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N° 2341

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2019

RAPPORT D’INFORMATION

 

FAIT

 

en application de l’article 29 du Règlement

 

au nom des délégués de l’Assemblée nationale

à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (1)

sur l’activité de cette Assemblée

au cours de la quatrième partie de sa session ordinaire de 2019

 

par Mme Nicole TRISSE

 

ET PRÉSENTÉ À LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

____________________________________________________________________ 

(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.


 

 

 

La Délégation de l’Assemblée nationale à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe était composée, en octobre 2019, de : MM. Damien Abad, Olivier Becht et Bertrand Bouyx, Mmes Marie-Christine Dalloz et Jennifer De Temmerman, MM. Fabien Gouttefarde et Jérôme Lambert, Mme Alexandra Louis, MM. Jacques Maire et Bertrand Sorre, Mme Nicole Trisse ainsi que M. Sylvain Waserman, en tant que membres titulaires, et Mmes Sophie Auconie et Yolaine de Courson, MM. Bruno Fuchs et Dimitri Houbron, Mmes Catherine Kamowski, Marietta Karamanli, Martine Leguille-Balloy et Isabelle Rauch, M. Frédéric Reiss, ainsi que Mmes Laurence Trastour-Isnart, MarieChristine Verdier-Jouclas et Martine Wonner, en tant que membres suppléants.

 

 

 


Travaux de la délégation française (4ème partie de session 2019)

 

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SOMMAIRE

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Pages

 

INTRODUCTION

I. L’actualitÉ des membres de la dÉlÉgation française depuis la session d’ÉtÉ

A. Plusieurs dÉplacements À l’Étranger dans le cadre de missions attribuÉes par l’APCE

1. La participation de Mme Nicole Trisse à la réunion des conseils de direction et d’administration de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, à Lisbonne

2. Deux visites d’information dans des pays d’Europe orientale, sujets récemment à des troubles politiques importants

a. La visite d’information de Mme Maryvonne Blondin en Moldavie, au cœur de l’été, en sa qualité de co-rapporteure sur ce pays

b. La visite d’information de M. Claude Kern en Géorgie, au titre de la commission du suivi, juste avant la session d’automne

B. une participation toujours active aux instances de l’assemblÉe parlementaire

1. La tenue du Bureau de rentrée de l’APCE à Berne

2. Les réunions de commissions délocalisées hors de Strasbourg

C. Les activitÉs propres À la prÉsidente de la dÉLÉgation française

1. Un entretien accordé au président de la commission « international » de la LICRA

2. La représentation de la Présidente de l’APCE à la Conférence de haut niveau pour le 25ème anniversaire de l’ECRI

II. Le bilan global de l’actualitÉ du Conseil de l’Europe et de l’APCE, sous l’angLe de la derniÈre partie de session de 2019

A. Les travaux de l’AssemblÉe parlementaire

1. L’ordre du jour et les interventions des parlementaires français

2. Les textes adoptés

3. Les nominations et élections de parlementaires français, ainsi que les dépôts de propositions de résolutions à leur initiative

a. Des nominations et changements d’affectation de membres de la délégation dans certaines commissions

b. Les désignations de parlementaires français par les commissions et le Bureau de l’APCE

c. Le dépôt de propositions de résolutions à l’initiative de membres de la délégation française au cours de la session

B. Les actualitÉs de l’APCE et du conseil de l’europe

1. Le rapport d’activité du Bureau et de la Commission permanente

2. La communication du Comité des Ministres présentée par Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, présidente en exercice de cet organe du Conseil de l’Europe

3. La remise du Prix des droits de l’Homme Václav Havel

4. L’élection du juge du Portugal à la Cour européenne des droits de l’Homme

C. Les auditions et Échanges de l’AssemblÉe parlementaire avec plusieurs personnalitÉs

1. Le discours de M. Emmanuel Macron, Président de la République française

2. L’allocution de prise de fonctions de Mme Marija Pejčinović Burić, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe

D. Les rencontres et initiatives de la dÉlÉgation française

1. Une réunion informelle avec Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État aux Affaires européennes

2. Un aparté au siège du Conseil de l’Europe avec M. Emmanuel Macron, Président de la République française

3. La participation de la délégation aux cérémonies officielles marquant le 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe

4. Un dîner de travail avec les délégations francophones et des pays membres ou associés à l’Assemblée parlementaire de la francophonie au sein de l’APCE

5. L’inauguration, dans l’enceinte du Palais de l’Europe, d’une exposition sur les droits de l’enfant co-parrainée par la délégation française

III. Des dÉbats en sÉance plÉniÈre variÉs, riches et importants

A. la dÉfense des droits de l’Homme, de la dÉmocratie et de l’État de droit : une prioritÉ toujours aussi primordiale

1. Deux sujets de fond très actuels

a. L’ambition d’améliorer la protection des lanceurs d’alerte en Europe

b. La recherche de normes communes pour les institutions de médiateur sur le continent

2. Trois dossiers plus spécifiques justifiant une certaine vigilance

a. Le bilan du dialogue post-suivi engagé par l’APCE avec la Macédoine du Nord

b. L’évaluation du fonctionnement des institutions démocratiques de la Moldavie

c. La violation des droits démocratiques et la répression des manifestations en Russie lors des élections au Conseil de Moscou

B. L’attention accordÉe aux victimes de toutes formes de violences

1. Protéger et soutenir les victimes du terrorisme

2. Prévenir les violences obstétricales et gynécologiques

C. des dÉbats sur des sujets en apparence plus connexes mais Étroitement liÉs À des enjeux essentiels pour les droits humains

1. Promouvoir une vision plus inclusive de l’économie et de ses instruments : le bilan d’activité de la Banque de développement du Conseil de l’Europe

2. Conserver le patrimoine culturel juif : un devoir de mémoire capital

D. Une prÉoccupation renouvelÉe À l’Égard des migrants Économiques et des rÉfugiÉs

1. La recherche d’un statut juridique pour les réfugiés climatiques

2. Le besoin d’une réponse rapide pour sauver des vies en Méditerranée

3. L’impact sociodémographique en Europe de l’Est de l’émigration économique

 


Travaux de la délégation française (4ème partie de session 2019)

 

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INTRODUCTION

 

 

 

Le présent rapport d’information retrace les travaux de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), en application de l’article 29 du Règlement de l’Assemblée nationale et de l’article 9 bis de celui du Sénat, à l’issue de la dernière partie de session annuelle de cet organe statutaire du Conseil de l’Europe.

La quatrième partie de session ordinaire de 2019 (dite « session d’automne »), qui s’est tenue à Strasbourg, du 30 septembre au 4 octobre, a constitué le second temps fort parlementaire du semestre de présidence française du Comité des Ministres, appelé à s’achever fin novembre.

À ce titre, elle a notamment été marquée par deux événements exceptionnels, le mardi 1er octobre : en premier lieu, l’allocution du Président de la République, M. Emmanuel Macron, prononcée dans l’hémicycle de l’APCE ; en second lieu, les célébrations officielles du 70ème anniversaire de la création du Conseil de l’Europe, à l’Opéra de Strasbourg. Le lendemain, la délégation française a elle-même souhaité solenniser l’importance du Conseil de l’Europe pour la France et la défense de la francophonie dans les organisations internationales, en réunissant pour un dîner officiel l’ensemble des délégations parlementaires de l’APCE issues des pays ayant le français pour langue officielle ou adhérents et associés à l’Assemblée parlementaire de la francophonie.

Autre singularité de cette session d’automne, cinq membres de la délégation française ont présenté sept rapports en séance plénière et fait adopter des projets de résolutions ou de recommandations. Ainsi, outre son rapport d’activité du Bureau et de la Commission permanente, Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, a notamment dressé le bilan de l’action de la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB). De même, M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin – Mouvement démocrate et apparentés), a plaidé pour une amélioration de la protection des lanceurs d’alerte, tandis que Mme Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés) a mis en exergue la nécessité de mieux protéger et soutenir les victimes du terrorisme. Enfin, Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain) a dénoncé les violences obstétricales et gynécologiques et évalué le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldavie, alors que Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche) a défendu l’idée de réfléchir à un statut juridique pour les personnes déplacées à cause de catastrophes environnementales.

Conformément à ses prérogatives, l’Assemblée parlementaire a également élu, au cours de cette session, une juge à la Cour européenne des droits de l’Homme au titre du Portugal. Elle a, de même, procédé au suivi de l’action du Conseil de l’Europe, à travers une séance consacrée à l’audition de Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, sur le bilan du semestre de la présidence française du Comité des Ministres.

Les débats en plénière ont une fois de plus porté sur des sujets divers mais importants. En plus des rapports présentés par les membres de la délégation française, l’APCE a notamment discuté de la nécessité d’adopter un ensemble de normes communes pour les institutions de médiateur en Europe, de la conservation du patrimoine culturel juif, ou encore de l’émigration de travail en Europe de l’Est et de son impact sur l’évolution sociodémographique sur les pays concernés. Elle a aussi dressé le bilan du dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord, s’agissant de l’observation par ce pays de ses obligations en matière de droits de l’Homme et d’État de droit.

Sur la proposition du groupe des socialistes, démocrates et verts (SOC) et de celui de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE), enfin, l’Assemblée parlementaire a tenu un débat d’urgence sur le sauvetage de migrants en mer Méditerranée, d’une part, et un débat d’actualité sur les modalités des dernières élections au Conseil de la ville de Moscou et la répression de manifestations pacifiques qui les contestaient, d’autre part.

Le présent rapport d’information retrace la teneur de tous ces échanges, ainsi que la contribution qu’y ont apportée les membres de la délégation française. Il recense également les réunions et événements auxquels ces derniers ont participé en France et à l’étranger, dans l’intervalle des parties de session d’été et d’automne, en leur qualité de membres de l’APCE. En effet, leur implication ne se résume aucunement à leur présence aux séances plénières qui se déroulent à Strasbourg ; comme toujours, ils ont été régulièrement sollicités et ont pleinement assumé leur engagement au service du Conseil de l’Europe.

 

 


Travaux de la délégation française (4ème partie de session 2019)

 

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I.   L’actualitÉ des membres de la dÉlÉgation française depuis la session d’ÉtÉ

De juillet à fin septembre 2019, en dépit de la coupure estivale, les membres de la délégation française ont, à des titres divers, assisté à plusieurs réunions des commissions de l’APCE et se sont déplacés à l’étranger dans le cadre de réunions délocalisées ou de missions.

A.   Plusieurs dÉplacements À l’Étranger dans le cadre de missions attribuÉes par l’APCE

Plusieurs membres de la délégation française à l’APCE ont effectué des déplacements à l’étranger au titre de leurs missions dans différentes commissions. En effet, Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, s’est rendue à Lisbonne en sa qualité de rapporteure de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable sur la Banque de développement du Conseil de l’Europe, pour participer à la réunion conjointe des conseils de direction et d’administration de cet établissement, début juillet. Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain), quant à elle, a procédé à la fin du même mois à une visite d’information en Moldavie en sa qualité de co-rapporteure sur ce pays de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (dite « commission du suivi »). Enfin, M. Claude Kern (Bas-Rhin – Union Centriste), a lui aussi effectué une visite d’information pour le compte de la commission de suivi, en Géorgie pour sa part, du 16 au 18 septembre.

Initialement, MM. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche) et Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) avaient été désignés au sein d’une commission ad hoc pour participer à une mission d’observation sur le déroulement des élections législatives en Ukraine, du 18 au 22 juillet. Néanmoins, ils n’ont pu s’y rendre en raison de l’annulation de cette mission d’observation à la demande du Président de la Verkhovna Rada ukrainienne, le 2 juillet 2019, notamment en raison de la réintégration de la délégation russe au sein de l’APCE.

1.   La participation de Mme Nicole Trisse à la réunion des conseils de direction et d’administration de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, à Lisbonne

Doyenne des banques multilatérales de développement européennes, la banque de développement du Conseil de l’Europe a été fondée le 16 avril 1956, sur la base d’un accord partiel, par huit États membres de l’Organisation pour apporter des solutions aux problèmes des réfugiés, ce champ d’intervention étant élargi par la suite. À présent, elle concourt à la réalisation de projets d’investissement à caractère social au travers de trois lignes d’action : la croissance durable et inclusive ; l’intégration des réfugiés, des personnes déplacées et des migrants ; l’action pour le climat, notamment à travers le développement de mesures d’atténuation et d’adaptation à l’égard des changements climatiques.

La CEB comprend aujourd’hui quarante et un États actionnaires. Tout en accordant des prêts à chacun de ceux-ci, dans le respect de son mandat, elle dispense un appui plus marqué à vingt-deux « pays cibles » d’Europe centrale, orientale et du Sud-Est [1].

Du 4 au 6 juillet 2019, Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, a participé à la réunion conjointe des conseils de direction et d’administration de la CEB, à Lisbonne, afin d’y présenter son rapport concernant cette dernière, adopté à l’unanimité par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable le 25 juin, en vue d’un débat en plénière en octobre. Ces échanges ont été l’occasion, pour Mme Nicole Trisse, de mettre plus particulièrement en avant les recommandations de son rapport à l’égard du conseil de direction de la banque, à savoir :

– continuer à rationaliser la gouvernance de l’établissement ;

– aligner plus étroitement les activités de la banque sur les objectifs de développement durable et réaliser une plus grande cohésion territoriale dans l’offre de services publics en milieu urbain et rural, notamment s’agissant de l’accès à l’éducation, aux soins médicaux, au logement et à l’emploi ;

– faciliter l’intégration à long terme des migrants et des réfugiés ;

– renforcer les financements portant sur la création de centres de jeunesse à vocation multiple ;

– envisager d’accroître le recours aux instruments de financement novateurs et approfondir les processus de sélection et d’instruction des projets en fonction des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ;

– enfin, mieux exploiter les liens avec le Conseil de l’Europe, améliorer la visibilité de la CEB et inciter de nouveaux États à y adhérer.

Lors de son déplacement, Mme Nicole Trisse a pu assister à l’intégralité des réunions du conseil d’administration puis du conseil de direction de la CEB. Elle a également pris part à une réception donnée par les Ministres portugais des Affaires étrangères et des Finances en l’honneur des quarante et un représentants des États actionnaires et des membres du conseil de direction de l’établissement. Enfin, elle a pu visiter deux projets locaux financés par la CEB : un centre de réfugiés et un projet de panneaux solaires flottants destinés à l’irrigation.

2.   Deux visites d’information dans des pays d’Europe orientale, sujets récemment à des troubles politiques importants

Fréquemment, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe mandate ses membres pour effectuer des visites d’information dans les pays pour lesquels ils sont co-rapporteurs, en raison de crises locales aux conséquences potentiellement graves. Or, en juin, la Moldavie et la Géorgie ont été traversées par des tensions fortes, qui ont justifié les visites sur place des co-rapporteurs chargés de leur monitoring. Deux d’entre eux étaient membres de la délégation française.

a.   La visite d’information de Mme Maryvonne Blondin en Moldavie, au cœur de l’été, en sa qualité de co-rapporteure sur ce pays

Du 21 au 23 juillet 2019, Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain) a effectué une visite d’information en Moldavie, en sa qualité de co-rapporteure de la commission du suivi sur ce pays. Cette visite a fait suite à la crise constitutionnelle qui a frappé le pays du 8 au 15 juin 2019.

Pour mémoire, la signature surprise, le 8 juin, dans le prolongement des dernières élections législatives de février 2019, d’un accord politique temporaire entre le parti socialiste pro-russe (PSRM) du Président de la République, M. Igor Dodon, et le bloc « ACUM » pro-européen et anti-corruption de Mme Maia Sandu, nommée Premier ministre, a conduit à la mise sur pied d’une coalition visant à exclure du pouvoir le parti démocrate (PDM) de l’oligarque Vladimir Plahotniuc, au pouvoir tout au long de la décennie antérieure.

Saisie par le PDM, la Cour constitutionnelle du pays a alors, sur des bases juridiques pour le moins contestables, interprété la date butoir de formation d’une coalition comme s’achevant la veille de l’accord temporaire et annulé, par voie de conséquence, la nomination de Mme Maia Sandu, tout en retirant tout pouvoir au Parlement élu. La plus haute juridiction moldave s’est également empressée d’enjoindre au Président de la République de dissoudre le Parlement pour organiser des élections anticipées. Or, devant le refus de M. Igor Dodon de s’exécuter, la Cour constitutionnelle l’a démis de ses fonctions et nommé le Premier ministre sortant du PDM, M. Pavel Filip, Président de la République par intérim.

Pendant plusieurs jours, la Moldavie s’est ainsi retrouvée plongée dans une crise institutionnelle voyant s’opposer deux Gouvernements se proclamant chacun détenteur du pouvoir légitime.

La communauté internationale, tout en réagissant de manière mesurée, condamna les initiatives du PDM et de la Cour constitutionnelle moldave. Le Conseil de l’Europe réagit lui aussi à travers la saisine de la Commission de Venise. Faute d’appuis internationaux, M. Pavel Filip finit par démissionner, tandis que la Cour constitutionnelle annula l’ensemble de ses décisions contestées mi-juin.

Quelques jours à peine après le dénouement pacifique de cette crise, la commission du suivi de l’APCE a mandaté ses co-rapporteurs sur le pays pour réaliser une visite d’information sur place, afin d’évaluer la situation. C’est dans ce contexte que Mme Maryvonne Blondin a, avec M. Egidijus Vareikis (Lituanie – PPE/DC), rencontré à Chisinau le Président de la République, la Première Ministre, des membres du Gouvernement (Ministres des Affaires étrangères et de l’Intégration européenne, de la Réintégration, de l’Intérieur et de la Justice), la Présidente du Parlement et les principaux responsables des partis politiques représentés au sein de ce dernier.

Les co-rapporteurs ont également tenu des réunions avec les commissions parlementaires en charge de la justice, de la lutte contre la corruption et des droits de l’Homme, ainsi qu’avec la délégation moldave auprès de l’APCE. De même, ils ont rencontré, lors de leur visite d’information, des représentants de la Cour constitutionnelle, de la Commission centrale électorale, du Centre national anti-corruption ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG).

b.   La visite d’information de M. Claude Kern en Géorgie, au titre de la commission du suivi, juste avant la session d’automne

Du 16 au 18 septembre 2019, M. Claude Kern (Bas-Rhin – Union Centriste) s’est rendu en Géorgie, au nom de la commission du monitoring, afin de faire le point, avec M. Titus Corlăţean (Roumanie – SOC), sur la résurgence des tensions anti-Russes dans le pays.

Depuis le 20 juin, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté près du bâtiment du Parlement géorgien pour protester contre l’invitation lancée à M. Sergueï Gavrilov, membre de la Douma russe, par des membres du parti au pouvoir, le Rêve géorgien, dans le cadre d’une assemblée interparlementaire des orthodoxes. Des manifestants ont même tenté de forcer l’accès au Parlement, suscitant une réaction violente de la police, qui a blessé quelque 160 personnes et procédé à 305 arrestations. Ces manifestations ont été les plus importantes depuis 2012, année où une grave crise gouvernementale secouait le pays ; elles ont même conduit le Président du Parlement géorgien, M. Irakli Kobakhidzé, à la démission.

C’est dans ce contexte de manifestations continues depuis lors et de rivalités entre le parti au pouvoir, accusé d’être trop favorable à la Russie, et l’opposition que MM. Claude Kern et Titus Corlăţean ont procédé à plusieurs entretiens à haut niveau, au siège même du Parlement géorgien. Ils ont en effet eu des échanges avec des représentants des ONG locales sur l’environnement politique et la réforme électorale, ainsi que sur le système judiciaire.

Les deux membres de l’APCE dépêchés par la commission du monitoring ont également rencontré les plus hautes autorités de l’État, à savoir la Présidente de la République, Mme Salomé Zourabichvili, le Premier ministre, des membres du Gouvernement, le Président du Parlement, plusieurs parlementaires ainsi que des représentants des différents partis politiques. Ils ont pu également avoir des échanges avec la communauté étrangère présente dans le pays.

B.   une participation toujours active aux instances de l’assemblÉe parlementaire

Tant la présidente que les membres de la délégation française s’illustrent par leur assiduité aux réunions des instances de l’APCE dont ils sont membres, qu’il s’agisse du Bureau ou des commissions. Selon les statistiques du secrétariat général de l’APCE, les parlementaires français ont occupé la première place, en termes de présence aux réunions de commissions de l’Assemblée parlementaire, en 2018.

1.   La tenue du Bureau de rentrée de l’APCE à Berne

Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, s’est rendue à Berne, en Suisse, en sa qualité de membre du Bureau pour participer à la réunion de rentrée de celui-ci, le 3 septembre 2019.

Habituellement, cette réunion de rentrée se déroule dans les locaux du Conseil de l’Europe à Paris mais la Présidente de l’APCE avait exceptionnellement souhaité se faire l’hôte, dans son pays d’origine, des Présidents des groupes politiques et des délégations nationales, quelques mois avant le terme de son mandat.

Au cours de leurs échanges dans l’enceinte du Palais du Parlement suisse, les membres du Bureau de l’APCE ont notamment arrêté la liste des candidats présélectionnés pour le Prix des droits de l’Homme Václav Havel. Ils ont également acté la dissolution du groupe politique des Démocrates libres au 30 juin 2019, suite à l’entrée en vigueur d’exigences règlementaires plus fortes pour la création et la pérennité des groupes dans le prolongement de l’adoption, le 11 avril dernier, d’une réforme du Règlement de l’APCE [2]. Enfin, ils ont pris connaissance du rapport d’activité du groupe d’enquête indépendant sur les allégations de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire et décidé de déclassifier son contenu, en vue de sa mise en ligne [3].

En cette occasion, le Bureau de l’Assemblée parlementaire a aussi été reçu par Mme Marina Carobbio Guscetti, Présidente du Conseil National. De même, il a visité le musée de la communication de Berne, lauréat du Prix du Musée cette année : pour mémoire, cet établissement interactif, multi-sensoriel et participatif a été conçu comme un lieu d’expérimentation concernant les relations et les processus sociaux ; il traite, en outre, de questions émergentes liées à la communication d’aujourd’hui, telles que l’impact du mensonge et le respect de la vie privée, ainsi que du piratage de données confidentielles et des enjeux mémoriels.

2.   Les réunions de commissions délocalisées hors de Strasbourg

Du 6 au 20 septembre 2019, seules quelques commissions de l’APCE se sont réunies à tour de rôle dans les locaux du Conseil de l’Europe à Paris, alors que toutes les commissions siègent habituellement avant la tenue d’une session plénière.

Vendredi 6 septembre, la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a tenu, sous la présidence de M. Pierre-Alain Fridez (Suisse – SOC), une réunion au cours de laquelle elle a tout d’abord examiné deux documents d’information et un avant-projet de rapport sur les disparitions d’enfants réfugiés ou migrants en Europe, à l’issue d’un échange de vues avec de M. Cyril Gout, sous-directeur « Forensics et gestions des données policières » à Interpol. Elle a aussi, à cette occasion, adopté deux avant-projets de rapports portant respectivement sur les droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés et migrants en Europe et sur les enfants migrants non accompagnés et séparés. Elle a enfin tenu un échange de vues avec des experts concernant l’action concertée de la lutte contre la traite des êtres humains et entendu un compte-rendu de son rapporteur général sur la présentation de la campagne pour mettre fin à la rétention d’enfants migrants devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, le 25 juillet à Bruxelles.

La commission de suivi s’est réunie à huis clos, le 10 septembre, sous la présidence de Sir Roger Gale (Royaume-Uni – CE). Au titre de la délégation française, Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain) a participé à cette réunion, au cours de laquelle les membres de la commission ont tout d’abord adopté deux rapports et deux résolutions sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldavie (sujet pour lequel Mme Maryvonne Blondin était co-rapporteure), d’une part, et sur le dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord s’agissant du respect de ses obligations en matière de droits de l’Homme, d’autre part. À cette occasion, la commission a également tenu un échange de vues avec Sir Roger Gale, par ailleurs président de la délégation du Royaume-Uni à l’APCE, sur la suspension pendant cinq semaines du Parlement britannique, puis elle s’est fait présenter un compte-rendu des visites d’information diligentées au cours de l’été en Moldavie, sur le rapport notamment de Mme Maryvonne Blondin, et en Azerbaïdjan. Elle a enfin tenu un échange de vues avec M. Jakob Wienen, co-rapporteur sur la démocratie locale et régionale en Fédération de Russie pour le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, dans le cadre de la préparation du prochain rapport sur le respect des obligations et engagements relatif à cet État membre, appelé à être présenté à l’Assemblée parlementaire d’ici avril 2020, conformément à la résolution 2292 (2019) adoptée le 26 juin dernier.

Jeudi 12 septembre, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a elle-même siégé sous la présidence de Mme Elvira Kovács (Serbie – PPE/DC), en présence de Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain). À cette occasion, la commission a approuvé le rapport et la résolution présentés par Mme Maryvonne Blondin sur les violences obstétricales et gynécologiques. Elle a en revanche décidé de reporter l’examen d’un rapport sur la situation des Tatars de Crimée, entraînant de fait son retrait de l’ordre du jour de la session d’automne. Elle a ensuite tenu des échanges de vues sur la promotion et l’accès à la contraception pour l’autonomie des femmes, puis sur la question inquiétante du profilage ethnique avec Mme Aydan Iyiguengoer, responsable du secteur de la sensibilisation, de l’assistance technique et du renforcement des capacités à l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, M. Tamás Kádár, directeur adjoint du réseau européen des organismes de promotion de l’égalité (Equinet), à Bruxelles, et Mme Alice Coucke, Senior Machine Learning Scientist, avant d’adopter deux notes d’information sur ces sujets. Pour finir, la commission a entendu un compte-rendu de M. Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC) sur sa participation à la conférence organisée à Valence du 28 au 30 juin derniers par l’Open Society Justice Initiative et intitulée : « La lutte contre le profilage ethnique en Europe : enseignements tirés, bonnes pratiques et développements futurs ».

Le lendemain, vendredi 13 septembre, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable s’est réunie sous la présidence de M. Stefan Schennach (Autriche – SOC). Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, a participé à ses débats en présentant six amendements à son projet de résolution sur la Banque de développement du Conseil de l’Europe, lesquels ont tous été adoptés. De même, au cours de cette réunion, la commission a approuvé un rapport et une résolution sur l’impact sociétal de l’économie de plateformes, puis tenu une audition sur la lutte contre le trafic de tissus et de cellules d’origine humaine, en présence de M. Jacinto Sánchez Ibáñez, directeur de l’unité d’établissement des tissus et de cryobiologie à l’Hôpital Universitaire de La Corogne, en Espagne, et M. Givi Javashvili, président du Conseil national géorgien sur la bioéthique, professeur et chef du département de la médecine familiale à la faculté de médecine de Tbilissi. La commission a également adopté un avant-projet de rapport sur le tourisme pour la transplantation d’organes et deux notes introductives sur la dépendance involontaire aux médicaments sur ordonnance et sur la nature des liens entre intelligence artificielle et marché du travail. Par ailleurs, elle a aussi entendu un compte rendu de Lord Don Touhig (Royaume-Uni, SOC) s’agissant de la sixième réunion du comité ad hoc pour les droits de l’enfant (CAHENF), qui a eu lieu à Strasbourg les 21 et 22 mai 2019.

Enfin, le vendredi 20 septembre, la commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’Homme a siégé, sous la présidence de M. Olivier Becht (Bas-Rhin – UDI, Agir et Indépendants), premier vice-président de la commission, afin d’auditionner les trois candidats présentés par le Portugal au poste de juge à pourvoir pour ce pays. À l’issue de ces auditions, elle a exprimé ses préconisations en vue de l’élection d’un nouveau magistrat par l’Assemblée parlementaire. Elle a aussi, lors de cette réunion, désigné M. Volker Ullrich (Allemagne, PPE/DC) comme son Président jusqu’à la fin de l’année 2019.

C.   Les activitÉs propres À la prÉsidente de la dÉLÉgation française

Entre chaque partie de session plénière, la présidente de la délégation française est régulièrement démarchée par des ONG, des parlementaires étrangers ou l’APCE elle-même, soit au titre de la délégation, soit en raison de sa qualité de Vice-Présidente de l’Assemblée parlementaire, membre de droit du Bureau, pour des entretiens bilatéraux et des événements spécifiques. Avant la session d’automne, elle a ainsi volontiers répondu à plusieurs sollicitations.

1.   Un entretien accordé au président de la commission « international » de la LICRA

Mardi 17 septembre 2019, Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, a reçu à sa demande M. Gilbert Flam, président de la commission « International » de la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), à l’Assemblée nationale.

