que nous vous auditionnons aujourd'hui et que nous recevrons, par la suite, vos collègues Nicole Belloubet et Julien Denormandie pour aborder les problématiques de violences conjugales de la manière la plus complète possible.

Sans plus tarderje vous laisse la parole, en vous remerciant une nouvelle fois d'avoir répondu favorablement et aussi rapidement à notre invitation.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Madame la présidente, mesdames les députés, messieurs les députés, les violences conjugales sont un fléau – personne n'en doute. Pourquoi ? Parce qu’elles blessent, parce qu'elles murent les victimes trop souvent dans le silence et dans la honte, et aussi parce qu'elles tuent. C’est bien de cela que l’on parle, de cette violence du quotidien qui peut aboutir à la violence ultime, celle de tuer.

Il faut garder à l’esprit que les violences conjugales sont avant tout des actes révoltants, des actes dramatiques ;ce ne sont pas des faits divers, ces violences revêtent une dimension psychologique, humaine, familiale, allant jusqu'à l'extrême.

En 2018, 121 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ancien compagnon. Elles étaient 130 en 2017, 160 en 2012. Le chiffre baisse, mais chaque mort est inacceptable car la vie humaine a de l'importance, non la statistique. Il est donc essentiel que nous trouvions systématiquement les meilleures solutions pour que la liberté et la sécurité des femmes soient protégées et garanties parce que mourir sous les coups de son conjoint ne doit pas arriver. Point. Et c'est le seul discours que le ministère de l'Intérieurdoit porter.

C'est parce que nous en sommes convaincus collectivement que le Gouvernement a agi dès les premiers instants du mandat d'Emmanuel Macron, d'abord en plaçant prioritairement au centre des préoccupations de l'action gouvernementale l'égalité entre les femmes et les hommes et en décidant d'en faire la grande cause du quinquennat parce que c'est un combat que nous devons mener au quotidien pour ouvrir les esprits quand ceux-ci considèrent que l'inégalité serait un élément du quotidien, mais aussi pour protéger toute personne en situation de faiblesse.

L'égalité entre les femmes et les hommes passe aussi par l'assurance qu'une femme ne doit plus subir les coups de son compagnon. Il s’agit de lutter résolument contre toutes les atteintes à l'intégrité physique des femmes, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes et contre les violences conjugales. Même si vous m’avez invité sur le sujet des violences conjugales, qui peuvent aller jusqu'à l'ultime, c'est-à-dire à l'assassinat, il n’est pas possible de séparer ces éléments : il s’agit d’un tout.

Madame la présidente, je reprends vos propos et, si vous le permettez, en les nuançant : le meurtre n'est pas l’acte ultime des violences conjugales, il peut l'être. Cependant, la moitié des meurtres environ n’est pas précédée de violences conjugales. Cela peut produire lorsque la femme annonce qu'elle a décidé de refaire sa vie et de divorcer pour des raisons qui lui appartiennent. Il n'y a jamais eu de violences préalablement et pourtant l'homme à ce moment-là « disjoncte », va jusqu'à la violence ultime et tue sa femme. En 2019, il est totalement ahurissant de mourir parce que l'on a décidé de quitter quelqu'un ! Pourtant, une telle situation est loin d’être rare. Je l'évoque parce qu'elle a été passée sous silence dans les discussions politiques alors que nous devons en être conscients pour trouver la bonne façon d'accompagner une femme dans ces moments-là. Elle doit pouvoir demander secours, assistance, alors même qu'il n'y a pas encore eu de violences marquées. Ne pas aborder ce sujet reviendrait à ne pas traiter une menace.

Nous avons pris des mesures au sein du ministère pour ne rien laisser passer. Il s’agit d’une exigence profonde que nous portons et à laquelle nous croyons : ne laisser passer aucune violence, aucune atteinte, aucun coup, nous permettra de gagner ce combat. Personne, ici, ne peut sérieusement penser que plus aucune femme ne sera tuée demain dans le cadre de violences tout comme personne ne peut penser qu'il n'y aura plus de violences dans la société, mais notre responsabilité est de trouver la solution pour parer à ce fléau.

La première étape est la libération de la parole, en accompagnement de phénomènes médiatiques, certes, mais tellement utiles, qui ont libéré la parole. Nous devons agir sur ce message. Aussi, au mois de novembre 2018, avons-nous créé une plateforme de signalement en ligne, ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

La communication se fait à travers un tchat. Il n’est pas besoin de décliner son identité, mais il est possible également de la donner. Selon la zone où la personne habite – que l'opérateur identifie –, un policier ou un gendarme guide la personne dans sa réflexion, ce qui peut l’amener à prendre des mesures immédiates de protection. La personne peut quitter le domicile, appeler la police ou la gendarmerie et porter plainte. Dans certains cas ultimes, en cas de niveau de risque élevé et même si la personne ne porte pas plainte, cela permettra à l’opérateur – policier ou gendarme – de signaler à la commune la présence d’un risque et l’origine de l'appel, sans pour autant dévoiler l'identité de l’intéressée.

Un travail de pédagogie, d'accompagnement psychologique est réalisé auprès de nos policiers et de nos gendarmes qui travaillent sur cette plateforme. Ils sont formés pour donner les bons conseils, mais également pour amener la personne à donner son identité, avec son accord, pour mieux la protéger.

Dans le même esprit, nous avons amélioré la formation des policiers et des gendarmes ; c'était nécessaire. À l'heure actuelle, ils bénéficient tous en école de formation initiale d'une formation sur les violences sexuelles et sexistes.

Nous avons aussi mené un effort significatif visant à améliorer la prise en charge des victimes au commissariat ou en en brigade de gendarmerie et avons désigné des référents dans les unités opérationnelles. Ceux-ci sont spécialement formés pour accueillir et orienter les victimes.

Nous avons également lancé un ambitieux plan de recrutement de psychologues pour les commissariats. Ce plan de recrutement aboutit aujourd'hui.

Enfin, nous devons affirmer la plus grande fermeté que ces actes sont inacceptables. C’est ainsi que la loi du 3 août 2018 renforce les sanctions. La Délégation a été pleinement partie prenante de cette discussion afin de renforcer les sanctions contre les auteurs de violences sexuelles.

Mais il faut dire une chose simple : tant que nous aurons à déplorer des victimes, cela signifiera que l'on peut faire mieux. L’objectif, dans le cadre du Grenelle et à partir de maintenant – ce n'est que le début d’un processus – est de faire mieux. Tel est le sens des annonces du Premier ministre et mon ministère porte plusieurs d'entre elles.

Le premier axe que je souhaite améliorer porte sur la prise en charge des victimes. Je veux que toute femme puisse se rendre au commissariat ou à la caserne de gendarmerie en sachant qu'elle sera parfaitement accueillie et écoutée.

Je connais le travail des policiers et des gendarmes, je sais qu'ils sont attentifs et engagés. C'est la réalité dans l'immense majorité des cas, et je ne peux pas laisser dire le contraire, mais il ne doit y avoir aucune faille, aucun événement isolé qui pourrait ensuite dissuader les victimes de porter plainte. Chaque jour, dans notre pays, 200 femmes sont accueillies, accompagnées, protégées par des policiers et des gendarmes dans le cadre des 70 000 procédures qui sont engagées. Il arrive qu’il n’y ait pas de procédure. Le nombre de 220 000 cas de violences conjugales est, certes, incertain mais, là encore, la statistique ne prime pas. Ces violences font l’objet d’interventions policières mais il peut y avoir des failles, des erreurs, des fautes qui nécessitent de nous doter d'outils pour les empêcher, à commencer par les erreurs d'appréciation.

La confiance que je place dans les policiers et les gendarmes n’exclut pas le contrôle. C'est pourquoi j'ai saisi les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales pour évaluer l'accueil des victimes de violences sexuelles et sexistes dans tous les commissariats et dans toutes les brigades de gendarmerie de France. D’ici à la fin de cette année, plus de 400 commissariats et brigades auront fait l'objet d'un audit anonyme. Nous contacterons plus de 500 victimes qui se seront présentées dans des commissariats ou des brigades pour savoir comment elles ont été prises en charge et quel a été leur ressenti, tant il est vrai que le ressenti ne correspond pas toujours à la réalité. Mais, dans tous les cas, si le ressenti est négatif, c'est qu'il existe un problème. Je refuse donc que pour les violences faites aux femmes, l’on oppose sentiment et problème au même titre que je le refuse pour le ressenti et les problèmes d'insécurité. Qu’une personne ait le sentiment d’avoir été mal accueillie est une anomalie. Aussi, devons-nous faire en sorte que notre accueil soit irréprochable et adapté. Nous changerons, par conséquent, ce qui doit l'être.

Aucun auteur ne doit échapper à la justice, c'est une évidence. Il nous faut donc renforcer les partenariats, notamment avec les hôpitaux, afin que les victimes puissent porter plainte, même si elles ne sont pas en mesure de se déplacer. La police ou la gendarmerie se déplacera à l'hôpital pour entendre la plainte.

Nous allons généraliser la possibilité offerte aux victimes de porter plainte au sein des hôpitaux. Je souhaite que les préfets engagent des discussions au plus vite avec les agences régionales de santé et les établissements de santé et que les travaux nécessaires soient achevés au plus tôt afin de rendre ce dispositif opérationnel.

Dans le même esprit, nous allons renforcer la formation des policiers et des gendarmes pour qu'ils comprennent les enjeux et adoptent les bons comportements tout au long de leur carrière. En plus de la formation initiale qui est déjà assurée en école, je souhaite qu’un module de formation continue soit instauré ou renforcé à tous les moments de l'évolution de carrière de nos policiers et de gendarmes, afin qu’ils soient sensibilisés à cette problématique.

Ensuite, nous devons anticiper au maximum les drames et identifier au mieux les risques. L'enjeu vise à élaborer une grille d'évaluation du danger suffisamment rigoureuse pour que, là encore, aucun indice ne passe inaperçu. Cet outil aidera policiers et gendarmes dans leur travail, au moment de l'accueil, du dépôt de plainte, de l'instruction. Cet outil les protégera contre une erreur d'appréciation. N'oublions jamais que les policiers et les gendarmes, à l’instar des parlementaires, sont des femmes et des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses. Plus nous les aiderons, meilleurs seront les résultats.

La Fondation des droits des femmes nous a présenté l’idée d'un projet de grille d'évaluation ; nous l’avons reprise et elle accompagnera la démarche de la police et de la gendarmerie. L'idée consiste à prendre en compte un nombre de facteurs importants. Je pense aux violences verbales ou physiques, à la durée, à la répétition des faits, à la présence d'enfants au domicile ou à la possession d'une arme, par exemple parce que le conjoint, tireur sportif, en garderait une à son domicile. Cela fait partie des indices que nous devons retenir comme nous devons prendre en compte la consommation d'alcool ou de drogues, dont on sait qu'ils peuvent être des facteurs aggravants du passage à l'acte. Ces indicateurs permettent de disposer d’un faisceau d'indices susceptibles de conduire à une décision de protection toute particulière. Policiers et gendarmes seront ainsi en possession d’une évaluation fine du danger encouru et seront en mesure d’engager les mesures nécessaires à la bonne prise en charge des victimes.

Le débat ne porte pas sur le dépôt de plainte, la forme du dépôt de plainte, la main courante ou l'absence de procédure : même si la personne qui vient parler ne veut pas porter plainte, ne veut pas non plus déposer une main courante, il est nécessaire que l’on identifie un risque trop ou très élevé et agir, dirons-nous, presque malgré elle ; il faut surtout pouvoir lui faire des propositions, lui offrir des outils, lui indiquer les associations qui pourront l'accompagner et tous les acteurs qui sont mobilisés.

Nous avons demandé qu'un document soit systématiquement remis à la personne qui rappelle les grands dispositifs nationaux mais aussi, département par département, l'ensemble des structures susceptibles de l'accompagner. Parfois, la pression et la difficulté psychologique de l'entretien d'une femme violentée avec un policier rendent l'exercice difficile, elle peut oublier des informations. Nous voulons qu'elle dispose d’un guide pratique, concret, territorialisé, qui lui permette après quelques heures, voire quelques jours, de s'en servir et d'agir.

Nous ne devons pas perdre de temps sur ces sujets, mais aller vite. C'est la raison pour laquelle, dès le lendemain du Grenelle, j'ai adressé une circulaire à l'ensemble des préfets pour que nous progressions.

Je n’évoquerai pas toutes les mesures qui ont été décidées et lancées dans le cadre du Grenelle des violences faites aux femmes. Vous m'avez transmis un questionnaire auquel nous avons répondu et que je pourrai peut-être compléter en répondant à vos questions.

Une série de mesures a été annoncée, des mesures fortes, des mesures qui concernent tous les ministères, pas uniquement le ministère de l'Intérieur, des mesures qui ne pouvaient pas attendre. Il nous fallait agir vite mais agir vite ne signifie pas non plus se précipiter. Aussi, s’agissant du questionnaire d'évaluation des dangers, j’ai laissé quelques semaines à nos services pour nous présenter des propositions et surtout pour échanger avec les associations qui accompagnent les femmes victimes de ces violences.

Au moment du Grenelle des violences faites aux femmes, j’ai évoqué la possibilité d'établir dans chaque département des cellules dédiées à la prise en charge opérationnelle des victimes. J'ai demandé aux préfets de commencer à y travailler.

Ces cellules auront vocation à évaluer et à coordonner avec l’ensemble des acteurs impliqués tous les dispositifs d'accompagnement nécessaires aux victimes. Il n'est pas question qu’une personne porte plainte et soit ensuite livrée à elle-même. Il s’agit d’un engagement collectif sur lequel nous devons nous mobiliser.

Le cadre de travail de ces cellules sera informel. En lien avec les procureurs qui le souhaitent, les préfets devront arrêter la liste des participants, les modalités de rencontre, de sorte que, sous le secret des travaux, ces cellules puissent aborder les situations individuelles qui, dans le cadre de la procédure, ne permettent pas de déterminer précisément le niveau de preuve. Ces échanges permettront cependant de prendre des décisions, de mettre la victime potentielle en contact avec une association, avant même que la machine judiciaire soit lancée, afin d’éviter toute difficulté.

Dans notre esprit et celui du Gouvernement, le Grenelle des violences conjugales n'est pas un aboutissement, mais une étape de notre action, car bien des réflexions ont été lancées et aboutiront dans les semaines et dans les mois qui viennent, améliorant davantage encore le devenir d'un certain nombre d'actions concrètes sur lesquelles nous nous sommes engagés.

C'est une étape également pour la prise de conscience collective, y compris au sein de la police et de la gendarmerie, de la nécessité de porter une attention toute particulière au risque de laisser une femme repartir alors même qu'elle est menacée dans son intégrité physique, quelle que soit la forme de la menace qui pèse sur elle.

C'est une étape encore dans les dispositifs d'accompagnement. Le numéro 3919 a gagné en notoriété et chacune et chacun a bien compris, je crois, le fléau que constituent ces violences et peut-être a réalisé plus encore la nécessité d'agir.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, avec Laurent Nuñez et l’ensemble des membres du Gouvernement, nous gardons les yeux rivés sur un objectif simple : nous mobiliser pour que nous soyons les meilleurs, même si être meilleurs ne réglera pas entièrement le problème. D’aucuns pourront prétendre avoir des solutions miracles. Nous n’en avons pas, mais nous devons être totalement mobilisés. Je puis vous assurer que la lutte contre les violences conjugales et les violences faites aux femmes est et restera au cœur des objectifs de mon action au ministère de l’Intérieur.

Madame la présidente, je me tiens à la disposition de votre Délégation pour répondre à vos questions.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Merci vivement, monsieur le ministre, de votre engagement sur ce sujet qui tient particulièrement à cœur à l’ensemble des membres de la délégation aux droits des femmes et des précisions que vous avez apportées aux questions que nous vous avions soumises préalablement.

Concernant la formation des forces de l’ordre, notamment initiale, pourriez-vous en détailler à la fois le contenu et le volume horaire car nous savons à quel point il est important que chaque policier, chaque gendarme puisse bénéficier de cette formation initiale ?

Les gendarmes et les policiers sont les acteurs de premier plan, les pompiers également. Pourriez-vous nous indiquer quelle formation ils reçoivent et de quelle façon ils sont mobilisés aux côtés des gendarmes et des policiers sur ces questions ?

Mme Laurence Gayte. Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’annonce de ces mesures.

Vous avez évoqué des référents chez les forces de l’ordre. Pouvez-vous nous dire s’ils opèrent dans chaque brigade, dans chaque commissariat ? Est-ce plutôt au niveau départemental ou régional ? Quel est leur rôle ?

Mme Laurence Trastour-Isnart. J’ai malheureusement été touchée personnellement de plein fouet par un féminicide. Ma commune a rendu hommage au centième féminicide de cette année. J’ai reçu sa famille, ce fut un moment très difficile. Je tiens à souligner que la famille remercie le commissaire chargé de l’enquête qui a su trouver les mots qu’il fallait et qui l’a soutenue.

Tous nos policiers sont-ils formés ? Je m’interroge. Dans le cadre d’une autre mission, j’ai eu l’occasion de passer une heure dans un standard de pompiers. Une jeune femme, en larmes, a appelé car l’une de ses amies était en train d’être frappée par son compagnon. Le pompier a recueilli son adresse et tous les éléments nécessaires et a calmé la personne. Avant de joindre les pompiers, la jeune femme avait appelé la police qui n’a pas donné suite, ni ne l’a écoutée. J’ai alors demandé aux pompiers d’appeler la police. Le responsable que la jeune femme avait contacté préalablement nous a expliqué : « Elle pleurait, on ne comprenait rien à ce qu’elle disait. Je n’ai donc pas donné suite. » C’est anormal ! Si la personne au standard était formée, elle aurait pris son temps, aurait écouté et aurait essayé d’obtenir, à l’instar du pompier, plus d’informations et fait en sorte d’envoyer une patrouille.

Je précise que je ne veux pas jeter la pierre à la police. J’ai également passé une journée dans un commissariat. Les commissariats de police souffrent d’un manque d’effectifs. Certains ne comptent qu’une seule patrouille la nuit, qu’un seul référent de sécurité du quotidien une journée par semaine dans une ville de 50 000 habitants. C’est insuffisant. Si nous voulons vraiment protéger les femmes des violences conjugales et assurer la sécurité de nos concitoyens au quotidien, des effectifs doivent pouvoir intervenir en cas d’appel et prendre le temps d’écouter attentivement les personnes en détresse sans être submergés par d’autres appels. À cet égard, que comptez-vous faire, monsieur le ministre ?

Mme Sophie Panonacle. Monsieur le ministre, bien des choses ont déjà été dites sur la formation, je n’y reviens donc pas. En revanche, je précise qu’en complément de la formation, l’information régulière des forces de police et de gendarmerie est nécessaire.

Vous avez évoqué les référents des unités opérationnelles et la présence renforcée de psychologues. La présence d’intervenants sociaux dans les gendarmeries est un dispositif performant. Quid de son développement ? On n’en entend pas parler alors même que la présence de ces intervenants aboutit à des résultats intéressants là où ils sont déployés.

J’en viens au dépôt de plainte généralisé à l’hôpital. À Arcachon, le directeur d’hôpital est très à l’écoute de cette problématique. Cet été, nous avions convenu d’organiser un dépôt de plainte au centre hospitalier d’Arcachon, ce dont je tiens à le remercier. Son service d’urgence étant relativement saturé et en l’attente de la fin des travaux pour profiter d’un local dédié aux dépôts de plainte, il m’a promis de libérer un petit espace pour accueillir la police ou la gendarmerie. Cette expérimentation sera prochainement lancée et nous pourrons vous en faire des retours.

Si la gendarmerie ne voit aucun inconvénient à se rendre à l’hôpital, c’est plus compliqué pour la police, sans doute en raison du manque d’effectif. En effet, il m’a été indiqué qu’envoyer un policier la nuit pour prendre une plainte à l’hôpital serait compliqué en cas d’effectifs réduits. Comment pourrions-nous résoudre cette difficulté, tant il est vrai que le dépôt de plainte à l’hôpital est efficace en raison de son contexte rassurant ? Par ailleurs, cela évite aux femmes après avoir été soignées de rentrer chez elles et d’être à nouveau confrontées à la violence.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Je répondrai sous forme de boutade à votre proposition, madame Panonacle : je ne souhaite pas connaître les résultats de l’expérimentation lancée à Arcachon, car je souhaite que l’expérimentation soit nationale ! La circulaire que j’ai diffusée deux jours après le Grenelle des violences conjugales demande aux préfets de travailler avec l’ensemble des agences régionales de santé pour être disponibles, présents et efficaces dans l’ensemble des hôpitaux. Si l’hôpital d’Arcachon a un temps d’avance, nous pourrons certainement tirer des enseignements de la cellule mise en place.

Des problèmes de disponibilité continuent de se poser dans les commissariats. Lorsqu’un commissariat est ouvert la nuit, la personne en responsabilité et en charge de l’accueil ne peut immédiatement se déplacer et fermer le commissariat pour répondre à des besoins ailleurs. En lien avec l’hôpital, l’objet des conventions est de permettre à la femme victime de violences d’être accueillie jusqu’au lendemain matin à l’hôpital, de convenir d’un rendez-vous et de bénéficier d’une présence. Je ne vous dis pas que des femmes et des hommes seront toujours immédiatement disponibles, car ce serait prendre un risque pour l’ensemble du système de sécurité que nous devons à nos concitoyens, mais il faudra trouver des solutions. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux préfets d’y réfléchir et d’organiser le dispositif.

Les intervenants sociaux, vous l’avez relevé, jouent un rôle majeur dans la police et la gendarmerie. La police nationale en compte 172, la gendarmerie nationale 137, soit un total de 309 intervenants qui mobilisent un savoir-faire particulier que n’acquièrent pas toujours les policiers et les gendarmes, y compris au cours de leur formation. Ils apportent un appui important mais relativement difficile à quantifier à ce jour dans la mesure où ces postes ne prennent pas la forme de temps pleins dédiés à tel ou tel sujet. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé la constitution d’un Observatoire national du dispositif d’intervention sociale en commissariats et en gendarmeries. Il sera officiellement lancé le 8 novembre 2019 pour obtenir une vision précise sur ce sujet. Nous mettons en place des politiques, il est donc nécessaire de les évaluer mais je suis, comme vous, convaincu de l’utilité de ce dispositif.

Plusieurs d’entre vous m’avez posé la question de la formation telle qu’elle est aujourd’hui dispensée. La formation initiale, depuis peu de temps, prend en compte la question spécifique des violences faites aux femmes. Depuis mai 2019, un module spécifique relatif aux violences faites aux femmes, d’une durée de huit heures, est intégré à toutes les formations initiales des élèves gendarmes. La formation initiale des commissaires de police, des officiers, des gardiens de la paix et des officiers de police judiciaire consacre des enseignements aux violences faites aux femmes, notamment sur le volet de la police judiciaire et, depuis un peu plus longtemps, à la problématique de l’accueil des victimes. Il convient de développer ce dispositif et d’évaluer, selon l’expérience et le vécu, le profil des personnes qui porteront le discours et la formation. Ce peut être plus ou moins efficace. Il est par conséquent nécessaire d’intervenir. Aujourd’hui, tous les gardiens de la paix, tous les adjoints de sécurité bénéficient par ailleurs d’un enseignement spécifique portant sur les violences infra-familiales et l’accueil des victimes en situation de détresse.

La formation continue que nous voulons instaurer intervient en trois temps.

Premièrement, améliorer l’accueil des femmes victimes. L’objectif est d’être opérationnel au cours du premier semestre 2020. Nous avons lancé un questionnaire précis pour élaborer la formation la plus adaptée.

Le second temps de formation continue consiste à réfléchir au développement des pratiques d’enquête sous la forme de formations déconcentrées. Il s’agit d’une nouveauté, nous souhaitons réunir des magistrats et des enquêteurs. Cette formation sera conduite en s’appuyant sur des kits de formation. La première formation qui associera magistrats et enquêteurs aura lieu le 25 novembre prochain. Tel n’est pas l’usage dans nos maisons. Pourtant, une telle configuration est d’une réelle utilité dans la pratique. Lorsque les hommes et les femmes se connaissent, c’est mieux. Lorsqu’ils ne se connaissent pas mais qu’ils ont des méthodes et des sensibilités partagées, c’est également efficace. Autant je ne peux pas garantir le lien intuitu personae entre un enquêteur et le magistrat, le procureur par exemple, autant si nous avons des méthodes partagées, les acteurs s’enrichiront mutuellement pour une plus grande efficacité.

Le troisième volet sera déployé en association avec l’École nationale de la magistrature pour des actions renforcées et obligatoires sur la thématique des violences faites aux femmes. Tel est le programme de travail des années 2019 et 2020.

Au-delà de la sensibilisation de tous les policiers et gendarmes à l’accueil, nous avons voulu professionnaliser l’accueil par des référents dédiés, soit 264 brigades de protection des familles. Elles sont composées de policiers spécifiquement formés - avec des volumes horaires sans rapport avec ce que je viens d’évoquer-, s’appuient sur 521 correspondants locaux pour obtenir le maillage territorial le plus large possible et disposent de 174 référents dédiés aux violences conjugales dans les commissariats.

