N° 2287

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2019.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale
et du contrÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

relative à l’activisme actionnarial

 

 

MM. Éric WOERTH et Benjamin DIRX,
co-rapporteurs

 

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La mission d’information est composée de : MM. Éric Woerth et Benjamin Dirx, co-rapporteurs, MM. M’jid El Guerrab, Fabien Roussel et Mme Sabine Rubin

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE – LE DÉVELOPPEMENT  DE L’ACTIVISME ACTIONNARIAL EN EUROPE :  « SECOUER LE COCOTIER » DU CAPITALISME CONTINENTAL ?

I. LES CAMPAGNES ACTIVISTES SE SUCCÈDENT ET NE SE RESSEMBLENT PAS

A. PHÉNOMÈNE ORIGINAIRE ÉTATS-UNIS, LES CAMPAGNES ACTIVISTES SE MULTIPLIENT EN EUROPE

1. Larrivée sur le marché européen dun phénomène connu aux États-Unis depuis de nombreuses années se traduit par l’utilisation de procédés existants

a. Un phénomène né aux États-Unis

b. Alors que le marché américain arrive à maturité, les fonds s’intéresseraient de plus en plus à l’Asie et à l’Europe

c. L’activisme reste pour le moment un phénomène assez limité en France

2. Les actionnaires traditionnels deviennent plus actifs et contribuent à l’essor des campagnes activistes

B. LACTIVISME ACTIONNARIAL REVÊT DE MULTIPLES FORMES

1. Les campagnes activistes déclenchées par un événement (« event driven »)

a. Le groupe CIAM est devenu activiste chez SCOR lors de l’offre d’achat par Covéa

b. Le fonds Elliott Management s’oppose depuis 2015 au retrait de la cote de XPO Logistics

c. Le fonds TCI (The Childrens Investment Fund) est particulièrement actif chez Safran lors du projet d’acquisition de Zodiac Aerospace

2. Certains activistes sapparentent à des investisseurs de moyen terme qui souhaitent révéler de la valeur au sein d’une entreprise qu’ils estiment sous-évaluée

a. Le fonds Cevian chez le groupe français Rexel

b. Le fonds Amber Capital chez Lagardère

c. L’arrivée d’un fonds dans une société qui ne présente pas de signes apparents de vulnérabilité

3. Les « short sellers » parient sur la baisse du cours

a. La vente à découvert fait chuter le cours dun titre

b. L’activité des shorts-sellers est-elle utile ou nuisible au marché ?

II. LACTIVISME ACTIONNARIAL EST-IL UTILE ?

A. LACTIVISME A DES CONSÉQUENCES DIRECTES SUR LA GOUVERNANCE DE LENTREPRISE

B. UNE CAMPAGNE ACTIVISTE INFLUE SUR LE COURS DE LENTREPRISE COTÉE

C. LES ACTIVISTES ALIMENTENT UN DÉBAT SUR LENTREPRISE

SECONDE PARTIE :  LA PLACE DE PARIS À LA CROISÉE DES CHEMINS :  MIEUX ENCADRER LES COMPORTEMENTS ACTIVISTES  SANS NUIR AU MARCHÉ

I. UN MARCHÉ EFFICIENT REPOSE SUR DES RÈGLES STABLES

A. L’attractivité de la Place doit être soutenue dans le contexte du Brexit

B. Les règles sur la transparence du capital des sociétés cotées contribuent déjà à la régulation des activistes

1. Les déclarations de franchissement de seuils

2. Les déclarations dintention

3. Les seuils de déclaration de prêtsemprunts de titres

4. La procédure de titre au porteur identifiable (TPI) permet également d’approcher la composition de l’actionnariat d’une société

a. La procédure de TPI

b. La reconnaissance du droit pour les sociétés cotées de connaître leurs actionnaires

II. un marchÉ efficient requiert une INFORMATION TRANSPARENTE

A. Renforcer la transparence du capital

1. Abaisser le niveau de déclaration de franchissement de seuil

2. Rendre plus complètes et effectives les déclarations de franchissement de seuil de toute nature

3. Corriger les insuffisances de la procédure de titre au porteur identifiable et rendre effectif le droit à connaître ses actionnaires

B. RÉduire l’asymÉtrie de communication et d’information entre fonds activistes et sociÉtÉs cotÉes

1. L’asymétrie entre l’activiste et l’émetteur en cas de campagne publique

2. Rétablir un équilibre de nature à permettre un contradictoire entre la société et l’activiste

C. Encadrer plus étroitement la vente à découvert

1. Un seuil de vente à découvert qui révèle un fonctionnement anormal du marché et qui doit susciter une réaction du régulateur ?

2. Affiner le contrôle des positions courtes

3. Encourager le développement d’une « bourse » des prêtsemprunts de titres

4. Dissocier la détention des titres empruntés des droits de vote

III. UN MARCHÉ EFFICIENT EXIGE UN GENDARME EFFICACE

A. LAMF DOIT EXERCER PLEINEMENT SES PRÉROGATIVES AU NIVEAU NATIONAL

1. L’AMF surveille les marchés financiers

2. L’AMF est prudente dans l’exercice de ses pouvoirs de suspension de ventes à découvert

B. LE TEMPS DE LA RÉGULATION DOIT SE RAPPROCHER DU TEMPS ÉCONOMIQUE

1. Les délais d’enquête sont longs

2. Doter l’AMF de nouveaux pouvoirs d’urgence serait opportun : créer une procédure de référé

3. Renforcer les moyens humains et financiers de l’AMF

a. Les moyens humains

b. Les moyens financiers

c. Le renforcement des moyens de l’AMF est souhaitable

C. LA DIMENSION EUROPÉENNE ET INTERNATIONALE DE LACTIVISME ET DES MARCHÉS FINANCIERS COMPLEXIFIE LA RÉGULATION

1. Les modalités de la coopération internationale

2. La U.S. Securities and Exchange Commission (SEC) : un partenaire important

3. Des difficultés en matière de coopération internationale ?

4. L’activisme actionnarial est aussi un enjeu de souveraineté économique

IV. UN MARCHÉ EFFICIENT EST ANIMÉ PAR DES ENTREPRISES RÉACTIVES

A. DES ENTREPRISES QUI DEVIENNENT LEUR « PROPRE » ACTIVISTE

1. L’analyse préventive de la société par ellemême : mieux vaut prévenir que guérir

2. La rénovation progressive des conseils d’administration

a. La composition du conseil

b. Le rôle des administrateurs indépendants

3. La dissociation spontanée des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général

a. La distinction des fonctions et la liberté d’organisation laissée par le législateur

b. Le développement du modèle de dissociation en France

B. DES ENTREPRISES QUI PRIVILÉGIENT LE DIALOGUE AVEC LES ACTIONNAIRES

1. L’approfondissement du dialogue avec les actionnaires

2. La généralisation de ladministrateur référent

3. La prise en compte des « parties prenantes » : le prochain horizon des activistes européens

Examen en commission

Liste des personnes auditionnées

ÉTUDES UTILISÉES DANS LE RAPPORT


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AVERTISSEMENT

Les rapporteurs ont fait le choix de décrire plusieurs cas d’activisme, dont certains sont toujours en cours.

Ces études de cas sont livrées au lecteur à titre informatif, afin de lui permettre d’appréhender de façon concrète, simple et accessible, un aspect particulier de la vie des affaires.

La grande complexité des dossiers évoqués ne permet évidemment pas d’en faire une recension exhaustive. 

Les rapporteurs ont veillé à ce que les descriptions des cas d’espèce soient aussi neutres et factuelles que possible.

Elles ne sauraient en aucun cas être lues, présentées ou utilisées comme des prises de position des rapporteurs dans un sens ou dans un autre, pour ou contre une quelconque partie.

 


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SYNTHÈSE DU RAPPORT

Né et encore très concentré aux États-Unis, le phénomène de l’activisme actionnarial se développe rapidement en Europe et en France. Il s’agit d’une nouvelle réalité de la vie des affaires, souvent très médiatisée.

Il est sain qu’un actionnaire soit actif dans la vie d’une entreprise. De même, un activiste peut être utile à l’entreprise. L’essentiel n’est finalement pas de différencier les actionnaires actifs des activistes, mais bien d’identifier les formes excessives de comportements activistes.

L’activisme désigne le comportement d’un actionnaire souvent minoritaire, qui fait campagne pour exiger d’une société cotée du changement, en allant au-delà du dialogue bilatéral avec la société, et en prenant parfois position publiquement.

Les fonds activistes sont-ils en train de « secouer le cocotier » du capitalisme continental ?

Les rapporteurs ont rencontré les principaux acteurs du marché (entreprises, fonds activistes, conseils, régulateurs, etc.), à Paris et à New York, pour mieux comprendre un phénomène complexe, multiforme et encore mal appréhendé.

Ils ont notamment été conduits à opérer une distinction importante entre l’activisme « long », où les fonds prennent des participations dans des entreprises dont ils souhaitent voir la valeur augmenter à court terme ou sur une durée plus longue ; et les activistes « courts », qui vendent « à découvert » les titres d’une société pour parier sur la baisse de son cours de bourse. Dans les deux cas, ils distinguent les comportements sains et normaux des abus parfois nuisibles.

Le rapport formule treize recommandations afin de mieux encadrer les comportements activistes, sans nuire à la compétitivité de la place de Paris, en articulant le recours à l’initiative privée, au droit souple et l’évolution des règles quand cela est nécessaire.

Ces recommandations visent à :

*renforcer la transparence du marché et notamment la connaissance par les entreprises de leur actionnariat ;

*réduire l’asymétrie de communication et d’information entre fonds activistes et sociétés cotées ;

*encadrer plus étroitement la vente à découvert, et encourager la transparence sur le marché du prêt-emprunt de titres ;

*rapprocher le temps de la régulation du temps du marché, notamment en donnant plus de moyens d’action au régulateur financier, l’AMF.

Le rapport souligne enfin l’importance pour les entreprises d’être activiste pour elles-mêmes en mettant en place une gouvernance solide ; en favorisant un dialogue actionnarial plus intense ; et en prenant mieux en compte les « parties prenantes » et les enjeux sociaux et environnementaux dans la recherche de la rentabilité.

 


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   INTRODUCTION

En juillet 2019, le fonds activiste Elliott Management prend des positions sur Altran Technologies, une entreprise française de conseil en ingénierie, annonçant son intention de poursuivre ses acquisitions d’instruments financiers liés aux actions Altran ou d’acquérir des actions Altran, ce qu’il a fait successivement en août et fin septembre. L’arrivée du fonds Elliott Management est venue perturber l’offre publique d’achat (OPA) faite par Capgemini sur Altran au prix de 14 euros par action.

Ce cas particulier illustre une tendance en Europe, qui voit certains actionnaires prendre une place croissante dans la vie de l’entreprise : l’« activisme actionnarial ».

Constatant que les interventions activistes sont amenées à se multiplier en Europe et en France, les rapporteurs se sont penchés sur le phénomène, en en rencontrant les principaux acteurs : sociétés cotées, fonds activistes, fonds indiciels, agences de conseil en vote, régulateurs, avocats, autres acteurs financiers, etc. Ils se sont déplacés à New York, pour mieux appréhender les multiples facettes d’une évolution capitalistique encore largement concentrée sur le marché américain.

Leur mission avait plusieurs objectifs : comprendre les méthodes des activistes, différencier les fonds selon leurs comportements, analyser leur utilité sur le marché et interroger la pertinence des règles face à ces comportements.

Les rapporteurs se sont ainsi interrogés sur la nécessité de faire évoluer la législation. Cette réflexion n’est pas propre au législateur français. Le Sénat américain a ainsi examiné en août 2017 une proposition de loi, le « Brokaw Act » (cf. infra), visant à accroître les exigences de transparence sur les positions courtes et sur les actions de concert.

Les campagnes menées par certains fonds sur des États souverains, comme les actions du fond Elliott Management vis-à-vis l’Argentine, sont délibérément laissées en dehors du champ du rapport.

 


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   PREMIÈRE PARTIE – LE DÉVELOPPEMENT
DE L’ACTIVISME ACTIONNARIAL EN EUROPE : 
« SECOUER LE COCOTIER » DU CAPITALISME CONTINENTAL ?

Distinguer actionnaire actif et actionnaire activiste n’est pas une entreprise facile.

L’activisme actionnarial n’a pas de définition juridique établie. Plusieurs définitions ont été proposées au cours des travaux conduits par les rapporteurs, avec des divergences qui illustrent la complexité à caractériser ce phénomène.

Caroline Ruellan, présidente de Sonj Conseil et du cercle des administrateurs, propose la définition suivante : « lactivisme désigne laction menée par un actionnaire minoritaire afin dexercer une influence sur lentreprise, en utilisant les droits que la loi lui reconnaît en contrepartie du risque social quil a accepté de courir, sans volonté de devenir majoritaire ni prendre le contrôle de lentreprise » ([2]). Cette définition exclut un actionnaire qui serait majoritaire ([3]).

Bertrand Cardi, avocat au cabinet Darrois, l’envisage ainsi : « un activiste est quelquun qui demande publiquement une modification de la stratégie, de la direction au sens large ou de la structure financière de la société ».

Rich Thomas, managing director chez Lazard, évoque « un comportement dinvestisseur que tous les actionnaires peuvent manifester dans une certaine mesure à un moment donné ».

Cette dernière vision rejoint la définition proposée par la direction générale du Trésor du ministère de l’économie et des finances dans sa contribution aux travaux de la mission : « tout actionnaire engagé et désireux de faire valoir son point de vue sur la stratégie dune entreprise se trouve en position dêtre qualifié dactiviste ».

L’activisme serait donc le comportement adopté par un actionnaire, le plus souvent minoritaire, qui exige d’une société du changement, en faisant campagne, au-delà du dialogue bilatéral avec l’entreprise, auprès de sa direction, d’autres actionnaires et parfois publiquement.

L’activisme d’un actionnaire s’incarne donc dans les campagnes qu’il conduit. Les exigences peuvent être variées, allant d’un changement de stratégie financière à la nomination d’un nouvel administrateur. L’actionnaire activiste justifie souvent ses revendications par une gestion ou une performance de la société qu’il juge insuffisante voire problématique.

Un activiste peut essayer de convaincre d’autres actionnaires de soutenir ses positions en assemblée générale en engageant un « proxy fight », littéralement une bataille de procurations.

Nombre de campagnes menées par les activistes ne sont pas connues, l’activiste n’ayant pas fait le choix de passer par une campagne médiatique et publique.

La diversité des campagnes activistes rend très délicat et peu opérant l’établissement d’une définition juridique : c’est un choix écarté rapidement par les rapporteurs.

I.   LES CAMPAGNES ACTIVISTES SE SUCCÈDENT ET NE SE RESSEMBLENT PAS

A.   PHÉNOMÈNE ORIGINAIRE ÉTATS-UNIS, LES CAMPAGNES ACTIVISTES SE MULTIPLIENT EN EUROPE

1.   L’arrivée sur le marché européen d’un phénomène connu aux États-Unis depuis de nombreuses années se traduit par l’utilisation de procédés existants

a.   Un phénomène né aux États-Unis

Certains auteurs tracent l’origine de l’activisme aux États-Unis dans les années 30, tout en rappelant que les actionnaires avaient majoritairement tendance à « voter avec leurs pieds » en cas de désaccord avec le management, c’est-à-dire à vendre leurs parts.

Trois chercheurs ont synthétisé dans un article ([4]) paru en mars 2016 les études examinant les conséquences de l’activisme actionnarial sur les entreprises au cours des trente dernières années. Cet article rappelle que le phénomène activiste a pris de l’ampleur aux États-Unis au milieu des années 1980, probablement en lien avec un changement dans la législation américaine concernant les offres publiques d’achat (OPA).

Le phénomène s’est accentué après les années 2000, mais la crise financière de 2007, en entraînant une chute spectaculaire des cours des entreprises sur les marchés, a profondément modifié l’environnement de marché, conduisant les actionnaires activistes à adapter leurs méthodes ([5]).

 

Auparavant, les activistes se fondaient notamment sur deux critères pour déterminer si une entreprise pouvait faire utilement l’objet d’une campagne : un excès de trésorerie disponible ou une capacité à s’endetter non utilisée. Selon les cas, le fonds pouvait soit demander une redistribution plus forte aux actionnaires, soit conseiller des investissements de nature à augmenter le cours de bourse de la société.

Cependant, la crise a démontré l’utilité de posséder un niveau de trésorerie suffisant pour absorber les potentiels chocs économiques. Plutôt que chercher un changement dans la structure financière de l’entreprise, les activistes se concentrent à présent sur les ajustements stratégiques, opérationnels et organisationnels qui peuvent être conduits. Ils peuvent avancer des mesures sources d’économies ou suggérer un changement dans la gouvernance de l’entreprise.

La crise a également fragilisé la confiance à l’égard des membres de conseil d’administration, ainsi que l’avait relevé à l’époque la présidente de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’agence de régulation américaine.

Pour ces différentes raisons, certains auteurs anticipaient en 2009 une facilité croissante des activistes à convaincre les investisseurs traditionnels de la pertinence de leurs thèses, notamment celles portant sur la nécessité d’un renouvellement du conseil d’administration.

Dix ans plus tard, les chiffres sont concordants avec les hypothèses alors formulées. Si les campagnes activistes sont aujourd’hui nombreuses, les chercheurs notent qu’elles ont également pris de l’envergure. Ainsi, en 2012, 24 % des entreprises ciblées étaient capitalisées à plus d’un milliard de dollars, contre seulement 11 % en 2010 ([6]).

Lazard, banque spécialisée dans le conseil financier, publie régulièrement une étude sur l’activisme actionnarial. Les chiffres de cette étude pour l’année 2018 illustrent la montée en puissance de l’activisme. Selon Lazard, un nombre record de campagnes a été recensé dans le monde : 226 sociétés ont été ciblées en 2018, contre 188 en 2017. Le nombre d’activistes continue lui aussi d’augmenter : au niveau mondial, 131 investisseurs se sont engagés en 2018, dont 40 pour la première fois ([7]).

D’autres chiffres font état de 922 entreprises qui ont fait publiquement l’objet de demandes par des activistes, contre 856 en 2017 et 607 en 2013 ([8]). Sur ces 922 entreprises, 53 % (491 entreprises), sont situées aux États-Unis.

Le régulateur américain prend d’ailleurs rarement position publiquement sur le sujet de l’activisme : le phénomène est suffisamment ancien et fréquent pour être considéré comme appartenant au fonctionnement normal des marchés.

L’importance grandissante des activistes se mesure également aux succès de leurs campagnes. En 2018, 161 sièges dans les conseils d’administrations avaient été obtenus par des activistes, soit une augmentation de 56 % par rapport à 2017 ([9]).

Une affaire particulièrement médiatisée en Europe en 2018 a été celle du fonds Elliott Management chez Telecom Italia, un groupe privé de télécommunications italien. Vivendi était premier actionnaire avec 24 % des parts lorsque le fonds Elliott Management a annoncé en avril 2018 avoir acquis 5 % des parts, puis 9 %. Critique de la stratégie suivie par Telecom Italia ([10]), le fonds a affiché sa volonté de faire entrer au conseil d’administration des administrateurs indépendants. Il a réussi à faire élire 10 administrateurs sur les 15 que compte le conseil d’administration, avec 49,84 % des voix, contre 47,18 % pour la liste présentée par Vivendi.

La visibilité des activistes est également renforcée par le rôle joué par les investisseurs dits « traditionnels », qui expriment de plus en plus régulièrement leur opinion sur les campagnes activistes majeures. Ce fut le cas dans le dossier Elliott Management / Telecom Italia, où le fonds activiste a reçu le soutien de la Caisse des dépôts italienne.

L’étude de Lazard sur la première moitié de l’année 2019 ([11]) confirme cette tendance : elle comptabilise 107 nouvelles campagnes activistes lancées sur 99 entreprises. Le fonds Elliott Management est l’activiste ayant mobilisé le volume de capital le plus important, avec 3,4 milliards de dollars d’engagés dans de nouvelles campagnes.

b.   Alors que le marché américain arrive à maturité, les fonds s’intéresseraient de plus en plus à l’Asie et à l’Europe

Si les campagnes activistes sont nombreuses aux États-Unis et moins fréquentes en Europe, de plus en plus de sociétés européennes voient arriver dans leur capital des fonds activistes.

Selon un article publié en février 2019 ([12]), le marché aux États-Unis serait arrivé à une forme de maturité s’agissant des potentielles cibles pour les fonds activistes.

Cette analyse est partagée par les différentes personnes auditionnées par la mission. Selon elles, le marché montrerait ses limites aux États-Unis, où les cibles intéressantes pour des activistes se raréfieraient. Ces derniers se tourneraient donc logiquement vers de nouveaux marchés.

Le Japon, notamment, présenterait un environnement de nature à attirer de nombreux nouveaux investisseurs. Cette analyse est confirmée par les chiffres de Lazard pour la première moitié de l’année 2019, selon lesquels le Japon est devenu le premier « terrain de jeu » des activistes après les États-Unis.

Rich Thomas, intervenant sur la chaîne de télévision américaine CNBC en juillet 2019, explique que sur les deux dernières années lactivisme en Europe a pris une nouvelle forme, plus agressive ([13]). Il s’appuie notamment sur le nombre important de campagnes activistes liées à une opération de fusion-acquisition sur la première moitié de l’année 2019 (46 % de l’ensemble selon les chiffres de Lazard).

En 2018, 58 campagnes ont été lancées en Europe, ce qui représente 23 % du total des campagnes ([14]). Les groupes Pernod-Ricard, ThyssenKrupp et Telecom Italia ont notamment été ciblés. La grande majorité des campagnes se sont déroulées au Royaume-Uni.

L’augmentation du nombre de campagnes ne doit pas occulter l’existence de campagnes pouvant être qualifiées d’activistes en Europe dès le début des années 2000. Dans un article daté de 2009, Michel Albouy et Alain Schatt, professeurs de finance, constatent « un réveil des actionnaires minoritaires et un engagement plus important de leur part » ([15]).

L’activisme actionnarial n’est donc nouveau ni Europe ni en France, mais les récentes campagnes, plus nombreuses, plus médiatiques et centrées sur des groupes à l’importance parfois jugée stratégique pour leur pays hôte, ont focalisé l’attention sur ce phénomène.

La direction générale du Trésor souligne ([16]) par ailleurs que l’environnement européen est particulièrement propice à la conduite de campagnes activistes. Plusieurs facteurs sont mis en avant : l’ouverture capitalistique des marchés européens, l’endettement important de certaines entreprises et une valorisation relativement faible comparée aux entreprises américaines.

Aucun changement législatif n’explique ce tournant dans le nombre de campagnes activistes en Europe. Les actionnaires activistes utilisent des pouvoirs déjà existants : le droit à l’information et le droit de déposer des résolutions et de voter en assemblée générale. Celle-ci devient le « lieu dexpression et dexercice de la démocratie actionnariale », et le « lieu privilégié de cristallisation de cette nouvelle relation [entre les activistes et l’entreprise], avec un recours aux outils mis à disposition des actionnaires par la loi » ([17]).

c.   L’activisme reste pour le moment un phénomène assez limité en France

Le phénomène reste largement anglo-saxon, à la fois au regard de la nationalité des entreprises ciblées et au regard de la nationalité des fonds menant ces campagnes.

Il existe ainsi peu de fonds activistes français. À ce titre, le fonds d’investissement français CIAM demeure plutôt une exception.

Les quelques campagnes activistes, moins d’une dizaine, qui ont été menées en France depuis quelques années sont pour l’essentiel décrites infra. Elles ont cependant connu un grand retentissement médiatique.

Elena Duré, membre d’Activist Insight, avance plusieurs explications dans un rapport sur l’activisme en Europe en 2018 ([18]). Citant la co-présidente de CIAM, elle suggère que la culture française pourrait se révéler une barrière pour les activistes, avec la persistance d’une certaine solidarité entre les managers et les membres des conseils d’administration.

De manière plus globale, il serait, selon certains acteurs, plus difficile en Europe d’obtenir des sièges au conseil d’administration. Cela serait de nature à décourager les activistes à se lancer dans une campagne pour en obtenir. Un interlocuteur de la mission a mentionné un état d’esprit « plus fermé » en Europe, ainsi qu’une « mauvaise réputation » qui serait faite aux activistes. Un autre a cité des « différences culturelles » de nature à faire obstacle aux investissements en Europe.

Néanmoins, il reste très probable que le nombre d’entreprises françaises ciblées par des campagnes activistes augmente dans les prochaines années.

2.   Les actionnaires traditionnels deviennent plus actifs et contribuent à l’essor des campagnes activistes

Au nombre des actionnaires dits traditionnels, il faut compter au premier chef les sociétés de gestion d’actif, agréées et surveillées par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Qualifiés pour certains d’entre eux d’investisseurs « passifs », ils sont de plus en plus nombreux à s’impliquer de manière plus étroite dans la gestion des entreprises dont ils sont actionnaires.

C’est le cas notamment de Blackrock, premier gestionnaire d’actifs au monde et premier gérant d’actifs étrangers en France. L’implication de Blackrock est croissante et se manifeste parfois dans le vote contre les rémunérations des dirigeants. Il arrive à ses gestionnaires de suivre les campagnes des activistes. Blackrock a d’ailleurs enrichi sa gamme d’ETF ([19]) en ajoutant des fonds indiciels centrés sur les critères ESG (Environnement, social et gouvernance). Selon Blackrock, les investissements dans des ETF / ESG vont être multipliés par vingt d’ici à 2028.

Selon Rich Thomas, « même les fonds indiciels passifs prennent de plus en plus dinitiatives et cherchent à contraindre les entreprises à changer certains points de leur gouvernance et de leur stratégie. » ([20]).

La multiplication des campagnes activistes s’accompagne d’une augmentation du nombre dintervenants, notamment des cabinets d’avocats, des agences de conseil en vote, des agences de communication financière, etc.

Les agences de conseil en vote sont devenues des partenaires clés pour les investisseurs. Elles analysent les rapports de comptes des sociétés, les résolutions présentées par le conseil d’administration et formulent des recommandations à l’attention de leurs clients. Elles peuvent également assister aux assemblées générales.

Il existe quelques agences de conseil en vote françaises, telles que Proxinvest, créée en 1995. Celle-ci suit 300 assemblées générales par an et emploie 10 personnes. Ce sont cependant les agences américaines qui dominent le marché, en particulier Glass Lewis et ISS (Institutionnal Shareholders Services). À titre d’exemple, cette dernière emploie 1 800 salariés dans 13 pays, et assiste en moyenne à 44 000 assemblées générales par an.

Parmi les principes de vote communs aux différentes agences s’en trouvent certains liés directement à la gouvernance des sociétés : la dissociation de la fonction de directeur général de la fonction de président, ou encore la nomination d’administrateurs indépendants au sein du conseil d’administration.

Les deux représentants d’agences de vote rencontrés par la mission sont restés très prudents sur leurs relations avec les fonds activistes. Ils affirment accorder autant d’attention à tous les actionnaires, activistes ou non. Il peut arriver que les agences se rangent aux côtés d’un activiste lors d’une campagne ou d’un proxy fight. C’est le cas par exemple dans le dossier Telecom Italia, dans lequel ISS a apporté son soutien au fonds Elliott Management.

Certaines personnes auditionnées ont déploré l’application stricte par les agences de vote d’une grille de critères pré‑établis et pas nécessairement adaptés à toutes les situations rencontrées ; un dialogue limité avec les sociétés ; et de potentiels conflits d’intérêts alors que ces entreprises ont également des activités de conseil. La multiplication des assemblées générales, souvent à la même période, pose également la question de la disponibilité des agences et de leur capacité à produire des analyses individualisées. Ces questionnements sont amplifiés par le poids croissant pris par la gestion passive comme par la très forte concentration du secteur des proxys.

L’exercice de leurs activités en France n’est pas conditionné à l’obtention d’un agrément. Mais il existe des recommandations de l’AMF sur le sujet et un code de bonne conduite établi en mars 2014. La loi pour la croissance et la transformation des entreprises (loi « PACTE ») ([21]) a introduit des obligations de transparence nouvelles sur leurs méthodes et sur la prévention des conflits d’intérêts.

                                          La mission relève que le fait, pour un investisseur, de se dessaisir de son rôle politique (le vote en Assemblée générale) au profit d’un tiers n’est pas sain, même poussé par des considérations de coût et de capacité de traitement de l’information des sociétés cotées.

Il pourrait être utile d’approfondir le rôle parfois ambigu de ces acteurs afin de mieux comprendre la logique de leurs interventions.

Les cabinets davocats conseillent les entreprises ayant un fonds activiste dans leur capital, ou les fonds activistes souhaitant entrer au capital d’une société. Les batailles juridiques ne sont pas rares, et les relations entre émetteurs et activistes prennent dans un nombre de cas non négligeable une tournure contentieuse.

Les agences de communication financière sont également mobilisées, notamment auprès des entreprises, étant donné le rôle stratégique joué par la communication publique et le rôle de la presse dans certaines campagnes.


B.   LACTIVISME ACTIONNARIAL REVÊT DE MULTIPLES FORMES

Dans un article, le gestionnaire d’actifs Amundi ([22]) identifie cinq options pour un activiste en désaccord avec le management :

– voter ;

– dialoguer ;

– exprimer publiquement son désaccord ;

– proposer des résolutions ;

– lancer une prise de contrôle.

Néanmoins, cette typologie ne permet pas de classer les activistes, certains utilisant alternativement ou concomitamment plusieurs de ces options lors de leurs différentes campagnes.

S’il est délicat de construire des catégories strictes pour les activistes, trois formes de comportements peuvent cependant être distinguées.

1.   Les campagnes activistes déclenchées par un événement (« event driven »)

Une campagne activiste peut trouver son origine dans une opération financière menée par une société.

