N° 3193

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 juillet 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l’espace fiscal européen

ET PRÉSENTÉ

par M. Xavier Paluszkiewicz et Mme Frédérique Dumas

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 

 


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M.  Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Mme Catherine OSSON, MM. Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoit SIMIAN, Éric STRAUMANN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. La fiscalité, une compétence européenne limitée mise en œuvre selon des procédures très respectueuses des souverainetés nationales

A. Les traités nattribuent à lUnion quune compétence résiduelle

B. Un attribut de souveraineté relevant dune procédure préservant les intérêts nationaux

1. Une procédure législative spéciale marginalisant le Parlement européen

2. Un domaine exclusivement soumis à la règle de lunanimité

II. Un espace fiscal fragmenté

A. Des systèmes fiscaux hétérogènes, reflets de lhistoire ou de choix politiques

1. Le poids des prélèvements obligatoires, reflet du rôle confié à la sphère publique

2. Des structures de recettes fiscales différentes

3. La fixation des taux dimposition, au cœur de la souveraineté fiscale

a. La liberté encadrée des taux de TVA

b. Des taux dimposition des ménages cinq fois plus élevés dans certains pays que dans dautres

c. Des écarts de taux dimpôt sur les sociétés au cœur des préoccupations

B. Des légitimités nationales à reconnaître

C. Les lents progrès de lharmonisation européenne

1. Lunanimité na pas empêché lUnion de légiférer…

a. La lutte contre la fraude et lévasion fiscales

b. La fiscalité indirecte

2. … mais les initiatives les plus structurantes sont bloquées au Conseil

a. Lassiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés (ACCIS)

i. Les propositions de la Commission

ii. Les positions des États membres

b. Limposition de léconomie numérique

i. Les propositions de la Commission

ii. Les positions des États membres

c. Le régime définitif de TVA

i. Les propositions de la Commission

ii. Les positions des États membres

d. La révision de la directive sur la taxation de lénergie

e. Les ressources propres du cadre financier pluriannuel

III. Quelle démarche pour lever les blocages ?

A. Un recours accru à la majorité qualifiée, sil peut être souhaitable, ne saurait constituer la seule perspective

1. La feuille de route de la Commission pour une transition progressive vers la majorité qualifiée

a. Une transition en quatre étapes

b. Comment contourner le principe de lunanimité ?

2. Lévolution des règles procédurales ne suffirait pas à résoudre toutes les difficultés

a. La majorité qualifiée ne suffirait pas à empêcher tout blocage au Conseil

b. Une majorité peut-elle politiquement imposer à un pays une décision qui irait à lencontre de ses intérêts fondamentaux ?

c. Si lunanimité était levée en matière fiscale, serions-nous prêts à labandonner sur dautres sujets ?

B. LUnion dispose de leviers non législatifs pour faire évoluer les législations fiscales des États membres

C. Renforcer La confiance entre administrations fiscales est un préalable à toute avancée supplémentaire

1. Aider les États à se doter dune administration fiscale performante

2. Renforcer la coopération entre administrations fiscales

D. construire le consensus autour de propositions pragmatiques

E. Des négociations internationales susceptibles de changer la donne en Europe

1. Une nouvelle répartition des droits dimposition

a. Le champ dapplication de la proposition

b. Une nouvelle règle du lien indépendante de la présence physique

c. Une nouvelle règle de répartition des bénéfices favorisant les juridictions de marché

d. Un travail titanesque à poursuivre

2. Vers une imposition minimale effective ?

3. Des pays européens globalement favorables à une solution internationale, mais divisés sur ses modalités

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE n° 1 Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

ANNEXE n° 2 structure des recettes fiscales () en 2018 en % du PIB

ANNEXE n° 3 structure des recettes fiscales en 2018 en % du total


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Avertissement

Le présent rapport, dont la présentation était initialement prévue le 25 mars, a été rédigé avant le déclenchement de la crise du coronavirus. À ce stade, les rapporteurs ont considéré qu’elle ne conduisait pas à remettre en cause substantiellement leurs analyses ni leurs propositions, qui portent essentiellement sur des éléments de méthode.

La violente crise économique que nous traversons bouleverse toutefois évidemment le contexte dans lequel se déroulent des négociations ayant un impact direct sur les finances publiques. Il paraît cependant prématuré de se prononcer sur les conséquences qu’elle pourrait avoir en matière de fiscalité européenne et internationale.

À très court terme, les perturbations causées par la crise ont déjà conduit l’Union à reporter de quelques mois l’entrée en vigueur de certaines mesures concernant la TVA sur le commerce électronique et les échanges d’informations, certaines administrations fiscales et certains établissements financiers n’étant pas en mesure de respecter les délais initialement prévus.

À moyen terme, il est possible que la recherche de nouvelles recettes pour financer des dépenses du budget européen puisse permettre d’accélérer la discussion sur des propositions de nature fiscale, mais chaque État aura à cœur de préserver ses recettes nationales.

Au niveau international, les gouvernements étant focalisés sur la gestion de la crise à court terme et les réunions internationales étant impossibles, les pays ont souhaité décaler les négociations en cours à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’adaptation de la fiscalité internationale à la numérisation de l’économie, compte tenu de leur importance. Le calendrier des élections américaines perturbe également le déroulement de la négociation. La réunion du cadre inclusif prévue en juillet a été décalée en octobre, mais un accord sur le premier pilier avant la fin de l’année paraît extrêmement improbable. La crise, avec ses conséquences économiques et sociales, a toutefois démontré à quel point il était essentiel.

Les grandes entreprises du numérique ont plutôt bénéficié de la crise, grâce aux services qu’elles ont offert à une population empêchée de se déplacer pour travailler, s’équiper et se distraire. Alors que d’autres secteurs d’activité souffrent beaucoup, cette crise donne un nouvel élan aux négociations pour aboutir à un accord respectant le calendrier prévu.

Les propositions faites par la Commission européenne lors de la présentation de son plan de relance sont claires. Elle privilégie « dans l’idéal » une solution au niveau de l’OCDE mais n’exclut pas une solution au niveau européen en cas d’échec. Dans le cas contraire, le risque est grand de voir se multiplier des taxations nationales, la fragmentation du marché et le retour des sanctions américaines.

Par ailleurs, la nécessité d’une imposition minimale des entreprises pourrait aussi bénéficier d’un regain d’intérêt, la plupart des pays ayant de lourdes dépenses à financer. Comme au niveau européen, l’issue reste toutefois incertaine.

 


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Au cours de la dernière décennie, la crise des dettes souveraines, en contraignant les gouvernements à augmenter rapidement la pression fiscale, les révélations de la presse sur les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales, les travaux de l’OCDE sur les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transferts de bénéfices, ainsi que les débats sur la juste imposition des grandes entreprises du numérique ont remis sur le devant de la scène le sujet de la divergence des systèmes fiscaux au sein de l’Union européenne.

C’est dans ce contexte, et peu après la présentation par la Commission européenne de ses pistes pour « un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière de politique fiscale dans lUnion », que notre commission a confié aux rapporteurs un travail sur « l’espace fiscal européen ».

Un premier constat s’est rapidement imposé : l’expression elle-même a déconcerté bon nombre d’interlocuteurs des rapporteurs à l’étranger, pour lesquels les questions fiscales sont par essence nationales et la concurrence fiscale un outil de compétitivité revendiqué.

Au cours de ces quelques mois de travail, les rapporteurs se sont attachés à tenter de comprendre la position de pays qui ont souvent fait obstacle à des initiatives de la Commission européenne en matière fiscale et défendu des positions différentes de celles de la France. Ils se sont pour ce faire rendus dans plusieurs pays du nord ou de l’est de l’Europe ou ont interrogé leurs ambassades à Paris.

En traitant de l’espace fiscal européen, les rapporteurs n’ont pas entendu faire un rapport de plus sur l’évasion fiscale des multinationales, sujet qui a fait l’objet de nombreuses enquêtes et d’un rapport très complet de la commission des finances ([1]). Ils n’ont pas non plus voulu dessiner une Europe fiscale idéale qui a peu de chances de voir le jour. Ils se sont enfin interdit de porter un jugement de valeur sur la politique fiscale de tel ou tel membre de l’Union européenne.

Dans leur démarche, les rapporteurs ont souhaité avancer avec modestie, en partant du constat de la forte hétérogénéité des systèmes fiscaux des États européens, en essayant de comprendre la légitimité des positions des autres États et en proposant une méthode permettant de continuer à progresser, autant que possible, vers des règles fiscales européennes plus favorables au fonctionnement du marché intérieur et plus protectrices des recettes fiscales des États membres.

I.   La fiscalité, une compétence européenne limitée mise en œuvre selon des procédures très respectueuses des souverainetés nationales

Le consentement à l’impôt est au cœur de la citoyenneté et à la source du parlementarisme. Aussi, la fiscalité est-elle un attribut essentiel de la souveraineté des États, qui ont, lors de l’élaboration des traités européens, veillé à maintenir cette compétence au niveau national, autant que la mise en place du marché unique le permettait.

A.   Les traités n’attribuent à l’Union qu’une compétence résiduelle

Bien que la fiscalité relève principalement de la compétence des États membres, la mise en place d’un marché intérieur intégré et de l’Union économique et monétaire a conduit l’Union européenne à se préoccuper des règles fiscales des États membres, afin de limiter les distorsions de concurrence. L’intervention européenne dans le domaine fiscal s’est ainsi construite à partir de la nécessité d’assurer la mobilité des biens, du capital et du travail, et non pour dégager des ressources budgétaires, comme au niveau national.

La Commission peut donc présenter des propositions législatives si elle estime qu’une action au niveau de l’Union est nécessaire pour le bon fonctionnement du marché intérieur, en respectant les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

L’harmonisation de la fiscalité au niveau européen reste par conséquent limitée. Elle est beaucoup plus avancée en matière de fiscalité indirecte que d’impôts directs, en raison du niveau élevé d’harmonisation en matière de fiscalité indirecte que supposent la libre-circulation des marchandises et la libre prestation de services.

La liberté des États en matière de politique fiscale est encadrée par plusieurs articles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) destinées à faire respecter un principe de neutralité fiscale dans les échanges intracommunautaires :

– l’article 110 impose que le traitement fiscal des produits importés depuis un autre État membre soit identique à celui des produits nationaux similaires ;

– l’article 111 limite les ristournes fiscales accordées aux produits exportés vers un autre État membre ;

– l’article 112 prévoit que, pour les impôts autres que la taxe sur le chiffre d’affaires, les accises et les autres impôts indirects, des exonérations fiscales à l’exportation et des taxes de compensation à l’importation sont interdites, sauf autorisation préalable et pour une durée déterminée.

Outre ces éléments d’harmonisation négative, qui limitent la marge de manœuvre des États, le chapitre « dispositions fiscales » du TFUE consacre un article 113 à l’harmonisation « positive » en matière de fiscalité indirecte. La législation européenne peut exiger d’harmoniser les législations nationales pour éviter qu’une trop grande différence entre les régimes fiscaux concernant les biens et services aboutisse à des distorsions de concurrence et constitue un obstacle à la vente ou à l’achat transfrontière de produits.

En vertu de larticle 113, le Conseil peut arrêter les dispositions « touchant à lharmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre daffaires, aux droits daccises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer létablissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence ». C’est sur le fondement de cet article qu’ont été adoptées, par exemple, les directives relatives au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, au régime général d’accise et au système européen de taxation des produits énergétiques et de l’électricité.

Le TFUE ne prévoit en revanche aucune disposition spécifique en matière de fiscalité directe. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a toutefois admis que les dispositions générales de larticle 115 du TFUE, qui concernent le rapprochement des législations qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur, sans référence spécifique à la fiscalité, puissent servir de base juridique au rapprochement des législations en matière de fiscalité directe. Elle a en outre confirmé que les quatre libertés prévues par le traité en faveur de la circulation des travailleurs (article 45), de l’établissement et de la prestation de services (article 49), ainsi que des mouvements de capitaux (article 63) doivent être respectées dans le domaine fiscal.

Aux termes de l’article 115, le Conseil « arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur létablissement ou le fonctionnement du marché intérieur ». C’est également cet article qui a servi de base juridique aux textes ayant pour objet la lutte contre l’évasion fiscale.

Enfin, au-delà du rapprochement des législations fiscales pour le bon fonctionnement du marché intérieur et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le TFUE comprend un article 311 consacré aux ressources de l’Union, qui prévoit que le Conseil adopte une décision fixant les ressources propres de l’Union et lui permet, dans ce cadre, « détablir de nouvelles catégories de ressources propres ou dabroger une catégorie existante ».

B.   Un attribut de souveraineté relevant d’une procédure préservant les intérêts nationaux

De même que les budgets, les impôts sont aux yeux des États membres directement liés à des choix éminemment politiques, dont ils doivent rendre compte devant leurs électeurs et devant leur parlement national. Alors que la législation communautaire est en principe décidée à la majorité qualifiée des États membres, le Parlement européen intervenant comme co-législateur, le Conseil statue en matière de fiscalité à lunanimité conformément à une procédure législative spéciale.

1.   Une procédure législative spéciale marginalisant le Parlement européen

La fiscalité fait partie des quelques domaines d’action où les décisions sont encore adoptées au moyen d’une procédure législative spéciale. En application des articles 113 et 115 du TFUE, les initiatives de l’Union en matière de fiscalité sont prises par le Conseil sur proposition de la Commission. Les articles 192 et 194 précisent explicitement que lorsque des mesures prises en matière environnementale ou d’énergie sont « essentiellement de nature fiscale », une procédure spéciale s’applique. Il en est de même pour la décision fixant les dispositions applicables au système des ressources propres de l’Union, qui est assortie d’un verrou national supplémentaire, puisqu’elle ne peut entrer en vigueur qu’après son approbation par chaque État membre conformément à ses règles constitutionnelles.

Dans le cadre de la procédure spéciale, le Parlement européen nest que consulté. Son seul levier d’action est d’utiliser son poids politique pour influencer les décisions du Conseil ou les initiatives de la Commission, comme il l’a fait notamment ces dernières années à la suite de plusieurs scandales fiscaux. Il peut aussi utiliser un dossier sur lequel son accord est requis pour faire pression sur une proposition fiscale, comme il le fait dans la négociation du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) en soulignant qu’il ne donnera pas son approbation quant au CFP s’il n’y a pas un accord sur la réforme du système des ressources propres ([2]).

2.   Un domaine exclusivement soumis à la règle de l’unanimité

Au fil du temps, l’Union est passée du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée, que l’Acte unique européen a étendu à la plupart des domaines liés à la réalisation du marché unique. Les États membres ont reconnu que la règle de l’unanimité ralentissait les progrès et empêchait l’UE de s’adapter à des réalités changeantes.

Pour les votes du Conseil, les traités européens prévoient en principe la règle de la majorité qualifiée. L’article 16 du traité sur l’Union européenne (TUE) dispose que « le Conseil statue à la majorité qualifiée, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement ». Environ 80 % de lensemble des actes législatifs de lUE sont adoptés à la majorité qualifiée ([3]).

Le système de la double majorité prévoit que la majorité qualifiée est acquise si au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant au moins 65 % de la population de l’Union, soutiennent la proposition de la Commission. Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil.

Dans de rares cas, les traités dérogent à la règle de la majorité qualifiée en prévoyant une règle de majorité simple, notamment pour les questions procédurales.

Plus nombreux sont les cas où les traités prévoient un vote à lunanimité ([4]), pour des domaines politiques que les États membres considèrent comme sensibles (cf. infra page 75). C’est le cas en matière fiscale.

Dans sa communication du 15 janvier 2019 ([5]), la Commission européenne met en lumière les effets pervers de cette procédure, outre la difficulté, voire l’impossibilité, de parvenir à un compromis sur certaines propositions :

– la recherche de compromis peut dénaturer la proposition de la Commission. En 2013, la Commission a proposé la mise en place d’une déclaration de TVA harmonisée, dont elle estimait qu’elle aurait pu réduire de 15 milliards d’euros par an les charges pour les entreprises transfrontières. Toutefois, les travaux au sein du Conseil ont abouti à un résultat compromettant l’objectif de simplification, qui a conduit la Commission à retirer sa proposition. De même, la Commission a proposé en 2011 une révision de la directive sur la taxation de l’énergie afin d’aboutir à un système de taxation de l’énergie plus favorable à l’action de l’UE en matière d’environnement. Elle a été retirée afin d’éviter un texte allant à l’encontre de l’objectif poursuivi ;

– certains États membres peuvent utiliser des propositions fiscales importantes comme moyen de pression pour faire aboutir leurs exigences dans des dossiers complètement distincts ou pour amener la Commission à élaborer des propositions législatives dans d’autres domaines. La Roumanie a ainsi récemment bloqué plusieurs propositions pour obtenir un régime d’exonération de droits d’accises sur ses alcools « faits maison » ;

– le compromis s’appuie sur le plus petit dénominateur commun, ce qui limite les retombées positives de la législation. De plus, les décisions prises à l’unanimité ne pouvant être modifiées ou annulées qu’à l’unanimité, les États membres font preuve d’une prudence excessive par crainte de ne pas pouvoir revenir en arrière.

De nombreux États membres estiment que la règle de l’unanimité garantit le respect de la souveraineté nationale contre tout changement indésirable décidé au niveau de l’UE. Certains voient également en elle un garde-fou pour éviter que l’UE outrepasse ses compétences et intervienne, par exemple, dans la fixation des taux de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu.

Les auditions des rapporteurs ont confirmé le grand attachement de nombreux pays, en particulier du Nord et de lEst, au principe de lunanimité. Il est considéré comme une sécurité par les petits pays, qui estiment utiliser leur droit de véto avec parcimonie. Pour eux, l’unanimité pousse à davantage coopérer, à aboutir à une position vraiment commune que chaque pays pourra s’approprier.

En Suède, ni le gouvernement ni le Parlement ne soutiennent le passage à la majorité qualifiée sur les questions fiscales.

Le Danemark est également très attaché à sa souveraineté en matière fiscale, attachement partagé par la quasi-totalité des partis politiques. Les représentants du ministère des finances ont estimé que, si le recours à la majorité qualifiée pouvait sentendre pour les questions de coopération administrative, les principes de la fiscalité doivent relever de la souveraineté nationale. La classe politique danoise a en outre été décrite comme traumatisée par le rejet du traité de Maastricht par référendum au début des années 1990, puis par les options de retrait (opt out([6]) pour l’Union économique et monétaire, la défense et l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Différents gouvernements ont essayé d’organiser des référendums pour revenir sur ces opt out, mais ont échoué, ce qui incite la classe politique danoise à la plus grande prudence à légard de tout transfert de compétence à léchelon européen. C’est ainsi que, malgré l’avis de sa banque centrale, le Danemark hésite toujours à rejoindre l’union bancaire. N’étant pas membre de la zone euro, le Danemark craint en outre que, si les décisions étaient prises à la majorité qualifiée dans le domaine fiscal, elles ne le soient quen fonction des intérêts de la zone euro.

À l’Est, la Hongrie et la Pologne sont également attachées à lunanimité. Les interlocuteurs des rapporteurs en Pologne se sont montrés très favorables, et même demandeurs, d’une coopération renforcée entre les États et leurs administrations fiscales pour lutter contre l’optimisation et la fraude fiscales des multinationales et contre la fraude à la TVA, mais opposés à lidée que, en matière fiscale, un pays puisse être obligé dappliquer une législation quil naurait pas voulue.

Enfin, lors de son audition, la représentante de l’ambassade du Luxembourg a invoqué, outre les considérations politiques liées à la préservation des recettes fiscales et à l’appropriation de la décision par tous les pays (cf. infra), un argument juridique qui ne paraît pas dénué de logique. Les auteurs des traités n’ont pas estimé opportun de donner une compétence à l’Union en matière de fiscalité directe. Dès lors que toutes les mesures dharmonisation fiscale en matière de fiscalité directe sont prises sur la base résiduelle de larticle 115 (cf. supra page 11), destiné à éliminer les distorsions du marché intérieur, il nest pas incompréhensible quelles soient prises à lunanimité.

II.   Un espace fiscal fragmenté

Chaque État membre de l’Union européenne dispose d’un système fiscal propre, qui s’est construit au fil des décennies, voire des siècles, bien avant la création de l’Union européenne.

Alors que les règles de l’Union européenne laissent subsister ces particularités, l’hétérogénéité des systèmes fiscaux européens, héritage de l’histoire et de choix politiques différents, se heurte aujourd’hui à la réalité du développement des échanges internationaux et de la mobilité des capitaux.

La fragmentation de la fiscalité directe et, dans une moindre mesure, de la fiscalité indirecte, en vingt-sept législations différentes encourage la concurrence fiscale dommageable et facilite les stratégies d’optimisation fiscale qui réduisent les recettes des États membres. Elle impose des coûts de conformité importants aux entreprises qui opèrent dans plusieurs pays de l’Union européenne et rend le marché unique moins attrayant pour les investisseurs étrangers.