Dans les gendarmeries, c’est une centaine d’officiers de prévention qui sont mobilisés dans tous les départements et 1 740 relais dans la quasi-totalité des gendarmeries de France. Certes, le référent n’est pas présent en permanence. Son travail ne réside pas dans l’accueil, il est celui qui doit impulser, veiller, faire passer des messages et sensibiliser au sujet que nous devons traiter de la façon la plus territorialisée afin de parvenir à une uniformité de traitement et d’accompagnement.

Vous avez raison, des effectifs supplémentaires sont nécessaires dans la police nationale et dans la gendarmerie. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés à recruter 10 000 policiers et gendarmes sur la durée du quinquennat. Nous assumons ce programme, que nous poursuivons. Je ne rappellerai pas la situation que nous avons connue ces dernières années. Il est nécessaire de reconstituer les forces, mais je suis convaincu que la solution ne réside pas uniquement dans le recrutement de forces supplémentaires ; elle se situe dans les méthodes de travail, dans les priorisations, dans la nécessité de libérer nos policiers et nos gendarmes de tâches indues et administratives au profit du terrain, – et d’ailleurs ils aiment être sur le terrain ! C’est un changement d’organisation, de tropisme que nous devons accompagner. Depuis trop longtemps, la réponse consiste à ajouter des effectifs sans pour autant assurer une police du sur-mesure qui s’impose territorialement mais aussi au vu du sujet traité. Appréhender les violences conjugales est un sujet particulier qui implique formation et attention.

Vous avez évoqué un cas concret que je ne remets nullement en cause. Une mauvaise appréciation de la situation par un policier ou un gendarme est toujours possible. Je rappelle que 200 femmes sont accompagnées chaque jour. Je sais aussi la difficulté d’appréciation qui s’attache aux situations et, par conséquent, que notre système peut être faillible. Il convient donc de le sécuriser par un accompagnement sur le plan méthodologique afin d’éviter la situation que vous avez décrite. Je ne conteste pas le témoignage que vous avez livré ni ne vous le reproche, car il est important que nous puissions évoquer de tels incidents.

Nous avons déclenché des contrôles in situ pour plusieurs raisons : d’abord pour « mettre la pression » sur les professionnels. Je l’assume en tant que ministre de l’Intérieur : la confiance n’exclut pas le contrôle. J’ai toute confiance, mais le contrôle est toujours utile. Chaque commissariat, chaque caserne doit savoir que la probabilité est grande qu’il fasse l’objet d’un contrôle inopiné d’ici à la fin de l’année. C’est une manière de stimuler la qualité de l’accueil et, parallèlement, de déterminer, en cas d’anomalie, à quel moment il y a eu dysfonctionnement et la façon d’améliorer le système.

Il est plus difficile de répondre au sujet des pompiers. Tout d’abord, parce qu’il existe différents types de pompiers. Par ailleurs, nous comptons des organisations départementalisées dans le cadre des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Les approches sont donc différentes. Mais les pompiers, partout en France, sont en interaction constante avec les forces de l’ordre et échangent très régulièrement sur le sujet. Tous les pompiers ont conscience du problème et ont la capacité d’alerter les forces de sécurité intérieure en cas de suspicion de violence, ce qu’ils font assez souvent à l’instar des agents hospitaliers ou des médecins, tout en préservant le secret médical. S’ils ont le sentiment qu’il faut protéger la victime, ils le font.

Il convient de se poser la question des primo-intervenants. Dans un contexte de violence familiale, les primo-intervenants sont la famille ou les proches. Ce peuvent être aussi – l’ancien maire d’une commune rurale peut en témoigner –, le policier, le gendarme ou le pompier. Il est indispensable que l’ensemble des acteurs échangent et travaillent sur ces sujets. Quant à nous, il nous appartient de fluidifier le système. C’est pourquoi j’ai évoqué les conventions entre nos forces de sécurité intérieure et les hôpitaux qui peuvent inclure les pompiers dans le dispositif.

Mme Sonia Krimi. Merci, monsieur le ministre, de vos propos.

Je ne reviendrai pas sur la formation ou sur les problématiques liées aux difficultés de déposer une plainte. Le problème dépasse le pénal, le sociétal, le culturel et l’éducatif. Nous ne vous dirons donc pas ce qu’il faut faire tant les solutions sont complexes.

Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sont spécialisés dans l’accueil des femmes. Le centre Louise Michel, à Cherbourg, est confronté à des difficultés.

Le centre Louise Michel accueille les femmes qui sont aisément réinsérables dans la vie de tous les jours, ce qui fait peser une pression en termes quantitatifs. Comme vous le savez, une femme peut se remettre en couple avec son conjoint une première fois, une deuxième, une troisième, voire une septième fois, une situation que nous avons connue à Cherbourg. Les travailleurs sociaux prennent leur mal en patience. Si une femme quitte son mari à sept reprises, ils doivent pouvoir l’accompagner jusqu’à cette septième fois et être présents au moment où elle s’en libère. Or, la logique portée par l’étude nationale des coûts (ENC) ne permet pas de prendre en compte ces spécificités et met en difficulté l’accompagnement qualitatif. Comptez-vous la remettre en cause ?

J’aimerais par ailleurs avoir votre avis sur le fait que quand un homme est violent, on estime que c’est à lui de quitter le domicile. Tout le monde en est d’accord mais cela ne se passe pas toujours ainsi. Fin août, toujours à Cherbourg, une femme a été contrainte de quitter la région car elle savait que sinon son compagnon continuerait de la maltraiter. Malgré ses vingt-quatre ans, le casier judiciaire de cet homme était lourd. Nous ne remettons pas en cause le travail de l’institution judiciaire, elle est indépendante et fait ce qu’elle peut. Sans attendre des réponses du Grenelle des violences conjugales qui, comme vous l’avez dit, ne fait que commencer aujourd’hui, comment permettre aux femmes de rester chez elles ?

M. Dimo Cinieri. Merci, madame la présidente, de m’accueillir dans votre Délégation.

Monsieur le ministre, vous nous avez parlé d’une formation de nos fonctionnaires de police et de gendarmerie sur le thème des femmes victimes de violences. Vous avez proposé de créer des référents formés et de recruter des psychologues. Vous voulez mieux communiquer et informer le public. Vous souhaitez une meilleure prise en charge des victimes, un meilleur accueil, une meilleure écoute et un meilleur accompagnement. Ce sont 200 femmes battues qui franchissent le pas de nos commissariats ou gendarmeries, et qui sont ensuite accompagnées. Monsieur le ministre, nous ne pouvons que vous soutenir et vous encourager, mais avec quels personnels ?

La vallée de l’Ondaine, une vallée populaire composée de familles aux revenus très modestes, qui vient de la métallurgie, de la sidérurgie et de la mine, est confrontée à des incivilités et à de multiples problèmes de sécurité. Aujourd’hui, il nous manque quinze fonctionnaires de police. Je vous ai sollicité pour une rencontre avec les sept élus de la vallée. En dehors de toute polémique politico-politicienne, je souhaiterais que nous trouvions une solution, car l’absence de quinze fonctionnaires dans une vallée qui compte 55 000 habitants est problématique.

Je vous ai écrit, vous m’avez répondu. Mais je pense qu’il est nécessaire de vous apporter des précisions sur ce territoire. Pour reprendre vos propos, la confiance n’exclut pas le contrôle. Sur ces sujets, je ne peux que vous encourager et vous soutenir. J’aimerais donc que nous nous rencontrions très prochainement, si vous le souhaitez, monsieur le ministre, afin d’aborder avec vous et la population de la vallée de l’Ondaine les problèmes d’incivilités et les thèmes que vous avez abordés.

Mme Fiona Lazaar. Monsieur le ministre, votre engagement, celui du ministère et de ses agents, est essentiel pour mieux lutter contre les violences conjugales et mieux protéger les victimes.

Je tiens à saluer votre présence aujourd’hui qui est essentielle et l’occasion pour nous d’évoquer sans détour les difficultés rencontrées concrètement sur le terrain. Tel était l’objet des rencontres organisées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales la semaine dernière dans de nombreux départements de France. J’ai eu la chance de participer à celui du Val-d’Oise où plusieurs points sont remontés.

Vous avez largement évoqué la formation des agents. Elle est centrale, il faut insister sur ce point et ne rien lâcher !

Le deuxième sujet qui a été mis en avant a été celui des travailleurs psychosociaux qui ne seraient pas équitablement répartis entre les commissariats. Il existerait des disparités de contrats et de statuts ainsi que des modalités de financement complexes, tripartites, qui, parfois, prendraient du temps avant d’être opérationnelles. Même si nous souhaitons l’ouverture de postes, nous sommes confrontés à des difficultés de recrutement. Le Grenelle offre-t-il des solutions ou ouvre-t-il des pistes de réflexion pour renforcer les équipes dans les commissariats ?

Nous sommes interpellés par des citoyens et les représentants d’associations sur les violences administratives, un sujet peu abordé jusqu’à présent dans le cadre du Grenelle, qu’il ne faudrait pas obérer.

Deux cas précis m’ont été rapportés. Le premier est celui d’une femme d’origine étrangère qui a épousé un Français et qui est retournée dans son pays d’origine pour les vacances avec ses enfants français. L’époux lui a confisqué ses papiers d’identité et est rentré en France sans sa femme et ses enfants.

Le second est celui d’une femme étrangère vivant sur notre territoire qui a été séquestrée pendant une dizaine années et dont le conjoint avait confisqué les pièces d’identité. Elle a fini par s’échapper. Mais au cours de cette période, elle n’a pu renouveler ses titres de séjour et se retrouve en situation irrégulière. Comment protéger ces femmes qui sont placées dans une situation de grande vulnérabilité et auxquelles il nous faut porter attention ?

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Lors de notre déplacement dans le Morbihan à l’occasion des vingt ans de la délégation aux droits des femmes, ont été évoqués, au cours de notre réunion avec le préfet, les financements tripartites des postes d’intervenants sociaux, mais également la pérennisation de ces postes, qui est essentielle. Parfois, les préfets reculent devant l’ouverture de tels postes, pensant qu’ils ne disposeront pas des crédits pour en assurer la prise en charge dans le temps.. La question du financement et de sa pérennisation se pose donc.

M. Philippe Dunoyer. Monsieur le ministre, je tiens à saluer l’engagement du Gouvernement, du Premier ministre et des ministères concernés depuis la semaine dernière. C’était un fait, dorénavant acté par le lancement du Grenelle des violences conjugales.

Je voudrais apporter un témoignage ultramarin en vous faisant part de notre perception et de notre sensibilité, que ma collègue Justine Bénin a récemment exprimées au cours de la séance des questions au Gouvernement. Personne n’ignore ici les chiffres dramatiques qui sont ceux des territoires d’outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, nous déplorons deux féminicides sur les 102 comptabilisés à ce jour, ce qui, rapporté à notre population, revient à un ratio quatre fois supérieur à la moyenne nationale.

Selon une enquête déjà ancienne portant sur une population de seize à vingt­cinq ans, un quart des femmes interrogées indiquaient avoir été victimes d’une violence à leur encontre. C’est une situation que vous connaissez. À cet égard, je voudrais vous interroger sur notre capacité à dupliquer les mesures et les nouvelles annonces que vous avez rappelées – et d’autres éventuellement – en Nouvelle-Calédonie, et en outre-mer plus largement.

Les situations varient en outre-mer, selon qu’il s’agit des départements d’outre-mer ou des collectivités, lesquelles sont organisées autrement et dont les compétences sont réparties différemment. C’est la raison pour laquelle, sauf erreur de ma part, le dispositif téléphone grave danger (TGD) n’est pas étendu en Nouvelle-Calédonie à ce jour, même s’il s’agit d’une compétence régalienne. Les femmes n’ont pas la possibilité non plus, à ma connaissance, d’appeler le numéro 3919, probablement pour des raisons pratiques, pas toujours compréhensibles.

Les effectifs de police et de gendarmerie sont suffisants dans la mesure où ils ont été augmentés ces dernières années. Cela dit, police et gendarmerie sont confrontées aux mêmes difficultés de prise en charge des dépôts de plainte. Autrement dit, il existe un décalage avec la métropole.

Mme la secrétaire d’Etat a annoncé l’organisation d’un Grenelle des violences conjugales ultramarin, ce qui est une bonne chose.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que 400 commissariats et gendarmeries seraient inspectés et audités d’ici à la fin de l’année. Pouvez-vous confirmer que, parmi ces 400 structures, figureront des commissariats et gendarmeries ultramarins dans chacun des territoires ?

La généralisation du dépôts deplainte à l’hôpital est une mesure à laquelle je crois beaucoup et qui me fait penser à l’expérimentation de la cellule d’accueil d’urgence des victimes d’agressions (CAUVA) au centre hospitalier universitaire de Bordeaux qui, bien sûr, a une vocation plus large, mais qui permet déjà ce type d’initiative.

En Nouvelle-Calédonie, nous nous sommes inspirés de ce CAUVA et avons créé une modeste cellule qui permet de porter plainte. Mais la question ne se pose pas dans les mêmes termes qu’en métropole dans la mesure où cette compétence est calédonienne. Il n’existe pas d’articulation avec les agences régionales de santé puisqu’il n’en existe pas en Nouvelle-Calédonie. Les établissements de santé calédoniens et les services de l’État s’opposent. Plus largement, l’audit de grande ampleur dont le Premier ministre a rappelé la nécessité la semaine dernière et qui sollicitera à la fois les services sociaux, les services de santé ainsi que la chaîne pénale et judiciaire souffre de ce problème d’articulation en Nouvelle-Calédonie entre les deux échelles de compétences. Il n’en demeure pas moins que les violences conjugales transcendent très largement les problématiques de compétences normatives ou institutionnelles, et que c’est une cause à laquelle nous sommes toutes et tous très attachés.

Je terminerai par une remarque. En début de semaine, le haut-commissaire de Nouvelle-Calédonie a réuni le comité local d’aide aux victimes dont les parlementaires ne font pas partie. Le haut-commissaire m’a donc gentiment invité oralement. Au-delà du fait que je ne pouvais m’y rendre, pourquoi suis-je le seul à avoir été invité ? Je pointe ce constat car je considère que le comité local d'aide aux victimes a toute sa pertinence. Dans le cadre des travaux qui sont les nôtres, peut-être serait-il utile que les parlementaires soient systématiquement associés, si c’est possible, pour à la fois s'instruire, participer au débat et, éventuellement, enrichir le Grenelle des violences conjugales.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Madame Krimi, s’agissant des structures d'accueil, j'ai bien noté que votre Délégation allait prochainement entendre Julien Denormandie. Je pense qu’il pourra vous répondre sur la question de l'étude nationale des coûts sur laquelle je ne dispose pas d'informations. Votre question étant technique, il sera la personne appropriée pour vous répondre. Je rappelle simplement que le logement reste une question centrale.

Les violences conjugales sont un sujet majeur. C'est la raison pour laquelle, parmi les engagements qui ont été pris la semaine dernière, figure la création de 1 000 places d'accueil supplémentaires. M. Denormandie pourra les détailler. Pour ce qui relève de mon ministère, nous avons créé l'année dernière des centres d'accueil pour femmes réfugiées en situation de risque car, pour ces femmes en situation de demande d’asile, une faiblesse se surajoute : elles ont besoin d’une protection physique.

Nous nous sommes également engagés sur le bénéfice de la garantie Visale et, donc, de la garantie du paiement locatif. S’ajoute à cela un dispositif de plateforme géolocalisée qui flèche les places disponibles. Il permettra à la personne, mais aussi à celui qui l'accompagnera, quel qu'il soit – ce pourra être par exemple un policier ou un gendarme – d'identifier des places d'accueil d'urgence disponibles à proximité. Cette solution ne vaut que pour un temps, mais permet de proposer une protection.

Est-ce à la femme ou à l'homme violent de rester au domicile conjugal ? À titre personnel, je partage le sens de votre propos, mais il ne m'appartient pas d'y répondre. Mme la garde des sceaux aura l'occasion de s’exprimer sur cette question.

Monsieur Cinieri, vous m'avez soutenu dans la démarche mais surtout, comme vous l’avez fait dans Le progrès de ce matin que j'ai lu avec attention, vous m'avez interpellé sur les effectifs.

Monsieur le député, nous sommes engagés dans un programme de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur l'ensemble du territoire national qui vise à rehausser les effectifs, lesquels ont diminué de 12 500 entre 2007 et 2012, générant un dysfonctionnement total de notre administration, policière notamment. C’est ainsi que cette diminution a fait exploser les heures supplémentaires que nous devons honorer aujourd’hui. Il nous faut également réorganiser les services. Pour résumer, 2 500 recrutements interviendront cette année en sortie d'école au titre du budget que je vous présenterai dans quelques jours pour la police et la gendarmerie. Ces recrutements exigent une approche territoriale la plus fine possible.

Monsieur Cinieri, j'ai bien entendu votre interpellation et j'ai demandé au préfet d’établir un point précis de la situation. Je ne peux pas organiser des réunions vallée par vallée, mais je sais, pour avoir été élu, y compris dans la ruralité, l'attachement des députés à leur circonscription. Je comprends donc parfaitement le sens de votre intervention !

M. Dimo Cinieri. Et le rendez-vous ?

M.  Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Je vous remercie de participer à la discussion sur les violences faites aux femmes pour obtenir un rendez-vous pour le commissariat de Firminy, mais je vous ai répondu : le préfet qui a toute ma confiance aura pour mission de me présenter des propositions et un point précis sur la situation du commissariat de Firminy en lien avec le directeur départemental de la sécurité publique.

Madame Lazaar, je vous répondrai en reprenant votre formule : vous m’avez remercié de ma présence, que vous avez qualifiée d’essentielle. Très modestement, je vous dirai qu’elle n'est pas essentielle, elle est une évidence. Si le ministère de l'Intérieur, que je représente, n'était pas présent à cette discussion, ce serait un contresens absolu. Je peux vous dire également que ma présence se justifie plus encore à titre personnel.

Vous m'avez interrogé sur les enjeux de la formation – que j’ai abordés et sur lesquels je ne reviens donc pas – et sur la place des travailleurs psychosociaux qui jouent un rôle majeur. La difficulté tient au fait qu’ils font l'objet d'un triple financement entre l’État, les commues et les départemets. Le président de l'Association des maires de France était présent au Grenelle la semaine dernière, celui de l'Association des départements de France était représenté. Il est absolument nécessaire que nous profitions de notre discussion aujourd'hui pour sanctuariser les engagements des différents acteurs et que nous progressions. Vous savez comme moi que nous fonctionnons selon des principes de financements pluriannuels. Il ne s’agit donc pas de postes de fonctionnaires classiques et une incertitude pèse sur leur renouvellement. Passer des conventions triennales, qui sont toujours possibles, tripartites ou bipartites, permettrait de pérenniser ces dispositifs.

Vous avez enfin abordé la question des violences administratives. Au début de votre propos, je me demandais ce dont il s'agissait mais, au fond, votre question est d’évidence, la confiscation du passeport étant un fait auquel nous sommes trop souvent confrontés.

Il faut savoir que le fichier national des étrangers garde une trace de tous les titres qui sont délivrés. Il convient de diffuser cette information : obtenir un duplicata est toujours possible et une personne qui perdrait ses papiers peut en faire la déclaration. Une personne à laquelle on les aurait confisqués peut parfaitement le déclarer. Je souhaite, par conséquent, que, dans le cadre de la procédure d'accompagnement assurées par des policiers et des gendarmes, on fasse en sorte que la personne concernée puisse obtenir ce duplicata pour se rendre notamment au consulat et être protégée. Le problème est que cette personne est déjà fragilisée par la violence qu'elle subit, à laquelle s’ajoute une fragilité supplémentaire, celle de ne pas avoir ses papiers et d’être confrontée à l’absence de titre de séjour. De telles situations méritent une attention supplémentaire.

Votre question doit nous conduire à sensibiliser à cette question. Peut-être que les cellules départementales que j'appelais de mes vœux la semaine dernière dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, sur lesquelles nous allons travailler avec Mme la Garde des sceaux, premettront de traiter les cas que vous avez décrits et dont la réponse administrative ne va pas de soi. Peut-être pourrez-vous m'aider à relayer cette idée non encore entièrement validée. Le préfet et le procureur peuvent s’interroger, s'en occuper, décrocher le téléphone et faire passer le message. Au surplus, la présence de représentants des services serait susceptible de faciliter la démarche.

Monsieur Dunoyer, la ministre des outre-mer a répondu, en présence de Marlène Schiappa, sur les spécificités de la dimension ultramarine. Elle a souhaité, en effet, qu’un Grenelle dédié soit organisé dans les territoires ultramarins. Il existe des spécificités, des anomalies quantitatives, mais aussi des particularités techniques. Des réponses plus adaptées et plus concrètes seront apportées mais, quels que soient les départements d'outre-mer, il est essentiel que les dispositifs soient aménagés et que les mesures que nous mettons en place en France s'appliquent et protègent les femmes d'outre-mer.

En l’occurrence, nous sommes confrontés à une anomalie, mais le chiffre statistique est faible. Globalement, s’agissant des violences faites aux femmes, l’outre-mer, Mayotte excepté, n’est entachée d’aucune spécificité et ne connaît pas d'aggravation des violences faites aux femmes. Tel n'était pas le sens de votre question, mais je ne voudrais pas que l’on croie à une anomalie statistique à Mayotte, qui connaît une violence généralisée plus forte et une pratique de la violence plus débridée que dans d'autres territoires. C'est un problème pour nos services ;je tenais à apporter cette précision.

Il convient ensuite d’étudier au cas par cas, territoire par territoire, la difficulté d’accès au numéro 3919 et de trouver des solutions.

Vous m’avez interrogé sur l'audit en outre-mer, la réponse est affirmative. Je ne vous communiquerai pas le calendrier, car je ne voudrais pas indiquer à quelle période viendra le visiteur ou la visiteuse témoin ! Je dispose de quelques éléments, notamment pour la Nouvelle-Calédonie, dont je pourrai vous faire part personnellement.

Vous avez posé la question sur le comité local d'aide aux victimes. Je vais être brutal dans ma formulation mais vous la comprendrez : nous connaissons une difficulté avec les parlementaires. Je vous le dis parce que je l'ai été et que je le suis virtuellement pour avoir été réélu en même temps que vous avez été élus ou réélus. Les membres de certaines instances sont tenus au secret ; or, les parlementaires ne le sont pas. C'est la raison pour laquelle les parlementaires ne peuvent y siéger. J’ignore si c’est le régime qui s’applique aux comités locaux d'aide aux victimes, mais ce peut être une explication. Au-delà de la qualité et de la respectabilité de tous les parlementaires présents, vous n’êtes pas, en qualité de parlementaires, tenus au secret. Lorsque l’on nomme des personnes individuellement, la question se pose. J’ai été confronté à cette difficulté lors de la constitution, sous l'autorité des préfets et des procureurs, des groupes d'évaluation sur les phénomènes de radicalisation ou de lutte contre le terrorisme. Des parlementaires m’avaient demandé à y assister, mais je n'ai pas pu répondre positivement en raison de la dimension que je viens d’évoquer. La remarque ne porte pas sur la qualité des parlementaires intuitu personae, il s’agit d’une remarque de droit.

Je ne veux surtout pas polémiquer sur les chiffres des féminicides annoncés sur des tweets qui circulent. De toute façon, ils ont une utilité : celle de l'alerte et de la prise de conscience. Par contre, le ministère de l'Intérieur connaît un décalage dans le temps dans l'analyse des chiffres. Ce qui peut paraître un féminicide selon une information de la presse peut ne pas l'être. Hier, s’est déroulé un fait horrible dans les Bouches-du-Rhône, à Maussane‑les‑Alpilles. Un homme de 70 ans a tué sa belle-mère de 95 ans, son fils, puis son épouse. S’agit-il d’un féminicide au sens où nous en parlons, ou s’agit-il de la dérive d'un homme qui a tué toute sa famille ?

Je ne commente pas, ni ne critique les données telles qu'elles sont livrées, mais je pense qu’en matière d’incrimination pénale et de décès de femmes et d'hommes, il est préférable de s’en tenir aux chiffres qui permettent de caractériser d'un point de vue judiciaire ce qui relève de l’assassinat d’une femme par son conjoint plutôt qu’à une information qui circule dans la presse. J’entoure mon propos de toutes les précautions possibles. De toute façon, le débat ne porte pas sur les chiffres, mais sur une évolution qui est mauvaise cette année même si je ne dispose pas des chiffres définitifs,ceux des six derniers mois nous faisant défaut. L’objectif vise à réduire ce décalage qui est trop important.

Je vous ai livré les chiffres de 2017 et 2018. J’en profite pour en corriger un point sur la tendance indiquée par une parlementaire, qui serait une tendance à la baisse. Pour cette année, on peut penser que la tendance sera mauvaise. Je vous livre cet élément de réflexion, qui ne change rien aux chiffres qui circulent, nous attendons d’avoir le recul nécessaire. Quand on est ministre de l'Intérieur, on doit s'appuyer sur des faits établis. La tragédie qui s’est produite hier peut nous pousser à nous interroger sur cette qualification. Mais Mme la Garde des sceaux sera plus experte que moi pour vous éclairer. Nous n’utilisons pas le terme de parricide ou d'infanticide, et pourtant cela correspond à une réalité.

Mme Sophie Auconie. Merci, monsieur le ministre, de votre présence devant les membres de la délégation, merci de la pédagogie avec laquelle vous exprimez vos projets et merci de le faire avec franchise !