Selon l’enquête de Lazard déjà citée, 33 % des campagnes activistes en 2018 étaient liées à une opération de fusion/acquisition. Lazard classe les demandes des activistes dans ce cas en trois catégories :

– prôner la vente de la société ou la fusion avec une autre société en vue d’une consolidation : c’est le cas par exemple de CIAM chez SCOR, cas développé infra ;

– plaider pour que la société modifie le champ et le nombre de ses activités, par exemple pour le réduire : c’est le cas par exemple d’Amber Capital chez Suez ;

– se positionner sur des opérations existantes pour en améliorer les termes : c’est le cas par exemple d’Elliott Management chez Oasis.

Pour les activistes, les opérations de fusion-acquisition constituent des opportunités de réaliser d’importants bénéfices. Sur la période 2000-2012, 462 entreprises ont été rachetées dans le cadre de campagnes activistes, dont 15 % par le fonds lui-même ([23]). Généralement, le fonds sert plutôt d’intermédiaire avec un autre acheteur potentiel.

a.   Le groupe CIAM est devenu activiste chez SCOR lors de l’offre d’achat par Covéa

Le réassureur SCOR est engagé depuis l’été 2018 dans un litige juridique et financier avec le groupe mutualiste Covéa, qui est aussi son premier actionnaire à hauteur de 8,2 %.

Le groupe SCOR

SCOR est le quatrième réassureur mondial, d’origine française. La réassurance est l’assurance des sociétés d’assurance : « elle permet aux assurances de couvrir leurs risques en cédant une partie dentre eux, afin de les mutualiser à léchelle mondiale », selon SCOR.

SCOR couvre les principaux risques : grandes catastrophes, sinistres industriels, « risques Vie biométriques » (tendances et chocs en termes de mortalité par exemple), etc.

Le groupe a un chiffre d’affaires de 15,3 milliards d’euros en 2019. Le résultat net est de 322 millions d’euros. Le groupe a des capitaux propres de 5,8 milliards d’euros.

Covéa, dans un objectif de croissance externe, a fait part à SCOR de son projet d’acquérir une participation majoritaire dans son capital et ses droits de vote ([24]).

Covéa a formulé une proposition de rachat de 8 milliards d’euros, le 4 septembre 2018, au prix de 43 euros par action.

Ce projet s’est néanmoins heurté à l’opposition du conseil d’administration de SCOR et de son président‑directeur général (P.-D.G.), Denis Kessler. Le conseil d’administration de SCOR a voté « à lunanimité le refus dengager des discussions avec Covéa », considérant que la proposition était « fondamentalement incompatible avec la stratégie dindépendance de SCOR » ([25]).

Le fonds CIAM, actionnaire de SCOR à 0,94 %, a fait part de ses désaccords avec la stratégie suivie par le conseil d’administration de SCOR sur ce dossier dans une lettre datée du 17 septembre 2018 ([26]).

Le fonds CIAM

Charity Investment Asset Management (CIAM) est un fond qui investit dans des titres cotés. Il a été fondé en 2010 par Anne Sophie d’Andlau et Catherine Berjal et a des bureaux à Paris et à Londres. Les investisseurs principaux dans CIAM sont des bureaux de gestion de patrimoine ([27]), des investisseurs institutionnels et des banques. En mars 2019, CIAM revendique un rendement annualisé de 11 % depuis 2013 et 600 millions d’euros d’actifs sous gestion.

Le fonds investit dans des sociétés de toute taille sans privilégier de secteur particulier. La stratégie de CIAM consiste à « identifier les sociétés affectées de défaillance de gouvernance qui ont un effet préjudiciable sur la valeur des actions » ([28]). Il a pour objectif de susciter des rendements décorrélés des marchés financiers en « libérant de la valeur » dans les entreprises visées.

C’est l’intervention de CIAM dans la société Disney qui lui a notamment conféré une certaine visibilité. Le fonds est intervenu dans le rachat par Disney des actions de minoritaires dans sa filiale Euro Disney, en lançant des procédures contentieuses pour inciter le groupe Disney à relever la valeur de l’offre de rachat, estimant que celle-ci avait été sous‑évaluée en raison de « transferts intra groupes colossaux ».

Après des discussions dont certaines ont connu des échos dans la presse, Covéa a annoncé le 29 janvier 2019 qu’il renonçait à prendre le contrôle de SCOR. Le jour de l’annonce de l’abandon du projet, le titre SCOR a perdu 11,4 % ([29]).

Ce même jour, le groupe SCOR a décidé de saisir l’AMF, arguant que « le Groupe [SCOR] navait pas été préalablement informé du changement de position de Covéa » ([30]). Le groupe, par la voie du même communiqué de presse, a annoncé son intention d’engager diverses actions judiciaires contre Covéa et son P.-D.G.

C              IAM a réagi à cet abandon en déplorant la « stratégie judiciaire très agressive » poursuivie par SCOR, ayant eu « pour conséquence directe le retrait par Covéa de tout projet de rapprochement ». Dans le même courrier, la co-présidente du fonds, Catherine Berjal, a interrogé le P.-D.G. de SCOR sur ses projets futurs en termes de création de valeur.

L’assemblée générale de SCOR le 26 avril 2019 a été l’occasion pour le fonds CIAM d’exprimer ses positions sur ce qu’il qualifiait de « gouvernance à risque » ([31]) de SCOR. Le fonds a déposé une résolution visant à dissocier les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, résolution soutenue par l’agence de conseil en vote Glass Lewis ([32]). Ses résolutions n’ont pas été adoptées ([33]).

L’intervention de CIAM chez SCOR est emblématique d’un activiste event driven : le fonds d’investissement utilise une potentielle opération financière pour faire valoir ses thèses et cherche à rallier des soutiens lors de l’assemblée générale. Le déroulement de la campagne activiste illustre l’importance des médias comme vecteur de communication pour les deux parties.

b.   Le fonds Elliott Management s’oppose depuis 2015 au retrait de la cote de XPO Logistics

Un activiste peut également profiter d’une OPA pour investir dans un titre et cherche à modifier les termes de l’opération. C’est le cas d’Elliott Management dans le dossier XPO Logistics.

En avril 2015, le groupe américain XPO Logistics Inc. rachète le groupe français spécialisé dans le transport Norbert Dentressangle, grâce à la cession par la famille propriétaire du groupe des 67 % du capital qu’elle détenait, pour 3,24 milliards d’euros.

Lors du rachat du bloc majoritaire, le groupe XPO annonce son intention de lancer une offre publique d’achat sur le capital restant, dans l’objectif de procéder au retrait obligatoire de la cote ([34]). Son offre s’établit alors à 217,50 euros par action.

La procédure de retrait obligatoire de la cote, avant d’être modifiée par la loi PACTE, permettait à un actionnaire détenant plus de 95 % du capital de forcer le retrait de la cote en rachetant les actions détenues par les actionnaires minoritaires dans les mêmes conditions que celles de l’offre publique d’achat. Le groupe XPO est empêché dans son projet par la montée au capital de l’entreprise du fonds d’investissement Elliott Management qui, au terme de l’OPA en juillet 2015, possédait 9,12 % des actions du transporteur routier français, alors que XPO détenait 86,24 % du capital.

Le fonds Elliott Management

Il a été créé en 1977 par Paul Singer. Il gérait 38,2 milliards au 1er juin 2019. Le fonds emploie 470 personnes et opère aujourd’hui depuis New York, Londres, Hong Kong et Tokyo.

Le fonds est parfois qualifié de « fonds vautour », en lien avec le rôle joué lors du défaut de paiement de l’Argentine en 2001.

Le fonds est « multi-stratégies » : crédits, immobilier, capital-investissement, produits structurés.

Le fonds a été désigné comme l’activiste le plus influent pour la quatrième année consécutive dans le classement établi par la revue Activist Insight ([35]). Il se caractérise par des rendements affichés très élevés : la performance annuelle de long terme sur les 40 dernières années serait de 13,5 % ([36]). Celle-ci serait néanmoins en baisse, avec un rendement de 9 % en moyenne sur les 5 dernières années.

En 2018, le fonds a lancé 22 campagnes activistes, en ciblant particulièrement l’Europe (Pernod-Ricard, Telecom Italia).

Le succès des campagnes du fonds tient en partie à sa réputation : la crédibilité d’Elliott Management lui permet d’avoir un impact immédiat sur le marché. Ainsi, sur les 22 investissements activistes faits en 2018, 62 % se situent à un cours supérieur au niveau atteint juste avant l’arrivée du fonds dans leur capital ([37]). La durée moyenne de ses investissements en tant qu’activiste est de deux ans ([38]).

Le fonds Elliott Management a investi suffisamment pour que l’opération de retrait de la cote souhaitée par XPO Logistics ne puisse se faire sans son accord.

Le fonds s’était déjà positionné dans un dossier impliquant un retrait de la cote en 2005, lors du rachat par Eiffage de la société APRR. Dans ce dossier, il avait été sanctionné pour « transmission et utilisation dune information privilégiée » par la commission des sanctions de l’AMF ([39]).

Le dossier XPO Logistics est devenu un contentieux judiciaire. XPO Logistics a ainsi engagé une procédure devant le tribunal de commerce de Paris en juillet 2015 : « Elliott a en effet empêché le retrait obligatoire dans des conditions que XPO considère tout à fait illégales et contraires aux règles de marché » ([40]), selon l’avocat conseil de XPO Logistics.

Le fonds Elliott soutient avoir respecté « toutes les obligations de lAutorité des marchés financiers » et maintient que son intervention était guidée par le fait que « le prix de loffre valorisait Norbert Dentressangle moins bien que XPO » ([41]) et non par une volonté d’empêcher le retrait de la cote.

Selon un article des Échos ([42]), l’AMF aurait ouvert une enquête en septembre 2015 sur la montée au capital d’Elliott.

Depuis 2015, le fonds communique largement sur ses exigences lors des assemblées générales. En 2016, il demande ainsi la révocation du directeur des opérations de XPO nommé président du directoire en septembre 2015, par le biais d’un projet de résolution déposé en vue de l’assemblée générale du 24 septembre 2016 ([43]). Le 23 mai 2019, à l’occasion de l’assemblée générale de XPO Logistics, le fonds Elliott, appuyé par l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), a envoyé un questionnaire détaillé au directoire de XPO Logistics ([44]).

c.   Le fonds TCI (The Children’s Investment Fund) est particulièrement actif chez Safran lors du projet d’acquisition de Zodiac Aerospace

Le fonds TCI s’est révélé actif dans le groupe Safran au moment de l’acquisition de Zodiac Aerospace, en demandant des modifications sur les termes de l’OPA.

Le fonds TCI (The Children’s Investment Fund)

C’est un fonds activiste britannique créé en 2003. Il s’est fait remarquer par plusieurs opérations. En 2007, il demande la scission de la banque néerlandaise ABN Amro. En 2014, il obtient qu’Airbus vende sa participation dans Dassault Aviation. En 2016, il milite activement pour que le groupe Volkswagen modifie la politique de bonus versés à ses dirigeants.

Son principal mode de communication repose sur l’envoi de missives aux directions générales qui sont ensuite publiées sur son site Internet.

En février 2017, au moment du projet de fusion de Safran avec Zodiac Aerospace, TCI est actionnaire à 4,1 % de Safran. Il signifie au président de Safran sa « ferme opposition » ([45]) à ce projet de fusion, sur le point d’aboutir après des mois de discussion entre les deux parties.

Pour le fonds, le prix du rachat, à hauteur de 29,50 euros par action, est « inapproprié », notamment compte tenu des difficultés de l’équipementier. Selon TCI, « la juste valeur de Zodiac se situe aux alentours de 20 euros par action ».

Il ajoute que l’opération représente « un terrible retour sur investissement pour Safran », au vu de la concurrence dans le secteur de Zodiac. Il informe également avoir saisi l’AMF ([46]). Le fonds a créé un site internet dédié au développement de ses arguments contre cette fusion, astrongersafran.com (aujourd’hui fermé).

Safran répond par le biais d’une lettre rédigée par Ross McInnes, président du conseil d’administration, en défendant une opération qui présenterait « une dimension stratégique claire ». Il met en avant les complémentarités entre les deux groupes et la diversité des activités de Zodiac. Il maintient que « ce projet est créateur de valeur » et soutient que le prix de l’offre « doit également sapprécier en examinant le potentiel de synergies et déconomies » ([47]).

Dans un entretien au journal Le Monde en mars 2017, le fondateur du fonds activiste TCI, Chris Hohn, pointe l’absence de consultation préalable des actionnaires sur le rachat de Zodiac. Selon lui, « la protection des actionnaires minoritaires est défaillante en France » ([48]).

Mi-mars 2017, un avertissement sur les résultats de Zodiac est publié ([49]). Safran prend acte de ces informations, qui « constituent un fait nouveau par rapport aux éléments disponibles préalablement à lannonce du projet dacquisition de Zodiac Aerospace par Safran ». Le communiqué indique que Zodiac et Safran continuent leurs négociations, qui « intégreront dans leurs discussions les conséquences de ces faits nouveaux » ([50])

Cela conduit à une nouvelle offre d’achat présentée en mai 2017, à hauteur de 25 euros par action. L’offre de rachat a finalement été établie à une décote significative par rapport à la première offre de janvier, avec également une simplification du dispositif de rachat proposé ([51]). Cette offre est encore considérée comme étant trop élevée par TCI, qui se dit néanmoins prêt à revenir sur sa position si un accord différent peut être trouvé sur les rémunérations des dirigeants.

L’Autorité des marchés financiers a annoncé le 6 février 2018 le succès de l’offre publique des actions Zodiac Aerospace initiée par Safran, permettant au groupe de finaliser l’acquisition.

Le président de Safran, dans un entretien publié en octobre 2019, revient sur cette opération et reconnaît qu’« en disant que Zodiac valait 7 euros, de manière aussi affirmée, TCI nous a plutôt aidés dans les négociations » ([52]) avec Zodiac.

Dans ces trois campagnes, les activistes ont saisi l’opportunité constituée par une opération financière pour mettre en avant leurs préconisations.

2.   Certains activistes s’apparentent à des investisseurs de moyen terme qui souhaitent révéler de la valeur au sein d’une entreprise qu’ils estiment sous-évaluée

Ces activistes n’investissent pas nécessairement à l’occasion d’une opération ponctuelle, mais cherchent à influer de façon plus profonde sur la stratégie, la gestion ou la gouvernance de la société investie.

Dans certains cas, les demandes du fonds peuvent être alignées avec les priorités affichées par le management, ce qui facilite les échanges entre les actionnaires et le management.

C’est le cas par exemple du fonds suédois Cevian arrivé chez Rexel en 2015.

a.   Le fonds Cevian chez le groupe français Rexel

Le fonds Cevian est entré au capital de Rexel, groupe spécialisé dans la distribution d’électricité, en 2015, à hauteur de 5,4 %. C’est, encore à ce jour, la seule participation détenue par Cevian en France.

Le fonds suédois Cevian

Il a été fondé en 2002 par Lars Förberg et Christer Gardell. Il opère aujourd’hui avec trois bureaux, situés à Zürich, Londres et Stockholm. Le fonds se présente comme une société d’investissement présente au capital de plusieurs entreprises européennes dont la valeur de long terme peut être améliorée par un actionnaire actif.

Cevian est le premier fonds activiste européen et lun des trois plus importants au monde. Il détient des participations dans une douzaine d’entreprises, comme Ericsson et ABB. Il a choisi de ne pas multiplier les campagnes et fait environ deux investissements par an. Il gère actuellement 13 milliards d’euros, pour le compte d’investisseurs essentiellement institutionnels (fonds de pensions, fonds souverains ou fonds de dotation). Il privilégie les participations de long terme : il est par exemple resté 11 ans au capital de Volvo.

Il se caractérise également par la prise de participations importantes, entre 5 % et 20 % du capital, afin « dappuyer la prise de décisions bénéfiques à long terme ». L’objectif, comme l’indique Harlan Zimmerman dans un entretien daté de novembre 2017, est de rendre l’entreprise « plus compétitive et daméliorer sa valeur à long terme » ([53]). 

Le fonds ne mène pas de campagne publique et pèse sur la stratégie en rejoignant les conseils d’administrations des entreprises de son portefeuille. Il est actuellement au conseil d’administration de neuf entreprises, dans six pays différents.

Dans un entretien avec le journal Les Échos, daté de décembre 2018, Harlan Zimmerman se présente comme un « actionnaire constructif » ([54]).

Lors de ce même entretien, le dirigeant du bureau de Londres a indiqué que le fonds cherchait des opportunités dinvestissement en France, incité par son expérience d’actionnaire chez Rexel.

Cevian prend une participation dans un groupe qui connaît quelques difficultés. Ainsi, en 2015, « en raison de la détérioration des conditions macro-économiques », le groupe Rexel révise ses objectifs de ventes annuelles ([55]).

Rexel

Rexel est une entreprise française, spécialisée dans la distribution de matériel électrique, de chauffage, de plomberie, dont l’activité s’étend aujourd’hui aux énergies renouvelables, aux solutions d’efficacité énergétique, en passant par la domotique à l’outillage portatif.

Rexel emploie 27 000 collaborateurs, est présent dans 26 pays, et est coté à la Bourse de Paris. Le groupe réalisait en 2018 un chiffre d’affaires de 13 milliards d’euros.

Cevian est aujourd’hui son principal actionnaire, à hauteur de 17,6 % (octobre 2019).

Des changements de gouvernance ont été opérés en juin 2016. Rexel indique dans un communiqué qu’« en raison de divergences de vues avec le conseil dadministration sur le changement de gouvernance et sur lapproche [du P.-D.G.] dans la mise en œuvre de la stratégie du Groupe, ce dernier a été appelé à mettre fin à son mandat » ([56]). Dans le même temps, les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général sont dissociées.

Cevian passe alors la barre des 10 % (atteignant 10,47 %) du capital en juillet 2016, devenant le premier actionnaire du groupe français.

La nouvelle équipe change de stratégie. Alors que le plan présenté en 2016 prévoyait une croissance soutenue notamment par des acquisitions à hauteur de 1,5 milliard d’euros sur une période de quatre ans ([57]), la nouvelle équipe de Rexel présente en février 2017 un programme de cession d’actifs et une plus grande sélectivité dans l’allocation des capitaux ([58]).

Puis, en mai 2017, Marcus Alexanderson, associé chez Cevian Capital, est coopté comme administrateur au conseil d’administration, considéré comme non-indépendant.

En décembre 2018, le fonds accroît sa participation à plus de 19,5 %, contre 15 % auparavant. Dans un communiqué de presse, Harlan Zimmerman, associé senior du fonds, souligne : « nous soutenons le travail mis en œuvre par les dirigeants et le conseil d’administration de Rexel pour améliorer la compétitivité et la valeur du groupe sur le long terme » ([59]).

Cevian a certainement influé sur les changements stratégiques opérés par Rexel. Les rapporteurs relèvent en effet que :

– Cevian revendique d’investir dans « des entreprises cotées européennes qui ont des bases solides à long terme mais qui font face à des challenges immédiats ou qui sont mal comprises par les marchés financiers » ([60]) ;

 Cevian envisage son rôle comme celui dun investisseur en mesure de peser sur la conduite de lentreprise : « nous intervenons là où un changement fondamental est nécessaire et dès lors que nous pensons pouvoir apporter quelque chose. Notre rôle consiste à aider la société à être plus compétitive et à améliorer sa valeur à long terme. » ([61]).

Le schéma suivi par Cevian dans le dossier Rexel ne peut être généralisé à l’ensemble des investissements faits par le fonds. Ainsi, en 2015, le fonds a pris une participation dans la société Thyssenkrupp. En 2018, le cofondateur de Cevian a indiqué : « Thyssenkrupp ne se développe pas de la façon dont nous attendions. Quelque chose doit changer dans la structure du groupe » ([62]). Cevian s’est à nouveau positionné publiquement sur la gouvernance du groupe en septembre 2019, soutenant Martina Merz comme candidate pour remplacer le président du directoire ([63]).

Encore au-delà, certains activistes disposent de moyens financiers qui leur permettent de faire des offres publiques d’achat en leur nom propre et de prendre le contrôle total d’une société. C’est le cas d’Elliott Management, qui a racheté Athnahealth en novembre 2018.

Cela renforce l’idée qu’il est complexe et sans doute vain de chercher à classifier trop strictement les fonds, qui adaptent leur comportement aux entreprises dans lesquelles ils sont entrés.

b.   Le fonds Amber Capital chez Lagardère

Il arrive que le fonds soit en désaccord profond et continu avec le management. C’est le cas par exemple d’Amber Capital, arrivé au capital de la société Lagardère en 2016.

Amber Capital

Le fonds, fondé par Joseph Oughourlian en 2005, exerce son activité sur les marchés cotés, notamment européens. Il est basé à Londres, avec des bureaux à New York et Milan. Il gérait environ 1,8 milliard de dollars d’actifs au 1er juin 2018.

Il est orienté sur la recherche de la valeur (« value oriented ») et se positionne également en fonction d’événements (« event driven »).

Il se définit comme ayant une « philosophie dactionnaire actif », avec une expertise en analyse fondamentale et en gouvernance d’entreprise.

En décembre 2018, Amber Capital détenait 5,10 % du capital de Lagardère et 3,77 % des droits de vote ([64]).

Lagardère ([65])

Lagardère est un groupe français structuré autour de quatre branches d’activité : l’édition, le commerce en zone de transport, le sport et le divertissement, et la presse.

Cest une société en commandite par actions. Une SCA permet une dissociation de la gestion et de la détention du capital. C’est une société par actions, mais sont distinguées deux catégories d’associés : les commanditaires, dont la responsabilité est limitée aux apports ; et les commandités, qui répondent solidairement et indéfiniment des dettes sociales. Les commandités ont un droit de veto pour leur désignation et pour toute modification des statuts.

Arnaud Lagardère est à la fois gérant et commandité. Il détient la holding Lagardère Capital Management (LCM), actionnaire à 7,33 % de Lagardère.

Le fonds a exprimé à plusieurs reprises ses divergences avec le management de Lagardère.

En 2018, Amber Capital a déposé des résolutions pour faire élire des administrateurs au conseil de surveillance, rejetées lors de l’assemblée générale du 3 mai 2018. Selon Joseph Oughourlian, fondateur d’Amber Capital : « beaucoup de membres du conseil ont plus de 12 ans de présence, ce qui les rend non indépendants daprès les critères de lAfepMedef » ([66]).

Lagardère, dans sa réponse écrite défend l’indépendance de son conseil de surveillance : « même en admettant une requalification des membres ayant plus de 12 ans dancienneté, le niveau dindépendance du Conseil de Surveillance de Lagardère SCA demeure bien supérieur aux exigences du Code Afep-Medef et des politiques de vote des investisseurs institutionnels, qui recommandent quau moins la moitié des membres soient indépendants » ([67]).

Dans un courrier adressé au conseil de surveillance de Lagardère en vue de l’assemblée générale du 10 mai 2019, le fonds se dit en accord avec la décision du groupe de se concentrer sur ses activités stratégiques (l’édition et le commerce en zone de transport).

Le fonds affirme néanmoins que Lagardère a « sous-performé » et qu’« une partie de la sous-performance de Lagardère s’explique par la gouvernance mise en place au niveau de Lagardère Capital & Management (LC & M), holding personnel d’Arnaud Lagardère ». Amber demande à « revoir le dispositif de portage du comité exécutif de Lagardère par LC & M, qui facture à la société des coûts totalement décorrélés des performances effectives et qui génère une opacité contraire aux objectifs affichés de la gérance » ([68]). L’organisation de la société en commandite est régulièrement critiquée par Amber.

Le groupe Lagardère présente lui la commandite Lagardère comme « une structure moderne, parfaitement adaptée aux exigences du gouvernement d’entreprise et répondant le mieux possible aux deux principes de base que sont la dissociation des fonctions de direction et de contrôle et l’association la plus étroite des actionnaires au contrôle de l’entreprise » ([69]).

Le dossier Amber / Lagardère illustre le cas d’un dialogue difficile entre un activiste et l’émetteur côté, avec une campagne publique par le biais de résolutions.

c.   L’arrivée d’un fonds dans une société qui ne présente pas de signes apparents de vulnérabilité

L’arrivée d’Elliott Management chez Pernod-Ricard s’est faite dans un contexte de bons résultats affichés par le groupe ([70]), qui ne laissaient pas présager l’arrivée d’un fonds activiste.

En décembre 2018, le fonds activiste Elliott Management a révélé détenir 2,5 % du groupe Pernod-Ricard. Il avait auparavant consolidé sa position au cours du mois d’octobre.

Si le fonds activiste affirme que « Pernod représente une des opportunités dinvestissements les plus intéressantes du secteur des spiritueux » ([71]), il estime que la performance du groupe ne reflète pas correctement son potentiel.

Le fonds s’appuie sur les résultats d’un concurrent britannique de Pernod-Ricard, Diageo, pour affirmer que la marge opérationnelle de Pernod-Ricard est « inférieure de 5 points » à ce qu’elle devrait être. Partant de ce constat, il demande des changements dans la structure du conseil d’administration et dans l’organisation du groupe.

Le groupe Pernod-Ricard précise que son plan stratégique, élaboré avant l’arrivée d’Elliott, « contient 21 grands projets visant à améliorer la croissance et la rentabilité, avec toujours le souci du meilleur équilibre entre performance à court terme et création de valeur à long terme » ([72]).

Plusieurs rencontres ont eu lieu entre le fonds et les représentants du groupe entre décembre et février. Entre-temps, la gouvernance du groupe a évolué lors du conseil d’administration du 23 janvier 2019, avec notamment la nomination de Patricia Barbizet, administratrice indépendante, comme administratrice référente.

Le groupe Pernod-Ricard a publié en février dernier, selon lui, les meilleurs résultats semestriels du groupe depuis une dizaine d’années ([73]).

Il se défend d’aucune influence d’Elliott sur les choix faits. Selon Alexandre Ricard : « on n’applique pas les recommandations dElliott mais la feuille de route que nous avions présentée il y a trois ans » ([74]).

3.   Les « short sellers » parient sur la baisse du cours

Un dernier cas d’activisme, très particulier, peut être distingué : la prise de positions courtes par des fonds, aussi appelée « vente à découvert » ou « short selling ». Les vendeurs à découvert misent sur la baisse du titre.

Dans le droit européen, la vente à découvert est la vente d’un titre dont le vendeur n’est pas propriétaire au moment où il conclut l’accord de vente.

Par opposition à une vente au comptant avec débouclage immédiat, la vente à découvert a un caractère différé : la livraison du titre a lieu ultérieurement. Dans l’intervalle, si le prix du titre a baissé, le vendeur peut se procurer les titres à un prix plus faible et les livrer à l’acheteur qui, lui, acquittera le prix fixé au moment de la vente. Ainsi, le vendeur réalise un gain. Le vendeur vend donc immédiatement une action qu’il espère racheter moins cher. Si le cours a au contraire monté entre la vente et la livraison, le vendeur réalise une perte.

La vente à découvert peut également concerner les instruments de dette d’une société, dont le prix est positivement corrélé au cours de l’action. La prise de positions « courtes » peut également être réalisée par des instruments financiers plus complexes, ayant pour sous-jacents l’action ou la dette de la société (Credit Default Swaps par exemple).

Extrait de l’article 2 du Règlement n° 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit

« vente à découvert » : « la vente d’une action ou d’un titre de créance dont le vendeur n’est pas propriétaire au moment où il conclut l’accord de vente, y compris lorsqu’au moment où il conclut l’accord de vente, le vendeur a emprunté l’action ou le titre de créance ou accepté de l’emprunter pour le livrer au moment du règlement ; ne comprenant pas :

i) une vente par l’une ou l’autre des parties dans le cadre d’un accord de mise en pension par lequel l’une des parties accepte de vendre à l’autre une valeur mobilière à un prix déterminé, cette dernière partie s’engageant à la revendre à une date ultérieure à un autre prix déterminé ;

ii) un transfert de valeurs mobilières dans le cadre d’un contrat de prêt de valeurs mobilières ; ou

iii) la conclusion d’un contrat à terme standardisé (futures) ou d’un autre contrat d’instruments dérivés par lequel il est convenu de vendre des valeurs mobilières à un prix déterminé à une date future. »

Cette pratique vise théoriquement des sociétés dont la valeur des titres est jugée surévaluée par les vendeurs à découvert. Ils peuvent ainsi estimer que la société ciblée se rend coupable de fraudes, ou qu’il existe des pratiques opérationnelles, financières ou comptables jugées douteuses, ou encore que le marché n’est pas suffisamment bien informé sur la réalité de la société, soit parce que l’information transmise par cette dernière n’est pas suffisamment transparente, soit parce que le marché ne l’a pas convenablement intégré dans le prix des titres.  

La vente à découvert, qui n’est pas un investissement dans le capital d’une entreprise, est une activité qui mobilise un faible volume de capitaux, comparée aux investissements « longs », qui se traduise par l’entrée au capital d’une société : plusieurs interlocuteurs de la mission l’ont qualifiée de « niche ».

Elle peut être rentable : les campagnes portées sur les fraudes commerciales peuvent produire des rendements entre 23 et 41 %, selon les chiffres d’Activist Insight Shorts ([75]).

A contrario, la prise de positions courtes peut aussi se révéler très risquée et coûteuse. En cas d’évolution des cours contraire à sa position, le fonds peut devoir faire des appels de marge, qui, à terme, peuvent devoir le contraindre à solder sa position à perte. Ce fut le cas par exemple du fonds Pershing Square Capital Management sur le dossier Herbalife ([76]).

a.   La vente à découvert fait chuter le cours d’un titre

Les fonds qui pratiquent la vente à découvert utilisent des méthodes d’analyse similaires aux fonds d’investissement. Ils conduisent des recherches extensives sur les entreprises ciblées et utilisent les réseaux sociaux ou les médias pour diffuser, le cas échéant, leurs analyses aux acteurs du marché.