A.   Des systèmes fiscaux hétérogènes, reflets de l’histoire ou de choix politiques

L’hétérogénéité des systèmes fiscaux se constate à la fois dans le poids des prélèvements obligatoires, qui varie du simple ou double entre les États membres, et dans la structure des recettes fiscales, c’est-à-dire l’importance relative de tel ou tel impôt dans les recettes fiscales des pays. Ces différences reflètent des choix politiques structurants. Une harmonisation plus poussée des systèmes fiscaux des États membres trouve rapidement ses limites dans la convergence limitée des politiques budgétaires et dans la coexistence de systèmes de protection sociale eux aussi hétérogènes, voire une limite absolue lorsque l’outil fiscal conditionne les politiques menées, comme les dispositifs en faveur d’une politique familiale ambitieuse que mène par exemple la Pologne, confrontée à une forte chute de sa natalité et déterminée à endiguer toute forme d’immigration.

1.   Le poids des prélèvements obligatoires, reflet du rôle confié à la sphère publique

La première différence entre les systèmes fiscaux des États membres réside dans le poids des prélèvements obligatoires qui à la fois détermine et résulte des choix faits en matière de politique fiscale.

Selon les données d’Eurostat, en 2018, il allait de 23 % du produit intérieur brut (PIB) en Irlande à 48,4 % en France, la moyenne de l’Union européenne à 28 s’élevant à 40,3 % et celle de la zone euro à 41,7 %.

recettes issues des impôts et cotisations sociales en 2018

(en % du PIB)

Source : Eurostat.

Prélèvements obligatoires et dépenses publiques sont « les deux faces de la même médaille » ([7]), que l’on peut difficilement considérer séparément, sauf à tirer des conclusions biaisées sur le niveau des prélèvements obligatoires sans prendre en compte leurs contreparties.

Si l’efficacité de la dépense publique peut être un élément d’explication des différences dans les taux de prélèvements obligatoires, les préférences collectives en matière déducation, de santé et de protection sociale semblent constituer la principale clé de ces différences.

Chaque pays décide de consacrer une certaine proportion de ses ressources à l’éducation, à la santé et à la protection sociale, ce qui constitue une première source d’écart. Autre source d’hétérogénéité, il décide ensuite de financer les services correspondants de façon plus ou moins marquée de manière publique et obligatoire ou en laissant d’avantage d’importance aux dépenses ou assurances privées. C’est dans cette double décision que réside la principale différence entre taux de prélèvements obligatoires, ainsi que dans l’importance plus ou moins grande donnée aux contraintes budgétaires et au choix de la méthode pour y répondre, entre réduction des dépenses et augmentation des recettes.

Comme l’illustre le diagramme ci-après, plus les dépenses publiques de santé et de protection sociale pèsent lourd dans un pays, plus le taux de prélèvements obligatoires y est élevé.

Les pays comme le Danemark, la France, la Belgique, la Suède ou la Finlande qui ont des taux de prélèvements obligatoires supérieurs à la moyenne européenne, consacrent également une part de leur PIB supérieure aux dépenses d’éducation et de protection sociale.

Recettes fiscales et dépenses publiques en 2017

(en % du PIB)

Source : Direction générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne, Tax policies in the European Union 2020 Survey, janvier 2020.

Le système fiscal ne peut pas être considéré indépendamment du modèle social de chacun des pays. Le déplacement des rapporteurs au Danemark a montré à quel point lattachement des Danois à leur modèle social était déterminant pour comprendre leurs positions sur les sujets fiscaux : toute réforme décidée au niveau européen ou international qui se traduirait par une baisse des recettes fiscales du pays serait susceptible de remettre en cause le système de protection sociale, qui apparaît véritablement comme un sujet de consensus national.

Les Pays-Bas offrent un exemple de choix politique différent. Leur taux de prélèvements obligatoires est inférieur à la moyenne européenne, mais, en matière d’assurance santé, il existe une franchise obligatoire sur les 385 premiers euros par an, quel que soit le niveau de revenu. Le système de retraite repose pour sa part sur trois piliers (la loi générale sur les pensions de vieillesse, la constitution de pension complémentaire par l’employeur et les assurances pension complémentaire individuelles), dont seul le premier, qui ne fournit qu’un revenu de base, repose sur des cotisations obligatoires.

2.   Des structures de recettes fiscales différentes

Une première différence entre les pays réside dans le poids de la fiscalité par rapport au PIB. Une deuxième porte sur la structure des recettes fiscales, selon que les pays préfèrent taxer davantage la consommation, le capital ou le travail, d’une part, et les ménages ou les entreprises, d’autre part. Les écarts en la matière sont aussi importants que pour le niveau des prélèvements obligatoires.

Les recettes fiscales, au sens large, peuvent être divisées en trois grandes catégories : impôts directs, impôts indirects et cotisations sociales. En moyenne, dans l’Union européenne, chaque catégorie compte pour environ un tiers du total. Le Danemark a la plus forte proportion d’impôts directs, la Croatie la plus forte proportion d’impôts indirects et la Slovaquie la plus forte proportion de cotisations sociales.

Une large proportion des impôts directs (plus de 70 % en moyenne dans l’Union européenne) est issue de l’impôt sur le revenu des ménages.

Alors que cest au sujet de limpôt sur les sociétés que les initiatives de la Commission en matière fiscale ont le plus de peine à progresser et que cest ce sujet qui attire le plus lattention du public (car le plus susceptible de faire lobjet de stratégies doptimisation qui minent le sentiment de justice fiscale), limpôt sur les sociétés est loin dêtre prépondérant en termes de rendement. Dans la zone euro, en moyenne, il représente 2,6 % du PIB, loin derrière l’impôt sur le revenu des ménages (9,1 %), les impôts indirects (13,2 %) et les cotisations sociales (15,3 %). Il n’y a qu’à Chypre et, de peu, en Slovaquie que le rendement de l’impôt sur les sociétés est supérieur à celui de l’impôt sur le revenu des ménages.

structure des recettes fiscales par grande catégorie fiscale en 2018 ([8])

(en % du PIB)

Source : Eurostat.

Si l’on examine les principales catégories fiscales, une nette diversité existe entre les États membres de l’UE. En 2018, la part des impôts sur la production et sur les importations était la plus élevée en Suède (où ils représentaient 22,4 % du PIB), en Croatie (20,1 %) et en Hongrie (18,6 %), tandis qu’elle était la plus faible en Irlande (8 %), en Roumanie (10,7 %) et en Allemagne (10,8 %). S’agissant des impôts sur le revenu et le patrimoine, la part de loin la plus élevée a été enregistrée au Danemark (28,9 % du PIB), devant la Suède (18,6 %), la Belgique (16,8 %) et le Luxembourg (16,4 %). À l’inverse, la Roumanie (4,9 %), la Lituanie (5,7 %) et la Bulgarie (5,8 %) ont enregistré les impôts sur le revenu et le patrimoine les plus faibles en pourcentage du PIB. Les cotisations sociales nettes représentaient une proportion significative du PIB en France (18 %) et en Allemagne (17,1 %), tandis que les ratios les plus bas ont été observés au Danemark (0,9 % du PIB), en Suède (3,4 %) et en Irlande (4,2 %).

Le diagramme suivant présente la structure des recettes fiscales de chaque pays non plus en fonction de leur poids par rapport au PIB, mais de leur importance dans le total des recettes fiscales. Il montre de manière encore plus nette les préférences des différents pays en matière de prélèvements obligatoires. Le cas le plus extrême est celui du Danemark, où le système de protection sociale nest pas financé par des cotisations, mais par les impôts directs, en particulier l’impôt sur le revenu. On peut noter que dans des pays comme la Croatie, la Bulgarie, la Suède ou la Hongrie, la part des impôts indirects est proche ou supérieure à 50 % des recettes totales.

structure des recettes fiscales par grande catégorie fiscale en 2018

(en % du total)

Source : Eurostat.

Le système fiscal de chaque pays peut également être étudié en fonction de la fonction économique de la base fiscale, en distinguant les impôts pesant sur le travail (y compris les contributions sociales), les bénéfices des entreprises, le capital et la consommation. Selon ces critères également, les choix des différents États sont très variés. Globalement, les pays de l’Est privilégient la taxation de la consommation, alors que les impositions pesant sur le travail représentent plus de 50 % des recettes dans des pays comme la Suède, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays‑Bas ou la France.

Structure des recettes fiscales selon la fonction économique
de la base taxable

(en % du total des recettes fiscales)

Source : Direction générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne, Tax policies in the European Union 2020 Survey, janvier 2020.

Bien d’autres éléments de comparaison pourraient démontrer l’hétérogénéité des systèmes fiscaux des États membres, dont il est indispensable d’avoir conscience si l’on veut comprendre les positions de chacun dans les négociations fiscales européennes, sans quoi il sera impossible de faire progresser ces dossiers.

Une dernière différence que les rapporteurs souhaitent mettre en avant porte sur le rendement des taxes « pigouviennes », dont le principal objectif est de modifier les comportements, en particulier en matière environnementale et de santé. Les données sur les recettes de ces taxes doivent être interprétées différemment de celles portant sur les autres impôts, dans la mesure où, si elles sont efficaces, elles érodent leur base.

À l’heure des débats sur le pacte vert et sur de potentielles nouvelles ressources propres « vertes » pour le budget de l’Union, qui suscitent de grandes craintes dans les pays de l’Est, il n’est pas inutile de garder en mémoire que les taxes environnementales représentent déjà 9,8 % des recettes fiscales de la Bulgarie, plus de 9 % de celles de la Hongrie et 7,7 % de celles de la Pologne, contre respectivement 4,5 % et 5,1 % pour l’Allemagne et la France. L’OCDE estimait toutefois en 2018 que, pour ce qui concerne la Hongrie, « les taxes en question ont surtout une utilité budgétaire ; rien ne démontre quelles ont eu des effets tangibles sur lenvironnement » ([9]). De même, selon le rapport de 2015 sur la Pologne, « il serait possible de modifier la structure des taxes liées à lenvironnement afin quelles tiennent davantage compte des externalités environnementales » ([10]).

Rendement des taxes comportementales en 2018

(en % du total des recettes fiscales)

Source : Direction générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne.

3.   La fixation des taux d’imposition, au cœur de la souveraineté fiscale

Les différences constatées entre les États membres pour ce qui concerne le niveau des prélèvements obligatoires et la structure des recettes fiscales se retrouvent en matière de taux, où s’exerce la plénitude de la souveraineté des États.

Le tableau ci-après récapitule les principaux taux applicables en matière de TVA, d’impôt sur le revenu des ménages, et d’impôt sur les sociétés.

Principaux taux d’imposition dans les pays de l’Union européenne

(en %)

 

TVA (2019)

Taux marginal personnes physiques ([11])

Impôts
sur les bénéfices des sociétés

Normal

Réduit

Super réduit

Taux nominal maximal ([12])
(2019)

Taux effectif (2018)

Belgique

21

6/12

 

53,1

29,6

24,8

Bulgarie

20

9

 

10,0

10,0

9,0

Rép. tchèque

21

10/15

 

15,0

19,0

16,7

Danemark

25

 

 

55,9

22,0

19,8

Allemagne

19

7

 

47,5

29,9

28,9

Estonie

20

9

 

20,0

20,0

15,7

Irlande

23

9/13,5

4,8

48,0

12,5

14,1

Grèce

24

6/13

 

55,0

28,0

27,6

Espagne

21

10

4

43,5

25,0

30,1

France

20

5,5/10

2,1

51,5

32,0

33,4

Croatie

25

5/13

 

42,5

18,0

14,8

Italie

22

10/5

4

47,2

27,8

23,7

Chypre

19

5/9

 

35,0

12,5

13,0

Lettonie

21

5/12

 

31,4

20,0

16,7

Lituanie

21

5/9

 

27,0

15,0

13,6

Luxembourg

17

8

3

45,8

24,9

22,8

Hongrie

27

5/18

 

15,0

10,8

11,1

Malte

18

5/7

 

35,0

35,0

24,4

Pays-Bas

21

9

 

51,8

25,0

22,5

Autriche

20

10/13

 

50,0

25,0

23,1

Pologne

23

5/8

 

32,0

19,0

17,5

Portugal

23

6

 

53,0

31,5

21,4

Roumanie

19

5/9

 

10,0

16,0

14,7

Slovénie

22

9,5

 

50,0

19,0

17,3

Slovaquie

20

10

 

25,0

21,0

18,7

Finlande

24

10/14

 

51,1

20,0

19,6

Suède

25

6/12

 

57,2

21,4

19,4

Royaume-Uni

20

5

 

45,0

19,0

20,6

EU-28

21,5

 

 

39,4

21,7

19,8

EA-19

20,8

 

 

43,2

23,9

21,7

Source : Commission des affaires européennes, d’après les données fiscales de la Direction générale de la fiscalité et des douanes de la Commission européenne.

a.   La liberté encadrée des taux de TVA

Même en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), où une directive ([13]) a harmonisé les législations nationales relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires au moyen d’un système de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afin d’éliminer les facteurs susceptibles de fausser les conditions de concurrence, les États demeurent maîtres dans la fixation des taux. Cette liberté n’est tempérée que par quelques planchers prévus par la directive :

– le taux normal ne peut être inférieur à 15 % ;

– les pays peuvent appliquer un ou deux taux réduits, pour les biens ou services limitativement énumérés dans l’annexe III de la directive. Ce taux ne peut être inférieur à 5 %.

Pour des raisons historiques, et sous certaines conditions, de nombreux pays de l’UE ont été autorisés à déroger à ces règles pendant une période de transition, dans l’attente de l’adoption du régime définitif de TVA (cf. infra). Ils peuvent continuer à appliquer des « taux spéciaux », c’est-à-dire des taux inférieurs à 5 % (y compris taux zéro) ou des taux réduits sur des biens et services qui ne sont pas cités dans l’annexe III de la directive, lorsque ces dispositions existaient avant le 1er janvier 1991. Il s’agit d’un sujet de crispation pour les pays ayant adhéré récemment à lUnion européenne, en particulier les pays de lEst, qui nont pas bénéficié de cette « clause du grand-père » et estiment que la législation actuelle est inéquitable. Selon la Commission, plus de 250 exonérations permettent à plusieurs États membres beaucoup plus de souplesse dans la fixation de leurs taux.

Le taux normal de TVA varie de 17 % au Luxembourg à 27 % en Hongrie, la moyenne européenne (Royaume-Uni inclus) se situant à 21,5 %. Quant aux taux réduits, ils s’échelonnent du plancher de 5 % à un maximum de 18 % en Hongrie, supérieur au plancher du taux normal.

Au titre des dispositions temporaires applicables jusqu’à l’introduction du régime définitif prévues au chapitre IV du titre VIII de la directive :

– cinq pays (Belgique, Irlande, Luxembourg, Autriche et Portugal) soumettent à des taux réduits la consommation de biens et services qui ne figurent pas sur la liste établie à l’annexe III de la directive TVA ;

– cinq pays (Irlande, Espagne, Italie, France et Luxembourg) appliquent des taux réduits inférieurs au plancher de 5 % ;

– six pays (Belgique, Danemark, Irlande, Malte, Finlande et Suède) appliquent des taux zéro pour la consommation de certains biens et services, comme les périodiques (Danemark et Belgique) ou certains produits alimentaires et médicaments (Irlande, Malte et Suède).

b.   Des taux d’imposition des ménages cinq fois plus élevés dans certains pays que dans d’autres

L’imposition des ménages n’a pas la même importance que la TVA pour le fonctionnement du marché intérieur ; elle est également moins susceptible que l’imposition des entreprises de donner lieu à des stratégies d’optimisation complexes. Elle peut néanmoins participer de la concurrence fiscale entre États. Les États demeurent, sous réserve des principes généraux des traités, libres de fixer les modalités d’imposition des revenus des personnes physiques. Les écarts sont extrêmement importants, avec des taux marginaux (toutes contributions confondues) qui dépassent 55 % en Grèce, en Suède et au Danemark, alors qu’ils ne sont que de 10 % en Bulgarie ou en Roumanie.

Enfin, il faut noter que sept pays, principalement d’Europe de l’Est, appliquent une imposition proportionnelle (flat tax) des revenus : Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Chypre, Lituanie, Hongrie et Roumanie.

c.   Des écarts de taux d’impôt sur les sociétés au cœur des préoccupations

Dans une tendance de long terme de baisse des taux d’imposition des bénéfices des entreprises concernant tous les pays, les écarts restent très significatifs.

Taux maximal et taux effectif moyen d’imposition
des bénéfices des sociétés

(en %)

Source : Direction générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne, Taxation trends in the European Union, mai 2019.

Au sein de l’Union européenne, les taux légaux d’impôt sur les bénéfices des sociétés sont particulièrement faibles dans certains pays de lEst : 9 % en Hongrie (auquel s’ajoute une taxe professionnelle locale de 2 %) et 10 % en Bulgarie. La Pologne, dont le taux général est de 19 %, a également instauré un taux réduit à 9 % pour les sociétés dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 2 millions d’euros et pour les sociétés nouvelles durant leur premier exercice.

À l’opposé, pour 2019, le taux maximal légal d’imposition des bénéfices des sociétés était de 35 % à Malte, la moyenne européenne se situant à 21,7 %.

Les taux légaux de l’impôt sur les sociétés fournissent un aperçu des taux d’imposition auxquels les sociétés sont soumises dans une juridiction donnée, mais ne donnent qu’une vision très incomplète du régime fiscal qui leur est applicable. Les pays peuvent prévoir de multiples taux d’imposition différents applicables à différents types de sociétés et de revenus :

– des régimes fiscaux préférentiels qui permettent d’accorder des taux d’imposition réduits à certains types de sociétés ou pour certaines catégories de revenus ;

– l’imposition à des taux différents des bénéfices distribués et des bénéfices non distribués. En Estonie et en Lettonie, par exemple, c’est la distribution et non la réalisation des bénéfices qui déclenche l’obligation fiscale. Dans ces deux pays, les bénéfices distribués sont imposés à 20 %, mais tous les bénéfices non distribués sont exonérés dimpôts. Une société qui, sur une période donnée, met en réserve l’ensemble de ses bénéfices et ne verse aucun dividende ne devra acquitter aucun impôt sur les bénéfices ;

– des taux d’imposition différents pour certains secteurs ou pour les petites et moyennes entreprises ;

– des taux réduits d’imposition dans des zones économiques spéciales.

Par ailleurs les définitions des bases dimposition retenues diffèrent dune juridiction à lautre, ce qui peut avoir une incidence considérable sur le montant de limpôt exigible associé à un investissement donné. Pour rendre compte des effets de ces différences sur la charge fiscale, il n’est pas possible de se cantonner à une comparaison des taux légaux de l’impôt. C’est pourquoi l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission européenne calculent des taux effectifs d’imposition à partir des règles fiscales propres à chaque juridiction, qui donnent une vision plus précise que les taux légaux des effets des régimes d’imposition des sociétés sur l’impôt effectivement dû. La Commission élabore également un taux implicite, calculé rétrospectivement à partir des données des comptes nationaux.

Taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés (en 2017) ([14])

(en %)

Note : STR = taux légal ; ITR = taux implicite ; EATR = taux d’imposition effectif moyen. Le taux implicite est calculé à partir de données macro-économiques des comptes nationaux sur les recettes d’impôts sur les sociétés et la base fiscale potentielle. Le taux effectif moyen est un taux théorique prenant en compte les principales caractéristiques des régimes fiscaux des pays. Pour plus de détails sur les méthodes utilisées par la Commission pour calculer les taux implicites et effectifs, se reporter à l’annexe B du rapport Taxation trends in the European Union.

Source : Direction générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne, Tax policies in the European Union 2020 Survey, janvier 2020.

Quel que soit l’indicateur retenu, les écarts sont massifs. En 2018, le taux d’imposition effectif moyen dans l’Union était de 19,8 %, mais il était inférieur à 15 % dans sept pays (Bulgarie, Irlande, Croatie, Chypre, Lituanie, Hongrie et Roumanie) et supérieur à 25 % dans quatre (Allemagne, Grèce, Espagne et France), le taux le plus faible étant observé en Bulgarie (9 %).

Plus de données, notamment sur les incitations fiscales en faveur de la recherche, élément important dans les discussions sur l’ACIS, peuvent être consultées dans le rapport de la Direction générale Fiscalité et Union douanière Tax policies in the European Union.

Sans même tenir compte des divergences politiques ou des intérêts nationaux, lhétérogénéité des systèmes fiscaux au sein de lUnion européenne est telle que, même lorsque lobjectif final dune réforme est partagé, les discussions deviennent extrêmement difficiles dès que les détails techniques sont abordés.

B.   Des légitimités nationales à reconnaître

Au fil de leurs déplacements et auditions, les rapporteurs ont acquis la conviction que l’on ne pouvait pas aborder les propositions législatives en matière fiscale au sein de l’Union européenne sans reconnaître au préalable la légitimité de chacun des pays à défendre son système fiscal, qui contribue aux objectifs qui lui sont propres en matière de compétitivité économique, d’emploi ou de recettes fiscales.