Je voudrais revenir sur la formation. Je salue l'ensemble des mesures que prend le Gouvernement, notamment quant à la formation initiale des forces de l'ordre. Aujourd'hui, les membres des forces de l'ordre qui recueillent la parole des victimes de violences – violences sexuelles, par exemple, quand elles sont femmes – n’ont pas, pour la plupart, reçu de formation initiale dédiée. En effet, quand on travaille depuis cinquante ans dans un commissariat ou une gendarmerie, on n'en a pas forcément bénéficié.

Dans le rapport que nous avions publié avec Marie-Pierre Rixain sur le viol, nous proposions que la formation continue soit obligatoire pour l'ensemble des membres des forces de l'ordre sur ce module spécifique. L'expérience vécue par le Président de la République il y a quelques jours à l'écoute de la plateforme 3919 témoigne de l'importance de cette formation continue obligatoire pour les membres des forces de l'ordre. Qu'en pensez-vous ?

Je voudrais maintenant évoquer le centre d'accueil d'urgence des victimes d'agressions (CAUVA) organisé au CHU de Bordeaux. Les membres de la Délégation diront que c'est, chez moi, obsessionnel, mais je l'assume totalement ! Je vous rappelle les chiffres dont je dispose : sur dix viols en France, seulement une plainte a été déposée. Grâce au CAUVA, à Bordeaux, pour dix viols, neuf plaintes ont été déposées. La convention liant le ministère de la santé, le ministère de l'intérieur et le ministère de la justicepermet le recueil de la parole et des preuves par le médecin qui accueille la victime. Cette convention représente un avantage majeur et cette initiative me semble heureuse. Le CAUVA a la capacité de contractualiser, de stocker le recueil de la parole et de la preuve pendant trois ans, y compris en l’absence de dépôt de plainte, ce qui donne le temps à ces femmes de préparer leur éloignement de leur compagnon violent sans risquer, ce qui arrive dans les cas de féminicides, qu'ils apprennent le dépôt de la plainte et que la compagne soit victime du geste fatal.

Le CAUVA est une infrastructure de qualité. À l'heure de la réduction des dépenses publiques, il est difficile d’implanter cette structure dans tous les départements. Je le regrette mais je le conçois. Cela dit, un certain nombre de projets de reconstruction d'hôpitaux sont en cours en France. En Indre-et-Loire, dans ma circonscription, l'hôpital sera démoli et reconstruit dans un délai de quelques années. Je me dis qu'il serait opportun d'envisager ce type de centre d'accueil des victimes, tant il a démontré son efficacité dans le département de la Gironde.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Merci, monsieur le ministre, de vos propos très clairs sur les objectifs du Grenelle des violences conjugales, sur les premières pistes de travail et les premières mesures que vous nous avez exposées. Je ne reviendrai pas sur la question des formations que vous avez déjà largement abordée

Comme vous l’avez très bien dit, le Grenelle des violences conjugales ne s'est pas terminé la semaine dernière : il a commencé la semaine dernière. Il est un moment de mobilisation générale sur l’ensemble du territoire jusqu'au 25 novembre de cette année. Combien de Grenelle seront-ils organisés sur nos territoires ? Nos préfectures et sous‑préfectures seront pilotes, mais avons-nous un peu de visibilité ? Des retours de ces travaux seront-ils prévus auprès des parlementaires ?

Je ne sais si vous pourrez répondre en l’état à ma question suivante. L’audit dont vous parliez est une très bonne mesure, nécessaire par son ampleur. Mais comment et par qui sera-t-il réalisé ? Par ailleurs, pourrons-nous avoir un échange à la suite de l’audit qui nous permettrait notamment d'adapter et d'améliorer nos politiques publiques ?

Troisièmement, si la question des effectifs a été largement évoquée, il me semble important de parler aussi des locaux. Quel est le montant des crédits affectés à la modernisation de nos locaux, des accueils, notamment des accueils spécifiques des victimes de violence, et quels sont les besoins ? Ces besoins seront-ils pris en compte par l'audit qui sera lancé ?

Ma dernière interrogation rejoint les questionnements de mon collègue Dunoyer sur les comités locaux d'aide aux victimes. J’avais l’intention de vous demander si nous ne pouvions pas associer les députés et j’ai entendu votre réponse. Au-delà, pouvez-vous nous indiquer si ces comités sontaujourd'hui déployés dans tous les départements ?

Mme Bénédicte Taurine. Je reviens sur la formation et d’abord sur la formation initiale. Quel volume horaire représente le module dédié aux violences au regard de la formation totale d’un fonctionnaire ?

S’agissant de la formation continue, j’aurais voulu savoir si elle était uniquement ouverte aux personnels volontaires ou si elle était obligatoire – même s’il est compliqué d’obliger des personnels à suivre une formation s’ils ne le souhaitent pas.

Avoir des personnels formés en nombre suffisant nécessite des moyens. Pouvez‑vous nous renseigner sur le budget alloué par votre ministère à la prise en charge des victimes de violences ? Il me semble que vous évoquiez 10 000 policiers. Une partie de ces personnels sera-t-elle spécifiquement dédiée à la prise en charge des victimes ? Je ne vois pas très bien comment on peut déterminer précisément les moyens alloués aux femmes ou aux hommes victimes de violence. Par ailleurs, quel est le budget alloué aux locaux ?

Vous avez cité le nombre de 309 intervenants sociaux. Disposez-vous des chiffres précis de recrutement, par exemple de psychologues ? Comment s’opère la répartition des travailleurs sociaux au sein des commissariats et gendarmeries ? Mme la présidente a évoqyé la pérennité de ces postes. Ce problème a en effet été mis en avant par le préfet lors d'un déplacement de la Délégation. Avez-vous des informations à nous livrer sur le sujet ?

Enfin, à quel moment seront produits les résultats de l’audit, à quel moment disposerons-nous d’informations à ce sujet ?

Mme Caroline Abadie. Monsieur le ministre, le Grenelle lancé le « 3/9/19 », a permis de faire connaître le numéro de téléphone 3919 et de dupliquer le Grenelle sur tous les territoires. Nombre de préfets et bien des députés se sont saisis de la question. Nous avons nous-mêmes organisé une table ronde dans l’Isère, à Vienne.

Un point a fait consensus entre tous les acteurs que j'avais réunis – procureur, police, gendarmerie, associations – : celui de constituer ce que vous appelez une « cellule départementale ». Je voudrais m’assurer que nous sommes en phase. S’agit-il bien d’un groupe de travail, hors protocole, qui traitera des dossiers au cas au cas pour aider à la détection et au rassemblement des éléments de preuve ? Cela posera certainement la question du secret professionnel partagé. Si vous envisagiez le dispositif à l'échelle départementale, je me permettrais de vous suggérer plutôt de le faire à l'échelle de l'arrondissement. Si la cellule assume un rôle très opérationnel, on ne peut envisager d'envoyer un procureur de Vienne à Grenoble, les deux villes étant distantes d'une heure trente. Dans un département qui compte 1,6 million d'habitants, prévoir un dispositif départemental unique ne me semble guère opérationnel. Dans les grands départements, je préférerais donc que l'on procède, par déclinaison, à l’échelle de l'arrondissement.

Je voudrais partager avec vous une expérience lancée à l'échelon du ressort de Vienne : l'appartement de l'auteur des violences. Cela répond peut-être à la question de Mme Krini. Un logement a été financé pour les auteurs de violences.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. La prison !

Mme Caroline Abadie. Non, monsieur le ministre, je ne parle pas de la prison de Saint-Quentin-Fallavier ! Au moment de l'ordonnance de protection – et avant toute condamnation, monsieur le ministre ! –, ce logement permet d'éloigner immédiatement l'auteur des violences de son domicile. Plus qu'un logement, le dispositif propose un accompagnement par un travailleur social qui permet aux auteurs de violences d'engager un travail sur eux-mêmes. C’est une prise en charge à 360°degrés. Le Procureur, lors des ordonnances de protection logement, se sert systématiquement de ce logement destiné à l’auteur de violences, ouvert depuis un an.

Mme Olga Givernet. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir d'ores et déjà livré autant de réponses à l'issue du Grenelle des violences conjugales. Vous avez placé en priorité la protection des victimes. Bien des actions sont déjà engagées, mais elles méritent d’être renforcées. Les premières mesures que vous avez évoquées s’inscrivent dans le bon sens.

Les violences conjugales se caractérisent souvent par une escalade de la violence au sein du couple et de la famille. La violence psychologique peut apparaître en premier, suivie par une violence physique ou administrative. Nous avons évoqué à cet égard la rétention des papiers d’identité. Le non-paiement des pensions alimentaires et le chantage aux enfants en sont deux autres.

Dans cette escalade, l'auteur n'est pas réellement inquiété ; la victime est prise en charge mais l’auteur reste isolé et poursuit son emprise, sa domination, voire cette toute‑puissance qui peut aboutir à l'isolement de la victime, laquelle n'ose pas toujours en parler autour d'elle. En d'autres termes, l'isolement nous fait perdre des chances de recueillir des signalements puisqu’un signalement est une occasion d’engager des mesures de prise en charge des victimes et des problématiques. Certaines femmes ne font pas de signalement. Néanmoins, dans leur environnement, des proches, dont ceux de l'auteur des violences, sont très conscients de ces comportements déviants. Pour autant, ils ne les signalent pas, car ils n’ont pas confiance dans les réponses aujourd’hui apportées en amont, dans un cadre préventif, et qui n’assurent pas une bonne prise en charge de l'auteur des violences.

Vous avez parlé des primo-intervenants. Je souhaiterais savoir de quelle sensibilisation bénéficient les forces de l'ordre au cours de leur formation sur le profil des auteurs afin qu’en cas de passage à l’acte avéré, avant leur condamnation, la prise en charge de ces derniers soit assurée dès le début.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Madame Auconie, il est vrai que la génération de policiers cinquantenaires n'a pas bénéficié de formations relatives au recueil de la parole ; toutefois, ne négligeons pas que tous les policiers en fonction à l'accueil ont reçu une formation spécifique à l'accueil. Peut-être convient-il de la renforcer, mais tous les policiers en responsabilité de l'accueil, même si leur formation de policier date d'une vingtaine d'années, recevront une formation spécifique qui prendra en compte l'orientation, le fait d'amener la victime dans un lieu spécifique, le fait de lui proposer, si c'est possible, d'être entendue par une femme plutôt que par un homme… Tout cela fait partie du référentiel de formation dont ils bénéficient et qu'il nous faut encore améliorer. En outre, nous voulons mettre en œuvre, dès l'accueil, un guide d'évaluation du danger qui, par les signaux d'alerte émis, permettrait d'intervenir. Des questions pourraient être posées, qui seraient susceptibles de déboucher sur un niveau d'alerte élevé.

Il faut avoir à l’esprit qu'une victime n’a pas toujours conscience de la gravité de sa situation. Ici, nous avons tous l'expérience, parmi nos proches, d’une situation où une femme battue pense qu'elle a eu tort et cherche à s'excuser. Il est alors absolument indispensable, à ce moment-là, de guider les victimes. Tout le monde doit être formé.

Madame Auconie, vous avez évoqué avec fierté le CHU de Bordeaux et le centre d'accueil d'urgence des victimes d'agression. Vous avez raison, c'est pour nous un modèle. Il existe d'autres hôpitaux qui ont mis en place des outils assez similaires, à Bondy ou à Rouen par exemple. C'est le modèle sur lequel nous voulons travailler. Nous avons confié une mission à l'inspection générale de l'administration, à l'inspection générale des affaires sociales et à l’inspection générale de la justice sur le recueil de la preuve qui est un véritable enjeu. Aujourd'hui, en effet, nous ne sommes pas en capacité de recueillir la preuve sans plainte et de conserver la preuve d’une personne qui, trois mois après le choc, après s’être entretenue avec un proche, un membre d’une association, un parlementaire, le maire, se décide tardivement à déposer une plainte. Aucun magistrat ne peut se prononcer trois mois après les faits en l’absence de preuves. Il est important de travailler sur le recueil et la conservation, pendant une durée raisonnable, qui reste à définir, de la preuve en l’absence de plainte des victimes de violences conjugales. Il faut laisser aux victimes la possibilité de porter plainte plus tard.

Au-delà de cette question de principe, se posent celles, non encore résolues, du financement, de la durée de conservation et du statut des prélèvements. La question n'est pas simple et pour y voir plus clair, nous attendons les résultats de la mission que j’évoquais. Cette demande est liée également aux conventions que nous voulons instaurer pour recueillir la plainte in situ, afin que la victime ne soit pas obligée de se rendre au commissariat ou à la gendarmerie qui pourrait être fermé, contraignant la victime à rentrer chez elle, ce qui constitue la première anomalie du dispositif de protection. Il nous faut travailler sur le sujet.

Monsieur Gouffier-Cha, sous l'impulsion de Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d'État en charge de ce dossier, les Grenelle départementaux doivent se tenir normalement dans tous les départements – certains ont d’ailleurs déjà eu lieu. Le recensement est en cours sur l'ensemble des actions portées par les préfectures et nous présenterons un bilan des Grenelle départementaux le 25 novembre prochain.

Si jamais un préfet prenait l'initiative d'un Grenelle et oubliait d'inviter les parlementaires, de la majorité comme de l'opposition, ce serait une anomalie. Si cela se produisait, n'hésitez pas de me faire passer le message ; je rappellerai alors aux préfets qu'oublier les parlementaires pour débattre de sujets de cette importance est une anomalie. Autant je crains la question du secret dans certains cas, autant les parlementaires ont toute leur place pour évoquer un sujet de politique publique. J’ai été parlementaire et peux le redevenir ; je vous livre donc un discours prévenant !

J'ai rappelé l'importance qui s'attachait au recensement et au bilan dans la circulaire de la semaine dernière sur l'animation des Grenelle.

L'audit ne doit pas s'arrêter. L'objectif chiffré de fin de l'année porte sur 400 gendarmeries ou commissariats et sur 500 femmes. S'arrêter en janvier ne serait pas bon. Je le dis à ceux qui nous écoutent – en qui j'ai toute confiance, mais que j'entends bien contrôler –, nous poursuivrons. Cela dit, un point précis de ce que nous contrôlons pourra avoir lieu à la fin de 2019. Si vous le souhaitez, madame la présidente, vous pouvez entendre les responsables de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale, chargées de ces missions ? Dès lors que l’on ne cite pas de cas nominativement, cela ne devrait poser aucune difficulté.

Monsieur Gouffier-Cha, vous m'avez interrogé sur l'immobilier. Selon moi, la question doit porter sur la gestion de l'accueil dans son ensemble et non se limiter à l'accueil des femmes victimes. Un mineur, une personne ayant fait l’objet de harcèlements, d’insultes homophobes … je ne dresserai pas la liste de tout ce qui relève de l’intime. Un vol de portable ne relève pas de l’intime. On peut éventuellement en parler devant des tiers et déposer une plainte. C’est plus délicat pour d’autres sujets. Aussi, les commissariats, les gendarmeries disposent de locaux adaptés, y compris pour recevoir les mineurs. Cela dit, certains commissariats ou gendarmeries sont en mauvais état et ne proposent pas de réponse adaptée.

En tant que ministre, je visite deux catégories d’établissement : les tout neufs pour les inaugurer et, à l’autre opposé, ceux qui sont dans un état lamentable et pour lesquels on espère que je ferai quelque chose !

Nous portons un plan d’investissement de 900 millions d’euros, le plus important qui ait été proposé par un programme pluriannuel de trois ans. Mais cela reste insuffisant pour mettre l’ensemble des locaux à niveau, y compris les logements de la police et de la gendarmerie qui sont corrélés. Je compte sur vous pour soutenir le ministère de l’Intérieur lors des prochaines arbitrages de la fin de l’année 2020.

Madame Taurine, vous souhaitez savoir combien de personnels et combien de crédits sont affectés à la lutte contre ces violences. Je ne comprends pas votre question sur le fond, car il ne faut pas construire de politiques par délit, même s’il convient de les adapter par délit.

En revanche, sur les violences familiales, nous avons procédé à cette évaluation à travers les différents dispositifs évoqués précédemment. Le Premier ministre a fait le choix de ne pas chiffrer notre engagement, considérant qu’il ne s’agissait pas d’une approche comptable. Cela dit, il m’appartient également de vous rendre des comptes sur le plan de l’exécution budgétaire. Nous avons donc chiffré notre engagement financier portant sur les violences conjugales. Nous avons pris en compte les brigades de protection de la famille, les correspondants départementaux et locaux d’aide aux victimes, les référents « violences conjugales », les psychologues, les officiers adjoints de prévention qui sont les correspondants départementaux ou territoriaux de la gendarmerie nationale, les brigades de prévention de la délinquance, notamment juvénile. Nous avons également pris en compte des outils, tels que le portail de signalement des violences sexuelles et les crédits mobilisés au titre du fonds interministériel de prévention de la délinquance au cours d’une année. Pour 2019, notre engagement s’élève à 230 millions d'euros. Cela n’a toutefois pas grande signification. Votre question est pertinente, mais, en soi, que représentent 230 millions d'euros ? Ce qui compte c'est d'avoir la bonne personne au bon endroit. L’engagement n’en reste pas moins majeur. L’intérêt réside dans la mesure de l'évolution de la violence. Elle est forte, ce qui n'est pas une bonne nouvelle. Nous sommes confrontés à un phénomène grave, notamment aux violences infra-familiales, dont les violences faites aux femmes.

Concernant la ventilation des différents intervenants sociaux, il y a 172 intervenants pour la police nationale, et 137 pour la gendarmerie nationale, qui eux-mêmes alimentent un réseau.

Madame Abadie vous m’avez questionné sur les cellules départementales. Selon l’adage protestant bien connu, on avance en marchant – je rappelle que je suis aussi le ministre en charge des cultes ! Je serai très pragmatique. Selon moi, l'idéal serait d’institutionnaliser les cellules pour leur donner une épaisseur car tel n'est pas le cas aujourd’hui. Je vous donne lecture de ce que j'ai écrit au préfet la semaine dernière : « Ces cellules devront réunir, outre les forces de police et de gendarmerie, les acteurs que vous jugerez utiles et pertinents». Ce n’est pas très clair, mais je fais confiance aux préfets ! J’ai précisé qu’ils le feraient  «  en fonction des problématiques rencontrées, des réalités locales (représentants du conseil départemental, directeur départemental des finances publiques, directeur académique des services de l'éducation nationale, bailleurs sociaux, association …) [et qu’ils pourraient se] rapprocher des procureurs qui le souhaitent »< ; C’est là une formule de politesse du ministre de l'Intérieur qui veille à ne pas empiéter sur les prérogatives de Mme la Garde des Sceaux !

Il s’agit donc d’une invitation à se rapprocher des procureurs. À certains endroits, cela se fait sans difficulté. Nous travaillons actuellement avec la Garde des Sceaux à ce sujet car j’’ai présenté cette proposition au dernier moment et nous n’avons pas eu le temps de l’étudier en profondeur. Elle est donc en cours d’étude. Peut-être sera-t-elle portée par les deux ministères. À noter que le format changera un peu.

J’invite les préfets à veiller à la régularité de leurs travaux et à la possibilité de déclencher une réunion exceptionnelle à tout moment, sur alerte des services de police ou de gendarmerie.

Vous suggérez que l'organisation se fasse à un échelon plus déconcentré. Peut-être aurais-je dû préciser dans la circulaire que cela était sans importance pourvu que cela fonctionne ! : Il est vrai que le ministre de l’Intérieur ne peut écrire cela dans une circulaire, mais quand je réunis les préfets toutes les cinq ou six semaines, mon vocabulaire est plutôt du registre de l'efficacité et je suis prêt à tenir exactement ces propos : « Faites un peu comme vous voulez, mais je veux que cela marche ! ». De ce fait, je reprends volontiers votre proposition !

La question sur le logement de l'auteur d’actes de violence rejoint la question de Sonia Krimi et celles abordées pendant le Grenelle. La double peine est insupportable : la double peine est celle qui contraint la victime à quitter le domicile conjugal, alors même qu'il est conjugal et qu’il appartient donc aux deux membres du couple, dont l’un est une victime et l’autre l’auteur des violences. Il est important de le dire.

Mme Givernet a constaté un ensemble de violences. Oui, ne pas payer la pension est une violence, c'est une violence et un moyen de pression. À cet ensemble de violences, il nous faut trouver des réponses adaptées.

Sur le sujet des pensions, le Gouvernement s’est engagé à instaurer des dispositifs avec vous. Il convient de réfléchir à ces questions comme à toutes les mesures qui ne relèvent pas du ministère de l'Intérieur et traiter tous les sujets qui empêchent notamment le départ de la victime. Ils sont sociaux, relèvent de l'image, parfois des enfermements que la victime s’impose, par exemple liés à un choix religieux. Lever l’ensemble de ces éléments de contrainte est une nécessité. Les valeurs de la République sont celles de la liberté, qui ne doit pas être entravée par de tels obstacles. Mon propos est général, il est généreux ; la situation est compliquée mais il faut les balayer un par un pour avancer.

Cela m’amène à vous dire que votre affirmation sur la conscience du comportement violent de l'auteur par les proches n’est pas toujours vraie. Trop souvent, ils refusent de voir la vérité, ne l'entendent pas, la nient, l’édulcorent. Le proche vers qui on se tourne, au fond, enferme un peu plus parce qu'il nie, parce que « le bonhomme » est si sympathique et si drôle dans les dîners de famille que l'on ne soupçonne pas qu'il soit ainsi. Or, il est ainsi. C’est un message que nous devons porter politiquement, que nous devons porter collectivement parce que ces barrières conduisent à l'interdit de la dénonciation. Si je ne dénonce pas, je ne protège pas la victime. La dénonciation doit être systématique. Nous sommes hélas insuffisamment entendus, mais je vous le dis : celui qui se tait est responsable. Si nos policiers et nos gendarmes ont une responsabilité, la responsabilité première est celle des auteurs et de ceux qui se taisent. Je le dis parce que, à force de le répéter, peut-être mon propos sera-t-il entendu, y compris par le journal Le Monde. J’ai en effet trouvé insupportable le titre d'un article la semaine dernière : Féminicide : la police devant ses responsabilités. Ce titre déresponsabilise totalement l'auteur des violences. Si la police est responsable, elle n'est pas l'auteur. Ensuite, c’est laisser penser que la police serait défaillante. Elle peut l'être, elle l’est parfois, parce qu'elle est incarnée par des femmes, des hommes qui, à un moment donné, n’ont pas le bon réflexe, qui sont fatigués, comme vous, comme moi, et peuvent ne pas avoir la bonne réaction au bon moment. Mais, globalement, la police est à la hauteur.

Un titre de presse comme celui que j’évoque, qui reporte la responsabilité sur la police, se trompe profondément et contribue à la déresponsabilisation des auteurs et de ceux qui savent et qui doivent réagir.

J’ajouterai enfin que s’il y a des femmes victimes de violences, il y a aussi des hommes victimes de violences. C’est ainsi que, parmi les personnes tuées infra-familialement, 28 hommes l’ont été l’an dernier. Il peut arriver, certes, que ce soit des cas de légitime défense, ce qui modifie quelque peu la situation. Mais je ne suis pas Garde des Sceaux et ne veux pas me prononcer. Je me contente de vous livrer cette information. Même si, pour des raisons diverses, les proportions de victimes entre les hommes et les femmes ne sont pas les mêmes, il ne m'appartient pas de me prononcer, mais sachez que des hommes sont également victimes de cet enfermement psychologique qui peut conduire à des gestes redoutables.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Les violences conjugales ne sont pas uniquement le fait de familles ou de couples hétérosexuels. Ce type de violences a lieu malheureusement dans toutes les configurations familiales et dans tous les couples.

Monsieur le ministre, je vous remercie de l'ensemble des éléments que vous nous avez apportés. Vous avez tenu à être extrêmement précis dans vos réponses, ce qui est précieux pour la Délégation.

Je note également le montant de l’engagement financier de votre ministère sur ce sujet. C'est important, au vu notamment des éléments que l'on peut entendre. Rappelons qu’un montant 230 millions d’euros par an revient à dépasser le milliard en cinq ans.

Je ne doute pas que ce Grenelle sera une réussite. Il est la concrétisation de l'engagement du Gouvernement.

Rappelons que nous avons assisté à un événement fort inédit la semaine dernière : nous avons vu un Premier ministre qui a eu des mots extrêmement forts, à la fois sur le machisme oules mécanismes des violences conjugales, et qui a tenu ces propos entouré d'un grand nombre de ministres.

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous auditionnerons Mme la Garde des Sceaux le 18 septembre, à 17 heures 30, et que nous organiserons une table ronde avec plusieurs associations le 25 septembre, de 15 heures à 17 heures, en salle Lamartine. Si vous souhaitez convier des associations, elles sont les bienvenues.

Nous auditionnerons Julien Denormandie sur la question cruciale de l'hébergement des femmes victimes de violences conjugales, mais également des auteurs, le mercredi 2 octobre de 14 heures 30 à 16 heures.

Le 9 octobre, de 15 à 17 heures, nous organiserons une table ronde avec les professionnels de santé et les 16 et 23 octobre deux déplacements : l’un à la plateforme ministérielle de Guyancourt, l'autre à la plateforme du 3919. Ces travaux se concluront par l’audition de Marlène Schiappa durant laquelle nous lui présenterons le Livre blanc sur lequel nous aurons collectivement travaillé.