Pour mémoire, la LICRA est une association luttant contre le racisme et l’antisémitisme en France comme dans le monde. Elle a été fondée en février 1928, sous le nom de Ligue internationale contre l’antisémitisme, peu après le verdict du procès Schwarzbard. Lors de son 33ème congrès national en 1979, elle a pris officiellement son nom actuel, insistant sur sa volonté de lutter contre toutes les formes de racisme, direct ou voilé, individuel ou collectif, et sa détermination à dénoncer les discriminations raciales en partant du principe fondamental qu’aucune raison politique, économique, sociale ou biologique ne peut expliquer ou justifier le racisme. Depuis la fin des années 1990, elle a élargi ses champs d’action, en s’intéressant notamment à la discrimination au travail, à la citoyenneté, aux jeunes des milieux défavorisés, aux discours de haine, pour répondre plus globalement aux enjeux de la tolérance et du vivre ensemble.

Lors de leur rencontre, la présidente de la délégation française et le président de la commission « International » de la Licra ont plus particulièrement abordé la tenue à Strasbourg, le 28 octobre 2019, sous l’égide de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (ONIG) du Conseil de l’Europe, d’une table ronde sur l’immigration et la lutte contre les discours de haine sur Internet. Ils ont également tout particulièrement évoqué la proposition de loi de la députée de Paris Laetitia Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, adoptée en première lecture le 9 juillet 2019 par l’Assemblée nationale.

Le président de la commission « International » de la LICRA, après avoir rappelé qu’il avait été entendu par Mme Laetitia Avia dans son travail préparatoire aux débats parlementaires, a notamment salué les principaux apports du texte s’agissant du rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, des sanctions prévues ou encore de l’intervention du juge judiciaire. Il a tout de même espéré que le débat à venir au Sénat puisse parfaire le dispositif sur le plan de la capacité d’intervention des ONIG auprès des plateformes du Web.

Insistant sur l’action à engager au niveau européen, M. Gilbert Flam s’est montré optimiste quant à la volonté de la Commission européenne de préparer une proposition de directive sur le sujet, s’appuyant notamment sur les textes législatifs récemment adoptés en Allemagne (Netzwerkdurchsetzungsgesetz, dite « NetzDG », adoptée le 1er septembre 2017), et en voie d’adoption en France. S’agissant du Conseil de l’Europe, il a observé que le Protocole du 28 janvier 2003, additionnel à la convention sur la cybercriminalité (dite de « Budapest »), relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques, doit encore être ratifié par un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe. Il a estimé que l’APCE, le cas échéant sur une initiative de l’un des membres de la délégation française, pourrait peut-être rouvrir le débat sur ce sujet.

2.   La représentation de la Présidente de l’APCE à la Conférence de haut niveau pour le 25ème anniversaire de l’ECRI

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a été créée au sein du Conseil de lEurope en 1993 pour lutter contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et toutes les discriminations en raison de la langue, la religion et l’ethnicité, et pour promouvoir la tolérance ainsi que l’État de droit. Les 26 et 27 septembre 2019, s’est tenue à Paris, sous les auspices de la présidence française du Comité des Ministres, une conférence de haut niveau destinée à marquer les 25 ans de cette institution.

Intitulé « Sur la voie de l’égalité effective, faut-il des nouvelles réponses au racisme et à l’intolérance ? », cet événement s’est articulé autour de trois sessions réparties sur deux jours :

– la première, consacrée au bilan de l’action de l’ECRI au cours des 25 années écoulées ;

– la deuxième, davantage orientée vers les moyens de l’ECRI et de la lutte contre le racisme et l’intolérance ;

– la troisième, plus thématique, cherchant les moyens de parvenir à des sociétés réellement plus inclusives.

Les débats ont été ponctués par la présence d’un certain nombre de personnalités importantes du Conseil de l’Europe. Outre la venue de Mme Amélie de Montchalin, au titre de la présidence française du Comité des Ministres, il convient de souligner à cet égard la participation à ces travaux de M. Linos-Alexander Sicilianos, Président de la Cour européenne des droits de l’Homme, M. Jean-Paul Lehners, Président de l’ECRI, ou encore de Mmes Gabriella Battaini-Dragoni, Secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, et Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’Homme.

Plusieurs Gouvernements d’États membres se sont également fait représenter à un niveau ministériel ou équivalent. Ont ainsi pris part aux discussions, notamment, MM. Kostas Tsiaras, David Stanton et Sam Tanson, respectivement Ministres grec, irlandais et luxembourgeois de la Justice, ainsi que M. Muhterem Ince, Vice-ministre turc de l’Intérieur, Mme Trine Skei Grande, Ministre norvégienne de la Culture et de l’égalité, ou M. Soledad Murillo, Secrétaire d’État espagnol à l’égalité. Parmi les experts intervenants, on relèvera plus particulièrement l’intervention de Mme E. Tendayi Achiume, rapporteure spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance, de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits en France, et de M. Jean-Marie Delarue, président de la commission nationale consultative des droits de l’Homme.

À la suite de Mme Amélie de Montchalin et du Président de la Cour européenne des droits de l’Homme, Mme Liliane Maury Pasquier, Présidente de l’APCE, devait initialement prononcer une allocution d’ouverture des débats plus particulièrement axée sur la coopération de l’Assemblée parlementaire avec l’ECRI. En raison d’un empêchement de dernière minute, cette responsabilité a incombé à Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, au titre de sa qualité de Vice-Présidente de l’APCE.

Lors de son discours devant l’assistance, Mme Nicole Trisse a notamment fait valoir que l’Assemblée parlementaire attache une importance primordiale aux indications contenues dans les Recommandations de politique générale de l’ECRI, lorsqu’elle évalue le respect de leurs engagements par les États membres du Conseil de l’Europe. Elle a néanmoins appelé à un meilleur suivi parlementaire de ces Recommandations et à une intensification de la lutte commune contre les discours de haine, notamment dans le cadre des activités de l’Alliance parlementaire contre la haine dont les activités reposent essentiellement sur les travaux de l’ECRI. En conclusion, elle a suggéré, conformément à une résolution récemment adoptée par l’Assemblée parlementaire [4], la mise à jour de la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste et s’est félicitée que l’homophobie et la transphobie entrent désormais dans le mandat de l’ECRI.

 


II.   Le bilan global de l’actualitÉ du Conseil de l’Europe et de l’APCE, sous l’angLe de la derniÈre partie de session de 2019

Les sessions plénières de l’APCE à Strasbourg permettent de dresser un bilan de l’activité des instances de l’institution (Bureau et Commission permanente), de recenser les priorités poursuivies par les parlementaires à travers les textes qu’ils ont adoptés, mais aussi de tirer certaines conclusions des prises de parole de la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe – Mme Marija Pejčinović Burić ayant pris ses fonctions le 18 septembre –, du Président en exercice du Comité des Ministres et de certains représentants des Exécutifs des États membres, invités à s’exprimer devant l’ensemble des parlementaires.

La session d’automne, deuxième et dernière du semestre de présidence française du Comité des Ministres, s’est conformée à ces figures imposées tout en étant marquée par une singularité propre, à savoir le prononcé d’un discours par le Président de la République, M. Emmanuel Macron.

A.   Les travaux de l’AssemblÉe parlementaire

La session du 30 septembre au 4 octobre s’est illustrée par la présentation et le débat en séance plénière de pas moins de sept rapports de parlementaires de la délégation française.

1.   L’ordre du jour et les interventions des parlementaires français

La semaine de la quatrième partie de session s’est déroulée selon l’ordre du jour arrêté le lundi 30 septembre au matin par le Bureau de l’APCE, à la réunion duquel participaient Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, et M. Olivier Becht (Bas-Rhin – UDI, Agir et Indépendants), en sa qualité de premier vice-président de la commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Plusieurs membres de la délégation française se sont inscrits aux différents débats et y ont participé comme indiqué ci-dessous :

Lundi 30 septembre

–  Rapport d’activité du Bureau et de la Commission permanente : Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, et M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine – La République en Marche) ;

–  Communication du Comité des Ministres à l’Assemblée parlementaire, présentée par Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la France, présidente du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe : Mme Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche).

Mardi 1er octobre

–  Améliorer la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe : M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin – Mouvement démocrate et apparentés), Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains), Mme Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés), Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, Mme Nicole Duranton (Eure – Les Républicains), M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains), M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine – La République en Marche) et Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche) ;

–  Discours de M. Emmanuel Macron, Président de la République française.

Mercredi 2 octobre

– Nécessité d’un ensemble de normes communes pour les institutions du médiateur en Europe : M. André Vallini (Isère – Socialiste et républicain) et M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) ;

–  La Banque de développement du Conseil de l’Europe : contribuer à la construction d’une société plus inclusive : Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, Mme Yolaine de Courson (Côte d’Or – La République en Marche), Mme Marie-Christine Dalloz (Jura – Les Républicains) et Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche).

–  Protéger et soutenir les victimes du terrorisme : Mme Marietta Karamanli (Sarthe Socialistes et apparentés), Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes – Les Républicains), M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains), M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche) et M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) ;

–  Dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord : Mme Marie-Christine Dalloz (Jura – Les Républicains) et M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine – La République en Marche).

Jeudi 3 octobre

–  Sauver des vies en Méditerranée, le besoin d’une réponse urgente (débat d’urgence) : Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche) ;

  Violation des droits démocratiques et répression des manifestations pacifiques en Fédération de Russie dans le contexte des élections au Conseil de la ville de Moscou (débat d’actualité) : M. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche) ;

–  Violences obstétricales et gynécologiques : Mme Maryvonne Blondin (Finistère Socialiste et républicain), Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes – Les Républicains) et Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche) ;

–  Un statut juridique pour les « réfugiés climatiques » : Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche) et M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) ;

–  Fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova : Mme Maryvonne Blondin (Finistère Socialiste et républicain), M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) et M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste).

Vendredi 4 octobre

–  La conservation du patrimoine culturel juif : M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin – Mouvement démocrate et apparentés) et M. André Reichardt (Bas-Rhin – Les Républicains) ;

–  L’émigration de travail en Europe de l’Est et son impact sur l’évolution sociodémographique dans ces pays : M. André Reichardt (Bas-Rhin – Les Républicains), M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) et M. Claude Kern (Bas-Rhin – Union Centriste) ;

–  Débat libre.

Au cours de cette session d’automne, Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain) a également représenté Mme Liliane Maury Pasquier, Présidente de l’APCE, dont elle a lu une allocution, lors d’un side event consacré le 30 septembre à la présentation du livre de Mme Josette Durrieu, sénatrice honoraire, membre honoraire de l’APCE, intitulé « La Moldavie à la croisée des mondes ».

2.   Les textes adoptés

Le Règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe distingue trois types de textes : les avis, les recommandations et les résolutions.

Les avis répondent aux demandes qui sont soumises à l’APCE par le Comité des Ministres concernant l’adhésion de nouveaux États membres au Conseil de l’Europe, mais aussi les projets de conventions, le budget ou la mise en œuvre de la Charte sociale.

Aux termes de l’article 24.1.a, une recommandation consiste en une proposition de l’Assemblée adressée au Comité des Ministres, dont la mise en œuvre échappe à la compétence de l’Assemblée, mais relève des Gouvernements.

Définie à l’article 24.1.b, une résolution exprime une décision de l’Assemblée sur une question de fond, dont la mise en œuvre relève de sa compétence, ou un point de vue qui n’engage que sa responsabilité.

Chaque semaine de session de l’APCE donne lieu à l’adoption de plusieurs recommandations et résolutions sur des sujets souvent variés, mais liés tout à la fois aux droits de l’Homme et à la démocratie, d’une part, et à l’actualité, d’autre part. Le tableau ci-après énumère les textes votés du 30 septembre au 4 octobre 2019.

Texte et rapporteur(e)

 Document(s)

Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme

Nécessité d'un ensemble de normes communes pour les institutions du médiateur en Europe

Résolution n° 2301

Recommandation n° 2163

Améliorer la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe

Résolution n° 2300

Recommandation 2162

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (Commission de suivi)

Le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova

Résolution n° 2308

 

Dialogue postsuivi avec la Macédoine du Nord

Résolution n° 2304

 

Commission des questions politiques et de la démocratie

Protéger et soutenir les victimes du terrorisme

Résolution n° 2303

Recommandation n° 2164

Commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias

La conservation du patrimoine culturel juif

Résolution n° 2309

Recommandation n° 2165

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

La Banque de développement du Conseil de l’Europe : contribuer à la construction d'une société plus inclusive

Résolution n° 2302


 

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

L’émigration de travail en Europe de l’Est et son impact sur l’évolution sociodémographique dans ces pays

Résolution n° 2310

Un statut juridique pour les «réfugiés climatiques»

Résolution n° 2307

Sauver des vies en Méditerranée : le besoin d’une réponse urgente

Résolution n° 2305

Commission sur l’égalité et la non-discrimination

Violences obstétricales et gynécologiques

Résolution n° 2306

3.   Les nominations et élections de parlementaires français, ainsi que les dépôts de propositions de résolutions à leur initiative

Chaque session de l’APCE donne lieu à des nominations concernant les membres de la délégation française et au dépôt par ceux-ci de documents. Celle de l’automne 2019 n’a pas dérogé à la règle.

a.   Des nominations et changements d’affectation de membres de la délégation dans certaines commissions

Au cours de cette dernière partie de session ordinaire de 2019, l’APCE a entériné plusieurs nominations et changements d’affectations de membres de la délégation française au sein des commissions, du fait de l’affiliation des parlementaires de La République en Marche au groupe ADLE et aussi à la suite d’ajustements internes à la délégation française.

Ainsi, en conséquence de l’affiliation des députés et sénateurs de La République en Marche au groupe ADLE, celui-ci a désigné :

– Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône – La République en Marche) comme membre de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe ;

– Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, comme membre de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, Mme Nicole Trisse ayant abandonné son siège au titre des non-inscrits ;

– M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche) comme membre suppléant de la commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Par ailleurs, d’autres changements sont intervenus dans les commissions où la délégation française a le monopole des désignations, afin de procéder à certains ajustements.

En effet, M. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche) est devenu membre titulaire de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, tandis que M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche) a rejoint la commission sur l’égalité et la lutte contre les discriminations et Mme Yolaine de Courson (Côte d’or – La République en Marche) a intégré la commission des migrations des réfugiés et des personnes déplacées, tous deux en qualité de membres titulaires. Mme Martine Leguille-Balloy (Vendée – La République en Marche), quant à elle, a quitté la commission sur l’égalité et la lutte contre les discriminations pour siéger, en qualité de membre titulaire, à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Enfin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche) et M. Bertrand Sorre (Manche – La République en Marche) sont devenus membres suppléants, respectivement, de la commission des migrations des réfugiés et des personnes déplacées et de la commission sur l’égalité et la lutte contre les discriminations.

Les tableaux ci-après récapitulent la répartition des membres de la délégation française dans les commissions de l’APCE.

Répartition des membres de la délégation française dans les trois commissions où les nominations procèdent essentiellement des groupes politiques

COMMISSIONS

TITULAIRES

SUPPLÉANTS

A. Règlement et immunités

(Désignation par les groupes politiques + 2 non-inscrits)

Mme Nicole TRISSE

B. Respect des obligations et engagements

(Désignation par les groupes politiques)

Mme Maryvonne BLONDIN

Mme Marietta KARAMANLI

Mme Alexandra LOUIS

M. Claude KERN

C. Élection des juges à la Cour européenne des droits de l’Homme

(Désignation par les groupes politiques)

M. Olivier BECHT

M. André VALLINI

M. Dimitri HOUBRON

Répartition des membres de la délégation française dans les instance et les six commissions de l’APCE où les affectations relèvent des délégations nationales

COMMISSIONS

TITULAIRES

SUPPLÉANTS

 

Bureau de l’Assemblée

Mme Nicole TRISSE

 

Commission permanente

Mme Nicole TRISSE

 

1. Questions politiques et

Mme Marie-Christine DALLOZ

Mme Marietta KARAMANLI

 

 démocratie

Mme Nicole DURANTON

Mme Maryvonne BLONDIN

 

(4 + 4)

M. Claude KERN

M. Bernard FOURNIER

 

 

M. Jacques MAIRE

Mme Nicole TRISSE

 

2. Questions juridiques et

M. François GROSDIDIER

M. André REICHARDT

 

 des droits de l’Homme

Mme Alexandra LOUIS

M. Fabien GOUTTEFARDE

 

(4 + 4)

M. André VALLINI

M. André GATTOLIN

 

 

M. Sylvain WASERMAN

M. Olivier BECHT

 

3. Questions sociales, santé et

M. Bernard CAZEAU

M. François GROSDIDIER

 

 développement durable

Mme Jennifer DE TEMMERMAN

Mme Nicole TRISSE

 

(4 + 4)

Mme Laurence TRASTOUR-ISNART

Mme Sophie AUCONIE

 

 

Mme Martine LEGUILLE-BALLOY

Mme Martine WONNER

 

4. Migrations, réfugiés et

Mme Nicole DURANTON

M. Jacques LE NAY

 

 personnes déplacées

M. Fabien GOUTTEFARDE

M. Bernard CAZEAU

 

(4 + 4)

M. Jérôme LAMBERT

M. Damien ABAD

 

 

Mme Yolaine de COURSON

Mme Marie-Christine VERDIER-JOUCLAS

 

5. Culture, science, éducation

M. Olivier BECHT

M. Guy-Dominique KENNEL

 

 et médias

M. Bernard FOURNIER

M. Claude KERN

 

(4 + 4)

M. Frédéric REISS

M. Bruno FUCHS

 

 

M. Bertrand BOUYX

Mme Catherine KAMOWSKI

 

6. Égalité et non-discrimination

Mme Maryvonne BLONDIN

M. Arnaud BAZIN

 

 

M. Bruno FUCHS

Mme Laurence TRASTOUR-ISNART

 

(4 + 4)

M. Dimitri HOUBRON

M. Jérôme LAMBERT

 

 

Mme Isabelle RAUCH

M. Bertrand SORRE

b.   Les désignations de parlementaires français par les commissions et le Bureau de l’APCE

Mercredi 2 octobre 2019, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a désigné Mme Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche), rapporteure sur le sujet : « Inaction face au changement climatique – une violation des droits de l’enfant ». Lors de cette même réunion, la commission a également désigné Mme Jennifer De Temmerman pour participer en son nom au forum pour construire ensemble les ODD, qui se tiendra à Lisbonne le 25 novembre prochain.

De même, jeudi 3 octobre 2019, M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) a été élu Président de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias.

Enfin, vendredi 4 octobre, le Bureau de l’APCE a entériné la participation de Mmes Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche) et Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés), ainsi que de M. Olivier Becht (Haut-Rhin – UDI, Agir et indépendants) au Réseau parlementaire mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à Paris, les 10 et 11 octobre 2019. Lors de cette même réunion, le Bureau a désigné Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes – Les Républicains) et M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) membres de la commission ad hoc chargée d’observer les élections anticipées en Biélorussie, le 17 novembre 2019.

c.   Le dépôt de propositions de résolutions à l’initiative de membres de la délégation française au cours de la session

Lors de la session d’automne, trois propositions de résolution ont été déposées par des membres de la délégation française.

Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, a déposé une proposition de résolution intitulée : « Pour une contribution de l’APCE à la mise en place d’un observatoire de l’Histoire destiné à promouvoir les valeurs communes de la grande Europe et la paix ».

De même, Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône – La République en Marche) a déposé une proposition de résolution intitulée : « Pour un renforcement du dialogue parlementaire avec la Turquie portant sur la situation des Universitaires turcs ».

Enfin, Mme Martine Leguille-Balloy (Vendée – La République en Marche) a déposé une proposition de résolution intitulée : « Antispécistes et droits de l’Homme ».

B.   Les actualitÉs de l’APCE et du conseil de l’europe

Les sessions plénières de l’APCE donnent systématiquement l’occasion de faire le point sur l’actualité du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire. Elles s’enrichissent, régulièrement, de votes désignant des responsables du Conseil de l’Europe ou des membres de la Cour européenne des droits de l’Homme.

1.   Le rapport d’activité du Bureau et de la Commission permanente

Lundi 30 septembre 2019, Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, a présenté devant l’Assemblée parlementaire le rapport d’activité du Bureau et de la Commission permanente.

Après avoir exprimé ses vœux de plein succès à la nouvelle Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, la rapporteure a relevé que le Bureau ne s’était réuni qu’à une seule reprise entre la session de juin et celle d’octobre, soit le 3 septembre 2019 à Berne, au siège du Parlement fédéral suisse. À cette occasion, il a notamment statué sur quatre questions importantes :

– tout d’abord, la dissolution du groupe des Démocrates libres, qui a pris effet le 30 juin, conformément aux nouvelles exigences règlementaires adoptées au printemps pour la constitution des groupes politiques. Cette dissolution porte le nombre total de non-inscrits à 120, un record ;

– ensuite, la déclassification du rapport d’activité sur le suivi des conclusions et recommandations du groupe d’enquête indépendant sur les allégations de corruption au sein de l’Assemblée parlementaire. Ce document est désormais consultable sur le site Web de l’APCE ;

– en troisième lieu, l’officialisation des trois candidatures au Prix des droits de l’Homme Václav Havel, distinction créée à l’origine sur une idée de l’ancien Président français de l’APCE Jean-Claude Mignon, qui récompense des actions exceptionnelles de la société civile dans la défense des droits de l’Homme en Europe et au-delà du continent ;

– enfin, le retrait de l’invitation à observer les élections législatives anticipées en Ukraine, le 21 juillet dernier. Cette décision n’a concerné que les membres de l’APCE, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE n’étant, pour sa part, pas concernée.

Sur ce dernier point, Mme Nicole Trisse a regretté que l’APCE n’ait pas pu exercer son expertise alors même qu’elle accompagne l’Ukraine depuis longtemps sur le chemin de la démocratie et que l’Assemblée parlementaire apporte son soutien indéfectible à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de ce pays, dans le cadre de ses frontières internationalement reconnues. Elle a considéré que la position des autorités ukrainiennes faisait suite aux débats sur le retour à l’APCE de la délégation du Parlement de la Fédération de Russie, tout en soulignant que des évolutions positives étaient intervenues depuis lors.

Ainsi, sur impulsion de la présidence française et du Bureau de l’APCE, le travail de formalisation de la procédure conjointe aux organes du Conseil de l’Europe à l’égard des États membres qui ne respecteraient pas leurs obligations a débuté. Un premier document a été soumis à concertation dès le mois de juillet et il doit servir de base à la poursuite des discussions. La Présidence du Comité des Ministres souhaite que la procédure soit définie d’ici janvier 2020, ce qui souligne une évidente volonté d’aboutir rapidement. Ces discussions sont nécessaires pour ne pas retomber dans des situations similaires à celle rencontrée dernièrement.

Parallèlement, la Fédération de Russie a commencé à s’acquitter de ses obligations contributives d’État membre, ce qui permet d’éloigner le spectre d’une crise financière pour le Conseil de l’Europe, qui va ainsi pouvoir se consacrer à ses missions au service des populations et à celui de leurs droits fondamentaux.

De même, sur le terrain du contentieux russo-ukrainien, des avancées ont également été obtenues. Le 7 septembre 2019, quelque 70 prisonniers ont été échangés entre la Russie et l’Ukraine. Parmi eux, figurait M. Oleg Sentsov ainsi que les 24 marins ukrainiens retenus depuis les incidents dans le détroit de Kertch. Aussi bien le Président ukrainien que le Président russe ont qualifié cet événement de « premier pas ».

Enfin, conséquence concrète de ce retour de la Fédération de Russie dans le giron du Conseil de l’Europe, M. Frank Schwabe (Allemagne – SOC), qui prépare un rapport sur le rétablissement des droits de l’Homme et de l’État de droit dans la région du Caucase du Nord, a pu effectuer très dernièrement une visite d’information à Moscou et Grozny, du 18 au 20 septembre 2019. À cette occasion, il a rencontré des représentants des autorités des deux localités, ainsi que des représentants de la société civile.

En conséquence, Mme Nicole Trisse a estimé qu’une nouvelle dynamique s’était enclenchée, une nouvelle réunion des Chefs d’État en format de « Normandie » semblant même possible. Elle a ajouté que, naturellement, d’autres gestes et d’autres avancées demeuraient nécessaires.

Les instances du Conseil de l’Europe, notamment la Défenseure des droits de l’Homme, doivent pouvoir pleinement faire leur travail en Russie. De même, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme doivent y être totalement appliqués. Néanmoins, le chemin parcouru depuis le début de l’année 2019 est important. Alors que le 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe est célébré au cours de cette session d’automne de l’APCE, la famille européenne, même si elle conserve des désaccords, reste rassemblée. Tous ces développements, conjugués à l’entrée en fonctions d’une nouvelle Secrétaire générale et à la célébration commune de l’acte fondateur du Conseil de l’Europe, incitent donc à croire en un avenir meilleur pour l’Organisation et son Assemblée parlementaire. Avec de la volonté, les défis et obstacles qui subsistent peuvent être surmontés.

Au cours de la discussion générale, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine – La République en Marche), intervenant au nom du groupe ADLE, s’est félicité qu’après le gel des débats au sein de l’APCE, les décisions difficiles prises en juin aient permis de sortir progressivement de la crise. Tout en souhaitant la poursuite des réflexions sur la rationalisation des moyens du Conseil de l’Europe, afin de rendre l’Organisation moins dépendante des pressions extérieures, il a salué les signaux encourageants de normalisation en cours, citant la mission de M. Frank Schwabe dans le Caucase du Nord et en Russie, l’échange de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine, et la décision de tenir un débat d’actualité sur la violation des droits démocratiques et la répression des manifestations pacifiques à Moscou.

Ces premiers pas doivent absolument être suivis par d’autres, notamment la visite de la Commissaire aux droits de l’Homme en Crimée et la tenue de discussions de paix au plus haut niveau. Tant les autorités françaises que le groupe ADLE sont très attachés à la mise en œuvre rapide d’une nouvelle procédure conjointe d’engagement de sanctions pour les États membres qui ne respecteraient pas leurs obligations statutaires. Il est essentiel que cette procédure entre en vigueur dès 2020, grâce à l’implication de la présidence française et à la future présidence géorgienne.

2.   La communication du Comité des Ministres présentée par Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, présidente en exercice de cet organe du Conseil de l’Europe

Lundi 30 septembre 2019, Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, présidente en exercice du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, a dressé devant les membres de l’APCE le bilan des six mois de la présidence française de cet organe, en voie d’achèvement.

Après avoir salué l’attribution du prix Václav Havel 2019 à l’Initiative des jeunes pour les droits de l’Homme et à M. Ilham Tohti, voyant dans cette décision la reconnaissance de l’importance du dialogue entre communautés, elle a tout d’abord rendu hommage, en ce jour de deuil national décrété à son égard, au Président Jacques Chirac tout juste décédé, qu’elle a qualifié de grand Européen et humaniste, en raison de ses combats pour la tolérance et contre l’antisémitisme.

Vingt-deux ans plus tôt, presque jour pour jour, en octobre 1997, il avait ouvert au Palais de l’Europe le second Sommet des Chefs d’État et de Gouvernements du Conseil de l’Europe, marquant l’élargissement de ce dernier aux pays de l’Europe de l’Est. Il avait alors eu ces mots précurseurs : « désormais libérée des confrontations et des méfiances dhier, notre famille européenne tout entière se rassemble autour de valeurs communes : le respect de la personne humaine, le caractère sacré et inviolable de sa dignité, et la primauté du droit ». Ces paroles fortes font aujourd’hui écho aux efforts collectifs de ces dernières semaines, du Comité des Ministres et de sa présidence comme de l’APCE, pour préserver l’unité de l’Organisation.

La Secrétaire d’État aux Affaires européennes, présidente du Comité des Ministres a ensuite apporté des précisions sur les travaux de mise en œuvre de la procédure conjointe de réaction à l’égard des États membres ne respectant pas leurs obligations statutaires. En juin dernier, l’APCE a pris des décisions importantes, dans un esprit de responsabilité, en mettant de côté la géopolitique et privilégiant l’intérêt des citoyens.

L’APCE est le creuset d’un véritable espace public européen. Elle est tout l’opposé d’une arène géopolitique, où l’on attribuerait des points aux gagnants et aux perdants. Le Conseil de l’Europe est tout l’inverse : c’est d’abord un lieu de dialogue exigeant mais un lieu de dialogue toujours ; c’est aussi et surtout un lieu où les citoyens peuvent trouver une instance de dernier recours qui garantit concrètement leurs droits.