Les vingt-sept pays ont des profils économiques, géographiques et démographiques très différents, avec des niveaux de développement et de richesse différents entre l’Est et l’Ouest et entre le Nord et le Sud, des modèles économiques différents, des systèmes sociaux différents, des atouts et des handicaps différents. Dans le contexte de la mondialisation et, au sein de l’Union européenne, des quatre libertés de circulation, les économies très petites ou très périphériques, comme l’Irlande, n’avaient guère d’autre choix que de se placer sur le terrain de l’attractivité fiscale pour attirer les investisseurs, ce qui est vital pour eux. Certains États membres ont ainsi un modèle économique fondé sur la concurrence fiscale pour compenser un éloignement géographique ou une absence de ressources, alors même que l’Union européenne a notamment pour objectif de promouvoir la convergence économique et la solidarité entre les États membres.

Chacun des gouvernements assis à la table du Conseil doit rendre des comptes à son parlement national et à ses électeurs. Même si nous avons lintérêt européen chevillé au corps, nous sommes aussi, en tant que députés français, attentifs à ce que les réformes décidées au niveau européen naient pas un effet négatif sur les recettes fiscales de la France tel quil conduirait à augmenter limposition des ménages ou à diminuer les services publics. Les représentants de chaque pays sont légitimement animés du même souci.

Les vingt-sept systèmes fiscaux de lUnion européenne ont tous une cohérence densemble, héritage de choix historiques parfois préalables à ladhésion à lUnion européenne ou destinée à se mettre au service dune politique choisie par les électeurs.

Pascal Saint-Amans a fort justement souligné lors de son audition que la fiscalité n’était pas une fin, mais un moyen de financer des politiques et un modèle social. Dès lors que les systèmes sociaux ne sont pas harmonisés, il est extrêmement compliqué de progresser dans le rapprochement des législations fiscales. Toute réforme ayant un impact significatif sur les recettes issues d’un impôt a des répercussions sur l’ensemble du système fiscal et, au-delà, du système social. Or, au même titre que la fiscalité, les initiatives relatives à la protection sociale et à la protection des travailleurs sont soumises à la règle de l’unanimité au Conseil (cf. infra page 75).

Afin de mieux comprendre l’origine des blocages sur les sujets de rapprochement des législations fiscales des États membres, les rapporteurs souhaitent présenter, à partir des auditions qu’ils ont menées quelques exemples illustrant la diversité des contraintes et des priorités des États membres sur les questions fiscales.

● Un exemple de système fiscal cohérent mis au service d’objectifs politiques a été fourni aux rapporteurs par l’ambassadeur de Hongrie. C’est bien parce que les rapporteurs n’ont ni compétence ni légitimité pour se prononcer sur ces objectifs politiques qu’il était à leurs yeux important de les présenter et de prendre conscience du fait qu’il s’agissait d’outils au service de politiques liées aux spécificités nationales.

La Hongrie a fait le choix d’impositions directes faibles, mais d’impositions indirectes élevées. Le taux d’impôt sur les sociétés le plus bas d’Europe (9 %) et l’imposition des revenus des ménages au taux unique de 15 % sont compensés par le taux de TVA le plus élevé d’Europe (27 %), tempéré par un taux réduit à 5 % pour beaucoup de produits de première nécessité. Ces choix fiscaux répondent à l’objectif de favoriser la montée en gamme des emplois et lenrichissement de la population.

Le choix d’une imposition proportionnelle pour les revenus des ménages est motivé par la structure de richesse de la population. Il vise à inciter la population à gagner davantage pour favoriser lémergence dune classe moyenne considérée comme sacrifiée sous le régime communiste. Cette incitation fiscale est complétée par des aides aux familles (aides à l’acquisition d’un logement ou d’une voiture, prêts pour les familles s’engageant à avoir trois enfants, instauration d’un congé grand-parental) visant à lutter contre la dépopulation du pays, dont le taux de fécondité n’est que de 1,5 enfant par femme.

La faiblesse du taux d’impôt sur les sociétés poursuit plusieurs objectifs. D’une part, il contribue à lutter contre léconomie souterraine. D’autre part, il vise à donner un avantage compétitif à un pays qui souffre de beaucoup de handicaps (productivité, qualification, etc.). Les délocalisations au sein de lUnion européenne sont vues comme faisant partie intégrante de lintégration européenne. Enfin, ce taux permet, avec la baisse des cotisations sociales, d’accompagner la hausse des salaires dans un pays où le taux de chômage, qui était encore de 11 % en 2012, est désormais de 3,5 %.

La Hongrie revendique la concurrence fiscale et estime que les pays qui ont des taux d’imposition élevés devraient les diminuer. Pour justifier sa stratégie, elle souligne en outre que l’ouverture de son économie après son adhésion dans des conditions de sous-compétitivité a conduit à la destruction de millions d’emplois. Elle met également en avant le fait que la baisse de la pression fiscale a été rendue possible par l’amélioration de la situation de ses finances publiques : le déficit est inférieur à 3 % depuis 2012 et la dette baisse depuis la même année. À 70 %, elle reste supérieure aux exigences du pacte de stabilité et de croissance, mais est inférieure à la moyenne européenne.

● Les positions du Danemark en matière fiscale sont en grande partie dictées par le grand attachement des danois à leur modèle social, un attachement partagé par toutes les familles politiques.

Le Danemark se caractérise par un haut niveau dimposition depuis les années 1960, époque à laquelle le système social actuel a été créé. Il a également depuis créé puis augmenté de nombreuses taxes relatives à l’énergie, la santé, l’environnement, l’automobile (taxe de 150 % à l’achat d’un véhicule). Ce haut niveau d’imposition se combine avec une productivité et un produit intérieur brut élevés. Le système fiscal est perçu comme juste, ce qui fait que la pression fiscale ne provoque pas de problème de consentement à limpôt. Le sentiment de justice fiscale pourrait toutefois être altéré par les débats actuels sur la fiscalité des grandes entreprises du numérique.

L’attachement des danois à leur système social doit être mis en relation avec les particularités de leur système de prélèvements obligatoires, puisque la protection sociale n’est pas financée par des cotisations, mais par l’impôt. De ce fait, les danois sont extrêmement attentifs aux conséquences des propositions de réforme fiscale aux niveaux européen ou international. En labsence de cotisations sociales, une baisse des recettes fiscales risquerait davoir pour conséquence immédiate un problème de financement du système social.

● Lors de leur déplacement en Pologne, les rapporteurs ont été impressionnés par la détermination et la cohérence de laction des autorités polonaises en matière de lutte contre la fraude fiscale, en particulier à la TVA. Le gouvernement s’est fixé des objectifs, a adapté ses outils pour les atteindre (renforcement des effectifs du ministère des finances, modernisation des outils informatiques), les a appliqués, et communique auprès de la population sur les résultats obtenus.

La Pologne applique un taux de TVA de 23 %, supérieur à la moyenne européenne, et cet impôt représente près de 45 % des recettes de lÉtat.

Or le pays devait faire face à une fraude importante. En valeur relative, la Pologne connaissait un taux de fraude à la TVA en 2013 de 27 %, proche du double de la moyenne des États membres.

L’enjeu en termes de recettes fiscales était donc majeur. La Pologne s’est engagée depuis 2016 dans une vaste politique de lutte contre la fraude à la TVA, qui a produit des résultats, puisque l’écart de TVA ([15]) a été réduit presque de moitié et ne se situe plus que trois points au-dessus de la moyenne européenne. Selon les informations transmises aux rapporteurs par le ministère des finances polonais, en trois ans, les recettes de TVA ont progressé denviron 40 % ([16]). Ce travail profite également à l’Union européenne, puisque l’une des ressources propres de l’Union européenne repose sur la TVA collectée par les États membre.

Évolution de l’écart de TVA en Pologne

Note : Axe de gauche : revenus de TVA (rouge) et TVA totale exigible théorique (noir) en zlotys.

Axe de droite : écart de TVA, en % de la TVA totale exigible théorique.

Source : Center for Social and Economic Research et al., Study and Reports on the VAT Gap in the EU-28 Member States : 2019 Final Report, 4 septembre 2019.

La lutte contre la fraude à la TVA s’est appuyée sur une palette d’outils humains, juridiques et technologiques :

– vote d’un « paquet carburant » permettant de lutter plus efficacement contre les importations illégales en provenance de l’est. Ce « paquet » comprenait notamment une restriction du droit de vendre des carburants aux seules entités enregistrées en Pologne, l’obligation de payer la TVA dans les cinq jours suivant l’importation et le suivi en temps réel des transports de carburant par GPS ;

– instauration d’un système reposant sur l’analyse des données et la coopération entre le secteur bancaire et l’administration fiscale et permettant de faciliter la transmission des données bancaires et l’identification immédiate du compte bancaire utilisé par un fraudeur ;

– mise en place d’un unique dossier d’audit type : tous les assujettis ont désormais l’obligation de transmettre chaque mois à l’administration fiscale polonaise par voie électronique les données relatives aux ventes et achats ;

– durcissement des règles avec une limitation des assujettis autorisés à s’acquitter de la TVA sur une base trimestrielle ou avec l’obligation de remplir en ligne des formulaires pour différentes demandes relatives à la TVA ;

– renforcement des sanctions avec la réinstauration d’une pénalité s’élevant à 30 % du montant de TVA en cas de sous-évaluation, à 100 % en cas de fraude ;

– extension du champ d’application du mécanisme d’autoliquidation (voir note 1 page 60) et du principe de responsabilité solidaire du fournisseur et de l’acquéreur dans le paiement de la TVA permis par l’article 205 de la directive TVA ;

– mise en place d’un mécanisme de paiement scindé.

Les rapporteurs estiment que les initiatives de la Pologne en matière de lutte contre la fraude à la TVA devraient faire l’objet d’une étude approfondie de la France. Leurs interlocuteurs au ministère des finances polonais ont fortement soutenu l’idée d’un rapprochement avec notre pays sur les sujets de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Le paiement scindé en matière de TVA

Le paiement scindé est un mécanisme qui attribue la responsabilité de la collecte de la TVA à des collecteurs jugés « sûrs », les établissements bancaires notamment, en lieu et place des entreprises. Ce système, qui nécessite une dérogation à la directive TVA, vise en particulier à empêcher les situations où des sociétés fictives disparaissent après avoir collecté la TVA sans la reverser au Trésor public (schémas dits de fraude « carrousel »).

Il existe deux modèles de paiement scindé, l’un par « retenue à la source » du montant de TVA au niveau du virement bancaire (la taxe étant directement renversée au Trésor public), l’autre par comptes bancaires bloqués (la taxe est versée sur un compte du fournisseur dédié à ces opérations). Seul le second système existe aujourd’hui en pratique dans l’Union européenne, en Italie (pour les marchés publics, les opérateurs publics collectent la TVA sur un compte dédié du Trésor) et en Pologne (sur une base facultative au départ, devenue obligatoire à partir du 1er novembre 2019, le versement s’effectuant sur des comptes bancaires dédiés, pour certaines transactions entre assujettis) ([17]). Le Royaume-Uni réfléchit à l’instauration du paiement scindé. En France, un rapport de l’Inspection générale des finances de novembre 2019 conclut que le paiement scindé serait à ce stade un moyen disproportionné de lutter contre la fraude à la TVA, compte tenu de la complexité de sa mise en place, de ses coûts pour les entreprises, les administrations et les banques, ainsi que des réformes déjà en cours, comme le projet de facturation électronique obligatoire à l’horizon 2023-2025 ([18]) ou, à plus long terme, le régime définitif de TVA.

Source : Inspection générale des finances, Sécurisation du recouvrement de la TVA, novembre 2019.

La structure de l’économie et des recettes fiscales de la Pologne font qu’elle est extrêmement attentive aux dossiers concernant la TVA et à l’érosion de la base fiscale pour l’impôt sur les sociétés. Il est à noter que les représentants des entreprises, notamment françaises, que les rapporteurs ont été amenés à rencontrer ont dénoncé une forme de « bureaucratie » excessive et contreproductive.

La Pologne n’est en revanche pas en première ligne sur les questions relatives à la fiscalité des entreprises du numérique.

● La TVA ne suscite pas le même intérêt en Irlande, fortement dépendante de limpôt sur les sociétés, qui représente plus de 14 % de ses recettes fiscales, alors que la moyenne européenne est de 6,7 %.

Le développement industriel de l’Irlande repose depuis les années 1960 sur une fiscalité compétitive et des zones franches. L’Irlande est un pays dont les entreprises ne peuvent assurer un niveau d’emplois suffisant, et qui a donc été amené à attirer des entreprises étrangères ayant besoin de main d’œuvre. La taxe de production de 10 %, ensuite portée à 12,5 %, a permis d’attirer les investisseurs et de développer une industrie légère. Le fait d’attirer les multinationales américaines était l’un des éléments clés de la « révolution industrielle » irlandaise. La taxe de 10 % a permis, il y a des décennies, d’attirer des entreprises comme Dell ou HP pour l’assemblage. C’est sur cette base qu’a été construit l’écosystème numérique en Irlande.

Les entreprises multinationales installées en Irlande n’y ont pas seulement, comme certains le pensent souvent, une « boîte aux lettres » destinée à bénéficier uniquement d’une fiscalité avantageuse. Selon le professeur James Stewart, rencontré par les rapporteurs à Dublin, 144 000 personnes travaillent en Irlande grâce aux investissements directs étrangers, dans de très bonnes conditions et pour des salaires élevés. Facebook et Google emploient directement 2 000 personnes, indirectement 5 000.

La faiblesse du taux d’imposition, en partie compensée par une base d’imposition large, n’est pas le seul élément de l’attractivité de l’Irlande pour les entreprises multinationales. L’Irlande bénéficie aussi de sa qualité de pays anglophone, d’universités de qualité et d’un droit du travail flexible.

Surtout, plus que sur le taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %, les Irlandais insistent sur le besoin de prévisibilité des entrepreneurs. Cest donc moins le taux lui-même à 2 points près quils ont mis en avant que le fait de ne pas le changer. Cest sur la base de la confiance accordée à la stabilité du régime fiscal irlandais que les investissements se font dans la durée et la pérennité.

● Les Pays-Bas ont une économie ouverte, avec des entreprises fortement dépendantes du marché international. Comme l’Irlande, ils considèrent que la stabilité, la transparence et la prévisibilité sont des éléments essentiels de l’attractivité fiscale et estiment nécessaire de conserver une marge de compétition vis-à-vis des plus grands pays.

Ils sont également conscients du revers de l’orientation internationale de leur économie, qui peut attirer les structures d’évasion fiscale. C’est pourquoi le gouvernement néerlandais a fait de la lutte contre l’évasion fiscale l’une de ses priorités, ce qu’a confirmé Pascal Saint-Amans lors de son audition. L’approche néerlandaise combine mesures unilatérales et efforts au sein de l’UE et de l’OCDE.

Mesures prises ou annoncées par les Pays-Bas en matière de transparence et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

 

Transposition de la directive ATAD : règle de limitation des intérêts ; sociétés étrangères contrôlées ; imposition à la sortie

Entrée en vigueur en 2019

Loi réparatrice relative au régime d’intégration fiscale

Loi faisant suite aux décisions de la CJUE du 22 février 2018 dans les affaires jointes C‑398/16 et C‑399/16. Entrée en vigueur en 2018.

Transposition de la directive ATAD 2 : dispositifs hybrides

Entrée en vigueur en 2020

Différences de qualification dans les conventions fiscales (disposition relative aux entités hybrides)

Entrée en vigueur en 2020

Règles prudentielles en matière de fonds propres

Entrée en vigueur en 2020

Retenue à la source conditionnelle sur les rentes et les redevances

Entrée en vigueur en 2021

Mise en œuvre de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS

Entrée en vigueur en 2020

Durcissement des critères d’activité substantielle : échange d’informations

Décret de 2019

Modification de la décision relative aux prix de transfert (à aligner sur les nouveaux principes de l’OCDE)

 

Révision de la pratique des rescrits fiscaux

Entrée en vigueur en 2019

Registre des bénéficiaires effectifs finaux (UBO)

Entrée en vigueur en 2020

Législation relative aux sociétés fiduciaires

Entrée en vigueur en 2019

Communication obligatoire d’informations

Entrée en vigueur en 2020

Déclaration publique pays par pays

Les Pays-Bas plaident en faveur de la proposition de directive bloquée par une minorité de blocage au Conseil.

Liste des États non coopératifs à fiscalité privilégiée

Entrée en vigueur en 2019

Source : Ambassade des Pays-Bas.

C’est un autre angle d’analyse qui est apparu au cours des échanges que les rapporteurs souhaitent mettre en avant. À la suite du projet BEPS et de la mobilisation des opinions publiques du monde entier sur les questions d’évasion fiscale, le contexte des débats fiscaux a changé, et des pays européens comme les Pays-Bas ou le Luxembourg ont commencé à adapter leur législation et leurs pratiques, même si ces changements n’ont pas encore produit tous leurs effets. Les gouvernements de ces deux pays semblent déterminés à se défaire de l’image de paradis fiscal qui nuit à leur réputation.

Les Pays-Bas comme le Luxembourg ont mis en avant les conséquences négatives pour eux de ce que l’on pourrait appeler le « name and shame » ; un système qui met à mal la réputation d’un pays peut avoir une efficacité réelle. Même si ce n’est pas encore accepté par tous politiquement, une remise en cause du nécessaire recours à la compétition fiscale semble voir le jour dans ces pays. Les conséquences redoutées mais attendues du Brexit n’y sont pas non plus étrangères.

C.   Les lents progrès de l’harmonisation européenne

Dans un premier temps, les actions menées au niveau européen en matière fiscale ont surtout porté sur la prévention des distorsions de concurrence et la suppression des obstacles au marché unique, en particulier au moyen de la clause de non-discrimination figurant à l’article 110 du TFUE, ainsi que de la mise en place de règles communes, comme sur la valeur ajoutée. Cela s’est traduit par un certain nombre de directives qui ont contribué à la construction du marché intérieur, telles que celles qui étaient destinées à réduire au minimum la double imposition pour les entreprises transfrontières ([19]).

Sous le mandat de la précédente Commission européenne, la règle de l’unanimité n’a pas empêché les États membres de convenir de nouvelles règles visant à protéger leurs ressources contre l’évasion fiscale des entreprises et à assurer aux entreprises un environnement plus stable et plus équitable. Des dossiers structurants restent toutefois bloqués au Conseil depuis plusieurs années.

1.   L’unanimité n’a pas empêché l’Union de légiférer…

Selon le bilan présenté par Pierre Moscovici à la fin de son mandat de Commissaire aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes, « en cinq ans, nous sommes parvenus à faire adopter vingt directives, dont la moitié contre la fraude et loptimisation fiscales, en dépit du verrou de lunanimité au Conseil – cest plus que ces vingt dernières années ».

De fait, malgré la règle de l’unanimité au Conseil, de nombreux textes fiscaux ont été adoptés par l’Union européenne, selon deux grands axes : la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, d’une part, la fiscalité indirecte, particulièrement la TVA, dans une perspective de lutte contre la fraude et de simplification des démarches des entreprises, d’autre part. Ces avancées n’ont pas manqué d’être soulignées lors des auditions par les États favorables au maintien de la règle de l’unanimité.

a.   La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

Des progrès importants ont été accomplis sous le mandat de la Commission Juncker dans le domaine de la politique fiscale de l’Union, en grande partie sous la pression de l’opinion publique ou d’influences extérieures telles que le projet du G20 et de l’OCDE visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). L’érosion de la base fiscale est devenue insupportable pour les populations pour des raisons d’équité fiscale et pour les États en raison de ses conséquences sur leurs ressources budgétaires.

Au cours du mandat de la précédente Commission, les États membres ont notamment adopté une série d’actes législatifs en vue de :

– renforcer la transparence fiscale : cinq directives modifiant la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (directive DAC 1) ont permis de développer l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales au sein de l’Union européenne ([20]) : extension de l’échange automatique aux comptes financiers (directive DAC 2), extension de l’échange automatique aux rescrits (directive DAC 3), extension de l’échange automatique aux déclarations par pays (directive DAC 4), ouverture de l’accès aux procédures de vigilance à l’égard de la clientèle d’établissements financiers dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (directive DAC 5) et extension de l’échange automatique à certains montages déclarés par les intermédiaires financiers (directive DAC 6) ;

– lutter contre les pratiques fiscales abusives, au moyen des deux directives « ATAD » ([21]) ([22]).

La directive ATAD 1 du 12 juillet 2016 a repris des mesures du plan BEPS comme une règle de limitation des intérêts et des règles sur les sociétés étrangères contrôlées pour dissuader les transferts de bénéfices vers des juridictions à faible imposition. Ces règles permettent de taxer, dans le pays de l’Union où une entreprise multinationale a son siège, les bénéfices logés dans des paradis fiscaux. Mais elle a également introduit une clause anti-abus générale contre les montages dont l’objectif est principalement fiscal et une imposition des plus-values latentes des entreprises (exit tax). Cette directive devait être transposée au plus tard le 31 décembre 2018, à l’exception de l’imposition à la sortie qui devait être transposée au 31 décembre 2019.