II.   Audition de la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, du 18 septembre 2019

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, avant d’entendre Mme la ministre, il nous faut procéder à la désignation de deux rapporteurs. Pour être rapporteure du projet de loi de finances pour 2020, j’ai reçu la candidature de Mme Isabelle Rauch ; pour être rapporteure de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants et de la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes, j’ai reçu la candidature de Mme Fiona Lazaar. Je constate que ces propositions recueillent votre assentiment. Il en est donc ainsi décidé.

Je suis ravie d'accueillir Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, à l’occasion du travail mené par la délégation aux droits des femmes en parallèle du Grenelle des violences conjugales lancé le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa au côté du Premier ministre Édouard Philippe. Je tiens d’ailleurs à vous remercier, madame la ministre, pour la rapidité avec laquelle nous avons pu organiser cette audition, rapidité qui traduit la forte mobilisation du Gouvernement dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Prévenir, protéger, prendre en charge et punir : tels sont les grands axes du travail du Grenelle qui nous mobilise toutes et tous aujourd’hui. Tous ceux qui œuvrent auprès des femmes victimes de violences conjugales font en effet le même constat : malgré les plans successifs, des dysfonctionnements demeurent d'un bout à l'autre de la chaîne judiciaire. C'est pourquoi il nous faut sans plus tarder remédier aux carences d'un système qui peine à protéger les femmes et à entendre leur parole.

L'immixtion de la justice pénale dans la sphère privée du couple aux fins de protéger l'un de la tyrannie de l'autre est le fruit d'un long cheminement historique. Les pouvoirs publics et le corps judiciaire ont mis du temps, trop de temps à comprendre qu’il était nécessaire d'intervenir dans des situations de crise conjugale. Tout ce qui se passait au sein du couple a longtemps été renvoyé à l'autorité maritale qui soumettait la femme à son époux. Si l'arrêt Boisboeuf de la Cour de cassation entérine la compétence de la justice pénale en matière de violences conjugales en 1825, elles sont restées une simple qualification juridique, circonstance aggravante des homicides et des violences privées en général. Aujourd'hui, et depuis 1994, elles sont considérées aux termes de l’article 222–13 du code pénal comme un délit et passibles au minimum de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Malgré cette disposition, en 2019, un décompte macabre rythme toujours notre actualité : celui du nombre de femmes mortes sous les coups de leur compagnon. En ce 18 septembre, elles sont déjà 106, soit malheureusement quatre victimes de plus que la semaine dernière lorsque nous entendions le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.

Le terme de féminicide, qui est enfin entré dans le langage courant, désigne le crime d'un homme qui refuse d'admettre que sa femme est libre de rompre les liens conjugaux et de mener sa vie en toute autonomie. Ce décompte, aussi funèbre soit-il, aura au moins permis de briser le silence autour des violences conjugales, de pointer du doigt des agissements séculaires dont la société ne veut plus.

Ces chiffres que nous connaissons trop bien ne fléchissent cependant pas. C’est pouquoi il nous faut, en tant que législateur et aux côtés du Gouvernement, donner une dimension politique à cette réalité vécue par des millions de femmes, organiser une réponse de la puissance publique à ces violences conjugales.

À présent que nous savons pourquoi l'autorité judiciaire n'a pas su entendre ces femmes ni les prendre suffisamment au sérieux, il nous faut protéger celles qui ont dénoncé les agissements de leur conjoint, organiser les conditions de leur émancipation d'une emprise morale et physique, leur permettre de s'échapper, de construire une nouvelle vie sans la peur de voir l'autre surgir et les priver de liberté. À cette fin, la justice doit aller plus vite, sûrement mieux se saisir des moyens déjà à sa disposition et intégrer les outils qui ont fait leurs preuves ailleurs.

Je me réjouis que le Parlement se mobilise au travers de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale sur ce sujet. Nous remettrons prochainement à Marlène Schiappa un Livre blanc sur cette question comprenant des recommandations à la hauteur de la gravité de la situation. C’est dans ce cadre que nous procédons à l’audition de plusieurs ministres : nous avons entendu le ministre de l’Intérieur la semaine dernière, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui la Garde des Sceaux et nous recevrons prochainement M. Julien Denormandie pour aborder la question du logement.

Sans plus tarder, Mme la ministre, je vous cède la parole.

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mesdames, messieurs les députés, notre rencontre intervient peu de temps apès un féminicide particulièrement marquant qui a eu lieu au Havre, et avant l’occurrence duquel la victime avait déposé une plainte restée sans suite. Ce drame illustre comment les difficultés rencontrées dans le traitement des violences conjugales peuvent créer des interstices dans les réponses apportées, menant ainsi à une issue tragique. Je ne veux pas ici incriminer tel ou tel personnel, qu’il s’agisse de la police ou de la justice. J’insiste au contraire sur la nécessité de resserrer, ensemble – police, gendarmerie, justice, associations –, les mailles du filet pour aboutir à une solution relativement satisfaisante. Nous devons tous à la fois aiguiser notre vigilance et, surtout, améliorer nos pratiques. En tant qu’acteur de la lutte contre les violences faites aux femmes, il appartient donc à la justice de se mobiliser en la matière.

À cet égard, j’aimerais préciser trois points. Premièrement, des annonces importantes ont été faites par M. le Premier ministre à l'ouverture du Grenelle. Parmi celles qui concernent le ministère de la justice, trois me paraissent particulièrement importantes. La première est la mise en place d’un bracelet anti-rapprochement pour les auteurs de violences conjugales. La deuxième est de s’appuyer sur une procédure de traitement judiciaire plus proactive en expérimentant dans certains tribunaux de grande instance pilotes, à l’instar de ce qui se fait à Créteil aujourd’hui, des « chambres de l'urgence ». La troisième mesure doit permettre de remettre en cause les attributs de l’autorité parentale du parent violent. L’exercice de l’autorité parentale serait notamment suspendu de plein droit en cas de poursuite pour homicide volontaire commis à l’encontre de l’autre parent. Ces trois mesures sont emblématiques d’un travail qui doit encore être finalisé.

Plus large et plus ambitieux, le plan d’action du ministère de la justice se décline au-delà des dispositifs du Grenelle en dix mesures phares. Ces actions sont le fruit d’une politique volontariste conduite depuis plusieurs mois par le ministère. Le 9 mai dernier, une circulaire relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes a été publiée à l’attention des procureurs de la République et des procureurs généraux. Je rappelle dans ce document qu’il s’agit d’une priorité nationale de politique pénale et leur donne instruction d’utiliser toute la gamme des outils à leur disposition. J’y exprime mon souhait que soit développé le recours à l’ordonnance de protection, un dispositif efficace malheureusement insuffisamment prononcé et trop rarement demandé, tant par les avocats que par les procureurs. J'incite en particulier ces derniers à solliciter de leur propre initiative le juge aux affaires familiales pour qu’une telle ordonnance soit délivrée dans les cas où ni la victime ni son avocat n’en ferait la demande.

Parce que la violence au sein du couple comporte certaines spécificités, et que des mécanismes psychologiques - comme l'emprise - n'ont été clairement identifiés et définis que récemment, j'ai également souhaité renforcer l'offre de formation des magistrats. De nouvelles formations ont été ouvertes en collaboration avec l’École de la magistrature non seulement aux magistrats, mais aussi aux personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), aux officiers de police judiciaire, aux avocats et aux associations sur l’ensemble du territoire national. Il se trouve que j’ai rencontré hier soir une magistrate expérimentée qui venait de suivre une de ces formations ; elle m’a dit l’avoir trouvée extrêmement utile et intéressante.

Dans la même circulaire, j’ai souhaité que soit augmenté le nombre de téléphones grave danger (TGD) et que leurs critères d’attribution soient assouplis. Parce que cet outil de protection s’est avéré efficace, il convient en effet d’en élargir le déploiement.

Enfin, j’ai souhaité que les dossiers d’homicides conjugaux, de féminicides, suivis entre 2014 et 2016 et définitivement jugés à ce jour soient étudiés, analysés de sorte qu’on identifie les failles systémiques qui, dans la prise en charge des personnes ayant fait savoir qu’elles subissaient des violences, n'ont pas permis de prévenir un dénouement tragique. Voilà quelques exemples du plan d’action qui se déploie au sein du ministère de la justice.

Enfin, et c’est le dernier point que j’aimerais aborder avant vos questions, je crois profondément que nous devons faire évoluer nos méthodes de travail et nos pratiques. Il me paraît essentiel, fondamental que nous parvenions à mieux travailler ensemble, c’est-à-dire à mettre en place là où c’est le plus pertinent une procéduralisation de la prise en charge des victimes de violences conjugales. Comment une femme est-elle prise en charge lorsqu’elle se rend dans une association, à l’hôpital, ou chez un avocat ? Quelle procédure faut-il enclencher pour éviter les failles, les blancs, les interstices ? Il est capital de décloisonner le travail des institutions et des services compétents dans ces dossiers. C’est de la sorte que nous pourrons, je l’espère, améliorer la situation.

Je constate en effet qu’à certains endroits, les juges aux affaires familiales, les procureurs, les juges des enfants travaillent « en silo », alors que les dossiers traités requerraient une symbiose entre les acteurs, ce qui est d’ailleurs déjà leur façon de faire dans d’autres domaines. De plus en plus d’initiatives visant la mise en commun, le travail en symbiose apparaissent sur notre territoire, comme à Lyon, où c’est véritablement l’état d’esprit du procureur général et des procureurs. Afin de généraliser cette approche, nous allons, à partir des expérimentations positives, mettre à disposition sur notre site internet un guide des bonnes pratiques de traitement des situations en urgence au sein des juridictions et avec les autres partenaires.

Tous les services de l’État sont mobilisés dans la lutte contre les violences conjugales, mais notre discours devant la représentation nationale se doit d’être responsable : le risque zéro n'existe pas, et je ne peux devant vous promettre l'éradication totale des féminicides. Je vous assure en revanche que les acteurs du ministère de la Justice sont animés d’une volonté farouche pour mieux travailler avec nos premiers partenaires que sont la police et la gendarmerie et avec le monde associatif, sans lequel nous ne pouvons rien faire. C’est à partir de cette action coordonnée que nous pourrons formuler des propositions très concrètes et très pertinentes.

En conclusion, je tenais à vous informer que l’un des dix groupes de travail dont la création a été annoncée le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa, le groupe de travail « justice », a été constitué hier et s’est réuni pour la première fois. Les échanges au cours de cette réunion à laquelle j’ai participé étaient extrêmement riches et quelques idées concrètes ont d’ores et déjà émergé, notamment de la part d’associations et de magistrats ; c’est précisément ce qui me paraît utile et intéressant.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je vous remercie de ce propos engagé et, nous n’en doutons pas, extrêmement sincère, madame la ministre. Cette mobilisation est une bonne nouvelle pour la lutte contre les violences faites aux femmes.

Avant de laisser la parole à mes collègues, je souhaiterais vous interroger sur trois points. Le premier, vous l’avez évoqué, est la question centrale de la formation des professionnels de la justice. Vous avez souhaité renforcer cette formation par une action très volontariste. Marlène Schiappa avait d’ailleurs fait état de l’installation d'un groupe de travail commun aux ministères de l’Intérieur et de la Justice visant à mettre en place ces formations à l’échelle locale pour les enquêteurs et les magistrats. Quel est l’état d’avancement de ces travaux ? La Délégation pourrait-elle être destinataire des conclusions de ce groupe de travail ?

Le deuxième point sur lequel je souhaite vous interroger est l'accueil des victimes, en particulier dans la facilitation du dépôt de plainte car, comme vous le savez, un certain nombre d’entre elles sont encore refusées. Pourriez-vous nous présenter les outils mis en place aujourd’hui pour articuler le dépôt de plainte et la lutte contre les violences conjugales ? C’est en effet précisément au moment du dépôt de plainte que les femmes sont les plus vulnérables et qu’elles ont le plus besoin d’être accompagnées.

Enfin, vous avez mentionné le téléphone grave danger et l'ordonnance de protection, deux dispositifs insuffisamment utilisés et sollicités de manière extrêmement inégale sur le territoire. Comment élargir et uniformiser le recours à ces deux outils ? Auriez-vous des éléments chiffrés permettant d’évaluer leur efficacité et de mesurer le nombre de vies sauvées ?

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur le premier point, c’est-à-dire la formation, il me paraît important de souligner que nous avons déjà travaillé au sein du ministère de la Justice. Nous avons élaboré des journées de formation déconcentrée qui s’appuient sur un kit facile à utiliser et que les magistrats peuvent suivre sur l’ensemble du territoire, dans chaque ressort de tribunal. Cette facilité permet de toucher un nombre plus grand de professionnels ; il est plus difficile en effet de se rendre dans les centres de l’École de la magistrature à Paris ou à Bordeaux. Le kit comporte un volet sur la nature des violences conjugales – les violences physiques ou psychologiques, le phénomène d’emprise – et des fiches réflexes contenant des éléments concrets permettant d’adapter sa pratique professionnelle.

J’ai apporté ici plusieurs exemples de ces fiches pour que vous puissiez en prendre connaissance : éléments fondamentaux, parquet, juge aux affaires familiales, juge d’application des peines, juge des enfants, évaluation du danger. Ces fiches ne se résument pas à un simple recto verso : elles contiennent des données extrêmement précises et constituent de véritables guides de pratique professionnelle pour chaque situation rencontrée par les magistrats. Par exemple, dans la fiche réflexe « juge aux affaires familiales », le premier point est intitulé « savoir comment détecter et aborder les situations de danger », le deuxième « avoir une attitude adaptée lors de l’audience », le troisième « utiliser au mieux les outils de la loi pour protéger les victimes » ; et, sous chaque chapeau, les outils sont très détaillés.

Des éléments nouveaux ont également été introduits dans la formation initiale. Enfin, dans le cadre de la formation obligatoire continue des magistrats, les sessions intervenant à chaque changement de fonction ‑ en théorie tous les trois ou quatre ans, en pratique tous les deux ans ‑ comporteront un volet sur la lutte contre les violences au sein du couple.

Vous avez évoqué le groupe de travail commun aux ministères de la Justice et de l’Intérieur, qui est aujourd’hui à l’œuvre. Nous pourrons vous en adresser les conclusions.

Vous m’avez interrogée sur l’accueil des victimes et sur les refus de plaintes. Si ces situations existent bel et bien, elles sont juridiquement impossibles : l’obligation pour les officiers de police judiciaire de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale figure à l’article 15-3 du code de procédure pénale. Telle n’est malheureusement pas la réalité ; aussi ai-je rappelé à de nombreuses reprises à quel point il était important que ces plaintes puissent être reçues.

M. Castaner a dû vous présenter d’autres outils au service de l’écoute des victimes. Ils ne sont pas encore mis en place sur l’ensemble du territoire, mais des dispositions sont néanmoins prises pour que l’écoute des victimes soit effectuée dans des conditions particulières.

Pour ce qui concerne le ministère de la Justice, nous avons prévu que le dépôt de plainte puisse être effectué dans le cadre des unités médico-judiciaires. J’étais récemment à Bayonne dans un service hospitalier de prise en charge des victimes. Si une femme accepte de porter plainte, les procédures sont formalisées pour qu’une personne vienne recueillir sa plainte au sein de l’unité hospitalière. Ce système doit être déployé partout.

Enfin, des plateformes numériques permettent pour l’instant de déposer des pré-plaintes en ligne. J’ai pu voir comment fonctionne une de ces plateformes : les personnes commencent à échanger avec un officier de police ou de gendarmerie formé pour amener les femmes à parler et les inciter à porter plainte. Cela se fait parfois à plusieurs reprises, des systèmes automatiques d’effacement des conversations sur internet étant prévus. La loi de réforme de la justice que vous avez votée va nous permettre de transformer ces plateformes de pré-plainte en ligne en plateformes de plainte en ligne ; nous travaillons d’arrache-pied avec le ministère de l’Intérieur pour qu’elles soient très rapidement opérationnelles.

Enfin, lorsque des magistrats ou des procureurs reçoivent des plaintes, des dispositifs prévoient immédiatement une mise en relation des victimes, opérée par le ministère de la Justice, avec des associations.

Certaines de ces procédures sont déjà généralisées tandis que d’autres, comme celle que je viens de mentionner, doivent encore l’être.

Je n’ai pas d’éléments chiffrés permettant d’affirmer que le téléphone grave danger et les ordonnances de protection ont permis d’éviter un nombre donné de féminicides. Je peux toutefois vous dire que la circulaire du 9 mai incite les procureurs à se saisir des dispositifs d’ordonnances de protection et des TGD pour les utiliser beaucoup plus largement. Nous avons assoupli les conditions d’attribution des TGD, et depuis cette circulaire, le nombre de téléphones à la disposition des juridictions et mis en service pour les victimes s’est accru. Les TGD sont des téléphones similaires à tous les autres, équipés d’un petit bouton sur le côté permettant d’alerter immédiatement les services de police ou de gendarmerie. Les services de police ou de gendarmerie se déplacent immédiatement en cas d’appel. Ce n’est pas le cas avec les bracelets anti-rapprochement : quand le dispositif se déclenche, quelqu’un prend contact avec la personne qui le porte, mais sans qu’un déplacement soit immédiatement décidé.

Je n’ai pas de données chiffrées pour déterminer le surcroît de protection que ces dispositifs ont permis, d’ailleurs je ne sais pas s’il est possible de le savoir, mais nous pourrons réfléchir à des critères d’évaluation tels que ceux que vous suggérez.

Mme Fiona Lazaar. Notre Délégation a décidé de se saisir de deux propositions de loi portant sur les violences conjugales qui seront examinées dans l’hémicycle au début du mois d’octobre.

Compte tenu de l’importance cruciale de ce sujet, cette saisine est apparue comme une évidence et il me semble que cette discussion législative sera une occasion supplémentaire pour faire avancer la lutte contre les violences conjugales qui sont, comme le rappelait la présidente de la Délégation, une réalité omniprésente et parfaitement insupportable. La France doit devenir un modèle en matière de lutte contre les violences conjugales et nous devons progresser dès maintenant et rapidement pour éradiquer ces violences. Le travail mené par le Gouvernement, par notre Délégation et par l’ensemble des acteurs impliqués dans le cadre du Grenelle des violences conjugales doit être l’occasion de parler de toutes les victimes et de lutter contre toutes les formes de violence qui existent. Ces violences sont diverses et nous ne devons pas oublier les violences administratives, les violences psychologiques ou encore les violences économiques. Ces violences concernent toutes les femmes, sur tout le territoire, dans tous milieux et à tous les âges. Nous ne devons en effet pas oublier les violences à l’encontre des femmes séniores ou encore des femmes handicapées, par exemple.

Pour lutter contre ces violences et surtout pour protéger les victimes, nous disposons déjà d’un arsenal législatif et d’outils tout à fait pertinents qu’il faut utiliser à leur plein potentiel. Nous avons aujourd’hui deux priorités : faire fonctionner l’existant et compléter l’arsenal si cela s’avérait nécessaire.

Je souhaite vous interroger sur trois points : s’agissant de l’existant, l’outil des ordonnances de protection semble aujourd’hui sous-exploité sur l’ensemble du territoire national. J’aimerais savoir si la circulaire que vous avez adressée aux différentes instances a commencé à produire ses effets et comment nous pourrions encore améliorer le recours à cet outil particulièrement utile.

Pour compléter l’arsenal existant, le bracelet anti-rapprochement est expérimenté depuis plusieurs mois dans le département du Val‑d’Oise. Il est aujourd’hui au cœur des revendications des associations de terrain et accompagne les femmes victimes de violences. Votre ministère a-t-il eu des retours concrets sur l’utilisation de ce type de dispositif à l’étranger – je pense en particulier à l’Espagne – et pensez-vous que nous serons capables de mettre en place très rapidement ce dispositif qui permettra de sauver des vies ?

J’aimerais enfin vous interroger sur les autres victimes des violences conjugales que sont les enfants. Pouvez-vous nous rappeler ce qui existe pour protéger les enfants au cours des procédures judiciaires liées à des violences conjugales et quels dispositifs existent pour protéger les mères durant l’exercice du droit de visite des pères ? Quelles sont selon vous les améliorations que nous pourrions envisager dans ce domaine ?

M. Philippe Dunoyer. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur trois points.

La Nouvelle-Calédonie connaît une spécificité en matière de droit civil, puisque la population est répartie entre deux statuts. Cette particularité a pu imposer aux victimes d’agressions sexuelles de supporter un traitement judiciaire plus long, et parfois insurmontable, car les procédures au civil et au pénal pouvaient être disjointes. Ce problème est réglé depuis trois ans, c’est très récent.

Votre connaissance de la situation calédonienne est réelle, puisque vous nous avez aidés à mettre en place les travaux d’intérêt général coutumiers. Lorsque l’autorité parentale devra être revue, et j’y suis favorable si un homme est coupable d’agression à l’égard de son épouse, faudra-t-il prendre en compte la coexistence de ces deux statuts, sachant qu’une partie des femmes sous le statut du droit coutumier risque de ne pas bénéficier des dispositions du droit national ?

S’agissant du TGD, le Premier ministre a rappelé dans son discours d’ouverture du Grenelle des violences conjugales que 12 500 alertes avaient été données en 2018, mais pas une seule en Nouvelle-Calédonie, puisqu’il n’y a pas de téléphone grave danger sur le territoire. Les difficultés techniques qui empêchaient leur déploiement ont été résolues, pourriez-vous nous indiquer si le procureur et les juridictions de Nouvelle-Calédonie seront dotés de ces appareils puisque notre territoire est malheureusement très atteint par le phénomène des violences conjugales ?

Enfin à propos de la généralisation du dépôt de plainte à l’hôpital, et au-delà des expérimentations menées à Bordeaux et dans quelques CHU, il existe des situations intermédiaires avant le dépôt de plainte classique, permettant de recueillir et conserver des preuves pendant un certain temps. Dans le cadre de la généralisation du dépôt de plainte à l’hôpital, le Gouvernement envisage-t-il de systématiser ce recueil de preuves lorsqu’une femme se rend à l’hôpital pour des raisons évidentes, mais n’est pas encore prête à porter plainte ?

Mme Bérangère Couillard. Le Premier ministre a rappelé lors de l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales que la situation d’une femme qui se rend aux urgences pour coups et blessures est suffisamment pénible, et que, si elle doit retourner chez elle avant de porter plainte, elle y retrouvera son conjoint qui risque de la menacer.

Porter plainte à l’hôpital est donc une mesure d’urgence qui doit être généralisée sur l’ensemble du territoire. Chaque année, 200 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint, il faut impérativement les aider.

Je salue donc l’intention du Gouvernement de généraliser cette mesure, mais ce dépôt de plainte doit pouvoir s’effectuer dans de bonnes conditions, dans un local à l’abri des regards, avec des policiers formés. Le déploiement sur tout le territoire devrait intervenir après une réflexion opérée à partir des expériences déjà acquises en la matière, notamment au centre d’accueil en urgence de victimes d’agression (CAUVA) au sein du CHU de Bordeaux. J’ai eu l’occasion de visiter à plusieurs reprises ce centre, qui accueille plus de 4 000 victimes chaque année, et notre Délégation s’y est également rendue. Les femmes peuvent y bénéficier d’une prise en charge médicale, psychologique, médico-légale et juridique, et y entamer les premières démarches d’un dépôt de plainte. Il est essentiel de prendre exemple de ces pratiques, c’est pourquoi je souhaite connaître votre avis sur la mise en place de ces centres dans les établissements de santé.

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Lazaar, la première de vos trois questions porte sur les ordonnances de protection, que vous souhaitez voir plus fréquemment mises en œuvre. C’est un point sur lequel j’ai beaucoup insisté dans la circulaire du 9 mai. Je n’ai pas aujourd’hui de statistiques sur l’augmentation du recours à ces ordonnances, il faut un petit temps d’organisation et les données dont je dispose ne portent que sur le premier trimestre 2019. Lorsque je me rends sur le terrain, j’ai le sentiment que les choses sont en train de bouger et qu’une prise de conscience est en cours suite à l’ensemble des dénonciations qui ont eu lieu. Mais il est vrai que nous sommes en retard par rapport à l’Espagne, où plus de 30 000 ordonnances de protection sont délivrées, puisque nous n’atteignons même pas 10 % de ce chiffre. En 2018, les juges aux affaires familiales ont été saisis de plus de 3 332 demandes de protection et plus de 600 demandes ne sont pas allées au terme de la procédure. Seules 2 703 décisions ont ainsi été rendues. Nous sommes donc très en deçà de ce qu’il est possible de faire ; je souhaite que ces chiffres soient améliorés.

Concernant le bracelet anti-rapprochement, vous avez évoqué la demande d’expérimentation qui était très soutenue à Pontoise. J’étais sur le point de la lancer, je m’étais rendue à Pontoise et j’avais trouvé que la présidente du tribunal et les acteurs impliqués étaient très engagés. Des start-ups proposaient même le bracelet et j’étais décidée à le faire. C’est lors de la réunion que j’ai organisée dans mon bureau pour demander à mes services de lancer l’expérimentation que l’on m’a expliqué que cette expérimentation est vouée à l’échec car les critères d’attribution de ces bracelets sont trop fermés. Nous avons donc décidé de changer de méthode et de modifier les critères avant de généraliser le dispositif sans en passer par l’expérimentation. C’est la raison pour laquelle nous allons nous saisir des propositions de loi qui ont été déposées par MM. Gouffier-Cha, Vuilletet, Pradié et par Mme Boyer, pour travailler à une solution cohérente qui réponde à cette exigence.