C’est le cas du fonds Gotham City Research ([77]). En 2014, il publie un rapport de 93 pages sur la société espagnole Let’s Gowex, fournisseur de services Wi-Fi. Dans ce rapport, le vendeur à découvert affirme que plus de 90 % des recettes déclarées de la société espagnoles seraient suspectes, et que l’action n’aurait pas de valeur ([78]).

Pour appuyer ces affirmations, Gotham City Research s’est notamment intéressé au modèle économique des sociétés exerçant dans le même secteur que Let’s Gowex. Le fonds relève que Let’s Gowex affiche des rendements élevés alors que ses concurrents ne parviennent pas à construire un modèle économique viable. Gotham City Research souligne également certaines incohérences dans les comptes de la société, comme la faiblesse des honoraires d’audits en proportion des revenus déclarés.

Le président et directeur général de la société, mis en difficulté après l’effondrement du titre en quelques jours, a confirmé avoir falsifié les comptes de la société pendant quatre ans. La société a peu de temps après déposé le bilan ([79]).

Un vendeur à découvert peut ainsi utiliser une position short pour dévoiler des pratiques qu’il estime frauduleuses.

La vente à découvert est aussi un moyen pour les fonds shorts d’apporter des informations complémentaires sur des entreprises qu’ils considèrent comme opaques et trop peu transparentes avec le marché.

C’est le cas de l’analyse réalisée par Citron Research, organe d’information édité par le vendeur à découvert américain Andrew Left, sur la société de commerce en ligne Jumia. En mai 2019, suite à son introduction en Bourse, Citron Research publie un rapport mettant en doute les informations communiquées au marché par la société. En une semaine le cours de bourse de l’action Jumia chute de 50 %.

Le fonds Muddy Waters a quant à lui critiqué la gestion du groupe français de distribution Casino et pris des positions short contre son titre.

Le fonds Muddy Waters

Il a été fondé en 2010 à Shanghai par Carson Block. Le nom du fonds aurait été choisi en lien avec le proverbe chinois « il est plus facile de pêcher des poissons en eaux troubles ».

Le fonds a bâti sa réputation en ciblant des entreprises chinoises cotées aux ÉtatsUnis et aux pratiques frauduleuses. La première entreprise ciblée par Carson Block était la société Orient Paper. Le fondateur de Muddy Waters aurait envoyé le résultat de ses recherches prouvant une fraude de l’entreprise à une cinquantaine de connaissances, ayant pris des positions courtes sur le titre. Une chute importante du cours de l’entreprise a suivi.

Une de prises de positions les plus marquantes est celle prise sur la société Sino Forest. En 2011, Muddy Waters publie un rapport dans lequel il affirme que la société forestière, installée au Canada, communique des informations erronées concernant l’importance de ses actifs. En mars 2018, le cofondateur de la société a été reconnu coupable de fraude et négligence, et condamné à rembourser plus de 2,6 milliards de dollars.

De tels résultats contribuent à crédibiliser l’action du fonds. Carson Block a notamment été distingué par le magazine Bloomberg comme étant parmi les 50 personnes les plus influentes dans la finance mondiale.

Dans un entretien du 4 décembre 2018 avec le Real vision show, une émission américaine, Carson Block expose sa vision du short selling. Selon lui, la pratique de vendre à découvert est une niche. Il se considère quant à lui comme un « vendeur à découvert activiste (activist short) », une « niche dans une niche ». Il s’attache à « aider les investisseurs à comprendre ce qui se passe ». Selon lui, tant que les gens continueront à « mal agir », à « faire les mauvais choix » ou à « commettre des fraudes », « il y aura un business » pour les vendeurs à découvert.

En 2018, selon un article du journal Business Insider, le fonds Muddy Waters aurait réalisé un retour sur investissement de 18 %.

En décembre 2015, Muddy Waters publie un rapport à charge sur l’entreprise Casino, dans lequel il affirme que la valeur du groupe serait « surévaluée » et « mal comprise » par le marché. Selon le fonds, la comptabilité de Casino « ne servirait à rien pour comprendre la (mauvaise) situation financière » du groupe : il serait « dangereusement endetté » ([80]).

Pour ces raisons, le fonds évalue la « valeur de l’action Casino à 6,91 euros » (contre 49 euros à la clôture du marché le jour de la publication de Muddy Waters). Il estime également que « la valeur de l’action Rallye [la maison mère de la société Casino] devrait probablement converger vers zéro ». En parallèle de la publication du rapport, Muddy Waters annonce la prise de positions courtes sur le titre Casino.

La publication du rapport de Muddy Waters se traduit par la chute de plus de 20 % du cours de l’action Casino sur les marchés.

Casino réagit immédiatement : « ce rapport à charge comporte des allégations grossièrement erronées auxquelles le groupe apportera des réponses circonstanciées. Devant cette diffusion dinformations trompeuses, le Groupe Casino a saisi lAutorité des Marchés Financiers » ([81])

Quelques jours plus tard, Casino ajoute : « Le rapport de Muddy Waters Capital contient un certain nombre dallégations inexactes et trompeuses dans le but daffecter négativement la valeur des actions et des instruments de dette de Casino au bénéfice de son auteur » ([82]).

Casino

Casino est un acteur historique de la grande distribution en France. C’est un des leaders mondiaux du commerce alimentaire.

Il est implanté en France, en Amérique Latine (Brésil, Colombie, Argentine, Uruguay) et dans l’Océan Indien.

Le Groupe Casino comprend en effet 12 000 magasins, dont 10 000 en France, et emploie plus de 220 000 personnes dans le monde. Il réalise un chiffre d’affaires de 37 milliards d’euros environ.

Le groupe Casino est propriétaire des marques Monoprix, Cdiscount, Géant, Spar, Naturalia, entre autres, pour ce qui concerne la France.

Casino est détenue à hauteur de 51 % par Rallye et représente 98 % du chiffre d’affaires consolidé de ce dernier. Casino verse des dividendes à Rallye. Trois holdings contrôlent le groupe Rallye : Foncière Euris, Finatis et Euris. Les holdings de détention de la société Casino présentent divers niveaux d’endettement.

Muddy Waters a continué d’enquêter sur les comptes de la société. Ainsi, fin août 2018, le fonds affirme que Casino Finance, centrale de trésorerie des activités françaises, « n’a pas déposé ses comptes ». Malgré les explications de Casino, qui évoque un « retard technique » et qui affirme que les comptes seront publiés quelques jours après, l’action clôture en baisse de 10,2 %.

Le 23 mai 2019, le tribunal de commerce de Paris, à la demande des dirigeants du groupe, place en procédure de sauvegarde la structure de contrôle du distributeur, Rallye, pour une durée de six mois. Le même jour, la suspension de la cotation de Casino, Rallye, Finatis et Foncière Euris est demandée par la direction générale du groupe Casino.

Le graphique ci-après illustre la volatilité importante du cours de l’action Casino. La prise de position de Muddy Waters et l’effet d’entraînement sur le cours de Casino ont pu éventuellement compliquer la mise en œuvre du plan stratégique de l’entreprise.

https://img.lemde.fr/2019/05/24/0/0/960/681/688/0/60/0/2586e9d_C3cIvmSx2iDSISVH4iTIICxu.png
Au plus fort, c’est environ 20 % du capital de Casino, c’est-à-dire environ 40 % du « flottant », qui est « shorté » par une vingtaine de fonds, qui fixent ainsi le cours à la baisse.

Saisie par Casino dès décembre 2015, lAutorité des marchés financiers a ouvert une enquête en février 2016. Elle ne s’était pas encore prononcée à la date de publication de ce rapport.

Le Président de l’AMF a accordé une rare interview au journal les Échos en novembre 2018, afin d’apporter des éclaircissements sur ce dossier ([83]).

L’AMF a récemment conclu son enquête, entré à présent dans sa phase contradictoire avec les parties prenantes. Plusieurs articles de presse se sont fait l’écho des possibles conclusions provisoires de l’enquête de l’AMF ([84]).

Muddy Waters se défend d’avoir publié des informations inexactes sur le groupe et maintient s’être appuyé sur des documents publics.


En réaction aux critiques dont il s’estime être visé en ce qui concerne sa communication dans l’affaire Casino, Muddy Waters a changé de méthode dans le dernier dossier européen dont il s’est saisi, Solutions 30, société cotée en France et spécialisée dans les services numériques (télécom, IT, sécurité, énergie).

Le 18 mai 2019, l’AMF publie sur son site la prise de position courte par Muddy Waters sur la société. Cette annonce n’a été accompagnée d’aucune analyse sur les vulnérabilités de la société, contrairement aux usages du fonds, qui s’en explique par l’intermédiaire du réseau social Twitter.

Selon Muddy Waters, au vu des reproches faits par l’AMF, le fonds a décidé de s’abstenir de publier un rapport.

Source : capture d’écran du compte Twitter de Muddy Waters.

Le cours de Solution 30 a chuté de 31 % après l’annonce de l’AMF.

Muddy Waters est suivi par d’autres fonds, comme en témoignent les données de l’AMF. Celles‑ci ne reflètent qu’une partie des positions courtes prises puisque l’autorité de régulation ne les publie qu’à partir du franchissement du seuil de 0,5 % du capital.

Prise de positions courtes sur Solutions30 au 29 juin 2019

Date

Société

 

En %
du capital
de la société

31/05/2019

AKO CAPITAL LLP

FR0013379484

0,61

17/06/2019

LANSDOWNE PARTNERS (UK) LLP

FR0013379484

1,77

17/05/2019

MUDDY WATERS CAPITAL LLC

FR0013379484

0,50

06/06/2019

PORTSEA ASSET MANAGEMENT LLP

FR0013379484

0,60

Source : Autorité des marchés financiers.

La seule publication de positions courtes peut donc avoir des effets immédiats importants sur le cours d’une société.

La vente à découvert est possible car certains détenteurs des titres de la société « cible » les ont prêtés directement ou le plus souvent indirectement aux vendeurs à découvert.

Le mécanisme du prêt-emprunt de titres

Le « vendeur à découvert » :

– emprunte les titres pour les détenir au moment de la vente ;

– vend les titres en s’engageant à livrer les titres à une date ultérieure à la conclusion de la vente ;

– rachète au marché des titres au comptant entre la vente et la livraison pour les livrer à l’acheteur. Si le prix a baissé dans l’intervalle, il réalise un gain.

Un agent peut vendre à découvert pour se couvrir contre la baisse d’un titre, par défiance sur l’évolution du cours de bourse, ou pour spéculer sur la baisse de ce titre : dans ce dernier cas, c’est du « short selling ».

Pour sécuriser la livraison des titres à l’acheteur, le vendeur peut avoir emprunté les titres au moment de la vente. Dans ce cas, il paie une commission au prêteur, souvent un gérant d’actifs ([85]). Le bénéfice du vendeur est alors égal au gain lié à la baisse du cours auquel on soustrait le coût du prêt de titres.

Cette commission peut représenter une source substantielle de profits pour ce dernier. « Pour les fonds monétaires, quelques points de base supplémentaires sont très appréciables en période de taux bas. Le prêt-emprunt sur des titres difficiles à trouver sur le marché permet même à certains fonds CAC 40 PEA PME daugmenter leur rendement de 1 %. […] Selon un expert de la gestion dactifs, les vingt principaux acteurs de la place française recourent de façon intensive à ce type de pratique ». ([86]) Certains gérants acceptent ainsi de renoncer à voter aux assemblées en prêtant les titres correspondants car le coût d’opportunité de l’absence de prêt, égal à la commission potentiellement perçue, est élevé.

La vente à découvert réalisée sans que le vendeur ait emprunté les titres est dite vente « à nu » ou « naked short selling ». Dans ce cas, le vendeur ne supporte pas de coût d’emprunt.

Depuis la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 ([87]), la vente « à nu » est prohibée en droit européen. Il est interdit à un vendeur d’instruments financiers ([88]) et admis à la négociation sur un marché réglementé ([89]) « démettre un ordre de vente sil ne dispose pas sur son compte des instruments financiers appelés à être cédés, ou sil na pas pris les mesures nécessaires auprès dune tierce partie afin de disposer dassurances raisonnables sur sa capacité à livrer ces instruments financiers, au plus tard à la date prévue pour la livraison consécutive à la négociation. »

En France, le vendeur à découvert doit donc recourir à lemprunt de titres ou à des « assurances raisonnables » de pouvoir livrer les titres qui peuvent notamment être constituées par des accords d’emprunt.

Juridiquement, la définition de la vente à découvert ne semble pas parfaitement rigoureuse dans la mesure où l’emprunt de titres, en droit français, aboutit en réalité à un transfert de propriété

En effet, le prêt‑emprunt constitue un prêt de consommation régi par l’article 1892 du code civil ([90]) : « Le prêt de consommation est un contrat par lequel lune des parties livre à lautre une certaine quantité de choses qui se consomment par lusage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité. » L’article 1893 dispose que « par leffet de ce prêt, lemprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée ; et cest pour lui quelle périt, de quelque manière que cette perte arrive. »

L’emprunteur n’a donc pas pour obligation de rendre au prêteur les exacts mêmes titres qu’il a empruntés, mais des titres fongibles, c’est-à-dire identiques ([91]). Cest donc davantage une cession temporaire de titres, ou un double transfert de propriété, quun prêt.

De ce point de vue, la vente à découvert assortie d’un emprunt de titres n’est donc pas réellement réalisée « à découvert » puisque le vendeur‑emprunteur possède alors les titres au moment de la vente.

Si la transparence publique n’est pas obligatoire sur le prêt emprunt de titres, les positions longues de certaines banques sur le titre Casino donne certains indices.

Les déclarations de trois banques le 21 décembre 2015, après la publication de Muddy Waters, sont indiquées ci-après :

Déclarations de franchissements de seuil sur Casino, EN COURS DE VALIDITÉ en dATE DU 21 décembre 2015

Détention

Morgan Stanley

Goldman Sachs

Société générale

Effective

2,15 %

4,12 %

0,94 %

Pas assimilation *

5,94 %

3,38 %

4,75 %

Total

8,10 %

7,50 %

5,69 %

* Cash-settled swaps ou cash-settled CFD ou warrants à dénouement en espèces.

Source : AMF.

b.   L’activité des shorts-sellers est-elle utile ou nuisible au marché ?

Muddy Waters et Gotham City Research, entre autres, présentent leur action comme nécessaire pour résoudre les inefficiences du marché. Gotham City Research soulignait, s’agissant de Let’s Gowex, que « les auditeurs, les régulateurs, les avocats, les banquiers d’investissement, et les autres détectent rarement les cas de fraudes. Les personnes en interne et les short sellers, eux, le font » ([92]).

La vente à découvert peut être également regardée, hors des cas de fraude, comme un mécanisme de marché qui permet d’atteindre une valorisation plus juste d’une entreprise.

Les vendeurs à découvert provoquent, par la publication de leurs recherches, et tirent bénéfice, par leurs positions courtes, du réajustement, parfois très brutal, de la valeur des titres de la société en question.

              Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a déclaré le 4 avril 2019, lors d’une réunion des ministres des Finances de l’Union européenne, que « les fonds activistes qui détruisent de la valeur doivent être combattus. »

Le fondateur de Muddy Waters envisage quant à lui son intervention sous un angle bien différent. Pour lui, il n’est pas question de destruction de valeur mais de renforcer la transparence en mettant en lumière des éléments que le marché n’aurait pas ou pas convenablement pris en compte.

Pour autant, certaines externalités négatives de la vente à découvert ont été mises en avant lors des travaux de la mission.

L’incertitude économique parfois durable qui résulte d’une situation de vente à découvert, notamment du fait de la publicité dans les médias et les réseaux sociaux, peut apparaître préjudiciable aux actionnaires qui voient le cours chuter à un niveau dont il n’est pas certain qu’il représente la valeur intrinsèque de la société, au-delà des difficultés auxquelles l’entreprise peut être confrontée.

La combinaison du prêt‑emprunt de titres et de la vente à découvert de manière continue et massive peut en outre revêtir un caractère auto‑réalisateur : la baisse marquée du cours suscite des anticipations supplémentaires à la baisse, qui alimentent de nouvelles ventes à découvert, qui provoquent effectivement la baisse anticipée.

Le seul impact de la réputation d’un fonds avec une image très forte, intervenant sur une société cotée, même faiblement, peut engendrer des mouvements de prix importants, potentiellement durables, parfois au-delà de toute rationalité de marché.

Il peut être également à craindre que des investisseurs désireux de prendre des positions de long terme soient dissuadés par des vendeurs à découvert d’entrer au capital d’une société faisant l’objet d’une campagne, par crainte de la volatilité qui résulte d’un tel short selling et du caractère auto-réalisateur de la prise de positions courtes. L’amélioration de la situation d’une société, voire sa restructuration, pourrait être ainsi obérée par l’action des vendeurs à découvert.

Certains interlocuteurs de la mission ont enfin mentionné un possible effet d’éviction de sociétés qui repousseraient ou annuleraient leurs projets d’introduction en Bourse par crainte de ce type de campagnes.

Un cadre juridique existe déjà, qui permet l’encadrement des activités de vente à découvert : il sera développé infra.

Si certaines méthodes utilisées par les fonds pour obtenir des informations sur les sociétés interrogent, si des comportements de fonds « shorts » peuvent apparaître parfois comme facteurs de déstabilisation du marché, leur utilité a été soulignée par plusieurs interlocuteurs de la mission.

Les deux rapporteurs plaident donc pour une réglementation a minima, qui permettrait de réguler les excès sans contraindre l’exercice normal d’une activité de marché qui participe par ailleurs à la liquidité du marché.

S’il faut bien distinguer l’action des fonds « longs », qui rentrent au capital d’une entreprise, de celle des fonds « courts » qui vendent à découvert des titres sans prendre de participation, et ont un intérêt financier inverse, à la baisse, l’activisme présente quelques grandes caractéristiques communes : des demandes de changement ou des critiques précises de la gouvernance ou de la stratégie, après des recherches approfondies ; des allégations d’une société sous-valorisée ou sur-valorisée ; et une campagne qui peut devenir publique.

Si les moyens d’agir sont similaires, chaque fonds opère avec une méthodologie et des principes propres.

Les activistes font un usage différencié des médias. Ainsi, le fond Sherborne limite ses interactions avec la presse et privilégie le dialogue avec le management et les autres actionnaires. D’autres fonds utilisent très rapidement les médias comme intermédiaire pour accroître la pression sur le management.

Le cas des vendeurs à découvert, qui ont un intérêt financier direct et immédiat à diffuser au plus grand nombre leurs thèses sur l’évaluation de l’entreprise qu’ils ciblent, est à part. La mission n’est pas parvenue à établir de manière certaine si une prise de contact avait lieu entre ces fonds et la direction de la société avant la publication des analyses réalisées par le fonds et la révélation de l’existence d’une position courte.

Il est ressorti de plusieurs auditions que les fonds venaient à s’intéresser à des entreprises après avoir été alertés par des personnes extérieures au fond, proches de la société.

Les fonds sadaptent également à la réponse du management face à leurs propositions. Ainsi, le fonds Third Point a pris des participations chez Nestlé en juillet 2017, en avançant un certain nombre de demandes de changement dans la stratégie du groupe. Considérant que le groupe n’était pas assez réceptif à ses suggestions, le fonds a accentué la pression, en créant un site internet (http://www.nestlenow.com) permettant la diffusion d’une lettre et d’une présentation sur leurs revendications ([93]). En février 2019, le fonds a relevé que « Nestlé avait répondu en annonçant une série dobjectifs financiers comprenant beaucoup de nos suggestions » et que « des changements réels étaient à lœuvre » ([94]).

À l’inverse, chez Campbell Soup, après une phase de discussion infructueuse, le groupe Third Point a lancé une bataille de proxy en septembre 2018 pour remplacer la totalité du conseil d’administration, citant les « erreurs stratégiques » et les « échecs opérationnels » des membres existants pour justifier sa campagne. La campagne menée par Third Point à l’égard de Campbell Soup peut être considérée comme offensive, avec une lettre au président du conseil qui déplore : « la performance du titre [qui] reflète le mandat dun conseil dadministration, fait dune mauvaise gestion, avec une stratégie mal conçue et une exécution inepte » ([95]). La campagne de Third Point s’est conclue sur un accord avec Campbell Soup en novembre 2018 : deux administrateurs choisis par le fond sont entrés au conseil d’administration de la société.

La stratégie choisie par les fonds dépend également de la taille de leur portefeuille. Là encore, le spectre est très large. Le fonds Sherborne se concentre par exemple sur un investissement unique, lorsque le fonds Elliott Management multiplie les investissements.

II.   LACTIVISME ACTIONNARIAL EST-IL UTILE ?

A.   LACTIVISME A DES CONSÉQUENCES DIRECTES SUR LA GOUVERNANCE DE LENTREPRISE

L’activisme serait un aiguillon pour que l’entreprise s’intéresse à ses vulnérabilités et puisse révéler son plein potentiel. Il s’agit notamment d’inciter le conseil d’administration à jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir. C’est l’argument avancé par Caroline Ruellan, présidente de Sonj Conseil, et Pierre Nollet, président d’Oxym Associates, dans une tribune publiée le 5 juin 2018 ([96]).

Ils y exposent que « l’activisme actionnarial rappelle que le conseil d’administration n’est pas un organe de complaisance, qu’il doit avoir une connaissance affinée de l’entreprise, qu’il doit également rendre des comptes, tant aux actionnaires qu’aux parties prenantes ». Dans cette perspective, « l’activisme actionnarial doit être compris comme une opportunité pour nos entreprises, dans la mesure où il injecte de la discipline chez tous les acteurs ».

Colette Neuville, présidente de l’association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), appuie cette vision. Elle considère que le conseil d’administration « doit veiller à ce que les décisions prises par l’exécutif soient conformes à l’intérêt social et à celui des actionnaires ». Dans cette perspective, les actionnaires jouent un rôle important, notamment dans l’exercice de leurs droits. Selon elle, le « droit à l’information constitue un contre-pouvoir très important » ([97]) : le simple fait de pouvoir poser une question en assemblée générale permet d’attirer l’attention des autres actionnaires, du management et du marché sur un sujet précis.

Les activistes revendiquent de choisir des entreprises qui ont fait selon eux de mauvais choix stratégiques. L’un des indices utilisés est le niveau de retour pour les actionnaires. Le président du fonds Elliott Management, dans un entretien du 31 octobre 2016 avec le Wall Street Journal, indiquait que son fonds s’intéressait particulièrement aux sociétés ayant du mal à opérer une transition, et à celles dont la recherche et le développement seraient mal orientés.

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont cependant déploré l’absence dégalité des armes dans ce débat autour de la gouvernance et de la stratégie avec les activistes.

Pour les entreprises, lors d’une campagne activiste, la charge de la preuve repose sur elles une fois que l’activiste a avancé publiquement sa thèse. Or, elles n’ont pas toujours la maîtrise du calendrier pour produire une réponse, par exemple lorsqu’elles doivent observer une période « de silence », notamment avant la publication de résultats.

La gestion d’une campagne activiste mobilise le management à temps plein, pour faire le tour des actionnaires et rassurer sur sa stratégie. Cela peut également être un facteur d’anxiété pour les salariés de l’entreprise, selon la virulence de la campagne publique. Cela place les entreprises sur la défensive.

Les fonds activistes avancent aussi l’argument de l’inégalité des armes. Selon eux, les entreprises disposent de moyens bien supérieurs, à la fois sur le plan humain et sur le plan juridique. Les entreprises peuvent aussi inscrire dans leurs statuts des obligations pour les actionnaires sur le délai de dépôt des résolutions, ou durcir les critères nécessaires – notamment sur le niveau de participation – pour déposer ces résolutions.

Ce débat autour de l’égalité des armes a lieu également aux États-Unis. En témoignent les arguments avancés par les auteurs du Brokaw Act. La proposition de loi, qui n’a pas été adoptée par le Congrès, aurait apporté des changements importants dans l’activité des fonds activistes. Elle prévoyait ainsi de réduire le délai de déclaration de positions courtes de 10 à 4 jours. Surtout, elle aurait obligé les fonds ayant des positions courtes à consolider leurs positions, ce qui les aurait probablement contraints à déclarer un franchissement de seuil plus tôt. Le but affiché de cette législation était de renforcer les outils des entreprises face à certains hedge funds activistes.

Une campagne activiste peut se conclure sur un accord et n’aboutit pas systématiquement à un vote en assemblée générale.

Une étude publiée en mai 2019 ([98]) analyse justement l’augmentation importante du nombre d’accords trouvés entre les fonds activistes et les entreprises qu’ils ciblent.

Les résultats montrent une montée en puissance des accords, notamment lorsque le fonds activiste a lancé une campagne pour obtenir des sièges au conseil d’administration et que cette campagne a des chances d’aboutir. Ces accords permettent, dans la majorité des cas, aux activistes d’obtenir la nomination au conseil d’administration des personnes de leur choix.

Cette augmentation est, en proportion, plus élevée que celle du nombre de campagnes se concluant par un vote : elle ne peut donc pas être attribuée uniquement à l’augmentation du nombre de campagnes.

L’étude constate que si les changements opérationnels n’interviennent pas immédiatement après l’accord, ils ont généralement lieu dans les mois qui suivent.

Les auteurs mettent enfin en avant le fait que le marché réagit positivement à ces campagnes, qui ne se feraient donc pas au détriment des autres actionnaires.

Une autre étude rappelle qu’un proxy fight peut se révéler très coûteux : les fonds disposant de peu de capital sont donc moins enclins à s’y lancer ([99]).

B.   UNE CAMPAGNE ACTIVISTE INFLUE SUR LE COURS DE LENTREPRISE COTÉE

Les actionnaires activistes (hors short sellers) considèrent leur intervention comme bénéfique car elle serait source de création de valeur, et ferait ainsi augmenter le cours du titre de l’entreprise. « C’est donc bien l’objectif de création de valeur qui est toujours recherché » ([100]). Les dirigeantes du fonds CIAM ont rappelé lors de leur audition que le premier rôle du fonds était d’encourager la performance, de générer un rendement supplémentaire pour les investisseurs, et donc de voir le cours de l’action monter.

Les revendications formulées par le fonds peuvent aboutir à réévaluer le prix par action proposé lors d’une OPA. CIAM se félicite par exemple d’avoir contribué à l’augmentation de 65 % de la valeur de l’offre de rachat d’Euro Disney faite par Walt Disney ([101]).

Un fonds peut également œuvrer pour obtenir la diminution du prix d’un rachat s’il le considère comme trop élevé. Le fonds TCI s’est ainsi élevé contre l’acquisition par Safran de Zodiac Aerospace, considérant le prix de rachat excessif au vu des difficultés de l’équipementier. Une offre d’achat a finalement été établie, avec une décote significative par rapport à la première offre.

Il reste cependant difficile d’évaluer le niveau d’influence des fonds dans ces opérations, malgré leurs revendications.

Les études ne sont pas unanimes sur la valeur ajoutée d’une campagne activiste, mais se prononcent plutôt par type de campagne, par type d’investisseur et sur le court ou le long terme.

Un fonds de pension public, par exemple, pourrait avoir des objectifs politiques, mis en avant selon une démarche activiste, contradictoires avec les mesures conduisant directement à l’augmentation rapide de la valeur d’une entreprise. À l’inverse, les campagnes menées par les hedge funds sont souvent jugées comme associées à une valorisation du titre de l’entreprise ciblée sur le court terme ([102]).

Les chercheurs en concluent que si l’activisme actionnarial entraîne globalement une valorisation du titre de l’entreprise, cela dépend de la manière dont la campagne est menée et de l’identité de l’investisseur. 

Les rapporteurs partagent plutôt, hors les cas d’excès et d’abus, les conclusions de l’étude d’Amundi, de décembre 2017 ([103]) : « globalement, les études récentes suggèrent que la réaction du marché à l’activisme est positive, ce qui est cohérent avec l’idée que l’activisme permet de créer de la valeur pour les actionnaires. »

C.   LES ACTIVISTES ALIMENTENT UN DÉBAT SUR LENTREPRISE

L’idée que les sociétés portent une part de responsabilité dans l’arrivée de fonds est avancée notamment par les fonds pratiquant la vente à découvert (voir supra), et repris par d’autres activistes pour justifier de leur utilité dans la sphère financière. Selon eux, les sociétés qui ne présentent pas de faiblesses supposées ne seraient pas ciblées par les activistes.

En ce qui concerne la pertinence des demandes activistes, les fonds revendiquent détenir une expertise sur les sociétés dans lesquelles ils investissent. Ils effectuent beaucoup de recherches, en amont de leur entrée au capital (ou de leur prise de position à découvert), qui leur confèrent une vision approfondie de l’entreprise et de l’environnement dans lequel elle évolue, et ce malgré l’étonnante faiblesse de leurs effectifs déclarés. Les sociétés rencontrées ont elles‑mêmes reconnu la qualité des analyses présentées par les fonds.

Sans que cela ait été confirmé par les intéressés, les activistes font souvent état de soutiens officieux d’autres actionnaires en accord avec leurs thèses, mais qui ne se sont pas exprimé publiquement. Les activistes se feraient en quelque sorte le porte-parole d’actionnaires moins « vocaux ».

Dans un article de l’AGEFI daté du 31 octobre 2018 ([104]), les fondatrices de CIAM plaident pour que les activistes soient regardés comme des atouts, « susceptibles de corriger les abus et conflits dintérêts encore trop présents au sein des entreprises françaises ».

Le fondateur de Muddy Waters considère lui aussi qu’il joue un rôle que personne d’autre ne peut ou ne veut jouer.