La directive ATAD 2 du 29 mai 2017 a complété la directive ATAD 1 pour ce qui concerne les règles visant à neutraliser le bénéfice fiscal de lutilisation dinstruments hybrides ([23]). Elle a étendu les règles sur les dispositifs hybrides à l’ensemble des contribuables soumis à l’impôt sur les sociétés dans un État membre, y compris aux établissements stables d’entités résidentes dans des pays tiers. Elle devait être transposée au plus tard le 31 décembre 2019. Pour la France, cette transposition a été réalisée par la loi n° 2019‑1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

Les États membres ont parallèlement mené une revue des régimes de boîtes à brevets des États membres par le groupe « code de conduite » dans le domaine de la fiscalité des entreprises et se sont engagés dans des efforts pour réduire l’évasion fiscale au niveau mondial, en créant une liste des juridictions non coopératives ([24]).

b.   La fiscalité indirecte

Concernant la TVA, comme en témoigne l’activité récente du Conseil Affaires économiques et financières (ECOFIN), de nombreux textes ont pu être adoptés malgré la règle de l’unanimité, notamment pour lutter contre la fraude et réformer les règles de la TVA appliquées au commerce électronique.

En matière de lutte contre la fraude, on peut notamment mentionner :

– le règlement (UE) 2017/2454 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant le règlement (UE) n° 904/2010 concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée ;

– le règlement (UE) 2018/1541 du Conseil du 2 octobre 2018 modifiant les règlements (UE) n° 904/2010 et (UE) 2017/2454 en ce qui concerne des mesures de renforcement de la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée ;

– ainsi que, tout récemment, le paquet législatif adopté par le Conseil le 18 février 2020 concernant la transmission et léchange obligatoire dinformations sur les paiements concernant la TVA ([25]), qui vise à faciliter la détection de la fraude fiscale par les autorités des États membres et à compléter le cadre réglementaire en vigueur en matière de TVA, récemment modifié par la directive relative à la TVA sur le commerce électronique, avec pour objectifs de :

– mettre en place, au niveau de l’UE, des règles qui permettront aux États membres de collecter, de manière harmonisée, les données enregistrées mises à disposition par voie électronique par les prestataires de services de paiement ;

– mettre en place un nouveau système électronique central pour le stockage des informations sur les paiements et leur traitement ultérieur par des fonctionnaires chargés de la lutte contre la fraude dans les États membres dans le cadre d’Eurofisc.

Concernant le commerce électronique, la Commission a proposé une législation européenne en deux étapes.

Les premières mesures sont entrées en vigueur en 2015 et couvraient les services de télécommunications, de radiodiffusion et de télévision et les services électroniques. Depuis 2015, les prestations de services électroniques sont imposables dans lÉtat membre où est domicilié le consommateur et le prestataire doit déclarer et payer la TVA dans chaque État membre de consommation. Pour simplifier ces nouvelles obligations, un guichet unique électronique appelé « mini-guichet unique TVA » (ou « MOSS » pour « mini-one stop shop ») a été mis en place dans l’Union européenne.

Le deuxième paquet de mesures a été adopté par le Conseil en décembre 2017 ([26]) et a inclus de nouvelles règles pour les ventes à distance de biens ainsi que pour tout type de service fourni aux clients finals dans l’UE, qui seront applicables à partir de 2021.

Ces règles comprennent notamment :

– l’extension du système de guichet unique (ou one stop shop) électronique aux entreprises qui vendent des biens en ligne, afin qu’elles puissent accomplir toutes leurs obligations en matière de TVA dans l’UE à l’aide d’un portail numérique en ligne, hébergé par leur propre administration fiscale et dans leur propre langue, comme c’est déjà le cas pour les vendeurs en ligne de services électroniques ;

– l’établissement d’une règle selon laquelle les grands sites de marché en ligne devront assumer la responsabilité de la perception de la TVA sur les ventes réalisées sur leurs plateformes par des sociétés de pays tiers auprès des consommateurs de l’UE ;

– l’introduction, en vue de soutenir les jeunes pousses et les microentreprises, d’un seuil annuel de TVA de 10 000 € en dessous duquel les ventes transfrontières à destination d’autres pays au sein de l’UE sont assimilées à des ventes intérieures pour les entreprises en ligne, lesquelles versent la TVA à l’administration fiscale dont elles dépendent.

Le 22 novembre 2019, le Conseil a adopté le paquet de mise en œuvre de la TVA sur le commerce électronique, destiné à établir les règles détaillées nécessaires pour garantir le fonctionnement des nouvelles règles de TVA pour le commerce électronique à la suite des modifications introduites par la directive (UE) 2017/2455 relative à la TVA sur le commerce électronique.

Parallèlement, le Conseil a adopté en 2018 une directive permettant aux États d’appliquer un taux de TVA réduit aux publications numériques, comme c’était déjà le cas pour les publications sur support physique ([27]).

Toujours en matière de TVA, le conseil ECOFIN a adopté le 16 décembre dernier la directive (UE) 2019/2235 du Conseil du 16 décembre 2019 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et la directive 2008/118/CE relative au régime général d’accise en ce qui concerne l’effort de défense dans le cadre de l’Union. Cette proposition, qui s’inscrit dans le plan d’action TVA de 2016, vise à harmoniser et étendre le régime de TVA et accises jusqu’à présent applicable aux efforts de défense déployés dans le cadre de l’OTAN, aux efforts de défense conduits dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune.

Le 18 février 2020, il a adopté une réforme concernant les règles de TVA applicables aux petites entreprises ([28]), afin de réduire leur charge administrative et leurs coûts de mise en conformité.

2.   … mais les initiatives les plus structurantes sont bloquées au Conseil

La coexistence de vingt-sept systèmes fiscaux en Europe est source de nombreuses difficultés, pour les entreprises, dont elle freine le développement sur le marché unique et auxquelles elle impose des coûts de conformité importants, et pour les États, en offrant aux entreprises la possibilité de déplacer les profits pour jouer des différences entre les taux dimposition. Face à ces défis, la précédente Commission a proposé des réformes d’ampleur pour poser les fondements d’une véritable fiscalité européenne :

– la refonte du régime de TVA européen, pour simplifier la vie des entreprises qui commercent en Europe et lutter contre la fraude transfrontalière (évaluée à 50 milliards d’euros), qui prive les États membres de recettes fiscales dont ils ont besoin ;

– une assiette fiscale européenne pour les multinationales (ACCIS), dont l’objectif est de limiter les transferts de profits intra-européens et de créer des règles d’imposition plus simples pour les entreprises européennes ;

– une adaptation des systèmes fiscaux européens à la numérisation de léconomie.

Si c’est bien l’unanimité qui a freiné les progrès sur ces initiatives, il faut reconnaître que c’est essentiellement parce qu’elles pourraient avoir des conséquences importantes sur les recettes fiscales de certains États membres et recèlent des difficultés techniques indéniables.

À l’occasion de la présentation de son programme de travail pour 2020, la Commission s’est livrée à un examen des initiatives proposées durant les mandats précédents et n’ayant pas encore été approuvées et identifié celles qui devraient être examinées en priorité.

Selon ce recensement, un nombre significatif de propositions en matière fiscale que la Commission considère comme prioritaires sont toujours en attente d’adoption. Il est à relever que, compte tenu des travaux en cours à l’OCDE sur une réforme de la fiscalité internationale pour répondre aux enjeux de la numérisation de l’économie (cf. infra), le « paquet » sur la fiscalité du numérique présenté par la Commission en 2018 ne figure pas parmi ces textes prioritaires.

Propositions prioritaires en attente ([29])

Intitulé

Références

Proposition de directive du Conseil mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières

COM(2013) 71 final
14.2.2013

Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS)

COM(2016) 683 final
26.10.2016

Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés

COM(2016) 685 final
26.10.2016

Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 1999/62/CE relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures, en ce qui concerne certaines dispositions concernant la taxation des véhicules

COM(2017) 276 final
31.5.2017

Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux de taxe sur la valeur ajoutée

COM(2018) 20 final
18.1.2018

Proposition de règlement du Conseil portant mesures dexécution du système des ressources propres de lUnion européenne

COM(2018) 327 final
2.5.2018

Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CEE, Euratom) nº 1553/89 concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée

COM(2018) 328 final
3.5.2018

Proposition de règlement du Conseil relatif aux modalités et à la procédure de mise à disposition des ressources propres fondées sur lassiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés, sur le système déchange de quotas démission de lUnion européenne et sur les déchets demballages en plastique non recyclés ainsi quaux mesures visant à faire face aux besoins de trésorerie

COM(2018) 326 final
3.5.2018

Proposition de décision du Conseil relative au système des ressources propres de lUnion européenne

COM(2018) 325 final
3.5.2018

Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 92/83/CEE concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques

COM(2018) 334 final
25.5.2018

Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’introduction de mesures techniques détaillées pour le fonctionnement du système de TVA définitif pour la taxation des échanges entre les États membres

COM(2018) 329 final
25.5.2018

Source : Commission européenne, Programme de travail de la Commission pour 2020 : Une Union plus ambitieuse [COM/2020/37 final], 29 janvier 2020.

a.   L’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS)

i.   Les propositions de la Commission

L’harmonisation des règles en matière d’impôt sur les sociétés vise à faciliter les formalités fiscales des entreprises présentes dans plus d’un État membre, à contribuer à lutter contre les pratiques doptimisation fiscale au sein du marché intérieur et à réduire la concurrence fiscale entre les États membres.

Après l’échec d’une première proposition en 2011, la Commission a adopté en 2016 une nouvelle stratégie en deux étapes pour la mise en place progressive d’une ACCIS ([30]) qui, en termes d’approfondissement du marché intérieur, constituerait une évolution du même ordre dimportance que la création de la monnaie unique.

La première étape consiste à définir une assiette commune de l’impôt sur les sociétés pour les multinationales au sein de l’UE, comprenant des dispositions relatives à la lutte contre l’évasion fiscale. La seconde étape traite de la consolidation fiscale, permettant à la fois la compensation des profits et des pertes entre entités d’un même groupe à l’échelle de l’Union européenne et la répartition de lassiette taxable entre les États membres.

Assiette commune et consolidation

L’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés vise à définir un ensemble de règles uniformes de l’Union pour déterminer le montant du bénéfice d’une entreprise qui sera imposé, une fois les différentes exonérations et déductions sur le revenu comptabilisées.

Exemple :

Il se peut que l’État membre A autorise l’amortissement des immobilisations sur 10 ans, à des fins fiscales, tandis que l’État membre B autorise un amortissement plus rapide sur une période de 5 ans. Autre cas de figure, l’État membre A autorise la déduction fiscale de tous les frais de représentation tandis que l’État membre B ne la prévoit pas.

Une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés signifierait que ces règles seraient les mêmes dans toute l’Union européenne et que les entreprises n’auraient plus qu’à effectuer leurs calculs sur la base d’un seul ensemble de règles fiscales.

En l’absence de consolidation, l’entreprise devrait effectuer un calcul et une déclaration fiscale séparés pour chaque État membre dans lequel elle a une présence imposable. Ce serait toutefois tout plus facile qu’aujourd’hui car les règles pour effectuer ce calcul seraient uniformes dans tous les États membres.

Avec la consolidation, tous les bénéfices et toutes les pertes des sociétés d’un groupe situées dans différents États membres seraient cumulés, afin de parvenir à un résultat net pour l’ensemble des activités du groupe dans l’Union. Sur la base de ce chiffre net, les règles communes seraient utilisées pour déterminer l’assiette imposable finale du groupe.

Exemple :

Un groupe est composé des sociétés A, B, C et D, chacune étant située dans un État membre différent.

Les bénéfices des sociétés A et B s’élèvent pour chacune à 10 millions d’euros ; les bénéfices de la société C sont de 5 millions d’euros ; la société D enregistre une perte de 8 millions d’euros.

L’assiette imposable consolidée (bénéfices nets) pour ce groupe est égale à 17 millions d’euros.

Cette assiette imposable (les bénéfices imposables de l’entreprise) serait alors répartie entre les États membres dans lesquels elle exerce une activité selon une formule convenue. Chaque État membre appliquerait ensuite son taux d’imposition national à sa part des bénéfices.

Source : Commission européenne.

La proposition de directive concernant une assiette commune pour limpôt sur les sociétés (ACIS) établit des règles communes pour le calcul de lassiette fiscale des sociétés multinationales au sein de l’Union européenne. Selon cette proposition, les principales caractéristiques de l’assiette commune seraient les suivantes :

– une application de droit à toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés (ou son équivalent dans les États-membres) dont le chiffre daffaires excède 750 millions deuros, et sur option pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur. Le caractère contraignant de la proposition pour les grandes entreprises constitue une différence par rapport à la proposition de 2011 ;

– une « super-déduction » au titre des dépenses de recherche et de développement, en plus de la déductibilité normale de 100 % des dépenses : sur‑déduction de 50 % des coûts jusqu’à 20 millions d’euros ; sur‑déduction de 25 % au-delà de 20 millions d’euros ; sur‑déduction de 100 % jusqu’à 20 millions d’euros lorsque ces dépenses sont réalisées par une petite ou moyenne entreprise ou une entreprise nouvelle ;

– une déduction pour la croissance et linvestissement, qui offrirait aux entreprises des avantages pour les fonds propres équivalents à ceux dont elles bénéficient pour les emprunts, par l’introduction d’intérêts notionnels sur les augmentations de capital ;

– l’exonération des dividendes et des plus-values de cession provenant d’entreprises que le redevable détient à plus de 10 % depuis une durée minimale de 12 mois ;

– la refonte des seuils des groupes fiscaux, conduisant à reconnaître le statut de filiale à toute société dans laquelle la société mère détient plus de 50 % des droits de vote et un droit de propriété représentant plus de 75 % du capital ou plus de 75 % des droits sur les bénéfices ;

– la déductibilité des déficits lors des exercices fiscaux suivants sans limitation de montant ni de durée. En revanche, le projet de directive ne prévoit aucun dispositif de report en arrière des déficits ;

– la pleine déductibilité des charges financières, dans la mesure où elles restent inférieures au montant des revenus financiers ;

– l’introduction d’une clause d’inversion, dite de « switch over », obligeant les États membres à imposer les revenus (dividendes et plus-values de cession) en provenance de pays tiers où ils ont été taxés à un taux inférieur de moitié au taux en vigueur dans l’État membre concerné. La société mère bénéficierait, à défaut d’une exonération, d’un crédit d’impôt correspondant à l’impôt payé par la filiale ;

– l’imputation temporaire des pertes réalisées par les filiales établies dans d’autres États membres, qui seront intégralement réincorporées à l’assiette imposable de la filiale dès qu’elle dégagera des bénéfices et au plus tard à l’issue de la cinquième année qui suit la première déduction.

La proposition de directive concernant une assiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés (ACCIS) complète la proposition ACIS en ajoutant l’élément de consolidation. Elle fixe les conditions à remplir pour former un groupe, notamment les règles techniques relatives à la consolidation, aux réorganisations, au traitement des pertes et des plus-values en capital latentes, et aux transactions entre le groupe et les entités extérieures au groupe, par exemple en ce qui concerne les retenues à la source et les crédits d’impôt. Elle établit aussi des règles en ce qui concerne la répartition des bénéfices, en décrivant des mécanismes de pondération permettant de répartir lassiette consolidée du groupe entre les États membres admissibles. Chaque État membre appliquerait ensuite son taux d’imposition national à la part d’assiette qui lui est attribuée.

Selon la proposition de la Commission, la part de l’assiette de l’entreprise qu’un État membre peut imposer serait déterminée sur la base de trois facteurs affectés d’une même pondération :

– les immobilisations corporelles détenues par l’entreprise dans l’État membre ;

– la main-dœuvre dont dispose l’entreprise dans l’État membre concerné, ce facteur étant constitué pour moitié du nombre d’employés et pour moitié de la masse salariale ;

– les ventes effectuées par l’entreprise dans l’État membre, en application du principe de destination (impôt dû là où les marchandises sont vendues ou expédiées ou le service fourni).

Sur le rapport d’Alain Lamassoure et Paul Tang, le Parlement européen a proposé de compléter ces directives par la création d’un établissement stable numérique pour les modèles d’entreprise numérique fondés sur la collecte et l’exploitation des données des consommateurs, ainsi que par la prise en compte d’un quatrième critère pour la répartition de la base d’imposition entre les États membres, fondé sur les volumes de données à caractère personnel collectés et exploités dans chaque État membre.

La Commission a pris en compte cette demande en présentant une proposition de directive indépendante de l’ACCIS énonçant les règles d’imposition des sociétés ayant une présence numérique significative (cf. infra).

ii.   Les positions des États membres

● En décembre 2016, le Conseil ECOFIN a estimé que les travaux sur la proposition ACIS devaient être axés en priorité sur les éléments d’une assiette fiscale commune et convenu que la proposition ACCIS ne serait examinée au niveau technique qu’une fois que les discussions concernant la proposition ACIS auraient été menées à bien.

Toutefois, les discussions engagées au sein du Conseil depuis n’ont pas permis d’aboutir, les États étant divisés sur le juste équilibre entre harmonisation et souplesse dans un contexte de concurrence internationale.

La présidence autrichienne (deuxième semestre 2018) avait proposé :

– d’étendre le champ d’application obligatoire de la proposition ACIS à tous les assujettis à l’impôt sur les sociétés ;

– d’examiner ultérieurement les incitations fiscales portant sur la recherche et développement, la déduction pour la croissance et l’investissement et la compensation temporaire des pertes ;

– de reporter à un stade ultérieur les discussions sur la définition de l’établissement stable, étant donné que des travaux sont aussi en cours sur cette question au sein de l’OCDE.

Préférant éviter la question clivante de l’extension ou non de l’ACIS à tous les assujettis à l’impôt sur les sociétés, la présidence finlandaise (deuxième semestre 2019) s’est concentrée sur certaines dispositions techniques, sans pouvoir pour autant les faire aboutir.

● Outre les innombrables problèmes techniques qui surgissent dès que l’on entre dans le détail, la difficulté à avancer tient au fait que les États se préoccupent légitimement de l’effet qu’une réforme de l’assiette aura sur leurs recettes fiscales.

La France et lAllemagne ont publié en juin 2018 une position commune sur la proposition de directive ACIS, dans laquelle elles apportent leur entier soutien à ces deux propositions. Les deux pays demandent toutefois des ajustements significatifs, concernant notamment :

– le champ d’application de la directive, afin de prévoir son application à toutes les entreprises sans seuil de chiffre d’affaires ;

– le retrait de dispositifs incitatifs (super-déduction pour la recherche et développement, déduction pour la croissance et l’investissement), ainsi que du dispositif de compensation et récupération des pertes transfrontalières, qui aurait vocation à être traité dans le cadre de la consolidation ;

– la modification de certaines règles de calcul de l’assiette de l’impôt relatives notamment aux charges déductibles, aux amortissements, aux provisions ou à l’imputation des déficits ;

– l’introduction d’un mécanisme de limitation de la déductibilité des redevances, intérêts et autres rémunérations versés dans des pays à faible imposition avec l’objectif d’assurer une taxation minimale effective de ces revenus afin de lutter contre l’érosion de la base taxable.

Comme la France et l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne sont favorables à l’ACCIS.

Selon les informations transmises aux rapporteurs par le ministère des finances suédois, la position finale du gouvernement suédois sur les propositions ACCIS n’est pas arrêtée. Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de ces propositions, la Suède entend analyser minutieusement leurs effets sur l’économie, la compétitivité des entreprises et les finances publiques suédoises.

Si la Suède est favorable aux mesures qui améliorent le fonctionnement du marché unique et réduisent la charge pour les entreprises, elle souligne la nécessité de prendre en compte les intérêts légitimes des petites économies ouvertes et dépendantes des exportations. Elle voit en outre l’impôt sur les sociétés comme un instrument important pour favoriser le développement économique et un haut niveau d’emploi et considère que les bénéfices des règles harmonisées doivent être mis en balance avec la limitation des possibilités pour les États membres dintroduire ou de maintenir des règles fiscales nationales.

Au Danemark, les entreprises comme le gouvernement sont favorables à lassiette commune en raison de la réduction des coûts qu’elle permettrait pour les entreprises et les administrations. Selon Dansk Industri, la simplification serait particulièrement appréciable pour les petites entreprises. Si certaines grandes entreprises ont à faire face à 170 systèmes différents, elles ont des ressources suffisantes pour gérer ces différences, voir en profiter.

Le Danemark ayant beaucoup d’entreprises actives à l’étranger, telles que Novo Nordisk, Carlsberg et Maersk, les intérêts nationaux en jeu sont forts. Aussi le gouvernement est-il attentif aux critères retenus pour la consolidation, de même qu’il participe activement aux travaux de l’OCDE sur l’adaptation de la fiscalité internationale à la numérisation de l’économie.

D’une manière générale, les petits pays, a fortiori périphériques, sont très inquiets à l’idée de se priver d’une marge de manœuvre nationale, d’autant plus si cela favorise les grands pays. Des pays comme le Luxembourg, lIrlande, les Pays-Bas, la Hongrie et Malte sont très critiques en raison de la perte de souveraineté en matière dimpôts directs que la réforme représenterait, ainsi que des potentielles pertes de recettes fiscales.