Je souhaite me rendre en  Espagne; Isabelle Rome, la haute fonctionnaire à l’égalité entre les femmes et les hommes du ministère, qui fait un travail remarquable, s’y est déjà rendue. Suite à de nombreuses rencontres avec les magistrats en charge des violences conjugales et professionnelles, elle a constaté que les résultats sont très intéressants. Près de 39 000 ordonnances de protection ont été prises en 2018, avec des résultats très probants. Le système du bracelet espagnol, qui s’appelle Cometa, permet par ailleurs de réduire drastiquement le nombre de féminicides : il y en a eu moins de cinquante en 2018.

La question du traitement des enfants est majeure, comme le rappelle le cas que nous avons récemment connu au Havre. Qu’ils soient témoins du féminicide ou des violences, leurs traumatismes sont sûrement très difficiles à résoudre. Il est essentiel de construire un schéma de prise en charge médicale et juridique de ces enfants. Nous avons appelé l’attention des parquets sur la mise sous protection des enfants dans la circulaire du 9 mai. Certains parquets ont construit des dispositifs précis, prévoyant des protocoles de prise en charge immédiate de ces enfants et une évaluation en urgence. Elle se fait parfois de manière complètement isolée du contexte familial, pour que, dans un moment très douloureux, l’évaluation soit la plus objective possible. À Lyon, un protocole a été élaboré entre le parquet et l’hôpital, avec une médecin qui a beaucoup travaillé sur le traumatisme des victimes de violences, donc des enfants. Elle nous expliquait qu’il fallait couper complètement l’enfant de sa famille pendant deux ou trois jours pour mesurer l’étendue du traumatisme de ces enfants. Nous pourrions généraliser ces protocoles, mais il faut que nous l’envisagions en lien avec ma collègue ministre de la Santé. C’est après cette évaluation médico-psychologique que l’on peut décider du meilleur placement possible pour l’enfant qui vient de perdre, d’une part, sa mère et, d’autre part, en raison de sa condamnation, le compagnon de cette dernière, qui peut être son père. Nous devons nous atteler à ce chantier, beaucoup d’évolutions positives peuvent être apportées.

Monsieur Dunoyer, je pense effectivement qu’il est nécessaire de prendre en compte la spécificité des territoires ultramarins, Nouvelle-Calédonie ou Polynésie, la singularité des territoires et des aspects culturels ne pouvant être méconnue.

Je porte une attention particulière au statut coutumier : nous avons en effet mis en œuvre les travaux d’intérêt général coutumiers et je propose de travailler avec vous à la prise en compte de ces spécificités. Votre question nous ramène à la concrétisation de toutes les décisions que nous prenons. C’est vital car les textes juridiques ne sont pas suffisants à eux seuls.

Je prends acte de la résolution des difficultés techniques qui empêchaient le déploiement des TGD en Nouvelle-Calédonie et je suis désireuse de mettre à la disposition du territoire un certain nombre de ces appareils.

La généralisation du dépôt de plainte à l’hôpital a été annoncée par le Premier ministre. Elle impose une réflexion sur le secret médical auquel les médecins sont très attachés. C’est une des questions qui m’a été posée lorsque je me suis rendue à Bayonne, où les médecins étaient très ouverts et désireux de partager l’information, mais c’est un sujet que nous ne pouvons pas méconnaître.

Il faut également aménager dans les unités médico-judiciaires des locaux adaptés à la prise en charge des enfants et des victimes. Il faut également que les personnels soient joignables à tout moment car les victimes ne se présentent pas seulement entre 9 heures et 17 heures. Il faut pouvoir prendre en charge l’urgence médicale et recueillir la plainte, parfois en dehors des horaires classiques.

Cette généralisation du dépôt de plainte sera mise en place, mais ce qui m’inquiète le plus, ce sont les femmes qui ne souhaitent pas porter plainte. Nous devons arriver à faire évoluer cela. Le dépôt de plainte peut prendre du temps ; que se passe-t-il après qu’une victime de violences a été soignée et traitée à l’hôpital ? Il y a là une faille, nous devons prendre en charge et suivre ces femmes, pas à pas, avec les associations. Ce sont ces failles qui me terrifient : il faut que nous disposions de dispositifs de prise en charge de l’hébergement ou de simple accompagnement. Il faut arriver à trouver des solutions sur mesure, au cas par cas. Plus nous arriverons à créer la confiance, plus le dépôt de plainte sera facilité.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je vous remercie d’insister sur ce point, le dépôt de plainte est un moment de particulière vulnérabilité des femmes, lorsque la violence conjugale se révèle et sort du domaine de l’intime. L’auteur de la violence conjugale peut être piqué au vif et les violences peuvent se manifester de manière encore plus terrible, voire tragique. L’accompagnement au moment du dépôt de plainte, mais aussi ensuite, est crucial pour créer la confiance qui permet aux femmes de porter plainte en se sachant protégées et prises en charge.

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je souhaiterais compléter mon propos par deux observations.

Je ne sais pas si les failles qui existent lorsqu’une femme qui a subi une violence est prise en charge puis disparaît parce qu’elle ne veut pas aller au-delà et que nous ne savons pas l’y inviter relèvent ou non d’une disposition juridique ou bien plutôt du travail conjoint que l’ensemble des acteurs doit accomplir. Tel est précisément l’intérêt de mener une réflexion commune et un travail de co-construction. Si vous avez d’autres idées en la matière, je les accueillerai avec plaisir et intérêt.

Le second point que je souhaitais ajouter, madame la présidente, concerne l’ordonnance de protection. La direction des affaires criminelles et des grâces a élaboré un Guide qui a été très largement diffusé dans l’ensemble des tribunaux, aux procureurs, aux réseaux associatifs et d’aide aux victimes. Il détaille très précisément la nature de cette ordonnance, son contenu, sa mise en œuvre, sa destination, etc.

M. Erwan Balanant. Pourriez-vous nous transmettre ce document par mél ?

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Merci Mme la ministre pour cet exemplaire que je mettrai à disposition de l’ensemble des députés.

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il est également en ligne sur le site du ministère de la Justice mais je peux vous en faire parvenir quelques exemplaires si vous le souhaitez.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Nous tenons également à la disposition des membres de la Délégation qui souhaitent les connaître les éléments de formation de l’École nationale de la magistrature.

Mme Sonia Krimi. Merci, madame la ministre, de votre présence parmi nous.

Vous avez évoqué les difficultés qu’il y a à collaborer avec des femmes qui n’ont pas porté plainte. Que fait-on, aujourd’hui, pour les protéger ?

Vous avez également parlé des associations et de comment nous pourrions mieux travailler avec elles. Ces associations disposent-elles d’un document standard commun et opérationnel permettant de lister exactement et simplement – par exemple avec un format A4 - ce qui se passe,quels sont les faits, comment ils se sont déroulés, qui est en cause ?... La collecte de ces informations pourrait servir une plainte à venir et pourrait éviter de devoir tout retranscrire. Les associations ne sont pas toujours au fait des notions juridiques et ce document pourrait les aider.

Il conviendra bien sûr de s’assurer avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés de ce qui peut être ou non conservé - vous êtes entourée de suffisamment de personnes compétentes pour ce faire ! – mais cela faciliterait la vie des associations pour qu’elles puissent poser les bonnes questions. Cela faciliterait aussi le travail de nos policiers.

Cela me semble particulièrement importants pour les « signaux faibles ». Comment ne pas les laisser s’évanouir dans la nature sans pour autant contraindre les femmes à déposer plainte ? Nous n’avons en effet pas à juger celles qui décident, pour la dixième fois, de revenir avec leur mari, avec leur compagnon. Elles doivent comprendre que nous sommes là pour les accompagner lorsqu’elles sont prêtes à agir. L’État, la société, les associations, doivent être là pour elles.

Enfin, qu’en est-il des violences faites aux hommes ? C’est un tabou, alors qu’ils sont nombreux à en subir. On n’en parle pas, or, nous ne sommes pas dans une « réunion Tupperware » où l’on ne parlerait que des femmes : nous nous intéressons aussi aux hommes et aux violences qu’ils subissent.

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Des hommes assistent parfois aux « réunions Tupperware » !

Mme Sonia Krimi. Je le dis assez souvent lorsque nous sommes entre femmes, mais vous avez tout à fait raison, fini les réunions Tupperware d’antan !

J’aimerais enfin revenir sur l’accompagnement des hommes violents, point que ma collègue députée de la 8 e circonscription de l’Isère développera peut-être beaucoup plus que je ne le ferai. Comment accompagne-t-on ces gens, qui sont des malades ?

Mme Caroline Abadie. Merci, madame la ministre, de votre présence au sein de cette Délégation qui, d’ailleurs, m’accueille très aimablement alors que je n’en suis pas membre. Je vous remercie également, madame la présidente, pour l’organisation de toutes ces auditions.

Je souhaite aussi parler des auteurs de violences mais, tout d’abord, je voudrais revenir sur vos propos, madame la ministre. Vous avez évoqué un « travail en symbiose » et la nécessité de « resserrer les mailles ». Il me semble que c’est aussi cela que veulent les acteurs de terrain. J’ai eu l’occasion d’en parler, dans ma circonscription, avec un procureur, des gendarmes, des policiers, des représentants d’associations. Tous ont envie de travailler ensemble pour croiser les informations et, peut-être, mieux capter ces « signaux faibles » dont il vient d’être question et qui concernent des cas particuliers. Une telle démarche implique d’ailleurs de réfléchir au secret partagé.

Je crois que votre collègue ministre de l’Intérieur est disposé à organiser des cellules départementales. Je préfèrerais quant à moi qu’elles soient configurées par arrondissement car s’il faut évoquer un cas particulier dans un département comme l’Isère, il est préférable de se caler sur le ressort d’un tribunal de grande instance plutôt que sur une population départementale de 1,6 million d’habitants.

Que pensez-vous du déploiement d’équipes multidisciplinaires ? Permettraient-elles de répondre à votre attente sur ce travail en symbiose ?

Par ailleurs, est-ce à la justice, demandiez-vous, de faire prendre conscience à ces femmes des actes qu’elles ont subis ? Une juge d’application des peines m’a fait part de la formation qu’elle a reçue à Bordeaux voilà un ou deux ans. Nous sommes en présence d’un cycle : une agression a lieu, la victime finit par la justifier, puis elle pardonne, un intermède heureux se produit et…le cycle recommence avec une agression, etc. La fenêtre de tir pour qu’une personne ait envie d’aller au terme du processus est très étroite et, malheureusement, le cycle se poursuit puisque les hommes violents le restent. Comment travailler à la prise de conscience des victimes ? Comment les sortir de l’emprise qu’elles subissent ?

J’ai entendu des juges dire qu’il faut protéger les femmes contre elles-mêmes car, parfois, les hommes arrivent à l’audience main dans la main avec la femme qu’ils ont battue, qui a tout pardonné, qui leur fait les yeux doux et qui est prête à insulter le procureur lorsqu’il demande une mesure d’éloignement, comme ce fut le cas à Bourgoin-Jallieu il y a peu, et faire de même avec le juge qui la prononce. Un vrai travail doit être réalisé pour que les victimes s’extirpent de cette emprise.

Si la justice ne peut pas toujours travailler avec la victime, son rôle est peut-être de travailler avec les auteurs de violences. Beaucoup de choses sont faites sur les plans pré- et post-sententiels comme nous le voyons sur le terrain, dans certains départements ou établissements. Les services de probation tissent des partenariats avec des associations spécialisées dans la prévention des violences et proposent des programmes en milieu ouvert ou fermé ainsi que des groupes de travail afin que les auteurs puissent prendre du recul ; un homme ne sait pas qu’il est violent tant qu’il n’a pas entendu un alter ego parler des violences qu’il a infligées à une femme. C’est alors qu’il se rend compte avoir fait la même chose. Je pourrais également évoquer la justice restaurative et bien d’autres d’initiatives qui doivent nous inspirer.

Comment aider plus encore ces associations mais, aussi, les procureurs qui demandent des mesures d’éloignement et un placement dans des logements ? Nous disposons à Vienne de quinze hébergements d’urgence pour les femmes et d’un seul pour les hommes. Ces derniers n’y ont accès que s’ils n’ont pas de ressources ni de mode alternatif de logement - cela va sans dire, ce n’est pas un hôtel – mais, aussi, s’ils veulent travailler sur eux, s’ils ont pris conscience de leur comportement et s’ils n’ont aucune envie de récidiver. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur ce type d’accompagnement social.

M. Erwan Balanant. Mes collègues ont d’ores et déjà posé un certain nombre de questions que je souhaitais poser et vous y avez déjà répondu en partie, madame la Garde des Sceaux.

Avant d’assister à cette séance de travail, nous avons entendu le Procureur général près la Cour de cassation, M. François Molins, dans le cadre des auditions organisées par M. Aurélien Pradié sur sa proposition de loi. Il nous a rappelé que l’arsenal juridique dont nous disposons est quasiment complet et qu’il ne fallait peut-être pas attendre une grande révolution juridique ou législative.

Or, comme vous l’avez dit, nous nous intéressons de près à la question des bracelets électroniques. Le Procureur général nous a fait part de son point de vue et il se rapproche du vôtre puisque, selon lui, des passerelles doivent être lancées entre les différentes juridictions, ce qui me semble aller dans le sens de ce que vous avez appelé la « procédurisation des parcours » de la victime dans l’instruction de ces affaires.

Ma question, suite à l’examen du texte de M. Pradié, est un peu technique : quel serait le dispositif envisagé pour favoriser l’extension de l’usage des bracelets électroniques ? Tel qu’il est, ce texte soulève un petit problème de constitutionnalité puisqu’il ne tient pas compte du consentement de l’auteur des faits.

En outre, quel juge décidera de la mise en œuvre de ces bracelets ? Est-ce le juge aux affaires familiales ou le juge pénal, étant entendu que le premier ne disposera peut-être pas de la même latitude que le second ? Il faut trouver le moyen d’utiliser ces bracelets mais, que ce soit avec le texte de M. Pradié ou avec tout autre véhicule législatif, il ne faut pas encourir le risque d’inconstitutionnalité.

Mme Marie-Pierre Rixain. Je rappelle, pour être très précise, que l’audition de Mme la ministre concerne les mesures à prendre dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et les actions menées par le ministère de la Justice, non des considérations techniques sur les deux propositions de loi dont la Délégation vient de se saisir. Les rapporteurs organiseront des auditions à ce sujet. Mme la ministre est bien évidemment libre de sa réponse mais je tiens à rappeler - c’est important - que notre audition de ce jour s’inscrit bien dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et non dans celui de la saisine de ces deux propositions de loi.

M. Erwan Balanant. Je précise simplement que mes collègues ont posé, non sans brio, les questions que j’avais prévu de poser !

Mme Bénédicte Taurine. Les données de la Lettre de novembre 2018 de l’Observatoire sur les violences faites aux femmes montrent que moins d’une femme sur cinq victime de violences porte plainte et que les auteurs présumés ont un sentiment d’impunité puisque 31 % d’entre eux sont qualifiés de non-poursuivables et que les dossiers sont classés sans suite. Il semble donc que l’arsenal judiciaire n’est pas adapté.

Souvent, par ailleurs, les femmes ne portent pas plainte car elles estiment que cela n’aboutira pas et qu’elles risquent d’être encore plus exposées.

La spécificité des violences conjugales, c’est aussi l’inversion du sentiment de culpabilité puisque c’est la victime qui se sent coupable des faits, non l’auteur. Auriez-vous des propositions concrètes pour inverser cette tendance, mettre un terme au silence des victimes, et donc, à l’impunité des auteurs de violence ?

Vous nous avez parlé de l’Espagne qui a consacré à ce problème des moyens financiers et législatifs qui nous paraissent efficaces. Outre la formation des forces de l’ordre, il s’est doté depuis 2004 d’un système judiciaire inédit comportant plus d’une centaine de tribunaux spécialisés dans les violences conjugales. Les juges disposent au maximum de 72 heures pour instruire un dossier et le procès doit se tenir dans les quinze jours.

Tout est également prévu pour que les victimes de violences puissent facilement porter plainte. Si certaines n’osent pas le faire, l’État peut le faire à leur place. Elles disposent aussi d’une assistance psychologique et juridique gratuite et elles peuvent solliciter des aides financières pour un éventuel déménagement.

Lorsque les auteurs de violence sont condamnés, le port du bracelet anti‑rapprochement est généralisé afin de prévenir efficacement la récidive.

Nous relevons que ces mesures ont permis d’augmenter le nombre de dépôts de plaintes puisqu’il est passé de 72 000 en 2005 à 160 000 en 2017.

Pourquoi ne pas prendre davantage et plus rapidement exemple sur ce pays afin de mieux protéger les victimes alors qu’en moyenne, en France, 219 000 femmes déclarent avoir subi des violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint ?

Vous avez évoqué les chambres d’urgence mais ce dispositif ne nous paraît pas suffisant, la création de tribunaux spécialisés constituant sans doute une mesure plus efficace. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, que pensez-vous de la possibilité, pour l’État, de porter plainte à la place des victimes ?

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie de ces questions.

Mme Krimi, la première, a employé la formule de « signaux faibles », qui est en effet très juste. Comment fait-on donc pour les gérer ? Ne faudrait-il pas instaurer, dites-vous, un « standard opérationnel », c’est-à-dire un modèle d’identification de la personne qui s’adresse à une association, à un hôpital, etc., afin qu’une trace demeure ?

La difficulté, évidemment, c’est le partage de cette trace. Nous avons été un peu dans le sens que vous indiquez – peut-être pas assez clairement - dans le Guide pratique de l’ordonnance de protection. Nous avons ainsi proposé aux associations de délivrer des attestations de visite afin de prouver la réitération des faits quand la personne sera prête à porter plainte. Cela ne correspond pas exactement à votre proposition, j’en ai conscience, et sans doute faut-il approfondir cette dernière afin d’examiner la manière de la concrétiser.

Je me permets, ici, d’attirer votre attention sur le dépliant que nous diffusons partout et qui décrit le processus que doivent suivre les victimes.

Vous m’avez interrogée sur la nécessité de penser aux hommes et d’accompagner les hommes violents. Mme Abadie a répondu à ma place : nous disposons d’un ensemble de mesures de prise en charge de ces derniers dès lors qu’ils sont repérés comme tels mais nous sommes face à la même difficulté que pour la gestion des signaux faibles, sauf à faire intervenir le système éducatif – la prise en compte de l’éducation affective et sexuelle a d’ailleurs été évoquée lors du Grenelle, en y incluant des éléments sur la lutte contre les violences.

Très tôt, dès 1997, j’ai quant à moi écrit à la demande de Jack Lang un document sur la nécessité d’instaurer un module de prise en charge de l’éducation affective et sexuelle à l’école. La question des violences y était au cœur et je crois que Jean-Michel Blanquer, sans reprendre mon idée, travaille en ce sens.

Autre point concernant les signaux faibles : hier, la question du signalement par les associations auprès des procureurs a été posée de manière insistante dans le cadre du groupe de travail que j’ai installé. Nous avons beaucoup échangé à ce propos et nous allons voir comment concrétiser tout cela d’une façon plus pérenne.

Il est vrai qu’il convient de prévoir aussi des logements afin d’éloigner les hommes auteurs de violences mais, aussi, des stages obligatoires s’ils sont sous contrôle judiciaire ou en détention ou bien trouver d’autres types de structures, notamment associatives, pouvant dispenser des formations. En disant cela, je suis assez mal à l’aise car ce ne sont que des mots : il est facile de dire qu’il faut plus de logements et qu’il faut faire des stages ! Certes, nous sommes tous d’accord mais, concrètement, comment faisons-nous, qui les organise, à quel niveau, avec quelles incitations ? C’est sur une telle concrétisation que nous devons travailler.

Mme Abadie m’a interrogée sur les signaux faibles et la possibilité de mettre en place des cellules de coordination sur le plan de l’arrondissement, le plan départemental lui apparaissant trop vaste. Vendredi dernier, j’ai diffusé auprès des procureurs et procureurs généraux une circulaire que le ministre de l’Intérieur a quant à lui diffusé auprès des préfets – il a dû vous en parler – afin d’organiser la mise en réseaux de diverses associations au sein de ces cellules pour que nous puissions répondre aux besoins, notamment, à ceux des procureurs dans le cadre de l’accompagnement des parcours judiciaires.

Un travail de rapprochement est en cours mais, là encore, nous devrons voir concrètement, sur le terrain, comment les partenaires vont s’emparer de cet outil.

Je ne saurais vous répondre plus concrètement que ce que Mme Abadie a présenté. Nous disposons de nombre d’outils : la justice restaurative en est un, mais il y a aussi les stages, les suivis thérapeutiques… Le problème, ensuite, est de savoir comment sortir de ce qui est ponctuel pour passer à un système qui ne laisse aucun espace interstitiel. Au moment où je vous parle, je n’ai pas la réponse et c’est cela que nous devons parvenir à élaborer précisément.

M. Balanant, vous m’interrogez sur les dispositifs précis visant à accroître la pose de bracelets électroniques. J’ai lu diverses propositions. Un travail sera organisé avec les parlementaires et les cabinets ministériels pour parvenir à quelque chose de clair. Nous avons bien entendu repéré la difficulté constitutionnelle qu’il y a à imposer un bracelet, c’est-à-dire une atteinte à la liberté d’aller et devenir, à quelqu’un qui n’est pas condamné. Néanmoins, après un début d’étude juridique, nous pensons qu’il faut distinguer entre le juge civil et le juge pénal. Nous souhaitons que le bracelet puisse être, si je puis dire, « proposé » par les deux juges.

Le juge pénal pourra l’imposer tant en pré-sententiel qu’en post-sententiel. En l’occurrence, il n’y a aucune difficulté constitutionnelle. Le juge civil, quant à lui, pourra dire qu’il souhaite la pose d’un bracelet mais, faute du consentement de l’auteur des violences, je crois qu’il ne pourra pas l’imposer - nous allons travailler encore cet aspect-là du problème mais je crois qu’il ne pourra pas l’imposer. Cela étant, le refus d’un bracelet ne constituera pas un élément favorable dans la prise en compte plus globale de la situation de l’intéressé.

Tout cela doit être vérifié et je parle sous la réserve de toutes les études que nous devons encore conduire dans le cadre du travail législatif. Notre idée n’en reste pas moins de développer la pose de ces bracelets le plus largement possible.

Enfin, Mme Taurine soulève une vraie question, celle de la confiance en notre système : un certain nombre de femmes ne porteraient pas plainte car cela ne servirait à rien, cela n’aboutirait pas. Je réponds que l’ensemble des dispositifs que nous envisageons là, précisément, témoigne que nous faisons tout pour que la confiance soit rétablie.

Quelles propositions concrètes faisons-nous, demandez-vous ? Je viens de les décliner à l’instant, depuis le bracelet jusqu’au développement du recours à l’ordonnance de protection qui, je ne l’ai pas précisé, peut être octroyée sans que la personne ait porté plainte. Il s’agit d’un élément de confiance mais, outre que personne ne le sait, il est probable que la femme victime de violence ne sache pas – ou insuffisamment - ce qu’est l’ordonnance de protection elle-même. C’est précisément à ce moment-là que les associations et l’ensemble des acteurs doivent jouer leur rôle d’accompagnement.

Vous m’avez aussi interrogée sur la possibilité de créer des tribunaux spécialisés comme en Espagne. C’est une hypothèse à laquelle nous avons songé mais je n’ai pas souhaité lui donner suite car les cas étant si nombreux, ils doivent pouvoir être traités dans la proximité par l’ensemble des tribunaux. C’est pourquoi, plutôt que des tribunaux spécialisés, je souhaite créer des procédures d’urgence qui pourraient être déployées dans tous les tribunaux. Comme l’a dit le Premier ministre, une réponse pourrait être apportée en quinze jours. Il serait peut-être possible, dans les tribunaux les plus importants, de disposer de chambres ou de filières spécialisées mais ce ne sera pas possible dans les plus petits. C’est à la définition de cette procédure d’urgence que nous travaillons.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je vous remercie vivement, madame la ministre. Nous avons toutes et tous reçu des réponses précises aux questions que nous pouvions nous poser. Je suis certaine que le Grenelle, auquel nous participons, constituera une avancée dans la lutte contre les violences conjugales.

Je tiens, comme vous, à rappeler le continuum des violences faites aux femmes. Une étude parue hier montre à quel point celles qui ont été victimes de violences sexuelles vivent plus de violences conjugales dans leur couple ou de violences professionnelles. La réalité de ce continuum saute aux yeux.

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous organiserons le 25 septembre une table ronde en salle Lamartine, de 15 heures à 17 heures, avec plusieurs associations, dont une prenant en charge les auteurs de violences conjugales. Il importe donc que nous soyons tous présents. Vous devez avoir reçu un calendrier complet de nos travaux sur le Libre blanc.

Je vous rappelle que la première semaine d’octobre, nous auditionnerons M. Julien Denormandie et que nous organiserons une seconde table ronde, cette fois avec des expertes et des experts des violences faites aux femmes, de manière à avoir une vision élargie de la problématique.

Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis navrée d’intervenir après vous Mme la présidente, mais je m’en voudrais de ne pas répondre à la question de Mme Taurine concernant la possibilité, pour l’État, de porter plainte à la place des victimes. L’État le fait déjà : le procureur, de sa propre initiative, peut évidemment engager une action pénale, que la victime ait ou non porté plainte. Là aussi, encore faut-il que cela se sache…

Enfin, et c’est mon dernier mot, je vous remercie toutes et tous de vos propos et de vos suggestions présentes et à venir.