Mme Amélie de Montchalin a observé que le retour de la délégation russe à l’APCE engageait la Russie : à cet égard, la présidence française du Comité des Ministres veillera à ce que ce pays respecte toutes ses obligations statutaires. L’échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Fédération de Russie, qui a notamment permis la libération des marins ukrainiens et de M. Oleg Sentsov, peut permettre de rétablir la confiance et de favoriser un dialogue essentiel en vue du règlement politique du conflit en Ukraine. Pour sa part, la France continue de soutenir de manière indéfectible la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans le cadre de ses frontières internationalement reconnues.

La crise vécue par le Conseil de l’Europe ces dernières années n’aurait pas pu être surmontée sans l’APCE. Le dialogue entre cette dernière et le Comité des Ministres s’est intensifié, ce qui constitue une bonne chose. Désormais, il faut faire aboutir le chantier commun, initié à Helsinki, de la mise en place de la nouvelle procédure de réaction conjointe lorsqu’un État membre manque à ses engagements. L’objectif de la présidence française du Comité des Ministres est qu’elle soit opérationnelle en janvier 2020, autour de quelques principes simples :

– la prévisibilité, avec une marche à suivre bien définie, essentielle pour la confiance et pour que la procédure soit perçue comme légitime et non arbitraire ;

– la réactivité, même s’il faut s’assurer de délais suffisants pour avoir un dialogue avec l’État concerné ;

– la crédibilité, grâce à des mesures intermédiaires et progressives instaurant un cadre de réaction graduel ;

– enfin, la réversibilité, le but final étant d’amener l’État membre concerné au respect de ses obligations et des principes de l’Organisation plutôt que de le sanctionner et d’aboutir à une impasse.

La Secrétaire d’État aux Affaires européennes, présidente du Comité des Ministres a ensuite dressé un bilan des priorités de la présidence française, qu’elle avait présentées en juin.

S’agissant du renforcement du respect et de la protection des droits développés par le Conseil de l’Europe, l’accent a été plus particulièrement mis sur le dialogue des juges, à la suite de l’entrée en vigueur du protocole n° 16 à la convention européenne des droits de l’Homme. Les chefs de Cours suprêmes des États membres et de la Cour européenne des droits de l’Homme se sont ainsi réunis à Paris le 13 septembre, pour faciliter les convergences en la matière. L’accent a également été porté sur l’objectif d’abolition de la peine de mort, notamment en Biélorussie, et la coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Sur ce dernier point, la question est d’abord celle de l’émergence d’une culture juridique commune de l’État de droit et du parachèvement d’un espace cohérent de protection sur notre continent. Dans cette optique, la France attache une réelle importance à l’aboutissement de l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’Homme.

Mais la force et l’actualité du système de protection du Conseil de l’Europe, c’est aussi son étendue, notamment en matière de droits sociaux. La présidence française du Comité des Ministres a donc activement fait la promotion de la ratification de la charte sociale européenne révisée et de son protocole additionnel, ainsi que celle des droits de l’enfant et de la lutte contre les nouveaux phénomènes d’intolérance, objet de la conférence pour le 25ème anniversaire de l’ECRI à Paris. Au centre du combat pour le vivre-ensemble, il y a aussi la lutte contre les violences faites aux personnes lesbiennes, gay, trans, bi et intersexes (LGBTI) et contre celles faites aux femmes, à ces 50 % de l’humanité qui trop souvent deviennent des cibles et des victimes. La ratification de la convention d’Istanbul est à cet égard nécessaire et il faut saluer que ce soit la Turquie qui ait été le premier pays à le faire.

Mme Amélie de Montchalin a également tenu à évoquer le projet de création d’un observatoire de l’enseignement de l’histoire, l’objectif n’étant nullement d’écrire un manuel d’histoire unique pour 47 pays mais plutôt, de manière pragmatique, de s’appuyer sur les réseaux existants et sur la convention de 1954 pour dresser un état des lieux neutre et permettre aux spécialistes de travailler ensemble sur la façon dont le passé est enseigné dans les écoles. L’enjeu, modeste mais décisif, est de former une génération de paix qui pourra prendre le relais pour porter notre projet humaniste collectif. C’est dans cette optique que se tiendra à Paris, le 26 novembre, une réunion des Ministres de l’Éducation au cours de laquelle le principe de la création de cet observatoire pourra être acté. Le soutien de l’APCE est essentiel et il est heureux qu’une proposition de résolution sur le sujet soit en voie d’examen, à l’initiative de la présidente de la délégation française.

Pour ce qui concerne l’adaptation du Conseil de l’Europe aux défis posés par les nouvelles technologies, il a été décidé de faire avancer les travaux en matière de société de l’information, d’algorithmes et d’intelligence artificielle. Ce sera l’objet d’une conférence des Ministres de la justice à Strasbourg en octobre et l’un des thèmes fondamentaux du Forum Mondial de la démocratie.

En conclusion, la Présidente du Comité des Ministres a annoncé le versement par la France au Conseil de l’Europe d’une contribution volontaire exceptionnelle de 900 000 euros et indiqué que, 70 ans après sa création, l’Organisation pouvait être fière de son bilan.

Mme Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche), après avoir rappelé que le 30ème anniversaire de la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant interviendra le 27 novembre 2019, a souligné les prises de position de l’APCE sur l’importance de créer, au sein des Parlements nationaux, des commissions spécifiques aux droits de l’enfant. Elle a souhaité que l’Assemblée nationale française, qui dispose d’un groupe d’études actif sur le sujet, s’inspire du travail de qualité présenté à l’APCE et demandé à la Secrétaire d’État son opinion sur ce point.

En réponse, la Secrétaire d’État aux Affaires européennes, présidente du Comité des Ministres, a estimé que les enfants n’ont pas des petits droits parce qu’ils seraient petits par la taille. Les législations nationales doivent impérativement protéger leur intégrité physique, leur santé morale, leur accès à la santé et à l’éducation, afin de bâtir un continent de citoyens éclairés, éduqués et surtout protégés dans leur dignité. Il existe de bonnes pratiques dans certains États membres et il faut envisager de les dupliquer là où elles pourraient justement apporter des améliorations. À cet égard, le Parlement des enfants est une bonne initiative. L’APCE peut aussi guider le travail des différents Gouvernements.

3.   La remise du Prix des droits de l’Homme Václav Havel

Le Prix des droits de l’Homme Václav Havel, créé en 2013 à l’initiative de M. Jean-Claude Mignon, alors Président de l’APCE, récompense des actions exceptionnelles de la société civile pour la défense des droits de l’Homme. Chaque année, lors de la partie de session d’automne, l’Assemblée parlementaire, en partenariat avec la Bibliothèque Václav Havel et la Fondation Charte 77, remet ce Prix en mémoire du célèbre dramaturge tchèque, opposant au totalitarisme, artisan de la Révolution de Velours de 1989 en Tchécoslovaquie, symbole de la défense des valeurs défendues par le Conseil de l’Europe. Il se décompose en une somme de 60 000 euros, un trophée et un diplôme.

L’an dernier, le Prix des droits de l’Homme Václav Havel avait été remis à M. Oyub Titiev, chef du bureau de Grozny du centre Mémorial des droits de l’Homme en Tchétchénie depuis l’assassinat de Mme Natalia Estemirova en 2009, alors en détention pour sa dénonciation des abus commis par les autorités locales. Cette année, le jury, composé de personnalités indépendantes et présidé par Mme Liliane Maury Pasquier (Suisse – SOC), en sa qualité de Présidente de l’Assemblée parlementaire, avait retenu à Prague, à la fin du mois d’août, les candidatures de :

– M. Ilham Tohti, intellectuel ouïghour de renommée publique en Chine, qui œuvre depuis plus de vingt ans à améliorer la situation de la minorité ouïghoure et à promouvoir le dialogue et la compréhension interethniques au sein de la République populaire. En septembre 2014, il a été condamné à la prison à vie ;

– M. Buzurgmehr Yorov, avocat spécialisé dans la défense des droits de l’Homme au Tadjikistan, qui représente depuis près de vingt ans des personnes persécutées en raison de leurs convictions politiques et de leur activisme. Pour avoir condamné publiquement les autorités locales et les forces de l’ordre pour des violations à de nombreuses reprises des droits de l’Homme, il a été condamné à vingt-huit ans de réclusion et se trouve en prison depuis 2015 ;

– l’Initiative des jeunes pour les droits de l’Homme, créée en 2003 pour promouvoir la réconciliation entre les jeunes des Balkans, en établissant des liens entre différents groupes ethniques et pays de la région, afin de renforcer leur participation au processus de justice transitionnelle, de travailler pour les droits de l’Homme et d’empêcher la résurgence des conflits ethniques.

Lors de la séance d’ouverture de la session d’automne, lundi 30 septembre 2019, le 7ème Prix des droits de l’Homme Václav Havel a été décerné conjointement – une première depuis sa création – à M. Ilham Tohti et à l’Initiative des jeunes pour les droits de l’Homme. Il a été symboliquement remis à leurs représentants au cours d’une cérémonie dans l’hémicycle de l’Assemblée parlementaire.

4.   L’élection du juge du Portugal à la Cour européenne des droits de l’Homme

Mercredi 2 octobre 2019, l’APCE a élu le juge de la République du Portugal à la Cour européenne des droits de l’Homme. Les suffrages ont été exprimés comme suit, s’agissant des candidats en lice :

– Mme Ana Maria Guerra Martins : 107 voix ;

– M. José Luis Lopes da Mota : 18 voix ;

– M. José António Mouraz Lopes : 55 voix.

Mme Ana Maria Guerra Martins ayant recueilli la majorité des votes exprimés, elle a donc été élue juge à la Cour européenne des droits de l’Homme dès le premier tour de scrutin.

C.   Les auditions et Échanges de l’AssemblÉe parlementaire avec plusieurs personnalitÉs

Chaque session de l’Assemblée parlementaire offre l’opportunité à ses membres d’entendre et, éventuellement, d’interroger un représentant du pouvoir exécutif de l’un ou de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe sur les questions touchant aux droits de l’Homme et à la démocratie. En ce mois d’octobre 2019, la particularité a consisté pour l’APCE à entendre le discours du Président de la République, M. Emmanuel Macron. Il s’agissait là de la septième allocution d’un Chef de l’État français en exercice, après celles de MM. Alain Poher, alors par intérim (6 mai 1974), Valéry Giscard d’Estaing (28 janvier 1977), François Mitterrand (30 septembre 1982, 5 mai 1989 et 4 mai 1992) et François Hollande (11 octobre 2016).

1.   Le discours de M. Emmanuel Macron, Président de la République française

Mardi 1er octobre 2019, jour de commémoration officielle du 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe, l’APCE a entendu le discours du Chef de l’État du pays hôte de l’Organisation, à savoir M. Emmanuel Macron. Cette allocution devant l’Assemblée parlementaire était la treizième de l’un des plus hauts responsables de l’Exécutif français, Présidents de la République et Premiers ministres confondus, depuis 1949 [5].

Soulignant que sa venue devant l’APCE visait à rendre hommage à l’Assemblée parlementaire et, à travers elle, au Conseil de l’Europe, le Président de la République française a insisté sur l’indéfectible attachement de la France à cette Organisation depuis son origine. Charles Péguy disait que « la liberté est un système de courage » et cette persévérance de la liberté et de la dignité face à toutes les adversités est au cœur du Conseil de l’Europe, qui siège dans une ville trois fois déchirée par les guerres fratricides.

Le Conseil de l’Europe a fait progresser le respect des droits fondamentaux, la démocratie et l’État de droit en Europe. Il a permis l’éradication presque totale de la peine de mort sur le continent européen en faisant de son abolition un préalable à l’adhésion. Il a fait reculer la torture par la prévention qu’il exerce sur les lieux de privation de liberté. Il a permis l’adoption de textes sur la protection des enfants, contre leur exploitation, sur la prévention des violences faites aux femmes. Il a donné naissance à la convention européenne des droits de l’Homme, imposant, sous l’impulsion de René Cassin, qu’une juridiction soit chargée d’en assurer le respect par les États avec force obligatoire de ses arrêts. Il a fait progresser les droits sociaux, au logement, à la santé, à l’éducation, à l’emploi, à la libre circulation, garantis par la charte sociale européenne. Il a accompagné la construction de l’État de droit, comme il le fait aujourd’hui en Moldavie au travers de la Commission de Venise. Il a su jouer un rôle visionnaire et précurseur sur la biodiversité comme sur la protection des données personnelles. Il a rendu le continent européen plus démocratique par l’observation des élections, la lutte contre la corruption, la défense de la liberté d'expression. Il l’a rendu plus sûr en définissant des règles communes pour lutter contre le terrorisme ou la cybercriminalité.

Trente ans après la chute du mur de Berlin, les murs de cette maison commune sont toutefois fissurés. Ils le sont par la remise en cause des droits fondamentaux sur le continent, qu’il faut regarder en face en en débattant dans l’enceinte de l’Assemblée parlementaire. En Turquie, où l’État de droit recule, où les procédures judiciaires ouvertes contre les défenseurs des droits de l’Homme, des journalistes, des universitaires, doivent faire l’objet d’une grande vigilance. En Russie, où la répression des manifestations de l’été dernier suscite de nombreuses et légitimes préoccupations que la France partage et sur lesquelles elle s’est clairement exprimée. Ils le sont aussi par la fascination qu’exercent jusqu’au sein de l’Union européenne les régimes autoritaires, parce que nos démocraties en crise n’ont pas su apporter à nos concitoyens les protections auxquelles ils aspirent. Ils se sont fracturés, enfin, sous le coup de l’illusion que la liberté s’imposerait mécaniquement partout, que les peuples d’Europe finiraient par s’unir dans un ensemble de règles et de normes dans lequel le poids de leur passé, de leur culture profonde, finirait par se diluer.

M. Emmanuel Macron a estimé que, pour l’avenir, il convenait de veiller à se donner au moins deux exigences.

La première est de veiller sur l’unité du continent, sur le socle de ses valeurs communes. C’est ce que la France porte au sein de l’Union européenne pour construire, avec ses partenaires, une souveraineté économique, numérique, écologique, stratégique, qui repose sur la solidarité et le renforcement de l’État de droit ; donc, par la prise en compte du travail réalisé par le Conseil de l’Europe et par l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’Homme.

Faire l’Europe n’étant jamais naturel, c’est au Conseil de l’Europe que les fractures de notre continent peuvent être réparées, parce qu’ici, précisément, les déchirures de la guerre et les divisions de la guerre froide ont pu être dépassées, parce que c’est le lieu où la conscience européenne se construit et se débat. Cela n’ira pas sans tension, comme l’ont illustré les débats profonds cette année, à l’APCE, sur la place de la Russie au Conseil de l’Europe. Néanmoins, l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres on fait le choix du maintien de la Russie pour avancer ensemble vers un retour à la normale du fonctionnement de l’Organisation et éviter des conséquences néfastes à nos peuples et à la protection de leurs droits.

Le Président de la République française a déclaré soutenir pleinement le choix qui a été fait de maintenir la Russie dans le Conseil de l’Europe, le peuple russe se reconnaissant fondamentalement dans l’humanisme européen, parce qu’il a participé à sa construction, parce que la géographie, l’histoire et la culture de la Russie sont fondamentalement européennes, et parce que la division serait un échec de plus donnant la victoire à ceux qui ne croient pas dans ce socle et ces valeurs.

Le rôle du Conseil de l’Europe, de son Comité des Ministres et de son Assemblée parlementaire n’est pas de se substituer aux Gouvernements, qui sont eux-mêmes responsables de faire aboutir les accords de Minsk et les procédures de Normandie. La décision prise en juin d’autoriser le retour de la délégation russe n’affaiblit donc en rien la détermination commune à en finir avec les conflits gelés et ne signifie en rien l’existence de plusieurs standards au sein du Conseil de l’Europe.

Nullement un geste de complaisance, cette décision d’exigence à l’égard de la Russie vise à ce qu’elle respecte pleinement ses obligations et s’acquitte de ses devoirs à l’égard du Conseil de l’Europe. Elle est aussi une exigence à l’égard de l’Organisation, pour être plus efficace face à ce type de situations, avec plus de prévisibilité, de réactivité, de crédibilité. C’est tout l’objet de la nouvelle procédure conjointe que l’APCE et le Comité des Ministres ont décidé d’initier pour une entrée en vigueur en janvier 2020.

M. Emmanuel Macron a ensuite indiqué aux membres de l’Assemblée parlementaire qu’avant de se présenter devant eux, il avait rencontré M. Oleg Sentsov, présent à Strasbourg, libre grâce à l’échange de prisonniers intervenu il y a quelques semaines entre la Russie et l’Ukraine. Oleg Sentsov est de ceux qui pensent - comme jadis Bernanos - que la liberté des autres est aussi essentielle que la nôtre ; de ceux qui pensent qu’il ne sert à rien d’avoir des idéaux si l’on n’est pas capables de se battre pour eux envers et contre tout. Cela fait de lui un grand Européen parce qu’être Européen, fondamentalement, c’est ne jamais se résigner dans le combat pour la liberté et pour la dignité.

La deuxième exigence à avoir, selon le Président de la République française, est de construire la pensée des droits de l’Homme, de la liberté et de la démocratie face aux grands défis contemporains. Là est sans doute l’enjeu principal de l’humanisme européen au XXIème siècle car les principes et les valeurs du Conseil de l’Europe sont mis au défi par les grandes transformations actuelles, contestés de l’extérieur par un ensauvagement du monde, le retour à une ère d’exercice brutal de la puissance dans laquelle les violations des droits fondamentaux, du droit humanitaire le plus élémentaire, ne sont plus ni punies, ni sanctionnées et font même de moins en moins l’objet d’une réprobation assumée.

Ce constat s’explique par un affaiblissement sans précédent du système multilatéral et constitue une source profonde d’insécurité pour tous en ce qu’il remet très profondément en cause la construction au nom de la paix, fondée sur la coopération entre les nations et le respect des droits de chacun. Contestés, nos principes et nos valeurs sont aussi percutés par la menace terroriste, les transformations numériques, climatiques, démographiques, la crise du capitalisme mondialisé qui n’a pas su prendre en charge la question des inégalités. Tous ces phénomènes marquent le retour des grandes peurs et, avec elles, de l’irrationalisme : peur du déclassement, perte de repères, peur du monde, perte de confiance en ce que nous sommes, en notre rapport au monde, dans la vérité même des faits, parfois dans l’État de droit.

M. Emmanuel Macron a observé que, dans ce contexte, deux voies radicalement opposées s’affirment aujourd’hui.

La première est celle du délitement, celle des tenants d’une protection qui passe par le rétrécissement de l’espace de nos droits et libertés, le repli sur soi et le refus de l’autre : ceux qui acceptent des élections mais refusent le pluralisme et se méfient des contre-pouvoirs qui limitent l’exercice de leur autorité ; ceux qui utilisent l’argument de la lutte contre le terrorisme pour réduire au silence leurs opposants politiques ; ceux qui pensent que la réponse aux défis contemporains et la construction d’un État fort passent par la déconstruction de ce qui a été bâti. Cette voie a triomphé dans certains pays d’Europe et elle est de plus en plus fortement représentée dans nos pays. Malheureusement les sondages montrent la fascination croissante des peuples pour les régimes autoritaires, prêts parfois à toutes les concessions. C’est là, néanmoins, une erreur historique.

La seconde voie est celle de l’illusion. Elle est empruntée par ceux qui, le plus souvent, épris sincèrement de liberté et de droits, voudraient que le monde ne soit pas tel qu’il est et que les peuples ne soient pas tels qu’ils sont. Ils voudraient dire que le peuple a tort, que ses peurs sont illégitimes et n’y répondre que par un discours de raison, parfois d’exclusion ou de sermon. Ce serait oublier que l’État de droit est une construction fragile, qui s’éprouve dans les contradictions. Ce serait oublier que les droits de l’Homme sont un combat toujours inachevé et que chacun ne peut en être, comme le disait René Cassin, que « le fantassin » et non pas seulement le sourcilleux gardien : le fantassin, parce qu’il s’agit d’une bataille qui se mène au corps-à-corps, en comprenant les peurs et les situations limites qu’elles peuvent produire.

Il appartient à tous les membres du Conseil de l’Europe de ne céder à aucune de ces deux voies mais d’essayer d’en construire une autre, de penser pour le réaliser l’espace des libertés et des droits dans notre monde tel qu’il est, sans facilité aucune. L’enjeu est de donner un ancrage, une réalité factuelle historique à la construction des droits et des libertés, de rendre nos démocraties plus solides.

Le Président de la République française a alors fait valoir qu’il est toujours plus aisé de critiquer les démocraties libérales que les régimes autoritaires, tout en soulignant qu’il ne revient pas au même de maintenir l’ordre public et de réprimer une manifestation, de protéger ses frontières et de porter atteinte au droit d’asile, de lutter contre les discours de haine et la désinformation et de restreindre la liberté d’expression et d’opinion. Il a tenu à illustrer son propos par quelques exemples, qui ont pu récemment faire l’objet de discussions, voire de critiques, à l’APCE.

En premier lieu, l’enjeu de la lutte contre le terrorisme en démocratie ne repose sur aucune distinction entre protection de la société et défense des droits et libertés. Il s’agit d’un seul et même combat puisque précisément, les terroristes veulent détruire les droits, la liberté, une certaine façon de vivre. La notion même de sûreté ne doit jamais être confondue avec l’obsession sécuritaire, et c’est précisément dans cet esprit que la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 1er novembre 2017 a été débattue et adoptée en France. Elle a permis à la France, notamment, de sortir de l’état d’urgence et de revenir dans le droit commun de la convention européenne des droits de l’Homme en sortant du dispositif prévu par son article 15.

En deuxième lieu, en matière de maintien de l’ordre, la France, comme d’autres pays, est confrontée à une mutation profonde du déroulement des manifestations de voie publique. Là aussi, ce phénomène ne souffre aucun raccourci : les autorités françaises ont examiné très sérieusement et attentivement le travail du Conseil de l’Europe sur l’usage de certaines armes dites intermédiaires. Le Gouvernement a répondu de manière détaillée et publique aux observations de la Commissaire aux droits de l’Homme. Mais il est vrai, aussi, que les violences inédites de ces derniers mois doivent conduire à une réflexion profonde sur les moyens d’y répondre. À défaut, c’est la liberté de manifestation elle-même qui finirait par être remise en cause. La nouvelle doctrine de sécurité intérieure et de maintien de l’ordre public, en cours d’élaboration sous l’égide du Gouvernement, prendra en compte toutes les observations faites par la Commissaire aux droits de l’Homme et l’APCE, puis elle sera débattue et rendue publique.

En troisième lieu, la lutte contre la désinformation est devenue un enjeu majeur. Les récentes élections, notamment les élections européennes, ont démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal des processus électoraux. Si les responsabilités civiles et pénales des auteurs pouvaient être recherchées sur le fondement de lois préexistantes, elles étaient toutefois profondément insuffisantes pour permettre le retrait rapide des contenus en ligne, pour éviter leur propagation, leur apparition, et fausser, ce faisant, l’exercice démocratique. La loi française du 22 décembre 2018 a donc imposé une obligation de transparence aux plateformes de l’Internet pour faciliter le travail de détection des autorités policières et pour mieux informer les utilisateurs sur l’identité des diffuseurs de contenu publicitaire. Cet exemple montre combien il faut penser – là aussi – une forme d’ordre public démocratique sur Internet, en préservant, évidemment, la liberté d’expression et la liberté d’information. Tout dans le nouvel espace de l’Internet et des réseaux sociaux a été conçu et pensé sans que nos valeurs premières aient à être respectées ; il a fallu obtenir de haute lutte ces derniers mois, après ce qui s’est passé en Nouvelle-Zélande, une réponse contre le terrorisme sur Internet par l’appel de Christchurch, conforté récemment à New York. Il n’y a pas de liberté sans ordre public. La liberté n’est pas celle de l’anonyme masqué qui proférerait les pires discours de haine, la désinformation, voire pire encore. Cette liberté-là n’est qu’une apparence de liberté ; elle est même tout l’inverse de la liberté.

Enfin, en quatrième lieu, la maîtrise des flux migratoires et la protection du droit d’asile ne sont pas antinomiques. Le droit d’asile est aujourd’hui menacé par les discours de ceux qui estiment que l’Europe doit se barricader derrière des murs, ne plus accueillir ceux qui fuient la guerre et les persécutions et qui ont besoin de sa protection. La Constitution française depuis la fin de la seconde guerre mondiale porte le droit d’asile, c’est-à-dire la protection des combattants de la liberté. Il s’agit là de l’un de nos acquis les plus fondamentaux. Mais si nous ne sommes pas capables de répondre efficacement au défi migratoire, si nous n’avons pas le courage de regarder en face la demande citoyenne de maîtrise des flux migratoires, si nous n’avons pas la lucidité de voir que dans de nombreux cas les demandes d’asile viennent de pays profondément sûrs, la lucidité nous ferait défaut. Le détournement du droit d’asile ne peut que conduire à sa disparition sous les coups de boutoir des responsables autoritaires, pas des démocrates. Toute souveraineté pose des frontières et le respect d’un droit. C’est la raison pour laquelle la France porte, aux plans intérieur comme européen et international, un agenda complet relatif aux migrations. Celles-ci ne touchent pas d’abord l’Europe ; elles frappent d’abord l’Afrique, soulevant ainsi le devoir d’une politique de développement responsable. Mais il faut également un ordre public européen, une harmonisation des règles.

En conclusion, le Président de la République française a considéré que la génération actuelle n’a plus à construire uniquement l’avancée des droits partout en Europe, mais plutôt à faire face à la tension que de nouveaux phénomènes viennent faire jouer avec les droits existants dans nos sociétés. Un véritable travail politique doit donc être mené, notamment dans l’enceinte de l’APCE, sur ces questions. Paul Ricoeur, pour qualifier l’Europe, se référait à trois piliers :

– un modèle de la traduction, tout d’abord, aucun continent ne présentant une telle concentration de langages, de cultures. Or, la traduction, c’est accepter l’autre dans sa différence et l’accueillir dans ma langue ;

– un « modèle de l'échange des mémoires », ensuite. Beaucoup voudraient faire croire qu’il y a une identité européenne figée, voire même un mode de vie européen figé. Il y a plutôt, en Europe, une identité narrative, c’est-à-dire une histoire commune. De ce fait, l’observatoire de l’enseignement de l’Histoire constitue un projet essentiel ;

– « un modèle de pardon », enfin. Après tant de guerres, tant de divisions, le décret de Sparte doit s’appliquer. Cela suppose d’avoir l’intelligence de l’avenir.

En définitive, la Grande Europe se fait à Strasbourg, parfois dans la division. Par ailleurs, la controverse est essentielle et elle est profondément démocratique. Elle n’est aucunement un affaiblissement, mais plutôt un luxe de la démocratie et de l’État de droit.

2.   L’allocution de prise de fonctions de Mme Marija Pejčinović Burić, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe

Mercredi 2 octobre, l’Assemblée parlementaire a entendu, pour la première fois depuis son entrée en fonction le 18 septembre 2019, Mme Marija Pejčinović Burić, nouvelle Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, élue le 26 juin dernier. Cette allocution a été suivie de quelques échanges de vues avec les parlementaires.

Après avoir exprimé sa gratitude aux membres de l’APCE pour avoir soutenu son élection en tant que Secrétaire générale, Mme Marija Pejčinović Burić a formulé un certain nombre de remarques générales sur ses priorités pour la période à venir. Concernant le rôle de l’Organisation, qu’elle a souhaité voir demeurer une plateforme paneuropéenne de dialogue et de coopération constructifs, elle s’est déclarée désireuse de renforcer sa place de référence en matière de promotion et de la protection de la démocratie, des droits de l’Homme et de l’État de droit sur le continent.

S’agissant des moyens du Conseil de l’Europe, elle s’est réjouie de débuter son mandat avec une « ardoise quasiment effacée » tout en relevant qu’il convenait désormais de trouver une façon de stabiliser et de pérenniser davantage les ressources financières sur le long terme. Il est impératif de trouver une façon d’assurer que tous les États membres coopèrent pleinement, et prennent part au travail des organes statutaires, mais aussi qu’ils s’acquittent de leurs obligations financières. Le Comité des Ministres devra participer à la définition de mesures pour assurer la stabilité financière et la pérennité de l’Organisation, y compris par un éventuel recours à un certain nombre de sources et de modalités innovantes de financement. Un retour à la croissance zéro des ressources s’avère malgré tout indispensable pour assurer au Conseil de l’Europe les moyens d’exercer pleinement son mandat et ses activités les plus importantes.

En ce qui concerne les réformes, les mesures déjà adoptées au cours des dix dernières années constituent une base appropriée sur laquelle construire. Il conviendra de poursuivre ces réformes, y compris celles visant à rationaliser davantage les structures du secrétariat ainsi que les façons de travailler. Un audit externe pourrait également être engagé.

Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’Homme reste un pilier central du système et son rôle exclusif, en tant que gardienne des droits consacrés dans la convention éponyme, doit être préservé. La particularité du système de la convention, à savoir le droit de recours individuel, devra aussi être maintenue.

La Secrétaire générale du Conseil de l’Europe s’est ensuite engagée à s’impliquer dans l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, et à recourir si besoin à ses prérogatives reposant sur l’article 52 de la convention pour tenter d’expliquer les problèmes systémiques et persistants liés à sa mise en œuvre. De même, elle a indiqué qu’elle saisirait la Commission de Venise chaque fois que le besoin s’en fera sentir.

Elle a ensuite plaidé pour que les organismes de suivi des droits de l’Homme puissent accéder aux zones grises dans les territoires en conflit, tous les citoyens des États membres devant être pleinement protégés par la convention, indépendamment du contrôle de facto dans ces zones ou de leur statut.

Plus largement enfin, il s’avère nécessaire de mettre davantage l’accent sur certaines tendances négatives récurrentes dans les États membres, telles la corruption, les menaces contre l’indépendance du pouvoir judiciaire, contre les journalistes et la liberté des médias, ou encore les restrictions imposées à la société civile et aux défenseurs des droits humains, ainsi que l’inégalité entre les sexes ou la violence sexiste. À titre d’illustration, la pauvreté et la persistance des inégalités signifient qu’il convient de mieux promouvoir la charte sociale et les droits sociaux en Europe.

Une attention immédiate doit aussi être portée à l’intelligence artificielle : il est heureux, à cet égard, que le Comité des Ministres soit récemment parvenu à un accord sur le mandat d’un nouveau comité directeur intergouvernemental dans ce domaine. C'est un pas en avant important.

Travailler aux côtés de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), des Nations Unies, de l’Union européenne est souvent le meilleur moyen de progresser et d’utiliser efficacement les ressources. L’Union européenne est le plus grand contributeur volontaire au budget du Conseil de l’Europe ; si un bon cadre institutionnel pour la coopération avec l’Union est en place, il faut l’approfondir. Mais l’une des principales priorités reste, bien entendu, l’adhésion de l’Union à la convention européenne des droits de l’Homme, conformément aux stipulations du traité de Lisbonne.

Évoquant, en clôture de son propos, les mécanismes de suivi existants au sein du Conseil de l’Europe, Mme Marija Pejčinović Burić s’est prononcée pour leur rationalisation, annonçant de futures propositions concrètes à cet égard. Elle a noté que la visibilité et la communication du Conseil de l’Europe reposaient sur de très bons outils, tels que le rapport annuel du Secrétariat général qu’elle reconduira. Pour autant, des lacunes demeurent en matière de visibilité auprès du grand public : actuellement, l’Organisation envoie trop de messages incohérents ou divergents et il conviendra d’y remédier, tout en respectant pleinement l’indépendance de l’Assemblée parlementaire.

En conclusion, la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe a constaté prendre ses fonctions dans une période difficile pour le Conseil de l’Europe et déclaré ne pas se faire d’illusions sur les conditions d’exercice de son mandat. Elle en appelé à cet égard au soutien et à la coopération de l’APCE.

Parmi les parlementaires appelés à exprimer, à la suite de l’allocution de la Secrétaire générale, leurs remarques et observations, Mme Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés) a estimé que l’un des enjeux du Conseil de l’Europe était de faire prendre conscience à quelque 800 millions de citoyens de leur histoire partagée en matière de droits de l’Homme et de démocratie, à un moment de tensions nouvelles dans et entre les États. Elle s’est alors interrogée sur les initiatives à prendre pour s’adresser plus directement et mieux à la jeunesse pour renforcer cette conscience du droit et des droits ? Elle a notamment plaidé pour la mise en place de partenariats avec des grandes fondations pour engager une campagne durable auprès de la jeunesse pour la rendre, selon les mots de l’historien Patrick Boucheron, « vigilante et imaginative ».

Après avoir adressé ses plus sincères félicitations à la Secrétaire générale pour son élection, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura – Les Républicains), quant à elle, a considéré que celle-ci avait pris toute la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire. Elle s’est déclarée à ses côtés dans sa tâche tout en se montant confiante en son aptitude et en sa capacité à fédérer et apporter des solutions modernes, concrètes pour confirmer la place du Conseil de l’Europe. Elle a conclu son propos en insistant sur la mission d’observation des élections, qu’elle a appelé à préserver.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine, La République en Marche) a lui aussi félicité la Secrétaire générale pour son élection et évoqué la question de l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’Homme. Soulignant que si l’Union européenne avait aujourd’hui un hymne et un drapeau, elle les avait empruntés au Conseil de l’Europe, il s’est déclaré préoccupé que, au moment où l’Union européenne s’intéresse de plus en plus à la question des droits de l’Homme, on puisse voir émerger deux ordres juridiques en compétition en la matière. Rappelant les engagements pris dans le traité de Lisbonne, ratifié démocratiquement par les États, il a souhaité que l’Union européenne honore ses engagements internationaux, plutôt que de tomber dans des interprétations très littérales du droit, à l’instar de la Cour de justice de Luxembourg en 2014.

D.   Les rencontres et initiatives de la dÉlÉgation française

Eu égard au caractère solennel de cette session de fin de présidence française, concomitante avec la célébration du 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe, la délégation française a surtout eu des échanges et des rencontres dans le cadre de cérémonies et d’événements particuliers. Ainsi, à l’occasion de la cérémonie organisée le 1er octobre par la présidence française du Comité des Ministres et la ville de Strasbourg, ses membres ont pu échanger avec de nombreuses autres délégations nationales. De même, le lendemain, la délégation française a plus particulièrement rencontré les délégations des pays ayant le français pour langue officielle ou membres et associés à l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF), à l’occasion d’un dîner de travail organisé par ses soins.

1.   Une réunion informelle avec Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État aux Affaires européennes

Les membres de la délégation française ont profité de la venue de Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d’État aux Affaires européennes, présidente en exercice du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, devant l’APCE le lundi 30 septembre 2019 en ouverture de la session d’automne, pour avoir un échange informel avec elle, ainsi que l’ambassadeur représentant la France au Comité des Ministres, M. Jean-Baptiste Mattei, sur les avancées de ce semestre de présidence et dresser un premier bilan de ses acquis.

Outre Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, ont participé à cette rencontre Mme Nicole Duranton (Eure – Les Républicains), M. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche), Mme Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche), Mme Yolaine de Courson (Côte d’or – La République en Marche), M. André Gattolin (Hauts-de-Seine La République en Marche), M. Fabien Gouttefarde (Eure La République en Marche), M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains), M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche), Mme Catherine Kamowski (Isère – La République en Marche), Mme Isabelle Rauch (Moselle – La République en Marche) et Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche).

Les discussions ont notamment porté sur les sujets à l’agenda de la session d’automne, qu’il s’agisse des rapports de parlementaires français mais aussi de la définition d’une procédure de sanctions conjointe au Comité des Ministres, à l’APCE et au secrétariat général du Conseil de l’Europe à l’égard des États membres ne respectant pas leurs obligations. L’accent a plus particulièrement été mis, à son sujet, sur ses nécessaires crédibilité, prévisibilité et réversibilité.

Un premier bilan du déroulement de la présidence française du Comité des Ministres a également été dressé, une certaine unanimité se dégageant sur la réussite des événements organisés jusqu’alors, à l’instar de la Conférence des Cours suprêmes, à Paris les 12 et 13 septembre, ou de la Conférence de haut niveau organisée pour les 25 ans de l’ECRI, les 26 et 27 septembre suivants. Les futurs réunions ou colloques à venir, d’ici au passage à la présidence géorgienne du Comité des Ministres fin novembre, ont ensuite été évoqués, et notamment le colloque organisé au Sénat à l’initiative de la délégation française sur le thème des droits de l’Homme à l’ère numérique, le 14 novembre.

Enfin, la réunion a permis d’envisager les moyens de mieux promouvoir l’action du Conseil de l’Europe, de l’APCE et de la délégation française au service des citoyens, mais aussi d’analyser l’état de la coopération de l’Exécutif avec la délégation française, qui reste à conforter et à approfondir même si de réels progrès ont été constatés lors de la présidence du Comité des Ministres par notre pays.

2.   Un aparté au siège du Conseil de l’Europe avec M. Emmanuel Macron, Président de la République française

Peu après son allocution devant l’Assemblée parlementaire et ses échanges avec les membres de celle-ci, le mardi 1er octobre, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, a tenu à rencontrer et saluer l’ensemble des membres de la délégation française, présents dans leur quasi-intégralité pour l’occasion.

Lors de son bref échange avec la délégation française, le Président de la République a souligné l’importance qu’il accorde à l’action et aux missions du Conseil de l’Europe.

M. Emmanuel Macron a aussi encouragé les membres de la délégation française à continuer à s’investir pleinement dans leurs responsabilités à l’APCE et il a insisté sur la portée du travail accompli à Strasbourg en faveur des droits de l’Homme, du dialogue entre les peuples et de la paix.

Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, a ensuite eu l’occasion d’assister au déjeuner officiel offert au Président de la République par la Présidente de l’APCE.

3.   La participation de la délégation aux cérémonies officielles marquant le 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe

Mardi 1er octobre après-midi, sous le haut patronage du Président de la République française, les délégations parlementaires des États membres du Conseil de l’Europe ont participé, à l’opéra de Strasbourg, à une cérémonie célébrant les 70 ans de l’Organisation.

Étaient présents à cette cérémonie quelque 28 membres de la délégation française, à savoir : Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, Mme Nicole Duranton (Eure – Les Républicains), M. Olivier Becht (Haut-Rhin - UDI et Indépendants), Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain), M. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche), M. Bernard Cazeau (Dordogne – La République en Marche), Mme Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche), Mme Yolaine de Courson (Côte d’Or – La République en Marche), M. André Gattolin (Hauts-de-Seine La République en Marche), M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains), M. François Grosdidier (Moselle – Les Républicains), M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche), Mme Catherine Kamowski (Isère – La République en Marche), Mme Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés), M. Claude Kern (Bas-Rhin – Union Centriste), M. Jérôme Lambert (Charente – Socialistes et apparentés), Mme Martine Leguille-Balloy (Vendée – La République en Marche), M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste), Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône – La République en Marche), M. Jacques Maire (Hauts de Seine – La République en Marche), Mme Isabelle Rauch (Moselle – La République en Marche), M. André Reichardt (Bas-Rhin – Les Républicains), M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains), M. André Vallini (Isère – Socialiste et républicain), Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche), M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin – Mouvement Démocrate et apparentés), ainsi que Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche).

Outre deux interludes musicaux interprétés par l’orchestre philharmonique de Strasbourg – hymne européen, en ouverture, et extrait de la symphonie n° 1 en ré majeur de Gustav Mahler, en clôture –, cet événement a été marqué par la présence et la prise de parole des personnalités suivantes :

– M. Emmanuel Macron, Président de la République française ;

– M. António Gutteres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ;

– M. Felipe Gonzáles, ancien Premier ministre espagnol, président de la Fondation Felipe Gonzáles ;

– Mme Marija Pejčinović Burić, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, ainsi que M. Thorbjørn Jagland, son prédécesseur ;

– Mme Liliane Maury Pasquier, Présidente de l’APCE ;

– M. Luca Parmitano, astronaute de l’agence spatiale européenne (ESA), commandant de l’expédition 61 de la station spatiale internationale ;

– M. Roland Ries, maire de Strasbourg.

De même, en cette occasion, le Prix du concours de rédaction des jeunes et le Prix du concours photo spécialement lancés pour l’événement ont été décernés officiellement à leurs lauréats.

4.   Un dîner de travail avec les délégations francophones et des pays membres ou associés à l’Assemblée parlementaire de la francophonie au sein de l’APCE

L’article 12 du Statut du Conseil de l’Europe dispose que « Les langues officielles (…) sont le français et l’anglais ». Les membres de la délégation française ont donc souhaité, à l’occasion de la présidence par notre pays du Comité des Ministres, mettre l’accent sur la place reconnue à la langue nationale dans l’Organisation, y voyant le symbole d’une influence à défendre et à préserver face à un usage de plus en plus systématique de l’anglais dans les débats.

Désireux de renforcer les liens de la délégation française avec les délégations francophones et celles de pays s’inscrivant dans le cadre institutionnel de la francophonie, ils ont rencontré, à l’occasion d’un dîner de travail, leurs homologues des pays dans lesquels le français est l’une des langues reconnues, ainsi que ceux des pays membres ou associés à l’Assemblée parlementaire de la francophonie.

Participaient, à cet événement pour le compte de la délégation française, outre Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain), M. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche), M. Bernard Cazeau (Dordogne – La République en Marche), Mme Jennifer De Temmerman (Nord – La République en Marche), Mme Yolaine de Courson (Côte d’Or – La République en Marche), M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains), M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche), Mme Catherine Kamowski (Isère – La République en Marche), Mme Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés), M. Jérôme Lambert (Charente – Socialistes et apparentés), Mme Martine Leguille-Balloy (Vendée – La République en Marche), M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste), M. Jacques Maire (Hauts de Seine – La République en Marche), Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes – Les Républicains), Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche), et Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche).

Au titre des autres délégations invitées, ont assisté à ce dîner de nombreux parlementaires d’Andorre, d’Arménie, de la Belgique, de la Bulgarie, du Canada, de la Grèce, de la Hongrie, de la Lituanie, du Maroc, de la Macédoine du Nord, de Monaco, de la Pologne et de la Suisse. Au total, une cinquantaine d’élus, parmi lesquels la Présidente de l’Assemblée parlementaire, Mme Liliane Maury Pasquier (Suisse – SOC), et les Présidents des groupes PPE/DC et ADLE, MM. Aleksander Pociej (Pologne – PPE/DC) et Hendrik Daems (Belgique – ADLE), l’ancien Président français de l’Assemblée parlementaire M. Jean-Claude Mignon, et quelques secrétaires de délégations nationales francophones ont ainsi répondu à l’invitation qui leur avait été adressée.

Les échanges, conviviaux et exclusivement en français, ont porté sur les moyens de mieux valoriser l’usage de la langue française au sein de l’APCE, mais aussi sur certains dossiers d’intérêts mutuels entre les différentes délégations. L’idée de réitérer ce genre de rencontres, à l’avenir, a été évoquée.

5.   L’inauguration, dans l’enceinte du Palais de l’Europe, d’une exposition sur les droits de l’enfant co-parrainée par la délégation française

En ouverture de la session d’automne, le 30 septembre, une exposition co-parrainée par la délégation française à l’APCE et par la représentation permanente de la France à Strasbourg a été inaugurée à côté de l’hémicycle de l’APCE, au sein du Palais de l’Europe.

Intitulée « Comprends-moi », cette exposition consacrée au développement de l’enfant, dont le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire n’ont de cesse de défendre et promouvoir les droits, vise à faire comprendre les besoins des enfants, leurs phases de développement et les facteurs qui, dans leur éducation et leur prise en charge, sont la cause de problèmes de santé, d’inégalités et de pauvreté, d’échec scolaire et social, de transmission de la violence, de reproduction de schémas relationnels (notamment hommes-femmes). Elle plaide également en faveur de l’enjeu crucial que constitue un accompagnement de qualité dans la petite enfance. Objet d’un partenariat avec le Défenseur français des droits, elle a notablement inspiré son rapport de 2018, intitulé : « De la naissance à 6 ans : au commencement des droits »[6].

Répartie en plusieurs panneaux illustrant six thématiques (« Naître et tisser des liens », « Jouer et communiquer », « Bien vivre au quotidien », « Agir tôt », « Protéger l’enfant et ses droits », « Tout un village pour élever un enfant »), elle avait sillonné dans toute la France en 2017, sous la forme d’un train de la petite enfance, puis était partie à l’étranger, jusqu’à Dubaï, avant de revenir au Parlement européen. Il était donc opportun et logique de prolonger son étape strasbourgeoise au Palais de l’Europe, lors de la session d’automne de l’APCE.

Soutenue notamment par M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin – Mouvement Démocrate et apparentés), cette initiative a donné lieu à une brève allocution, le 30 septembre, de Mme Jennifer de Temmerman (Nord – La République en Marche). Parmi les autres membres de la délégation française, sont également venus à l’inauguration Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation, ainsi que Mmes Alexandra Louis (Bouches-du-RhôneLa République en Marche), Isabelle Rauch (Moselle – La République en Marche), Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche), et MM. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche) et Fabien Gouttefarde (Eure – La République en Marche).

Dans le prolongement de cette exposition, une conférence-débat s’est tenue le 2 octobre après-midi dans l’enceinte du Palais de l’Europe, sur le potentiel sous-estimé de la petite enfance et l’ambition de bâtir des politiques européennes pour un accueil de qualité pour les enfants les plus jeunes.


III.   Des dÉbats en sÉance plÉniÈre variÉs, riches et importants

Cette session d’automne 2019 de l’APCE a donné lieu à la discussion de plusieurs propositions de résolutions et de recommandations portant sur des sujets de préoccupation divers, mais importants et en phase avec l’actualité. Si les questions inhérentes à la défense des droits humains et de la démocratie ont logiquement accaparé une large part de l’ordre du jour, à travers des débats concernant aussi bien les lanceurs d’alerte que les institutions de médiateur en Europe ou les enjeux démocratiques au sein de certains pays, la protection des victimes – notamment celles d’attentats terroristes –, ainsi que la dimension inclusive de l’économie, le travail de mémoire à l’égard du patrimoine juif et la problématique des migrants ont également retenu la plus grande attention des parlementaires.

A.   la dÉfense des droits de l’Homme, de la dÉmocratie et de l’État de droit : une prioritÉ toujours aussi primordiale

Justification même de l’existence de l’APCE, le dialogue entre représentants des États membres sur le respect des standards communs en matière de droits humains et de règles démocratiques est constamment entretenu à travers des focus particuliers sur des problématiques tantôt transversales, tantôt propres à des pays précis. En cet automne 2019, ce type de débats a concerné deux sujets transversaux très contemporains, à savoir la protection des lanceurs d’alerte et l’harmonisation du cadre juridique des médiateurs en Europe, ainsi que des situations plus spécifiques, à travers le bilan du dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord, l’appréciation du fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova et, au titre d’un débat d’urgence, le contexte des dernières élections au conseil de la ville de Moscou.

1.   Deux sujets de fond très actuels

La protection des lanceurs d’alerte et la défense des institutions d’intermédiation entre les pouvoirs publics et les citoyens constituent aujourd’hui deux enjeux démocratiques forts. Il n’est par conséquent pas étonnant qu’elles aient retenu l’attention de l’APCE pour ses travaux.

a.   L’ambition d’améliorer la protection des lanceurs d’alerte en Europe

Lors de sa séance du mardi 1er octobre 2019 matin, l’APCE a adopté, sur le rapport de M. Sylvain Waserman (Bas-RhinMouvement Démocrate et apparentés), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’Homme, une résolution et une recommandation sur l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte en Europe.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a estimé que l’émergence des lanceurs d’alerte était une question de droits fondamentaux qui repose sur la liberté d’expression mais aussi un fait de société dans un monde de réseaux sociaux et de nouvelles technologies de l’information, où chaque citoyen qui veut lancer une alerte peut techniquement le faire.

La question qui se pose est celle de l’impact et des conséquences auxquelles s’exposent ces lanceurs d’alerte. Leur protection devient un marqueur démocratique car ils constituent un véritable garde-fou démocratique pour des enjeux majeurs comme la lutte contre la corruption, les atteintes graves à l’environnement ou la question des libertés individuelles. C’est pour cette raison qu’ils doivent trouver leur juste place dans la société et bénéficier d’un bon niveau de protection.

L’APCE s’est saisie du sujet dès 2010 dans un rapport porté par M. Peter Omtzig (Pays-Bas – PPE/DC) ; de même, les travaux du Conseil de l’Europe ont largement inspiré la directive adoptée en avril dernier par le Parlement européen. Ainsi, le Conseil de l’Europe a joué son rôle d’inspiration du droit et de proposition pour des évolutions législatives.

M. Sylvain Waserman a souligné que son travail s’appuyait sur trois sources :

– en premier lieu, une large consultation des membres du Conseil de l’Europe pour constituer un état des lieux des législations en la matière, 27 pays ayant répondu via le centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) ;

– en deuxième lieu, la tenue sur deux jours au Palais de l’Europe d’un événement intitulé « 48 heures Chrono sur les Lanceurs d’alerte », avec les regards croisés de près de 130 universitaires, journalistes, associations citoyennes ou des lanceurs d’alerte tels que M. Edward Snowden ;

– enfin, deux séries d’auditions sur le sujet par la commission des questions juridiques et de l’État de droit.

Le rapport soutient et promeut la directive européenne, étape majeure pour les évolutions législatives à venir, mais il pose surtout la question de l’étape d’après. À cet effet, il formule douze propositions, dont le rapporteur a livré quatre exemples.

Tout d’abord, le rapport préconise que chaque pays se dote d’une agence indépendante chargée d’accompagner les lanceurs d’alerte. Il s’agit ainsi d’avoir un interlocuteur fiable des instances judiciaires et, surtout, d’aider les lanceurs à savoir si la législation spécifique les concernant peut s’appliquer à leur cas particulier. Ces autorités indépendantes auraient vocation à constituer un véritable réseau européen.

Une autre proposition concerne les différentes évolutions législatives envisageables pour la protection des lanceurs d’alerte, notamment pour contrer les « procédures bâillons » qui visent à les étouffer au plan juridique. Est également proposée la création d’un fonds de soutien alimenté par le produit des sanctions pécuniaires infligées aux personnes ou organisations n’ayant pas respecté la législation en matière de lancement d’alerte, pour financer un soutien juridique à ceux qui feraient l’objet de procédures devant les instances judiciaires.

Parallèlement, il apparaît désormais nécessaire de faire évoluer le droit d’asile pour permettre aux lanceurs d’alerte de pouvoir y prétendre. Aujourd’hui les modalités de mise en œuvre ne sont pas adaptées aux enjeux.

Enfin, le rapporteur a défendu sa conviction de l’utilité de favoriser l’émergence, dans la société civile, d’un écosystème favorable à l’accompagnement des lanceurs d’alerte, en s’appuyant notamment sur les réseaux associatifs et l’engagement citoyen. Il s’agit là de rompre l’isolement auquel chaque lanceur d’alerte est parfois confronté. Ce faisant, chaque parlementaire a un rôle essentiel à jouer pour que, dans les différents États membres, la protection des lanceurs d’alerte soit pleinement effective. Pour les accompagner dans cette démarche, l’annexe II du rapport propose un outil d’auto-évaluation de l’état d’avancement des législations nationales, en les passant au crible de trente critères et de trente questions ; cette logique d’auto-évaluation pourra peut-être faire émerger des pistes d’amélioration au sein des Parlements nationaux.

M. Sylvain Waserman a conclu sur son adhésion totale à la démarche d’amélioration continue, qui dépend de chacun. La protection des lanceurs d’alerte est un sujet sur lequel les travaux de l’APCE peuvent être éclairants.

Intervenant comme oratrice au nom du groupe PPE/DC, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura – Les Républicains) a relevé qu’en France, le procès du Mediator montrait à lui seul l’importance de ces réveilleurs de conscience que sont souvent les lanceurs d’alerte. Malheureusement, si Mme Irène Frachon continue de mener une vie quasi normale, ce n’est pas le cas de la plupart des lanceurs d’alerte qui, dans leur majorité, se retrouvent sans emploi, embourbés dans des procédures judiciaires multiples, isolés et sans relais médiatique. C’est notamment le cas de ceux qui dénoncent les faits de corruption ou de fraude fiscale. Et dans certains pays, cela peut aller plus loin : emprisonnement arbitraire, pression sur la famille, torture voire assassinat.

De nombreux textes (directives de l’Union européenne, recommandations et résolutions du Conseil de l’Europe ou encore lois nationales) visent à protéger les lanceurs d’alerte mais en encadrant la procédure d’alerte. Dans tous ces textes existants ou en réflexion, il est mentionné que la protection s’applique aux personnes faisant un signalement d’actions ou d’omissions « constituant une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général ».

Or, il n’existe pas de définition juridique de la notion d’intérêt général. Celle-ci peut être interprétée, selon les systèmes de droit concernés, comme la somme d’intérêts particuliers ou comme une finalité, un intérêt supérieur à celui du simple individu. Mais qui décide de ce qui est bon pour tous ? Et de qui parle-t-on ? Ceci est un vrai débat.

Aujourd’hui, dans le domaine environnemental, la définition de l’intérêt général dépend beaucoup de qui en parle. De même, personne n’a défini le périmètre de communautés constituant l’intérêt commun dans les pays de common law. Par exemple, dans le domaine fiscal, où se situent les limites entre l’intérêt général et l’intérêt de la concurrence ?

Si les lanceurs d’alerte ne peuvent être protégés – comme c’est le cas dans la loi française – que s’ils se manifestent dans l’intérêt général, il conviendrait de tenter de trouver une réponse juridique claire. D’autant que dans plusieurs textes, le lanceur d’alerte, même s’il agit dans l’intérêt général, doit le faire en tenant compte de plusieurs restrictions (secret-défense, secret des affaires ou secret médical).

Dans ce contexte juridique complexe émerge la nécessité de réfléchir à un élargissement du droit d’asile aux lanceurs d’alerte, en particulier quand il est clair qu’ils sont en danger de mort dans leur pays d’origine ou de résidence. Les lanceurs d’alerte incitent au débat, à la réflexion, au libre arbitre, cette liberté de penser qui est le ciment de la culture démocratique. Le Conseil de l’Europe doit être au cœur de ce processus.

Mme Marietta Karamanli (SartheSocialistes et apparentés) a jugé le sujet très important pour les démocraties et les États. La loi française du 9 décembre 2016 a justement donné une définition précise de ce qu’est un lanceur d’alerte, à savoir, aux termes de l’article 6 de la loi dite « Sapin II », « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

En un mot, le législateur a entendu protéger celles ou ceux qui dénoncent un fait portant atteinte à la loi mais aussi à l’intérêt général, de façon disproportionnée, et aux droits des personnes. Et ce cas de figure touche des domaines aussi variés que de l’environnement, de la santé, ou de l’alimentation.

Le Parlement européen a approuvé, le 16 avril 2019, une proposition de directive pour aller un peu plus loin en s’inspirant justement des travaux du Conseil de l’Europe.

Deux observations de fond, complémentaires aux constats et recommandations du rapport, méritent plus particulièrement d’être formulées.

S’agissant tout d’abord de la proposition, pertinente, de création d’une autorité indépendante dans chaque pays et d’un réseau de ces différentes autorités nationales, bon nombre des États de l’Union européenne et hors Union disposent déjà d’une structure nationale des droits de l’Homme, indépendante et non-juridictionnelle, de telles structures pouvant servir d’appui à un tel réseau.

Pour ce qui concerne les principes posés, le plus dur reste de devoir concilier le droit à la protection des lanceurs d’alerte avec d’autres droits, à l’image de la nécessaire conciliation entre la protection du secret des affaires, à savoir les informations qui sont secrètes et qui ont une valeur commerciale en raison du fait qu’elles sont secrètes, et le droit à lancer une alerte.

Dans de nombreux cas, des discussions peuvent survenir. Dans ces conditions, il semble pertinent de prévoir un suivi ad hoc sur la protection des lanceurs d’alerte, la législation applicable et les principes opérationnels.

Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, a fait valoir que tout lanceur d’alerte, qu’il soit un individu, un groupe, une institution, joue un rôle capital dans les démocraties modernes : par la révélation désintéressée d’une information, d’un danger collectif ou d’une infraction grave, il enclenche le plus souvent un processus de régulation, de controverse et de mobilisation citoyenne bénéfique à l’intérêt général.

De William Mark Felt, alias « Gorge Profonde » dans l’affaire du Watergate, à Erin Brockovich s’agissant du scandale du chrome dans l’eau potable de Hinkley, en Californie, ou plus récemment d’Irène Frachon, ce médecin à l’origine des révélations sur le Mediator, à Edward Snowden, qui dénonça le système de surveillance généralisé des agences de renseignement américaines, qui ignore encore aujourd’hui l’existence de ces figures de défense des droits et du signalement des abus ou scandales en tous genres ?

S’ils agissent pour le bien commun, ces lanceurs d’alerte prennent de réels risques personnels au nom des causes qu’ils défendent. Ils mettent le plus souvent en péril leur situation professionnelle et financière, la tranquillité de leur vie privée et de leur famille, voire leur sécurité et leur image.