La version de 2016 de l’ACCIS répond à deux demandes de l’Irlande : l’approche en deux temps et une meilleure prise en compte des situations hybrides. L’ACCIS continue toutefois de faire l’objet d’une opposition transpartisane dans le pays, principalement motivée par la crainte d’une perte de souveraineté fiscale et d’un affaiblissement de l’attractivité irlandaise, composante essentielle de la stratégie économique du pays depuis les années 1960.

En décembre 2016, le Parlement irlandais a rendu un avis motivé négatif sur le projet de la Commission, arguant du non-respect du principe de subsidiarité. Les Irlandais estiment que les pays ont le droit davoir des régimes fiscaux compétitifs et que l’ACCIS a pour but de les empêcher de se concurrencer.

Selon le ministère des finances irlandais, l’ACCIS aurait pour conséquence de réduire la base fiscale irlandaise en raison de crédits d’impôt plus généreux que ceux offerts par la fiscalité irlandaise. Il estime en outre que les études d’impact de la Commission ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités des États membres.

Le député Timmy Dooley, rencontré par les rapporteurs à Dublin, a rappelé les efforts consentis par les Irlandais lors de la crise financière pour surmonter une grave récession, préserver l’euro et sauver leurs banques sans procédure de résolution commune. Il estime que dans ces conditions, lIrlande ne peut pas se permettre dêtre du côté des perdants en cas de réforme de la fiscalité des entreprises, qu’elle préfère, en tout état de cause, discuter dans le cadre de lOCDE.

Le Luxembourg craint, en tant que petite économie ouverte, dêtre lun des pays qui aurait le plus à perdre à la consolidation, quels que soient les critères de substance retenus. Sa chambre des députés s’est d’ailleurs prononcée contre la consolidation. Le Luxembourg participe toutefois aux discussions sur l’assiette commune, même si sa portée se trouverait limitée en l’absence de consolidation.

Les deux chambres du parlement néerlandais ont également donné un avis négatif aux deux propositions de directives, concernant la subsidiarité et la proportionnalité. Les objections du Parlement néerlandais portaient sur la contribution insuffisante des deux propositions à la lutte contre l’évasion fiscale, les incertitudes pesant sur les conséquences économiques, la réduction de la marge de manœuvre des États pour mener leur politique fiscale et la perte de recettes fiscales. Selon l’ambassade des Pays-Bas, à taux constants, l’ACCIS conduirait à une baisse des recettes de l’impôt sur les sociétés aux Pays-Bas et à une hausse dans les grands États membres.

Les rapporteurs estiment après analyse des positions des différents pays que ce dossier ne pourra bénéficier d’une nouvelle dynamique qu’à l’issue du débat mondial sur l’imposition des sociétés (cf. infra page 86).

b.   L’imposition de l’économie numérique

i.   Les propositions de la Commission

La numérisation de l’économie a révélé l’inadaptation du cadre fiscal international pour l’imposition des bénéfices des entreprises, qui repose sur des règles conçues au siècle dernier et s’appuyant sur des critères de présence physique. Certains modèles économiques, qui reposent sur la participation des utilisateurs et l’exploitation de leurs données, renforcent la dissociation entre le lieu où la valeur est créée et celui où elle est imposée. Ils peuvent conduire à ce que les multinationales dégageant des profits substantiels se voient appliquer un taux d’imposition de leurs bénéfices très réduit. Selon la Commission européenne, en moyenne, les entreprises du numérique seraient imposées à un taux effectif d’imposition de 9,5 %, contre 23,2 % pour les modèles d’affaires traditionnels ([31]).

Cette estimation a toutefois été très contestée ([32]). Le rapport du représentant américain au commerce sur la taxe sur les services numériques française fait état d’autres études selon lesquelles les entreprises numériques ont un taux d’imposition comparable aux entreprises traditionnelles ([33]). En tout état de cause, l’étude d’impact de la Commission était antérieure à la réforme fiscale américaine de 2017, qui a conduit de nombreuses entreprises américaines à rapatrier leurs bénéfices aux États‑Unis.

La meilleure réponse au défi fiscal posé par la numérisation de léconomie relève dune action internationale, négociée dans le cadre de lOCDE. Cependant, devant les incertitudes sur l’issue et le calendrier des négociations menées dans le cadre de l’action n° 1 « Relever les défis fiscaux par léconomie numérique » du plan BEPS, la Commission a présenté le 21 mars 2018 un « train de mesures sur l’imposition de l’économie numérique » ([34]), sous l’impulsion de plusieurs États membres, au premier rang desquels la France, qui estimaient qu’une réponse rapide s’imposait pour répondre au sentiment d’injustice fiscale exprimé par de nombreux citoyens européens.

Ce paquet se composait de deux propositions de directive complémentaires : une proposition de directive établissant les règles d’imposition des sociétés ayant une présence numérique significative et une proposition de directive du Conseil concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicables aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques.

● La proposition établissant les règles dimposition des sociétés ayant une présence numérique significative, conçue comme constituant la solution de long terme pour répondre aux difficultés d’appréhension des bénéfices des grandes entreprises numériques, modifie les critères déterminant l’existence d’un établissement stable et les règles d’allocation des profits afin de couvrir les entreprises exécutant des prestations de services numériques dans un État sans y disposer de présence physique.

Une plateforme numérique serait considérée comme ayant une présence numérique imposable ou un établissement stable virtuel dans un État membre si elle satisfait à l’un des critères suivants :

– elle génère plus de 7 millions d’euros de produits annuels dans un État membre ;

– elle compte plus de 100 000 utilisateurs dans un État membre au cours d’un exercice fiscal ;

– plus de 3 000 contrats commerciaux pour des services numériques sont créés entre l’entreprise et les utilisateurs actifs au cours d’un exercice fiscal.

Les principes d’affectation des bénéfices à une présence numérique significative s’appuieraient sur les règles actuelles régissant l’impôt sur les sociétés, qui tiennent compte des risques assumés, des fonctions exercées et des actifs utilisés par un établissement stable, ainsi que sur les critères d’affectation des bénéfices. Des critères supplémentaires seraient introduits pour tenir compte du fait qu’une partie importante de la valeur d’une activité numérique est créée là où se trouvent les utilisateurs et où leurs données sont collectées.

Ces nouvelles règles s’appliqueraient aux États membres indépendamment des conventions fiscales qui les lient entre eux et vis-à-vis des pays tiers avec lesquels les États membres n’ont pas conclu de convention en matière de double imposition. En revanche, leur application à l’égard de pays tiers avec lesquelles de telles conventions ont été signées serait soumise à une adaptation desdites conventions.

Bien qu’elle puisse fonctionner de manière autonome, la mesure pourrait à terme être intégrée au champ d’application de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), si celle-ci voyait le jour.

● La proposition de directive du Conseil concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques était quant à elle envisagée comme une solution de court terme, ayant pour principal objectif d’apporter avant tout une réponse politique rapide à l’exigence de justice fiscale et d’éviter la prolifération de mesures unilatérales prises par les États membres, sources de fragmentation du marché unique. Elle prend la forme d’une taxe à un taux de 3 %, assise sur le chiffre daffaires dégagé par les entreprises à partir de certains services numériques.

Trois catégories de services seraient concernées par la taxe sur les services numériques :

– la mise à disposition d’espaces de publicités ciblées ;

– les activités intermédiaires numériques qui permettent aux utilisateurs d’interagir avec d’autres utilisateurs et qui facilitent la vente de biens et de services entre eux, tels que les sites de rencontres et les places de marché (marketplaces) ;

– la transmission de données recueillies au sujet des utilisateurs et générées à partir de leurs activités sur les interfaces numériques.

Certains services sont expressément exclus du champ de la taxe, dans la mesure où la participation des utilisateurs n’y est pas déterminante, comme les services de communication électronique et de paiement, la fourniture par l’entreprise – et non par les utilisateurs – de contenus numériques, certains services financiers réglementés ainsi que le commerce en ligne dans lequel les biens ou services sont fournis directement par l’entreprise.

La proposition de directive prévoit deux seuils cumulatifs reposant sur le chiffre d’affaires pour déterminer les entreprises assujetties à la taxe. Elles doivent :

– réaliser un chiffre d’affaires mondial dépassant 750 millions d’euros ;

– tirer des services imposables réalisés dans l’Union européenne des revenus supérieurs à 50 millions d’euros

Les recettes fiscales seraient perçues par les États membres dans lesquels se trouvent les utilisateurs. Comme le relevait l’étude d’impact de la Commission, l’accroissement attendu des recettes fiscales pour les budgets nationaux serait modéré, compte tenu de l’étroitesse du champ d’application de la taxe et des seuils retenus. Un montant de 5 milliards d’euros de recettes annuelles dans l’Union était évoqué.

Cette solution a dès le départ été perçue comme un pis-aller pour éviter les mesures nationales, en l’attente d’une solution pérenne au niveau mondial ou de l’Union européenne pour adapter l’impôt sur les sociétés à la numérisation de l’économie. Selon l’étude d’impact de la Commission, seulement 10 des 21 autorités fiscales nationales ayant répondu à la consultation publique ont estimé qu’elle était la solution qui pouvait le mieux répondre aux problèmes actuels.

ii.   Les positions des États membres

● Conformément à la feuille de route de la présidence bulgare du 23 mai 2018, les discussions au sein du Conseil sur le paquet sur la fiscalité du numérique ont d’emblée été axées sur la proposition de directive concernant la taxe sur les services numériques (TSN) afin de répondre à la demande de nombreux États membres de prendre une mesure coordonnée au niveau de l’Union européenne sans attendre une solution au niveau global.

Le texte de compromis présenté par la présidence autrichienne en décembre 2018 n’ayant pas recueilli le soutien nécessaire, il a été remanié pour mettre laccent sur les produits tirés uniquement de la fourniture de services de publicité numérique ciblés (système commun de taxe sur la publicité numérique).

En mars 2019, la présidence roumaine a présenté au Conseil la proposition concernant la taxe sur la publicité numérique, mais n’a pu obtenir un accord compte tenu de l’opposition de lIrlande, de la Suède et du Danemark. Elle a suggéré que les travaux se poursuivent sur la base d’une approche à deux niveaux. Le Conseil et les États membres continueront à œuvrer en vue d’un accord sur une solution globale au niveau de l’OCDE d’ici 2020 afin de relever les défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie. Au cas où, dici la fin de 2020, il apparaîtrait que laccord au niveau de lOCDE nécessite plus de temps, le Conseil pourrait reprendre lexamen des propositions concernant la taxe sur la publicité numérique et la taxe sur les services numériques, ainsi que de lapproche que pourrait adopter lUE face aux défis que la transformation du numérique pose en matière de fiscalité. La Pologne, qui était comme la France favorable à la taxe sur les services numériques, estime qu’il faudra la remettre à l’ordre du jour en cas d’absence d’accord à l’OCDE.

● Le projet de taxe sur les services numériques proposé par la Commission européenne a été accueilli avec hostilité en Irlande, y compris dans sa version réduite aux seuls revenus publicitaires. Selon une estimation préliminaire réalisée par l’administration fiscale, la mise en œuvre de la taxe sur les services numériques aurait occasionné une perte limitée pour les finances publiques irlandaises (moins de 1 % des recettes totales d’impôt sur les sociétés), mais l’opposition irlandaise s’est inscrite dans une stratégie de plus long terme visant à maintenir ce débat au sein de l’OCDE, sur une base mondiale.

L’annonce par plusieurs États membres de la mise en place de taxes sur les services numériques n’a pas infléchi la position irlandaise sur la proposition européenne. Toutefois, selon le professeur James Stewart, la multiplication des taxes numériques nationales mettrait l’Irlande sous grande pression, les entreprises concernées cherchant à récupérer les montants payés sur l’impôt sur les sociétés irlandaises. Aussi l’Irlande participe-t-elle activement aux discussions à l’OCDE pour trouver une solution globale.

Selon les explications fournies aux rapporteurs par le ministère des finances suédois, la Suède était opposée à la taxe pour plusieurs raisons. D’une part, elle considère que ce n’est qu’après la finalisation des travaux de lOCDE que des décisions sur des mesures potentielles à l’échelle de l’Union européenne pourront être prises. D’autre part, elle est opposée au principe dune taxe sur le chiffre daffaires, dont elle estime qu’elle entraverait l’innovation, les investissements et la croissance dans l’Union et nuirait à sa compétitivité par rapport aux autres régions. Enfin, elle estime que la Commission n’a pas suffisamment étayé son analyse sur l’existence d’un écart entre l’endroit où la valeur est créée dans l’économie numérique et l’endroit où les bénéfices des entreprises sont imposés.

Elle était également opposée à la proposition de la Commission sur la présence numérique significative. Puisque la discussion sur les défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie est susceptible de conduire à la modification de principes bien établis de la fiscalité internationale, la discussion doit selon elle avoir lieu à l’OCDE.

Au Danemark, Dansk Industri était opposée à la taxe sur les services numériques car, portant sur le chiffre d’affaires, elle la considérait comme mal conçue et faisant courir un risque descalade avec les États-Unis. La règle de l’unanimité aurait en outre rendu sa modification ultérieure aléatoire.

Lors de leur déplacement au Danemark, les rapporteurs ont eu l’occasion de rencontrer des membres du cabinet de la Première ministre peu après son entrée en fonction. La position du gouvernement est apparue comme moins figée que celle du gouvernement précédent. Le cabinet de la Première ministre est attentif au sentiment dinjustice fiscale et soucieux d’y apporter une réponse. Sa priorité va à une solution mondiale, mais il ne ferme pas la porte à une solution européenne qui serait efficace ou, en dernier recours, à une solution nationale, dont il reconnaît qu’elle constituerait avant tout une réponse politique.

S’il ne s’était pas opposé à la taxe sur les services numériques au Conseil ECOFIN, le Luxembourg pense toutefois que la question doit être réglée au niveau international et qu’une taxe sur le chiffre daffaires ne constitue pas une bonne solution, en ce qu’elle ne tient pas compte de la capacité contributive de l’entreprise et crée un désavantage compétitif pour les entreprises européennes.

De même, les Pays-Bas sont favorables à une approche mondiale pour résoudre les problèmes posés par l’imposition des bénéfices des entreprises multinationales. Ils ont toutefois adopté une attitude constructive lors de la discussion de la proposition de directive au Conseil et, une réponse ayant été apportée à leurs réserves sur la date d’entrée en vigueur, la date d’expiration de la directive, son applicabilité et la possible interférence avec les conventions fiscales bilatérales, ils ne se sont pas opposés à la proposition.

À la suite du blocage sur la proposition de taxe sur les services numériques européenne, plusieurs pays européens ont introduit ou annoncé leur intention dintroduire des taxes nationales sur les services numériques, sous des formes diverses, à brève échéance :

– en France, la loi n° 2019‑759 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés a institué une taxe de 3 % sur certains services fournis par les entreprises du secteur numérique réalisant plus de 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros au titre des services fournis en France. Deux types de services sont concernés : la mise à disposition d’une interface numérique permettant aux utilisateurs d’entrer en contact avec d’autres utilisateurs et d’interagir avec eux, notamment en vue de la livraison de biens ou de la fourniture de services directement entre ces utilisateurs ; les services commercialisés auprès des annonceurs visant à placer sur une interface numérique des messages publicitaires ciblés en fonction de données relatives à l’utilisateur qui la consulte ;

– en Autriche, un projet de loi prévoit une taxe de 5 % sur les revenus de la publicité numérique pour les groupes répondant à certains critères financiers ;

– la République tchèque prévoit d’introduire une taxe de 7 % ciblant principalement la publicité et la vente de données personnelles de la part des grands groupes numériques ;

– la Hongrie a mis en place dès 2015 une taxe de 5,3 % sur les revenus publicitaires excédant 1 million de forints, dont le taux a été porté à 7,5 % en 2017 ;

– l’Italie a introduit une taxe sur les services numériques similaire à la taxe française ;

– en Espagne, l’exécutif a adopté un projet de loi imposant une taxe de 3 % sur les revenus générés par certaines activités des géants du numérique ;

– le Royaume-Uni a annoncé qu’il prélèverait une taxe de 2 % sur un ensemble de services numériques qui exploitent la valeur des utilisateurs basés au Royaume-Uni.

S’ils considèrent tous deux que la réponse adéquate aux défis posés par la numérisation de l’économie repose sur un accord trouvé au sein de l’OCDE sur une modification des règles fiscales internationales pour l’imposition des sociétés, les rapporteurs ont une divergence sur l’opportunité, en attente d’un accord, des taxes sur le chiffre d’affaires prévues au niveau européen ou décidées au niveau national.

Pour Xavier Paluszkiewicz, il n’était pas possible d’attendre un accord international pour envoyer un signal fort à la fois aux entreprises à l’origine d’une évasion fiscale qui pénalise les budgets des États et aux contribuables, particuliers comme entreprises, qui s’acquittent de leurs obligations fiscales et ne supportent plus que les entreprises les plus rentables échappent aux leurs. L’initiative française a de plus permis de relancer les discussions à l’OCDE pour aboutir à une solution globale d’ici la fin de l’année. La multiplication des taxes nationales montre bien qu’une taxe européenne était nécessaire. Son produit aurait en outre pu alimenter les ressources du budget de l’Union. En outre, d’éventuelles sanctions américaines consécutives à l’instauration d’une taxe européenne frapperaient davantage l’Allemagne, du fait de l’excédent de sa balance commerciale avec les États‑Unis, que la France.

Pour Frédérique Dumas, au contraire, l’adoption d’une taxe sur les services numériques par la France constituait une erreur à bien des égards. Il est certes légitime d’apporter une réponse à une demande croissante de justice fiscale de l’opinion publique, mais cette réponse ne peut pas être uniquement politique, elle doit également être efficace. Or le dispositif adopté recèle beaucoup plus d’inconvénients que d’avantage. Pour apporter une réponse politique à la crise des « gilets jaunes », on a créé une taxe sur le chiffre d’affaires, qui ne tient pas compte des bénéfices des entreprises et frappe indistinctement les entreprises qui pratiquent l’optimisation fiscale et celles dont les bénéfices sont imposés à un niveau proche de ceux des entreprises « traditionnelles ». Cette taxe, qui n’a rapporté que 350 millions d’euros en 2019, a en outre été répercutée sur les consommateurs français ([35]).

Par ailleurs, cette taxe crée un désavantage concurrentiel pour les entreprises. De plus, ce qui est reproché aux géants du numérique, c’est de ne pas payer suffisamment d’impôts sur les sociétés en France. Or une taxe sur le chiffre d’affaires n’a aucun effet sur le niveau de l’impôt payé en France.

Enfin, elle a placé la France sous la menace de lourdes sanctions de la part des États‑Unis en application de la section 301 du Trade Act de 1974, qui permet aux États‑Unis de prendre des mesures de représailles ([36]) face à une mesure jugée discriminatoire de la part d’un partenaire commercial. L’enquête conduite par le représentant américain au Commerce en application de cet article a conclu au caractère discriminatoire de la taxe française et l’a conduit à proposer l’imposition de droits de douane jusqu’à 100 % sur certains produits français, pour un montant d’environ 2,4 milliards d’euros ([37]). Afin d’éviter ces sanctions, au bénéfice des négociations en cours à l’OCDE, le gouvernement français a dû s’engager à permettre aux entreprises redevables de remplacer les acomptes de la taxe dus en avril et octobre 2020 par un paiement unique en décembre. La taxe due au titre de 2019 a dû, elle, être déclarée et payée en avril 2020, sous déduction des acomptes déjà versés depuis novembre 2019 ([38]). Selon les explications du ministre des finances devant la commission des affaires étrangères, « si une solution internationale est adoptée en décembre 2020, la nouvelle taxe sappliquera en lieu et place de notre solution nationale. Sil ny a pas daccord à lOCDE, nous percevrons notre taxe nationale en décembre 2020 ». Pour Frédérique Dumas, ce compromis laisse planer de grandes incertitudes pour l’avenir. Dans l’hypothèse favorable où une solution internationale serait approuvée en décembre 2020, elle ne serait en effet pas applicable avant, au mieux, 18 mois, compte tenu de la nécessité de la traduire dans les conventions fiscales. Qu’adviendra-t-il de la taxe payée en 2020 et de celle due en 2021 ? Pour résoudre cette équation, l’idée a été avancée d’une application de manière immédiate voire rétroactive de l’accord de principe qui aurait été trouvé au niveau de l’OCDE. Toutefois le risque d’un retard important dans sa conclusion au niveau du pilier 1 sur l’évolution de la base fiscale (du fait à la fois du recul avant crise de la position américaine et du retard dû à la crise elle-même) compromet d’ores et déjà fortement cette solution. En l’absence d’accord, la France se retrouverait à nouveau sous la menace de sanctions et obligée de rembourser les sommes d’ores et déjà perçues. Cela conduirait nécessairement à une escalade entre les États-Unis et l’Union européenne.

c.   Le régime définitif de TVA

i.   Les propositions de la Commission

Le système de TVA actuel, mis en place en 1993, juste après la création du marché unique, était censé être transitoire ([39]).