III.   Table ronde de structures associatives du 25 septembre 2019

La Délégation procède à l’audition :

        de Mme Delphine Beauvais, membre du conseil d’administration de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) et directrice du pôle Solfa à Lille, et Mme Joan Auradon, chargée de mission justice ;

        de Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes et Mme Floriane Volt, chargée de plaidoyer « féminicides » ;

        de Mme Marie Cervetti, directrice d’Une Femme un Toit (FIT) ;

        de M. Michel Bouquet, directeur, La Clède ;

        de Mme Elise Perrin, coordinatrice de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui plusieurs structures associatives dans le cadre du travail mené par la Délégation aux droits des femmes en parallèle du Grenelle des violences conjugales lancé le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre Édouard Philippe.

Pour enrichir cette démarche lancée par le Gouvernement, nous avons choisi de revenir en profondeur sur les travaux, nombreux que nous avons déjà réalisés à la Délégation sur les violences faites aux femmes en général, et sur les violences conjugales en particulier. Nous souhaitons élaborer un livre blanc nourri de recommandations à la hauteur de la gravité de la situation. Nous remettrons ce Livre Blanc à Marlène Schiappa au début du mois de novembre.

Dans le cadre de ce travail, nous avons d’ores et déjà auditionné M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, et Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice. Nous aurons également le plaisir de recevoir la semaine prochaine M. Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement.

Par ailleurs, nous entamons aujourd’hui un cycle de plusieurs tables rondes qui ont pour objectif de rassembler des actrices et des acteurs qui agissent très concrètement pour lutter contre les violences conjugales, souvent au plus près des victimes, mais parfois également auprès des auteurs de ces violences.

Cette année, un décompte macabre rythme l’actualité, celui du nombre de femmes mortes sous les coups de leur partenaire. En ce 25 septembre, nous sommes déjà à 109. 109 femmes dont le quotidien a tourné au tragique parce que des hommes ont estimé avoir droit de vie ou de mort sur elles. Des hommes habitués à l’impunité de frapper leur femme ou leur compagne une fois, plusieurs fois, puis la violenter systématiquement pour ce qu’elle fait ou ce qu’elle ne fait pas, pour ce qu’elle dit ou ne dit pas, pour ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas.

Cette année, un mot, celui de « féminicide », est apparu dans la presse, sur les affiches militantes, dans les discours politiques. Un mot qui matérialise le crime d’un homme qui refuse d’admettre que sa femme est une femme, libre de rompre des liens conjugaux et de mener sa vie en dehors de lui, que les liens de l’intime peuvent se conjuguer au passé, que son futur lui appartient. Un mot qui dénonce le processus d’emprise sexiste qui, ancré depuis si longtemps dans nos mentalités et nos pratiques, a habitué les hommes à l’impunité. L’impunité d’humilier, l’impunité de frapper, l’impunité de tuer.

Cette année, enfin, nous brisons le silence autour des violences conjugales. Nous pointons du doigt des agissements séculaires dont la société ne veut plus, et surtout nous organisons une réponse publique à la hauteur de l’urgence de la situation.

Ces agissements, Mesdames et Messieurs, vous les dénoncez depuis de nombreuses années au sein de vos associations. Vous dénoncez également les dysfonctionnements successifs qui demeurent d’un bout à l’autre de la chaîne judiciaire, et plus généralement les carences d’un système qui peine à protéger les femmes et à entendre leur parole. Votre engagement est salvateur pour les femmes et les hommes dont vous croisez le chemin ; il est également fort précieux pour les autorités publiques à qui échappent souvent, malheureusement, l’acuité du terrain et l’expérience des faits. C’est votre expérience, votre regard, que nous sollicitons aujourd’hui, et plus largement, dans l’élaboration de chacune des recommandations de la Délégation aux droits des femmes.

Parce que notre responsabilité est collective, le travail doit être collectif. Je vous sais, Mesdames et Messieurs, mobilisés pour nourrir le travail du Gouvernement, mais il me semble important que nous puissions également interagir ensemble pour compléter ces travaux et surtout les appréhender par le prisme des prérogatives propres au Législateur que nous sommes toutes et tous aujourd’hui devant vous.

Mme Delphine Beauvais, membre du conseil d’administration de la FNSF et directrice du pôle Solidarité Femmes Accueil (Solfa) à Lille. Je représente la Fédération Nationale Solidarité Femmes en tant qu’administratrice et je suis également directrice du pôle Violence faites aux femmes situé dans le Nord-Pas-de-Calais.

La FNSF dispose aujourd’hui d’un réseau de 67 associations sur le territoire national qui luttent quotidiennement contre les violences faites aux femmes. La fédération gère également le 3919, numéro d’écoute nationale anonyme gratuit dédié aux femmes victimes de violences ainsi qu’aux partenaires, aux employeurs, à l’entourage…

La FNSF est également dotée d’un certain nombre d’outils, notamment en matière de justice et d’accompagnement au logement et à l’hébergement. Elle porte des actions de plaidoyer pour faire reconnaître sur le territoire national la question des violences faites aux femmes, notamment par l’organisation de colloques, de formations et de journées nationales pour pouvoir réfléchir aux questions transversales en matière de violences faites aux femmes.

Aujourd’hui, il existe 2 800 places gérées au niveau national. En 2018, 5 853 femmes ont été hébergées. 86 545 entretiens ont été réalisés, notamment des entretiens téléphoniques gérés par la Fédération, que ce soit dans le cadre de la pré-écoute ou de l’écoute téléphonique. 340 actions de sensibilisation ont été menées par les associations nationales, avec des actions de formation et de prévention, que ce soit en milieu scolaire ou auprès de futurs professionnels ou de professionnels en fonction, notamment des agents de police et des gendarmes et différents professionnels de l’action sociale.

La Fédération a pour objet de mettre en lien et de coordonner l’ensemble des associations sur le territoire national et en outre-mer, pour favoriser une cohérence d’intervention et de réponses aux femmes.

Pour répondre à vos questionnements, voici les éléments que nous remarquons :

- l’augmentation de la demande de prise en charge par nos services d’écoute et d’hébergement et de nos accueils de jour ; nos réponses sont actuellement insatisfaisantes sur l’ensemble du territoire national, que l’on parle des milieux très ruraux ou très urbains, voire maritimes. 

 - l’émergence de nouvelles problématiques concernant l’accueil des très jeunes filles ;

Des jeunes filles de 16 ou 17 ans qui passent notre porte, dans le cadre d’une première union, vivent d’ores et déjà une situation de violence conjugale. La réponse, aujourd’hui, ne leur est pas adaptée. Elle nécessiterait une coordination avec les conseils départementaux, ceux-ci étant responsables de la protection de l’enfance.

- a contrario, on constate une demande de prise en charge très importante ces deux dernières années de personnes âgées, voire très âgées, qui subissent des violences conjugales pendant trente ou quarante ans et qui requièrent, elles aussi, un accompagnement spécifique ;

On n’accompagne pas de la même façon une personne de 25 ans ou de 80 ans. Cela nécessite des dispositifs innovants destinés à ces deux publics forts différents de par leur âge et leur vécu des violences.

- la barbarie croissante des violences ; On constate des stratégies de violence physique, psychologique et sexuelle de plus en plus fortes qui témoignent d’une barbarie de plus en plus importante de la part des auteurs.

- la prédominance de tout ce qui a trait au cyberharcèlement, aux réseaux sociaux et au harcèlement au sein du lieu de travail, qui conduisent des femmes à continuer à être victimes de violences même une fois sorties de la relation de conjugalité.

Quelles pourraient être les mesures à mettre prioritairement en œuvre en matière de lutte contre les violences conjugales ?

L’action de la Fédération Nationale Solidarité Femmes s’ancre dans le cadre de la prévention des comportements sexistes dès le plus jeune âge et sur la question de l’égalité filles-garçons. Nous sommes tous d’accord, que ce soient l’Éducation nationale, les conseils départementaux ou l’État, pour mettre en avant la nécessité de la prévention chez les très jeunes enfants.

Néanmoins, les moyens manquent parfois. On ne peut pas former et sensibiliser des enfants sans avoir soi-même une formation ou une sensibilisation particulière à ces questions. Cela suppose l’utilisation d’outils pédagogiques gérés et maîtrisés par les professionnels, notamment ceux de l’Éducation nationale.

Aujourd’hui, il manque des places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences. À titre d’exemple, la métropole lilloise doit refuser plus de 500 demandes d’hébergement de femmes chaque année faute de places disponibles. Ce constat est évidemment partagé par l’ensemble des associations du territoire.

Les commissariats comme les brigades de gendarmerie manquent de réponse à apporter à des femmes qui viennent porter plainte le soir ou la nuit et qui sont sans solution d’hébergement puisque les centres n’ont pas suffisamment de places et qu’il n’existe pas de refuge 24h/24. Elles sont parfois orientées vers les hôpitaux dans l’attente de l’ouverture des accueils de jour ou des services d’écoute au petit matin, ce qui est totalement insatisfaisant.

Je terminerai sur la question de la mobilisation de la société civile. Par exemple, en extrême ruralité, on se rend compte que la sensibilisation et la prévention des violences faites aux femmes sont d’une extrême importance et qu’il est nécessaire que le message soit diffusé par des personnes relais qui soient formées. Cela nous renvoie également à la question de l’hébergement : attention au tout généraliste. L’accompagnement des femmes victimes nécessite d’être formé, de pouvoir bien différencier la question des violences conjugales du conflit conjugal, de bien maîtriser la question de l’emprise, de la domination et des différentes formes de violence. Aujourd’hui, on a encore trop tendance à parler des femmes battues, ce qui conduit à ignorer les violences psychologiques et sexuelles, qui restent très complexes à prouver et à identifier alors qu’elles concernent la majorité des femmes que nous accompagnons aujourd’hui.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT). Nous partageons les mêmes constats, y compris sur l’évolution des violences qui aujourd’hui sont vraiment proches d’actes de torture et de barbarie. On observe cela depuis quelques années. Lors des attentats terroristes, par exemple, la plupart des personnes arrêtées avaient été des conjoints violents. L’escalade dans les violences crée une sorte d’addiction à celles-ci de la part des agresseurs.

Notre association s’appelle FIT – Une Femme, un toit. Elle a pour objectif de contribuer à faire prendre conscience à la société tant des violences machistes contre les femmes que des inégalités entre les femmes et les hommes.

Partant du constat que les jeunes femmes de 18 à 25 ans sont les premières touchées par les violences sexistes et sexuelles, l’association gère un centre d’hébergement (à notre connaissance, c’est le seul sur le territoire national) qui dispose de 60 lits, ciblé en direction de ce public sans enfant et en situation d’exclusion sociale.

Nous venons également d’ouvrir, en Seine-Saint-Denis, un lieu d’accueil et d’orientation pour des jeunes filles à partir de 15 ans et des jeunes femmes jusqu’à 25 ans. Pour vous donner une illustration de la pénurie de places : au cours de la première semaine de son ouverture, les six premières jeunes femmes accueillies car victimes de violences au sein des familles ou au sein du couple, avaient toutes besoin d’être hébergées. Or nous étions complets, ce qui rendait la situation très compliquée. Si nous avons fait un effort en termes de violences au sein du couple, il nous reste encore beaucoup de travail à faire sur les autres formes de violence. En l’occurrence, il s’agissait dans ce cas de jeunes filles qui avaient été violées dans leur environnement familial et qui s’étaient enfuies de chez elles.

En 2018, 77 % des jeunes que nous avons hébergées déclaraient avoir subi des violences au sein de leur famille, 67 % des violences sexuelles et 54 % des violences au sein du couple. 30 % avaient eu recours à la prostitution quand elles étaient à la rue ou hébergées pour de courtes durées, parfois dans ce qu’on appelle les dispositifs d’urgence comme les hôtels sociaux, qui ne sont évidemment absolument pas adaptés à des jeunes femmes qui, je le rappelle, n’ont pas accès aux minima sociaux. Elles sont mises à l’abri, mais ne bénéficient pas de l’accompagnement nécessaire.

Toutes les jeunes femmes que nous hébergeons ont été victimes quand elles étaient plus jeunes, voire enfants, voire nourrissons. Cela rappelle que les violences contre les femmes sont systémiques ; elles s’inscrivent dans un continuum et devraient être traitées de façon holistique et transversale. Nous regrettons que les violences soient toujours abordées de façon séquencée alors qu’au sein d’un couple, une femme peut y être violée, être prostituée. Parler de femme battue n’a plus de sens aujourd’hui, car nous avons une connaissance plus pointue de ce que sont les violences conjugales.

Nous notons également le nombre croissant de plaintes classées sans suite. Pour la moitié des jeunes femmes accueillies par le FIT, les plaintes sont classées sans suite. Une jeune femme de 20 ans, qui s’appelait Sarah, a été assassinée alors qu’elle aurait pu être sauvée. Ce jour-là, nous avions justement une place d’hébergement. L’une de nos préconisations est qu’il faut absolument que la police – Marlène Schiappa l’a très bien dit – raisonne en termes de principe de précaution. Elle a même ajouté que plus aucune femme ne devait sortir d’un commissariat sans solution. C’est essentiel. J’aurais pu amener avec moi la plainte d’une jeune femme qui raconte séquestration, torture, coups, coups de couteau, viol, et pour laquelle l’affaire a été classée sans suite. Elle a dénoncé ces faits et elle est rentrée chez elle. Il faut comprendre qu’un conjoint violent est un homme dangereux et que la violence va crescendo jusqu’au féminicide.

Je salue l’action du commissariat du 3e arrondissement de Paris qui fait un travail remarquable et qui devrait être un commissariat pilote pour les bonnes pratiques qu’il met en place : ils sont dans une logique de protection avant même de savoir si l’affaire va être classée ou pas. On aurait pu éviter beaucoup d’assassinats en adoptant cette logique.

On a aussi souvent du mal à comprendre que l’emprise par le conjoint violent impacte la capacité des victimes à agir. La victime parfaite n’existe pas, elle se trompe dans les dates, elle se trompe de moments, elle revient sur ce qu’elle a dit, elle est très hésitante, elle est inconstante. Par conséquent, on a souvent tendance à considérer qu’elle a menti et très rapidement, elle devient suspecte, car elle n’est pas la victime comme on a imaginé qu’elle devrait être : elle ne pleure pas, elle ne crie pas, elle raconte de façon tranquille les horreurs qu’elle a subies. J’espère que cet aspect fera partie de la formation des policiers. Souvent, quand une femme va porter plainte toute seule sans être accompagnée par une association, le fait que son récit ne soit pas totalement cohérent conduit à ce que l’affaire soit classée.

À propos de l’emprise, je prends toujours l’exemple d’une porte que je demanderais à quelqu’un d’aller ouvrir, mais en lui précisant que j’ai placé des mines sur le chemin. C’est impossible, car elle sera terrorisée. Les femmes victimes de violences, au sein du couple ou autres, sont entravées par la terreur dans laquelle elles vivent, parfois depuis de nombreuses années.

En outre, nous manquons encore de données. Nous savons combien de femmes sont victimes de violences au sein du couple (220 000) et de viol (96 000). Mais au FIT, nous savons que sur les 30 % de jeunes filles que nous avons hébergées et qui ont eu recours à la prostitution, 97 % avaient été victimes de viols. Nous savons combien ont des troubles psychologiques ou psychiatriques. Il faudrait que les associations et les pouvoirs publics arrivent à croiser les données. Par exemple, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) indiquait en 2016 que « 17 660 personnes ont été condamnées pour violences entre partenaires et seulement 40 % des auteurs poursuivables, soit 43 500 individus, ont été poursuivis. »

On compte parmi les violences entre partenaires 2 060 viols, soit 60 de plus qu’en 2015. Au vu du témoignage des jeunes filles que nous recevons, 2 060 viols au sein du couple me semblent très peu. En effet, quand les jeunes filles sont victimes de violences au sein du couple, ce sont à 98 % des viols qui sont en cause. C’est parce que nous posons les bonnes questions qu’elles finissent par dire qu’elles n’étaient jamais d’accord pour avoir ce type de relation sexuelle. Par conséquent, elles sont souvent obligées d’aller porter plainte une deuxième fois et on leur rétorque qu’elles ont trouvé l’argument idéal en se souvenant avoir été violées.

Dans le jargon de l’hébergement, l’urgence concerne les personnes sans abri. Pour les femmes victimes de violence, cet hébergement n’est pas adapté. Il ne faut pas des lieux d’urgence, mais des lieux de mise en sécurité avec des personnels formés pour les accompagner et d’abord à comprendre comment fonctionne un agresseur. Les agresseurs ont tous la même stratégie d’isolement et c’est en comprenant les mécanismes des violences et les conséquences des violences sur les victimes qu’elles pourront retrouver la possibilité d’agir.

Dans un centre d’urgence, il peut y avoir jusqu’à 300 personnes, hommes et femmes, pour seulement 7 travailleurs sociaux. Parmi ces hommes et femmes il y a des agresseurs. Or les éducateurs spécialisés, par exemple, ne reçoivent aucune formation sur les violences faites aux femmes. Ainsi, ils ne repèrent pas ces cas, ni ne créent des lieux favorables pour recueillir la parole. Les femmes racontent qu’elles ont tellement peur que dans ces centres, elles ne sortent pas de leur chambre la nuit. La violence se poursuit dans ce type de lieu.

Le ministre en charge du logement est plus dans une logique de logement d’abord. Or, le logement d’urgence a été inventé pour les personnes en très grande exclusion, par exemple des victimes d’addiction, des personnes en souffrance psychiatrique… Ce n’est pas le cas des femmes victimes de violence. Si on se trompe d’hébergement, on se trompe aussi d’accompagnement.

Si j’ai un message à faire passer aujourd’hui, c’est celui du caractère essentiel de l’hébergement. Nous savons tous qu’il existe une pénurie d’hébergement. Lorsque le Premier ministre a annoncé la création de 250 places d’hébergement dans des centres d’urgence, je me suis demandé s’il voulait y mettre ces femmes. Si c’est pour cela, il vaut mieux dépenser l’argent ailleurs, car ce n’est pas une solution possible.

Quant aux 750 places annoncées qui bénéficieraient de l’allocation logement à caractère temporaire (ALT), c’est le même problème : dans quelles structures ? Ce n’est pas adapté. Nous avons aussi entendu qu’il y aurait une géolocalisation des places. C’est aujourd’hui la mission du Service interdépartemental de l’accueil et de l’orientation (SIAO). Lorsqu’une femme quitte notre centre, nous sommes obligés de signaler au SIAO qu’une place est vacante et celui-ci nous envoie immédiatement une femme victime de violences. Je ne sais pas si cette géolocalisation va s’appliquer à des centres d’hébergement d’urgence mixte, mais eux aussi ont un SIAO.

Nous constatons ensuite que dans ces centres d’hébergement d’urgence, des places prévues pour les femmes victimes de violences peuvent être attribuées à d’autres quand elles sont vacantes. En effet, à Paris par exemple, le numéro d’urgence sociale, le 115, refuse chaque jour plus de 400 familles qui dorment dans la rue. Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder.

Dans le cinquième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui se termine en octobre 2019, 100 places d’hébergement étaient préconisées pour des jeunes femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Nous les attendons encore.

Il faut sensibiliser les politiques et l’administration au fait que l’hébergement des femmes victimes de violences ne peut être considéré comme l’hébergement pour les personnes sans abri.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Le message est bien passé et je vous remercie. Le fait de mal adapter la solution du logement pour les victimes de violences conjugales rajoute de la précarité à la violence subie et crée de nouvelles problématiques.

Mme Elise Perrin, coordinatrice de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV). La FNACAV a été créée en 2003 par des praticiens qui accompagnaient les victimes de violence. Ils se sont aperçus de la nécessité de prendre également en charge les auteurs. Aujourd’hui, la fédération rassemble une trentaine d’associations en France, qui mettent en place des actions à destination des auteurs de violences.

En tant que fédération, la FNACAV soutient le développement de ce type de structure ; elle permet l’échange de pratiques entre ses adhérents, la mise en commun d’outils et l’aide à la recherche et à la formation des professionnels. C’est également une instance de représentation auprès des élus comme c’est le cas aujourd’hui.

Les violences sont multiples. Il existe des violences visibles (violences physiques, coups, violences verbales, insultes…), mais aussi des violences insidieuses, psychologiques. C’est le rabaissement de la victime, le contrôle de tous ses faits et gestes, de ses relations ; c’est rendre la victime dépendante affectivement, économiquement, etc.

Les violences conjugales reposent sur des mécanismes complexes, et de par la nature particulière et spécifique des relations au sein de la famille, pour reprendre l’expression d’une professionnelle de la FNACAV, les violences sont semblables à une guerre civile entre des personnes qui ont des liens durables. La sortie de la violence reste donc un processus complexe et progressif.

Je ne rentrerai pas dans le détail sur la question de l’emprise, car elle a déjà été évoquée, mais les travaux de Muriel Salmona à ce sujet sont très éclairants.

Par rapport aux mesures proposées dans le cadre du Grenelle, nous souhaitions mettre en avant le fait qu’il serait important de prendre en compte la complexité du phénomène des violences.

Concernant les mesures prioritaires, selon nous, toutes les propositions qui ont été énoncées sont nécessaires, mais ne sont-elles pas des solutions à court ou à moyen terme ? Il est impératif de mettre aussi l’accent sur le long terme, c’est-à-dire sur la prise en charge psychosociale et thérapeutique des victimes femmes et enfants et des auteurs, et ce dans un objectif de lutte contre la récidive.

À ce jour, la prise en charge psychologique des auteurs de violences et des enfants victimes n’est pas considérée en France comme un axe prioritaire et c’est à notre sens une erreur. Bien entendu, la priorité reste la protection des victimes : faciliter le dépôt de plainte, évaluer les risques de dangerosité, augmenter les solutions d’hébergement et pas forcément d’urgence, sauf bien entendu pour les auteurs, car en cas d’éviction du conjoint violent, qui est une mesure tout à fait défendable, il est important qu’il puisse y avoir un point de chute.

Mais cette protection ne doit pas se faire au détriment de l’accompagnement à long terme de tous les protagonistes par des professionnels formés à ces questions. Pour la FNACAV, la priorité après le traitement de l’urgence, c’est le traitement sur le long terme, car il n’y a que sur le long terme que l’on peut lutter efficacement contre la récidive.

Lorsqu’on parle des auteurs de violences, on pense souvent aux justiciables, mais de nombreux auteurs sont des demandeurs volontaires et vont à la rencontre des associations. Ce sont ceux qui disent par exemple : « J’ai esquivé, j’ai tapé dans le mur, mais la prochaine fois, pourrai-je encore dévier le coup ? », « J’ai giflé ma femme une fois et je ne veux plus que ça se reproduise » ou « Ma femme m’a dit de me soigner, sinon elle me quitte ».

La FNACAV comprend actuellement une trentaine de structures aux fonctionnements très différents. Certaines sont des associations de contrôle judiciaire qui ne reçoivent que des justiciables et proposent des stages de responsabilisation. D’autres, souvent plus petites, reçoivent avec ou sans orientation judiciaire, proposent des groupes de parole, des suivis thérapeutiques individuels ou en couple et d’autres sont des structures d’hébergement. Cette diversité fait la force de la Fédération. Leur point commun est de faire en sorte que l’accompagnement des auteurs permette la prise de conscience et la reconnaissance de la violence, à savoir lever le déni. C’est la responsabilisation de l’auteur et le changement de son comportement sur le long terme.

Sur le territoire national, les structures sont assez mal réparties. Par exemple il en existe assez peu dans l’Ouest, dans la région bordelaise ou lyonnaise. Le nombre de 30 structures n’est pas suffisant au vu de l’ampleur des violences conjugales en France, d’autant plus qu’elles sont encore trop méconnues par les professionnels, les usagers, les auteurs et les victimes. Je dis « victimes », car ce sont souvent aussi les conjointes qui contactent la FNACAV pour savoir s’il existe des structures pour leur compagnon. Cela les rassure de savoir qu’ils peuvent se faire aider et que des solutions existent.

La prise en charge des auteurs est indispensable en termes de prévention afin de réduire la récidive. C’est une nécessité absolue pour progresser et travailler sur les causes de la violence qui, rappelons-le, est multifactorielle. On peut aider une femme et ses enfants à sortir de la situation de violence, on peut mettre l’auteur en prison, et après ? Il purge sa peine, il sort, il n’a rien élaboré, il récidive et cela recommence.

Autre point important à garder à l’esprit : très souvent, malgré les violences et malgré leur dévoilement, le couple ne se sépare pas. Nous observons fréquemment ce phénomène dans nos associations ; c’est pourquoi il faut venir en aide à toute la famille.

Dans quel cadre doit se faire cette prise en charge ? Il s’agit de développer les structures spécialisées pour les auteurs demandeurs volontaires avant toute judiciarisation. Pour les justiciables, il faut systématiser les obligations de soins vers ces mêmes structures, car pour certains, c’est la seule voie d’entrée vers le soin, et enfin former les professionnels : les magistrats, l’administration pénitentiaire, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et les associations. Bien entendu, tout cela implique des financements pérennes.

Pour reprendre le slogan de la FNACAV, prendre en charge un auteur, c’est aider des victimes. Je vais aussi reprendre les propos d’un auteur de violences qui participait à un groupe de parole : si les auteurs de violences sont le problème, ils sont aussi une partie de la solution.