Le Conseil de l’Europe a, depuis plusieurs années déjà, pris fait et cause pour ces éclaireurs de l’opinion publique. L’APCE a voté plusieurs résolutions importantes à leur sujet, le Comité des Ministres a adopté une recommandation spécifique en 2015 et la Cour européenne des droits de l’Homme a développé une jurisprudence exigeante.

La récente proposition de directive sur la protection des personnes dénonçant des infractions au droit de l’Union européenne, adoptée le 19 avril 2019, a été largement inspirée par les acquis du Conseil de l’Europe sur les lanceurs d’alerte. Il faut y voir une illustration supplémentaire des apports de l’Organisation à l’Union européenne pour tout ce qui touche aux droits de l’Homme, à l’État de droit et à la démocratie.

Assez logiquement, la commission des questions juridiques invite les États membres du Conseil de l’Europe à s’inscrire dans les pas de la directive européenne, tout en retenant un champ d’application plus large. Cette incitation ne devrait pas réellement soulever de problème particulier pour les États membres de l’Union, dont certains – comme la France – ont mis en œuvre des législations qui sont somme toute assez proches. Elle est en revanche plus ambitieuse s’agissant des États non-membres de l’Union européenne.

La perspective d’une convention du Conseil de l’Europe sur le sujet, s’appuyant entre autres sur la recommandation du Comité des Ministres de 2015 mais également sur les propositions de l’Assemblée parlementaire, serait un signal fort au moment où l’Organisation célèbre son 70ème anniversaire. Cette idée, comme les autres propositions du rapporteur, ne peuvent que recueillir l’assentiment.

Mme Nicole Duranton (Eure – Les Républicains) a acquiescé au fait que l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe est devenue un marqueur démocratique. Le Conseil de l’Europe s’est saisi de ce sujet, qu’on appelait alors les « donneurs d’alerte », depuis près de dix ans. Les recommandations formulées alors par l’APCE furent suivies en 2014 d’une recommandation du Comité des Ministres. Depuis, comme plusieurs États membres, la France s’est dotée en 2016 d’une législation permettant d’assurer la protection juridique des lanceurs d’alerte.

Rappelant à son tour la définition légale des lanceurs d’alerte en droit français, elle a observé qu’ils bénéficient d’une clause d’irresponsabilité pénale, n’étant exclus de ce régime de protection que les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client.

Des débats sont en cours aujourd’hui au niveau de l’Union européenne, en vue de l’adoption d’une proposition de directive sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l’Union. Cette proposition s’inspire des travaux qui avaient été menés par le Conseil de l’Europe. Or, le Sénat français avait adopté une résolution européenne sur cette proposition de directive : tout en approuvant globalement l’économie générale du texte, la Haute assemblée avait formulé plusieurs recommandations concernant notamment la précision juridique du dispositif, la notion de désintéressement du lanceur d’alerte, la graduation de la procédure ou encore le régime juridique de protection.

Une fois la proposition de directive adoptée par le Conseil et le Parlement européens, le rapporteur de l’APCE juge souhaitable l’élaboration d’une convention du Conseil de l’Europe sur cet enjeu. Cette idée est pertinente car le Conseil de l’Europe a tenu un rôle précurseur en la matière. À l’occasion de ses 70 ans, le lancement d’un tel travail constituerait un signal important en faveur de la vitalité des démocraties, partout en Europe.

M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains) a constaté que les lanceurs d’alerte jouent un rôle particulièrement important dans différents domaines comme la lutte contre la corruption, l’utilisation illégale de données personnelles ou encore les menaces sur la santé publique. Protéger les citoyens implique donc de protéger les lanceurs d’alerte, et ce partout en Europe.

L’APCE travaille sur cette question depuis 2010 et une directive européenne devrait être adoptée au plus tard en 2020, s’inspirant largement des résolutions du Conseil de l’Europe sur le sujet. La future directive européenne prévoit que la bonne foi du lanceur d’alerte est présumée. Elle prévoit également une immunité pénale et civile relative aux conditions d’obtention de l’information, ainsi qu’une protection contre toute forme de représailles.

Qu’en est-il pour les États qui ne sont pas membres de l’Union européenne ? À cet égard, l’adoption d’une convention du Conseil de l’Europe sur ce sujet permettrait de garantir une protection effective des lanceurs d’alerte partout en Europe. Elle pourrait reprendre les principales dispositions de la future directive européenne en y ajoutant plusieurs améliorations :

– en premier lieu, prévoir une protection particulière pour les personnes travaillant dans le domaine de la sécurité nationale ; il s’agit de mieux encadrer les poursuites pénales pour violation du secret d’État, ces dispositions existant déjà dans la loi française, ce qui montre que cela est possible sans remettre en cause la sécurité nationale ;

– en deuxième lieu, créer une agence spécialisée dans chaque pays pour assister les lanceurs d’alerte ; cette agence disposerait de moyens suffisants pour soutenir les lanceurs d’alerte et leur garantirait une protection juridique et financière qui bénéficierait également à leur famille ;

– enfin, la définition retenue par la proposition de directive européenne devra, à l’échelle nationale, être étendue pour inclure toute personne dénonçant des violations d’une loi ou d’un règlement, quel que soit le secteur concerné.

Dans l’attente d’une convention établie par le Conseil de l’Europe sur cette question, les États membres de l’Organisation qui ne sont pas membres de l’Union européenne, devraient adopter des législations s’inspirant de la future directive européenne et des résolutions de l’APCE.

M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine – La République en Marche) s’est déclaré en phase avec les propositions du rapporteur, et notamment le lancement de négociations d’une convention du Conseil de l’Europe sur la protection des lanceurs d’alerte.

Il a rappelé s’être personnellement impliqué sur la situation des lanceurs d’alerte au niveau national à travers son rapport sur la lutte contre la délinquance financière, présenté en mars 2019 à l’Assemblée nationale française, puis s’est attardé sur un paradoxe : comment se fait-il que les plus grosses affaires de corruption, de fraude financière ou de fraude fiscale ne sortent pas par le biais des services des États ? Pourquoi les lanceurs d’alerte préfèrent-ils faire confiance à la presse plutôt qu’aux dispositifs juridiques prévus par les législations ? C’est le cas, par exemple, pour le scandale des Panama Papers, du DieselGate, des Luxleaks et d’autres.

Il faut bien le dire : malgré les législations récentes, les lanceurs d’alerte n’ont pas une confiance suffisante dans les États. Ils se sentent mieux protégés par la presse. Pour une personne qui ose lancer une alerte, combien hésitent ou renoncent. Il faut donc renforcer le statut et la protection des lanceurs d’alerte, comme le propose le rapport. Et ceci est urgent, y compris dans les États de l’Union européenne.

Il y a sans doute un point où il faut aller plus loin que la proposition de directive adoptée par le Parlement européen : il s’agit de la protection financière des lanceurs d’alerte. En général, ils perdent leur emploi et deviennent inemployables dans les entreprises du secteur dont ils viennent. Il n’y a pas non plus, en France par exemple, de tradition de rémunérer les lanceurs d’alerte, même quand ils permettent aux États de récupérer beaucoup d’argent. Dans le cas de l’affaire de la banque suisse UBS, par exemple, pour des faits similaires, la lanceuse d’alerte française Stéphanie Gibaud a obtenu du juge une indemnité symbolique de 3 000 euros alors qu’au même moment, son collègue Bradley Birkenfeld obtenait 75 millions de dollars de commissions en application de la loi américaine.

Par ailleurs, en France, à l’occasion de la « loi Sapin II » de décembre 2016, le principe d’une assistance financière pour les frais juridiques des lanceurs d’alerte a été censuré par le Conseil Constitutionnel. Or, la résolution débattue par l’APCE se limite à proposer un fonds de soutien juridique ; c’est utile mais très insuffisant. Il faut aller plus loin. Sans en venir à un système de chasseurs de primes, comme aux États-Unis, non conforme à notre culture et porteur d’effets pervers, on devrait pouvoir établir le principe d’un secours financier au profit des lanceurs d’alerte en difficulté. Il serait aussi envisageable de leur offrir la possibilité d’accéder plus facilement à l’emploi public pour leur permettre une réinsertion plus aisée par le travail.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche) a elle aussi considéré que les lanceurs d’alerte jouent un rôle central dans nos démocraties et que les dysfonctionnements qu’ils révèlent contribuent directement à leur vitalité. Edward Snowden a ainsi risqué sa vie pour améliorer celles des autres : grâce à ses révélations, le monde est un peu plus juste et un peu plus libre. Cependant, son éventuel accueil en France ne serait pas sans poser problème. La question est subtile, multiface et doit faire l’objet d’une plus grande réflexion.

Elle a ensuite souhaité que le rapporteur puisse préciser ultérieurement sa position quant à l’accueil de M. Snowden en France, notamment au vu des difficultés politiques et diplomatiques que cela poserait ; de ce point de vue, la possibilité d’opter pour une demande d’asile constitutionnelle plutôt que conventionnelle serait-elle une piste méritant d’être étudiée ? De même, elle a appelé le rapporteur à définir comment il envisageait le fonctionnement d’un système d’asile propre aux lanceurs d’alerte, notamment à l’échelle européenne, en prenant en compte les divergences politiques au sein du continent européen, qui pourraient mettre à mal le bon fonctionnement d’un tel système.

Lors du vote sur le texte de la résolution, l’APCE a adopté, moyennant un sous-amendement oral du rapporteur, un amendement déposé par Mme Isabelle Rauch (Moselle – La République en Marche) et plusieurs membres de la délégation française (amendement n° 3), visant à souligner la nécessaire évolution du droit d’asile pour les lanceurs d’alerte et à proposer qu’elle puisse faire l’objet d’une convention internationale sous l’égide du Conseil de l’Europe.

b.   La recherche de normes communes pour les institutions de médiateur sur le continent

Au cours de sa première séance du mercredi 2 octobre 2019, l’Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de Lord Richard Balfe (Royaume-Uni – CE), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’Homme, une résolution et une recommandation sur la nécessité d’un ensemble de normes communes pour les institutions du médiateur en Europe.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a rappelé que le Conseil de l’Europe et l’APCE ont toujours encouragé la création et le renforcement d’institutions de médiation, en particulier à travers la résolution 1959(2013). Les États membres qui ont mis en place ce type d’institutions doivent veiller à ce qu’elles remplissent un certain nombre de critères, en particulier en ce qui concerne leur indépendance.

Il n’existe pas de modèle standardisé de l’institution de médiateur. Certains examinent les cas de mauvaise administration et d’autres sont des défenseurs des droits de l’Homme.

Lord Richard Balfe a regretté que, ces dernières années, de nombreux médiateurs aient été confrontés à des menaces, y compris législatives. Certaines réformes ont visé à affaiblir leur institution, à pratiquer des coupes budgétaires injustifiées, ou à mener des audits et dresser des obstacles pour accéder aux informations nécessaires. Quelques médiateurs ont également fait l’objet d’attaques verbales de la part de responsables politiques, de même que du pouvoir judiciaire.

La commission des questions juridiques et des droits de l’Homme a souhaité promouvoir un ensemble de principes, en coopération étroite avec la Commission de Venise. Ceux-ci s’inspirent des Principes de Paris, relatifs au statut des institutions de défense des droits de l’Homme, adoptés par les Nations Unies en 1993. Parallèlement à la réflexion engagée à l’APCE, la Commission de Venise, a entamé la rédaction d’un recueil de principes relatifs à la protection et à la promotion de l’institution de médiateur, en coopération avec les principales institutions internationales, y compris le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme. Ces principes dits « de Venise » ont finalement été adoptés le 15 mars 2019 et approuvés le 2 mai suivant ; ils peuvent jouer un rôle important en termes de normes minimales.

Les Principes de Venise insistent sur l’indépendance, l’objectivité, la transparence, l’équité et l’impartialité, au fondement des institutions de médiation. Ils se déclinent en vingt-cinq règles de base, afin d’accroître l’efficacité des médiateurs et d’aider les Parlements, les Gouvernements et les organismes publics à consolider ou établir, le cas échéant, ces institutions au service du renforcement de la démocratie, de la légalité et des droits de l’Homme.

L’APCE est donc invitée à souscrire aux Principes de Venise de la même manière qu’elle a souscrit aux principes pour l’État de droit établis en 2017. Il lui est également demandé d’inciter les Parlements et les Gouvernements nationaux à s’y référer systématiquement et à encourager tous les États membres de la Commission de Venise qui n’ont pas encore mis en place des institutions de médiateur classiques à le faire.

Le 5 septembre 2019, le Comité des Ministres a tenu un débat informel sur le rôle des médiateurs et des institutions nationales de défense des droits de l’Homme. En juin, le comité directeur pour les droits de l’Homme a approuvé un projet de recommandation sur le développement des institutions de médiateur, lequel exprime sa profonde préoccupation devant les conditions de travail difficiles de nombreux médiateurs et fait référence aux principes de Venise. Les Principes de Venise et ceux de Paris se complétant, il convient à présent de renforcer la coopération entre le Conseil de l’Europe et les Nations Unies.

M. André Vallini (Isère – Socialiste et républicain) a rappelé que le Conseil de l’Europe avait toujours soutenu la création de l’institution des médiateurs, dans la mesure où celle-ci apporte une protection supplémentaire aux citoyens et contribue à renforcer l’État de droit. Si la forme que prend cette institution peut varier d’un État à un autre, il est nécessaire que certains principes soient respectés pour en garantir l’indépendance et l’efficacité.

L’APCE est appelée à soutenir ces principes car tous les médiateurs ne bénéficient pas de garanties essentielles à leur mission. En effet, la montée de Gouvernements populistes, de plus en plus autoritaires, menace ces institutions et certains des États membres font peser sur leurs médiateurs des pressions tout en entravant leur action. Ils vont même jusqu’à refuser de leur communiquer les informations dont ils ont besoin pour remplir leur mission, réduire leur budget pour limiter leur capacité d’action ou les prendre publiquement à partie. En France, même, le Ministre de l’Intérieur a également publiquement critiqué les observations du Défenseur des droits sur l’usage d’armes non létales par les forces de l’ordre lors des manifestations de gilets jaunes.

Le statut des institutions de médiateur doit donc respecter certains principes clairs : une procédure de nomination rigoureuse et transparente, l’indépendance financière totale, un véritable pouvoir de contrôle sur pièces et sur place et un champ de compétences clairement défini. Ce n’est qu’à ces conditions que les institutions de médiateur pourront vraiment être utiles aux citoyens.

Les pays qui ne disposent pas de médiateur devraient sérieusement envisager d’y remédier et leurs parlementaires les encourager à le faire. Il s’agit d’un outil efficace, d’abord pour corriger les abus de pouvoir et les carences des administrations publiques, ensuite pour lutter contre les discriminations pour préserver les droits des usagers des services publics, et enfin – c’est le plus important – pour mieux protéger les citoyens dans nos démocraties et faire respecter l’État de droit.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) a constaté que le médiateur est un mécanisme particulièrement répandu parmi les États membres du Conseil de l’Europe. Cependant, cette large diffusion du modèle de l’ombudsman, bien connu en Europe du Nord, fait presque oublier que ce mécanisme est relativement récent. Ainsi, en France, le médiateur de la République a émergé lentement à partir de 1973.

L’institution de médiateur modifie beaucoup d’habitudes et de pratiques, dans des États dans lesquels le juge semble être le seul à même de faire respecter la règle de droit. Cependant, pour s’en tenir toujours à la France, force est de constater que c’est une réussite, comme en atteste l’exemple du médiateur national du crédit, à l’écoute et à la disposition des entreprises françaises connaissant des difficultés de financement : très concrètement, ce sont 900 entreprises employant 11 000 personnes qui ont été sauvées, selon le rapport annuel de cette institution en 2017. De la même manière, la loi d’août 2018 pour un État au service d’une société de confiance a prévu des procédures de médiation rapides et sans frais dans le cas des litiges touchant à la protection sociale, par nature complexes.

Il reste que l’institution du médiateur, que l’on croyait confortée ou banalisée, est parfois menacée. Pas toujours de manière frontale ou visible mais par des moyens plus subtils, tels que les restrictions budgétaires, les audits injustifiés, les retards dans les nominations. En outre, la saisine du médiateur devrait être améliorée. Il faut le considérer comme un mode alternatif de règlement des conflits très efficace. À cet égard, permettre que la saisine du médiateur puisse avoir un effet suspensif sur les délais de saisine d’une juridiction renforcerait la place de la médiation dans les procédures en vigueur.

En définitive, M. Frédéric Reiss a déclaré soutenir pleinement l’ambition d’imposer des normes communes à l’ensemble des institutions assurant ce difficile office de la médiation. Les Principes de Venise pourront irriguer les futures institutions d’ombudsman, comme celles qui pourraient être chargées des questions liées à l’Internet, objet d’un prochain rapport devant l’APCE à Strasbourg.

2.   Trois dossiers plus spécifiques justifiant une certaine vigilance

L’Assemblée parlementaire suit très attentivement les développements qui concernent la situation des minorités, des populations vulnérables et des citoyens dans les pays faisant l’objet d’un monitoring continu en matière de droits de l’Homme. Dans ce cadre, elle a débattu lors de cette session d’automne de trois dossiers concernant la Macédoine du Nord et la Moldavie, ainsi que les dernières élections municipales à Moscou. Le cas des Tatars de Crimée initialement inscrit lui aussi à l’ordre du jour, a quant à lui, été retiré en raison d’un report souhaité par la commission en charge de la préparation du rapport sur le sujet.

a.   Le bilan du dialogue post-suivi engagé par l’APCE avec la Macédoine du Nord

En clôture des débats du 2 octobre 2019, l’Assemblée parlementaire a approuvé, sur le rapport de Mme Lise Christoffersen (Norvège – SOC) et M. Aleksander Pociej (Pologne – PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe, une résolution sur le dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord.

En ouverture de la discussion générale, Mme Lise Christoffersen, co-rapporteure, a rappelé que la Macédoine du Nord a adhéré au Conseil de l’Europe en 1995 et participe, depuis 2000, à un dialogue post-suivi. Depuis lors, le pays est attaché à son intégration euro-atlantique, non sans obstacles. Parmi eux, le différend avec la Grèce a connu une percée en juin 2018 avec l’Accord de Prespa, signé par les deux pays.

De même, un accord d’amitié, de coopération et de bon voisinage a été signé avec la Bulgarie en 2017. Les accords de Przino, parrainés par l’Union européenne, ont finalement abouti à un changement de pouvoir en 2016 et à la mise en place d’un bureau du procureur spécial chargé d’enquêter sur des crimes de nature politique, découlant notamment de l’écoute illicite de conversations téléphoniques. Ce bureau a inculpé un grand nombre de personnes pour différentes formes de corruption : l’une d’elles est l’ancien Premier ministre, M. Gruevski, qui a fui le pays et s’est vu accorder l’asile en Hongrie.

Le monitoring effectué par les co-rapporteurs salue les projets ambitieux de réforme dans quatre domaines clés : le système judiciaire, les services de sécurité, l’administration publique et la lutte contre la corruption. Les autorités nationales coopèrent à cet effet avec le Conseil de l’Europe. Le cadre juridique concernant le fonctionnement des services de sécurité nationale a évolué et un suivi de leurs activités par une commission parlementaire présidée par l’opposition a été mis en place.

De même, des mesures ont été prises pour accroître l’indépendance du système judiciaire. Néanmoins, malgré des réunions de haut niveau, aucun accord n’a encore été trouvé sur une nouvelle loi sur le parquet. Dernièrement, cette question est devenue encore plus compliquée en raison d’une prétendue affaire d’extorsion de fonds, révélée par des médias italiens, impliquant trois hommes d’affaires et le bureau du procureur spécial, qui a conduit à la démission et à l’arrestation de la procureure spéciale elle-même ; peu après, cette dernière a également été destituée à l’unanimité par le Parlement.

La corruption demeure donc un problème grave, malgré une nouvelle législation et l’installation d’une nouvelle commission d’État pour la prévention de la corruption. Le groupe d’États contre la corruption (GRECO) signale en particulier la persistance de faits de corruption parmi les membres du Parlement, les juges, les procureurs et la police. Parallèlement, le système électoral doit être réformé et le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a appelé à une amélioration des conditions dans les prisons. Des initiatives ont toutefois été initiées dans la bonne direction. L’ECRI, quant à elle, a recommandé un renforcement de l’institution du médiateur.

Des développements positifs s’observent dans le domaine des médias mais le manque d’indépendance et le défaut de ressources financières restent des défis. Des progrès ont aussi été accomplis dans la lutte contre les discriminations, mais les relations interethniques restent fragiles malgré l’accord-cadre d’Ohrid. Il n’en demeure pas moins que la Macédoine du Nord a ratifié la convention d’Istanbul, qu’une loi anti-discriminations a été adoptée en incluant les personnes LGBTI et que la première marche des fiertés à Skopje s’est déroulée en juin 2019.

En conclusion, la co-rapporteure a souligné que la commission de suivi notait des progrès importants, en particulier avec l’adoption de la nouvelle législation relative à l’indépendance du pouvoir judiciaire et à la lutte contre la corruption. Les forces politiques en présence ont démontré leur capacité à trouver des compromis tout au long d’une série de crises politiques graves. Le Parlement travaille et il n’y a pas de boycott de l’opposition. Pour autant, le dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord doit se poursuivre, en le centrant sur les institutions démocratiques, l’indépendance du pouvoir judiciaire, la lutte contre la corruption, l’amélioration du système électoral et les droits des minorités.

M. Aleksander Pociej, autre co-rapporteur, a pour sa part souhaité insister sur deux enjeux : d’une part, sa conviction que l’accord de Prespa, signé en 2018 avec la Grèce, est une voie essentielle pour l’avenir de la Macédoine du Nord ; d’autre part, l’importance de renforcer le système judiciaire du pays et de tout mettre en œuvre pour le rendre complètement indépendant.

Intervenant au nom du groupe PPE/DC, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura – PPE/DC) a salué la qualité du travail très documenté de la commission du monitoring sur la situation en Macédoine du Nord. Si les avancées sont nombreuses, notamment avec l’accord de Prespa, il est néanmoins nécessaire de poursuivre le dialogue avec la commission de suivi. Deux points sont à cet égard essentiels :

– premièrement, le fonctionnement de la Commission nationale électorale et la base électorale, dont les inscriptions sur les listes électorales, sont trop souvent contestés par les électeurs. Ce premier problème, constaté personnellement lors des missions d’observation électorales dans ce pays, est à mettre en corrélation avec la délicate question du recensement de la population. En effet, le dernier recensement en Macédoine du Nord date de 2002, il y a dix-sept ans. Il apparaît nécessaire de mieux connaître les populations Roms et albanaises, pas dans une optique statistique, mais dans l’intérêt du fonctionnement réel de la démocratie. Pour cette raison, la prévision d’un recensement en 2020 doit se concrétiser impérativement ;

– deuxièmement, la situation dans les prisons demeure inquiétante. Si l’on ne peut que se réjouir que la Banque de développement du Conseil de l’Europe ait financé la reconstruction de la prison d’Idrizovo, beaucoup reste à faire. Il serait donc utile que le travail de la commission du monitoring soit transmis avec les rapports du CPT aux représentants des États membres de l’Union européenne qui débattront, le 15 octobre au Conseil des affaires générales, du processus d’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union.

Il est clair que cette perspective européenne constitue pour la Macédoine du Nord un accélérateur pour la mise en œuvre des réformes économiques. Cependant, le dialogue engagé au Conseil de l’Europe est plus important, en aidant la Macédoine du Nord dans les réformes touchant à l’État de droit, aux droits de l’Homme et à la démocratie.

S’exprimant au nom du groupe ADLE, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine – La République en Marche) a tenu à saluer l’Accord de Prespa du 17 juin 2018. M. Zaev a montré, à l’occasion de cette décision difficile, une dimension et la qualité d’un véritable homme d’État. Sur place, le 27 janvier 2019, le jour même où le Parlement grec a ratifié l’accord, il était palpable que le changement de nom est désormais clairement accepté par la population, qui apprécie la fin de cette mise à l’écart de la communauté internationale.

La Macédoine du Nord est désormais concentrée sur son programme de réformes, impatiente d’une ouverture des négociations avec l’Union européenne. Les difficultés sont connues et elles ont été rappelées : la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, la réforme de la justice et, bien sûr, celle des services de renseignement et de l’administration publique.

Les réformes initiées par le Gouvernement dans le but d’améliorer l’indépendance du système judiciaire méritent d’être saluées. Reste malgré tout la question des élections, et notamment celles des listes électorales. Le recensement ne peut plus être différé de longues années, malgré sa sensibilité politique.

L’actualité montre néanmoins que la situation n’est pas toujours satisfaisante. La poursuite pour faits de corruption contre la procureure spéciale chargée d’enquêter depuis 2015 interpelle à cet égard. De ce fait, le groupe ADLE soutient les recommandations de la commission du monitoring mais il pense qu’il convient d’aller plus loin. La Macédoine du Nord franchit des étapes dans de nombreux domaines mais elle ne le fait ni assez vite, ni assez fortement, et cela malgré l’engagement de ses dirigeants.

Le contexte local ne facilite pas l’adoption des textes. L’opposition ne boycotte pas les institutions, à la différence d’autres pays de la région, mais la réforme de l’organisation judiciaire nécessite deux tiers des voix au Parlement, ce qui entraîne des négociations à la baisse. Il faut mettre également l’accent sur les changements de comportements et la mise en œuvre effective des réformes. Il est donc temps de réfléchir à une implication plus directe du Conseil de l’Europe dans la conduite des réformes à travers le monitoring, bien sûr, mais aussi en impliquant d’autres institutions de référence, comme la Commission de Venise ou le GRECO. Cette préconisation est importante pour le démarrage, dès que possible, des négociations d’adhésion à l’Union européenne, objectif central de la Macédoine du Nord pleinement partagé à l’APCE.

b.   L’évaluation du fonctionnement des institutions démocratiques de la Moldavie

Le 3 octobre 2019, l’APCE a examiné, sur le rapport de Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain) et M. Egidijus Vareikis (Lituanie – PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe, une résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova.

En ouverture du débat, Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure, a souligné le caractère inhabituel, sur le fond et la forme, du rapport examiné par l’Assemblée parlementaire. Ce dernier a en effet été inscrit à l’ordre du jour à la suite de la crise politique et constitutionnelle de juin 2019 et vise à examiner les réformes attendues, après des accords politiques hors du commun trouvés à l’issue de trois mois d’errance gouvernementale, constitutionnelle et judiciaire.

En février 2019, un Parlement divisé, sans majorité claire, a été élu. Le 7 juin, la Cour constitutionnelle jugeait que le délai de formation d’une majorité parlementaire avait expiré, appelait à la convocation de nouvelles élections parlementaires et décidait de la suspension du Président de la République ; une série de décisions qui, selon la Commission de Venise, ne remplissaient pas les conditions requises. Après les dérives de la Cour Constitutionnelle soutenant le parti démocrate vaincu, et devant l’instabilité et l’insécurité grandissantes, une coalition inattendue s’est mise en place entre le parti socialiste du Président Dodon, pro-russe, et le Bloc ACUM, pro-européen, formé par le parti de Maia Sandu et de Andrei Nastase. Ces deux formations politiques, pourtant antagonistes, signaient un « accord politique temporaire sur la désoligarchisation de la Moldavie » et s’engageaient résolument à dépolitiser le pays ainsi qu’à lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent.

La vie politique et sociale du pays a subi de profonds changements depuis la chute du Gouvernement du Parti démocrate, la fuite de son leader Vladimir Plahotnuic, et l’élection d’un nouveau chef de parti Pavel Filip – ancien Premier ministre, qui s’est engagé à rejoindre les rangs de l’opposition parlementaire – mais aussi la fuite de l’homme d’affaires Ilan Shor, chef du parti Shor, condamné dans le scandale de la fraude bancaire de 2014 et néanmoins élu au Parlement en février 2019. Le pays vit donc, actuellement, une période de transition démocratique. Il faut souligner que le transfert de pouvoirs s’est effectué de manière pacifique, grâce à la résilience dont ont fait preuve les Moldaves dans cette période incertaine.

Le peuple moldave attend beaucoup du Gouvernement, et en premier lieu l’amélioration de ses conditions de vie et de ses espoirs pour le futur, alors que le pays se vide de ses habitants. La majorité actuelle reflète, aujourd’hui, l’état de la société moldave dans ses composantes diverses, et traduit le choix exprimé par les électeurs. Un nouvel accord politique vient juste d’être signé entre les deux partis pour fixer les priorités à moyen et long termes. Des élections locales doivent se tenir le 20 octobre, sous l’observation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Il ne faut pas oublier que l’annulation des élections municipales à Chisinau, en juin 2018, avait été l’un des facteurs déclencheurs de cette période chaotique. Ces élections locales seront un test démocratique pour le pays.