En application de ce système, sur le marché national, les entreprises acquittent la TVA sur les biens qu’elles achètent et qu’elles envisagent de vendre à d’autres entreprises ou à des consommateurs. Elles déduisent du montant à payer à l’administration fiscale la TVA qu’elles ont antérieurement payée lors de leurs achats professionnels.

En revanche, la TVA n’est pas perçue sur les ventes entre entreprises situées dans différents États membres de l’Union. Le système de TVA actuel scinde toute opération transfrontière en une vente transfrontière exonérée et une acquisition transfrontière imposable. Les livraisons de biens depuis un État A à des acheteurs assujettis établis dans un État B membre de l’UE sont exonérées dans l’État A. En contrepartie, l’acquisition correspondante est taxée dans l’État B auprès de l’acquéreur, aux conditions et au taux de ce pays.

Concrètement, lorsque l’acquéreur reçoit la facture du vendeur établi dans l’État A, cette dernière ne contient pas de TVA. C’est l’acquéreur de l’État B qui devra payer la TVA de l’État B sur le prix de la transaction en portant le montant sur sa propre déclaration de TVA. Cependant, cette taxe acquittée par le redevable lors de l’acquisition intracommunautaire est déductible, si l’acquéreur est assujetti à la TVA.

Pour la Commission, ce système « fonctionne comme un régime douanier, mais sans les contrôles équivalents, ce qui donne lieu à des fraudes transfrontières » ([40]).

Ces fraudes se produisent lorsqu’un fournisseur prétend avoir transporté les biens vers un autre État membre, mais que ces biens sont en réalité consommés localement en exonération de TVA, ou lorsqu’un opérateur d’une opération transfrontière acquiert des biens ou des services hors TVA et facture ensuite la TVA à son client sans la reverser aux autorités fiscales alors que ce client peut la déduire.

La fraude carrousel

Le franchissement d’une frontière par les biens ou les services ouvre des possibilités de fraudes liées aux exonérations de TVA dont bénéficient les livraisons intracommunautaires.

Selon la Commission européenne, la fraude transfrontalière représenterait un tiers de l’ensemble de la fraude à la TVA dans l’Union européenne (50 milliards d’euros sur les 150 milliards d’euros de TVA perdus chaque année). La Cour des comptes européenne et Europol estiment que 2 % des groupes de crime organisé commettraient 80 % de cette fraude, qui procure des gains élevés en un temps réduit mais nécessite des mises de départ importantes. Le produit de la fraude commise par ces groupes criminels finance souvent des activités illégales.

La fraude la plus classique est celle dite « à l’opérateur défaillant ». Un fournisseur établi, par exemple, en Allemagne, fournit des marchandises exonérées de TVA à une entreprise (dite « opérateur défaillant ») en France. Cet opérateur défaillant collecte la TVA lors de la revente de la marchandise sans la reverser ensuite à l’État puis disparaît rapidement. L’entreprise qui a payé la TVA peut, si elle est de bonne foi, la déduire. La fraude dite de « carrousel » consiste en une reconduction de cette fraude de multiples fois.

Source : Cour des comptes, La fraude aux prélèvements obligatoires, novembre 2019.

Dans son rapport du 2 décembre 2019 sur la fraude aux prélèvements obligatoires, la Cour des comptes soulignait que « les régimes de TVA applicables varient en fonction de la nature de la transaction (B2C, B2B), du lieu de résidence du vendeur (France, Union européenne, pays tiers) et de la nature des produits (biens ou services). Chaque régime a ses règles, ses seuils et ses exceptions, qui rendent le système peu lisible et, par conséquent, démultiplient les points de fuite ».

En outre, ce système conduit à une fragmentation du marché. Sa complexité entrave l’activité des entreprises, en particulier des petites et moyennes entreprises, sur le marché européen et leur impose des coûts de conformité élevés. Pour Dansk Industri, il serait même plus facile pour les entreprises d’exporter hors de l’Union qu’à l’intérieur de celle-ci.

La Commission a présenté, le 7 avril 2016, un plan d’action intitulé « Vers un espace TVA unique dans lUnion » qui comprend les principes essentiels d’un futur système unique de TVA ainsi que des mesures à court terme pour lutter contre la fraude à la TVA. Elle estime que le régime définitif de TVA pourrait contribuer à réduire l’écart de TVA annuel de 137 milliards d’euros.

Pour instaurer le système définitif de TVA, la Commission a opté pour une approche législative en deux étapes.

● La première étape du processus législatif consiste à mettre en place le traitement TVA des livraisons intra-Union de biens entre entreprises (B2B). La mise en œuvre de cette première étape est elle-même divisée en deux sous-étapes.

 Dans le cadre de la première partie de la première étape législative, la Commission a présenté en octobre 2017 un paquet de trois textes législatifs :

– une proposition de directive ([41]) modifiant la directive TVA afin d’introduire les éléments suivants :

     la notion d« assujetti certifié », qui reprend le concept existant d’opérateur économique agréé dans le domaine des douanes. La notion d’assujetti certifié permet d’attester qu’une entreprise donnée peut globalement être considérée comme un contribuable fiable. Les entreprises ayant le statut d’assujetti certifié bénéficieraient de certaines simplifications ;

     les fondements juridiques du système de TVA définitif, reposant sur le principe de taxation dans lÉtat membre de destination. Pour les livraisons transfrontières de biens au sein de l’Union, le fournisseur facturerait la TVA à son acquéreur au taux en vigueur dans lÉtat membre darrivée des biens. La TVA serait déclarée et payée dans l’État membre dans lequel le fournisseur est établi par l’intermédiaire d’un mécanisme de guichet unique. Ce guichet unique permettrait de compenser la TVA en aval due sur les livraisons faites par la TVA acquittée en amont sur les achats effectués dans lUnion. Toutefois, au cours de la première étape de mise en œuvre du système de TVA définitif et par exception à ce principe général, lorsque l’acquéreur est certifié en tant qu’entreprise respectueuse des règles par son administration fiscale (possibilité également ouverte aux PME), celui-ci continuerait à être redevable de la TVA sur les biens achetés dans d’autres États membres, comme c’est le cas actuellement ;

     trois « solutions rapides » demandées par le Conseil, à savoir la simplification des règles relatives au régime des stocks sous contrat de dépôt ([42]) ; la reconnaissance du numéro didentification TVA de lacquéreur comme une condition de fond pour pouvoir exonérer de la TVA une livraison intracommunautaire de biens ; et la simplification des règles afin de garantir la sécurité juridique en ce qui concerne les opérations en chaîne ([43]). À l’exception de la solution relative au numéro de TVA, ces solutions rapides ne seraient accessibles qu’aux assujettis certifiés ;

– une proposition de règlement visant à introduire la quatrième « solution rapide » demandée par le Conseil, à savoir l’harmonisation et la simplification des règles sur la preuve du transport intracommunautaire de biens en vue d’exonérer de la TVA une livraison intracommunautaire de biens, lorsqu’un assujetti certifié est concerné ;

– une proposition modifiant le règlement sur la coopération administrative en matière de TVA pour tenir compte dans le système d’échange d’informations en matière de TVA de la création du statut d’assujetti certifié.

 Dans le cadre de la deuxième partie de la première étape législative, en mai 2018, la Commission a présenté la proposition législative relative à l’introduction de mesures techniques détaillées pour le fonctionnement du système de TVA définitif ([44]) et une modernisation des règles encadrant la liberté des États membres en matière de fixation des taux de TVA ([45]), compatible avec le régime fondé sur le principe de destination. Les règles actuelles en matière de fixation des taux avaient été conçues dans l’optique de la mise en place d’un système définitif de TVA fondé sur le principe d’origine. Or la TVA a évolué vers un système de plus en plus fondé sur le principe de destination, dans lequel les fournisseurs ne tirent aucun avantage à être établis dans un État membre dont le taux est faible. Une plus grande diversité des taux de TVA ne perturberait donc plus le fonctionnement du marché unique.

La réforme prévoit de remplacer l’encadrement actuel de la fixation des taux de TVA par les États membres (cf. supra page 24) par un nouveau système traitant tous les États membres de la même manière et leur accordant plus de souplesse. Le taux normal minimal de 15 % continuerait à s’appliquer, mais les États membres pourraient appliquer toute une série de taux :

– une franchise de TVA (taux nul) ;

– un taux réduit compris entre 0 et 5 % ;

– deux taux réduits distincts compris entre 5 % et le taux normal.

Pour la détermination des biens et services pouvant bénéficier d’un taux réduit, la logique actuelle serait inversée. La liste des biens pouvant bénéficier de taux réduits serait remplacée par une liste « négative » de biens ne pouvant pas faire lobjet de taux réduits (alcool, tabac, jeux de hasard, armes, etc.).

Afin de protéger les recettes publiques, les États membres devront également veiller à ce que la moyenne pondérée de tous les taux de TVA appliqués soit au moins égale à 12 %.

● La deuxième étape du processus législatif consistera à étendre le nouveau traitement TVA à toutes les opérations transfrontières, couvrant donc aussi les prestations de services. La mise en œuvre de cette deuxième étape serait proposée par la Commission après avoir procédé au suivi de la mise en œuvre de la première étape, dont elle évaluerait le fonctionnement cinq ans après son entrée en vigueur. Le système définitif serait alors pleinement mis en œuvre.

ii.   Les positions des États membres

La mise en place du régime définitif, initialement envisagée à l’horizon 2022, ne fait pas l’objet d’un consensus au sein de l’UE. La France est sans doute l’État le plus favorable à la proposition de la Commission, avec un soutien plus prudent de l’Espagne et de l’Italie.

Au sein du Conseil, tous les États membres sont convenus qu’il était nécessaire, pour pouvoir avancer rapidement et résoudre des questions importantes dans le domaine de la TVA, de traiter en priorité des propositions de la Commission relatives à des « solutions rapides » en matière de TVA, qui s’inscrivent dans le cadre du régime actuel ([46]). L’examen des propositions relatives à l’assujetti certifié et aux fondements du système définitif a été renvoyé aux textes présentés dans le cadre de la deuxième partie de la première étape législative, c’est-à-dire les propositions de directive de 2018 relatives aux aspects techniques du système de TVA définitif et aux taux de TVA.

Sur les fondements du système définitif, les travaux au sein du Conseil ont principalement porté sur six éléments clés de la proposition de la Commission :

– l’imposition dans l’État membre de destination ;

– la modification des règles applicables aux livraisons transfrontières de biens entre entreprises au sein de l’UE pour passer des deux opérations actuelles (livraison de biens intracommunautaire exonérée dans l’État membre dans lequel l’expédition ou le transport commence et acquisition intracommunautaire de biens dans l’État membre de destination) à une opération unique d’entreprise à entreprise (livraison intra-Union de biens dans l’État membre de destination) ;

– la conception et le fonctionnement des dispositions relatives à la notion d’assujetti certifié et à sa certification ;

– les règles liées à la personne redevable de la TVA pour la livraison de biens aux assujettis certifiés ;

– les règles liées à la personne redevable de la TVA pour la livraison de biens aux assujettis non certifiés ;

– l’élargissement du champ d’application du guichet unique.

Les discussions ont également concerné la possibilité d’avancer sur des mesures d’accompagnement telles que le paiement scindé.

Les États membres sont favorables à la substitution du principe de limposition dans lÉtat membre de destination à celui de limposition dans lÉtat membre dorigine, ainsi quà lidée davoir une opération transfrontière unique dentreprise à entreprise au lieu de deux.

Au-delà de l’accord sur l’objectif et les principes généraux, la proposition de la Commission a toutefois reçu un accueil très réservé et suscité des critiques sur de nombreux points. Certains État membres, notamment l’Allemagne et la République tchèque, plaident plutôt pour un mécanisme d’autoliquidation ([47]) généralisé.

Pour le cabinet du commissaire Moscovici, rencontré par les rapporteurs, le blocage sur cette proposition serait dû au conservatisme des administrations fiscales et au manque de confiance entre administrations fiscales des différentes États membres. Ce manque de confiance est apparu clairement au cours des travaux des rapporteurs (cf. infra), et c’est un point qui paraît majeur pour cette réforme. La proposition de la Commission renverse en effet complètement la logique actuelle en prévoyant la perception de la taxe par un État pour les autres. Si une telle logique est déjà à l’œuvre pour le commerce électronique, son champ d’application serait considérablement élargi.

Il peut exister une tendance de chaque administration à ne pas vouloir modifier un système qu’elle maîtrise bien et dont elle estime qu’il fonctionne correctement pour un nouveau système qui implique nécessairement une part d’inconnu et de risque. Cette accusation de conservatisme ne doit toutefois pas occulter les difficultés techniques réelles rencontrées, même sans mauvaise volonté des différentes administrations, lorsque l’on tente de rapprocher vingt-sept systèmes différents, tous extrêmement complexes, pour un impôt qui représente pour les États un enjeu en termes de recettes fiscales sans commune mesure avec l’impôt sur les sociétés.

Les objections à l’encontre de la proposition de la Commission ne paraissent en outre pas dénuées de tout fondement.

La majorité des États membres s’opposent à l’idée d’introduire une notion dassujetti certifié et d’appliquer des règles différentes selon que le client est un assujetti certifié ou non. De nombreux États membres se sont déclarés préoccupés par la complexité qui est susceptible d’en découler ainsi que par d’éventuels problèmes de neutralité. Le Luxembourg met en avant la charge administrative supplémentaire liée à la création de ce statut, qui revient à créer deux catégories de contribuables.

La complexité est également une critique émise par les entreprises ([48]). Lors de leur audition, les représentants de Dansk Industri, pourtant très favorables à l’émergence d’un système définitif de TVA, ont qualifié l’assujetti certifié de « monstre administratif » et regretté que le guichet unique n’aille pas suffisamment loin, en ne dispensant pas les entreprises d’être enregistrées dans tous les pays. Ils ont également estimé que le traitement différencié des biens et des services serait source de difficultés pour les entreprises aussi bien que pour les administrations. Selon eux, le système conçu est à tort focalisé sur la lutte contre la fraude et non sur un système favorable aux échanges et à la croissance ; un système plus simple serait plus facile à contrôler pour les administrations fiscales. Ils mettent l’accent sur le fait que la majeure partie de la fraude à la TVA provient du crime organisé, qui trouvera des moyens de contourner les nouvelles règles.

La majorité des États membres sont préoccupés par les éventuels effets négatifs de la redevabilité de la taxe par le fournisseur tels que la charge administrative et les coûts pour les entreprises et les autorités fiscales, les pertes de recettes en cas d’insolvabilité et l’incidence d’autres formes de fraude. Un certain nombre dÉtats membres ont déclaré quils craignaient avoir des difficultés à sassurer de la perception de la taxe auprès de fournisseurs non établis, tout en ayant à rembourser aux acquéreurs la TVA acquittée en amont.

Certains États membres, comme l’Allemagne, craignent lutilisation qui pourrait être faite des données transmises aux autres États membres pour leur permettre de collecter la TVA due.

De nombreux États membres ont estimé utile d’étudier des possibilités parallèles en ce qui concerne les obligations de déclaration et des mesures liées à la personne qui obtient le droit de déduire la TVA en amont. Ces mesures pourraient comporter une restriction du droit de l’acquéreur de déduire la TVA en amont si la TVA n’est pas payée par le fournisseur, ou une responsabilité solidaire. Afin de permettre à l’acquéreur d’échapper aux conséquences de ces mesures, celles-ci devraient être associées à un système de paiement scindé ou autre.

Enfin, plusieurs États ont fait part de leurs doutes sur lefficacité de la réforme pour lutter contre la fraude, comme la Pologne, la Hongrie ou les Pays-Bas.

Concernant la proposition de la commission sur la fixation des taux, les divergences sont également nombreuses.

Alors que certains États membres considèrent que la proposition de réforme des taux doit être examinée dans le contexte de la proposition relative au régime de TVA définitif, d’autres souhaitent accorder la priorité à la proposition relative aux taux. La Pologne, par exemple, demande l’intensification des travaux sur les taux réduits afin de pouvoir les appliquer aux services et marchandises qui favorisent la politique familiale.

De nombreux États membres sont, à l’instar de la France, opposés au remplacement de la « liste positive » par une « liste négative » pour ce qui concerne les biens et services susceptibles de bénéficier de taux réduits (Estonie, Autriche, Espagne, Lettonie, Danemark, Slovénie, Allemagne, Hongrie, Pologne, Portugal et Slovaquie). La Suède estime pour sa part quil y aurait des avantages à ce que les États aient une plus grande liberté, mais pointe le risque daccroître la complexité pour les entreprises qui vendent leurs biens ou services dans plusieurs États membres, ainsi que le risque de concurrence fiscale entre les États membres. Les Pays-Bas, qui sont favorables à la proposition de la Commission, se disent également conscients du fait qu’elle peut se traduire par une augmentation des charges administratives pour les entreprises et pour l’administration fiscale.

Enfin, selon Dansk Industri, il serait essentiel que les entreprises disposent d’une information centralisée et transparente sur le taux qui sera appliqué à chaque bien ou service par chaque pays.

d.   La révision de la directive sur la taxation de l’énergie

La directive du 27 octobre 2003 sur la taxation de l’énergie ([49]), prise sur le fondement de l’article 113 du TFUE, recense les produits énergétiques visés par les règles harmonisées sur les droits d’accises, fixe des niveaux minima de taxation et établit les conditions d’application des exonérations et réductions fiscales.

En 2011, la Commission avait proposé de la modifier pour la rendre plus conforme aux objectifs de l’Union européenne en matière d’énergie et de lutte contre le changement climatique ([50]). Elle suggérait d’introduire une taxe liée au CO2 applicable aux secteurs ne relevant pas du système d’échange de quotas d’émission, de fonder la fiscalité des produits énergétiques sur leur contenu énergétique et de simplifier le système des réductions et exonérations de taxes. N’ayant pu obtenir l’unanimité requise entre les États membres sur les principaux éléments de la proposition, la Commission a décidé en 2015 de la retirer. Le cadre obsolète de 2003 est donc toujours en place.

Le 12 septembre 2019, les services de la Commission ont publié un nouveau rapport sur l’évaluation de la directive. Selon cette évaluation, les taux fixés dans la directive pour l’électricité et le gaz naturel représentent une part tellement minime de leurs prix finaux respectifs qu’ils n’ont pas d’incidence positive sur le marché intérieur. La taxation des carburants en fonction de leur volume et non de leur contenu énergétique favorise les carburants conventionnels, en particulier le diesel, au détriment des carburants renouvelables et va donc à lencontre dune politique énergétique qui vise à promouvoir les sources dénergie plus propres. Les divergences dans la mise en œuvre de la directive au niveau national et l’utilisation généralisée des exonérations fiscales facultatives ont par ailleurs entraîné la fragmentation du marché intérieur.

Le 5 décembre 2019, le Conseil ECOFIN a adopté des conclusions dans lesquelles il se déclare favorable à une mise à jour du cadre juridique en matière de taxation de l’énergie. Parmi les éléments pouvant faire l’objet d’un réexamen figurent notamment le régime réservé aux biocarburants et autres carburants de substitution, les nouveaux produits et technologies énergétiques et le régime fiscal de certains secteurs.

La déclaration adoptée reste d’une grande prudence, ne fixant aucun calendrier et se contentant d’inviter « la Commission à analyser et à évaluer les options envisageables dans loptique de publier en temps utile une proposition de révision de la directive sur la taxation de lénergie ».

e.   Les ressources propres du cadre financier pluriannuel

Le 2 mai 2018, la Commission européenne a publié sa proposition de cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027, ainsi que sa proposition de décision sur les ressources propres, sur le fondement de l’article 311 du TFUE.

La Commission a proposé une réforme des ressources propres actuelles (simplification de la ressource TVA pour qu’elle ne repose que sur les prestations taxées au taux normal et baisse du taux des frais d’assiette et de perception des droits de douane prélevés par les États membres) et une diminution progressive des rabais dont bénéficient aujourd’hui cinq pays (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Autriche et Danemark), jusqu’à leur suppression en 2026.

Elle a également proposé trois nouvelles ressources propres, censées rapporter environ 22 milliards d’euros par an sur la période 2021-2027 :

– l’attribution de 20 % des recettes du marché d’échange de quotas d’émission carbone (marché ETS), dont le produit est aujourd’hui affecté aux budgets nationaux (3 milliards d’euros par an) ;

– une contribution de 3 % sur l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS), à compter de 2023 (12 milliards d’euros par an en moyenne) ;

– une nouvelle contribution nationale calculée sur la base du stock d’emballages plastiques non recyclés par les États membres (6,6 milliards d’euros par an).

Même si les recettes fondées sur le marché d’échange de quotas d’émission carbone et le stock d’emballages plastiques non recyclés ne sont pas des recettes fiscales, leur création en tant que ressources propres du budget de l’Union obéit aux mêmes règles d’unanimité et de procédure spéciale que les mesures d’harmonisation. Leur création doit en outre être approuvée par les parlements nationaux.

La négociation sur cette question cruciale pour lavenir du budget européen savère extrêmement difficile. La contribution sur l’ACCIS a rapidement été retirée du champ de la négociation, compte tenu de l’absence de progrès sur la création de l’ACCIS au Conseil.