M. Michel Bouquet, directeur de l’association La Clède. Je suis directeur d’une association à Alès, qui est engagée dans la lutte contre l’exclusion au sens large depuis plus de quarante ans. Elle gère aujourd’hui plusieurs dispositifs d’hébergement, de premier accueil, de logement, de santé, d’insertion par l’activité économique, ainsi que des dispositifs autour de la citoyenneté. Elle s’est engagée depuis 2010 dans la lutte contre les violences faites aux femmes à la suite d’un processus de fusion avec une autre association.

Aujourd’hui, l’association gère plusieurs dispositifs en lien avec l’accueil des femmes victimes de violences :

-          un dispositif d’hébergement d’urgence de 7 à 8 places ;

-          un centre d’hébergement et de réinsertion sociale de 25 places accueillant des femmes victimes de violences seules ou avec leurs enfants ;

-          un tout nouveau dispositif d’accueil des auteurs, sur lequel nous avons encore peu de recul, et un dispositif de stages et de responsabilisation, qui devrait commencer dans les semaines à venir.

J’adhère à tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant. Une équipe à part entière formée sur la question des violences est engagée depuis plusieurs années et nous avons bien séparé les choses, notamment pour l’accueil des auteurs et l’hébergement des femmes victimes de violences.

Je voudrais attirer votre attention sur deux points, en commençant par les zones rurales. Alès est une petite ville de 50 000 habitants qui représente une agglomération de 150 000 habitants répartis sur 27 communes, dont certaines très isolées, notamment dans les Cévennes et dans lesquelles on compte un grand nombre de femmes victimes de violences. Le territoire est très fortement précarisé, avec de nombreuses familles monoparentales et des zones très isolées où les femmes victimes ont beaucoup de mal à se rapprocher des services existant dans les centres-villes.

Nous avons développé un accueil de jour à Alès, mais également, par le biais de financements croisés avec les différentes structures institutionnelles relevant de la politique de la ville et du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), des permanences décentralisées sur certains territoires, de façon à ce que les femmes puissent accéder au service, ainsi que des rencontres à la demande lorsque nous sommes sollicités par une femme dans le cadre de l’accueil de jour. Nous pouvons nous déplacer en donnant rendez-vous dans un centre médico-social, parfois à la mairie mais c’est toujours délicat, car les femmes ont peur d’être identifiées, ou parfois au bar quand il y en a un. Il existe de nombreux dispositifs, mais très souvent, il est difficile de répondre en urgence à une demande d’hébergement sur des territoires aussi isolés.

Le deuxième point sur lequel j’aimerais attirer votre attention est la question des enfants, qui sont très fortement impactés par les violences. Nous travaillons avec des enfants, notamment dans le cadre de l’hébergement en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). À Alès s’est mis en place un réseau de professionnels qui réfléchit à cette question en développant des services de soutien psychologique et en formant les travailleurs sociaux à leur accompagnement.

Comme l’ont dit mes collègues, on constate un rajeunissement de la population qui s’adresse à nos services, notamment en accueil de jour, même si nous n’accueillons pas de jeunes filles mineures, ainsi qu’une population plus âgée qui, grâce à l’information diffusée dans les médias et à toutes les mobilisations de ces dernières années, vient parler de la violence qu’elle subit depuis de nombreuses années.

Je voudrais également attirer votre attention sur le fait qu’il faut continuer à consolider la formation des services de police et de gendarmerie. Nous travaillons avec ces deux services et avec des intervenants sociaux dans les commissariats ou à la gendarmerie. Il faut conforter la présence de travailleurs sociaux, voire de psychologues, et en tout cas d’intervenants sociaux au sein des commissariats et des gendarmeries.

Lors d’un comité local d'aide aux victimes (CLAV), un colonel de gendarmerie disait combien le fait d’avoir cet intervenant au sein de sa structure avait changé les représentations des gendarmes et l’accueil des femmes victimes de violences.

Je voudrais également insister sur la formation des travailleurs sociaux. Très peu d’interventions ont lieu dans les écoles qui les forment.

Sur l’hébergement, je ne peux que partager ce qui a été dit. Nous assurons plusieurs types d’hébergement : un hébergement généraliste et un hébergement spécifique pour les femmes victimes de violences. Je crains que dans le développement du nombre de places, des opportunités ne se créent pour des associations, mais développer de l’accueil d’urgence ou de longue durée pour des femmes victimes n’est pas la même chose que développer de l’accueil généraliste. Je militerai donc auprès de mes collègues de la FNSF et du préfet pour que ces places soient vraiment spécialisées, et si elles venaient à ne pas l’être, je militerai pour que des personnes formées y accompagnent les femmes victimes de violences. Effectivement, en fusionnant ces places, on risque de noyer la question de la violence faite aux femmes dans un dispositif généraliste dans lequel l’approche ne sera pas la même, y compris pour les enfants.

Il manque des places d’hébergement d’urgence, d’hébergements ouverts 24h/24. Au vu de la baisse des budgets et de la demande des pouvoirs publics d’avoir des logements sans cesse occupés, nous n’avons pas pu maintenir des surveillants de nuit. Les commissariats et gendarmeries nous sollicitent beaucoup et trouvent que c’est un défaut dans l’organisation que de ne pas avoir systématiquement quelqu’un 24h/24 pour accueillir ces femmes victimes de violences.

Enfin, nous avons développé en parallèle l’accueil des auteurs. Un journaliste nous disait : « Mais alors finalement, vous protégez les auteurs. » L’accueil de l’auteur, c’est d’abord protéger la victime et il me semble que l’éviction du conjoint violent n’est pas suffisamment utilisée, même si toutes les victimes ne souhaitent pas rester au domicile. Quand c’est possible et qu’elle le souhaite, cela permet à la victime de rester avec ses enfants et, en parallèle, met l’homme dans une position où il doit d’ores et déjà supporter les conséquences de ses actes. C’est aussi pour cette raison que nous avons développé des stages de responsabilisation pour permettre à l’auteur de mettre le doigt sur ce qu’est la violence et ce qu’elle provoque.

Mes collègues parlaient de barbarie. On constate que la violence augmente particulièrement dans les zones rurales.

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. La Fondation des Femmes est la fondation de référence en France en matière de droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes. Grâce aux dons qu’elle reçoit, elle apporte un soutien financier, juridique et matériel aux initiatives associatives qui nous paraissent les plus impactantes.

Devant les demandes de familles de victimes de féminicide que nous avons reçues ces derniers mois et les moyens insuffisants des associations, nous avons décidé de mettre nos avocates et nos ressources à disposition pour rassembler plus d’une trentaine d’associations et construire un plaidoyer, une plateforme de propositions sur les féminicides.

C’est dans ce cadre que je profite de la tribune qui m’est donnée pour prendre du recul par rapport à ce qui a été dit puisque nous ne sommes pas directement sur le terrain, et lancer un cri d’alarme.

La situation en cette année 2019 est tout à fait extraordinaire. Parlons d’abord de ce qui est ordinaire. En France, les violences sont légion, les associations y répondent difficilement car elles n’ont pas suffisamment de moyens, et à peu près 130 féminicides en moyenne sont commis par an par conjoint ou ex-conjoint violent. En France donc, on assassine.

En tant que financeur (nous finançons plus d’une centaine d’associations partout en France), il nous est apparu essentiel de savoir quel dispositif devrait être financé pour améliorer cet état de fait. Nous avons commencé à travailler sur le sujet des féminicides avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et le Conseil économique social et environnemental (CESE) dans un rapport que nous avons co-porté, qui s’appelait Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? rédigé en 2018.

Nous nous sommes rendu compte que la plupart des féminicides suivaient des grandes tendances et qu’ils avaient souvent lieu dans les jours ou les semaines qui suivent une séparation et un dépôt de plainte. Conclusion : lorsque les femmes quittent leurs conjoints et que ces conjoints sont extrêmement violents, la violence explose et elles sont en danger de mort. Nous savons en danger de qui et nous savons quand. Dans notre pays, on assassine.

Dans ce rapport, nous avions étudié les dispositifs de sortie des violences, l’accompagnement, la protection des femmes dans les semaines au cours desquelles elles sont le plus en danger, quand elles quittent leur conjoint. Nous avions déjà constaté en 2018 qu’ils étaient sous-dimensionnés, et qu’il aurait fallu multiplier le budget par 7.

Nous avions également constaté un nombre assez impressionnant de dysfonctionnements, générés parfois par ce manque de moyens, parfois par manque de formation, de manque de prise en compte de l’importance de ce sujet (problématique d’ordonnances de protection, de plaintes, de non-lieux…) Ce constat est déprimant, mais il est aussi source d’espoir, car avec une volonté politique, les dysfonctionnements se règlent et les moyens augmentent. Nous sommes donc absolument persuadés que les féminicides ne sont pas une fatalité, même si la société continue plutôt à faire la sourde oreille avec une forme d’état d’impunité qui favorise les violences. Depuis 2018, on sent cependant un changement. Nous avons mené une étude avec l’institut de sondage Kantar, qui montre que 57 % des Français considèrent que la priorité nº1 en matière d’égalité entre les femmes et les hommes est la lutte contre les violences conjugales. Loin derrière, l’égalité salariale arrive en troisième priorité, avec 33 % des sondages exprimés.

Si la société avance, le reste stagne. Les moyens n’ont pas encore été augmentés, les dysfonctionnements pas encore réglés. Pire encore, les féminicides ont augmenté. À la date d’aujourd’hui, il y a eu 87 féminicides en 2018, contre 109 en 2019. L’augmentation est de 25 % en 2019. La situation n’est donc plus ordinaire, mais extraordinaire. Nous allons finir cette année avec un chiffre record de femmes assassinées dans notre pays, et ce n’est pas parce qu’on s’y intéresse enfin ; on s’y intéresse enfin parce que la situation est extraordinaire.

Pourquoi ? Il est trop tôt pour être absolument certain des raisons. Pour nous, la plus vraisemblable, c’est que suite à « Me too », cette année de libération de la parole, le message sur les violences perce enfin les différentes couches de la société. 40 % de plaintes en plus en 2017, 23 % en plus en 2018, c’est impressionnant. Ça y est, les femmes parlent enfin.

Mais les femmes qui trouvent enfin le courage de parler nous font confiance. En portant plainte, en quittant leurs conjoints, elles leur échappent. Cela fait exploser la violence et les met en danger de mort. Elles sont en danger en restant chez elles, mais c’est dans les semaines qui suivent le départ que leur vulnérabilité est au plus haut. Nous devons prendre en compte notre responsabilité. En les incitant à porter plainte et à partir, nous leur faisons la promesse que nous allons être là et les protéger. Lorsque nous ne tenons pas cette promesse, nous participons de leur mise en danger. En France, on assassine.

Qu’avons-nous fait pour que les réponses judiciaires, policières, d’hébergement et d’accompagnement associatif soient à la hauteur de cette libération de la parole ? Comme nous le montrions en 2018, le système de prise en charge était déjà sous-dimensionné en temps normal. Aujourd’hui, il est en explosion. Quand nous disons aux femmes que nous pouvons les aider, nous leur mentons. Nous n’avons pas les moyens de le faire correctement. À Sarcelles, où la Fondation des Femmes lance un grand projet avec l’association Du Côté des femmes, 30 femmes n’avaient pas, en septembre, de places d’hébergement. À la suite de l’excellente campagne sur le numéro d’écoute national 3919, elles sont maintenant trois fois plus nombreuses à demander de l’aide.

Ce n’est qu’un exemple. Des travailleuses sociales sont en burn-out et si les demandes explosent, les moyens n’ont pas été multipliés par trois. Les assassinats, eux, ont augmenté d’un quart. C’est dans ce contexte inédit que nous avons, depuis le mois de mars, alerté les pouvoirs publics et demandé la tenue d’un Grenelle des violences conjugales. Ce travail s’est fait en soutien des familles de victimes, désespérées devant cette situation terrible.

Nous avons rencontré Mme Belloubet en avril, et Mme Schiappa et M. Castaner en juillet. Un Grenelle nous a été accordé. C’est un signe extrêmement positif de voir l’ensemble du Gouvernement se rassembler dans cette lutte qui, il y a peu de temps, était encore si peu visible.

En parallèle du Grenelle, le projet de loi de finances est en ce moment en discussion. Il est illusoire de penser qu’on pourra endiguer un phénomène en explosion sans prévoir des moyens supplémentaires. S’il y avait une critique à faire au Grenelle, c’est bien celle-là. Nous comptons sur le Gouvernement, sur vous, sur le Parlement et sur l’ensemble des pouvoirs publics pour agir à la mesure de cette situation dramatique.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Nous avons bien compris la difficulté en matière d’hébergement et les besoins des femmes victimes de violences conjugales. Le fait pour une femme victime de violences de se trouver dans un hébergement d’urgence où règne la violence peut être un frein au fait de quitter son domicile et, si elle n’a pas le choix, la place dans un autre processus de violence.

Imaginons que vous soyez ministre du Logement et des Droits des femmes. Quelles seraient les mesures prioritaires que vous mettriez en place en termes de politiques publiques ?

Les bailleurs sociaux jouent-ils suffisamment leur rôle en matière de priorité donnée aux victimes de violences conjugales ? De manière générale, quels sont les outils qui permettraient aux femmes qui travaillent et ont un revenu de retrouver plus facilement un logement ?

Enfin, dans un couple copropriétaire d’un logement, les deux parties doivent payer leur part du crédit lorsqu’ils en sont tous deux redevables. Y aurait-il des mesures à mettre en place de manière à ce qu’une femme ne soit plus redevable de sa part du crédit dès la suspicion des violences ? Une condamnation peut prendre du temps et la victime n’a pas forcément les moyens de payer à la fois un crédit et un logement de substitution.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT). Il n’y a effectivement pas un public homogène. Il y a des femmes jeunes, des femmes moins jeunes, des femmes autonomes, indépendantes économiquement… On ne peut considérer les femmes victimes de violences conjugales comme un ensemble homogène.

Pour revenir à l’hébergement, si j’étais ministre, je ne supprimerais pas 57 millions d’euros durant la mandature pour les centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Les jeunes que nous accueillons ont en moyenne 20 ans, elles ont quitté l’école, souvent à cause des violences qu’elles subissaient dans la famille, sans diplôme ni qualification. Il leur faut un minimum de temps (dix-huit mois, ce n’est pas très long) pour qu’elles puissent accéder à une formation, suivre les affaires quand elles ont porté plainte, avoir un avocat…

En outre, on oublie trop souvent que les femmes victimes de violence peuvent avoir des problèmes de santé comme des maladies sexuellement transmissibles ou des blessures graves. Faire les démarches pour obtenir une allocation de travailleuse handicapée, par exemple, prend du temps. Si nos budgets diminuent, nous aurons moins de temps à leur consacrer.

J’avais parlé de l’obligation d’avoir des CHRS non mixtes à Édouard Philippe, qui était venu visiter notre centre. Il l’a compris et en a parlé lors du Grenelle. Nous avons le temps sur 18 mois d’avoir des partenariats avec des entreprises privées, de faire des petits-déjeuners de l’emploi, de passer des accords avec des entreprises de formation. Chaque année, quarante jeunes filles sortent de chez nous avec une résidence sociale ou un logement, ce qui signifie qu’elles ont obtenu un travail. Ce lieu de 60 lits coûte cher (et encore, nous sommes propriétaires de l’immeuble), à peu près un million d’euros pour l’État. Mais on dit que les violences conjugales coûtent 3,6 milliards d’euros chaque année. La mise en sécurité et l’accompagnement social global de ces femmes garantissent qu’en principe ni la police ni les hôpitaux ne les reverront. Elles deviennent des femmes qui, au sein de leur couple et vis-à-vis de leurs enfants, ont brisé la chaîne de reproduction. Je ne connais aucune jeune fille ayant subi une excision qui ressorte de notre association en disant qu’elle va exciser sa petite fille. J’ai toujours entendu l’inverse : « Moi, jamais ». Par conséquent, c’est beaucoup d’argent gagné sur le futur. On ne peut pas continuer à supprimer des crédits aux dispositifs pour les femmes victimes de violences.

Je demandais à Édouard Philippe qu’il épargne au moins les CHRS qui hébergent des femmes victimes de violences. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. C’est vraiment triste, car ces dispositifs sont une vraie pépite. Évidemment, il faut de l’argent pour l’urgence, mais si j’étais ministre, l’urgence serait quelque chose d’adapté, avec des moyens.

Un centre d’hébergement et de réinsertion sociale coûte en moyenne 52 euros par jour et par personne, contre 26 euros, parfois 16, pour un centre d’hébergement d’urgence. Pour 300 personnes qui sont toutes dans des situations dramatiques, il y a 7 travailleurs sociaux. Ce n’est déjà pas possible de travailler ainsi avec des personnes qui ont des problématiques sociales et cela l’est encore moins avec des femmes victimes de violences.

Il faut que les dispositifs soient adaptés aux victimes et que ces lieux soient gérés par des associations mieux dotées pour pouvoir le faire.

En matière de logement, on pourrait imaginer pour les jeunes des colocations avec des travailleuses sociales volantes qui se rendraient à domicile. Ces solutions sont aussi adaptées pour les femmes autonomes économiquement qui peuvent payer un loyer. Ces loyers pourraient prendre la forme de baux glissants où elles pourraient rester dans l’appartement ou en tout cas avoir le temps de trouver un appartement dans le parc privé si leurs ressources le permettent. Cela pourrait être une solution, à condition que les associations soient dotées en ressources humaines et financières pour assurer l’accompagnement social de ces femmes dans les appartements. Quand les personnes ont une expérience locative, qu’elles sont capables de montrer qu’elles ont payé leur loyer, par exemple, c’est beaucoup plus facile de trouver un bailleur. Très peu de jeunes femmes du FIT partent dans un logement traditionnel ; elles passent d’abord par des résidences sociales, car les bailleurs savent très bien qu’à leur âge, elles n’ont pas ce type d’expérience.

Mme Delphine Beauvais. La solution à la question de l’hébergement et du logement réside dans la pluralité des dispositifs qu’on peut mettre à disposition. On peut avoir des dispositifs d’accueil d’urgence pour les femmes victimes de violences pour ensuite passer à un hébergement en CHRS avec un accompagnement spécialisé. Nous faisons cela sur le territoire lillois et le Pas-de-Calais et cela fonctionne très bien.

Peuvent s’ajouter les refuges 24h/24. Ils fonctionnent très bien au Québec et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas en France. On pourrait avoir de petites unités qui ne sont pas identifiées dans le tissu rural et social, mais qui permettent d’avoir un fonctionnement beaucoup plus autonome sans forcément de présence de veilleur de nuit mais seulement un cadre d’astreinte. Pour prendre à nouveau l’exemple québécois, chaque ville du Québec dispose d’un refuge pour les femmes victimes de violences, de 3, 4 ou 5 places, très peu onéreux et qui fonctionne très bien.

Pour l’accès au logement pérenne, le travail avec les bailleurs sociaux est en train de prendre une tournure intéressante. Certains bailleurs pensent encore que les femmes victimes de violences sont censées bénéficier d’un accompagnement social pendant les dix ans à venir. D’autres exigent toujours une ordonnance de non-conciliation (ONC), ce qui est interdit. Ne peut-on pas réfléchir à cette obligation d’une plainte préalable ? Nous menons une expérimentation sur trois ans à Lille avec un bailleur social dans le cadre de la politique « 10 000 logements accompagnés » pour un accompagnement social de dix familles, femmes avec ou sans enfants. Les femmes sont locataires en titre de leur logement, elles savent tout à fait s’acquitter d’un loyer et nous réalisons l’accompagnement social au domicile avec un axe fort sur l’insertion professionnelle et sur la parentalité.

Nous n’avons pas du tout parlé de l’insertion professionnelle des femmes victimes. Une marque de supermarché a créé un travail interfilières. Madame a dû quitter le département du Nord en urgence pour se mettre à l’abri des violences, elle était salariée d’un grand magasin lillois. Le grand magasin qui se trouvait à Marseille a repris son ancienneté et en quinze jours, elle avait changé non pas d’employeur, mais juste de lieu de travail, avec un véritable accueil et une prise en charge.

 Pour répondre à votre interrogation sur la question des femmes co-propriétaires, aujourd’hui, nous sommes dans une impasse législative. Permettre à ces femmes d’accéder à un bail locatif par une garantie, un accompagnement et une prise en charge financière des mesures nous semble extrêmement opportun. De quelle manière peut-on se désolidariser quand on est propriétaire du logement sans être tenu sur un laps de temps très long ? Je pense qu’il faudrait vraiment travailler sur cette question.

M. Stéphane Viry. Nous sommes conscients de l’importance de la question des violences conjugales, sujet qui nous occupe depuis le début de cette législature. Vos témoignages ont été très forts et, incontestablement, nourriront nos réflexions et je voulais à mon tour vous en remercier.

Quel est votre avis sur les ordonnances de protection ? Cet outil est-il adapté ? Comment faudrait-il potentiellement le modifier ou l’ajuster ?

Avez-vous des relations particulières avec les parquets ? Un substitut a parfois la capacité d’être davantage à l’écoute d’une cause et peut créer de la fluidité dans le traitement d’une plainte pénale. Cela vous concerne-t-il et qu’en pensez-vous ?

Auriez-vous des exemples d’associations avec des structures d’insertion par l’activité économique, qui permettraient la mise en situation de travail de ces femmes qui sont déjà victimes de faits de vie ?

M. Gaël Le Bohec. Merci pour vos témoignages, qui nous montrent à quel point la question est prégnante. Vous la connaissez depuis longtemps, mais ce sont des faits que la société découvre et sur lesquels il est important d’insister.

Que pensez-vous de l’éducation dès le plus jeune âge et que serait-il bon de faire à ce sujet ? En tant que membre de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, je souhaiterais interpeller le ministre Jean-Michel Blanquer sur cette question.

Quelles pourraient être les deux ou trois mesures phares concernant la question de l’émancipation économique ?

Enfin, vous avez beaucoup parlé des violences conjugales, en particulier dans le monde rural. Je signale que nous organisons, le 18 octobre à Redon, une soirée sur cette thématique.

Mme Caroline Abadie. Merci pour cette table ronde qui permet d’approfondir notre connaissance du sujet pour ceux qui ne s’en occupent que depuis quelque temps. À Grenoble, la FNACAV a de très bons représentants par l’intermédiaire de l’association Passible. Merci à toutes les associations pour tout ce que vous faites et pour les mots que vous avez eus. Vous prêchez une convaincue : aider un auteur, c’est aider des victimes. C’est d’ailleurs vrai pour tous les types d’infractions en général, mais encore plus pour les conjoints violents, car on sait qu’ils récidivent systématiquement s’ils n’ont pas eu d’accompagnement social.

On sait aussi que les structures de soins psychologiques sont saturées et qu’en général les hommes violents sont à la fin des listes d’attente, voire n’y sont pas inscrits. Vous jouez donc un rôle essentiel pour nous aider à diminuer la récidive.

Vous disiez que beaucoup d’hommes passent volontairement la porte de vos associations, 40 % à Grenoble selon l’association Passible, parfois même en tenant la main de leurs femmes.

Je crois que vous intervenez aussi en alternative de poursuites sur les injonctions d’un procureur, et en milieu fermé quand les hommes violents sont détenus. À votre avis, quel est le meilleur moment pour intervenir ? Que pourriez-vous améliorer, au-delà des moyens, bien sûr : 36 euros par jour pour la prise en charge d’un auteur, sachant que cela implique plusieurs années de suivi ?

Passible organise à Grenoble une convention avec les associations de victimes. Parfois, l’association qui s’occupe des auteurs peut intervenir et va convaincre l’auteur de basculer les aides de la CAF sur le compte de sa conjointe. Ce travail peut se faire par l’intermédiaire des deux associations. Cette initiative n’est pas encore mise en place, mais va bientôt voir le jour. Je voulais savoir si à l’échelle nationale, d’autres initiatives de ce type existaient pour permettre une prise en charge à 360 degrés de ce couple en séparation, certes, mais qui a toujours des liens à dénouer.

Mme Floriane Volt, chargée de plaidoyer « féminicides », Fondation des Femmes. Nous avons consulté tout l’été une trentaine d’associations et créé une plateforme de plaidoyer. Par ailleurs, nous disposons d’un réseau d’environ 150 avocates. Concernant l’ordonnance de protection, nous avons notamment réfléchi à une série d’améliorations qui seront également présentées demain dans le cadre de l’audition sur la proposition de loi de M. Aurélien Pradié.

Plus généralement, je pense qu’un réel dispositif de précaution doit être instauré auprès des femmes victimes de violences et à cet égard, l’ordonnance de protection est un outil indispensable qui doit être simplifié et étendu.

Une des difficultés dont parlent les avocates qui accompagnent des femmes victimes de violences dans ces procédures, c’est que lorsque le juge aux affaires familiales est saisi pour un divorce et constate des faits de violence, il ne peut pas prononcer d’ordonnance de protection, et inversement : lorsque le juge est saisi sur une ordonnance de protection et constate une demande de divorce, il ne peut pas non plus faire avancer cette procédure. C’est l’un des premiers aspects qu’il faudrait améliorer en étendant la saisine et la possibilité pour le juge aux affaires familiales de prendre, dès qu’il intervient, des mesures de protection.

L’ordonnance de protection devrait être prolongée ou en tout cas sa durée devrait être allongée, car elle est aujourd’hui limitée à six mois et doit être renouvelée, ce qui pose des questions pratiques.