Enfin, il apparaît que l’activisme des fonds a forcé les sociétés à davantage interagir avec leurs actionnaires, à rechercher de manière plus active leur accord et à les associer plus fréquemment aux décisions (voir infra sur l’évolution des pratiques de gouvernance dans les sociétés françaises).

Les partisans de l’activisme estiment de manière plus générale que les campagnes sont bénéfiques pour le marché dans sa globalité. Non seulement les actionnaires trouveraient une plus grande place dans la conduite des sociétés, mais ce serait également une incitation pour les entreprises n’ayant pas été ciblées à passer en revue leurs stratégies financières et leur gouvernance pour assurer que le titre de l’entreprise reflète bien sa valeur.

Les détracteurs des fonds activistes font valoir quune campagne activiste peut fragiliser des entreprises déjà vulnérables. Agnès Touraine, présidente de l’Institut Français des Administrateurs, mentionne dans un entretien à l’AGEFI Quotidien du 16 octobre 2018 que « ces activistes, qui ont pour objectif de déstabiliser lentreprise – dailleurs on parle d« attaque » – nous inquiètent » ([105]). Elle fustige l’horizon de court terme de ces fonds et alerte sur le « taux de retour déraisonnable » promis à leurs investisseurs.

 

 

SECONDE PARTIE :
LA PLACE DE PARIS À LA CROISÉE DES CHEMINS :
MIEUX ENCADRER LES COMPORTEMENTS ACTIVISTES
SANS NUIR AU MARCHÉ

I.   UN MARCHÉ EFFICIENT REPOSE SUR DES RÈGLES STABLES

A.   L’attractivité de la Place doit être soutenue dans le contexte du Brexit

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne offre une occasion de croissance nouvelle aux autres grandes places financières. Après avoir quitté Londres, l’Autorité bancaire européenne a déjà choisi d’installer son siège à Paris. La loi Pacte a également prévu diverses mesures visant à renforcer la compétitivité de la Place financière de Paris et à préparer l’éventualité d’un Brexit sans accord.

L’attractivité de la Place doit donc être soutenue durant ces années « charnières ». Cet enjeu, qui fait largement consensus, est de première importance pour les rapporteurs et constitue une ligne directrice dans leur analyse de l’activisme actionnarial. La régulation publique de l’activisme doit s’insérer dans ce contexte : la Place de Paris ne doit surtout pas devenir la « forteresse France ».

Les rapporteurs estiment ainsi, comme évoqué supra, que l’inscription dans les textes d’une définition juridique des activistes n’est pas opportune.

Le risque majeur d’une telle initiative serait celui d’un champ d’application trop imprécis, et donc excessivement étendu. En souhaitant réguler strictement les activistes, le risque serait de trop réglementer les actionnaires. Plus généralement, les rapporteurs ne souhaitent pas, par principe, dupliquer les règles anglo‑saxonnes, nos droits étant fondés sur des principes différents ([106]). Ces règles sont par ailleurs bien connues des activistes.

En outre, la Place française dispose déjà de certains dispositifs qui peuvent être efficacement mobilisés pour la régulation des activistes. Les utiliser pleinement serait déjà un pas en avant.


B.   Les règles sur la transparence du capital des sociétés cotées contribuent déjà à la régulation des activistes

Elles ont été étendues à plusieurs reprises depuis quelques années.

À l’origine, elles ont été conçues pour prévenir les prises de contrôle latentes ou « rampantes ». Toutefois, elles s’appliquent également aux activistes, dans la mesure où ils prennent des participations dans les sociétés cotées françaises.

1.   Les déclarations de franchissement de seuils

Le droit européen (directive « transparence ») fixe certains seuils de participation dont le franchissement doit être notifié à l’émetteur ([107]). Elle peut être complétée par les États membres ([108]).

La loi ([109]) française prévoit ainsi une obligation de déclaration publique pour tout actionnaire agissant seul ou de concert qui vient à posséder un nombre d’actions représentant plus de 5 %, 10 %, 15 %, 20 %, 25 %, 30 % ([110]), 33,33 %, 50 %, 66,66 %, 90 % ou 95 % du capital ou des droits de vote d’une société cotée en France. Il y a donc 11 seuils légaux. La discordance entre les droits de vote et les actions implique potentiellement la surveillance de 22 seuils. La loi française est donc plus contraignante que la directive « transparence ».

Cette obligation a un large champ d’application. Elle vise tout actionnaire, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale, française ou étrangère, résidente ou non‑résidente. Elle s’applique aux franchissements de seuil actifs ([111]) comme passifs ([112]), à la hausse comme à la baisse, temporaires comme permanents.

En cas de non-déclaration, l’actionnaire peut être privé des droits de vote sur la fraction des actions excédant le seuil franchi sans déclaration.

L’emprunteur de titres est aussi soumis aux obligations de déclaration de franchissement de seuil, dès lors que le prêt de titres opère un transfert de propriété temporaire (voir supra).

Les statuts peuvent prévoir des seuils supplémentaires d’information pour les fractions de capital ou droits de vote inférieurs à 5 % sans que ces seuils puissent être inférieurs à 0,5 %. Les sociétés peuvent ainsi suivre bien plus finement la composition de leur actionnariat. Toutefois, accroître le nombre de seuils alourdit la charge administrative pour la société et les actionnaires et a un coût.

2.   Les déclarations d’intention

Le franchissement de certains seuils (10 %, 15 %, 20 % et 25 %) emporte également l’obligation, pour l’acquéreur, de préciser ses intentions quant à la société cible. Il doit notamment indiquer :

– s’il agit de concert ;

– sa stratégie vis-à-vis de l’émetteur et les opérations qu’il envisage pour la mettre en œuvre ;

– s’il envisage de demander des nominations d’administrateur ;

– s’il envisage ou non d’acquérir le contrôle de la société.

L’AMF contrôle le respect de ces obligations de déclarations et de transparence afin d’assurer la clarté de l’information diffusée au marché.

Cette information est adressée à la société et à l’AMF, qui la publie ([113]).

Les règles sur les franchissements de seuil ont dû être ajustées à plusieurs reprises ces dernières années, des opérations financières ayant publiquement démontré leur vulnérabilité à la sophistication croissante des instruments financiers.

Cela a notamment été le cas dans plusieurs affaires impliquant des groupes français, qui ont pu utiliser des instruments sophistiqués (Total Return Swaps ou Equity Linked Swaps) avec l’aide de banques pour contourner l’esprit de la règle sur les franchissements de seuils. Prises isolément, les opérations réalisées ne contrevenaient pas nécessairement à la réglementation. L’AMF a cependant adopté, dans une décision sur une des affaires, une approche globale et qualifié l’ensemble des faits de « contournement déloyal » de la loi.

Pour clarifier le droit et prévenir de nouveaux contournements, la loi du 22 mars 2012 ([114]) a soumis largement les dérivés à la réglementation sur les franchissements de seuils et les déclarations d’intention en les assimilant aux actions. Le Règlement général de l’AMF ([115]) énumère à titre d’exemples une longue série, non exhaustive, de dérivés couverts par ces dispositions.

Une ordonnance de 2015 ([116]) a précisé expressément dans la loi que les dérivés à dénouement monétaire étaient bien inclus dans les titres assimilés aux titres « en dur ». Elle a en outre renforcé le fondement juridique des sanctions pécuniaires que peut prendre l’AMF en la matière et porté leur montant maximal « jusquà 15 % du chiffre daffaires annuel total de la personne sanctionnée » ([117]).

Une sanction pénale (amende) existe également pour les dirigeants ([118]).

Les activistes pouvant eux‑mêmes avoir recours à des produits dérivés, la réglementation existante s’applique également à ces fonds.

3.   Les seuils de déclaration de prêts‑emprunts de titres

Le prêtemprunt est essentiel à la liquidité du marché des titres. Toutefois, le marché du prêtemprunt de titres est opaque. L’opération fait souvent intervenir une chaîne d’intermédiaires financiers qui compliquent l’analyse de la transaction. Il ressort des auditions que le prêteur, souvent, ne connaît pas précisément l’identité de l’emprunteur.

Il existe néanmoins des seuils de déclaration de prêts‑emprunts de titres. Depuis la loi de régulation bancaire et financière de 2010, les emprunteurs de titres doivent, s’ils détiennent des actions représentant plus du deux‑centième des droits de vote d’une société cotée, le déclarer à cette société et à l’AMF ([119]). La déclaration doit mentionner le nombre d’actions empruntées, l’identité du prêteur, la date et l’échéance du contrat et éventuellement la convention de vote. La société publie ces informations.

La sanction de non‑déclaration est la privation des droits de vote.

Progressivement à partir du 11 avril 2020, les opérations de prêt‑emprunt de titres seront déclarées à un fichier auquel les régulateurs européens, et eux seuls, auront accès. La transparence devrait donc s’accroître auprès du régulateur sinon du marché.


4.   La procédure de titre au porteur identifiable (TPI) permet également d’approcher la composition de l’actionnariat d’une société

Le TPI a été créé par la loi n° 487-416 du 17 juin 1987sur l’épargne.

Actionnaires au nominatif et actionnaires au porteur

Les actions des sociétés cotées peuvent être nominatives si les statuts le prévoient. Les actions nominatives doivent être inscrites dans les comptes établis au nom de chaque propriétaire et tenus par la société émettrice. Tous les actionnaires ayant des titres nominatifs sont donc connus de la société.

Les actions au porteur sont celles qui sont inscrites dans des comptes tenus, non par la société émettrice, mais par un intermédiaire habilité. L’inconvénient principal du titre au porteur pour la société émettrice est son anonymat. La société n’a pas nécessairement connaissance des opérations effectuées sur ces actions, de sorte qu’elle peut ignorer l’identité des propriétaires de celles-ci. Pour pallier ce défaut, la loi a instauré la procédure de titre au porteur identifiable (TPI).

a.   La procédure de TPI

Cette procédure permet à la société émettrice de demander au dépositaire central qui assure la tenue du compte émission de ses titres ou à un intermédiaire, teneur de compte conservateur, les informations concernant les propriétaires de ses actions, c’est‑à‑dire le nom ou la dénomination, la nationalité, l’année de naissance ou l’année de constitution ainsi que l’adresse des détenteurs.

La société peut demander la quantité de titres détenus par chacun des porteurs et les restrictions éventuelles dont les titres peuvent être affectés.

Facultative en principe, cette possibilité est cependant de droit dans les sociétés cotées, « toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ».

Lorsque la demande est adressée au dépositaire central, celui-ci recueille les informations auprès des teneurs de comptes qui lui sont affiliés.

Lorsque la demande est directement adressée à un intermédiaire, celle-ci est limitée aux informations concernant les propriétaires des titres inscrits dans un compte titres tenu par l’intermédiaire interrogé.

Le délai ouvert aux teneurs de compte pour la transmission des informations est de dix jours. Si le destinataire de la demande d’information n’a pas transmis, dans les délais prévus, des informations justes et complètes, les actions sont privées des droits de vote pour les assemblées générales à venir, et le versement du dividende est différé, jusqu’à régularisation.

Les sociétés émettrices soulèvent cependant deux types de difficultés avec le TPI :

– le coût est élevé et les délais de la procédure sont longs, ce qui ne permet pas à un émetteur d’avoir une vision en temps réelle de la composition de son actionnariat, mais seulement une « photographie » du capital, souvent déjà caduque ;

– il est difficile de percer les chaînes d’intermédiation, derrière lesquelles peuvent être placés certains investisseurs, notamment non‑résidents ([120]). Les propriétaires nominaux inscrits en compte sont souvent de grandes banques gestionnaires de portefeuilles de valeurs mobilières, distinctes de l’actionnaire réel. Les délais et les coûts de la procédure sont aggravés dans un tel cas.

b.   La reconnaissance du droit pour les sociétés cotées de connaître leurs actionnaires

La directive (UE) 2017/828 ([121]) consacre le droit pour les sociétés cotées européennes d’identifier leurs actionnaires. Elle prévoit des règles destinées à rendre transparentes les « chaînes » d’intermédiaires successifs, de manière que la demande soit transmise entre eux et que les informations relatives à l’identité des actionnaires finaux soient bien transmises à la société (cf. infra). La loi PACTE a procédé à la transposition de cette directive en cherchant à renforcer l’efficacité de la procédure de TPI :

– le dépositaire central, en cas de résistance d’établissements teneurs de compte, peut saisir en référé le président du tribunal de grande instance territorialement compétent pour obtenir l’exécution forcée sous astreinte de l’obligation de communication ;

– la procédure est élargie aux sociétés émettrices et aux teneurs de compte ([122]) ;

– les frais éventuels appliqués sont « non discriminatoires et proportionnés aux coûts engagés pour fournir ces services » ;

– les teneurs de compte qui déterminent, à l’occasion d’une demande, qu’un détenteur est un intermédiaire inscrit pour le compte de plusieurs tiers propriétaires, ont l’obligation de transmettre la demande à cet intermédiaire, ce dernier étant alors tenu de communiquer les informations à celui qui l’interroge, au dépositaire central ou à la société émettrice ;

– aussi longtemps que la société émettrice estime elle‑même que certains détenteurs dont l’identité lui a été communiqué le sont pour le compte de tiers propriétaires, elle peut non seulement leur demander de révéler l’identité des tiers et la quantité de titres détenus, mais elle peut également le faire par l’intermédiaire du dépositaire central ou du teneur de compte.

L’objectif était donc, en cas de chaîne d’intermédiaires et de détenteur pour le compte de tiers, de remonter plus facilement toute la chaîne et de faire peser des obligations de transmission des demandes et des informations sur tous les intermédiaires financiers.

Ces dispositions peuvent contribuer à identifier un actionnaire activiste qui entre au capital.

***

Dans ce contexte, les rapporteurs formulent un certain nombre de recommandations ciblées.

Ils estiment qu’il convient de s’appuyer sur ces dispositifs existants et de les ajuster pour plus d’efficacité plutôt que créer de l’insécurité juridique en bouleversant les règles actuelles, et se sont imposé quatre grandes exigences.

Les recommandations :

 ne doivent pas nuire à l’attractivité de la Place financière de Paris ;

 doivent favoriser la transparence, l’information et le fonctionnement efficient des marchés, éléments consubstantiels de l’attractivité d’une place financière ;

 doivent permettre de réguler et limiter les comportements activistes les plus excessifs et dommageables ;

 doivent privilégier, quand c’est possible, un recours au droit souple plutôt qu’une évolution de la réglementation.

Les recommandations, au nombre de treize, se répartissent dans trois grandes parties qui envisagent la régulation des comportements activistes au prisme des composantes d’un marché efficient :

– une information transparente ;

– un gendarme efficace ;

– des entreprises réactives.

 

II.   un marchÉ efficient requiert une INFORMATION TRANSPARENTE

A.   Renforcer la transparence du capital

1.   Abaisser le niveau de déclaration de franchissement de seuil

D’abord, il n’est pas nécessaire de prendre une participation élevée dans une société pour pouvoir poser des questions en assemblée générale ou interpeller publiquement ou non la direction générale. Les activistes exercent les droits des actionnaires minoritaires, et ne cherchent généralement pas à prendre le contrôle de la société.

Ensuite, parce qu’un fonds peut être suivi par d’autres dans son entrée au capital ou sa campagne, sans qu’une action de concert puisse être établie. Un fonds comme Elliott Management, lorsqu’il investit dans une société, entraîne d’autres fonds de plus petite taille, sans qu’une initiative concertée et organisée puisse être juridiquement mise en évidence.

Il pourrait ainsi être envisagé de prévoir un seuil légal supplémentaire plus bas que le seuil existant à 5 %.

Ce choix aurait l’avantage d’appliquer un tel seuil à des sociétés cotées qui, n’ayant pas à ce jour prévu de seuils statutaires inférieur à 5 %, auraient des difficultés à obtenir en assemblée générale le vote d’une telle mesure, qui peut être vécue comme une contrainte supplémentaire par les actionnaires.

Une telle mesure participerait à une meilleure connaissance par les sociétés cotées de leur actionnariat.

En 2008, un groupe de travail de l’AMF avait ainsi recommandé d’instaurer un nouveau seuil à 3 % du capital ou des droits de vote, qui s’ajouterait aux seuils actuels maintenus ([123]).

La création d’un premier seuil de déclaration à 3 % avait également été proposée dans une proposition de loi sénatoriale de 2011 ([124]) : « Ce nouveau seuil viendrait conforter la transparence et se veut cohérent avec le régime applicable à la principale place financière européenne, celle de Londres [même si le régime britannique comporte des exceptions] » ([125]).

Les rapporteurs s’inscrivent dans ces initiatives. Le niveau de 3 % a également été évoqué à plusieurs reprises pendant les auditions.

Recommandation 1 :

Abaisser le niveau de déclaration de franchissement de seuil à 3 % du capital ou des droits de vote.

 

Une évaluation pourra être menée pour déterminer dans quelle mesure l’obligation déclarative pourrait être limitée aux capitalisations dépassant un certain seuil, ou si le chiffre de 3 % pourrait éventuellement être ajusté selon les cas.

Cette recommandation devra se traduire par une modification législative.

2.   Rendre plus complètes et effectives les déclarations de franchissement de seuil de toute nature

Les règles de franchissement de seuil résultent de sources diverses. Certaines sont purement européennes, d’autres nationales, et même statutaires. Les seuils sont différents, le champ d’application est plus ou moins large et les sanctions en cas de non‑déclaration sont variables.

 

Positions longues

Positions courtes nettes

Titres empruntés

Seuils légaux

Statutaires

Seuils

5 %

10 %

15 %

20 %

25 %

50 %

66,66 %

90 %

95 %

Tout seuil, sans pouvoir être inférieur à 0,5 %

0,2 %

0,3 %

0,4 %

0,5 %

 

2 % des actions

 

Nature du seuil

Capital ou droits de vote

Capital ou droits de vote

Capital

Droits de vote

Déclaration de franchissement à la hausse et à la baisse

À la hausse comme à la baisse

À la hausse comme à la baisse

À la hausse comme à la baisse

À la hausse seulement

Publicité

À l’AMF et à la société, qui publie l’information

Les seuils de 10 %, 15 %, 20 % et 25 % emportent également l’obligation de déclarer ses intentions à l’AMF qui les publie

À la société

À l’AMF


À compter de 0,5 % et pour tout pallier de 0,1 % supplémentaire, l’information est publiée

À l’AMF et à la société, qui publie l’information

À compter de 2021, toutes les opérations de prêt‑emprunt de titre seront déclarées à un fichier auxquels auront accès les régulateurs

Sanction

Privation temporaire de droits de vote sur les actions non déclarées

Pécuniaire

Prévues par les statuts : privation temporaire automatique des droits de vote possible

Pécuniaire

Privation temporaire des droits de vote des titres empruntés non déclarés

Source juridique

Droit de l’UE (directive « transparence »
et loi française
(code monétaire et financier)

Statuts de la société

Droit de l’UE (règlement « vente à découvert »).

Loi française
(code de commerce)

Les rapporteurs soutiennent deux règles de principe, simples et générales.

 

Recommandation 2 :

Les déclarations de franchissement de seuil, de toute nature, doivent s’imposer à la hausse comme à la baisse.

L’information du marché ne doit pas être asymétrique : des positions dénouées ou réduites ne doivent pas être considérées comme encore tenues et une ambiguïté persister dans le cas des seuils statutaires. Un fond pourrait ainsi déclarer avoir dépassé un seuil statutaire à, par exemple, 2,5 %, sans avoir à mettre à jour publiquement le niveau réel de sa position s’il venait à la réduire substantiellement par la suite.

Recommandation 3 :

Rendre systématique et plus dissuasive la sanction des cas de non-déclaration de franchissement (à la hausse comme à la baisse) de seuils, y compris dans le cas de prêt-emprunt de titres.

La privation des droits de vote qui sanctionne l’absence de déclaration des prêts‑emprunts de titres apparaît peu appliquée, difficilement applicable et probablement insuffisamment dissuasive. Les fonds peuvent contourner les seuils en recourant à une pluralité de structures et le marché est opaque. De plus, il semble difficile pour une société de s’assurer que des titres empruntés et non déclarés ne sont pas privés de droits de vote.

Un régime de sanction qui permette de réprimer les omissions de déclarations aussi bien à la hausse qu’à la baisse, assortie d’une sanction pécuniaire efficace, pourrait être opportun.

La non-déclaration des franchissements de seuils, y compris lors d’opérations de prêt-emprunt de titres, nuit à la transparence du marché et à la bonne information de tous ses acteurs.

Ces règles concerneraient donc :

– les seuils de positions courtes (ventes à découvert) comme de positions longues ;

– les seuils légaux comme statutaires ;

– les actions, les dérivés mais également les déclarations de titres empruntés.

Les rapporteurs appellent à rapprocher les règles applicables à toutes les déclarations de seuils, ce qui nécessitera un travail au plan national mais également au niveau européen.

3.   Corriger les insuffisances de la procédure de titre au porteur identifiable et rendre effectif le droit à connaître ses actionnaires

Il ressort assez largement des auditions menées par les rapporteurs que les insuffisances de la procédure de TPI n’ont pas été réglées à ce jour.

Il reste difficile d’identifier rapidement et sans coût excessif les actionnaires, notamment non‑résidents. Parfois, une véritable étanchéité est de fait créée entre le détenteur des titres et l’investisseur réel. Bien que la directive de 2017 ait une portée extraterritoriale, il n’apparaît pas clairement comment les obligations instaurées par la loi PACTE seront effectivement respectées par les intermédiaires et dépositaires étrangers.

En outre, même si les délais étaient accélérés, le besoin des sociétés de connaître leur actionnariat en temps réel plutôt que par photographies successives ne serait pas satisfait.

Le TPI ne permet donc pas réellement à une société d’identifier en temps utile l’entrée d’un actionnaire activiste à son capital. Or, plus l’information de la société est rapide et précise, mieux elle peut se préparer.

La loi PACTE ayant été promulguée récemment, l’évaluation de sa mise en application doit encore intervenir.

S’il apparaît, au terme de cette évaluation, que ces problèmes persistent, il conviendra de réfléchir à de nouveaux moyens pour que le droit d’une société cotée à connaître ses actionnaires, consacré par le droit de l’UE, soit pleinement effectif.

La directive européenne « droits des actionnaires » permet notamment d’interdire aux intermédiaires de facturer des frais pour ces services d’identification des actionnaires au porteur.

 

Recommandation 4 :

Encourager l’innovation privée – initiatives de place, développement de solutions technologiques, etc. – destinée à permettre in fine à toute société cotée de connaître simplement, rapidement et à faible coût la composition de son actionnariat.

Évaluer précisément l’impact des mesures de la loi PACTE sur le renforcement de l’efficacité de la procédure de TPI.

Pondérer, le cas échéant, l’opportunité de la mise en œuvre par la France de la faculté, ouverte par le droit européen, de limiter la capacité des intermédiaires à facturer des frais pour les services d’identification des actionnaires.

 


B.   RÉduire l’asymÉtrie de communication et d’information entre fonds activistes et sociÉtÉs cotÉes

1.   L’asymétrie entre l’activiste et l’émetteur en cas de campagne publique

Lorsqu’un actionnaire activiste engage une campagne publique vis-à-vis de l’émetteur dont il possède une part du capital, il a l’initiative unilatérale de la démarche. Il peut bénéficier d’un « effet de surprise » et l’émetteur peut découvrir la campagne dans les médias ou par ses actionnaires.

Ces campagnes publiques et la communication financière qu’elles induisent sont encadrées par le droit. Le règlement européen MAR sur les abus de marché ([126]) régit tant la communication des émetteurs que celle des activistes.

Les entreprises ciblées doivent rendre publique « dès que possible » leurs informations privilégiées. Le règlement de l’AMF ajoute qu’elle doit être « exacte, précise et sincère ».

S’agissant des activistes, la communication ne doit pas constituer une « manipulation de marché », ni constituer une « recommandation irrégulière ».

Toutefois, le droit actuel ne permet pas de réguler pleinement la communication en cas d’attaques activistes.

La rapidité de diffusion des informations publiées par les activistes met les émetteurs en position désavantageuse vis-à-vis du public. Au-delà du cadre juridique, les auditions ont montré qu’un tel événement, lorsqu’il est revêtu d’une tonalité relativement agressive à l’encontre du management, est ressenti comme brutal par l’entreprise. Elle peut se trouver démunie dans un premier temps, prise de court par les informations publiées. Elle n’est pas en mesure de contredire ou de démentir immédiatement et avec la même résonance d’éventuelles données ou analyses imparfaites, voire fausses.

C’est d’autant plus difficile pour l’entreprise lorsque la communication publique de l’activiste intervient pendant les périodes de silence, les « quiet period ». Il est en effet recommandé aux émetteurs de s’abstenir de communiquer lors des périodes précédant la publication de leurs résultats.

En outre, l’entreprise peut être désavantagée dans son rapport à ses autres actionnaires. La force des activistes réside notamment dans leur capacité à convaincre du bienfondé de leurs analyses et réclamations les actionnaires clés d’une société cotée.

2.   Rétablir un équilibre de nature à permettre un contradictoire entre la société et l’activiste

Il faut établir une forme d’équilibre, un « level playing field », entre l’entreprise et l’activiste, dans leurs relations avec les autres actionnaires et avec le public.

Les émetteurs doivent pouvoir :

– ne pas se trouver confrontés à la défiance de leurs actionnaires qui auraient pris connaissance de documents dont ils n’auraient pas eu eux‑mêmes connaissance, et qu’ils auraient difficilement la possibilité de discuter ou de contredire ;

– gérer, plutôt que subir, une campagne publique, en n’étant plus nécessairement pris au dépourvu.

Les rapporteurs souhaitent donc :

 

Recommandation 5 :

Permettre à une société faisant l’objet d’une campagne publique la mettant en cause d’être récipiendaire des informations substantielles qui sont communiquées à ses actionnaires sur ce sujet par l’activiste à l’origine de la campagne.

Les rapporteurs regardent en outre comme une bonne pratique la communication préalable, ou au moins simultanée, par un activiste, des éléments qu’il envisage de divulguer publiquement.

Un recours à un support de droit souple pourrait contribuer à faire évoluer favorablement les pratiques.

Une dernière recommandation pourrait contribuer au dialogue équitable entre activistes et émetteurs :

 

Recommandation 6 :

Permettre aux sociétés cotées de répondre de façon souple et rapide à des campagnes les mettant en cause publiquement, notamment par voie de presse.

Leur permettre notamment de communiquer lors des « périodes de silence » (quiet period) qui précèdent les publications de résultats.

La doctrine du régulateur pourrait évoluer sur ce point : il pourrait intégrer, dans des conditions précises, la possibilité pour une société cotée de se défendre rapidement et à tout moment face à des accusations portées par un fond activiste ([127]).

C.   Encadrer plus étroitement la vente à découvert

1.   Un seuil de vente à découvert qui révèle un fonctionnement anormal du marché et qui doit susciter une réaction du régulateur ?

Les rapporteurs estiment qu’à compter d’un certain seuil du capital, ou du capital flottant, ou d’un volume de titres traités, les ventes à découvert révèlent un fonctionnement anormal du marché.

Le président de l’AMF s’interrogeait ainsi sur un tel seuil en évoquant le cas de Casino : « Dans le cas de Casino, on peut se demander si nous sommes vraiment dans un cas de fonctionnement normal du marché alors que près de 40 % du flottant ont pu faire lobjet de ventes à découvert. » ([128]).

Une récapitulation des positions courtes nettes publiques sur les actions françaises au 1er juin 2019 a été publiée sur le site de l’AMF. Sur 56 valeurs faisant l’objet, à cette date, de positions courtes rendues publiques, une douzaine de valeurs ressortent particulièrement.

Positions courtes nettes publiques au 1er juin 2019
sur les actions françaises

Au 1er juin 2019

% du capital

En milliards d’euros

CASINO GUICHARD-PERRACHON

12,34

0,4

ALTRAN TECHNOLOGIES

8,98

0,3

EUROFINS SCIENTIFIC SE

8,22

0,6

VALLOUREC

7,51

0,1

SOCIÉTÉ BIC

7,40

0,2

VALEO

7,01

0,5

EUTELSAT COMMUNICATIONS

5,55

0,2

CGG

5,48

0,1

INGENICO GROUP

4,37

0,2

ILIAD

4,01

0,2

ACCOR

2,11

0,2

SODEXO

2,11

0,3

Autres

 

1,8

Total

 

5,2

Nb : positions courtes publiques > 5 % du capital ou > 0,2 milliard d’euros

Source : AMF.

Les rapporteurs ne préconisent pas une suspension automatique de la cotation d’un titre à compter d’un seuil de vente à découvert. Si une telle solution aurait l’avantage de ne pas stigmatiser l’entreprise concernée, il serait à craindre qu’elle puisse être contre-productive ou difficile à mettre en place. En outre, les règles relatives à la vente à découvert sont strictement encadrées par un règlement européen.

Recommandation 7 ([129]) :

Introduire, afin de lutter contre les excès de la vente à découvert, une présomption de fonctionnement anormal du marché dans les cas où l’ampleur de la vente à découvert d’un titre financier dépasserait une certaine limite (volume traité, pourcentage de la capitalisation ou du flottant, etc.)

Les rapporteurs considèrent que les pouvoirs publics doivent réagir à compter d’un certain seuil, à partir duquel l’hypothèse par défaut de fonctionnement normal du marché est renversée.

De ce point de vue, une réflexion pourrait être engagée, en matière de vente à découvert, sur l’interprétation et la portée du règlement sur les abus de marché ([130]).

En effet, son article 12 qualifie de manipulation de marché une transaction, un ordre ou un comportement qui « fixe ou est susceptible de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours dun ou de plusieurs instruments financiers ». Cette rédaction est exactement reproduite dans la loi française et érigée en infraction pénale d’atteinte à la transparence des marchés ([131]). Elle est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit.