La proposition qui a servi de base à la discussion au Conseil européen des 20 et 21 février 2020 ne mentionnait plus que la ressource fondée sur le système de quotas d’émission, à raison uniquement des recettes qui excèdent la recette annuelle moyenne par État membre des quotas mis aux enchères sur la période 2016-2018, et la contribution nationale proportionnelle au poids de déchets d’emballages plastiques non recyclés produits dans chaque pays (0,80 € par kg), avec toutefois un mécanisme de correction pour « éviter un impact excessivement régressif » sur les contributions nationales.

Le dernier document de travail de la Commission, élaboré pendant la réunion du Conseil, ne mentionnait plus que la « taxe plastique », lAllemagne sétant opposée à la création dune nouvelle ressource propre fondée sur une partie des recettes du marché européen du carbone.

Certains pays ont une objection de principe à toute création de nouvelles ressources propre pour des raisons de souveraineté fiscale (refus de l’autonomisation du budget européen), en raison de l’impact de la création de nouvelles ressources propres sur léquilibre actuel des contributions nationales ou parce qu’ils estiment que la perte de la contribution britannique doit se traduire par une diminution des dépenses, et non une augmentation des recettes.

Sans surprise, tous les États qui bénéficient à l’heure actuelle de rabais sont opposés à leur suppression.

L’Irlande, pour des raisons de souveraineté, préférerait passer par une augmentation des contributions nationales que par la création de nouvelles ressources propres.

Les Pays-Bas sont réticents devant de nouvelles ressources propres car ils estiment qu’il faut garantir le maintien des compétences nationales dans le domaine fiscal. Ils sont par ailleurs défavorables à la compensation de la perte de la contribution britannique par de nouvelles contributions ou de nouvelles ressources propres, car cela reviendrait au final à alourdir les charges pour les citoyens et les entreprises.

La Suède considère par principe que de nouvelles ressources propres ne constituent pas une solution pour les mêmes raisons de respect des compétences nationales en matière de fiscalité et de refus d’alourdir la pression fiscale. Toutefois, dans le cadre d’un accord général satisfaisant, elle pourrait être prête à considérer les propositions de ressources fondées sur les recettes du marché d’échange de quotas d’émission carbone et les déchets plastiques.

De même, le Danemark défend une limitation du prochain CFP à 1 % du revenu national brut et préfère adapter les dépenses aux ressources disponibles. Cependant, en raison de son attachement à la transition écologique, le gouvernement pourrait ne pas être fermé à de nouvelles recettes en matière écologique.

Si les pistes évoquées en matière environnementales, sont les plus prometteuses, elles suscitent des réticences, en particulier de la part des pays de lEst. Contrairement à l’image que l’on peut avoir de la position de ces pays, ils ne paraissent pas opposés à toute taxation en matière environnementale, mais critiquent les propositions pour deux raisons. La première est que, telles qu’elles sont conçues, ces ressources priveraient les États de ressources au profit du budget de lUnion européenne. Pour l’ambassadeur de Hongrie, les nouvelles ressources propres devraient taxer les entreprises et non les États. Elles ne doivent pas priver les budgets nationaux de ressources permettant de favoriser la transition. La Hongrie souhaiterait en outre que les ressources soient affectées aux objectifs pour lesquelles elles sont appelées.

Les personnes rencontrées par les rapporteurs en Pologne partagent ces critiques. Le président de la commission des finances de la Diète a estimé que le produit des échanges de quotas d’émission devait servir à financer la politique climatique de lUnion, et pas le budget général de lUE. Il a de même estimé qu’une taxe sur les plastiques non recyclés pouvait permettre de discipliner les consommateurs, mais devrait constituer une ressource des États.

La Pologne serait favorable à l’exploration d’autres ressources qui n’émaneraient pas des budgets nationaux, comme le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, la taxe sur les services numériques et la taxe sur les transactions financières. L’état des négociations au Conseil sur ces deux derniers dossiers laisse toutefois peu d’espoir de les voir alimenter le budget de l’Union dès 2021.

Pour ce qui concerne le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, l’étude d’impact initiale de la Commission, publiée le 4 mars dernier, évoque trois pistes de réflexion : une taxe carbone sur certains produits domestiques et importés, un nouveau droit de douane sur le carbone ou l’extension du marché européen du carbone aux importations dans l’Union. Selon la piste retenue, la base juridique ne sera pas la même. Une mesure fiscale serait prise sur le fondement de l’article 192 du TFUE, alors qu’une mesure commerciale relèverait de l’article 207. Les rapporteurs incitent la Commission à privilégier la piste des droits de douane. Elle serait plus facilement acceptable par les États les plus attachés à leur souveraineté en matière fiscale et ne frapperait pas les produits fabriqués dans l’Union. De plus, les droits de douane constituant depuis l’origine une ressource de l’Union, l’attribution de cette nouvelle recette au budget de l’Union ne ferait pas débat. Les rapporteurs estiment toutefois que, pour être acceptable, toute nouvelle ressource devrait être fléchée vers la transition.

III.   Quelle démarche pour lever les blocages ?

De l’examen des initiatives de la Commission actuellement bloquées au Conseil, il ressort que les difficultés peuvent intervenir à quatre niveaux : des difficultés techniques ; un manque de confiance entre les administrations fiscales ou, plus globalement, entre les États ; des craintes concernant les effets des réformes sur les recettes fiscales des États ; enfin, la volonté de préserver la souveraineté nationale en matière fiscale.

Malgré ces difficultés, il ne saurait être question de renoncer à moderniser des règles qui facilitent l’évitement fiscal, encouragent la course au moins-disant fiscal et entravent l’activité des entreprises sur le marché unique. Comme l’a relevé Agnès Bénassy Quéré lors de son audition, la règle de l’unanimité en matière fiscale complique les choses, mais ne les rend pas désespérées. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la pression de lopinion publique, qui supporte de moins en moins l’optimisation fiscale des multinationales. Le contexte international a de plus changé avec la mise en œuvre du plan BEPS de lOCDE, qui se poursuit avec les discussions en cours sur la réforme de l’imposition des multinationales, et le Tax cuts and jobs act américain de décembre 2017 ([51]), qui introduit de facto un taux minimal d’imposition sur les sociétés avec notamment le « revenu mondial à faible taux d’imposition tiré d’incorporels » (Global intangible low tax income, GILTI) et la Base erosion anti-abuse tax (BEAT).

Un recours accru à la majorité qualifiée en matière fiscale pourrait accélérer les progrès sur certains dossiers. Il sera toutefois difficile à obtenir puisque le passage à la majorité qualifiée suppose, dans la plupart des cas, une décision à l’unanimité des États membres. Il ne serait en outre pas nécessairement suffisant pour aboutir sur les sujets les plus complexes.

Les rapporteurs estiment par conséquent qu’il ne faut pas être obnubilé par la question du processus décisionnel, mais continuer à travailler pour construire des solutions pouvant être acceptées à l’unanimité.

Des quatre niveaux de blocage identifiés, le dernier, la protection de la souveraineté nationale, est peut-être le plus difficile à lever car il repose sur une position de principe. Comme certains ambassadeurs l’ont indiqué aux rapporteurs, l’expérience des négociations européennes tend toutefois à montrer que « tout est négociable » pour peu que chaque État puisse trouver des aspects positifs dans un compromis global. En effet, ainsi que l’a relevé également Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, si l’unanimité permet à un État de bloquer un dossier fiscal, elle offre aussi un levier aux autres États, qui peuvent menacer de bloquer une autre réforme à laquelle il est très attaché…

A.   Un recours accru à la majorité qualifiée, s’il peut être souhaitable, ne saurait constituer la seule perspective

Alors que, dans sa communication du 15 janvier 2019, la Commission estimait que « la question nest plus de savoir sil est nécessaire dabandonner lunanimité en matière fiscale, mais plutôt de déterminer la manière et le moment de le faire », les rapporteurs estiment que la question n’est certes plus de savoir s’il est nécessaire d’abandonner l’unanimité en matière fiscale, mais de savoir dans quelle mesure il est possible de le faire. Si l’on veut rapprocher les débats européens des préoccupations des citoyens, l’ambition conceptuelle doit nécessairement être tempérée par le principe de réalité. Les rapporteurs estiment par ailleurs que ce n’est pas non plus le seul chemin pour avancer.

1.   La feuille de route de la Commission pour une transition progressive vers la majorité qualifiée

En janvier 2019, constatant que, en raison de la règle de l’unanimité, certaines de ses propositions en matière fiscale jugées essentielles pour la croissance, la compétitivité et la justice fiscale étaient bloquées depuis plusieurs années, la Commission a proposé une feuille de route ([52]) pour une transition progressive vers le vote à la majorité qualifiée dans le cadre de la procédure législative ordinaire pour certains domaines relevant de la politique fiscale de l’UE. L’objectif de cette feuille de route n’est pas de modifier la répartition des compétences entre l’échelon européen et l’échelon national dans le domaine de la fiscalité, ni d’harmoniser les taux d’imposition dans l’ensemble de l’Union, mais de modifier la façon dont l’Union exerce les compétences qui sont déjà les siennes dans le domaine fiscal.

a.   Une transition en quatre étapes

La Commission proposait une évolution progressive en quatre étapes, dont les deux premières devaient être mises en place rapidement et les deux dernières d’ici la fin de 2025 :

– la première étape consisterait à passer à un processus décisionnel fondé sur le vote à la majorité qualifiée pour les mesures visant à renforcer la coopération et l’assistance mutuelle entre les États membres dans le cadre de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que pour les initiatives administratives en faveur des entreprises, comme l’harmonisation des obligations de déclaration. Les initiatives visant à combattre les pratiques fiscales abusives auxquelles les États membres ont déjà souscrit au niveau international, telles que celles du projet BEPS de l’OCDE, pourraient relever de cette catégorie ;

– la deuxième étape instaurerait le vote à la majorité qualifiée pour faire progresser des mesures dans lesquelles la fiscalité soutient dautres objectifs stratégiques, tels que la lutte contre le changement climatique, la protection de l’environnement ou l’amélioration de la santé publique ou de la politique des transports ;

– la troisième étape permettrait de recourir à la majorité qualifiée pour moderniser des règles de lUnion déjà harmonisées, comme celles régissant la TVA et les droits d’accise, afin de rester en phase avec les avancées technologiques et les évolutions du marché les plus récentes ;

– enfin, la quatrième étape permettrait de passer au vote à la majorité qualifiée pour de grands projets fiscaux tels que l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) et un nouveau système de taxation de l’économie numérique.

La proposition de la Commission a reçu un accueil très réservé au Conseil. Les grands États, en particulier la France et l’Espagne, y sont plutôt ouverts, de même que certains États plus petits, comme la Belgique ou la Grèce. L’Autriche et le Danemark seraient favorables à la première étape (coopération administrative et mise en œuvre des engagements internationaux), mais, d’une manière générale, les pays nordiques, les pays de lEst, lIrlande et le Portugal y sont opposés.

b.   Comment contourner le principe de l’unanimité ?

Les différentes voies envisageables pour passer à la majorité qualifiée afin de légiférer sur les questions fiscales soulèvent des difficultés qui conduisent les rapporteurs à penser qu’il ne faut pas fonder d’espoirs démesurés sur cette démarche, qui risque de rester incantatoire et d’empêcher la réflexion sur d’autres possibilités.

La solution la plus robuste et la plus cohérente serait une modification des traités. Aujourd’hui, l’Union n’a qu’une compétence résiduelle en matière fiscale (cf. supra page 10), ce qui explique que, lorsqu’elle intervient, l’unanimité des États membres est requise. Une révision des traités pourrait explicitement confier certaines compétences à l’Union en matière de fiscalité directe et, en conséquence, prévoir l’application de la procédure législative ordinaire.

Cette solution n’est toutefois même pas évoquée dans la communication de la Commission, tant la perspective d’une révision des traités, qui devrait être ratifiée par tous les États membres, paraît illusoire dans le contexte actuel puisqu’elle-même soumise à la règle de l’unanimité. En outre, s’il y avait une révision des traités, tout laisse à penser que l’attachement de bon nombre d’États à leur souveraineté fiscale empêcherait de toute façon d’aboutir sur ce point. La Commission, avec le soutien du Parlement européen, a en effet déjà proposé à plusieurs reprises, sans succès, de passer au vote à la majorité qualifiée en matière de politique fiscale dans le cadre des modifications des traités.

La feuille de route de la Commission repose par conséquent sur les dispositions contenues dans les traités qui laissent la possibilité de recourir à d’autres procédures que l’unanimité sans modification des traités.

● Le moyen privilégié par la Commission pour passer progressivement du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée serait de recourir aux « clauses passerelles ». Il en existe deux : l’une générale (article 48 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), l’autre spécifique pour les mesures concernant le domaine environnemental (article 192 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Selon l’article 48, paragraphe 7 du traité sur l’Union européenne, « lorsque le traité sur le fonctionnement de lUnion européenne ou le titre V du présent traité prévoit que le Conseil statue à lunanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas. Le présent alinéa ne sapplique pas aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.

« Lorsque le traité sur le fonctionnement de lUnion européenne prévoit que des actes législatifs sont adoptés par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant ladoption desdits actes conformément à la procédure législative ordinaire.

« Toute initiative prise par le Conseil européen sur la base du premier ou du deuxième alinéa est transmise aux parlements nationaux. En cas dopposition dun parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision visée au premier ou au deuxième alinéa nest pas adoptée. En labsence dopposition, le Conseil européen peut adopter ladite décision.

« Pour ladoption des décisions visées au premier ou au deuxième alinéa, le Conseil européen statue à lunanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent. »

L’article 192 permet pour sa part d’activer une clause passerelle pour prendre des « dispositions essentiellement de nature fiscale » en vue de réaliser les objectifs suivants dans le domaine de l’environnement :

– préservation, protection et amélioration de la qualité de l’environnement ;

– protection de la santé des personnes ;

– utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles ;

– promotion, sur le plan international, des mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, en particulier la lutte contre le changement climatique.

La clause passerelle de l’article 192 est légèrement plus souple que la clause passerelle générale, puisquelle ne prévoit pas de droit de véto des parlements nationaux. Une autre différence réside dans l’origine de l’initiative d’activer la clause passerelle : pour la clause passerelle générale, l’initiative appartient au Conseil européen, alors que pour la clause passerelle environnementale, la proposition émane de la Commission, qui paraît plus susceptible d’avoir la volonté politique de s’engager dans cette voie.

Selon la Commission, il serait possible d’avoir recours à la clause passerelle prévue dans le titre du TFUE consacré à l’environnement pour les mesures de fiscalité de l’énergie qui sont essentiellement de nature environnementale. Ce choix pourrait être justifié pour des mesures de fiscalité environnementale destinées à la réduction des émissions de CO2 et d’autres émissions polluantes ou à l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Si les clauses passerelles permettent d’adopter une directive à la majorité qualifiée au lieu de l’unanimité, leur déclenchement passe par un vote à l’unanimité au Conseil, ce qui constitue indéniablement un obstacle majeur.

Il y a tout lieu de croire que si le Conseil accepte le principe de la clause passerelle, cela signifie qu’il aurait pu trouver un accord sur le fond du texte proposé à l’unanimité. On ne voit pas très bien dans quel cas de figure un État susceptible d’utiliser son droit de veto sur un sujet fiscal serait volontaire pour en être privé… L’intérêt de la démarche paraît donc réduit.

En outre, pour une initiative qui excéderait le champ de la fiscalité environnementale, une ratification par les parlements nationaux serait nécessaire, ce qui rendrait le résultat tout aussi aléatoire que l’unanimité au Conseil.

● Les traités contiennent deux articles ciblés qui autorisent le vote à la majorité qualifiée dans des circonstances spécifiques.

 L’article 325 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet de légiférer selon la procédure législative ordinaire pour arrêter « les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de lUnion et de la lutte contre cette fraude en vue doffrir une protection effective et équivalente dans les États membres ainsi que dans les institutions, organes et organismes de lUnion ». La TVA étant une ressource propre de l’UE, cet article pourrait être utilisé pour certaines mesures visant à combattre la fraude à la TVA, mais la portée de l’initiative devrait être bien circonscrite et la fraude à la TVA n’est pas le sujet sur lequel il est le plus difficile d’obtenir un accord à l’unanimité, comme en témoigne le nombre de directives déjà adoptées sur le sujet.

 L’article 116 du TFUE permet d’adopter des directives conformément à la procédure législative ordinaire pour éliminer les distorsions de concurrence dues à des disparités existantes entre les règles des États membres si la distorsion ne peut être supprimée en concertation avec les États membres. Cet article n’excluant pas expressément la fiscalité, il pourrait s’appliquer dans ce domaine, dans la mesure où la fiscalité a des conséquences sur le fonctionnement du marché intérieur.

Cette disposition n’a, malgré les demandes répétées du Parlement européen, jamais été utilisée jusquici. Plusieurs conditions cumulatives devraient être satisfaites :

– une disparité doit être constatée par la Commission européenne ;

– cette disparité doit provoquer une distorsion de concurrence dans le marché intérieur ;

– la Commission européenne doit considérer que cette distorsion de concurrence doit être éliminée ;

– la consultation avec les États membres intéressés ne permet pas d’éliminer la distorsion en cause.

Outre que la mise en œuvre de cet article demande une forte volonté politique de la Commission, elle demande également du temps pour analyser les disparités entre les régimes fiscaux des États membre, établir qu’elles provoquent des distorsions de concurrence, et conduire la consultation avec les États membres.

La nouvelle Commission européenne explore les possibilités de faire usage de la clause de l’article 116 du TFUE. Lors d’un événement organisé par Accountancy Europe le 19 février dernier, le directeur du département « Fiscalité » de la Commission européenne a précisé que la Commission examinait les possibilités d’initiatives sur cette base et que « des actions suivront dans les mois et les années à venir », sans préciser sur quels dossiers.

Par rapport aux clauses passerelles, l’article 116 présente l’avantage de ne pas être soumis à un vote unanime du Conseil, mais de résulter d’une initiative de la Commission.

Cet article a, jusqu’ici plutôt servi comme arme dissuasive, pour engager la concertation et obtenir des modifications de leur législation par les États membres, sans en arriver à une législation européenne. Pour reprendre l’expression utilisée par le cabinet de Pierre Moscovici lors du déplacement des rapporteurs à Bruxelles, il s’agit d’une « arme assez brutale ». En l’utilisant, la Commission pourrait être accusée de détournement de pouvoir par certains États membres, qui ne manqueraient pas de contester les fondements juridiques de lutilisation de cette disposition.

La condition de « disparité » est en effet sujette à interprétation et suppose une comparaison précise des régimes fiscaux des États membres concernés, alors qu’ils disposent d’une large marge de manœuvre en matière de fiscalité directe. Ces disparités éventuelles devraient en principe concerner des mesures fiscales générales ou l’absence de dispositions fiscales. Si elles résultaient de régimes particuliers n’affectant pas tous les acteurs économiques, elles devraient alors être éliminées sur la base de l’article 107 du TFUE sur les aides d’État.

La notion de « distorsion » n’est pas non plus aisée à interpréter et à prouver, non plus que le lien entre les disparités de législation et les distorsions de concurrence.

L’utilisation de cet article paraît par conséquent risquée juridiquement et risquerait douvrir un conflit ouvert entre la Commission et une partie des États membres.

● Enfin, les traités contiennent une dernière disposition qui n’est pas mentionnée dans la feuille de route de la Commission, mais dont la mise en œuvre est parfois évoquée par certains, la procédure de coopération renforcée (article 20 du traité sur l’Union européenne et articles 326 à 334 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), qui permet à un groupe d’au moins neuf États membres de faire avancer une initiative proposée conjointement lorsqu’il s’avère impossible de parvenir à un accord unanime au Conseil.

Elle est soumise à des conditions strictes : elle doit concerner des domaines couverts par le traité, favoriser la réalisation de ses objectifs, rester dans le cadre des compétences non exclusives de l’Union, respecter les compétences, droits et obligations des États membres qui ne participent pas ; elle ne peut pas affecter le marché intérieur, ni la cohésion économique, sociale et territoriale ; elle ne peut pas entraîner une distorsion de concurrence entre États membres ; elle doit être activée par au moins neuf États membres, sur la base d’une proposition de la Commission, et constituer la solution de dernier ressort, c’est-à-dire qu’il faut d’abord constater l’impossibilité de trouver un accord à l’unanimité.

La coopération renforcée n’a été utilisée qu’une seule fois en matière fiscale, au sujet de la taxe sur les transactions financières.

La proposition de directive établissant un système commun de taxe sur les transactions financières (TTF) a été présentée le 28 septembre 2011. En l’absence d’accord unanime, la Commission, sur la base de la demande formulée par onze États membres et conformément à l’autorisation accordée par le Conseil le 22 janvier 2013, a présenté, le 14 février 2013, une proposition de directive mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières.

Cet exemple peut difficilement être considéré comme un grand succès : sept ans après le début de la coopération, le nombre de pays participant est passé de onze à dix ([53]) et les dix États (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie) qui continuent d’y participer ne sont toujours pas parvenus à un accord.