De manière générale, on constate un problème de communication entre le parquet d’une part et les affaires civiles d’autre part. Il faudrait vraiment revenir vers des juges spécifiques et des chambres spécialisées afin de garantir une communication harmonieuse. La justice doit faire sa révolution. Comme l’avait annoncé le Premier ministre lors du Grenelle, ces chambres d’urgence et ces parquets référents constituent une réelle solution, qui doit être mise en avant pour qu’à la fois la procédure civile et la procédure pénale puissent être suivies et que le parcours de justice, et plus généralement l’ensemble du parcours de sortie des violences pour les femmes victimes, soit simplifié.

Une avocate m’indiquait qu’elle disposait d’une ordonnance de protection qui prévoyait une interdiction d’entrer en contact pour le conjoint, mais qui était arrivée à échéance. Cette femme n’a donc pas eu droit au téléphone grave danger (TGD).

Il reste un réel effort à fournir. La Fondation, comme la FNSF, est membre des groupes Justice du Grenelle, avec l’objectif de simplifier le parcours de justice des femmes victimes de violences et d’élargir les mesures que peut prendre le juge.

Dernier point technique sur l’ordonnance de protection : elle devrait être opposable aux bailleurs sociaux, aux écoles, à la CAF ainsi qu’à d’autres organismes afin de faciliter les démarches des femmes victimes de violence. Cela éviterait notamment, que les bailleurs sociaux actionnent la clause de solidarité : l’homme peut se rendre insolvable donc on se retourne vers la victime alors qu’elle bénéficie d’une ordonnance de protection.

Mme Joan Auradon, chargée de mission justice à la FNSF. Je souscris complètement à ce qu’a dit Floriane Volt concernant les ordonnances de protection. Au-delà des évolutions législatives possibles, les ordonnances de protection sont insuffisamment prononcées. C’est une mesure très méconnue des femmes elles-mêmes, mais aussi des professionnels du droit et notamment les magistrats qui sont censés les prononcer (je pense aux juges aux affaires familiales). Les ordonnances de protection permettent de protéger la victime de violences, mais aussi les enfants en donnant la possibilité au juge de prendre des mesures mais pour seulement six mois. Je souscris à l’idée de l’allongement de sa durée.

Au-delà du petit nombre de délivrances d’ordonnances de protection, nous constatons aussi l’incohérence des mesures prononcées. L’ordonnance de protection peut interdire à l’auteur d’entrer en contact avec la victime et éventuellement avec les enfants, mais permet aussi de se prononcer sur les mesures d’exercice de l’autorité parentale. Certains juges aujourd’hui prononcent l’interdiction, mais maintiennent des droits de visite et d’hébergement classiques pour les auteurs de violences, ce qui signifie que les femmes qui sont censées être protégées et qui le sont puisqu’elles sont bénéficiaires d’une ordonnance de protection, doivent rencontrer l’auteur des violences pour remettre l’enfant au père un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Nous n’en avons pas parlé jusqu’à présent, mais la question de l’autorité parentale est évidemment au cœur de notre problématique.

Sur la question de l’éducation, je sais que certaines associations revendiquent la création d’un brevet de non-violence à l’école. Qu’en pensez-vous ? Se pose aussi la question de l’émancipation économique.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit. Nous avons proposé à M. Blanquer à Matignon le jour de l’inauguration du Grenelle la création d’un brevet de non-violence, à l’instar de ce qui existe pour la sécurité routière, qui expliquerait ce qu’est la violence. Le conflit et la violence sont deux choses différentes. Souvent, les jeunes n’en ont pas vraiment conscience. Quand je vois le niveau de vocabulaire et de maltraitance verbale des garçons et des filles que je côtoie en travaillant avec des jeunes femmes, je suis ébahie par le niveau de violence. Disposer d’un brevet qui permettrait aux jeunes de comprendre ce que sont des relations de domination et de violence pourrait permettre d’avoir une génération qui envisage plus paisiblement les relations entre les femmes et les hommes. Le ministre a répondu qu’on faisait déjà cela à l’école en parlant de liberté, égalité, fraternité, respect. Or il ne s’agit pas simplement d’une question de respect, mais de savoir comment des relations de domination vont vers la violence et comment elles inscrivent chacun des deux genres dans une représentation insupportable.

Sur l’émancipation économique, l’Organisation internationale du travail (OIT) a établi plusieurs textes qui proposent des dispositifs à mettre en place dans les entreprises. Aujourd’hui, notre association est sollicitée par des entreprises pour former les directeurs des ressources humaines (DRH) à mieux comprendre les violences. Cette initiative s’appelle « Quand les violences conjugales passent la porte de l’entreprise » et certains s’interrogent : « Maintenant, je me suis rendu compte que j’ai licencié une dame qui manifeste absolument tous les troubles et les conséquences des violences sur une personne ». Bien sûr, le travail de l’entreprise ne consiste pas à se transformer en assistante sociale, mais on peut montrer comment actionner des leviers pour muter une personne, faciliter la mobilité, mettre son dossier 1 % Logement au-dessus de la pile, lui verser un panier-repas directement dans l’entreprise plutôt que sur le compte joint (ou même sur son compte personnel puisqu’on sait que les conjoints détournent l’argent)…

La FNSF collabore également avec des associations, telle que Du Côté des femmes, qui travaillent avec des entreprises d’insertion par l’activité économique. Même si notre association ne gère pas ce type de dispositif, nous travaillons avec les régies de quartier, qui sont un premier pied à l’étrier pour s’engager vers l’insertion pérenne.

J’espère que nous pourrons aller plus loin sur ce sujet dans le cadre du Grenelle grâce à des ateliers dédiés sur le travail.

Mme Elise Perrin, coordonnatrice de la FNACAV. À la FNACAV, nous constatons que les campagnes de sensibilisation ont eu des effets : au même titre que les plaintes augmentent, les demandes d’aide de la part des auteurs ont également augmenté. Les chiffres que vous évoquiez, soit 40 % de demandeurs volontaires et 60 % de justiciables, se constatent au niveau national, ce qui est assez surprenant. On n’imagine pas forcément 40 % de demandeurs volontaires.

Les demandes augmentent, mais les réponses diminuent, voire ne donnent pas lieu à financement. Pour vous donner un exemple, la FNACAV n’a reçu aucun financement en 2019. Seul le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) pouvait intervenir mais seulement en cofinancement et comme personne d’autre ne participait, nous n’avons reçu aucune aide. Cette baisse voire cette absence de financement est constatée sur l’ensemble du territoire. Pour les victimes, c’est déjà le cas ; pour les associations d’aide aux victimes, les financements baissent, et pour les auteurs, n’en parlons pas.

La sanction est nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. Le rapport Vanneste en 2016 sur la récidive a mis en lumière le fait que plus la sanction pénale était stricte, à savoir l’emprisonnement, plus le taux de récidive augmentait s’il n’y avait pas d’accompagnement en parallèle.

Actuellement, en termes de prise en charge, les magistrats ont plusieurs dispositifs à portée de main, entre autres les stages de responsabilisation pour les primodélinquants qui ont perpétré des violences légères. Or dans les faits on s’aperçoit que les juges envoient des personnes dans ces stages, qui sont récidivistes et ont commis des violences graves. Ce n’est pas du tout adapté. Il faudrait des financements pour créer des structures pour les volontaires au début des violences, avant qu’elles ne s’aggravent et qu’on en vienne au féminicide. Il faut aussi les rendre visibles par des campagnes d’information, car souvent, ces personnes ignorent l’existence de potentielles structures d’aide. D’autres structures seraient destinées aux justiciables, en respectant le cadre des stages de responsabilisation et surtout en multipliant les obligations de soins vers des structures spécialisées. Cela nécessite aussi d’informer les juges sur l’existence de telles structures dans leur juridiction.

La collaboration entre les structures d’aide aux victimes et d’accompagnement des auteurs existe, mais le système fonctionne plus ou moins bien selon les régions. Nous sommes en contact avec certains pays européens qui prennent en charge les auteurs mais aussi la famille tout entière. Bien sûr, ils n’occupent pas les mêmes chambres, mais une même structure s’occupe des auteurs, des victimes et des enfants.

M. Michel Bouquet, directeur de l’association La Clède. Il manque une réflexion sur le lien entre l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes et l’insertion par l’activité économique. Au sein des commissions départementales d’insertion par l’activité économique, il est question des publics prioritaires et on pourrait imaginer une réflexion locale sur les femmes victimes.

Les relations avec les parquets restent très dépendantes de la personnalité et de la volonté des procureurs. Pour avoir connu deux procureurs dans la ville où je travaille, le premier s’est saisi très fortement des différents dispositifs et nous avons pu créer des appartements pour les auteurs et des stages de responsabilisation. Depuis l’arrivée du nouveau procureur, c’est beaucoup plus long, ce qui est dommage, car les dispositifs se désamorcent et finissent par ne plus être pertinents.

Le financement des stages de responsabilisation est assuré par le seul FIPD. Ce fonds nous permet de proposer des stages, mais il ne nous permettra pas d’en augmenter le nombre comme le demandent les deux procureurs des villes de Nîmes ou d’Alès.

Mme Elise Perrin, coordonnatrice de la FNACAV. La question des financements est importante, mais c’est surtout leur aspect pérenne qui compte. Si nous voulons proposer des choses sur le long terme, il faut des financements suivis d’une année sur l’autre. Chaque fin d’année, nous nous inquiétons de savoir si nous allons pouvoir poursuivre nos actions.

Mme Nicole Le Peih. Je suis élue d’une petite circonscription rurale dans le centre du Morbihan et je souhaitais vous interroger sur la situation des violences conjugales dans les zones rurales et leur prise en charge. Une différence vous apparaît-elle dans les cas de violences conjugales, leur quantité bien sûr, mais aussi leur typologie ? Il y a des types de victimes et des auteurs de violences différents en zones rurales, ainsi que des mécanismes de violences spécifiques, une vraie rupture d’égalité territoriale dans l’accès à l’aide pour les victimes.

Nous avons effectué début juillet un déplacement de la délégation dans ma circonscription qui a permis de mettre en lumière une double peine pour les victimes, qui ont un accès beaucoup plus difficile aux structures de prise en charge et qui, lorsqu’elles parviennent à entrer dans ce processus d’accompagnement, doivent faire face à un isolement, ce qui rend tout le processus bien plus complexe : l’accès aux associations, aux structures de soins, aux services médico-sociaux, à la justice et à un hébergement pour une mise à l’abri.

A-t-on des chiffres sur cette inégalité d’accès entre territoires et quelles pistes pouvons-nous explorer ? Je pense par exemple à une proposition d’agricultrices de mon territoire, de mettre à disposition des gîtes ruraux, lorsqu’ils ne sont pas occupés, pour accueillir des victimes de violences dans les zones isolées. Qu’en pensez-vous et avez-vous d’autres suggestions au niveau territorial ?

Mme Sophie Panonacle. J’ai organisé sur ma circonscription du bassin d’Arcachon plusieurs tables rondes qui ont réuni des associations de femmes, la police, la gendarmerie, les centres communaux d’action sociale (CCAS), le corps médical et la préfecture, ainsi qu’un grand débat axé sur la place des femmes dans la société.

Il en est ressorti le problème du logement. Nous avons une situation très tendue dans le bassin d’Arcachon, où il y a très peu d’accès au logement social. Nous avons adressé un courrier aux bailleurs sociaux du département pour leur proposer un partenariat en leur demandant, sur les quelques logements sociaux de la circonscription, d’en réserver à des femmes victimes de violences. Deux ont accepté – Aquitanis et Domofrance pour ne pas les citer. Il s’agissait d’avoir un appartement disponible 24h/24 toute l’année et un accompagnant. Seule l’association Solidarité Femmes Bassin a l’agrément d’intermédiation locatif, ce qui pose un réel problème. Elle pourra être locataire de cet appartement et le sous-louera à des femmes. Pourrait-on généraliser ce genre de convention ? L’association m’a dit aujourd’hui qu’elle ne souhaitait qu’un seul logement, car si elle en avait dix, elle ne pourrait pas accompagner ces femmes. C’est un problème de moyens. Ne pourrions-nous pas donner cet agrément d’intermédiation de location à l’ensemble des associations, ce qui faciliterait également ces conventions de partenariat ?

M. Guillaume Gouffier-Cha. Ma question porte sur la proposition de loi sur les violences conjugales. J’aimerais avoir votre avis sur le bracelet électronique anti-rapprochement. La ministre de la Justice s’est prononcée en faveur du déploiement rapide de ce dispositif. Comment pensez-vous qu’il faille utiliser un tel dispositif et comment envisageriez-vous son articulation avec d’autres dispositifs comme l’ordonnance de protection ou le téléphone grave danger ?

M. Erwan Balanant. Vous avez évoqué le fait que pour 57 % des Français, les violences conjugales sont la question principale en matière d’égalité femme-homme. C’est dommageable qu’on en arrive à cette situation, mais la vraie question pour moi est celle de l’égalité femmes-hommes dès le plus jeune âge. Il faut abaisser le seuil de tolérance de la société, de manière générale, sur les inégalités pour permettre aux femmes de s’en sortir. Parfois, si elles restent au domicile, c’est parce qu’elles n’ont pas d’autre choix.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je partage totalement ce point de vue : à travers la question des violences conjugales, le problème-clé est celui de la place de la femme dans le foyer, dans la famille, dans le couple, dans la société. Tant qu’on aura une vision de domination masculine dans notre société, les violences conjugales perdureront.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT). Le Centre d’accueil en urgence des victimes d’agression (CAUVA), est un dispositif extraordinaire. Dans les zones rurales, les femmes des villages doivent pouvoir avoir un accueil avec la possibilité de porter plainte, de préserver les preuves, de pouvoir les conserver ainsi que le témoignage qu’elles ont apporté. Il faut vraiment que ce dispositif se développe sur tous les territoires. Cet été, en Corse, les pompiers m’ont demandé si je voulais bien leur faire une formation, car quand ils se rendent dans des maisons où ils savent que la femme est victime de violences, ils ne savent pas comment faire. On oublie souvent les pompiers alors que dans les villages, ils jouent un rôle crucial.

Il faudrait faire en sorte que ce ne soit pas obligatoire de porter plainte pour conserver les preuves. Ce serait une petite partie de la réponse. Bien sûr, certaines femmes sont très isolées, mais un jour ou l’autre, elles se rendent en ville.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. La grande innovation du CAUVA est de pouvoir conserver les preuves pendant trois ans et donc laisser à la femme la possibilité de porter plainte au moment où elle est prête psychologiquement pour le faire.

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. Il y a effectivement une rupture d’égalité dans notre pays. À ce titre, je vous alerte sur le développement d’expérimentations, excellentes pour les territoires dans lesquels elles ont lieu, mais qui laissent les autres de côté. Donc attention aux expérimentations qui en réalité ne concernent pas beaucoup de femmes. Je pense par exemple à ce qui se passe à Créteil, c’est très bien, mais il faudrait pouvoir rapidement généraliser ces initiatives.

Les associations mènent un travail d’ampleur, mais il reste des départements dans lesquels il n’existe aucune association spécialisée sur les violences faites aux femmes. Il faut absolument continuer à les aider à se développer et à se multiplier.

Sur les modalités du bracelet anti-rapprochement, deux questions se posent pour moi. La première est une question financière : un tel bracelet coûte 6 euros par jour et par couple puisque les deux le portent. Il faudrait un budget d’environ 5 millions d’euros par an pour développer ces bracelets. Nous plaidons surtout pour que les auteurs de violences porteurs de ces bracelets puissent être suivis par des associations spécialisées car il faut absolument un accompagnement psychosocial.

Il existe deux modalités de bracelet anti-rapprochement : une des modalités est un bracelet qui sonne lorsque l’agresseur s’approche, ce qui met la femme dans un état de stress aigu, c’est comme si elle était responsable de sa propre sécurité. Ce système existe au Portugal, mais nous ne le recommandons pas. En revanche, en Espagne, c’est auprès d’une intermédiation qui pourra prévenir la police que se fera l’alerte. Dans ce cas, la femme ne se rend même pas compte que son ancien agresseur ou son conjoint violent a pu s’approcher. C’est dans ses modalités que nous allons pouvoir voir si ce dispositif est bien pensé ou non.

La sensibilisation à l’égalité dès le plus jeune âge, même si on prend l’angle des féminicides pour attirer l’attention de l’opinion sur le sujet, doit porter sur tout type de violences, sexistes et sexuelles. Inégalité et violence sont les deux faces d’une même médaille qui est la domination masculine. Il faut absolument pouvoir traiter les deux.

M. Blanquer agit sur la sensibilisation des écoliers sur l’environnement ; la création d’éco-délégués et de circulaires pour favoriser l’enseignement de l’environnement est très bien, mais nous l’encourageons à le faire aussi sur l’éducation à l’égalité. Pourquoi pas, à côté des éco-délégués, des égalité-délégués dans chaque école.

Dans le cadre du service national universel (SNU), on pourrait tout à fait insérer ce fameux brevet de non-violence. C’est un public adolescent qui se pose énormément de questions.

Enfin, j’attire votre attention sur le fait que dans les fiches que nous allons vous faire parvenir et qui ont été rédigées avec toutes les associations, vous verrez que nous proposons un certain nombre de dispositifs pour faire progresser les sujets judiciaires tels que :

- l’amélioration de l’aide juridictionnelle pour les femmes victimes de violences, qui est aujourd’hui très insuffisante. Les avocats n’ont aucun intérêt à défendre des femmes victimes de violences, car cela les met en précarité économique ;

- le sujet de l’identité d’emprunt ; En France, quand on témoigne contre la mafia, on peut demander à changer d’identité. De la même manière, certaines femmes ont besoin de se cacher, d’avoir une identité d’emprunt, car elles sont poursuivies par leurs conjoints violents.

- l’amélioration de l’indemnisation du préjudice, de la prise en compte de l’incapacité temporaire travail (ITT) pour calculer les indemnisations et le faire de manière plus rapide.

Certaines de ces propositions figurent dans la Convention d’Istanbul. Le rapport du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), qui a analysé la situation en France l’année dernière va être publié courant octobre et va rappeler un certain nombre d’engagements que notre pays est censé respecter. Autant s’aligner tout de suite avec cette Convention que nous avons ratifiée.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je souscris pleinement à l’idée d’une formation à l’égalité femme-homme dans le cadre du SNU. Je vous précise également que la délégation a été entendue dans le cadre des travaux d’évaluation du GREVIO et que nous sommes très attentifs au respect de la Convention d’Istanbul. Merci beaucoup pour l’ensemble de vos interventions et pour tout le travail que vous faites au quotidien pour les femmes et contre les violences faites aux femmes.

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Les vidéos de ces auditions et de cette table ronde sont disponibles en ligne sur le site de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, à l’adresse suivante : http://assnat.fr/iOp6P3.


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   annexe 2 : personnes entendues par lA RAPPORTEURE

 Mardi 24 septembre 2019

– Mme Carole Keruzore, directrice de l’association Libres Terres des Femmes ;

– Mme Florie Balland, trésorière de l’association Libres Terres des Femmes ;

– Mme Caroline De Haas du collectif Nous Toutes ;

– Mme Léonor Guénoun du collectif Nous Toutes ;

– Mme Fatima Benomar du collectif Nous Toutes.

 Mercredi 25 septembre 2019

– Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine Saint Denis des violences envers les femmes, co-présidente de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ;

– M. Edouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

 Lundi 30 septembre 2019

– Mme Gwenola Joly-Coz, présidente du Tribunal de grande instance (TGI) de Pontoise.

 


([1]) Chiffre issu du décompte réalisé par le collectif féministe bénévole « Féminicides par compagnon ou ex ».

([2]) Proposition de loi de Mme Valérie Boyer n° 2200 relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants et proposition de loi de M. Aurélien Pradié n° 2201 visant à agir contre les violences faites aux femmes.

([3]) Rapport n° 2018-11-21-VIO-37, Évaluation intermédiaire du plan interministériel (2017(2019) et de la politique contre les violences faites aux femmes – Poursuivre les efforts pour mieux protéger les femmes victimes et en finir avec l’impunité des agresseurs, publié le 22 novembre 2018.

([4]) Action n° 7 du 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019), intitulée « Former l’ensemble des professionnel.le.s au contact des femmes victimes de violences ».

([5]) Audition par la Délégation du mercredi 18 septembre 2019 – voir la vidéo de l’audition.

([6])  Audition par la Délégation du mardi 10 septembre 2019 – voir la vidéo de l’audition.

([7]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([8]) Audition par la Délégation du mardi 10 septembre 2019 – voir la vidéo de l’audition.

([9]) Rapport n° 721 de Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain sur le viol, 22 février 2018.

([10]) Table ronde de structures associatives sur les violences conjugales du 25 septembre 2019 – voir la vidéo de la table ronde.

([11]) Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

([12]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([13]) Article L. 515‑11 du code civil.

([14]) Audition par la Délégation du mercredi 18 septembre 2019 – voir la vidéo de l’audition.

([15]) Circulaire n° CRIM/2019-11/E1-09.05.2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.

([16]) Ibid.  

([17]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([18]) Table ronde de structures associatives sur les violences conjugales du 25 septembre 2019 – voir la vidéo de la table ronde.

([19]) Les associations membres de cette fédération accompagnent chaque année plus de 30 000 femmes victimes de violences, hébergent plus de 3 000 femmes et autant d’enfants. Elles proposent aux femmes un accompagnement spécialisé et professionnel qui prend en compte toutes les conséquences des violences (sur leur santé physique et psychique, sur le plan social, économique et juridique).

([20]) Article L. 515‑11 du code civil : « L'ordonnance de protection est délivrée, dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. ».

([21]) Table ronde, organisée par la Délégation, de structures associatives sur les violences conjugales du 25 septembre 2019 – voir la vidéo de la table ronde.

([22]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([23]) Circulaire n° CRIM/2019-11/E1-09.05.2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.

([24]) Audition par la Délégation du mercredi 18 septembre 2019 – voir la vidéo de l’audition.

([25])  Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (III de l’article 6).

([26])  Loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique (article 39).

([27])  Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([28]) Audition par la Délégation du mercredi 18 septembre 2019 – voir la vidéo de l’audition.

([29])  Décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005, Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, consid. 20.

([30])  Instaurée par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

([31])  Loi n° 2007‑297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (article 33).

([32]) Article 138 du code de procédure pénale.

([33]) Table ronde, organisée par la Délégation, de structures associatives sur les violences conjugales du 25 septembre 2019 – voir la vidéo de la table ronde.

([34]) Voir le compte-rendu du discours du Premier ministre à l’occasion du lancement du Grenelle contre les violences conjugales, 3 septembre 2019.

([35]) Centre Hubertine Auclert, Rapport Mieux protéger et accompagner les enfants co-victimes des violences conjugales, p. 13.

([36]) Propos cités dans le rapport d’information n° 564 (2017-2018) de Mmes Laurence Cohen, Nicole Duranton, M. Loïc Hervé, Mmes Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol, fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat, déposé le 12 juin 2018, p. 12.

([37]) Imagerie par résonance magnétique.

([38]) Plan interministériel de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants 2017- 2019, p. 39.

([39]) Articles 371 et suivants du code civil.

([40]) Propos rapportés dans le rapport d’information précité du 12 juin 2018 de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

([41]) Voir le compte-rendu du discours du Premier ministre à l’occasion du lancement du Grenelle contre les violences conjugales, 3 septembre 2019.

([42]) Voir la recommandation n° 7 du présent rapport.

([43])  Voir le compte rendu du discours du Président de la République du 25 novembre 2017, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat.

([44]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([45]) Circulaire n° 2003-027 du 17 février 2003 relative à l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées.

([46]) Article L. 312-16 du code de l’éducation.

([47]) Convention interministérielle du 7 février 2013 pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif 2013-2018.

([48]) Article 19 de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

([49]) Rapport n° 2016-06-13-SAN-021 relatif à l’éducation à la sexualité – Répondre aux attentes des jeunes, construire l’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 13 juin 2016.

([50]) Rapport n° 721 de Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain sur le viol, 22 février 2018.

([51]) Centre Hubertine Auclert, Synthèse des résultats et préconisations de l’étude « violences à l’encontre des femmes en Île-de-France : situations et parcours des femmes victimes de violences conjugales, données 2013 ».

([52]) Rapport n° 2018-11-21-VIO-37, Évaluation intermédiaire du plan interministériel (2017(2019) et de la politique contre les violences faites aux femmes – Poursuivre les efforts pour mieux protéger les femmes victimes et en finir avec l’impunité des agresseurs, publié le 22 novembre 2018.

([53]) Voir la recommandation n° 6 du présent rapport.

([54]) Voir le compte-rendu du discours du Président de la République à l'Assemblée générale des Nations Unies, 24 septembre 2019.

([55]) Article 35 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([56]) Rapport n° 721 de Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain sur le viol, 22 février 2018.

([57]) Table ronde du 18 janvier 2018 - voir la vidéo de cette table ronde.

([58]) « Améliorer la prise en charge des soins psycho-traumatiques des femmes victimes de violences »

([59]) « Améliorer la prise en charge médicale des victimes de violences sexuelles ».  

([60]) Rapport n° 2018-11-21-VIO-37, Évaluation intermédiaire du plan interministériel (2017(2019) et de la politique contre les violences faites aux femmes – Poursuivre les efforts pour mieux protéger les femmes victimes et en finir avec l’impunité des agresseurs, publié le 22 novembre 2018.