La notion de « niveau anormal ou artificiel » du cours d’un titre financier n’est pas nécessairement évidente et peut laisser une marge d’interprétation aux autorités nationales, notamment en cas de vente à découvert sur une part très élevée du capital d’une société.

2.   Affiner le contrôle des positions courtes

La réglementation européenne ([132]) vise des franchissements de seuils, à la hausse comme à la baisse, en matière de positions courtes nettes. Ils doivent être déclarés à l’AMF (0,2 %, 0,3 %, 0,4 % et 0,5 % du capital d’une société). À compter du franchissement du seuil de 0,5 %, et à chaque palier supplémentaire de 0,1 %, l’information est rendue publique (près de 1 000 publications de franchissement effectuées sur le site de l’AMF en 2018) ([133]).

Ces informations permettent un suivi fin des positions courtes nettes et donc des ventes à découvert qui pourrait être renforcé. À titre de comparaison, la BaFin allemande assure une veille approfondie en matière de positions courtes.

La notion de position courte nette pourrait en outre être appréciée plus largement en incluant dans l’information exigée les déclarations sur les instruments de dette, notamment les credit default swap (CDS), c’est-à-dire des dérivés de couverture de perte sur une dette sous‑jacente. En effet, « ces positions peuvent être prises seules, ou en accompagnement de positions courtes prises sur les actions : dans le cas démetteurs présentant une situation dendettement délicate, on observe en effet une corrélation négative très nette entre le cours de laction et la prime du CDS. » ([134]) L’intégration de ces instruments dans l’information sur les positions courtes permettrait une meilleure compréhension de la position économique réelle d’un agent sur le titre d’un émetteur.

Lintérêt économique global net dun acteur constitue linformation nécessaire au marché pour fonctionner de façon transparente.

 

Recommandation 8 ([135]) :

Intégrer dans le calcul d’une position courte soumise à déclaration lors d’un franchissement de seuil l’ensemble des instruments et titres financiers de toute nature qui concourent à l’exposition économique nette d’un acteur de marché sur une société cotée.

Cette recommandation nécessite un ajustement de la réglementation européenne.

3.   Encourager le développement d’une « bourse » des prêts‑emprunts de titres

Il a déjà été évoqué supra l’accès progressif des régulateurs européens, à partir d’avril 2020, à un fichier recensant les opérations de prêt-emprunt de titre.

Il pourrait aussi être opportun d’accroître, en matière de prêt‑emprunt de titres, la transparence vis-à-vis du marché.

Cette approche n’est pas dépourvue de risques. Une publicité automatique, par exemple à partir d’un certain volume de prêt, pourrait revenir, de facto, à une interdiction du mécanisme. Dans le cas d’une société « shortée », une publicité forcée pourrait aussi être contre-productive.

Une réflexion sur un moyen de donner au marché une information minimale pourrait néanmoins être encouragée au niveau européen. C’est déjà la démarche poursuivie par l’ESMA. Une agrégation des positions courtes sur les marchés européens les plus représentatifs où s’échangent les titres français serait souhaitable. Aux États‑Unis, le NYSE, le NASDAQ et la National Venture Capital Association se sont récemment associés pour proposer que les acteurs de la chaîne de vente à découvert soient soumis à des obligations déclaratives auprès de la SEC.

À plus long terme, pourrait aussi être imaginée une véritable bourse du prêt‑emprunt de titres, avec une centralisation des échanges et le respect de règles de publicité et de transparence. Une telle place de marché semble avoir existé aux États‑Unis dans les années 1930 ([136]).

 

Recommandation 9 ([137]) :

Encourager les places financières à développer, idéalement de manière coordonnée, des outils de transparence sur les opérations de prêt-emprunt de titres à destination du marché.

L’émergence d’une place de marché centralisée des prêt-emprunt de titres constituerait une initiative privée que les pouvoirs publics pourraient, le cas échéant, être amenés à soutenir.

4.   Dissocier la détention des titres empruntés des droits de vote

Les prêt‑emprunts de titres peuvent également intervenir à l’occasion des assemblées générales pour « maximiser l’impact d’un investisseur ». Il peut toutefois apparaître contestable que le fonds puisse alors utiliser les droits de vote alors qu’il ne supporte pas réellement le risque économique associé aux titres empruntés.

Tous les prêts ne sont pas inconditionnels. Le contrat peut prévoir que le prêteur peut rappeler les titres ou que l’emprunteur n’exerce pas les droits de vote.

Bien que le prêt‑emprunt constitue juridiquement un transfert de propriété (voir supra), il ne semble pas naturel que des acteurs qui ne partagent pas ou peu le risque économique attaché au titre, et de fait ne participent que très marginalement à laffectio societatis, disposent du droit de vote lorsqu’ils empruntent des titres.

Pour des raisons de clarté et de transparence, il pourrait être opportun de généraliser cette pratique de dissociation des droits de vote de la détention du titre emprunté. Cela ne devrait pas porter une atteinte disproportionnée à la liquidité du marché, à l’issue d’une éventuelle période de transition : BlackRock, premier gestionnaire d’actifs mondial, prévoit déjà une telle stipulation dans ses contrats de prêts de titres.

Le rappel des titres lors des assemblées générales comportant des votes significatifs est aussi encouragé et qualifié de « bonne pratique » par l’AMF comme par la SEC américaine ([138]).

 

Recommandation 10 ([139]) :

Dissocier, pour les titres faisant l’objet d’un prêt-emprunt, le droit de vote afin que celui-ci ne soit pas systématiquement transféré lors de l’opération.

Les modalités de mise en œuvre d’une telle recommandation devront faire l’objet d’une étude approfondie.

III.   UN MARCHÉ EFFICIENT EXIGE UN GENDARME EFFICACE

A.   LAMF DOIT EXERCER PLEINEMENT SES PRÉROGATIVES AU NIVEAU NATIONAL

L’AMF est le « gendarme » des marchés financiers français. Elle surveille les activités financières dans le cadre fixé par la loi. Elle a donc nécessairement un rôle de premier plan à jouer dans la régulation des comportements activistes. Si elle dispose de prérogatives étendues pour accomplir ses missions, elle peut faire preuve d’une retenue plus ou moins grande dans leur exercice.

1.   L’AMF surveille les marchés financiers

La France n’a pas, contrairement à d’autres pays, fait le choix d’une autorité unique des services financiers (assurance, banque et finance). La loi de sécurité financière du 1er août 2003 a néanmoins opéré une simplification administrative en créant l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui résulte de la fusion de trois instances de régulation financières ([140]). L’AMF a été dotée de trois grandes missions par le législateur ([141]) :

– la protection de l’épargne investie sur les marchés financiers ;

– l’information des investisseurs ;

– le bon fonctionnement du marché.

Son action est complétée par celle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui assure la surveillance prudentielle des entreprises financières (banques, assurances, etc.)

Les missions de l’AMF s’étendent progressivement avec les réformes successives et l’élargissement de la réglementation à de nouveaux acteurs ou de nouveaux produits financiers.

L’organisation de l’AMF et des procédures de contrôle et d’enquête

L’AMF comprend un président, un collège, autorité de décision de principe, et une commission des sanctions. C’est le collège qui exerce la plupart des attributions confiées à l’AMF par les textes.

La commission des sanctions est distincte du collège. C’est un organe quasi‑juridictionnel dans son fonctionnement.

L’AMF peut détecter de possibles abus dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés.

En cas de suspicion, le secrétaire général de l’AMF peut ouvrir une enquête.

Le pouvoir de sanction disciplinaire et administrative de l’AMF doit s’articuler avec l’intervention du juge pénal. En effet, les abus de marché sont à la fois des manquements aux dispositions du droit financier, réprimés par l’AMF, et des infractions pénales.

Le législateur de 2016 a instauré la procédure de « l’aiguillage ». Elle repose en premier lieu sur le non cumul des poursuites déclenchées par le procureur de la République financier et par l’AMF. En second lieu, la loi impose un échange entre les deux autorités, pénale et administrative : lorsque l’une des deux souhaite engager une procédure, elle doit d’abord en informer l’autre, qui dispose d’un délai de deux mois pour faire connaître sa propre intention. Elles doivent donc s’entendre, aucune n’étant hiérarchiquement supérieure à l’autre.

Lorsque le parquet national financier donne son aval à l’AMF ou ne fait pas connaître ses intentions dans le délai, cette dernière peut notifier des griefs à la société. En cas de désaccord entre l’AMF et le PNF, le procureur général près la Cour d’appel de Paris est compétent pour trancher le différend.

Lorsque la commission des sanctions est saisie, un rapporteur, désigné par le président de l’AMF, instruit le dossier. Il rend un rapport sur les griefs notifiés.

Les manquements réprimés doivent être prévus par un texte législatif ou réglementaire, en application du principe de légalité. Ce sont des comportements susceptibles de constituer un abus de marché (opération d’initié, manipulation de cours et diffusion de fausse information) et, d’une manière générale, de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché.

En 2018, 44 sanctions pécuniaires, pour un montant total de 7,18 millions d’euros (contre 42 millions en 2017), et 10 sanctions disciplinaires ont été prononcées.

L’AMF doit respecter le principe de proportionnalité, en s’appuyant sur des critères d’appréciation prévus par la loi : gravité et durée du manquement, degré d’implication et capacité financière de la personne en cause, importance des gains obtenus par elle ou des pertes subies par les tiers, etc.

Ses décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris.

2.   L’AMF est prudente dans l’exercice de ses pouvoirs de suspension de ventes à découvert

En ce qui concerne la suspension de la cotation d’un titre financier, l’AMF a récemment utilisé cette prérogative sur les sociétés Rallye et Financière Euris, en accord avec ces entreprises, lors du placement en procédure de sauvegarde de la maison mère de Casino. Cette mesure permet aux parties prenantes de temporiser et d’expliquer au marché ce qu’il se passe au vu des informations disponibles.

S’agissant de la suspension de la vente à découvert, elle n’a pas, à la connaissance de la mission, été mise en œuvre par l’AMF dans aucun dossier de sa compétence depuis la crise financière, où elle était intervenue sur des valeurs bancaires (cf. infra).

Cette possibilité est ouverte par un règlement européen de 2012 ([142]). Ce règlement confère deux fondements juridiques aux régulateurs nationaux pour suspendre des ventes à découvert.

En premier lieu, l’article 20 permet de restreindre les ventes à découvert dans des circonstances exceptionnelles, en cas de « menace sérieuse pour la stabilité financière ou la confiance des marchés dans l’État membre concerné ». La mesure doit être nécessaire pour parer à la menace, sans avoir d’effet disproportionné par rapport aux avantages escomptés. Elle n’est pas limitée en durée par le règlement.

En second lieu, l’article 23 permet de suspendre les ventes à découvert en cas de « baisse significative des prix » en une seule journée de négociation. La suspension a pour objet d’empêcher une « chute incontrôlée du prix de l’instrument financier ». Au total, la mesure ne peut excéder trois journées de négociation. Pour une action liquide, une baisse est significative, et peut permettre la mise en œuvre des dispositions de l’article 23, lorsqu’elle s’élève à « plus de 10 % » ([143]).

Enfin, l’article 33 du règlement investit les régulateurs « de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. » Il permet ainsi d’obtenir des documents, d’exiger des informations de convoquer des personnes, de procéder à des inspections sur place ou encore d’enjoindre de cesser toute pratique contraire aux dispositions du règlement. « L’AMF met systématiquement en œuvre tout ou partie de ces pouvoirs lorsque le niveau de vente à découvert dépasse un seuil significatif. » ([144]).

Par comparaison, la BaFin allemande a pris le 18 février la décision d’interdire pour deux mois (jusqu’au 18 avril) les prises de position à découvert sur la société Wirecard, entreprise de services financiers, spécialiste notamment des moyens de paiement.

La BaFin avait interdit des ventes à découvert sur certaines valeurs bancaires lors de la crise financière de 2008. L’AMF a fait de même en 2011, de manière coordonnée avec l’Italie, la Belgique et l’Espagne, sur des valeurs bancaires considérées comme portant alors un risque systémique. Mais, s’agissant de Wirecard, c’est la première fois que la Bafin est intervenue sur une action spécifique.

L’augmentation des positions courtes sur les titres de Wirecard a coïncidé avec la parution dans le Financial Time d’articles affirmant qu’une filiale de la société aurait faussé son chiffre d’affaires par des manipulations comptables. Entre le 30 janvier et le 15 février, l’action est passée de 167 euros à 99,90 euros, ce qui a représenté une baisse de 40 % de la capitalisation boursière ([145]). Au pic de l’été 2018, les positions courtes ont pu approcher 50 % du flottant ([146]).

La BaFin a motivé sa décision par la taille de Wirecard (capitalisation supérieure à 14 milliards d’euros, cotation au DAX 30) et par la nature de ses activités, qui peuvent affecter la stabilité financière. La BaFin s’est ainsi fondée sur l’article 20 du règlement européen, en en faisant une interprétation jugée extensive.

La BaFin et Wirecard ont parallèlement porté plainte en invoquant notamment une manipulation de marché.

Le choix de la BaFin de suspendre les ventes à découvert sur une valeur précise peut interroger quant à la capacité ou la volonté de lAMF de faire de même.

Comme le précise Robert Ophèle, « lorsquune telle mesure est envisagée par lautorité dun pays de lUE, elle la notifie à lESMA  l’Autorité européenne des marchés financiers (voir infra)  qui examine sa conformité et coordonne sa mise en œuvre dans lensemble de lUE. » C’est le conseil des autorités de surveillance de l’ESMA qui se prononce dans les meilleurs délais. La procédure peut même avoir lieu lors d’une réunion téléphonique. L’ESMA peut approuver cette décision ou l’assortir de conditions. Sur ces dernières années, une telle décision reste exceptionnelle.

 

Les missions et les moyens de l’ESMA

L’institution a essentiellement deux rôles au sein de l’UE.

 L’ESMA participe à l’élaboration de la réglementation européenne.

Les prérogatives de l’ESMA dans l’élaboration du droit sont importantes. Elle peut émettre des avis sur tous les textes élaborés par le Parlement, le Conseil et la Commission). Elle participe à l’élaboration des normes techniques de réglementation et d’application.

Elle peut aussi prendre elle-même des mesures de « soft law » (droit souple), essentiellement des orientations ou des recommandations à l’endroit des autorités publiques compétentes ou des acteurs des marchés financiers. Elle utilise largement ce pouvoir destiné à faciliter l’interprétation commune des règles au sein de l’Union. L’ESMA a par exemple ouvert une consultation, jusqu’au 31 octobre 2019, dans la perspective d’édicter des lignes directrices sur les frais de performances facturés par les gestionnaires d’actifs. L’AMF se réfère parfois explicitement aux recommandations de l’ESMA.

Elle publie régulièrement un document intitulé « Questions and answers » (questions et réponses), qui apporte des précisions sur les interrogations formulées par les autorités nationales ou les agents financiers.

• L’ESMA surveille directement certains acteurs des marchés financiers européens.

Il s’agit d’acteurs dont l’activité peut affecter l’ensemble des marchés financiers européens. Ce pouvoir est limité aux agences de notation et aux référentiels centraux de données. Elle dispose dans ce cas de pouvoirs d’enquête.

Dans cette seconde mission, elle doit favoriser la convergence des pratiques nationales, organiser la surveillance des établissements financiers transfrontaliers et éventuellement intervenir en cas d’urgence. Ce rôle de surveillance recouvre également une dimension plus macroéconomique de surveillance du risque systémique qui implique la collecte d’informations, des évaluations, voire des sauvetages.

              Il est certes possible de craindre un effet contre-productif d’une suspension, c’est-à-dire que la crédibilité de l’entreprise soit encore davantage dégradée par une intervention aussi directe du régulateur.

Ce débat devrait également s’articuler étroitement avec la réflexion qui pourrait être menée sur l’interprétation à donner de l’article 12 du règlement MAR, comme mentionné supra.

Sur ce sujet, l’AMF a seulement, publié le 4 septembre 2018 une note d’information ([147]) rappelant certaines règles applicables aux situations de spéculation baissière, notamment l’interdiction des ventes à découvert « à nu » et celle de diffuser des informations fausses ou trompeuses.

B.   LE TEMPS DE LA RÉGULATION DOIT SE RAPPROCHER DU TEMPS ÉCONOMIQUE

1.   Les délais d’enquête sont longs

La procédure suivie devant l’AMF, qui peut aboutir à la saisine de la justice, est en pratique longue. Avant qu’une décision soit effectivement prise et qu’un litige financier soit tranché, plusieurs années peuvent s’écouler.

Les décisions de l’AMF, selon son Président, sont rendues en moyenne au bout de 30 mois, après un contrôle ; et en 4 ans (45 mois), après une enquête ([148]).

La procédure de sanction par l’AMF

En fin d’enquête, une « lettre circonstanciée » est adressée à toute personne susceptible d’être mise en cause afin qu’elle fasse part de ses observations en réponse. Sur cette base, les services de l’AMF finalisent un rapport d’enquête qui est examiné par le collège de l’autorité avec l’ensemble des pièces du dossier.

Le collège peut décider de :

– notifier des griefs et saisir la commission des sanctions ;

– notifier des griefs et proposer une composition administrative ;

– transmettre le dossier au procureur de la République si le rapport laisse suspecter d’éventuelles infractions pénales ;

– le transmettre à une autorité nationale ou étrangère compétente si le rapport révèle des faits qui ne relèvent pas de l’AMF ;

– envoyer une lettre d’observation ;

– classer le dossier.

Si le collège a l’intention de notifier des griefs, il est fait application de la procédure dite « d’aiguillage » expliquée supra. Le rapport d’enquête et le projet de notification de griefs sont envoyés au parquet national financier (PNF). C’est seulement à l’issue de la décision du PNF de ne pas mettre en mouvement l’action publique ou, à défaut, à l’expiration du délai de deux mois, que le président de l’AMF adresse les notifications de griefs aux personnes mises en cause et au président de la commission des sanctions.

La Commission des sanctions désigne un rapporteur parmi ses membres, qui examine les griefs notifiés. La personne concernée bénéficie d’un délai de deux mois pour présenter ses observations. Le rapporteur procède à « toute diligence utile », ce qui lui confère une large marge d’appréciation, dans le cadre des droits de la défense. Il consigne les éléments et observations recueillis dans un rapport, communiqué à la personne concernée. Celleci est convoquée par la commission des sanctions. Elle bénéficie d’un délai de quinze jours pour faire ses observations sur le rapport. L’audience est en principe publique et la décision est publiée sauf dans certains cas, par exemple si cette publication peut causer « un préjudice grave et disproportionné » à la personne sanctionnée.

 

Les voies de recours juridictionnel sont distinctes en fonction de la qualité de la personne poursuivie : un professionnel peut engager un recours devant le Conseil d’État, tandis qu’une autre personne s’adressera à la cour d’appel de Paris. Le recours peut être assorti d’un sursis à exécution de la décision contestée.

Au total, les seules règles qui limitent la durée de cette procédure sont celles de prescription ainsi que le « délai raisonnable » qui découle de la CEDH.

Au vu des auditions menées par les rapporteurs, de nombreux acteurs considèrent que le continuum procédural du régulateur constitué des phases de surveillance, d’enquête et de la procédure répressive, y compris, le cas échéant, devant la justice, ne correspond pas au temps du marché. Lorsque l’intervention d’un activiste peut laisser planer un doute sur sa pleine conformité, voir sur sa légalité, une société cotée peut avoir le sentiment d’être démunie dans l’immédiat.

Ainsi, l’enquête débutée en 2015 par l’AMF sur Muddy Waters et les ventes à découvert sur les actions de Casino n’est pas encore parvenue officiellement à son terme.

Dès lors, il pourrait être opportun d’élaborer une procédure d’urgence, pour les sociétés, devant l’AMF elle‑même.

2.   Doter l’AMF de nouveaux pouvoirs d’urgence serait opportun : créer une procédure de référé

L’AMF dispose déjà de certaines prérogatives qu’elle peut mettre en œuvre en urgence. Outre le fait que leur mise en œuvre reste à l’initiative formelle de l’AMF, et à sa discrétion, ils couvrent des cas relativement précis. Cela incite à réfléchir à une procédure au champ plus large, enclenchée par les sociétés déstabilisées par un fonds ou éventuellement pour une autre raison.

Les pouvoirs d’urgence existants de l’AMF

L’AMF peut saisir le président du tribunal de grande instance pour obtenir la mise sous séquestre d’actifs ou l’interdiction temporaire d’une activité professionnelle.

Elle peut désigner un administrateur provisoire.

Elle peut suspendre l’émission ou les rachats de parts ou d’actions d’un fonds si des rachats simultanés risquent de déstabiliser le marché, de conduire à une chute des valeurs ou de causer un problème de liquidité. Elle peut au contraire faire obstacle à une telle suspension qui serait prévue par les statuts du fond.

Elle peut aussi mettre en demeure des opérateurs qui proposeraient des services d’investissement non agréés.

Le président peut exiger de toute personne qu’elle réduise le volume d’une de ses positions ou expositions sur un instrument financier, afin de prévenir un défaut.

L’AMF peut aussi suspendre la commercialisation d’instruments financiers qui posent un problème de protection des investisseurs ou constituent une menace pour le bon fonctionnement et l’intégrité des marchés ou la stabilité financière.

Elle peut suspendre le passeport européen d’une entreprise d’investissement qui méconnaît ses obligations et nuit aux investisseurs, au marché ou à l’État membre d’accueil.

Le collège de l’AMF dispose d’un large pouvoir d’injonction directe tendant à ce qu’il soit mis fin à des pratiques illicites sur le marché. Il peut le déléguer au président. Il suppose que la personne ait été informée. L’AMF peut aussi faire une déclaration publique mentionnant la personne responsable d’un manquement à la réglementation financière.

L’AMF peut également, de manière plus indirecte, demander à l’autorité judiciaire de formuler des injonctions.

Les rapporteurs estiment que les pouvoirs de l’AMF devraient être complétés par une procédure de référé à l’initiative d’une société cotée.

En effet, lorsque l’enquête de l’AMF et la procédure administrative puis, le cas échéant, judiciaire, dure plusieurs années, le préjudice de l’entreprise s’aggrave et peut parfois difficilement être réparé.

Le renforcement des moyens budgétaires et humains pourrait sans doute réduire en partie ces durées (cf. infra). Mais il ressort assez largement des auditions menées par les rapporteurs que de nombreux acteurs déplorent l’inexistence d’une procédure d’urgence devant le régulateur financier.

La demande de l’entreprise devrait, au regard de l’opération mise en cause, revêtir un caractère d’urgence et comporter des garanties de sérieux pour être recevable.

Cette procédure serait établie au bénéfice du marché coté. Certaines informations ou initiatives pouvant y avoir un effet auto-réalisateur ou entraîner des réactions en chaîne, il apparaîtrait utile de pouvoir réagir en temps réel dans un cadre juridiquement précis. La création d’une procédure de référé administratif, ou de « fast track », pourrait répondre à cette préoccupation.

Cette procédure aurait pu trouver à s’appliquer lors du litige sur le rachat de SCOR par Covéa, par exemple, ou lors des ventes à découvert massives sur Casino.

Il ne s’agit pas de faire obstacle à des événements qui, a priori, résultent de la vie normale du marché, mais de permettre à l’entreprise concernée de faire valoir immédiatement ses soupçons de manquement devant le régulateur. Au vu des éléments présentés, celui‑ci pourrait alors prendre diverses mesures graduelles (liste non exhaustive) :

– émettre un avertissement, le cas échéant public, à l’endroit d’une partie prenante, ou rappeler solennellement les règles applicables en l’espèce ;

– installer un organe de médiation en temps réel ou une cellule d’urgence, par exemple sur le modèle des « take-over boards » qui existent dans certains pays pour assurer le bon déroulement des OPA ([149]), qui suivrait en temps réel l’opération et pourrait réagir immédiatement à tout développement nouveau et substantiel ;

– prendre des mesures conservatoires, jusqu’à décider de geler temporairement l’opération, afin de se donner le temps de conduire une enquête plus approfondie ;

– rejeter une demande manifestement infondée ;

– et, de façon générale, faire plein usage des pouvoirs existants.

On peut imaginer que cette procédure de référé permette d’obtenir du régulateur financier une première position, qui ne préjuge pas du fond de l’affaire, après quelques jours ou quelques semaines au maximum. Quel que soit son sens, cette première décision rapide permettrait d’éclairer le marché en temps utile.

Il sagit là de conférer à la régulation une temporalité qui corresponde mieux à celle de lévénement de marché.

 

Recommandation 11 ([150]) :

Introduire une procédure de « référé » devant l’AMF, permettant aux sociétés cotées de saisir directement le régulateur d’une situation urgente, afin que ce dernier se donne les moyens d’investiguer immédiatement la situation, d’intervenir si nécessaire et, le cas échéant, de prendre des mesures conservatoires, sans préjuger du fond de l’affaire.

À défaut de l’introduction de cette nouvelle procédure, il pourrait être rappelé ou précisé que, si un émetteur coté saisit le juge judiciaire pour un des cas exposés ci‑dessus, ce dernier peut solliciter l’avis de l’AMF, qui devrait répondre dans les meilleurs délais, voire des délais encadrés, pour permettre une décision juridictionnelle rapide.

3.   Renforcer les moyens humains et financiers de l’AMF

a.   Les moyens humains

L’AMF est une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale. Ce statut lui permet de recruter des salariés expérimentés du secteur privé comme du secteur public. Des agents publics (contractuels et fonctionnaires) peuvent être placés auprès d’elle. Son plafond d’emploi proposé dans le projet de loi de finances pour 2020 est de 485 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

Son président a appelé l’attention du Parlement sur la faiblesse relative des moyens humains de l’AMF ([151]) : « Le dernier défi est celui des moyens. Je le mentionne car l’AMF est de très loin l’autorité nationale qui a le moins de moyens dans le paysage européen et international. Les comparaisons sont difficiles à faire, car les périmètres sont différents d’un pays à l’autre. La France ressort en 5e position dans le classement des pays en fonction de l’importance des marchés financiers, après les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et le Japon. Les effectifs des autorités françaises sont sans rapport avec ceux des autres pays. L’AMF dispose de 494 ETP fin 2018. La Financial conduct authority (FCA) britannique dispose de 3 804 personnes, les collègues allemands de 2 600, la Commission de surveillance du secteur financier (CFFS) luxembourgeoise de 780, l’Autorité néerlandaise des marchés financiers, qui a le même périmètre que l’AMF française – de 660, l’autorité italienne de 610, l’Autorité des services et marchés financiers belge de 320. Si j’additionne au Royaume-Uni la Prudential Regulation Authority (PRA) et la Financial Conduct Authority (FCA), c’est-à-dire tout le champ du contrôle, nous sommes à 5 231 personnes, en augmentation de 1 110 ETP sur 4 ans. L’ACPR et l’AMF disposent ensemble de 1 500 personnes fin 2018. Nos effectifs sont sans rapport avec les moyens humains présents dans d’autres pays. »

b.   Les moyens financiers

L’AMF dispose d’une véritable autonomie financière. Elle est financée par les contributions versées par les professionnels qu’elle régule ([152]) dans la limite d’un plafond de recettes fixé en 2011 ([153]) à 94 millions d’euros et rehaussé par le projet de loi de finances pour 2020 à 99 millions d’euros après l’avoir été à 96,5 par la loi de finances pour 2019. L’excédent perçu est reversé au budget général de l’État, selon le fonctionnement classique et contestable des taxes affectées plafonnées.

Ce système de droits et contributions avait été refondu par la loi de finances pour 2019, avec une réduction pour les émetteurs du nombre de contributions dues, qui pèseront cependant davantage sur les entreprises à la capitalisation boursière élevée. Le montant global des recettes ainsi perçues devrait être peu touché.

 

Recettes de l’Autorité des marchés financiers

(en milliers d’euros)

Source : Rapport sur les autorités administratives et publiques indépendantes, annexé au projet de loi de finances pour 2020.

On constate que le plafond est « mordant » : le produit fiscal perçu effectivement excède le plafond. La corrélation introduite par le mode de calcul de la taxe entre l’activité de l’AMF et ses recettes se retrouve ainsi brisée.

Son président considère que les moyens financiers de l’AMF sont également insuffisants ([154]) : « Je voudrais aussi attirer lattention sur le fait que le modèle de lAMF, tant dans son équilibre financier que dans la gestion des ressources humaines et de gouvernance, est un modèle relativement fragile. LAMF est une entité qui est structurellement en déficit, alors quelle collecte des contributions qui dépassent de loin ses charges. Elle reverse lexcédent au budget de lÉtat. Le renforcement progressif de son plafond de recettes est incontournable. »

c.   Le renforcement des moyens de l’AMF est souhaitable

Un relèvement très rapide des moyens de l’AMF, à un niveau proche de 120 millions d’euros (soit le rendement de la taxe affectée) permettrait à l’AMF :

– de se rapprocher, en termes d’effectifs, de ses équivalents européens ;

– de prendre pleinement en charge un accroissement de sa charge sur des missions existantes ou des nouvelles missions : la relocalisation d’une cinquantaine de sociétés à Paris depuis Londres dans le cadre du Brexit, les nouvelles responsabilités issues de la loi PACTE en matière de finance digitale et de finance durable, ou encore le renforcement des diligences en matière de lutte anti-blanchiment ;

– de lui permettre d’assurer un meilleur suivi de l’activisme actionnarial, et notamment une pleine exploitation des données sur les prêt-emprunts de titres qui vont être progressivement déclarées aux superviseurs à compter de 2020 ;

– d’accélérer le temps global des procédures afin, comme le souhaitent les rapporteurs, de rapprocher le temps de la régulation du temps économique.