Lors de leur déplacement sur place, les co-rapporteurs ont constaté une détermination très forte à rétablir la confiance des citoyens dans la vie politique et dans la justice, éradiquer les mécanismes de corruption quels qu’ils soient et ainsi, rétablir le dialogue avec les partenaires internationaux.

La Première ministre Mme Maia Sandu, avec l’aide du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, a lancé des réformes ambitieuses et courageuses, en premier lieu dans le domaine de la justice : sans justice indépendante, point d’État de droit. Les réformes entreprises visent à assainir le système judiciaire et à le prémunir des politiques affairistes. Les mesures prises visent aussi à s’attaquer à des dysfonctionnements emblématiques des institutions, à commencer par le scandale bancaire, non élucidé à ce jour. Des enquêtes diligentes et approfondies doivent être menées, et le nouveau Parlement moldave entend prendre toute sa part à ce processus avec la création de plusieurs commissions d’enquête.

Évoquant les réformes lancées par le nouveau Gouvernement, Mme Maryvonne Blondin a plus particulièrement cité l’abolition du système électoral mixte qui avait été critiqué par la Commission de Venise et le retour à un système électoral proportionnel, la révocation des hauts fonctionnaires qui n’auraient pas exercé leurs fonctions de manière neutre, le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil supérieur de la magistrature et du parquet, la modification des règles de sélection du procureur général, sujet particulièrement sensible. Des contacts et des coopérations ont d’ores et déjà été établis par les autorités moldaves avec le Conseil de l’Europe pour soutenir ces réformes.

La Commission de Venise, qui a joué un rôle décisif avec son avis de juin 2019, doit adopter très prochainement un avis portant sur le projet de loi sur la réforme de la Cour suprême de justice et du parquet. Le GRECO a publié dernièrement ses recommandations pour prévenir la corruption parmi les juges, les procureurs et les parlementaires qui devront adopter un code de conduite afin d’accroître la transparence. Il apparaît souhaitable, à présent, que le Gouvernement et le Parlement moldaves ratifient la convention d’Istanbul.

Des résistances demeurent à l’égard de la réforme du système judiciaire dans son ensemble, y compris dans la formation des juges. La révocation du mandat de l’ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature par une assemblée générale extraordinaire des juges pose de sérieuses questions. Dans le même temps, l’opération d’assainissement des institutions ne doit pas se transformer en chasse aux sorcières. Pour toutes ces raisons, s’il faut se féliciter du chemin emprunté par les autorités moldaves, l’APCE doit poursuivre son monitoring dans cette période sensible d’un pays « à la croisée des mondes », comme le souligne Mme Josette Durrieu dans un récent ouvrage sur le pays.

Intervenant au nom du groupe PPE/DC, M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) a salué la qualité du travail de la commission du suivi, lequel restitue la réalité de la situation actuelle de la République de Moldavie. Indiquant avoir passé, comme membre du groupe d’amitié France-Moldavie de l’Assemblée nationale, une semaine dans cette jeune République née après la chute du mur de Berlin, il a souligné avoir constaté que la coalition entre le bloc ACUM et le parti socialiste était déterminée à éradiquer l’influence néfaste des oligarques et à lutter contre la corruption qui, depuis trop longtemps, gangrène le pays.

Le jeune Parlement actuel ne manque pas de bonnes intentions et sait qu’il n’a pas d’expérience. Mais lorsqu’on entend une députée moldave affirmer : « la démocratie ne peut être forte que si nous nous battons pour elle chaque jour », on ne peut qu’être confiant pour l’avenir du pays.

Les prochaines élections locales, où l’un des enjeux sera la mairie de Chisinau, vont être capitales : si la coalition actuelle passe cette épreuve avec succès, alors l’optimisme sera de mise. Néanmoins, le pays est asséché financièrement ; aussi, la création d’un Conseil économique auprès du Parlement est une bonne initiative. De même, la mise en œuvre de l’Accord d’association avec l’Union européenne, le respect des recommandations du Fonds monétaire international (FMI) ou, encore, la nomination d’un nouveau directeur du système douanier, vont dans le bon sens.

Quant à la Transnistrie, ce fameux conflit gelé, une évolution encore peu perceptible pourrait déboucher sur une réunification après que les deux rives du Dniestr se soient, malheureusement, écartées. M. Jean-Claude Mignon, lorsqu’il présidait l’APCE, n’avait pas ménagé ses efforts pour mettre fin à ce conflit. Aujourd’hui, la France et d’autres pays sont prêts à contribuer à un règlement global, pacifique et durable, qui ne pourra être que fondé sur la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République de Moldavie.

Le Gouvernement moldave actuel affiche clairement ses priorités : l’intégration européenne, la lutte contre la corruption avec la réforme du système judiciaire et la défense des droits de l’Homme, avec une prochaine ratification de la convention d’Istanbul. Il doit persévérer et faire preuve d’audace pour offrir un avenir meilleur à cette jeunesse moldave qui le mérite.

En tout état de cause, le groupe PPE/DC soutient pleinement l’excellent travail des deux co-rapporteurs de la commission du suivi.

M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) a relevé que le travail des co-rapporteurs présentait avec beaucoup de précisions la situation institutionnelle et politique en Moldavie. La crise qui s’est ouverte en juin 2019, lorsque la Cour constitutionnelle a décidé de dissoudre le Parlement, puis de suspendre temporairement le Président de la République, aurait pu avoir des conséquences désastreuses ; fort heureusement, les Moldaves ont su faire preuve de sang-froid et gérer pacifiquement cette crise.

Cette dernière a illustré la faillite du système judiciaire, dont l’indépendance est sans cesse remise en cause. Des réformes sont nécessaires pour limiter le rôle de l’Exécutif dans le processus de nomination et de révocation des juges. Ceux-ci doivent être mieux rémunérés et mieux formés. Pour cela, l’assistance de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe est nécessaire. La coalition au pouvoir doit prendre les mesures nécessaires pour répondre aux recommandations du GRECO dans ce domaine.

Mais les travers du système judiciaire ne sont que la conséquence d’une corruption particulièrement développée et du blanchiment de capitaux. En 2014, un milliard de dollars a disparu des comptes de trois grandes banques nationales. On se demande encore comment les services de l’État n’ont pas pu empêcher une telle fraude ! Pire encore, les investigations menées à la suite de ce scandale n’ont toujours pas permis d’établir quels sont les bénéficiaires de ces malversations. Il est clair que certains oligarques se sont enrichis au détriment de l’État moldave et de ses citoyens. Le Gouvernement actuel devra faire la lumière sur ce scandale.

En outre, pour retrouver la confiance des citoyens, il sera également nécessaire de garantir les règles d’équité lors des scrutins électoraux, notamment en matière de financement et d’accès aux médias. Ceci constituerait un pas décisif dans la lutte contre les oligarques et pour le renforcement des institutions démocratiques.

Enfin, en Transnistrie, une solution négociée passe par la mise en œuvre des mesures de confiance définies dans le protocole de Berlin en 2016. Le Président Dodon souhaite faire du respect des droits de l’Homme et de la démocratisation de la région une priorité. Pour cela, il est nécessaire que les élections locales d’octobre puissent se dérouler dans les meilleures conditions. Le concours de la Russie sera aussi déterminant. Le retour des parlementaires russes au sein de l’APCE devrait permettre de faciliter le dialogue dans cette région.

c.   La violation des droits démocratiques et la répression des manifestations en Russie lors des élections au Conseil de Moscou

Jeudi 3 octobre 2019, sur proposition du groupe ADLE, ratifiée par l’Assemblée parlementaire par 77 voix contre 33, l’APCE a tenu un débat d’actualité sur la violation des droits démocratiques et la répression des manifestations pacifiques en Fédération de Russie, dans le contexte des élections au Conseil de la ville de Moscou.

En introduction de ce débat, M. Martin Poliačik (République slovaque – ADLE), orateur désigné à cet effet par le groupe ADLE, a fait valoir que la Fédération de Russie avait mal appris sa leçon en matière de démocratie, en dépit des sept résolutions adoptées à son égard par l’Assemblée parlementaire au cours des cinq dernières années. Malgré l’échange de quelques prisonniers entre la Russie et l’Ukraine, de nouveaux faits très inquiétants ont marqué les élections locales à Moscou et à Saint-Pétersbourg.

De nombreux candidats de l’opposition ont été privés de leur droit de participer à des élections justes et démocratiques. Les commissions électorales de Moscou ont officiellement refusé d’enregistrer plusieurs candidats démocratiques aux élections au Conseil de la ville. De même, la procédure de vérification des signatures des candidats manquait de transparence.

Le droit de participer à des élections justes et démocratiques est un droit fondamental, qui garantit que tout pouvoir détenu par les représentants élus provient véritablement des citoyens. Le blocage de candidatures crée une situation dans laquelle ce droit des citoyens est violé. Dès lors, il est compréhensible que plus de 20 000 manifestants se soient rassemblés et aient réclamé la participation de candidats de l’opposition aux élections au Conseil de la ville de Moscou. Selon diverses sources, comme le Wall Street Journal, plus de 2 000 personnes auraient été arrêtées lors de ces manifestations, plus de cinquante personnes détenues étant mineures.

La raison pour laquelle le groupe ADLE a souhaité la tenue de ce débat d’actualité est l’absence de bonne volonté de la part des autorités russes. La Fédération de Russie doit remplir ses obligations d’État membre. Aussi, il est tout à fait inacceptable de constater des situations comme celle d’Ivan Podkopayev, âgé de 25 ans et condamné à trois ans de prison pour avoir participé aux manifestations de Moscou, de Danila Begletz, 27 ans, condamnée à deux ans de prison pour avoir participé à des manifestations, ou de Kirill Zhukov, 28 ans, condamné à trois ans pour avoir participé à des manifestations.

En conclusion, M. Martin Poliačik a estimé que chaque pays membre du Conseil de l’Europe devrait pouvoir permettre à toutes les personnes qui le souhaitent de se présenter aux élections sans obstacle. Il a en outre défendu le droit des citoyens à protester avec dignité, comme des personnes qui souhaitent protéger la démocratie dans leur pays.

S’exprimant au nom du groupe ADLE, M. Bertrand Bouyx (Calvados – La République en Marche) a observé que la capitale de la Russie avait connu ces derniers mois un niveau de tension extrême autour des élections municipales qui se sont tenues le 8 septembre : des candidats empêchés de se présenter, des meneurs de l’opposition emprisonnés de manières répétées pour leurs appels à manifester, près de 2 700 manifestants arrêtés et enfin des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Le groupe ADLE condamne avec la plus grande fermeté la répression particulièrement violente qui a eu cours tout au long de l’été dans les rues de Moscou, en raison de son profond attachement à la liberté d’expression, à la liberté de manifester, à la liberté d’opinion, à la liberté de se présenter à des élections. Ces valeurs sont celles qui réunissent les membres de l’APCE au sein du Conseil de l’Europe. C’est justement pour permettre à ces valeurs de peser de tout leur poids qu’il a paru nécessaire de réintégrer la Russie au sein de l’Organisation. À l’instar du Président de la République française Emmanuel Macron, le groupe ADLE croit à cette « Russie européenne (…) à une souveraineté européenne c’est-à-dire à une Europe plus forte et qui donc doit se réinventer dans ce dialogue ». Le renouvellement de ce dialogue, au sein du Conseil de l’Europe, ne pourra se faire sans un suivi précis des engagements et des obligations de la Fédération de Russie.

Le dernier rapport par la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe sur ce sujet date de 2012. Il pointait déjà les défauts et la mise en œuvre restrictive de lois essentielles pour le fonctionnement des institutions démocratiques et pour l’environnement politique, qui ont induit une détérioration des conditions nécessaires à un véritable pluralisme politique. Il semble aujourd’hui important de poursuivre ce type d’évaluation au sein de l’Assemblée parlementaire. Il s’agit en effet, ici, de travailler progressivement à réduire la défiance entre la Russie et l’Europe, de se poser en partenaires et de mettre en place un agenda commun notamment en matière de sécurité au niveau international.

B.   L’attention accordÉe aux victimes de toutes formes de violences

Le Conseil de l’Europe condamne les violences faites aux individus, quels qu’ils soient. Il n’est donc pas étonnant que l’Assemblée parlementaire s’attarde régulièrement sur les trop nombreuses situations qui contreviennent à cette préoccupation d’un espace commun sans violences. Cette session d’automne s’est plus particulièrement préoccupée du cas des victimes, sous deux angles : celles de violences terroristes et les femmes victimes de violences obstétricales et gynécologiques, plus ordinaires mais non moins condamnables que les autres.

1.   Protéger et soutenir les victimes du terrorisme

Mercredi 2 octobre 2019, l’Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli (Sarthe – Socialistes et apparentés), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution et une recommandation sur la protection et le soutien à accorder aux victimes du terrorisme.

En ouverture de la discussion générale, la rapporteure a insisté sur l’importance et la sensibilité du sujet de ce débat, portant sur une meilleure reconnaissance et sur une aide la plus efficace et juste qui soit aux victimes du terrorisme. En la matière, le devoir de mémoire rejoint celui de justice, pour les victimes comme leurs familles. Or, malheureusement, le soutien aux victimes arrive parfois trop tard et est aussi insuffisant.

De nombreuses questions ont été évoquées lors de récents travaux du Conseil de l’Europe, comme la prise en compte des frais supportés par les victimes, l’indispensable écoute, la nécessaire information sur les suites données aux enquêtes et de façon plus large, l’opportunité d’un mécanisme de reconnaissance et d’indemnisation des victimes par l’État.

Ces dernières années, l’Espagne, le Royaume-Uni et la France ont subi des attaques terroristes de grande ampleur et, parfois, le terrorisme y persiste de façon ponctuelle mais toujours meurtrière. Ces pays et d’autres ont développé et mis en œuvre des stratégies et des politiques de soutien aux victimes qui méritent aujourd’hui d’être partagées avec l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Parallèlement, l’Allemagne, qui a connu aussi des attaques, a, au travers de son expérience des dernières années, été confrontée à des problèmes dont les autres pays pourraient tirer des leçons, et donc, des orientations ont été reçues.

Un certain nombre d’instruments juridiques existants n’ont pas été pleinement mis en œuvre, ni mis en pratique. Il faut donc une approche plus cohérente et systématique en matière de protection et de soutien aux victimes du terrorisme. Cette approche peut s’articuler autour de quatre thèmes : reconnaissance, soutien, lien avec la société civile et action au plan international.

Mieux reconnaître les victimes, tout d’abord, parce qu’il est primordial que les victimes des attaques terroristes soient facilement identifiables et formellement reconnues par la législation, les politiques et les procédures. Les besoins fondamentaux de toutes les victimes d’infractions incluent particulièrement : la reconnaissance du statut de victime et des souffrances endurées ; la protection de toute violence supplémentaire ou victimisation secondaire ; le soutien avec accès à une assistance juridique, financière, médicale et psychologique, à l’information ; la lutte contre toute forme de discrimination dont pourraient être l’objet les victimes ; la justice ; l’indemnisation.

Il convient toutefois de souligner que les besoins des victimes peuvent évoluer dans le temps. En outre, reconnaître les victimes consiste aussi à valoriser un contre-discours positif affirmant que la terreur ne détruira pas les principes fondamentaux de la démocratie et des droits humains, ainsi que les droits individuels de chaque victime.

Réaliser le soutien effectif aux victimes est, en deuxième lieu, essentiel. Si de nombreux États membres du Conseil de l’Europe ont instauré des mesures juridiques et institutionnelles pour soutenir les victimes d’infractions, celles-ci sont rarement spécifiques aux victimes du terrorisme. En outre, il existe une grande disparité des niveaux de protection et d’assistance en Europe, raison pour laquelle les Gouvernements doivent veiller à ce que les organismes non spécifiques d’aide aux victimes dans le secteur de la justice pénale reçoivent une formation et disposent de moyens pour répondre au mieux aux besoins. Lorsque cela est possible, les victimes doivent avoir la possibilité d’assister, de prendre part et d’être associées d’une manière ou d’une autre aux procédures judiciaires si elles le souhaitent. De même, des solutions non bureaucratiques et efficaces sont possibles, remettant la victime au centre du dispositif.

Conforter le lien avec la société civile, en troisième lieu, consiste à donner un rôle éminent aux organisations de victimes. Les Gouvernements devraient être à l’écoute des besoins de ces organisations et faire preuve de transparence dans la prise de décisions concernant leur financement.

Enfin, le dernier axe vise à consolider l’action au plan international. Il existe un mécanisme propre au Conseil de l’Europe, qui repose sur l’article 13 de la convention pour la prévention du terrorisme : aux termes de ce dispositif, chaque partie adopte les mesures nécessaires pour protéger et soutenir les victimes du terrorisme commis sur son propre territoire, ce qui inclut une aide financière et le dédommagement des victimes et des membres de leur famille proche. Il reste que ces stipulations ne s’appliquent qu’aux victimes au sein d’un État membre et ne concernent pas les citoyens européens touchés hors de l’Europe.

Les États membres sont généralement réticents à adopter des dispositions détaillées sur l’indemnisation des victimes dans les instruments juridiques internationaux, en raison de leurs importantes conséquences financières. Des modifications ont été apportées à la liste des lignes directrices pour la protection des victimes d’actes terroristes arrêtées par le Conseil de l’Europe en 2017. Et en juillet 2018, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle stratégie contre le terrorisme (2018-2022) axée sur la prévention, les poursuites et la protection et notamment l’aide aux victimes. Lors de sa troisième réunion plénière, les 14 et 15 mai 2019, le Comité des Ministres a aussi décidé de créer un réseau de points de contact uniques pour l’échange d’informations procédurales concernant le statut juridique des victimes dans les juridictions des États membres du Conseil de l’Europe. De façon globale et complémentaire, les Nations Unies et l’Union européenne œuvrent pour la reconnaissance des victimes, mais la dimension internationale doit encore être renforcée en vue d’éviter les cas de double indemnisation, de coordonner l’assistance et de partager les bonnes pratiques, les expériences et l’expertise de chacun.

Se référant à l’expérience plus particulière de quatre États évoquée dans ses travaux (l’Espagne, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne), Mme Marietta Karamanli en a retiré que l’information aux victimes, l’existence d’un interlocuteur unique ou de coordination, une indemnisation juste, un suivi et un accompagnement dans le temps, un financement suffisant de l’aide, une coopération forte avec les associations dédiées, des mesures symboliques et partagées au sein des communautés nationales et une mobilisation coordonnée des acteurs constituent des axes forts ayant un réel impact sur les victimes. Elle a donc invité les autres États membres du Conseil de l’Europe et à statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’APCE à prendre des mesures telles que la reconnaissance du statut de victimes du terrorisme, le soutien à l’échelle nationale et internationale ainsi que la coopération avec la société civile.

De même, l’Union européenne devrait faire de son Centre d’expertise pour les victimes du terrorisme un outil paneuropéen en lien avec le Conseil de l’Europe pour promouvoir la pleine application de la convention pour la prévention du terrorisme ainsi que de son protocole additionnel et des lignes directrices révisées du 19 mai 2017. L’Union devrait aussi, en concertation avec le Conseil de l’Europe, examiner la possibilité d’adopter une charte européenne des droits des victimes du terrorisme. L’APCE pourrait enfin exercer un suivi des mesures adoptées par les États.

En conclusion, la rapporteure a estimé que, si aux termes de l’éminent Irvin Yalom « lorsqu’on ne parle pas de l’essentiel, on ne parle de rien », évoquer l’effectivité des mesures, leur continuité dans le temps et l’espace, leur matérialité et leur financement revenait à débattre de l’essentiel et permettait de consolider la fraternité et la solidarité à l’égard des victimes du terrorisme.

Au cours des échanges qui s’en sont suivis, Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes – PPE/DC) a rappelé que le terrorisme est une idéologie mortifère qui a frappé à Nice, à Paris, à Utøya, à Moscou, à Londres, à Madrid et dans de nombreuses villes. À chaque fois qu’un être humain est blessé ou tué dans un attentat, c’est une part de notre humanité qui se trouve meurtrie.

Tous les membres de l’APCE ne peuvent que se rejoindre sur la nécessité d’une coopération internationale contre le terrorisme, qui, lui, ne connaît pas de frontière. Il est nécessaire de consolider et d’étendre le cadre juridique international en la matière, notamment celui découlant des conventions du Conseil de l’Europe.

À cet égard, les États membres qui n’ont pas encore signé et ratifié la convention pour la prévention du terrorisme devraient être incités à le faire. Si la détermination collective à agir contre le terrorisme doit être sans faille, il ne faut pas oublier les victimes du terrorisme, celles et ceux qui ont connu dans leur chair, dans leur cœur, les horreurs que cause cette idéologie barbare. Nombre d’entre elles gardent et garderont des séquelles morales et psychologiques lourdes.

Comme les militaires, les victimes du terrorisme souffrent souvent de syndromes post-traumatiques. Il est donc indispensable de les accompagner, de les soutenir, de les protéger, toutes, sans distinction, avec bienveillance et humanité. Les outils de soutien aux victimes à l’échelle nationale et internationale proposés par la rapporteure, associant la société civile, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, sont pertinents. Il s’agit là, aussi, d’un vecteur de contre-discours montrant que la terreur ne peut pas détruire les principes fondamentaux de la démocratie et des droits de l’Homme, que l’humanité l’emporte toujours sur la haine, que la résilience l’emporte toujours sur la destruction.

Dès lors, un soutien bienveillant des victimes par l’État et la communauté internationale est une réponse puissante de la civilisation à la barbarie. En cela, les textes en débat apportent une contribution utile et ne peuvent que susciter l’adhésion.

M. Bernard Fournier (Loire – Les Républicains), après avoir félicité la rapporteure pour la qualité de son travail et rendu hommage aux trop nombreuses victimes du terrorisme dans les États membres du Conseil de l’Europe, a caractérisé le terrorisme comme une menace pour les États, pour la démocratie, pour les droits de l’Homme, mais aussi comme un traumatisme pour les citoyens et les victimes, qui en réchappent parfois en « lambeaux », pour reprendre le titre d’un livre écrit par l’un des rescapés de l’attentat mené contre Charlie Hebdo, à Paris, le 7 janvier 2015.

La prise en compte des besoins spécifiques des victimes du terrorisme est indispensable, que ces besoins soient physiques, matériels, affectifs ou psychologiques, car ils ne sont pas simplement un dommage collatéral mais bien une partie intégrante du terrorisme, et donc du combat contre celui-ci. Les Gouvernements comme les Parlements devraient donc prendre des mesures appropriées pour traiter cette situation particulière, conformément aux lignes directrices révisées du Comité des Ministres du 19 mai 2017.

Malheureusement, un certain nombre d’instruments juridiques n’ont pas été pleinement mis en œuvre. De plus, l’approche prévalant en matière de protection et de soutien aux victimes du terrorisme mériterait d’être plus cohérente et systématique dans tous les États membres du Conseil de l’Europe. Les textes proposés par la commission des questions politiques et de la démocratie méritent donc d’être adoptés, afin que les victimes d’actes terroristes puissent bénéficier, à l’avenir, d’une meilleure protection et d’un plus grand soutien.

M. Dimitri Houbron (Nord – La République en Marche) s’est associé aux hommages rendus aux victimes d’attentats terroristes sur le territoire des États membres du Conseil de l’Europe ainsi que dans le monde entier.

L’un des objectifs morbides du terrorisme consiste à déstabiliser un État en provoquant la défiance de la population vis-à-vis de la capacité de la puissance publique à assurer sa sécurité. Dit autrement, si l’État se montre incapable d’assurer la sécurité de la population, celle-ci peut être tentée de remettre en cause son modèle démocratique et ses libertés fondamentales. Ce danger est prégnant, ainsi que le démontre la rapporteure dans son travail.

Trois éléments de réflexion méritent plus particulièrement d’être développés sur la base de ce constat :

– tout d’abord, la mise en place d’une définition, la plus universelle possible, du concept de victimes de terrorisme s’impose pour donner de la clarté juridique et de l’efficacité aux moyens de protection et de soutien des victimes ;

– ensuite, sécuriser les coopérations internationales face au terrorisme mondial est un enjeu capital pour éviter qu’un État ou une région entière se retrouve isolé ;

– enfin, garantir un quotidien viable et vivable aux membres de la société civile qui livrent des informations importantes dans la lutte contre le terrorisme est une nécessité. Les citoyens qui, courageusement, alertent les services de renseignement ou de police de leur connaissance de l’imminence d’un attentat ou du lieu dans lequel seraient retranchés des terroristes, placés ensuite sous un régime spécial de protection des témoins, sont quotidiennement exposés aux représailles et ils doivent donc eux aussi être considérés comme des victimes du terrorisme.

En conclusion, M. Dimitri Houbron a salué la qualité du travail de la rapporteure, ainsi que son dévouement pour les causes qu’elle défend en France.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – Les Républicains) a souligné que, dans le cadre de la deuxième Journée internationale de commémoration et d’hommage aux victimes du terrorisme, célébrée le 21 août 2019, il était manifeste que, pour les victimes, les blessures morales ont parfois surpassé les blessures physiques. De ce fait, l’assistance médicale psychologique qui leur est apportée revêt une grande importance. Comme le rappelle le projet thérapeutique Mimosa, « outre le traumatisme et la violence subie, (…) la victime d’un acte terroriste n’est jamais directement visée. C’est avant tout ce qu’elle représente qui l’est. »

Incontestablement, les réparations matérielles et indemnisations doivent être aussi équitables que possible. Comme le terrorisme peut frapper n’importe où dans le monde, il paraît inacceptable d’établir des distinctions en fonction de la nationalité des victimes. Un des points les plus sensibles reste aussi la longueur des procédures et du versement des indemnisations ; sur ce plan, le rôle des associations est fondamental.

En France, les attentats de Paris en 2015, comme l’attentat de Nice en 2016, ont créé un réel effet de sidération qui a saisi le corps social. Des victimes directes et leurs proches, mais aussi des cercles plus larges de personnes qui, sans être directement concernées, ont été touchées par ces événements tragiques. Ainsi, des chercheurs du centre national de la recherche scientifique (CNRS), sous la direction de M. Peschansky, ont créé le programme dit « du 13 novembre », qui vise à travailler sur l’impact sur la mémoire individuelle et collective des attentats. Ce programme transdisciplinaire, qui vise à suivre un millier d’individus sur une dizaine d’années, doit permettre, à moyen terme, de disposer d’outils pour une approche médicale et psychothérapeutique mieux adaptée à toutes les victimes. Ainsi, une étude spécifique a été mise en place sur les très jeunes enfants de 4 à 12 ans, qui ont été particulièrement touchés lors de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

L’analyse « Remember », pour sa part, s’attache à saisir l’origine des inégalités individuelles face aux intrusions cérébrales : pourquoi certains sujets sont-ils plus ou moins capables que d’autres d’inhiber les images, les sons, les odeurs associés à des chocs traumatisants ? Les premiers résultats montrent que la notion même de victime du terrorisme ne peut avoir de sens que si l’on prend en compte ces troubles neurologiques, qui touchent des personnes bien au-delà des premiers cercles, et ceci aussi en grande partie en raison d’une médiatisation en continu, parfois outrancière, de ces événements tragiques.

Le travail de la rapporteure est excellent et, corrélativement, les textes en discussion méritent d’être adoptés sans hésitation.

2.   Prévenir les violences obstétricales et gynécologiques

Lors de sa deuxième séance du jeudi 3 octobre 2019, l’APCE a débattu, sur le rapport de Mme Maryvonne Blondin (Finistère – Socialiste et républicain), au nom de la commission sur l’égalité et la lutte contre les discriminations, d’une résolution sur les violences obstétricales et gynécologiques, qu’elle a ensuite votée.

En ouverture de la discussion générale, la rapporteure a souligné que son travail venait compléter la liste des précédents rapports relatifs aux violences faites aux femmes. Il aborde néanmoins une thématique non encore traitée par l’APCE, un sujet trop longtemps occulté et, par là même, trop longtemps méconnu. Pourquoi un tel silence ? Parce que la grossesse et l’accouchement sont des temps de la sphère privée, qui doivent être des temps de joie et de bonheur. Ternir ces moments par l’évocation de souffrances vécues n’est pas d’usage dans notre société. Ne dit-on pas : « Tu enfanteras dans la douleur » ?