 

Recommandation 12 ([155]) :

Renforcer les moyens humains et financiers de l’AMF afin de les rapprocher de ses grands équivalents européens, et lui permettre d’être pleinement efficace dans la régulation du phénomène de l’activisme, amené à se développer en France et en Europe.

C.   LA DIMENSION EUROPÉENNE ET INTERNATIONALE DE LACTIVISME ET DES MARCHÉS FINANCIERS COMPLEXIFIE LA RÉGULATION

1.   Les modalités de la coopération internationale

Parmi les fonds activistes les plus actifs, aucun ne possède de bureaux en France : Elliott Management, Muddy Waters, Amber Capital ou Cevian n’ont pas de présence physique à Paris. Seul CIAM a une implantation proprement française. Pour autant, tous interviennent dans le capital et la vie de sociétés cotées en France. Il est donc nécessaire de recourir à la coopération internationale.

Le président de l’AMF répondait ainsi à une question ([156]) sur la date prévisible à laquelle serait achevée l’enquête sur Muddy Waters et Casino : « Elle sera certainement bouclée en 2019. Cela nous aura pris presque 3 ans, mais dès lors que certains intervenants opèrent depuis l’étranger, cela prend beaucoup plus de temps. »

Au plan international, l’AMF a conclu des accords de coopération internationale avec d’autres autorités de marché. Cette coopération peut prendre la forme d’échanges d’information ([157]), parfois en dérogation à certaines règles de confidentialité. Les accords de coopération prévoient les modalités de la coopération de l’AMF à des enquêtes menées par des régulateurs étrangers. Hors du cadre européen, la réciprocité est exigée. Ces accords permettent de véritables progrès dans la coopération internationale. On dénombre 4 000 à 5 000 interrogations de régulateur à régulateur par an.

La loi prévoit également que l’AMF apporte son concours à la régulation des marchés financiers aux échelons européen et international ([158]). Elle est membre de l’Organisation internationale des commissions de valeur (OICV) ([159]) et du Joint Forum ([160]). L’AMF est intégrée au réseau européen des régulateurs et participe aux travaux menés par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF, European Securities and Markets Authority ou ESMA).

2.   La U.S. Securities and Exchange Commission (SEC) : un partenaire important

De nombreux fonds activistes proviennent des États‑Unis (Elliott Management, Muddy Waters…). Ils peuvent posséder des bureaux à Londres, mais la coopération avec les autorités américaines est nécessaire.

La SEC est l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers. Elle a été créée en 1934 par le Securities Exchange Act, à la suite de la récession consécutive à la grande crise financière et économique de 1929.

Les missions et les moyens de la SEC

Son siège est à Washington DC. Elle comporte cinq commissaires nommés pour 5 ans par le président des États-Unis, avec le consentement du Sénat. Pour assurer la neutralité de la SEC, il n’y a jamais plus de trois commissaires qui appartiennent au même parti politique. Le président des États-Unis désigne le président – Chairman – de la SEC parmi les cinq commissaires. Le chairman actuel, depuis 2017, est Jay Clayton. Sous sa présidence, les priorités de la SEC sont ainsi fixées :

– favoriser les intérêts des investisseurs individuels, des employés et de l’économie dans son ensemble (« Main Street investors », par opposition aux grandes institutions financières et grandes entreprises de Wall Street) ;

– renforcer la régulation et la supervision des marchés d’actions et d’obligations en prenant en compte les innovations technologiques et l’interconnexion croissante ;

– rendre les marchés de capitaux, notamment cotés, plus accessibles et garantir le leadership des États Unis dans la transparence et la protection des investisseurs.

Pour 2019, la SEC dispose de 5 divisions, 25 bureaux, emploie 4 628 équivalents temps plein et est dotée d’un budget de près de 1,7 milliard de dollars ([161]). Elle dispose, outre son siège à Washington, de 11 directions régionales réparties sur le territoire des États-Unis. Ses pouvoirs et sa composition ont été profondément remaniés par le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act de 2010.

La SEC protège l’épargne des plus de 66 millions de foyers américains qui ont investi sur les marchés, notamment pour financer leur résidence principale, l’éducation supérieure de leurs enfants ou leur retraite. Elle doit maintenir un fonctionnement ordonné et efficient des marchés et faciliter la formation du capital, c’est-à-dire :

– interpréter et garantir l’application des lois fédérales de sécurité financière ;

– émettre de nouvelles réglementations financières et amender les règles existantes ;

– superviser l’inspection des sociétés de bourse, des courtiers, des conseillers en investissement et des agences de notation ;

– superviser les organismes de réglementation privés dans les domaines des titres financiers, de la comptabilité et de l’audit ;

– coordonner la régulation des titres financiers entre les niveaux fédéral et fédéré et avec les autorités étrangères.

La SEC est un régulateur qui n’apparaît pas hostile à l’activisme actionnarial.

La rareté de ses interventions publiques sur le sujet témoigne du fait que le phénomène de l’activisme attire moins l’attention aux États-Unis qu’en Europe, et qu’il est rentré dans la norme des pratiques de marché.

Lors d’une réunion annuelle à l’université Stanford en 2015, un commissaire de la SEC (Daniel Gallagher) a prononcé un discours sur l’activisme actionnarial, le « court‑termisme » et la SEC ([162]). Il y réfute notamment une vision trop simpliste et binaire de l’activisme.

Il distingue en premier lieu le rôle des législateurs – déterminer les droits des actionnaires – de celui du régulateur – garantir un level playing field et des relations équitables, principalement par la transparence. Il souligne le rôle majeur des investisseurs institutionnels dans le succès ou l’échec des campagnes activistes : « they can make or break an activist intervention ». Il estime que le débat universitaire et théorique sur la création de valeur par les fonds activistes dans le long terme est encore en cours.

Il appelle cependant à un contrôle plus étroit des proxy, dont les recommandations de vote sont peut‑être trop systématiquement suivies par les investisseurs institutionnels alors que ces recommandations peuvent être erronées ou entachées de conflits d’intérêts.

Daniel Gallagher pense que ce n’est pas seulement au management mais également au conseil d’administration de dialoguer avec vigueur avec les actionnaires, comme le fait un député avec ses électeurs. Selon lui, la meilleure défense contre l’activisme est une communication claire et transparente de la stratégie de l’entreprise et de la façon dont le conseil contrôle le management.

Il considère que le court terme semble l’emporter sur la vision de long terme. Les activistes participent de cette tendance, en recherchant une plus‑value de court terme par diverses méthodes (scission de l’entreprise, rachat d’action, réduction des dépenses de recherche et d’investissement…)

Cette recherche de profit de court terme est renforcée par l’environnement de taux bas. Ainsi, l’activisme est un des rares moyens d’obtenir des rendements plus élevés.

3.   Des difficultés en matière de coopération internationale ?

La coopération entre autorités européennes, et surtout internationales comme la SEC, est-elle aussi fluide et rapide que le temps des marchés et des entreprises, voire l’intérêt national, l’exigeraient idéalement ?

La coopération entre régulateurs est essentielle. Or, les cultures nationales différentes peuvent affecter la perception de l’activisme actionnarial. Pour certains régulateurs, notamment la SEC, les activistes, qu’ils soient « longs » ou « courts », peuvent fondamentalement être considérés de manière neutre et même parfois comme un atout pour le marché.

Du point de vue français, il est dès lors légitime de s’interroger sur l’implication des régulateurs étrangers sollicités le cas échéant par l’AMF. Le régulateur étranger ne risque t‑il pas de privilégier sa vision du marché, voire de vouloir protéger « ses » fonds ?

Pour autant, du point de vue du circuit administratif et de la bonne volonté des acteurs dans la coopération, les auditions de la SEC comme de l’ESMA ne font pas ressortir en toute première analyse de défaillance particulière dans la coopération. Au contraire, la SEC considère l’AMF française comme l’un de ses partenaires les plus fiables, tandis que les relations entre l’ESMA et la SEC semblent globalement bonnes et fluides.

4.   L’activisme actionnarial est aussi un enjeu de souveraineté économique

Par ailleurs, si les initiatives de fonds étrangers, souvent anglo‑saxons, dans le capital de grands émetteurs cotés français résultent essentiellement de la recherche de nouveaux terrains d’action financiers et de nouvelles sources de profit, un enjeu de souveraineté peut également être soulevé, du fait de l’importance de ces émetteurs dans l’économie nationale.

La perspective que des fonds puissent être instrumentalisés par des États pour déstabiliser de grandes entreprises nationales ne saurait être entièrement écartée. Il n’y a pas lieu de recommander à ce stade de mesures particulières sur ce point, d’autant que le contrôle des investissements étrangers en France a récemment été renforcé ([163]). Mais il serait judicieux de prêter attention à ce sujet pour lavenir, notamment si des initiatives activistes en Europe devaient également provenir du continent asiatique.

De ce point de vue, la présence de l’État au capital de certaines entreprises stratégiques peut dissuader les réclamations activistes les plus « agressives ». En avril 2019, Bpifrance est montée au capital de Valeo, afin de prévenir des initiatives activistes ([164]) sur une entreprise nationale stratégique dont la faible capitalisation la place dans une situation vulnérable. En 2009, via le Fonds stratégique d’investissement (FSI), l’État était déjà intervenu au capital de l’entreprise alors que le fonds activiste américain Pardus Capital en était devenu l’actionnaire principal.

Bpifrance a également lancé en ce sens le projet « Lac d’Argent », qui doit permettre de participer à la stabilisation du capital de grandes entreprises. Il s’agit de rassembler des financements publics et privés au sein d’un fonds dont le montant pourrait atteindre deux milliards d’euros. La BPI assume ainsi, en quelque sorte, un rôle de « fonds souverain » ([165]).

IV.   UN MARCHÉ EFFICIENT EST ANIMÉ PAR DES ENTREPRISES RÉACTIVES

L’activisme actionnarial est relativement ancien aux États‑Unis. Les entreprises américaines se sont progressivement adaptées à ce phénomène. Les entreprises européennes et françaises, en revanche, sont encore en train d’ajuster leurs pratiques, leur gouvernance et leur stratégie à cette nouvelle donne.

A.   DES ENTREPRISES QUI DEVIENNENT LEUR « PROPRE » ACTIVISTE

Quelques « bonnes pratiques » préventives permettraient de fermer la porte à beaucoup des arguments employés par les activistes. Ces derniers ont moins d’espace pour intervenir lorsque la gouvernance et la stratégie d’une entreprise sont solides. Ce sont les failles, perçues ou réelles, qui donnent une prise aux activistes.

1.   L’analyse préventive de la société par elle‑même : mieux vaut prévenir que guérir

Les sociétés doivent, en un sens, être ellesmêmes des activistes. Elles doivent consentir un travail d’analyse poussé pour déceler toutes les failles existantes dans leur gouvernance, leur structure et leur stratégie.

Pour ce faire, les entreprises peuvent s’adjoindre l’aide de certaines banques-conseils, d’agences de communication financière, ou d’avocats. En préparation ou en réponse à une intervention activiste, les entreprises peuvent constituer des équipes consacrées à la gestion de ce phénomène.

Rich Thomas, qui analyse l’activisme davantage comme un comportement d’investisseur plutôt que comme une catégorie d’investisseurs (voir supra), estime que le plus important pour les dirigeants d’une société de ce point de vue est « lévaluation critique de leur situation actuelle. Y atil une possibilité dajuster la stratégie dentreprise, les opérations ou la structure du capital pour générer plus de valeur que dans la situation actuelle ? Sil y a une possibilité daccélérer la création de valeur, à court ou à long terme, il y a un risque quune entreprise se retrouve confrontée à la pression de ses actionnaires. » ([166]).

Rich Thomas souligne également l’importance de la communication financière vis-à-vis des actionnaires et du public : « le moyen le plus efficace pour éviter une attaque consiste à mener une communication financière la plus transparente possible, avec une comptabilité simple et la publication de rapports aisés à comprendre. » ([167]).

2.   La rénovation progressive des conseils d’administration

a.   La composition du conseil

Les auditions ont révélé l’importance de la composition du conseil d’administration et de la conception qu’il avait de sa mission pour la préparation et la gestion de l’irruption d’un actionnaire activiste.

En effet, les grands gestionnaires d’actifs et les grandes entreprises estiment qu’un conseil d’administration puissant et remplissant son rôle est la meilleure façon de prévenir une situation conflictuelle avec un activiste.

En premier lieu, il est essentiel que le conseil d’administration soit composé de membres expérimentés, complémentaires et d’origines diverses. Les conseils d’administration européens semblent davantage attentifs à l’entreprise que les boards anglo‑saxons, plus tournés vers les actionnaires. La construction dune relation forte entre le conseil et les actionnaires apparaît comme un moyen de gestion efficace en cas d’entrée d’un activiste au capital.

b.   Le rôle des administrateurs indépendants

Les auditions ont démontré, dans le choix des membres, l’importance d’une diversité des origines des administrateurs. Le rôle des administrateurs indépendants apparaît de ce point de vue comme important.

Le code Afep‑MEDEF le définit ainsi : « un administrateur est indépendant lorsquil nentretient aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre lexercice de sa liberté de jugement ». Un administrateur salarié, intéressé aux résultats ou qui entretient une relation d’affaires avec la société, ou parent d’un dirigeant, n’est donc pas indépendant. La pratique courante de croisement d’administrateurs doit également interroger de ce point de vue.

                            Le « Code Afep‑MEDEF »

Formellement intitulé « code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées », c’est une liste de recommandations élaborées par l’Association française des entreprises privées (AFEP) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) pour la gestion des entreprises cotées en bourse. Il résulte des influences anglaise et nord‑américaine.

Sa dernière révision date du 20 juin 2018. Il n’a pas de valeur contraignante. Les entreprises choisissent volontairement de s’y soumettre. Il pourrait ainsi s’apparenter à du droit souple ou « soft law » : inciter sans contraindre. Il permet la diffusion des meilleures pratiques.

Pour autant, il est respecté par la quasi‑totalité des sociétés du SBF 120. Les entreprises qui ne suivent pas certaines recommandations doivent se justifier : « comply or explain ». La « compliance » implique ainsi de se conformer aux règles du droit « dur » mais aussi du droit souple. Cette compliance est devenue un critère d’investissement pour les investisseurs. En outre, depuis 2013, les révisions du code s’opèrent après une concertation avec les autorités publiques et des représentants d’actionnaires ou des agences de conseil en vote. Il intègre également des suggestions de l’AMF. Dès lors, son autorité s’en trouve considérablement élargie. Il s’agit d’un « système de régulation professionnelle concertée ».

Un Haut comité est chargé d’interpréter, à la manière d’un juge, les recommandations du code. Il publie aussi un rapport d’application du code, qui mentionne depuis 2017 le nom des entreprises qui n’ont pas pris en compte les recommandations et ne s’en sont pas expliquées : il s’agit d’une procédure de « name and shame ».

Si ce n’est pas juridiquement une norme contraignante, sa portée tend ainsi à s’en rapprocher fortement en pratique ([168]).

La loi ne fixe pas d’obligation de ce point de vue. « Pourquoi nommer des administrateurs indépendants ? Parce que la participation dun tiers vigilant aux travaux du conseil dadministration, outre quelle apporte le bénéfice dun regard extérieur, a aussi des vertus prophylactiques, en tant quelle permet déviter les aberrations de comportement les plus criantes ; ce quapporte la présence de ladministrateur indépendant, cest un gage dobjectivité et dindépendance » ([169]).

Le code Afep‑MEDEF préconise (recommandation 8.3) que la part d’administrateurs indépendants constitue « la moitié des membres du conseil dans les sociétés au capital dispersé et dépourvues dactionnaires de contrôle. » Dans les sociétés contrôlées, il recommande une part d’au moins un tiers.

Un conseil d’administration « faible » ou peu indépendant, est susceptible :

– de constituer, par lui‑même, une faille de gouvernance critiquée par un activiste ;

– de ne pas être en mesure de pouvoir contribuer efficacement à défendre l’entreprise et le management contre un activiste agressif.

L’AMF relève qu’en 2018 ([170]) « seules 5 sociétés qualifient leur président du conseil dadministration ou de surveillance dindépendant » mais que l’ensemble des sociétés sauf une fournissent des explications sur ce point. Elle note un « taux moyen d’indépendance des conseils d’administration et de surveillance » de 61 %.

a.   La durée des mandats des administrateurs

Un autre point qui peut être soulevé par les activistes, concernant les conseils d’administration, est l’ancienneté des administrateurs. La limitation de la durée des mandats semble être identifiée comme un critère de bonne gouvernance. La loi prévoit que la durée de leurs fonctions est déterminée par les statuts, sans pouvoir excéder six ans, et qu’ils sont rééligibles sauf stipulation contraire des statuts. Le code Afep‑MEDEF privilégie une durée maximale du mandat de quatre ans (recommandation 13.1), de façon à permettre aux actionnaires de se prononcer avec une fréquence suffisante. Le code prévoit aussi qu’un administrateur qui dépasse 12 ans de mandat ne peut être considéré comme indépendant (recommandation 8.5.6).

Les entreprises cotées françaises semblent ainsi prendre conscience de l’utilité d’éviter une forme « d’entre‑soi, » souvent dénoncé au sein de la place.

3.   La dissociation spontanée des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général

a.   La distinction des fonctions et la liberté d’organisation laissée par le législateur

Le titre de Président directeur‑général (P.-D.G.) a été créé par la loi du 16 novembre 1940. La loi NRE du 15 mai 2001 a introduit la possibilité de dissocier les fonctions de président du conseil et de directeur général. L’objectif de cette disposition législative, selon son exposé des motifs, était « d’assurer un fonctionnement plus équilibré et plus transparent des organes dirigeants des entreprises françaises ».

Le législateur na cependant pas souhaité imposer un modèle aux sociétés françaises et a donc laissé la possibilité au conseil d’administration et à l’assemblée générale de décider d’unir ou de dissocier les deux fonctions. Dans le premier cas, le président du conseil assume la direction générale de la société. Dans le second cas, le président préside le conseil et le directeur général dirige la société, la représente à l’égard des tiers et prend la qualité de chef d’entreprise.


b.   Le développement du modèle de dissociation en France

La dissociation des fonctions est souvent réclamée par les activistes et les agences de conseil en vote.

L’agence américaine de conseil en vote ISS recommande systématiquement aux investisseurs de voter contre toute absence de dissociation. Ces dernières votent ainsi contre le renouvellement d’un P.-D.G. en assemblée générale. Plus généralement, elle constitue un standard de bonne gouvernance dans le monde anglo‑saxon, qui distingue le « chairman of the board » du « chief executive officer », en application des règles de la « corporate gouvernance ». Cette pratique américaine a d’ailleurs inspiré la loi NRE.

L’AMF, ayant étudié un échantillon de 37 sociétés du SBF 120 ([171]) disposant d’un conseil d’administration et qui ont fait évoluer leur mode de direction à l’occasion d’un changement ou renouvellement de dirigeant ([172]), a dénombré :

– 17 sociétés ayant opté pour la dissociation des fonctions ;

– et 20 sociétés ne les ayant pas dissociées.

Le Haut Comité de gouvernement d’entreprise recense ainsi l’organisation de la gouvernance des sociétés cotées françaises :

Répartition des sociétés selon les formes sociales
et les modes de direction adoptés

 

SBF 120

CAC 40

 

Exercice 2016

Exercice 2017

Exercice 2016

Exercice 2017

Société anonyme à conseil d’administration avec unicité des fonctions

51,0 %

51,0 %

58,8 %

61,8 %

Société anonyme à conseil d’administration avec dissociation des fonctions

29,8 %

32,7 %

26,5 %

23,5 %

Société anonyme à directoire et conseil de surveillance

15,4 %

12,5 %

11,8 %

11,8 %

Société en commandite par actions

3,8 %

3,8 %

2,9 %

2,9 %

Total

100 %

100 %

100 %

100 %

Source : rapport du Haut Comité de gouvernement d’entreprise d’octobre 2018.

B.   DES ENTREPRISES QUI PRIVILÉGIENT LE DIALOGUE AVEC LES ACTIONNAIRES

L’intensification de l’activisme incite les entreprises et les équipes dirigeantes à être plus transparentes. Plus largement, comme on l’a expliqué, l’expansion de l’activisme actionnarial s’inscrit dans une tendance à l’accroissement de l’engagement des actionnaires. Spontanément, les entreprises tendent de plus en plus à anticiper les demandes de tous les actionnaires, activistes ou simplement actifs, voire à prendre en compte les autres parties prenantes.

Sans que les règles changent, l’attitude des entreprises évolue. Les entreprises les moins vulnérables aux activistes semblent ainsi être les plus réceptives à ces évolutions contemporaines.

1.   L’approfondissement du dialogue avec les actionnaires

Les entreprises qui instaurent un dialogue régulier avec leurs actionnaires peuvent espérer se constituer une base actionnariale stable sur laquelle s’appuyer, notamment en cas de campagne activiste déstabilisatrice.

Même une fois la campagne engagée, la confiance peut être restaurée par le dialogue si elle est dégradée. C’est notamment important en cas de vente à découvert : « si la confiance parvient à être maintenue ou rétablie, alors lactiviste short verra ses marges de manœuvre se restreindre considérablement » ([173]).

La recommandation 4.1 du code Afep‑MEDEF prévoit qu’il « appartient à chaque conseil dadministration de définir la politique de communication financière de la société ». Cette communication financière s’adresse au marché, dès lors que la valeur d’un titre coté dépend largement des informations dont dispose le marché sur le titre et la société.

Mais l’accroissement de la transparence dans la communication entre les dirigeants et les actionnaires est aussi considéré comme un élément de plus en plus important pour établir une véritable relation de confiance.

Le droit européen conçoit la transparence financière comme associant étroitement les actionnaires : « le contrôle effectif par les actionnaires est un préalable indispensable à un gouvernement d’entreprise sain et il devrait donc être facilité et encouragé. » ([174]).

Le conseil d’administration a donc vocation à fournir une information de bonne qualité aux actionnaires. Toutefois, selon le Club des juristes, « la documentation normée, engendrée et encadrée par le principe de transparence […] ne répond pas toujours suffisamment aux exigences des investisseurs ». Le Club des juristes relève que pour surmonter cette limite, les administrateurs tendent à réserver aux actionnaires des « temps d’explication et d’échange » sur l’information publique de la société. Il note que les administrateurs sont progressivement incités à « dialoguer directement avec les actionnaires, à l’exemple de ce qui se pratique en Angleterre et aux ÉtatsUnis. »

L’équivalent britannique du code Afep‑MEDEF invite le président du conseil à échanger avec les actionnaires importants, non seulement sur la gouvernance, mais aussi sur la stratégie et la performance ([175]). Le président de l’AMF propose quant à lui l’établissement d’un guide sur le dialogue actionnarial, pour contribuer à l’amélioration de la communication des sociétés et au respect de la réglementation financière ([176]).

 

Recommandation 13 ([177]) :

Encourager la rédaction d’un guide du dialogue actionnarial partagé entre la communauté des émetteurs, investisseurs, régulateurs et les autres acteurs de marché.

Le principe de contradictoire devrait y figurer en bonne place.

Ce dialogue semble être bénéfique aux actionnaires comme aux administrateurs : il permet aux administrateurs de mieux connaître les actionnaires, leurs intérêts et les préoccupations voire la désapprobation éventuelle qu’ils peuvent nourrir envers la direction. Parallèlement, il permet aux actionnaires « de sassurer du bon fonctionnement du conseil et de son alignement sur la stratégie défendue par le management. Il en résulte une confiance accrue en la société. »

Le Club des juristes rappelle toutefois que ce dialogue ne saurait aboutir à une immixtion des actionnaires dans la gestion de la société ou à la recherche d’informations privilégiées.

L’établissement d’un dialogue continu et structuré avec les actionnaires peut contribuer à prévenir les conflits avec des activistes, ou à faciliter la gestion des relations avec un activiste déjà présent. Ce dialogue est souvent confié à un administrateur référent.

Plus généralement, la place de Paris pourrait éventuellement s’inspirer d’initiatives telles que l’Investor Forum au Royaume-Uni pour tenter de structurer un dialogue plus approfondi entre actionnaires et émetteurs.

Enfin, la mission a pu constater que nombre de fonds activistes étaient particulièrement attentifs à leur image. Une des raisons pourrait en être que l’honorabilité de certains de leurs investisseurs (notamment des institutions très respectables – fonds de pension, universités, etc. – leur ayant confié des liquidités à investir) leur impose un certain standard de comportement. Cela semble vrai, dans nombre de cas, malgré l’opacité des fonds sur l’identité de leurs investisseurs. 

Influer sur ce qui est considéré très largement comme acceptable via ce guide du dialogue actionnarial est un moyen de discipliner les relations entre activistes et sociétés cotées.

2.   La généralisation de l’administrateur référent

Sur le modèle anglo‑saxon du Senior Independant Director ou Lead Independant Director, un nombre croissant de sociétés se dotent dun administrateur référent. Cet administrateur se voit conférer des missions particulières, notamment en matière de gouvernance et de relations avec les actionnaires.

Il peut aider le conseil d’administration à s’assurer du bon fonctionnement des organes de gouvernance de la société. Il veille à l’information du conseil, participe à l’élaboration de son ordre du jour et peut le représenter. Il réunit les administrateurs indépendants.

Il contribue également au recrutement et à la formation de nouveaux administrateurs.

L’administrateur référent est mentionné dans la recommandation 6.5 du code Afep‑MEDEF, qui prévoit que lorsqu’un tel administrateur est désigné, le règlement intérieur du conseil d’administration doit décrire ses missions, moyens et prérogatives. Il incite aussi à ce qu’il soit sélectionné parmi les administrateurs indépendants.

Selon l’Institut français des administrateurs (IFA), « il dispose dune neutralité et dune indépendance accrues au sein du conseil, dans la mesure où il peut notamment réunir les membres du conseil hors la présence du directeur général et ou du président. »

L’AMF considère qu’il « constitue une des modalités intéressantes de prévention déventuels conflits dintérêts et déséquilibres au sein du conseil, tout particulièrement en cas de cumul des fonctions de président du conseil et de directeur général » ([178]).

En 2018, un tiers des sociétés du SBF 120 disposaient d’un administrateur référent. « Sur 57 entreprises du SBF 120 dirigées par un P.D.G., 27 ont aujourdhui un administrateur référent. Mais ce nouvel acteur nest pas réservé aux seules structures dirigées par un P.-D.G. Ainsi, 9 sociétés à fonctions dissociées en sont aujourdhui dotées. Soit au total 36 administrateurs référents dans le SBF 120 en 2018, contre moins dune dizaine en 2011. » ([179])

La gouvernance étant l’une des préoccupations majeures des activistes, l’administrateur référent revêt notamment une utilité particulière dans les rapports avec un actionnaire activiste.

3.   La prise en compte des « parties prenantes » : le prochain horizon des activistes européens

Le travail des sociétés cotées sur leurs vulnérabilités en matière de gouvernance, tout comme de stratégie et de rentabilité, constitue la meilleure préparation contre les incursions activistes.

La démarche « ESG » (environnementale, sociale et de gouvernance), tout comme la prise en compte plus large de toutes les « parties prenantes », s’imposent de plus en plus comme de nouveaux déterminants de la valeur, et comme des facteurs de performance d’une société cotée. Leur ignorance peut en tout état de cause être particulièrement destructrice de valeur, y compris à court terme.

Il est très possible, a minima en Europe - plus directement sensible que les États-Unis à ces questions -, que le prochain angle d’attaque des activistes soit la faiblesse de certaines entreprises dans ces domaines.

Les sociétés cotées peuvent donc y voir un argument supplémentaire pour s’engager résolument dans des démarches sincères et efficaces en la matière.


—  1  —

   Examen en commission

 

Lors de sa deuxième réunion du mercredi 2 octobre 2019 la commission a examiné le présent rapport.

 

M. le président Éric Woerth. Avec Benjamin Dirx, nous avons mené une mission pendant quatre mois sur les fonds activistes. Nous avons effectué un déplacement à New York, puisqu’il s’agit d’un phénomène assez concentré aux États-Unis. Nous avons rencontré toute une série de fonds ; parmi les plus connus Elliott, Third Point ou Muddy Waters. Nous avons rencontré des entreprises françaises qui ont fait l’objet de demandes des activistes : Pernod Ricard, Scor, Casino et quelques autres. Nous avons rencontré les régulateurs français et européens : l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’European Securities and Markets Authority (ESMA). Nous avons rencontré des banquiers, des spécialistes des marchés financiers comme La Financière de l’Échiquier (LFDE), mais aussi des banquiers comme Lazard, qui ont une activité dédiée aux activistes. Nous avons rencontré des sociétés de communication financière, notamment Image 7 et Shan. Nous avons également rencontré des lawyers spécialisés sur ce sujet.

Au fond, qu’est-ce qu’un activiste ? Il s’agit d’un actionnaire plus actif que les autres, quelqu’un qui a décidé d’entrer dans une société cotée pour y faire entendre sa voix. Soit il fait entendre sa voix à la hausse en disant que la société est sous-cotée, sous-valorisée, qu’il faut révéler sa valeur ; soit il considère que la société est surcotée et il vend ses actions à découvert, en pariant sur le fait que le cours de la société va chuter pour un certain nombre de raisons. Aujourd’hui, ce sont les deux grandes voies de l’activisme.

En général, l’activiste entre dans une société assez brutalement, sans vraiment s’annoncer. Il y a toujours des moments de tension. Il met sous pression l’entreprise. L’activiste fait campagne, c’est-à-dire qu’il prend le public ou les autres actionnaires à témoin pour obtenir une validation de sa stratégie et tenter d’influer sur le cours.

L’activisme est d’abord un phénomène américain. Je vous cite quelques chiffres : en 2018, 922 entreprises ont été ciblées, dont 491 aux États-Unis ; en France, il y a eu quatre campagnes médiatiques. Ce n’est pas un phénomène répandu, mais c’est un phénomène très médiatisé. La pression est très forte, les entreprises sont très connues et les enjeux sont majeurs. L’activisme influe sur la valorisation de l’entreprise. Mais l’action d’un activiste peut aussi avoir une incidence sociale.

Le phénomène va-t-il s’arrêter aux États-Unis, ou à l’inverse prospérer en France ? Nous pensons qu’il tend plutôt à se développer. Certes, le marché américain n’est pas saturé. C’est un marché très large, mais qui est quand même déjà très regardé. Nous pouvons penser que la France et l’Europe sont potentiellement attractives pour ces fonds.

Par ailleurs, les fonds ont tous la même méthode. Après une entrée au capital rapide, inattendue, parfois un peu brutale, ils cherchent soit à libérer de la valeur, soit à révéler une valeur inférieure à celle du marché.

Pour Casino, l’activiste Muddy Waters parie à la baisse du titre. Il considère que les structures juridiques ou financières n’ont pas été totalement prises en compte par le marché. Il pense qu’en réalité, l’action Casino est surcotée par le marché. Il tente de démontrer aux marchés financiers qu’il a raison et que ce titre vaut moins cher que le prix établi par le marché.

Dans les cas contraires, il y a une sous-valorisation du titre. Par exemple, quand Eliott entre au capital de Pernod Ricard, il considère qu’il faut révéler de la valeur. Ce sont évidemment des actions et des méthodes très différentes.

Les activistes émettent souvent des suggestions, sur divers sujets. Le premier est la gouvernance. Les fonds affirment que l’entreprise est mal gouvernée ou que les structures de gouvernance ne sont pas les bonnes. Par exemple, ils prônent la dissociation des fonctions de président et de directeur général ; ou alors ils contestent la trop faible indépendance du board et l’absence de contre-pouvoir à l’intérieur du Conseil d’administration. En dehors de la gouvernance, la stratégie de l’entreprise peut aussi être sujette à caution. Il y a des activités qui, selon l’activiste, doivent être vendues ou transformées pour rendre l’entreprise plus rentable.

De plus, les activistes font appel au public et ont souvent recours aux médias. Très souvent, des articles de journaux permettent de valider ou en tout cas de renforcer leurs thèses.

Par ailleurs, des batailles de vote peuvent survenir. Les activistes vont chercher à faire voter des résolutions : cela peut concerner le salaire des dirigeants comme constituer une mise en cause de la stratégie de l’entreprise. Il y a des batailles de procurations, que l’on appelle batailles de proxy. Nous avons rencontré des agences de vote qui représentent des actionnaires et qui votent au nom d’un certain nombre d’entre eux.

Cela étant, nous considérons que l’activisme est d’abord utile. C’est toujours difficile à dire, mais il est essentiel que les actionnaires soient actifs. Notre rapport entend démontrer qu’il faut combattre les excès, et qu’un bon marché financier, c’est d’abord un marché financier très transparent dans lequel l’information, la bonne information, est diffusée. Un bon marché financier est un marché qui régule la qualité de l’information et dans lequel l’information n’est pas asymétrique.

On peut distinguer trois types de campagnes d’activistes. Un premier type de campagne correspond aux campagnes qui se déclenchent sur des événements particuliers. Par exemple, Scor, quatrième réassureur mondial, est sous la pression de son actionnaire de référence, Covéa, qui souhaite en prendre le contrôle. Un fonds activiste français, Charity Investment Asset Management (CIAM), a racheté moins de 1 % du capital et a commencé à exercer une pression sur le management pour dire que l’entreprise doit être gérée autrement.

Il y a une deuxième catégorie d’activistes, ceux qui entrent au capital à tout moment et sans événement particulier. Eliott est entré au capital de Pernod Ricard parce que ses experts ont étudié les comptes financiers du groupe et estiment que cette entreprise est sous-valorisée. À ce moment-là, la discussion s’engage avec l’entreprise. À partir d’une participation souvent très faible, l’activiste construit un dialogue stratégique avec l’entreprise.

Le troisième type de campagne activiste est le short selling, c’est-à-dire la vente à découvert : l’activiste parie sur la baisse d’un titre. C’est évidemment la plus emblématique et elle continue d’ailleurs à animer la planète financière française. Il s’agit de Muddy Waters chez Casino. En une seule journée, Casino a perdu 20 % de sa valeur. Derrière cela, la survie de l’entreprise est en jeu.

Les campagnes d’activistes ont des conséquences qui peuvent être parfois extrêmement négatives, mais elles peuvent aussi avoir des conséquences positives. Là aussi, il faut distinguer au cas par cas. Après une campagne d’activistes, souvent, nous pouvons remarquer que l’entreprise a évolué. C’est pour cela que nous pensons que la meilleure façon de lutter contre l’activisme actionnarial est d’abord de prévenir le phénomène en essayant de gommer l’ensemble des points faibles d’une société.

Quels sont les principes qui ont conduit nos recommandations ? Le premier est qu’il ne faut pas nuire à l’attractivité de la place de Paris. Tout le monde le dit. Il n’y a pas que la City ! Nous devons être attractifs. Cela veut dire que nous devons réglementer le moins possible.

Deuxième point, il faut favoriser la transparence des marchés financiers. La transparence est aussi un facteur d’attractivité. Elle ne doit pas être synonyme de lourdeur. Tout ce qui favorise la transparence, qui n’obère pas ou ne freine pas le fonctionnement efficient des marchés, doit être promu.

Il faut cibler les comportements les plus excessifs, qui nuisent à la transparence et à l’efficience des marchés financiers.

De plus, il faut privilégier le droit souple. Il ne faut pas accumuler la réglementation extrêmement lourde, comme on sait parfois faire.

À partir de ces principes, nous avons quatre axes de recommandations : le renforcement de la transparence du marché ; la réduction de l’asymétrie des informations entre l’émetteur et l’activiste ; l’encadrement plus strict de la vente à découvert ; le rapprochement du temps du régulateur du temps du marché.

Pour renforcer la transparence du marché, nous proposons d’abaisser le niveau de la déclaration de franchissement de seuil, qui est de 5 %, à 3 %. Dans le domaine de l’activisme, nous voyons bien que nous sommes très souvent face à des seuils de participation inférieurs à 5 %. Ce sont des gens qui prennent des participations beaucoup plus faibles, et 3 % nous semble être un niveau approprié.

La deuxième recommandation est que les déclarations de franchissement de seuil doivent être connues à la hausse comme à la baisse. Les entreprises doivent mieux connaître leurs actionnaires. Nous indiquons également que la non-déclaration doit s’accompagner de mesures de sanction, notamment pécuniaire. Aujourd’hui, cela ne coûte quasiment rien de ne pas déclarer. Oublier de déclarer se traduit seulement par une privatisation temporaire du droit de vote. Il doit y avoir aussi des sanctions pécuniaires et statutaires.

La troisième recommandation dans le domaine de la transparence concerne la procédure de titres au porteur identifiable (TPI). Elle doit être plus facile à mettre en œuvre et moins coûteuse. Toutes les entreprises que nous avons rencontrées nous disent que cet outil est très coûteux. Or, la directive européenne permet d’exiger qu’on ne facture pas de frais ou de limiter la capacité à facturer des frais pour un service d’identification des actionnaires. Nous proposons de mieux utiliser les possibilités qui sont ouvertes par le droit de l’Union européenne, pour que les entreprises puissent plus facilement, plus finement et à plus faible coût, connaître la composition de leur actionnariat.

 

La deuxième catégorie de recommandation porte sur la réduction de l’asymétrie de l’information entre les sociétés émettrices et les fonds activistes. Nous pensons que, lorsqu’une société fait l’objet d’une campagne qui met directement en cause sa structure financière, sa structure de gouvernance ou ses résultats, et que des informations substantielles sont transmises aux actionnaires, il est naturel que les mêmes informations soient transmises à la société elle-même. Elle ne doit pas les découvrir au hasard de l’envoi des informations reçues par tel ou tel actionnaire. Il devrait y avoir une procédure dans laquelle l’information ne peut pas être asymétrique entre le fonds et la société cotée, lorsque les informations sont transmises aux autres actionnaires.

Lorsque l’information est rendue publique par voie de presse, nous pensons qu’il est très compliqué d’encadrer cela. Nous demandons également que les entreprises, qui doivent respecter des périodes de silence au moment où elles vont annoncer leurs résultats, puissent communiquer des informations pendant ces périodes, si elles sont attaquées par un fonds activiste. Nous proposons enfin la rédaction d’un guide sur le dialogue actionnarial. Tous les activistes ne veulent pas nécessairement aboutir à un conflit absolu. Une bonne partie de la résolution des conflits repose sur le dialogue actionnarial, entre les acteurs de marché, les investisseurs, les entreprises concernées et le fonds. Cela doit faire l’objet d’un guide de bonne conduite.

Nous voyons bien que les avocats conseillent quelque chose de très structuré sur le dialogue à engager, sur sa nature, sur les informations que l’on échange, sur le temps de ce dialogue et sur la communication au public. Nous pensons que ce serait une très bonne chose que la place puisse travailler sur cela.

Troisième catégorie de recommandations, il faut encadrer plus étroitement la vente à découvert, qui apparaît comme le phénomène le plus critiqué. Nous pensons qu’il faut introduire une présomption de fonctionnement anormal de marché, dans le cas où l’ampleur de la vente à découvert dépasserait une certaine limite du capital, du capital flottant ou de volume des titres.

Dans le cas Casino, déjà évoqué, le président de l’AMF avait indiqué que nous pouvons nous demander si nous étions vraiment dans le cadre de fonctionnement normal du marché, alors que près de 40 % du flottant du capital d’une société a pu faire l’objet de ventes à découvert. Si l’on atteint un niveau par rapport à la capitalisation de l’entreprise et par rapport à son capital flottant, alors il faut une sorte de présomption de fonctionnement anormal du marché. Nous n’avons pas fixé précisément de montant. Il s‘agit bien de lutter contre les excès des ventes à découvert.

La vente à découvert est néanmoins nécessaire. Elle assure la fluidité du marché et l’immense majorité des transactions de ventes à découvert n’ont aucune relation avec des activistes. Certains nous suggéraient d’interdire la vente à découvert, mais personne ne peut penser qu’il s’agit d’une recommandation sérieuse.

Nous pensons également qu’il faut intégrer dans le calcul d’une position courte nette, tous les instruments et titres financiers qui concourent à cette position. Je pense aux swaps, à divers outils financiers et aux dérivés. Il faut une vision complète de la position des vendeurs à découvert pour avoir une vision complète de leur exposition économique vis-à-vis d’une société.

 

Nous souhaitons encourager les places financières à développer des outils de transparence sur les prêts-emprunts de titres. Une des méthodes serait l’interdiction de la vente à découvert nue, qui permet de vendre dans le futur des titres qui ne sont pas encore acquis. Les entreprises qui font cela, les short sellers, empruntent les titres. Cela s’appelle le prêt-emprunt de titres. Qui prête ces titres ? Des banques, des grands fonds. Ils les prêtent et cette activité produit un profit important.

L’existence d’une place de marché centralisée du prêt-emprunt de titres permettrait de rendre les choses plus claires. Souvent, nous ne savons pas précisément qui participe à un prêt-emprunt de titres. Nous avions pensé à formuler une recommandation interdisant qu’il soit anonyme. Mais cela serait très vite contourné, puisqu’il est possible de passer par des intermédiaires. Je pense qu’en réalité, cette recommandation aurait assez peu d’efficacité et serait même certainement contre-productive.

Nous pensons donc que l’idée de faire émerger une place de marché en discussion avec d’autres marchés européens serait une avancée. Cette place centraliserait toutes les informations relevant du prêt-emprunt de titres. Cela a existé aux États-Unis dans les années 30, nous pourrions peut-être le refaire.

Il faut sans doute dissocier, pour les titres qui font l’objet d’un prêt-emprunt de titres, le prêt-emprunt lui-même du droit de vote et faire en sorte qu’il ne soit pas systématiquement transféré en même temps que le titre. Il y a des grands gestionnaires d’actifs qui, dans les contrats de prêt-emprunt, proposent ou organisent cette dissociation.

Enfin, nous proposons d’introduire une procédure de référé devant l’AMF. Évidemment, la société qui est attaquée peut écrire à l’AMF, mais ce n’est pas une procédure en elle-même. Je pense que qu’une telle procédure, qui n’existe pas aujourd’hui, pourrait favoriser la stabilisation du marché. Cela supposerait d’établir des critères de recevabilité de la demande en référé, évidemment.

Je rappelle que l’affaire Casino est devant l’AMF depuis décembre 2015. Le temps économique est clairement dissocié du temps du régulateur. L’enquête est compliquée pour le régulateur qui doit aller chercher des informations aux États-Unis, auxquelles il n’a pas nécessairement accès.

Nous pensons qu’il faut renforcer les moyens financiers de l’AMF. Quand nous regardons tous les autres régulateurs, nous sommes très loin du compte. Je pense que pour augmenter les moyens financiers du régulateur, en réalité, il faut lui verser l’intégralité de la taxe affectée qui est payée par les entreprises et dont le produit s’élève à 120 millions d’euros. Seuls un peu moins de 100 millions sont reversés au régulateur. Nous pensons qu’il suffirait tout simplement de déplafonner cette taxe de manière progressive.

Nos treize recommandations vont évidemment faire réagir les fonds, parfois très puissants, qui demandent la liberté totale. Au fond, l’asymétrie constitue pour eux une partie de leur liberté. Quant à nous, nous essayons de réintroduire un peu d’équilibre entre les uns et les autres.

Par ailleurs, je pense que le plus important est de reconnaître que le phénomène de l’activisme est un phénomène utile pour les marchés et utile probablement pour les entreprises.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Votre présentation a le mérite, en plus de l’originalité, d’être importante. Je crains que l’activisme actionnarial nocif devienne de plus en plus agressif et devienne un véritable problème grave.

Pour répondre à ce que vous avez dit sur le financement de l’AMF, je note quand même que le projet de loi de finances pour 2020 propose déjà d’augmenter de 2,5 millions d’euros le plafond des ressources de l’AMF. Nous sommes déjà sur une logique qui va dans le sens que vous préconisez. Vous proposez de supprimer totalement le plafond d’affectation. Je serais pour ma part plus mesuré. En tout état de cause, nous aurons ce débat lors de l’examen du projet de loi de finances. Effectivement, si nous procédons à une comparaison avec les autres régulateurs financiers dans le monde, il y a peut-être d’autres modes de financement de l’AMF sur lesquels nous pouvons travailler. Ces questions peuvent être posées.

La septième recommandation, qui encourage les acteurs à dialoguer et à se responsabiliser, me paraît intéressante. Dans les auditions que vous avez menées, les personnes auditionnées se sont-elles montrées réellement enclines à s’engager sur cette voie, que vous avez appelée vous-même « soft law », c’est-à-dire un ensemble de règles non contraignantes qui encadrent des bonnes pratiques, ou avez-vous senti qu’il faudrait peut-être se montrer un peu plus coercitif ?

Pour conclure sur les enjeux de souveraineté, des fonds activistes étrangers pourraient-ils être d’une manière ou d’une autre influencés par les pouvoirs publics des États dans lesquels ils sont implantés ? Autrement dit, la problématique que vous soulevez relève-t-elle aussi selon vous, d’enjeux plutôt géopolitiques ? Cet aspect a-t-il été évoqué par les personnes que vous avez auditionnées ?

Mme Émilie Cariou. J’ai eu l’occasion de travailler au service des enquêtes de l’Autorité des marchés financiers. Il est certain que par rapport à d’autres régulateurs, l’autorité française gagnerait à renforcer ses moyens, alors que les enquêtes et les contrôles à réaliser portent sur des mécanismes de plus en plus complexes, avec des mouvements réalisés sur des outils de marché extrêmement puissants et rapides. Aujourd’hui, il est difficile de réguler ce qui se passe sur le marché coté. Je ne parle même pas du marché non coté, qui est très innovant en termes de nouveaux produits et pour lequel nous manquons de capacité d’analyse.

À ce titre, vous parlez d’une procédure de référé. À vrai dire, il me semble qu’aujourd’hui, les enquêtes peuvent se déclencher assez rapidement dans le type de cas de figure que vous visez. Ce qui est long, c’est de réaliser la procédure d’enquête en tant que telle. De ce fait, est-ce que, derrière le référé, vous pensez aussi à des possibilités de déclarations très rapides pour contrer les fausses informations ? Est-ce que vous pourriez nous détailler un peu cela ?

Sur le franchissement de seuil, vous dites que la place de Londres est déjà au seuil de 3 %, aujourd’hui. Est-ce que c’est le cas aussi aux États-Unis ? Y aurait-il des difficultés techniques aujourd’hui pour retenir ce seuil de 3 % ?

M. Jean-Louis Bricout. Je crois qu’il y a un petit air de révolte qui se fait sentir chez les actionnaires des grandes entreprises. Vous proposez un ensemble de dispositions pour mieux maîtriser l’activisme actionnarial par du droit souple. Effectivement, je pense que nous devons protéger l’entreprise de ces actions qui visent à la déstabiliser. Cependant, l’activisme, c’est aussi lutter contre des abus, quelquefois des abus de l’entre-soi managérial ou actionnarial. Combien de scandales touchant les plus grands groupes européens ou français auraient pu être évités, si des activistes puissants avaient mis leur nez à temps dans leurs affaires ?

L’activisme permet aussi de soutenir des causes nobles, notamment une gouvernance plus respectueuse des enjeux sociétaux et environnementaux. Il y a eu des exemples, comme au moment de l’assemblée générale du groupe Bayer lors du rachat de Monsanto. Un autre exemple est celui de l’assemblée générale d’Union Bank of Switzerland (UBS) à la suite de l’amende record de 3,5 milliards d’euros. Sur un sujet d’évasion fiscale, nous voyons bien qu’il y a une espèce de rébellion par rapport à une forme de gouvernance contestée.

Je voudrais savoir si l’ensemble de vos dispositions tiennent compte de ces équilibres entre quelque chose qui peut être ressenti comme un mal pour l’entreprise, mais également comme un mal nécessaire.

Mme Valérie Petit. C’est vrai qu’il faut rappeler que nous nous trouvons dans l’aboutissement d’un long mouvement de réforme de la gouvernance d’entreprise qui a été lancé dans les années 90, et qui a produit des effets positifs, notamment sur le contrôle des dirigeants d’entreprise. Cependant, il arrive parfois que cet activisme n’aille pas que dans le bon sens et qu’il devienne une véritable prise d’action actionnariale. L’analyse qui est faite par ces fonds de la capacité de l’entreprise à créer de la valeur n’est pas forcément juste. Il y a des stratégies d’entreprise qui prennent plus que quelques mois pour se déployer et produire leurs effets pour l’entreprise et pour les parties prenantes. J’ajoute que non seulement l’activisme va parfois contre la capacité de l’entreprise à déployer sa stratégie, mais il va aussi contre des intérêts souverains. Pour ces deux raisons, j’aimerais bien que vous nous disiez où vous placez le curseur entre l’activisme et la prédation actionnariale.

Pour renforcer le rôle de l’AMF, avez-vous d’autres pistes que le référé ? Je pense qu’il faut bien distinguer et poser ce curseur, pour ensuite avoir des propositions qui vont dans le bon sens, le sens de plus de transparence, d’une meilleure gouvernance, mais aussi de la préservation de la possibilité pour les entreprises d’élaborer des stratégies qui portent leurs fruits pour l’ensemble des parties prenantes.

M. Daniel Labaronne. C’est vrai que la question de l’activisme actionnarial, en particulier de l’activisme des hedge funds, est une question intéressante qui a pris beaucoup d’ampleur aux États-Unis. En effet, la structure actionnariale des firmes américaines se prête à ce type d’activisme, avec une structure actionnariale beaucoup plus dispersée que ce que l’on trouve dans les entreprises françaises, en particulier. La structure du capital des entreprises françaises est beaucoup plus concentrée avec un actionnariat qui peut être familial ou regroupé autour de blocs d’actionnaires. Je rappelle que la loi Florange en 2014, a renforcé le droit des actionnaires de long terme. L’activisme qui s’exerce dans les entreprises françaises est de nature différente par rapport à cet activisme que l’on observe aux États-Unis.

En tant qu’universitaire, j’ai dirigé une thèse sur la question de l’activisme des hedge funds dans les entreprises cotées françaises. Il y a un profil commun aux entreprises françaises qui sont la cible de l’activisme des hedge funds. Connaître ce profil, c’est permettre aux entreprises d’épargner, d’être la cible de ces hedge funds ou de cet activisme actionnarial.

Qu’est-ce qui est en cause ? La structure de la gouvernance, les stratégies opérationnelles, la structure de capital. Mieux connaître le profil des entreprises ciblées peut permettre à celles qui ne l’ont pas encore été, d’améliorer leur structure de gouvernance ou leur structure de capital, pour éviter d’être la cible des hedge funds.

 

Au terme de ce travail de recherche universitaire, l’activisme peut être utile. Il peut être utile pour le marché, il peut être utile pour les entreprises, notamment quand nous avons une structure actionnariale qui fige un petit peu les choses et qui favorise par exemple les stratégies d’enracinement des managers au sein des entreprises. Permettre à des hedge funds ou des stratégies activistes de mettre un coup de pied dans la fourmilière peut permettre de recréer de la valeur au sein des entreprises, et tout particulièrement dans le cas français.

Je suis réservé sur tout ce qui pourrait introduire de la réglementation, de la bureaucratisation, des freins à l’activisme actionnarial, mais en même temps, je suis conscient qu’il peut y avoir des excès extrêmement court-termistes. Cela étant, quand on fait une recherche un peu approfondie sur la question, on s’aperçoit que les stratégies d’activisme actionnarial ne sont pas forcément des stratégies de court terme. Nous pouvons être en présence de stratégies à moyen ou long terme. S’il faut corriger les excès, il ne faut pas figer dans un carcan administratif ou bureaucratique des stratégies qui sont de nature – de mon point de vue – à créer de la valeur, à permettre aux actionnaires minoritaires de ne pas être écrasés par les stratégies actionnariales de long terme et des majoritaires. Cet activisme peut être aussi de nature à permettre un actionnariat populaire, peut-être beaucoup plus développé qu’il ne peut l’être dans le cadre de structures actionnariales extrêmement concentrées, comme nous l’observons dans nos entreprises françaises.

M. Laurent Saint-Martin. Nous comprenons bien qu’il est difficile de trouver un équilibre entre la préservation de l’attractivité de la place financière de Paris et un système de régulation pour contrer un certain nombre de pratiques profondément nuisibles.

Vous avez auditionné Paris Europlace mais pas Euronext, qui représente l’infrastructure de marché. Je pense qu’il faut faire attention à ne pas confondre l’attractivité de la place financière et la compétitivité d’une industrie qui est celle d’Euronext, dont j’étais salarié. Pour bien la connaître, je pense qu’il faut parfois faire attention quand on régule. En effet, cela ne va pas forcément nuire à l’attractivité de la place financière, mais cela peut vraiment mettre en difficulté une industrie concurrentielle, qui est celle de l’infrastructure de marché, dans un environnement extrêmement concurrentiel. Nous savons très bien que les opérations de vente sur les marchés peuvent se faire très facilement sur n’importe quelle place. Ce qui s’appelle le listing des entreprises, c’est-à-dire leur cotation sur une place, peut aussi se défaire et se refaire assez facilement.

Il n’y a pas non plus eu d’audition de l’Institut français des administrateurs (IFA). Avez-vous eu, peut-être par voie de questionnaire, un avis de leur part ?

M. Fabrice Brun. À titre personnel, étant un acteur de l’économie réelle, je suis quelquefois un peu effaré par certaines pratiques financières, en particulier quand elles prennent des formes excessives et nuisibles et qu’elles témoignent finalement d’un fonctionnement anormal du marché.

J’espère que les treize recommandations de cette mission éclaireront les travaux et les décisions de notre commission et de notre assemblée pour assurer une meilleure régulation.

J’aurais besoin de quelques précisions concernant la notion de seuil pour renforcer la transparence du marché. Vous indiquez que ce seuil est à 3 % à Londres, à 5 % dans notre pays. Quel est-il dans les pays voisins ? Est-il envisageable ou envisagé d’harmoniser ces seuils au niveau des pays de l’Union européenne ou de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ?

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais réagir à la troisième recommandation, par laquelle vous proposez de rendre systématiques et plus dissuasives les sanctions en cas de non‑déclaration de franchissement. Je voudrais savoir si vous aviez connaissance d’un taux de non-déclaration de franchissement des seuils, quelles que soient les opérations dont il s’agit.

M. le Président Éric Woerth. Nous essayons d’éviter de recommander des choses qui pourraient nuire à l’attractivité, nuire à l’arrivée de capitaux et nuire au bon fonctionnement des marchés. Nous faisons très attention aux infrastructures de marché de la Place financière. Il est vrai que nous n’avons pas auditionné Euronext. Tout ce qui pourrait apparaître comme totalement dérogatoire aux règles appliquées dans les pays voisins serait évidemment tout à fait nuisible.

En même temps, je pense que nous pouvons dire que la place de Paris fait très attention à la crédibilité des informations qu’elle gère, parce qu’autour d’un prix, il y a des informations qui forment ce prix. Je crois que les propositions que nous faisons peuvent s’intégrer à cela. Pour répondre à votre question, nous avons vu le cercle des administrateurs, mais nous n’avons pas vu l’IFA.

Je pense qu’il faut des codes professionnels qui font référence, d’une certaine manière, comme il y a un code de l’Association française des entreprises privées (AFEP). Nous constatons qu’au fur et à mesure, les codes servent à influer les comportements. Un tel code, ou une telle charte sur le dialogue actionnarial serait évidemment assez nouvelle et ne devrait pas être coercitive.

Beaucoup d’entreprises que nous avons rencontrées nous ont fait part de leurs difficultés à dialoguer, parce que c’est le fonds qui domine, c’est lui qui a la main même s’il est un actionnaire minoritaire.

En tout cas, je sais que les fonds sont très attentifs à leur image. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, l’argent qui a été investi chez eux provient de fonds de pension, de banques, de personnes très riches, de personnes attentives à la destination de cet argent. C’est de l’argent qui ne peut pas s’investir n’importe comment, dans n’importe quelles conditions, parce que cela rejaillirait à ce moment-là, sur l’image de l’activiste. In fine, cela assécherait totalement ses capacités à lever du financement.

Nous avons besoin qu’un dialogue soutenu et contenu puisse s’installer dans le marché. Les entreprises ne savent pas très bien comment s’y prendre.

Nous avons besoin de quelques règles de base. Notamment, il ne devrait pas être possible de publier un white paper, c’est-à-dire un papier public, sans que l’entreprise ait pu, à un moment donné, être mise au courant. Il ne devrait pas être possible de faire le tour de tous les actionnaires, sans que l’entreprise ait eu également connaissance des informations qui sont données sur elle-même, et qui pourraient, être considérées comme fausses. Elles ne sont jamais fausses, puisque la diffusion de fausses informations sur un marché est pénalement réprimée, et les fonds restent prudents. Une interprétation qui est fausse, cela peut être une erreur ou juste une interprétation différente.

Nous avons besoin de qualifier les informations qui sont données au marché. Un marché qui a des informations de meilleure qualité est un bon marché. Nous avons envie de nous engager, parce que nous investissons en toute sécurité ou, en tout cas, en toute certitude et en toute connaissance de cause.

Nous avons posé à plusieurs reprises la question de la souveraineté. D’abord, nous ne savons pas exactement qui investit dans ces fonds. Nous notons simplement qu’il y a de plus en plus d’argent. Cela étant, il est possible qu’un certain nombre d’entreprises soient visées et que quelques États étrangers aient pour objectif de déstabiliser une entreprise française. J’imagine que nos services doivent être attentifs à cela. La Banque publique d’investissement (BPI) a créé un fonds qui s’appelle Silver Lake, et Nicolas Dufourcq, président de BPI, nous en a parlé. Cela n’a pas pour vocation de contrer les activistes, mais d’essayer de repérer des actifs stratégiques et d’y investir de l’argent, pour stabiliser le capital de grandes entreprises stratégiques et exposées. Oui, les enjeux géopolitiques doivent exister, mais nous ne sommes pas capables de les révéler.

Les procédures de référé constitueraient un signal. Je pense qu’une vraie procédure est parfois nécessaire.

Cela étant, l’AMF dispose de tous les moyens pour actionner des procédures qui existent déjà. Elle peut suspendre la cotation, elle peut agir de plusieurs manières, afin de refroidir un peu la situation et de se poser quelque temps pour voir ce qui se passe exactement autour du titre.

Cela ne veut pas dire qu’il faut empêcher. Simplement, il faut trouver un équilibre et une symétrie de l’information et donner à la société une capacité de réaction. Sinon, d’autres actionnaires qui peuvent penser des choses différentes perdront de l’argent. Parfois, c’est aussi une décote d’image pour l’entreprise qui est en jeu.

Sur les franchissements de seuil, le seuil de 5 % est un seuil européen, mais nous pouvons nous en affranchir. Nous pouvons l’abaisser, comme les Anglais, à 3 %. Cela étant, les entreprises peuvent déjà décider aujourd’hui dans leurs statuts d’appliquer un seuil plus bas. Chez Pernod Ricard, ils ont fixé statutairement un seuil inférieur.

Pourquoi vouloir abaisser le seuil autrement que par les statuts ? Beaucoup d’entreprises nous ont dit que ce seuil était trop haut, mais qu’elles ne voulaient pas l’abaisser par elles‑mêmes, parce qu’au sein de l’assemblée générale cela donne toujours l’impression de vouloir manipuler les choses.