Après avoir évoqué ses auditions et sa visite de travail en Croatie, à Zagreb, au service de maternité et néonatalité du plus grand hôpital universitaire du pays, ainsi que les témoignages de femmes, comme celui d’une parlementaire croate au sujet de son curetage sans anesthésie subi en urgence, Mme Maryvonne Blondin a constaté que ses préconisations rejoignaient celles de Mme Dubravka Šimonović, rapporteure spéciale des Nations Unies, qui doit présenter concomitamment à New-York, à l’Assemblée générale des Nations Unies, son rapport sur ce même sujet.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est emparée de cette question dès 2014. Elle dénonçait déjà les traitements non respectueux et abusifs dont sont victimes les femmes. Elle a fait des recommandations qui, maintenant, commencent à porter leurs fruits : le taux de césariennes, d’épisiotomies a diminué, mais certaines pratiques professionnelles – qu’elle a pourtant interdites, comme l’expression abdominale, les épisiotomies inutiles, les touchers vaginaux non consentis – sont encore en vigueur. Il a fallu attendre les années 2017-2018, suite à la libération de la parole, via les campagnes sur les réseaux sociaux pour que soient mis en lumière ces problèmes.

En France, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) a élaboré un rapport en 2017, suite à l’interpellation du Gouvernement, et les autorités professionnelles
– majoritairement composées d’hommes – ont fait de même avant de commencer à réagir.

Les violences gynécologiques et obstétricales ne reposent pas sur l’intentionnalité du praticien dans ses actes ou dans ses paroles mais sur le ressenti et les séquelles de celles qui les subissent. En France, comme dans la plupart des pays, l’accouchement fut très longtemps l’affaire de femmes matrones ; ce n’est que vers la fin du XVIème siècle que les hommes, des chirurgiens-barbiers, se sont introduits dans les chambres de naissance : ce faisant, ils prenaient le contrôle sur le corps des femmes, sur leur sexualité et leur capacité à enfanter. La prise en compte de la douleur n’est apparue que plus tard, sous le règne de la reine Victoria, avec le développement de la sédation par chloroforme.

Aujourd’hui, la surmédicalisation de l’accouchement favorise l’utilisation de moyens plus invasifs et les interventions obstétricales, alors que la majorité des naissances est à faible risque. Ce constat apparaît assez paradoxal.

L’objectif du travail effectué au sein de la commission sur l’égalité et la lutte contre les discriminations n’est pas de jeter l’opprobre sur une profession mais de mesurer la réalité des faits dénoncés et aussi des améliorations apportées, afin de recommander quelques bonnes pratiques dans le cadre des valeurs du Conseil de l’Europe.

Selon certaines sages-femmes, les violences envers les patientes seraient le quotidien dans de nombreuses maternités pour des raisons structurelles, culturelles et sociologiques. Les conditions de travail des professionnels de santé sont difficiles : le manque d’effectifs entraîne une surcharge de travail ; des locaux parfois vétustes sont peu adaptés à la confidentialité et à l’intimité ; enfin le manque de moyens financiers aggrave les tensions dans la prise en charge des patientes dans les meilleures conditions.

Ce qui ressort – c’est bien là le nœud du problème –, c’est le rapport d’inégalité entre les professionnels et les futures mères, une supériorité du médecin sur la patiente, une culture patriarcale qui se perpétue. Il faut dire que la position de la femme lors d’un examen gynécologique aggrave son sentiment d’infériorité. Il est difficile pour la femme d’interroger le professionnel sur les choix des soins qui lui sont apportés ou de s’opposer à son médecin. Or il existe, dans beaucoup de pays, une charte des droits des patients avec le droit de chacun à l’information sur sa propre santé, sur les choix thérapeutiques qui le concernent, sur le consentement, sur le respect de sa vie privée et de son intégrité.

Le travail accompli vise à permettre une prise de conscience pour lever les tabous.

S’exprimant au nom du groupe PPE/DC, Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes – Les Républicains) a noté que, parce qu’elles touchent à l’intime, parce qu’elles concernent le corps des femmes, les violences obstétricales et gynécologiques ont trop souvent été occultées ou niées. Pourtant ces violences, ces actes irrespectueux existent. Or, les femmes n’ont pas à endurer des accouchements ou des examens gynécologiques violents ou irrespectueux, parfois associés à des paroles infantilisantes, sexistes, à des gestes violents, exécutés sans consentement.

Tous ces actes qui agressent le corps des femmes, dans la prise en charge, peuvent entraîner des perturbations psychologiques analogues à un état de stress post-traumatique qui toucherait près de 5 % des femmes. C’est pourquoi il est important que les pouvoirs publics se saisissent de cette problématique pour sensibiliser les femmes et les acteurs du corps médical. Il faut briser le mutisme entourant ce sujet, reconnaître ces violences, les prévenir, faciliter les procédures de signalement et mieux légiférer.

Le travail présenté au nom de la commission sur l’égalité et la lutte contre les discriminations propose des recommandations pertinentes. Le groupe PPE/DC souhaite insister sur le renforcement de la formation des professionnels médicaux et paramédicaux, qui constituerait un moyen puissant pour lutter contre ces violences. Gynécologues, obstétriciens, médecins, sages-femmes, infirmières doivent être formés sur la prévention de ces violences. Les notions de consentement éclairé et libre, de bientraitance et de bienveillance doivent prendre une place spécifique dans l’enseignement. 

À ce jour, la formation médicale est centrée sur la technique au détriment parfois des relations humaines. Or ces deux éléments ne doivent pas être antinomiques, ils doivent être complémentaires. En outre, les établissements de santé doivent être dotés d’un financement suffisant pour que les conditions d’accueil et de travail soient optimales. La prise en charge de la patiente avec respect et bienveillance doit être le seul objectif des services et non pas la rentabilité économique. Naturellement, les professionnels de santé font un travail exigeant et indispensable, dans des conditions souvent difficiles. Il faut donc les aider et cela passe notamment par des financements appropriés. Enfin, les législations nationales doivent traiter du consentement dans les actes obstétricaux, gynécologiques et plus largement médicaux.

Pour le groupe PPE/DC, le Conseil de l’Europe doit encourager les États à appliquer les législations posant le principe du consentement éclairé des patientes. C’est une question de protection des droits de l’Homme, de respect de la dignité de la personne humaine, de promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche) a souhaité saluer l’engagement de la rapporteure en faveur de la défense du droit des femmes et la qualité de son travail. S’attardant plus particulièrement sur les discriminations envers les femmes lesbiennes, elle a considéré qu’il s’agissait d’un sujet important, tout particulièrement à l’aune du projet de loi de bioéthique, actuellement en débat à l’Assemblée nationale française.

Membre de la commission spéciale chargée de procéder à l’examen du texte, elle s’est félicitée de l’ouverture en France de la procréation médicale assistée (PMA) à toutes les femmes, la PMA étant jusqu’alors interdite en France pour les couples lesbiens et les femmes seules, alors que cette pratique est autorisée dans plusieurs autres pays de l’Union européenne.

Les professionnels de santé peuvent parfois avoir une perception biaisée des habitudes de vie sexuelles des femmes lesbiennes. Ces dernières manquent aussi d’informations et sont souvent victimes de clichés qui perdurent. Leur santé sexuelle semble être considérée comme à part et stigmatisée par le milieu médical. Le corps médical lui-même semble malheureusement ne pas être épargné par ce manque d’informations sur la sexualité des femmes lesbiennes. Or, cette ignorance du personnel médical a pour conséquence d’éloigner les femmes lesbiennes ou bisexuelles du système de santé, en raison de réactions inadaptées ou de nombreuses mauvaises expériences.

Afin que les femmes lesbiennes ou bisexuelles puissent bénéficier d’un meilleur suivi gynécologique et obstétrical, notamment pendant et après la grossesse, il faut rester vigilant sur leur accès aux soins. Éviter toute inégalité de traitement à leur égard suppose de lutter contre la présomption d’hétérosexualité, à laquelle elles sont souvent confrontées. La France devrait aussi s’inspirer des meilleures expériences ou pratiques au sein des autres pays européens.

C.   des dÉbats sur des sujets en apparence plus connexes mais Étroitement liÉs À des enjeux essentiels pour les droits humains

Les droits humains sous les angles économique et culturel sont incontestablement des champs d’investigation en plein essor de l’APCE. Les préoccupations auxquelles ils renvoient ne sont pourtant pas nouvelles car elles étaient déjà sous-jacentes au sortir de la Seconde guerre mondiale, comme l’illustrèrent le Préambule de la Constitution de la IVème République, en 1946, ainsi que les premiers articles du Statut du Conseil de l’Europe, en 1949.

Il est néanmoins admis que, du fait de la mondialisation et des nouvelles technologies, les mutations accélérées de l’économie et l’avènement d’une société de l’information où l’instantané prend le pas sur la mémoire appellent des garde-fous nouveaux et aussi une vigilance redoublée. À cet égard, la session d’automne s’est pleinement inscrite dans cette perspective à travers, d’une part, la tenue d’un débat soulignant l’importance d’une vision plus inclusive de l’économie moderne et de ses instruments et, d’autre part, celle d’un débat sur la préservation du patrimoine culturel juif.

1.   Promouvoir une vision plus inclusive de l’économie et de ses instruments : le bilan d’activité de la Banque de développement du Conseil de l’Europe

Mercredi 2 octobre 2019, l’Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de Mme Nicole Trisse (Moselle – La République en Marche), présidente de la délégation française, au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, une résolution sur la Banque de développement du Conseil de l’Europe, établissement contribuant à la construction d’une société plus inclusive.

En ouverture de son propos, la rapporteure a indiqué que quarante-et-un pays sont membres de la CEB, institution discrète liée au Conseil de l’Europe par un accord partiel datant de 1956. L’APCE suit de près les travaux de cette banque depuis le début des années 1990, lorsque l’établissement a intégré de nouveaux membres issus de l’Europe centrale et orientale. Ce dernier rapport passe en revue ses actions au cours des cinq dernières années, examine les suites données aux recommandations antérieures de l’APCE et fait des propositions visant à renforcer encore l’utilité, la visibilité et la force de cette banque particulière pour les États membres.

La CEB cofinance des projets sociaux avec ses États membres en mettant à disposition ses ressources propres et des fonds levés sur les marchés financiers dans des conditions reflétant la qualité de sa notation (de AA+ à AAA selon les agences de notation). À titre d’illustration, en 2018, elle a levé 5 milliards d’euros sur les marchés, contre 3 milliards en 2017. De même, il arrive qu’elle accorde des prêts aux institutions financières et aux collectivités locales de ses États membres pour des projets de développement social et durable.

Le nombre de pays qui empruntent activement à la CEB est passé de vingt, en 2014, à trente-deux, en 2018. Les grands pays, qui contribuent de manière importante au capital de la banque, sont également de grands utilisateurs de ses prêts, à l’instar de la Pologne, l’Espagne, la Turquie et la France, suivis de l’Allemagne, la République tchèque, la Slovaquie ainsi que des Pays-Bas. D’autres pays sont contributeurs nets au capital de la banque, tels le Danemark, l’Estonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, Saint-Marin et la Suisse, notamment. Dans le même temps, huit États membres du Conseil de l’Europe – à savoir Andorre, l’Arménie, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, Monaco, la Fédération de Russie, l’Ukraine et le Royaume-Uni – restent en marge de l’accord partiel sur la CEB, ne contribuant donc pas à cet outil d’investissement social et de solidarité, mais surtout n’en bénéficiant pas.

Aujourd’hui, on dénombre 194 projets en cours qui bénéficient de fonds de la CEB, et il n’y a pas eu le moindre défaut ou retard de paiement sur les prêts correspondants. Mi-2015, fidèle à sa vocation, la CEB a mis en place le fonds pour les migrants et les réfugiés, afin de soutenir les efforts nationaux pour garantir les droits humains fondamentaux, principalement par le financement de centres d’accueil et de transit. Fin 2018, les 28 millions d’euros affectés à ce fonds ont ainsi permis à la banque de soutenir vingt-quatre projets dans quatorze pays ; la moitié de ces projets sont encore en cours et devraient être achevés d’ici avril 2021.

Pour illustrer la valeur ajoutée des actions de la CEB, Mme Nicole Trisse a plus particulièrement insisté sur trois exemples de projets cofinancés qui portent sur des domaines à la fois représentatifs des valeurs promues par le Conseil de l’Europe et des attentes des populations.

La première de ces réalisations concrètes, dénommée « CYCLHAD », concerne le développement de traitements novateurs contre le cancer en France. En effet, le centre Archade de Caen, en Normandie, pilote la recherche amont sur les ions carbone, sur la base de financements communs de l’entreprise CYCLHAD et de la CEB. La Banque de développement du Conseil de l’Europe a ainsi octroyé deux prêts, d’un montant total de 92 millions d’euros, à ce projet s’inscrivant dans le plan de lutte contre le cancer lancé en France en 2002. L’hadronthérapie est une méthode innovante et capable de détruire les cellules cancéreuses radiorésistantes et inopérables en les irradiant avec un faisceau de protons ou d’ions carbone. Il s’agit d’une vraie solution d’avenir, particulièrement utile pour le traitement des très jeunes patients. Fin 2018, la première étape de CYCLHAD s’est achevée avec l’inauguration du centre de recherche et le début du traitement des premiers patients par protonthérapie. Grâce au concours de la CEB, un prototype de traitement sera déployé et exploité dans la troisième phase, à partir de 2023.

La deuxième réalisation concrète obtenue grâce à la CEB concerne l’amélioration de la qualité de vie et des services de santé dans la région des Basses-Carpates, en Pologne. En 2018, la banque a accordé une facilité de financement public aux infrastructures en faveur de cette région polonaise sous forme d’un prêt de 43 millions d’euros. Le but était d’améliorer l’accessibilité des transports et la connectivité avec les régions et pays voisins, de réaliser des investissements dans le patrimoine culturel et de soutenir la capacité des communes à assurer des services publics. Ce soutien devrait à terme contribuer à améliorer la qualité de vie des 2 millions d’habitants de la région et produire des effets positifs sur le développement durable.

Dernier exemple, enfin, de réalisation concrète imputable à la Banque de développement du Conseil de l’Europe, la CEB appuie les efforts de la Bosnie-Herzégovine aux très petites et petites entreprises appartenant à des femmes, qui n’ont généralement pas de revenus stables et n’ont pas accès au crédit, par l’intermédiaire de la Microcredit Foundation, affiliée au réseau Women’s World Banking. Le financement de l’établissement dans le cadre de ce projet restera limité à 5 100 euros par prêt, ce qui permettra quand même à au moins 800 ménages et très petites entreprises d’en bénéficier. Bien que modeste en valeur, cette aide doit contribuer à l’émancipation économique et à l’inclusion des femmes, permettant par la même occasion d’améliorer leurs conditions de vie.

Par-delà ces succès, la rapporteure a souligné que la CEB devrait atteindre prochainement le plafond de financements qu’elle peut offrir à ses États membres. Elle dispose actuellement d’une autorisation d’emprunt à long terme de 5 milliards d’euros pour l’année 2019. Pour accroître son activité de prêt, les États présents à son capital devront donc envisager une augmentation de celui-ci, la dernière étant intervenue en 2011.

Tout en considérant que les axes d’action de la CEB, à savoir la croissance durable et inclusive, l’intégration des réfugiés et des migrants et l’action en faveur du climat, conservent toute leur validité pour les années à venir, Mme Nicole Trisse a jugé qu’il pourrait être utile de les lier plus explicitement aux Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD). Elle a également considéré, s’agissant des organes de gouvernance, que malgré les recommandations de l’APCE, peu de progrès avaient été accomplis vers une simplification des structures décisionnaires et du système de vote au Conseil de direction. Elle a enfin appelé les huit États membres du Conseil de l’Europe qui ne font pas encore partie de la CEB à sérieusement reconsidérer leur position : les montants à mobiliser pour adhérer à la CEB peuvent être perçus comme importants en valeur absolue mais, en réalité, ils ne représentent cependant qu’un investissement de départ qui permet ensuite d’emprunter des montants beaucoup plus élevés à des conditions très avantageuses ; dans le cas de la Pologne, par exemple, si la part du pays au capital était d’environ 14 millions d’euros et sa contribution aux réserves trois à quatre fois plus élevée en 2018, le total des fonds mis à sa disposition par la banque s’élevait quant à lui à 2,8 milliards d’euros. De fait, l’adhésion à la CEB a un effet multiplicateur considérable sur la capacité de ses actionnaires à réaliser des projets pertinents sur le plan social.

En conclusion, la rapporteure a souligné que la CEB a cumulé un savoir-faire et une vaste expérience de la gestion de projets dans des pays aux niveaux de développement et aux besoins sociaux très différents. Elle a plaidé pour que cet établissement, dans le cadre de ses priorités futures, intègre davantage la promotion du développement durable et la réalisation des ODD, la lutte contre les causes et les effets des inégalités croissantes, le développement des services publics en milieu rural et urbain, notamment en s’appuyant davantage sur les collectivités locales et régionales. Elle lui a aussi suggéré de consolider ses partenariats avec l’Union européenne. Quant aux États membres non parties à l’Accord partiel, elle les a appelés à revoir leur position et indiqué, dans cette optique, qu’elle communiquerait son rapport et la résolution à leurs représentants au Comité des Ministres pour qu’ils en saisissent leurs autorités nationales.

Invité à prendre la parole après la rapporteure, M. Rolf Wenzel, gouverneur de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, s’est félicité de la tenue d’un débat en plénière sur cette institution, ainsi que sur le climat constructif ayant entouré les discussions préparatoires avec la rapporteure. Si les rapports sur les activités financières de la CEB ne manquent pas, celui de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable fournit une vision extérieure utile, de même qu’il informe les États membres et non-membres sur ses activités récentes. Ses conclusions et son contenu n’appellent pas d’objection de la part de la banque elle-même.

Développant la vision stratégique et la planification de la CEB pour les années à venir, M. Rolf Wenzel a estimé que le plan de développement pour la période 2020-2022, en cours de finalisation, permettra de maintenir l’activité de prêts, mais également de solides performances dans un environnement économique et social en constante évolution. Une place accrue sera également accordée à l’activité opérationnelle avec les autorités locales et aux objectifs de développement durable. Ce plan s’articule autour de trois lignes d’action prioritaires.

Tout d’abord, la croissance inclusive, qui couvre toutes les activités visant à garantir l’accès à l’égalité des chances, afin d’offrir des opportunités et un avenir prospère pour tous. Avec la crise, les inégalités sociales et économiques ont augmenté, constituant une grave menace pour le tissu social et pouvant conduire à la radicalisation voire l’extrémisme. Pour maximiser l’effet de son action, la CEB a intensifié sa coopération avec les communautés locales, car c’est à ce niveau que les services sociaux sont fournis.

Le deuxième axe prioritaire du plan de développement est le soutien aux groupes vulnérables, via le logement, la santé, l’éducation et l’emploi. Les groupes concernés sont des minorités et les couches de population victimes de discriminations ou confrontées à de graves difficultés pour accéder aux services, à savoir les migrants et les réfugiés ou les personnes d’origine étrangère, les personnes handicapées, les personnes âgées, les sans-abri, les chômeurs, les parents célibataires, les jeunes et les membres de groupes ethniques. Véritable raison d’être de la CEB, cet axe de travail a connu un nouvel élan suite à la récente crise des réfugiés, qui a entraîné la création du fonds des migrants et des réfugiés, en 2015. De même, par ses actions ciblées dans le cadre du plan pour les migrants et les réfugiés (MRF), qui repose sur des subventions, la CEB a prouvé sa capacité à faire face à la situation d’urgence en fournissant des produits de première nécessité aux migrants et réfugiés arrivés récemment sur le sol européen.

Enfin, la troisième priorité de la planification stratégique de la CEB à moyen terme est la durabilité de l’environnement, question qui figure en bonne place dans l’agenda politique. Les plus vulnérables sont les plus exposés aux effets du changement climatique. Banque de développement multilatérale, la CEB doit continuer à apporter sa contribution par le financement de projets d’infrastructures, d’actions en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de la résilience au changement climatique, en cohérence avec l’Accord de Paris sur le climat.

Le gouverneur de la CEB a ensuite salué la coopération de son établissement avec le Conseil de l’Europe. La CEB entretient d’excellentes relations avec le secrétariat de l’Accord partiel et avec les différents services de l’Organisation, notamment les directions de la démocratie et des ressources humaines ou du budget. Le gouverneur participe lui-même régulièrement aux réunions du Comité des Ministres pour informer les États membres sur ses activités, ainsi qu’aux réunions de la Commission de Venise. La banque apporte elle-même un appui financier et technique aux pays pour la réhabilitation de leurs services publics judiciaires et de leurs centres de détention ; elle les aide à mettre en œuvre les règles pénitentiaires européennes en lien avec le CPT à cet égard. Il reste que l’impact de l’action de la CEB dépend pour une large part de la volonté et des sollicitations des États membres.

En conclusion, le gouverneur de la CEB a insisté sur le fait que son établissement est la seule institution financière internationale à vocation exclusivement sociale totalement autofinancée. Il a estimé qu’il s’agissait d’un argument important en direction des pays qui n’en sont pas encore membres.

Prenant la parole au nom du groupe ADLE au cours de la discussion générale qui s’en est suivie, Mme Yolaine de Courson (Côte d’Or – La République en Marche), a relevé que la CEB, qui soutient les investissements sociaux dans quarante-et-un des États membres du Conseil de l’Europe, gère avec succès les risques de catastrophes naturelles, soutient des projets à caractère à forte valeur ajoutée et défend une croissance inclusive et durable, ainsi que l’intégration des réfugiés et des migrants. Il s’agit donc d’une banque d’aujourd’hui.

Le plan de développement de la CEB pour 2020-2022 est l’occasion de mettre en avant son rôle dans la réalisation des ODD, en mettant notamment l’accent sur les besoins des populations et des territoires les plus défavorisés, aussi bien en milieu urbain que rural. Une attention particulière doit être portée sur le milieu rural car c’est là qu’il y a le plus le sentiment d’injustice, de relégation, d’abandon institutionnel, d’assèchement des services publics, de fermeture d’écoles ou de centres de soins. À cet égard, l’exemple concernant l’amélioration de la qualité de vie et des services de santé en milieu urbain et rural dans la région des Basses-Carpates est vraiment emblématique du travail de la CEB.

Le groupe ADLE soutient le travail de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable car la CEB est un prolongement concret de l’action du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire. De nouveaux outils ont été mis à disposition, comme les prêts multisectoriels pour les collectivités territoriales, qui peuvent financer des secteurs et des thèmes très différents pour une même collectivité. Un fonds d’urgence pour les migrations a aussi été mis en place. Les faits ne trompent pas : les pays qui font appel à la banque sont passés de vingt en 2014 à trente-deux en 2018, encourageant les États qui ne sont pas encore contributeurs à le devenir. Ces derniers ont vraiment tout à y gagner.

Mme Marie-Christine Dalloz (Jura – Les Républicains) s’est félicitée de ce débat sur un organe du Conseil de l’Europe assez méconnu.

Elle a observé que la proportion des prêts décaissés en 2018, affectés aux « pays cibles », représente moins de la moitié des prêts. Au titre de la solidarité entre ses États membres, la CEB dispense un appui plus marqué à vingt-deux pays d’Europe centrale, orientale et du Sud-Est sur quarante-et-un États membres, de sorte qu’il serait intéressant de savoir à quels pays non ciblés vont en priorité les 56 % restants. Il est en outre intéressant de noter que la CEB finance en France des traitements novateurs contre le cancer, ou plutôt aide des collectivités locales à le faire. Ce partenariat public-privé, et organisation européenne, est assez original.

Une deuxième interrogation porte sur le contrôle de l’utilisation de ces prêts. Ainsi, la Macédoine du Nord a reçu 6,35 millions d’euros au titre de l’aide d’urgence aux migrants. Or de nombreux pays connaissent des difficultés structurelles, sans parler des problèmes ou des risques de corruption. La question du contrôle de ces fonds est donc essentielle. Quelle est la nature du contrôle ? S’agit-il d’un auditeur externe ? Pourrait-on imaginer que la Cour des comptes française, par exemple, puisse intervenir dans le contrôle ? De par sa vocation, la CEB s’adresse la plupart du temps à des projets touchant des publics fragiles. De ce fait, il paraît indispensable de s’assurer que ce sont bien ces personnes vulnérables qui sont destinataires des fonds.

Enfin, au regard des sommes prêtées, il est essentiel que les fonds soient fléchés. D’une part cela permettrait à chacun de connaître le rôle de cette institution largement méconnue ; en cela, la CEB est une opportunité pour le Conseil de l’Europe de montrer à ses détracteurs tout son sens, toute son utilité dans une Europe fragile. D’autre part, cela mettrait en avant cette vocation d’accompagnement de la CEB auprès des acteurs locaux, des associations, de toutes ses initiatives en faveur des publics les plus fragiles.

Cette banque est née, comme le Conseil de l’Europe, sur les ruines de la Seconde guerre mondiale. Elle a montré son efficacité, souvent dans l’ombre. Il est plus que temps de mettre son excellent travail en pleine lumière.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin – La République en Marche) s’est réjouie de l’éclairage apporté sur le rôle de la CEB en faveur d’une société plus inclusive. Ses lignes d’action correspondent à des combats politiques importants.

Pour autant, un déséquilibre existe entre les trois lignes d’action, au regard de la liste des projets approuvés. La croissance durable et inclusive se trouve favorisée au mépris des deux autres questions, migratoire et climatique. Néanmoins, la CEB incarne une institution de politique solidaire, et suscite le soutien dans la mesure où son panel de projets financés contribue à la lutte pour une croissance durable, équitable et solidaire.

L’APCE doit appuyer la CEB, établissement distinct et autonome du Conseil de l’Europe, dans ses prises de décisions et ses orientations. Les parlementaires doivent incarner un rôle de conseiller en soumettant à la banque leurs projets, qui ne peuvent voir le jour sans un financement nécessaire. À cet égard, l’accent devrait plus particulièrement être porté sur l’aide aux infrastructures démocratiques dans les domaines de l’éducation, du logement et des services judiciaires pour les pays qui ont du mal à exercer leurs compétences du fait de leur manque de moyens, d’autant plus que les pays les plus riches peuvent déjà compter sur l’aide de l’Union européenne.

Un travail étroit avec la CEB offre l’opportunité de faire avancer la construction d’une société plus durable et inclusive dans les années à venir. Elle est également un moyen d’apporter des solutions à la problématique migratoire au sein de l’Union européenne et de soutenir le combat contre le réchauffement climatique, dont l’urgence s’aggrave de jour en jour. Dès lors, les pays non encore contributifs doivent être encouragés à le devenir.

2.   Conserver le patrimoine culturel juif : un devoir de mémoire capital

Le 4 octobre 2019, l’APCE a adopté, sur le rapport de M. Raphaël Comte (Suisse – ADLE), au nom de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, une résolution et une recommandation sur la conservation du patrimoine culturel juif.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a observé que rares sont les peuples, dans l’histoire de l’humanité, à avoir été aussi souvent persécutés que les juifs, le comble de l’horreur ayant été atteint lors de l’Holocauste. En effet, toutes nos convictions, tout ce qui fait l’humanité a été remis en cause par l’extermination planifiée de la population juive lors de la Seconde guerre mondiale. Malheureusement, l’antisémitisme reste bien vivace. Aujourd’hui encore, de nombreux actes antisémites sont perpétrés et l’histoire a une terrible tendance à se répéter, comme si l’être humain n’était pas capable d’apprendre du passé. La haine de l’autre, l’intolérance ne s’effacent pas si facilement.

Pour combattre les préjugés, l’éducation et la culture sont des instruments puissants. Certes, ils ne sont efficaces que sur le long terme, ce qui est frustrant pour des responsables politiques aspirant à des solutions immédiates. Cette lutte implique néanmoins d’agir dès maintenant en admettant que les effets ne se produiront pleinement que demain ou après-demain.

Combattre l’antisémitisme par l’éducation et la culture suppose d’accorder une attention particulière au patrimoine culturel juif. Il est un excellent support pour faire connaître l’histoire du judaïsme en Europe et faire comprendre que le judaïsme fait partie intégrante de l’histoire de l’Europe. Or, il y a urgence : par rapport à 1939, plus de 80 % des synagogues existantes ont disparu et sur les 3 237 historiques restantes, près du quart est en péril. Il faut les sauver, sans attendre.

M. Raphaël Comte a jugé indispensable l’action concertée de plusieurs acteurs, à savoir les collectivités locales, la société civile, la communauté juive et les organisations de préservation du patrimoine. Très souvent, le patrimoine culturel juif est un patrimoine orphelin : au XIXème siècle, neuf juifs sur dix vivaient en Europe ; aujourd’hui, il n’en reste qu’un sur dix. Sans communauté juive locale, il revient à l’ensemble de la collectivité de se saisir de la question de la préservation du patrimoine culturel juif et de se l’approprier. Chaque ville ou village doit comprendre qu’une synagogue, même si elle n’est plus affectée au culte, est un élément de son histoire. Laisser une synagogue disparaître, c’est accepter d’oublier notre histoire et commettre une nouvelle injustice.