C’est vrai qu’il faut combattre les prédateurs. Je ne crois pas qu’il y ait d’autres pistes que le référé. Benjamin Dirx et moi avons bien vu que l’AMF dispose de nombreuses possibilités. Mais je pense qu’elle hésite parfois à les actionner, parce qu’elle pense ne pas être prête et ne pas détenir l’information suffisante. D’où la longueur des enquêtes.

Nous en avons discuté avec la Securities and Exchange Commission (SEC) à New York. L’AMF nous avait indiqué que dans un certain nombre de cas, ils n’obtenaient pas les informations demandées à la SEC, alors que les organismes régulateurs échangent normalement des informations. La SEC dit évidemment le contraire. Mais les fonds savent très bien qu’il est très difficile d’obtenir des informations.

Il y a assez peu de fonds qui ont leur siège à Paris. Ils sont souvent aux États-Unis ou en Angleterre.

Pour Jean-Louis Bricout, comme je l’ai dit, l’activisme est plutôt quelque chose d’utile, si cela révèle de la valeur ou si cela révèle une sur-cotation ou une survalorisation, parce que le marché n’a pas vu tel et tel élément, voire telle et telle fraude.

Je suis d’accord avec ce que dit Daniel Labaronne. Nous ne cherchons pas de frein, mais nous cherchons juste un peu plus de transparence. La meilleure réponse demeure la prévention. Ainsi, la banque Lazard, qui a mis en place une équipe dédiée à cela, prépare les entreprises, identifie les défauts de gouvernance, les poches de sous-activité ou de sous-rentabilité.

Enfin, il faut sanctionner les franchissements de seuils non déclarés, et il faut que la sanction soit suffisante, sinon cela ne marche pas. La seule sanction de privation temporaire des droits de vote n’est pas suffisante, il faut des sanctions pécuniaires.

Je dois ajouter que d’autres rapports sur ce thème sont en cours en préparation. Paris Europlace, le club de juristes y travaillent. Nous voyons bien qu’il s’agit d’un sujet d’actualité. Il faudra dans un deuxième temps que nous donnions vie, comme pour tous les rapports, aux propositions que nous faisons, si vous êtes d’accord pour les publier.

En application de l’article 145 du Règlement, la commission autorise la publication du rapport de la mission d’information.

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   Liste des personnes auditionnées

À Paris

Direction générale du Trésor : MM. Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l’économie, Geoffroy Cailloux, chef du bureau épargne et marché financier, Clément Seitz, adjoint au chef du bureau Épargne et marché financier, et Mme Manon Baldin, adjointe au chef du bureau stabilité financière, comptabilité et gouvernance des entreprises

Autorité des marchés financiers (AMF) : MM. Robert Ophèle, président, Dominique Baert, conseiller auprès du Président et Mme Laure Tertrais, conseillère en charge des relations avec le Parlement

M. Gérard Rameix, conseiller maître à la Cour des comptes, ancien président de l’Autorité des marchés financiers (AMF)

European Securities and Markets Authority (ESMA) : Mme Sophie Vuarlot-Dignac, Head of Department Legal, Convergence & Enforcement, et M. Valerio Novembre, Senior Policy Officer, Investors & Issuers (INI) Department, Corporate Finance and Reporting (CFR)

Association des actionnaires minoritaires (ADAM) : Mme Colette Neuville, présidente

Association française des entreprises privées (AFEP) : MM. François Soulmagnon, directeur général, Lé Quang Tran Van, directeur des affaires financières, et Mme Odile de Brosses, directrice du service juridique

Association française de la gestion financière (AFG) : MM. Éric Pinon, président, Michael Herskovich (BNP Paribas AM), président du comité gouvernement d’entreprise, et Mme Valentine Bonnet, directrice gouvernement d’entreprise, déontologie et conformité

Cercle des administrateurs : Mme Caroline Ruellan, présidente

Club des juristes : M. Michel Prada, membre du groupe de travail sur l’activisme actionnarial et ancien président de l’Autorité des marchés financiers, et M. Benjamin Kanovitch, avocat à Cour, associé au sein du cabinet Bredin Prat

MEDEF : Mme Joëlle Simon, directrice générale adjointe juridique, éthique et gouvernance des entreprises, et MM. Patrick Bertrand, président du comité « Gouvernance des entreprises », Jérôme Vitulo, président du comité « Droit des sociétés, droit boursier, gouvernement d’entreprise », et Armand Suicmez, chargé de mission senior à la direction des affaires publiques

Paris Europlace : MM. Alain Pithon, secrétaire général, Dominique Leblanc, rapporteur du groupe de travail « actionnaires »

BPI France : M. Sébastien Moynot, directeur « Large Cap » de la direction du capital développement de Bpifrance, Mme Anne-Sophie de Faucigny, directrice des relations institutionnelles et medias de Bpifrance, et M. Jean-Baptiste Marin‑Lamellet, responsable des relations institutionnelles de Bpifrance

Lazard : M. Richard Thomas, managing director « Shareholder advisory » (défense contre les activistes) en Europe Continentale et MM. Jean-Louis Girodolle, Charles-Henry Gaultier et François Funck-Brentano, associés-gérants

Natixis : M. Éric Arnould, manager et directeur des marchés primaires et M. Cédric Richard, responsable du Corporate Broking

Casino : M. Jean-Yves Haagen, directeur juridique groupe, M. David Lubek, directeur financier groupe, membre du comité exécutif et M. Claude Risac, directeur des relations extérieures

Groupe Pernod-Ricard : Mme Hélène de Tissot, directrice finances, informatique et production, membre du comité exécutif groupe et M. Antoine Brocas, directeur juridique gouvernance d’entreprise et secrétaire du conseil d’administration

REXEL : MM. Patrick Bérard, directeur général, et Sébastien Thierry, secrétaire général et secrétaire du conseil d’administration

SAFRAN : M. Ross McInnes, président et               M. Jérôme Vitulo, secrétaire général

SCOR : M. Denis Kessler, président et directeur général, et M. Guillaume Ominetti, conseiller du président

Amber Capital : M. Joseph Oughourlian, CEO / chairman

Cevian capital : M. Harlan Zimmerman, associé

CI-AM : Mmes Catherine Berjal, présidente, et Anne-Sophie d’Andlau, directrice générale, cofondatrices

Elliott Management Corporation : Mme Claire Jolly, head of governement affairs, M. Sébastien de La Rivière, portfolio manager, M. Raphaël Michonneau, analyste senior et M. Kamiar Amir-Haeri, avocat

Aviva : Mme Ines de Dinechin, présidente du directoire

Black Rock : MM. Jean-François Cirelli, président, Édouard Dubois, directeur et Martin Parkes, directeur des affaires publiques

Image 7 : Mmes Anne Méaux, présidente et Anne-France Malrieu, consultante associée

Shan : Mme Marie-Hélène Sergent, présidente, et M. Alexandre Daudin, directeur conseil

Proxinvest : M. Loïc Dessaint, directeur général

Cabinet Darrois : M. Bertrand Cardi, avocat associé

 

 

À New-York (du 2 au 4 septembre 2019)

Madame la consule générale de France à New York, Anne-Claire Legendre

Securities and Exchange Commission

Muddy Waters : M. Carson Block, fondateur

Sherborne Investors Management : M. Edward Bramson, partner & portfolio manager et M. Stephen Welker, partner & director of research

Third Point LLC : M. Munib Islam, Partner and Head of Equities; M. Scott Leslie, Managing Director et Mme Elissa Doyle, Chief Marketing Office

Cabinet Schulte, Roth & Zabel : M. Eleazer Klein, associé

Institutional Shareholder Services, Inc : M. Cristiano Guerra, Head of Special Situations Research, M. Nelson Seraci, Head of Special Situations Research, Europe, Mme Catherine Salmon, Regional Head of Corporate Governance Research - France, the Middle East & North Africa, and the U.K., M. Cedric Laverie, Head of French Research et M. Subodh Mishra, Head of Communications (entretien téléphonique)

 

 

 


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   ÉTUDES UTILISÉES DANS LE RAPPORT

 

Damien J. Park et Matteo Tonello, « Avoiding shareholder activism », The Conference Board, avril 2009

Michel Albouy et Alain Schatt, « Activisme et proxy fight – Quand les actionnaires déclarent la guerre au management », Revue française de gestion (août 2009), pp. 297-315

Matthew Denes, Jonathan Karpoff et Victoria McWilliams, « Thirty years of shareholder activism: A survey of empirical research », Journal of Corporate Finance 44, p. 405-424, mai 2015

L. A. Bebchuk, A. Brav, W. Jiang, T. Keusch, « Dancing with activists », Discussion paper, Harvard Law School, avril 2017

Amundi, « Shareholder activism: why should investors care ? » Discussion paper, décembre 2017

Activist Insight et Skadden, « Activist investing in Europe 2018 »

Lazard’s shareholder advisory group, « 2018 Review of shareholder activism »

Gail Weinstein, Warren S. de Wied, Philip Richter, Fried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson LLP, « The Road Ahead for Shareholder Activism », Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Finance Regulation, 13 février 2019

Activist Insight et Schulte Roth & Zabel, « The Activist Investing Annual Review 2019 », février 2019

Lazard’s shareholder advisory group, « Review of shareholder activism – H1 2019 »

 

 

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2])              Extrait d’une tribune publiée dans Forbes n° 7, juin 2019.

([3])              Cas de Cevian, actionnaire majoritaire chez Rexel.

([4])              Matthew Denes, Jonathan Karpoff et Victoria McWilliams, « Thirty years of shareholder activism: A survey of empirical research », Journal of Corporate Finance 44, p. 405-424.

([5])              Damien J. Park et Matteo Tonello, « Avoiding shareholder activism », The conference Board, avril 2009.

([6])              p. 408 de l’article « Thirty years of shareholder activism: A survey of empirical research ».

([7])              « 2018 Review of shareholder activism », Lazard’s shareholder advisory group.

([8])              The Activist Investing Annual Review 2019, Activist Insight et Schulte Roth & Zabel, février 2019.

([9])              « 2018 Review of shareholder activism », Lazard’s shareholder advisory group.

([10])              Communication d’Elliott sur Telecom Italia en vue de l’assemblée générale du 4 mai 2018, 26 avril 2018.

([11])              « Review of shareholder activism – H1 2019 », Lazard’s shareholder advisory group.

([12])              Gail Weinstein, Warren S. de Wied, Philip Richter, Fried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson LLP, « The Road Ahead for Shareholder Activism », Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Finance Regulation, 13 février 2019.

([13])              Intervention sur CNBC, 30 juillet 2019 - https://www.cnbc.com/2019/07/30/us-activist-investors-aggressive-strategies-europe.html.

([14])              « 2018 Review of shareholder activism », Lazard’s shareholder advisory group.

([15])              Michel Albouy et Alain Schatt, « Activisme et proxy fight – Quand les actionnaires déclarent la guerre au management », Revue française de gestion (août 2009), p. 297-315.

([16])              Réponse de la direction générale du Trésor au questionnaire envoyé par la mission d’information en amont de leur audition.

([17])              Tribune de Caroline Ruellan dans Le Monde « Actionnariat : Les activistes n’hésitent plus à critiquer ouvertement l’exécutif », le 31 octobre 2018.

([18])              Activist investing in Europe 2018, Activist Insight et Skadden Arps.

([19])              Exchange Traded Fund, ou fonds indiciels, c’est-à-dire qui ont notamment pour objectif de répliquer les variations d’un indice (par exemple, le CAC 40).

([20])              Entretien avec Rich Thomas, associé-gérant chez Lazard, « L’activisme est un comportement d’investisseur », Analyse financière n° 68, juillet/août/septembre 2018.

([21])              Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([22])              « Shareholder activism: why should investors care?» Discussion paper, Amundi, décembre 2017.

([23])              Les Échos, article daté du 9 décembre 2015 « Les activistes devenus incontournables lors des opérations de fusions » par Nessim Aït-Kacimi.

([24])              Communiqué de presse de SCOR, 4 septembre 2018.

([25])              Communiqué de presse de SCOR, 4 septembre 2018.

([26])              Courrier de Catherine Berjal au PDG de SCOR, Denis Kessler, datée du 4 février 2019, d’après l’article de Reuters, « Le fonds Ciam demande des comptes au PDG de Scor dans le dossier Covea ».

([27])              Ou family office en anglais, bureau de gestion de fortunes familiales. Certaines familles se regroupent également au sein d’un multi family office qu’elles gèrent ensemble. En dessous de 15 millions d’euros, un gestionnaire de fortune classique est généralement considéré comme suffisant.

([28])              Extrait de la présentation de CIAM sur son site internet, onglet « Stratégie ».

([29])              « L’action SCOR perd de son attrait spéculatif », L’AGEFI Quotidien, 30 janvier 2019

([30])              Communiqué de presse de SCOR, 29 janvier 2019.

([31])              Communiqué de presse de CIAM en date du 15 avril 2019.

([32])              « Scor: Glass Lewis et ISS divisés sur la mise à l’écart de Kessler », Challenges, 16 avril 2019.

([33])              45 % des actionnaires ont voté contre les résolutions sur la rémunération de Denis Kessler et 25 % ont soutenu la résolution de CIAM de séparation des fonctions de président du conseil et de directeur général.

([34])              Communiqué de presse de XPO Logistics le 28 avril 2015

([35])              « The Activist Investing Annual Review 2019 » par Activist Insight.

([36])              https://www.lesechos.fr/2017/05/elliott-une-levee-de-fonds-historique-pour-des-temps-difficiles-169180.

([37])              https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-fonds-activiste-elliott-cherche-a-relancer-sa-performance-992521.

([38])              https://www.lesechos.fr/2017/05/elliott-une-levee-de-fonds-historique-pour-des-temps-difficiles-169180.

([39])              Communiqué de presse de l’AMF du 5 mai 2014 – “La Commission des sanctions de l’AMF inflige un total de 16 millions d’euros de sanction à Elliott Advisors et Elliott Management.

([40])              Entretien de Bertrand Cardi, associé de Darrois Villey Maillot Brochier et conseil de XPO Logistics, LJA magazine, novembre / décembre 2015.

([41])              Propos de l’avocat d’Elliott Jean-Pierre Martel, cité dans « Dentressangle : un duel américain devant la justice française », Le Monde, 10 septembre 2015.

([42])              « Norbert Dentressangle : Elliott dans le viseur du gendarme boursier », Les Échos, 26 septembre 2019.

([43])              Résolution déposée par Elliott Capital.

([44])              Questions écrites posées au Directoire de XPO Logistics Europe en vue de l’assemblée générale ordinaire du 23 mai 2019, email daté du 17 mai 2019.

([45])              Lettre de Christopher Hohn à Ross McInnes, président du conseil d’administration de Safran, 14 février 2017.

([46])              Lettre de Christopher Hohn adressée à Ross McInnes, président du conseil d’administration de Safran, le 14 février 2017.

([47])              Lettre de Ross McInnes adressée à Christopher Hohn, président exécutif de TCI.

([48])              « Chris Hohn : « Paris ne peut être un alternative à Londres » », Le Monde, 9 mars 2017.

([49])              « Le fonds TCI aura-t-il la peau de la fusion Safran-Zodiac ? », Challenges, 16 mars 2017.

([50])              Communiqué de presse de Safran, 14 mars 2017.

([51])              « Safran va racheter Zodiac Aerospace 15 % moins cher que prévu », La Tribune, 24 mai 2017.

([52])              « Activistes : le témoignage choc du président de Safran », Les Échos, 2 octobre 2019.

([53])              « Cevian espère s’engager dans plus de sociétés françaises », L’Agefi, 6 novembre 2017.

([54])              « Cevian en quête de nouvelles sociétés françaises pour investir », Les Échos, 15 décembre 2018

([55])              Communiqué de presse de Rexel, 7 octobre 2015 « Ajustement des objectifs annuels de 2015 ».

([56])              Communiqué de presse de Rexel, 24 juin 2016, « Rexel adopte une nouvelle structure de gouvernance et dissocie les fonctions de Président du Conseil d’administration et de Directeur Général ».

([57])              Présentation par Rexel – Journée Investisseurs, février 2016.

([58])              Présentation par Rexel – Journées Investisseurs, février 2017.

([59])              « Rexel : le fonds activiste Cevian accroît sa participation, à plus de 19,5 % du capital », Les Échos, 14 décembre 2018.

([60])              « Cevian espère s’engager dans plus de sociétés françaises », L’Agefi, 6 novembre 2017.

([61])              « Cevian en quête de nouvelles sociétés françaises pour investir », Les Échos, 15 décembre 2018.

([62])              « Cevian met la pression sur la direction de Thyssenkrupp », Reuters, 14 janvier 2018.

([63])              « Top shareholder Cevian backs new Thyssenkrupp CEO Merz », Reuters, 25 septembre 2019.

([64])              5,31 % et 3,92 % en prenant en compte la détention de concert avec la branche italienne du fonds.

([65])              Sollicité pour rencontrer les membres de la mission, le groupe Lagardère n’a pas donné suite aux demandes d’entretien. Les représentants contactés n’ont pas répondu à la proposition de faire parvenir des éléments écrits.

([66])              « Joseph Oughourlian : « Lagardère a besoin de moins de vieux banquiers français à son conseil de surveillance », Les Échos, 25 juin 2018.

([67])              Réponse du groupe Lagardère à l’article des Échos du 25 juin 2018.

([68])              Courrier d’Amber aux membres du conseil de surveillance de Lagardère, cité par l’article Les Échos, « Le fonds Amber lance une charge contre la gouvernance de Lagardère », 9 mai 2019.

([69])              Présentation du rapport financier annuel, exercice 2018 par Lagardère à l’assemblée générale du 10 mai 2019.

([70])              Communiqué de presse de Pernod Ricard, Chiffre d’affaires et résultats annuels 2017/2018, 28 août 2018

([71])              Communiqué de presse d’Elliott, daté du 12 décembre 2018.

([72])              Propos d’Olivier Cavil, directeur de la communication du groupe, cité dans l’article Capital, « Après Elliott, Pernod Ricard devrait muscler ses ambitions ».

([73])              Communiqué de presse Pernod-Ricard.

([74])              « Pernord Ricard n’applique pas les recommandations d’Elliott mais sa propre feuille de route », Les Échos, 29 août 2019.

([75])              Hubert de Vauplane, « L’activisme des short selling funds », Revue trimestrielle de droit financier, octobre 2018.

([76])              « Bill Ackman ends 5-year battle against Herbalife », Forbes, 28 février 2018

([77])              La mission a pris contact avec Gotham City Research afin de pouvoir en rencontrer des représentants à New York. Cette rencontre n’a finalement pas pu avoir lieu.

([78])              « Let’s Gomex: a Pescanovan Charade », Gotham City Research LLC, 1er juillet 2014.

([79])              « Jenaro Garcia Martin : « Je vous demande pardon » », Les Échos, 7 juillet 2014.

([80])              « When Genius Fails », 17 décembre 2015, Muddy Waters Capital LLC.

([81])              Communiqué de presse Casino, 17 décembre 2015, « Réaction du Groupe ».

([82])              Communiqué de presse Casino, 21 décembre 2015, « Le Groupe Casino affirme la force de son modèle économique, de son plan stratégique et de sa structure financière ».

([83])              « Affaire Casino : « l’AMF mobilise tous les moyens à sa disposition » », 13 novembre 2018, Les Échos.

([84])              « Casino : l’AMF suspecte l’activiste Muddy Waters de “tromperie” », Le Monde, 6 juin 2019 et « L’AMF reproche à Casino la déconsolidation de Mercialys dans l’affaire Muddy Waters », Les Échos, 27 juin 2019

([85])              Par exemple, BlackRock pratique depuis 1981 le prêt de titres pour augmenter leur rendement.

([86])              Les Échos, « La réglementation sur le prêt-emprunt de titres tarde à s’harmoniser en Europe », 5 août 2018.

([87])              Loi n° 2010-1249, qui a inséré un article L. 211‑17‑1 dans le code monétaire et financier.

([88])              La notion d’instruments financiers englobe les titres de capital (actions), les titres de créance (obligations), les parts d’organismes de placement collectif et les contrats à terme (contrat d’échange ou « swap » par exemple).

([89])              Le champ d’application de cette règle législative est donc limité au marché réglementé Euronext.

([90])              Le 3 de l’article L. 211‑22 du code monétaire et financier dispose en effet que « le prêt est soumis aux dispositions des articles 1892 à 1904 inclus du code civil. »

([91])              Par exemple, s’il a vendu des actions de l’entreprise A, il peut livrer d’autres actions identiques de la même société.

([92])              Gotham City Research’s Formal Response to Gowex & Jenaro Garcia Martin’s Public Confession – 7 juillet 2014.

([93])              Présentation « #NestléNOW », Juillet 2018.

([94])              Lettre aux investisseurs de Third Point sur le quatrième trimestre 2018, le 21 février 2019.

([95])              Lettre de Daniel Loeb au conseil d’administration de Campbell Soup, 7 septembre 2018.

([96])              Tribune publiée dans Le Monde du 5 juin 2018, par Caroline Ruellan et Pierre Nollet.

([97])              « Les fonds souverains, contre-pouvoirs de demain », Entretien paru en février 2008 dans le magazine Constructif.

([98])              « Dancing with activists », L. A. Bebchuk, A. Brav, W. Jiang, T. Keusch, Discussion paper, Harvard Law School.

([99])              « Shareholder activism: why should investors care? », Discussion paper, Amundi, décembre 2017.

([100])              Tribune publiée dans Forbes, n° 7 juin 2019.

([101])              « Considérons les fonds activistes comme des lanceurs d’alerte », article paru dans AGEFI Hebdo, 31 octobre 2018.

([102])              Matthew Denes, Jonathan Karpoff et Victoria McWilliams, « Thirty years of shareholder activism: A survey of empirical research », Journal of Corporate Finance 44, p. 409.

([103])              « Shareholder activism: why should investors care? », Discussion paper, Amundi, décembre 2017.

([104])              « Considérons les fonds activistes comme des lanceurs d’alerte », AGEFI Hebdo, 31 octobre 2018.

([105])              Extrait de l’entretien d’Agnès Touraine, présidente de l’Institut français des administrateurs, dans l’Agefi, daté du 16 octobre 2018.

([106])              Notamment, en matière de droit des sociétés, s’agissant de la gouvernance des sociétés : les droits américain et anglais confèrent un rôle prééminent au « board », tandis que l’assemblée générale des actionnaires occupe en droit français une place prépondérante.

([107])              Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004. Son article 9 prévoit des seuils de 5 %, 10 %, 15 %, 20 %, 25 %, 30 %, 50 % et 75 % des droits de vote.

([108])              La directive 2013/50/UE précise que les États membres peuvent fixer des seuls inférieurs et des seuils complémentaires pour la notification de la détention de droits de vote, et exiger des notifications équivalentes pour les seuils fondés sur du capital détenu.

([109])              Article L. 233‑7 du code de commerce.

([110])              Le franchissement de ce seuil entraîne en outre l’obligation de déposer une offre publique d’achat ou d’une offre publique d’échange.

([111])              Par un acte de volonté de l’actionnaire (exemple : achat d’actions sur le marché).

([112])              Résultant d’une augmentation ou d’une diminution du nombre d’actions ou de droits de vote de la société.

([113])              Article 223‑17 du règlement général de l’AMF.

([114])              Loi n° 2012‑387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, dite loi « Warsmann », qui a modifié l’article L. 233‑9 du code monétaire et financier.

([115])              Article 233‑11.

([116])              Ordonnance n° 2015-1576 du 3 décembre 2015. Elle avait pour objet de transposer la directive 2013/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 qui révisait elle‑même la directive « transparence » 2004/109/CE, relative à l’information sur les marchés financiers.

([117])              Article L. 621‑15 du code monétaire et financier.

([118])              Article L. 247-2 du code de commerce.

([119])              Article L. 225-126 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2010‑1249 du 22 octobre 2010, qui a repris une préconisation d’un rapport du groupe de travail de l’AMF.

([120])              Le droit de vote des actionnaires non‑résidents a été explicitement reconnu par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), pour ne pas décourager les investissements étrangers en France. La détention par des non‑résidents des sociétés du CAC 40 oscille entre 40 et 50 % selon la Banque de France.

([121])              Directive (UE) 2017/828 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.

([122])              Article L. 228‑3 du code de commerce.

([123])              Rapport du groupe de travail présidé par Bernard Field, sur les déclarations de franchissement de seuil de participation et les déclarations d’intention, octobre 2008.

([124])              Proposition de loi de M. Philippe Marini, n° 695 (2010‑2011), du 29 juin 2011, tendant à améliorer l’information du marché financier en matière de franchissements de seuils en droit boursier.

([125])              Rapport n° 213 (2011-2012) de Mme Nicole Bricq, fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 décembre 2011.

([126])              Règlement (UE) n ° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, précité.

([127])              Contribution de Robert Ophèle aux réflexions sur l’activisme actionnarial.

([128])              Les Échos, 13 novembre 2018.

([129])              Proposition 8 dans le document de synthèse du rapport.

([130])              Règlement (UE) n ° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, précité.

([131])              Article L. 465‑3‑1 du code monétaire et financier.

([132])              Règlement n° 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur les ventes à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit.

([133])              Contribution de Robert Ophèle aux réflexions sur l’activisme actionnarial, 11 juillet 2019.

([134])              Contribution précitée.

([135])              Proposition 9 dans le document de synthèse du rapport.

([136])              Entreprise & finance n° 1497, 11 février 2019, Stéphanie Lhomme.

([137])              Proposition 10 dans le document de synthèse du rapport.

([138])              Voir la contribution de Robert Ophèle aux réflexions sur l’activisme actionnarial : la SEC américaine a rappelé cette pratique de rappel des titres en 2014 : « if fund management has knowledge of a material vote with respect to the loaned securities, fund directors should recall the loan in time to vote the proxies. »

([139])              Recommandation 11 dans le document de synthèse du rapport.

([140])              Commission des Opérations de Bourse (COB), Conseil des Marchés Financiers (CMF) et Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF).

([141])              Article L. 621‑1 du code monétaire et financier.

([142])              Règlement (UE) n° 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit.

([143])              Contribution de Robert Ophèle aux réflexions sur l’activisme en bourse, 11 juillet 2019.

([144])              Contribution précitée.

([145])              Les Échos, 19 février 2019.

([146])              Annexe à la contribution de Robert Ophèle aux réflexions sur l’activisme actionnarial, AMF.

([147])              https://www.amf-france.org/Actualites/Communiques-de-presse/AMF/annee-2018?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F4303b55b-777c-42e1-a880-a99aaf932453

([148])              L’AGEFI, 7 octobre 2019.

([149])              UK, Suisse, Suède, etc.

([150])              Proposition 12 dans le document de synthèse du rapport.

([151])              Audition de M. Robert Ophèle, président, sur le rapport annuel de l’AMF, le 29 mai 2019, par la commission des finances du Sénat.

([152])              Articles L. 621‑5‑2 et L. 621‑5‑3 du code monétaire et financier.

([153])              Article 46 de la loi de finances pour 2012.

([154])              Audition de M. Robert Ophèle, président, sur le rapport annuel de l’AMF, le 19 juin 2019, par la commission des finances de l’Assemblée nationale.

([155])              Proposition 13 dans le document de synthèse du rapport.

([156])              Les Échos, 13 novembre 2018.

([157])              Article L. 632-1 du code monétaire et financier.

([158])              Article L. 621‑1 du code monétaire et financier.

([159])              L’OICV n’est pas une organisation internationale au sens juridique du terme : elle ne résulte pas d’un traité mais constitue une création ad hoc des autorités de régulation. C’est une autorité de réflexion, qui permet la publication d’accords, d’informations, de recommandations et de standards qui guident les autorités nationales.

([160])              Le Joint Forum regroupe le comité de Bâle, l’OICV et l’Association internationale de supervision des assurances.

([161])              Congressional Budget Justification, Fiscal Year 2019.

([162])              https://www.sec.gov/news/speech/activism-short-termism-and-the-sec.html.

([163])              Notamment par la loi sur la croissance et la transformation des entreprises (loi « PACTE »), qui élargit sensiblement les pouvoirs du ministre de l’économie en la matière.

([164])              En l’occurrence, le fonds américain Harris Associates.

([165])              Bpifrance est également actionnaire, par exemple, d’Orange, d’Eutelsat, de PSA et d’Ingenico.

([166])              Entretien avec Rich Thomas, associé-gérant chez Lazard, dans la revue Analyse financière n° 68, juillet/août/septembre 2018, précité.

([167])              « Quelle riposte face aux vendeurs à découvert ? » Entreprise & finance, n° 1497, 11 février 2019.

([168])              Selon le Professeur Bruno Dondero, sur son blog et dans Les Échos, 16 octobre 2013.

([169])              Droit des sociétés, 2019, précité.

([170])              Rapport 2018 sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

([171])              Le SBF 120 (Société des Bourses Françaises) est un indice boursier français. Il inclut les valeurs du CAC 40 mais est plus large : il est déterminé à partir des cotations des 120 entreprises les plus liquides cotées parmi les 200 premières capitalisations boursières françaises, ce qui le rend représentatif de l’évolution du marché dans son ensemble.

([172])              Rapport 2018 de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

([173])              Rich Thomas, Entreprise & finance n° 1497 précité.

([174])              Préambule de la directive européenne 2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées.

([175])              Rapport 2018 de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

([176])              Contribution de Robert Ophèle aux réflexions sur l’activisme actionnarial, 11 juillet 2019.

([177])              Recommandation 7 dans le document de synthèse du rapport.

([178])              Rapport 2017 de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise, la rémunération des dirigeants, le contrôle interne et la gestion des risques.

([179])              Les Échos, 27 mars 2018.