Tous ces lieux abandonnés méritent mieux que le silence. Il faut leur redonner un souffle de vie et une vocation, comme lieux de mémoire ou de rencontre. Les collectivités publiques ont la responsabilité d’assurer la préservation du patrimoine culturel juif. Il faut une volonté politique forte, aux niveaux national comme régional ou local. Dans chaque pays, des plans d’action devraient être conçus afin de garantir que ce patrimoine bénéficie d’une protection appropriée et d’un entretien, ainsi que de moyens financiers pour les rénovations urgentes.

La protection du patrimoine culturel juif dépasse le cadre purement patrimonial ; elle a également une vocation éducative et pédagogique, en particulier vis-à-vis de la jeunesse. Elle constitue un excellent moyen de se questionner sur notre histoire et de réfléchir aux relations entre les différentes religions.

En conclusion, le rapporteur a insisté sur le fait que la lutte contre l’antisémitisme est un combat permanent contre l’ignorance et la haine aveugle. La préservation du patrimoine culturel juif est essentielle pour donner aux futures générations les outils qui leur permettront de favoriser le dialogue entre les communautés religieuses et de ne pas oublier les tragédies du XXème siècle. Les textes soumis au vote de l’APCE constituent à cet égard un signal fort pour lutter contre les préjugés et l’intolérance.

S’exprimant au nom du groupe ADLE, M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin – Mouvement démocrate et apparentés) a jugé que ce rapport sur la préservation du patrimoine culturel juif illustrait parfaitement, concomitamment à la célébration des 70 ans Conseil de l’Europe, le rôle d’aiguillon et de sensibilisation de l’opinion publique que joue l’APCE. Il a rejoint l’analyse du rapporteur au sujet du patrimoine orphelin et de son appropriation par les sociétés environnantes et souhaité insister plus particulièrement sur deux aspects complémentaires importants :

– d’abord, Strasbourg est une ville très interculturelle dans une région dotée d’un patrimoine culturel juif très significatif, une ville de transmission et il n’y a certainement pas de meilleur endroit pour aborder cette question ;

– ensuite, le sujet touche aux droits fondamentaux et à la lutte contre l’antisémitisme parce que le patrimoine culturel juif cristallise contre lui les haines les plus basses et dangereuses. Récemment le cimetière juif du village de Quatzenheim a été profané : son ancien maire, aujourd’hui membre de l’APCE, n’a pu qu’être choqué de constater que ce lieu avait été souillé par 94 croix gammées bleues sur les tombes et, par la même occasion, réaliser toute la violence et l’atteinte à l’attachement aux droits humains qui sous-tendaient ces actes inacceptables.

Pour toutes ces raisons, les sujets et les enjeux d’un tel débat au sein de l’Assemblée parlementaire sont de la plus haute importance et le groupe ADLE se réjouit du travail accompli sur cette question majeure.

Orateur au nom du groupe PPE/DC, M. André Reichardt (Bas-Rhin – Les Républicains) s’est associé à toutes les congratulations adressées au rapporteur pour la qualité de son travail. Après avoir estimé qu’on devrait plutôt parler de patrimoine cultuel et culturel, il a noté que cette question concerne tout le monde, le patrimoine culturel juif faisant partie intégrante du patrimoine de chaque État membre et aussi du patrimoine commun de l’Europe.

Ce patrimoine est en danger. Cette situation est la conséquence de déplacements de populations, liés aux persécutions dont a été victime le peuple juif au cours du XXème siècle : les persécutions communistes envers les religions, les massacres antisémites du nazisme ont fait qu’aujourd’hui seul un juif sur dix vit encore en Europe. Depuis lors, c’est un ensemble de synagogues mais aussi d’écoles, de monuments, de cimetières qui se trouve abandonné.

Les communautés encore sur place n’ont généralement pas les moyens d’entretenir et de restaurer ce patrimoine. Pour le sauver, il convient d’abord de régler la question de sa propriété pour déterminer comment une aide financière peut être apportée pour sa conversation ; ensuite, il faut pouvoir débloquer des fonds – la France disposant à cet effet d’une fondation particulièrement active – et faire des recherches préalables ; enfin, la restauration doit se faire dans le respect des techniques utilisées lors de la construction.

M. André Reichardt a considéré que la conservation du patrimoine juif présente deux avantages principaux : l’un, culturel et pédagogique, pour faire savoir aux jeunes générations que la culture juive est profondément européenne et ainsi lutter contre l’antisémitisme, qui malheureusement reste une réalité sur notre continent ; l’autre, économique, en ce que cette conservation favorise le tourisme et le développement des collectivités concernées, à l’instar de l’Alsace. Il a conclu sur le soutien sans réserve du groupe PPE/DC à l’adoption des résolution et recommandation en débat.

D.   Une prÉoccupation renouvelÉe À l’Égard des migrants Économiques et des rÉfugiÉs

Populations vulnérables par essence, les migrants suscitent en permanence l’intérêt de l’APCE. En ce mois d’octobre 2019, elles ont été évoquées selon trois problématiques distinctes : en premier lieu, le statut juridique des réfugiés climatiques, catégorie malheureusement appelée à prendre de plus en plus d’ampleur à mesure des changements liés au réchauffement de la planète ; en deuxième lieu, le sauvetage des migrants en Méditerranée ; enfin, l’impact sociodémographique en Europe de l’Est de l’émigration économique.

1.   La recherche d’un statut juridique pour les réfugiés climatiques

Jeudi 3 octobre 2019, l’APCE a adopté, sur le rapport de Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, une résolution sur la définition d’un statut pour les « réfugiés climatiques ».

Après le rejet par 23 voix contre 17 d’une motion de renvoi en commission présentée par M. Martin Graff (Autriche – Non inscrit) et plusieurs de ses collègues, la discussion générale a été ouverte par la rapporteure. Celle-ci a insisté sur le volontarisme et les attentes de la jeunesse à l’égard des décideurs politiques, qui ne prennent pas leurs responsabilités assez vite. En effet, aucun pays n’est au rendez-vous des exigences et des objectifs fixés en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité.

Pourtant, le monde possède tout ce qui est nécessaire pour répondre à ces défis : la connaissance, tout d’abord, grâce à la science ; les financements, ensuite, pour préparer la transition écologique et renforcer la résilience des États ; des cadres multilatéraux ou régionaux, enfin.

Que manque-t-il, alors ? Du « courage », pour reprendre les termes du Président de la République française.

Le courage de bâtir la paix, en premier lieu, parce qu’il en faudra lorsque d’ici 2050, si les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas tenus, 200 millions de personnes se retrouveront déplacées à l’échelle du globe à cause des facteurs environnementaux. Dépasser le réflexe de défense des intérêts premiers ou la tentation du repli national, dans un monde où les ressources seront plus rares qu’aujourd’hui et la concurrence plus féroce, sera d’autant moins aisé.

Le courage de la responsabilité, en deuxième lieu, en assumant que l’Europe n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde mais doit fidèlement en prendre sa part. Indéniablement, les États européens sont en partie responsables des changements climatiques dont les peuples d’autres pays subiront les conséquences. En effet, ce sont les pays les plus forts économiquement qui déclenchent le plus de réchauffement climatique et ce sont les populations des pays les plus pauvres qui en sont les premières victimes.

Dans ce cadre-là, la France prendra ses responsabilités. Elle a d’ores et déjà arrêté toute nouvelle exploration d’hydrocarbures sur son territoire et les dernières centrales à charbon auront fermé leurs portes avant 2022. De même, elle ambitionne que son agenda commercial et économique ne soit pas contraire à l’agenda climatique, aucune nouvelle ouverture de négociations commerciales avec des pays en contradiction avec l’Accord de Paris ne pouvant désormais être admise.

Ce courage de la responsabilité consiste aussi à savoir regarder les faits en face. Le nombre de migrants a été divisé par cinq en Europe depuis 2015 mais, en même temps, les demandes d’asile ont augmenté dans certains de nos pays, une hausse des demandes de protection qui s’explique, en grande partie, par le report des flux migratoires pour motifs économiques vers l’asile. Aussi, ouvrir le statut de réfugié aux populations déplacées pour cause environnementale est une « fausse bonne idée » car il faut d’abord harmoniser les conditions requises pour bénéficier de l’asile et mettre en place une réforme du règlement de Dublin, qui conserve le principe de la responsabilité de l’examen de chaque demande d’asile du pays d’entrée et organise une solidarité européenne dans la gestion des frontières extérieures.

Les faits montrent également que la plupart des personnes déplacées par les catastrophes naturelles et les changements climatiques le sont à l’intérieur de leur pays. Le problème réside donc davantage dans la capacité des États à gérer ces catastrophes et à assurer la sécurité des populations, ainsi que la résilience.

Pour concilier les agendas liés à la lutte contre le changement climatique avec ceux liés aux migrations, aux actions humanitaires ainsi qu’à l’aide au développement, il est indispensable de prendre des mesures spécifiques aux niveaux local, national et international. De même, l’obligation de protéger les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays pour des raisons environnementales doit être considérée comme le premier niveau de protection juridique dans la législation de chaque État membre. Enfin, l’accueil des victimes de catastrophes naturelles sur le territoire des États membres devrait être prévu en droit interne, notamment avec l’octroi d’un permis de séjour temporaire.

Sur le plan législatif, une proposition de loi a déjà été déposée en France pour mieux anticiper les déplacements des populations victimes du changement climatique et de la perte de biodiversité. D’autres pays doivent suivre cet exemple.

Il importe aussi d’élever le seuil de résilience des communautés locales, d’améliorer la préparation aux catastrophes au niveau local en ciblant spécialement les populations vulnérables, comme les enfants et les personnes en situation de handicap, ou encore d’améliorer la capacité de réaction et de gestion des catastrophes au niveau national.

Enfin, il faut approfondir les connaissances sur les interactions entre le changement climatique et les conflits ou violences, mais aussi améliorer la coordination et les financements. À cet effet, la création d’un fonds international de solidarité pour assurer la protection des personnes contraintes d’émigrer à la suite de catastrophes climatiques devrait être étudiée. Par ailleurs, la coopération avec la Banque de développement du Conseil de l’Europe pourrait être envisagée, dans un effort commun de mise en œuvre du droit fondamental des générations présentes et futures de vivre dans un environnement sain.

Il y a dix ans de cela, les responsables politiques avaient pour rôle d’être des lanceurs d’alerte face au réchauffement climatique. Il y a cinq ans, ils ont commencé à élaborer des plans d’action sans pour autant les concrétiser. Aujourd’hui est venu le temps de l’immédiateté et il faut donc engager l’action.

Pour mémoire, il y a quatre ans était signé l’Accord de Paris sur le climat, qui visait à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle, et à poursuivre les actions pour la limiter à 1,5 degré. Cet accord s’inscrit clairement dans une logique de développement durable de notre planète et de lutte contre la pauvreté. Certains pays en développement sont en effet tout particulièrement vulnérables aux conséquences néfastes des dérèglements climatiques. Cet accord est important et la rapporteure s’est félicitée que la Russie ait annoncé la semaine dernière sa ratification. Il faut, au minimum, que chaque État tienne ses engagements et, si possible, qu’il aille au-delà. Le Parlement français vient ainsi d’adopter définitivement, la semaine dernière, un projet de loi permettant à la France de s’engager dans une démarche visant la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Au cours de la discussion générale qui s’en est suivie, M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) a relevé que l’APCE s’était déjà intéressée à ce sujet puisque, dès 2008, avait été présenté un rapport intitulé « Migrations et déplacements environnementaux : un défi pour le XXIème siècle », avant que la question soit réexaminée en 2016.

En onze ans, le sujet a gagné en intensité. Le tout récent rapport spécial du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) concernant les océans et la cryosphère souligne que la hausse du niveau des océans pourrait à terme entraîner le déclin des réserves de poissons et la multiplication des cyclones, avec des conséquences directes pour les populations vivant sur les littoraux.

Même si les déplacements liés aux catastrophes naturelles et au changement climatique interviennent aujourd’hui le plus souvent à l’intérieur d’un pays, ces migrations peuvent déboucher sur des turbulences politiques. Et demain, les migrations liées aux dérèglements climatiques pourraient aussi avoir un impact sur l’Europe et sur sa cohésion politique. La gestion des flux migratoires en Méditerranée le montre cruellement.

Il n’existe pas, aujourd’hui, d’accord sur une définition des réfugiés climatiques. De même, il est fondamental de préserver le statut de réfugiés et le droit d’asile. Dans ce contexte, il apparaît essentiel que les États se préparent à l’enjeu des migrations liées aux dérèglements climatiques et que la réduction des risques soit intégrée dans les politiques de développement et d’aménagement durables, afin d’augmenter le seuil de résilience des communautés locales. Pour ce faire, il leur faut adopter des stratégies claires pour les populations victimes des dérèglements climatiques. La convention de Kampala sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, qui pousse les États à insérer dans leur législation des obligations d’accueil pour les personnes déplacées internes, semble constituer à cet égard une voie intéressante, tout comme le renforcement des actions de solidarité internationale.

2.   Le besoin d’une réponse rapide pour sauver des vies en Méditerranée

Sur proposition du groupe des socialistes, démocrates et verts, l’Assemblée parlementaire a tenu, lors de sa première séance plénière du jeudi 3 octobre 2019, un débat d’urgence sur le thème « Sauver des vies en Méditerranée : le besoin d’une réponse rapide ». Sur la base du rapport de M. Domagoj Hajduković (Croatie – SOC), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, elle a adopté une résolution sur le sujet.

Présentant ses conclusions, le rapporteur a constaté que, même maintenant, beaucoup de gens continuent d’oser traverser la Méditerranée pour atteindre la côte européenne. Beaucoup, malheureusement, ne pourront rejoindre l’Europe vivants. Selon les registres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), du Haut commissariat aux Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et de Frontex, au cours des six dernières années, 18 888 personnes ont ainsi perdu la vie alors qu’elles tentaient de traverser la Méditerranée. L’APCE a déjà débattu de ce sujet, la dernière fois en juin 2018.

L’objectif du rapport n’est pas d’accuser qui que ce soit mais plutôt d’exhorter chacun à l’action. Pas seulement les pays méditerranéens car ce n’est pas uniquement leur problème. Trouver de manière urgente une solution pour le partage des responsabilités dans l’ensemble de l’Union européenne est nécessaire mais ce n’est pas l’objectif d’un tel débat d’urgence.

Des opérations telles que Mare Nostrum des garde-côtes italiens, Sophia et Triton, ainsi que les efforts des gardes-côtes de Malte ont permis de sauver des milliers de vies. Néanmoins, malgré tous ces efforts, les noyades se poursuivent. C’est pourquoi il convient désormais de demander le lancement d’une nouvelle mission de sauvetage de l’Union européenne pour éviter la perte de vies humaines. Les ONG et autres initiatives privées, ainsi que ceux appliquant le droit maritime international ont aussi un rôle à jouer et il doit être reconnu.

Soulignant que les membres de l’APCE sont fiers des principes qu’ils défendent, le rapporteur s’est demandé en conclusion s’il existait un droit humain plus important que celui du droit à la vie. Citant le Talmud, il a insisté sur le fait que « celui qui sauve une vie sauve le monde tout entier». Chacun, face au miroir, devrait pouvoir se dire qu’il a pu faire une différence en sauvant une ou des vies, et par là, finalement, sauver le monde.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn – La République en Marche) a jugé que l’objet dramatique de ce débat d’urgence justifiait que l’APCE réagisse. Reprenant les propos du Président de la République française, M. Emmanuel Macron, indiquant que « quand les migrants sont sur les bateaux, c’est déjà trop tard », elle a plaidé pour une action en amont, ce qui n’est pas si simple.

Tous les États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne doivent être unis, d’abord dans la lutte contre les passeurs, et ensuite dans une préoccupation d’accueil aussi digne que possible, qui fait défaut actuellement. Il est heureux que la France soit le pays qui a accueilli le plus de migrants issus des bateaux de la Méditerranée mais il faut faire plus.

Pour ces raisons, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas a interrogé le rapporteur sur plusieurs points. Par quel mécanisme serait-il possible de renforcer l’exclusion de la responsabilité pénale des ONG qui œuvrent dans le cadre d’opérations de sauvetage en mer : par un protocole État-ONG propre à chaque pays fixant le cadre des opérations ou par la reconnaissance aux ONG d’un droit à l’ingérence humanitaire ? De même, quels sont les points de blocage constatés aujourd’hui pour une relocalisation plus efficace des migrants ? Enfin, concernant l’accueil dans les ports les plus proches, compte tenu de leur proximité géographique des lieux de départs de migrants, ces mêmes ports risquent d’absorber la majorité des flux ; en conséquence, quels sont les mécanismes de financement européens envisageables afin que l’accueil dans ces ports soit amélioré, ce que tous les membres de l’APCE souhaitent ?

3.   L’impact sociodémographique en Europe de l’Est de l’émigration économique

Lors de son ultime séance de la session, le vendredi 4 octobre 2019, l’Assemblée parlementaire a tenu une discussion, après la présentation par M. Martin Whitfield (Royaume-Uni – SOC), rapporteur suppléant, du rapport de M. Ionut-Marian Stroe (Roumanie – PPE/DC) au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, sur une résolution concernant l’émigration de travail en Europe de l’Est et son impact sur l’évolution sociodémographique dans ces pays, qui a été adoptée.

Le rapporteur suppléant a particulièrement insisté sur les défis auxquels les pays d’Europe de l’Est sont confrontés du fait des migrations de main-d’œuvre, à savoir : l’exode des cerveaux, le déclin démographique, la baisse des cotisations de Sécurité sociale et les problèmes sociaux au sein des familles et des communautés. Ces phénomènes appellent des mesures spécifiques dans les pays d’origine des travailleurs migrants et dans les pays où ceux-ci viennent travailler.

Ces mesures pourraient inclure un renforcement de l’assistance aux familles restées dans les pays d’origine, en particulier les enfants, ainsi qu’une information claire sur les opportunités et les risques pour les travailleurs migrants de même que des aides pour ceux qui souhaitent rentrer chez eux. Les pays d’accueil, quant à eux, devraient agir contre les migrations de travail illégales tout en insistant sur l’intégration des travailleurs migrants arrivés légalement.

Des propositions concrètes, découlant d’expériences réussies, montrent qu’il est possible d’aider les familles laissées pour compte par des initiatives sociales ciblées.

À titre d’illustration, les pays d’origine sont invités à notamment prévenir et remédier à l’abandon des enfants laissés par leurs parents qui partent travailler à l’étranger, via des dispositifs tels que « familles SOS ». L’accent devrait également être porté sur l’éducation de ces jeunes et, si nécessaire, sur un soutien psychologique. Enfin, d’autres actions spécifiques, à l’image de la création de structures de connexion entre les diasporas et leurs communautés d’origine, méritent elles aussi d’être étudiées.

Pour ce qui concerne les pays d’accueil, de nombreux exemples montrent qu’une intégration réussie des travailleurs migrants conduit à une plus grande cohésion sociale et à une meilleure coopération avec les États voisins. Ce faisant, les institutions de l’Union européenne sont appelées à accorder une plus grande attention à cette question. Les États d’accueil, pour leur part, devraient s’efforcer d’intensifier leurs efforts pour lutter contre les migrations de travail clandestines, mais aussi pour promouvoir l’intégration sociale des travailleurs migrants en situation régulière ainsi que la diversité, y compris par des programmes d’apprentissage des langues.

M. Martin Whitfield a jugé qu’il était également souhaitable de renforcer la coopération entre le Conseil de l’Europe, l’OIM, l’OCDE et, bien sûr, l’Union européenne, afin de promouvoir une image positive des migrants en Europe ainsi que des activités communes de développement humain, économique et social. Il a, dans cette optique, appelé les membres de l’Assemblée parlementaire à relayer ses travaux auprès de leurs Parlements respectifs.

M. André Reichardt (Bas-Rhin – Les Républicains) a observé que les déplacements de populations ont toujours fait partie de l’histoire européenne. Au sein de l’Union européenne, la libre circulation des travailleurs est un droit reconnu par les traités européens, notamment au sein de l’espace Schengen. L’idée, ici, est de considérer le travail comme une ressource nécessaire à la production de biens et services et de favoriser une allocation efficiente de celle-ci au sein de l’espace européen. Mais les États de l’Union européenne accueillent également des populations venues d’États européens tiers tels que l’Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie. Cette main-d’œuvre bon marché s’installe dans les États de l’Union où le taux de croissance est plus élevé et les conditions d’emploi meilleures.

Le travail de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées pointe les déséquilibres économiques, sociaux et démographiques induits par cette situation. Il met également en lumière la situation des enfants laissés au pays par des parents partis travailler à l’étranger. Celle-ci a des conséquences néfastes sur leur éducation avec des difficultés scolaires plus importantes, voire des problèmes de délinquance. Le sort de ces enfants est particulièrement préoccupant en Ukraine ou en Moldavie notamment.

M. André Reichardt a jugé illusoire de considérer le travail comme une ressource économique comme une autre. Il s’agit de femmes et d’hommes qui se déplacent et ceci n’est pas sans conséquences sur les familles, mais aussi sur les États, que ce soient ceux de départ ou ceux d’accueil. Ainsi, les États de départ sont privés de ressources humaines nécessaires à leur développement économique. De plus, les conséquences démographiques à long terme participent à appauvrir durablement certaines régions rurales de ces pays. Au sein des États d’accueil, l’arrivée de cette main-d’œuvre bon marché peut engendrer des tensions sociales, notamment en matière d’emploi et de logement.

Face à cette situation, il est nécessaire que les États d’Europe orientale prennent des mesures fortes pour inciter leurs populations à rester. Si les migrations sont essentiellement de nature économique, il est indispensable de créer un contexte politique favorable au développement. La lutte contre la corruption ou le renforcement de l’indépendance de la justice doivent permettre d’accroître les investissements. Des mesures sociales doivent également être prises pour assurer des salaires décents et une véritable protection sociale aux travailleurs.

Sur le plan politique, le Conseil de l’Europe doit jouer son rôle pour aider ces pays à créer des institutions garantissant la sécurité juridique des investisseurs. Sur le plan économique, le rôle de l’Union européenne est indispensable. La politique de voisinage doit favoriser une croissance inclusive qui permette la création d’emplois. L’avenir de ces pays est d’abord entre leurs mains mais les instances européennes doivent s’en préoccuper également.

M. Jacques Le Nay (Morbihan – Union Centriste) a salué le caractère très documenté du travail de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, notamment s’agissant des exemples de la Moldavie, la Pologne, la Roumanie et l’Ukraine. Il a relevé que les conséquences de ce phénomène se font sentir à la fois dans les pays d’origine et dans ceux d’accueil.

Il semble, toutefois, que les effets négatifs l’emportent sur les effets positifs, et cela pour les deux parties. Certes, la circulation des travailleurs est un principe fondamental, garanti en particulier par les traités de l’Union européenne. Les bénéfices en sont évidents, au-delà même des questions économiques. La culture française a ainsi été marquée par l’arrivée de travailleurs polonais, italiens ou portugais. Néanmoins, cette libre circulation, pour produire ses effets bénéfiques, doit s’exercer de façon réciproque. C’est dans cet échange que le fonctionnement du marché intérieur sera amélioré.

Or, la situation actuelle n’est pas satisfaisante, un déséquilibre important et persistant se faisant jour pour les pays d’Europe centrale et orientale. Plusieurs de ces pays se vident en effet de leur jeunesse. Le taux de chômage se réduit sans doute mais le financement du système social en pâtit fortement, dans un contexte de vieillissement démographique. Cette évolution transforme le phénomène en cercle vicieux et compter sur les transferts de fonds des diasporas ne présente que des avantages de court terme ; cela peut même retarder les indispensables réformes à entreprendre. Quant aux États européens d’accueil, ils souffrent trop souvent d’une concurrence déloyale, un dumping social et fiscal causé par les insuffisances et le contournement de la réglementation européenne relative au détachement des travailleurs. Il est regrettable, d’ailleurs, que cette question soit à peine évoquée lors de ce débat.

Des solutions aux problèmes posés par l’émigration de travail sont essentiellement à trouver au sein des pays d’Europe de l’Est qui, pour se rendre plus attractifs auprès de leurs propres populations, doivent conduire des réformes pour moderniser leurs économies et leurs infrastructures mais aussi contre la corruption et la criminalité organisée. Beaucoup de migrants de travail ne quittent pas leur pays de gaieté de cœur ; ils fuient d’abord des conditions de vie difficiles et sans doute également, dans certains pays, un contexte répressif.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a, lui aussi, noté que les conséquences démographiques, sociales et économiques des migrations de travail des pays d’Europe orientale vers les pays d’Europe occidentale sont particulièrement importantes pour les pays de départ, en particulier dans les zones rurales. Sont ainsi apparus, dans certains cas, des « villages fantômes ».

En outre, un pays obère ses perspectives de développement si toutes ses ressources vives migrent. L’absence de débouchés et d’opportunités de carrière pousse les plus diplômés à aller travailler dans d’autres pays. Cette fuite des cerveaux est d’autant plus préjudiciable qu’elle aura des conséquences à long terme. Certes, ces migrants envoient de l’argent dans leur pays d’origine, ce qui contribue à réduire la pauvreté et à stimuler l’investissement. Mais cela ne suffit pas à contrebalancer les effets négatifs : du point de vue budgétaire, la main-d’œuvre émigrée contribue à soutenir la balance des paiements mais ne permet pas d’augmenter les recettes fiscales, alors que ces États doivent financer les infrastructures nécessaires à leur développement économique.

Il est donc indispensable, pour l’avenir de ces États, de créer les conditions d’un retour de cette main-d’œuvre émigrée. La première des conditions est de permettre aux entrepreneurs de travailler et de profiter des fruits de leur travail. Cela implique de lutter contre la corruption. Le GRECO formule des propositions à cet effet ; il aide les États à les mettre en œuvre. En Moldavie, par exemple, la coalition actuellement au pouvoir entend faire de la lutte contre la corruption une priorité. En outre, la charte sociale européenne doit être appliquée pour garantir aux populations la protection sociale nécessaire et des revenus décents. Cela suppose aussi de renforcer la lutte contre le travail illégal et la traite d’êtres humains.

Parmi les États d’émigration, le cas de la Pologne est particulier. Si nombre de Géorgiens ou d’Ukrainiens vont travailler dans ce pays dans des secteurs comme l’agriculture ou le bâtiment, beaucoup de Polonais partent travailler en Allemagne ou au Royaume-Uni. Ce constat montre que, dans ces secteurs d’activité, les conditions de travail sont peu attractives. Des mesures devraient donc être prises pour y améliorer la protection sociale et revaloriser les salaires. De plus, lorsque le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, que se passera-t-il pour les ressortissants polonais ? Devront-ils revenir dans leur pays ? Et dans quelles conditions ? Des programmes ambitieux de soutien au retour de la diaspora devront, donc, être mis en place.

Enfin, s’il appartient essentiellement aux pays d’origine de trouver des solutions adéquates pour limiter l’émigration, cela ne dispense pas les États membres du Conseil de l’Europe qui ont ratifié la charte sociale européenne d’appliquer son article 19, relatif à l’accueil des travailleurs migrants.

 


[1]  Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Kosovo, Macédoine du Nord, Lettonie, Lituanie, Malte, Moldavie, Monténégro, Pologne, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovénie et Turquie.

[2]  Résolution 2278 (2019) modifiant certaines dispositions du Règlement de l’Assemblée.

[3]  Disponible sous le lien suivant : http://www.assembly.coe.int/LifeRay/PRO/Pdf/DocsAndDecs/2019/AS-PRO-2019-11-FR.pdf.

[4]  Résolution 2275 (2019), « Rôle et responsabilités des dirigeants politiques dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance », adoptée le 10 avril 2019.

[5]  Ont en effet prononcé un discours officiel ou une allocution devant l’APCE, MM. Edouard Balladur (31 janvier 1995), Raymond Barre (30 septembre 1980), Jacques Chirac (27 janvier 1987), Maurice Couve de Murville (15 mai 1969), Valéry Giscard d’Estaing (28 janvier 1977), Edouard Herriot (10 août 1949), François Hollande (11 octobre 2016), François Mitterrand (30 septembre 1982, 5 mai 1989 et 4 mai 1992), Alain Poher (6 mai 1974) et Robert Schuman (10 août 1950).

[6]  Défenseur des droits, rapport 11/2018, 79 pages.