Il est vrai que l’intérêt de la coopération renforcée paraît limité en matière fiscale. Elle est peu susceptible de s’appliquer en matière de fiscalité indirecte, plus fortement liée au marché intérieur et où un haut degré d’harmonisation a déjà été atteint. En matière de fiscalité directe, la question qui se pose est de savoir si une coopération renforcée ne serait pas de nature à donner un avantage compétitif aux États qui ny participent pas. C’est le raisonnement qui avait conduit l’Assemblée nationale, sous la précédente législature, à adopter une résolution européenne préconisant d’écarter la mise en place dune coopération renforcée sur lACCIS ([54]).

2.   L’évolution des règles procédurales ne suffirait pas à résoudre toutes les difficultés

a.   La majorité qualifiée ne suffirait pas à empêcher tout blocage au Conseil

S’il est susceptible de favoriser les progrès sur certains dossiers, il serait illusoire de penser que le passage à la majorité qualifiée constituerait la panacée pour adopter rapidement des directives en matière fiscale.

D’une part, il n’apporterait pas de réponse aux difficultés techniques qui freinent les progrès, par exemple, sur le régime définitif de TVA ou sur l’ACIS.

D’autre part, compte tenu de l’attachement de nombreux pays à leur souveraineté fiscale, il n’est pas garanti qu’il empêcherait des minorités de blocage à géométrie variable de se constituer sur tel ou tel dossier.

La proposition de directive sur la transparence fiscale pays par pays ([55]) en fournit un exemple. Déposée en 2016 sur la base juridique de l’article 50 du TFUE (liberté d’établissement), elle est examinée par le Conseil « Compétitivité » au titre des règles du droit des sociétés, soumises à la majorité qualifiée, où elle rencontre l’opposition d’une douzaine de pays qui considèrent qu’il s’agit d’un dossier portant sur des questions fiscales, qui doit donc être adopté à l’unanimité.

b.   Une majorité peut-elle politiquement imposer à un pays une décision qui irait à l’encontre de ses intérêts fondamentaux ?

Un éventuel recours facilité à la majorité qualifiée en matière fiscale poserait la question de l’opportunité politique dune décision prise par le Conseil qui heurterait de front les intérêts fondamentaux dun membre de lUE, par exemple en ayant une incidence significative sur ses recettes fiscales.

Sur un sujet présentant un intérêt très important pour un pays, il semblerait délicat, même si c’était juridiquement possible, de ne pas prendre une décision par consensus. En cas d’absence de consensus, il serait très difficile pour le pays concerné d’accepter la solution adoptée et de l’expliquer à sa population.

En dehors du domaine fiscal, l’exemple de la relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile a montré les limites de ce que des États membres peuvent accepter de se voir imposer contre leur gré. Trois pays, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ([56]), ont en effet refusé d’appliquer les décisions du Conseil de septembre 2015. Le commissaire Margaritis Schinas a récemment invité à éviter, sur ces questions, la majorité qualifiée au Conseil, qui a « créé des blessures » lors du plan de répartition des migrants de 2015, entré en vigueur malgré le refus de plusieurs pays de l’Est. À l’évidence, une Union ne peut pas fonctionner durablement sur l’affrontement entre ses membres et l’humiliation de certains d’entre eux par la majorité, fût-elle qualifiée.

c.   Si l’unanimité était levée en matière fiscale, serions-nous prêts à l’abandonner sur d’autres sujets ?

Enfin, l’abandon de la majorité qualifiée en matière fiscale poserait inévitablement la question de son maintien dans d’autres domaines. Si nous demandons aux pays attachés à leur souveraineté fiscale – qui sont souvent de petits pays pour lesquels il est plus difficile de réunir une minorité de blocage – d’abandonner l’unanimité en matière fiscale, serions-nous prêts à l’abandonner sur des sujets tels que la protection sociale, dont le lien avec la fiscalité est évident, ou l’exception culturelle ? Il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître.

L’unanimité n’est en effet pas réservée à la fiscalité. Elle s’applique également pour :

– la politique étrangère et de sécurité commune (articles 22 et 24 du TUE et 329 et 332 du TFUE), dont la politique de sécurité et de défense commune (articles 42 et 46 du TUE) ;

– l’harmonisation des législations nationales dans le domaine de la sécurité sociale et de la protection sociale (article 21 du TFUE), ainsi que certaines mesures relatives à la protection des travailleurs (articles 153 et 155 du TFUE) ;

– la conclusion de certains accords internationaux :

 accords sur un domaine pour lequel l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte de l’Union, accord d’association et accord avec les États candidats à l’adhésion (article 218 TFUE),

 accords dans les domaines du commerce de services et des aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, ainsi que d’investissements étrangers, lorsque l’accord comprend des dispositions pour lesquelles l’unanimité est requise pour l’adoption de règles internes, ou accord risquant de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de lUnion ou de perturber gravement lorganisation des services sociaux, déducation ou de santé (article 207 du TFUE) ;

– certaines dispositions dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (articles 19, 22, 25, 77, 81, 83, 86, 87, 89 et 118 du TFUE) ;

– de nombreuses décisions en matière institutionnelle (articles 14 et 17 du TUE et 203, 223, 244, 246, 252, 257, 262, 301, 305, 308, 342, 352 et 355 du TFUE), dont l’adhésion à l’UE (article 49 du TUE), la prorogation du délai après lequel les traités cessent d’être applicables à un État ayant notifié son intention de se retirer de l’Union (article 50 du TUE), l’application des procédures de révision simplifiées des traités (article 48 du TUE) et la constatation de l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs de l’Union (article 7 TUE) ;

– certaines décisions en matière économique et financière (articles 64, 127, 140, 219), dont la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, par dérogation aux dispositions de l’article 107 (article 108 TFUE) ;

– certaines mesures en matière d’environnement (article 192 TFUE) affectant la structure de l’approvisionnement énergétique d’un État, l’aménagement du territoire ou la gestion des ressources hydrauliques.

B.   L’Union dispose de leviers non législatifs pour faire évoluer les législations fiscales des États membres

● L’adoption de directives européennes n’est pas le seul levier de rapprochement des législations des États membres. En effet, outre « l’intégration positive » des droits fiscaux nationaux à laquelle la législation européenne peut procéder, comme elle l’a fait en matière de fiscalité indirecte, les droits fiscaux nationaux font l’objet d’une « intégration négative » ([57]) par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui vérifie la conformité du droit fiscal national au droit primaire de lUnion européenne, en particulier à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux.

Cette exigence s’applique non seulement à la fiscalité indirecte, mais aussi à la fiscalité directe. Avec l’arrêt Schumacker du 14 février 1995, la Cour de justice de l’Union européenne a en effet jugé que « si, en létat actuel du droit, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de lUnion, il nen reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit de lUnion européenne » ([58]).

Or les questions fiscales représentent une part importante des affaires renvoyées à la CJUE. En 2017, la fiscalité a ainsi constitué la matière prédominante des affaires clôturées par la CJUE, avec 62 affaires, soit 9,9 % du total ([59]). Les dernières années ont fourni de nombreux exemples de décisions ayant conduit la France, par exemple, à modifier sa législation fiscale, avec des conséquences budgétaires parfois importantes ([60]).

● Selon la même logique, les autorités européennes procèdent, depuis le début des années 2000, à un contrôle des aides dÉtat sous forme fiscale, c’est-à-dire des avantages fiscaux « sélectifs » au sens de l’article 107 du TFUE. Le Tribunal de première instance des communautés européennes a en effet jugé que « sil est vrai que la fiscalité ainsi que la mise en place des régimes fiscaux nationaux relèvent de la compétence des autorités nationales, il nen reste pas moins que lexercice dune telle compétence peut, le cas échéant, se révéler incompatible avec larticle 107, paragraphe 1er, du traité » ([61]).

Sur le fondement de l’article 108 du TFUE, la Commission européenne examine si une aide accordée par un État, y compris par voie de réduction fiscale, donne à une entreprise, un secteur ou une personne un avantage injustifié par rapport à ses concurrents. Elle peut insister pour qu’une aide illégale soit abolie et ordonner sa récupération. Le droit des aides dÉtat est alors employé aux fins de lutter contre la concurrence fiscale dommageable entre les États membres.

Dans ce cadre, elle a conclu plusieurs enquêtes sur les pratiques des États membres en matière de rescrits fiscaux, concernant :

– le Luxembourg, pour des avantages sélectifs accordés à Fiat (23,1 millions d’euros récupérés), Amazon (282,7 millions d’euros récupérés) et Engie (120 millions d’euros, récupération en cours) ;

– les Pays-Bas, pour des avantages fiscaux sélectifs accordés à Starbucks (25,7 millions d’euros récupérés) ([62]) ;

– la Belgique pour des avantages fiscaux sélectifs accordés à au moins 35 multinationales, principalement basées dans l’UE, dans le cadre de son régime d’imposition des bénéfices dits « excédentaires » (900 millions d’euros à récupérer) ;

– l’Irlande pour des avantages fiscaux accordés à Apple (14,3 milliards d’euros récupérés) ;

– Gibraltar pour des avantages fiscaux sélectifs indus accordés à plusieurs entreprises multinationales, pour un montant d’environ 100 millions d’euros, au moyen d’un régime d’exonération de l’impôt sur les sociétés et de cinq rescrits fiscaux.

D’autres enquêtes sont en cours au sujet de rescrits fiscaux émis par les Pays-Bas en faveur d’Inter IKEA et d’un régime fiscal en faveur des multinationales au Royaume-Uni.

● Enfin, la Commission peut faire des recommandations, non contraignantes, aux États, leur suggérer des réformes pour rendre les systèmes nationaux plus justes et plus efficaces et mettre en valeur les meilleures pratiques.

Pour la première fois, en 2018, dans le cadre du semestre européen, la Commission a exprimé des critiques dans sept rapports par pays au vu de défaillances dans les systèmes fiscaux nationaux qui facilitent la planification fiscale agressive, en faisant valoir que lesdites défaillances minaient l’intégrité du marché unique européen. Ces analyses ont été reconduites en 2019 à la demande de la France ([63]) et en 2020.

Dans sa communication « chapeau » du 26 février 2020 ([64]), la Commission souligne ainsi que « les entreprises qui pratiquent une planification fiscale agressive peuvent avoir recours à certaines caractéristiques des systèmes fiscaux de certains États membres (Irlande, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Malte et Pays-Bas). La planification fiscale agressive pratiquée dans un État membre se répercute à la fois sur les autres entreprises et sur les autres États membres ; elle génère notamment des pertes de recettes fiscales et fausse les conditions de concurrence entre les entreprises. Les États membres dont la base dimposition est érodée sont contraints de lever des recettes au moyen dautres impôts ou de se contenter de recettes moindres pour mener à bien les réformes propices à la croissance, procéder à la redistribution et investir ». Ces éléments sont approfondis dans les rapports concernant chacun de ces pays ([65]).

Cette démarche de la Commission doit être encouragée. Même si ses recommandations ne sont pas suivies d’effets à court terme, elles participent d’une démarche de « name and shame » qui accroît la pression de l’opinion publique sur les gouvernements pour remédier aux pratiques favorables à l’évasion fiscale.

C.   Renforcer La confiance entre administrations fiscales est un préalable à toute avancée supplémentaire

Alors que de nombreux outils de coopération entre administrations fiscales existent et que celles-ci coopèrent davantage que, par exemple, les administrations sociales, les travaux des rapporteurs ont montré que le manque de confiance entre administrations fiscales constituait un obstacle important à l’avancée de projets comme l’ACCIS ou la mise en place du système définitif de TVA.

Alors qu’il n’y a pas vraiment de désaccord sur l’objectif final du système définitif de TVA, à la différence de l’ACCIS, la difficulté à progresser sur ce sujet provient de l’absence de confiance entre les administrations fiscales des États membres, et plus généralement entre les États. Certains États nont aucune confiance en la capacité, voire la volonté, dautres États membres de collecter efficacement limpôt pour eux.

1.   Aider les États à se doter d’une administration fiscale performante

Lors du déplacement des rapporteurs à Varsovie, les représentants du ministère de finances ont expliqué que leurs réserves à l’égard de la proposition de la Commission pour le système définitif de TVA tenaient principalement au fait qu’elle rendrait un autre État membre responsable de la collecte de la TVA, alors que les administrations fiscales sont à des niveaux différents, n’ont pas les mêmes outils technologiques et que les échanges d’informations n’étaient pas satisfaisants.

Il est difficile de mesurer la performance d’une administration fiscale ; sa capacité à collecter correctement les impôts ne dépend pas uniquement de ses performances propres, mais aussi de la propension des contribuables à remplir leurs obligations fiscales, qui peut être plus ou moins grande d’un pays à l’autre.

Quelques indicateurs fournis par l’OCDE et la Commission européenne permettent toutefois de percevoir la diversité des situations entre les États membres, qui peut expliquer la méfiance de certains d’entre eux.

Ainsi, en 2017, les arriérés fiscaux représentaient plus de 40 % des recettes fiscales dans cinq États membres, alors qu’ils étaient inférieurs à 10 % pour onze autres et quasiment nuls en Allemagne.

Arriérés fiscaux totaux en 2017

(en % du total des recettes)

Source : OCDE (2019), Tax Administration 2019 : Comparative Information on OECD and other Advanced and Emerging Economies, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/74d162b6-en.

Le respect des délais de paiement se caractérise également par des différences significatives entre États membres.

Fourchette de respect des délais de paiement
à l’administration fiscale en 2017

(en % des paiements attendus)

Source : OCDE (2019), Tax Administration 2019 : Comparative Information on OECD and other Advanced and Emerging Economies, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/74d162b6-en.

En matière de TVA, la Commission publie chaque année une étude sur l’écart de TVA, c’est-à-dire la différence entre les recettes de TVA escomptées et le montant effectivement perçu. Selon l’étude publiée en septembre 2019, l’écart s’est resserré en 2017 par rapport aux années précédentes, mais reste important, à 137 milliards d’euros, soit 11,2 % des recettes de TVA dans l’Union.

Les États membres font face à des situations très contrastées. La Roumanie est lÉtat membre qui a enregistré le plus grand écart de TVA en 2017, avec une perte de recettes de TVA de 36 %. Elle est suivie par la Grèce (34 %) et par la Lituanie (25 %). Les écarts les plus faibles ont été enregistrés en Suède, au Luxembourg et à Chypre, où 1 % en moyenne seulement des recettes de TVA n’a pas été perçu. En valeur absolue, c’est en Italie que l’écart de TVA a été le plus important, puisqu’il s’est élevé à 35,5 milliards d’euros.

Écart de TVA dans les pays de l’Union européenne en 2016 et 2017

(en % de la TVA totale exigible théorique)

Source : Center for Social and Economic Research et al., Study and Reports on the VAT Gap in the EU-28 Member States : 2019 Final Report, 4 septembre 2019.

Dans ce contexte, il est essentiel de mettre en place des dispositifs permettant daider les États qui ont des retards en la matière à améliorer les performances de leur administration fiscale.

L’Union dispose pour se faire du programme Fiscalis ([66]), qui a pour objet de « soutenir la politique fiscale, la coopération fiscale ainsi que le renforcement des capacités administratives, y compris les compétences humaines, et le développement et lexploitation des systèmes électroniques européens » ([67]). Cependant, ainsi que l’a reconnu le cabinet de Pierre Moscovici, malgré ce programme, nous ne sommes pas encore à un stade où les administrations se font suffisamment confiance pour croire qu’une administration étrangère défendra aussi bien les recettes fiscales des autres que celles de son propre pays.

Les grands axes d’intervention du programme Fiscalis sont la mise en place de solutions informatiques plus performantes et interopérables, la formation et le partage de bonnes pratiques, ainsi que le soutien en faveur d’une coopération approfondie entre les autorités fiscales, en particulier la réalisation d’actions communes en matière de gestion des risques et d’audit.

Pour la période 2021-2027, il est en outre prévu l’élaboration d’un plan stratégique pluriannuel pour la fiscalité, en vue de la création dun environnement électronique cohérent et interopérable pour la fiscalité dans lUnion. Les rapporteurs ne peuvent que soutenir cette initiative indispensable à l’approfondissement de la coopération entre autorités fiscales des États membres de l’Union.

Ils sont toutefois plutôt sceptiques sur les capacités à parvenir concrètement à rendre le système de chaque État membre suffisamment fiable dans un délai raisonnable.

2.   Renforcer la coopération entre administrations fiscales

La législation de l’Union européenne, en particulier la directive « DAC » ([68]), prévoit de nombreux outils d’échanges d’information entre administrations fiscales, sur demande ou sans demande préalable (dans ce cas, la communication peut être automatique), dont certains n’ont été transposés qu’en fin d’année 2019 ([69]).

C’est en matière de TVA qu’ils sont le plus développés, avec notamment le système VIES ([70]) et les contrôles multilatéraux entre États membres.

Les instruments de coopération administrative en matière de TVA

Source : Cour des comptes européenne, sur la base d’informations provenant d’Eurofisc.

Pour favoriser la coopération, des structures de coopération ont en outre été créées ces dernières années.

En matière de lutte contre la fraude, un réseau d’échange de signaux d’alerte précoce a été créé en 2011, Eurofisc. Ce réseau décentralisé de fonctionnaires des administrations des États membres a pour but de permettre des échanges rapides d’informations ciblées sur des entreprises et des opérations potentiellement frauduleuses.

Plus récemment et avec un objet plus généraliste, un forum de dialogue et de coopération entre les responsables des administrations fiscales et la Commission européenne, TADEUS (Tax administration EU summit), a été créé. Il s’est réuni pour la première fois en septembre 2019. Les principaux objectifs de ce forum sont de construire la confiance mutuelle pour faciliter la mise en œuvre de la politique fiscale de l’Union, améliorer la collecte de l’impôt et assurer le bon fonctionnement du marché intérieur ; assurer une meilleure compréhension des objectifs poursuivis par les initiatives européennes ; établir un programme commun pour traiter les priorités partagées ; identifier les principaux besoins des administrations et les solutions pouvant être mises en œuvre en tenant compte des priorités, des ressources et de leur faisabilité.

Il est trop tôt pour juger de l’efficacité de cette initiative, mais force est de constater que, à l’heure actuelle, malgré la diversité des outils existants et les modifications très régulières de la directive DAC, la coopération entre administrations fiscales ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Cela a été souligné à plusieurs reprises lors des auditions, notamment par l’ambassade du Luxembourg et le ministère des finances polonais. La Pologne, en particulier, est très favorable à une coopération plus étroite entre les États membres pour identifier les abus fiscaux, qui reposerait davantage sur des initiatives émanant des États que sur un cadre structuré un niveau de lUnion. Les meilleures pratiques devraient davantage être diffusées ; l’expérience récente des Polonais dans la lutte contre la fraude à la TVA pourrait par exemple être utile à d’autres pays.

Le manque de coopération entre administrations fiscales a également été mis en évidence à l’occasion de plusieurs rapports de la Cour des comptes européenne. Dans un rapport publié en décembre 2015 ([71]), elle avait souligné que, si le cadre de coopération administrative permettait aux administrations fiscales des États membres de partager des informations relatives à la TVA, l’inexactitude, l’exhaustivité et l’actualité des données posaient problème. Elle relevait un manque de coopération ainsi que des chevauchements de compétences entre les autorités administratives, judiciaires et répressives.

Son rapport de juillet 2019 sur la perception de la TVA pour le commerce électronique ([72]), qui préfigure d’une certaine manière le régime définitif de TVA (application du principe de destination et instauration d’un « mini-guichet unique » ([73])) montre que, malgré les initiatives prises depuis le rapport de 2015, les dispositifs de coopération administrative prévus par la législation de lUE ([74]) (mini-guichet unique, contrôles multilatéraux, échanges dinformation, Eurofisc) ne sont pas pleinement exploités. En particulier, il y a un risque que les autorités fiscales de l’État membre de consommation n’utilisent pas les dispositifs de coopération administrative pour demander des informations aux pays dans lesquels le fournisseur est enregistré ou identifié. Sans ces échanges d’informations, il est difficile pour elles de repérer les opérations non imposées. Les autorités fiscales du pays dimmatriculation sont peu enclines à mener elles-mêmes des contrôles des fournisseurs, étant donné que toute TVA due découverte appartient à lÉtat membre de consommation. Les contrôles multilatéraux sont jugés peu efficaces et les échanges d’informations via Eurofisc peu utiles.

La récente évaluation par les services de la Commission de la directive DAC ([75]) est également mitigée. Selon elle, le cadre mis en place pour la coopération administrative fonctionne bien, mais tous les États membres n’exploitent pas les outils à leur disposition de la même manière et il nest pas clairement démontré que la directive a été efficace pour améliorer la capacité des autorités fiscales à lutter contre la fraude, lévasion et lévitement fiscaux ou qu’elle a eu un effet dissuasif, ni qu’elle a contribué au bon fonctionnement du marché intérieur ou à la perception de l’équité du système fiscal.

D.   construire le consensus autour de propositions pragmatiques

Puisque l’éventualité d’un passage progressif à la majorité qualifiée en matière fiscale ne semble offrir que des perspectives limitées, nous n’avons guère d’autre choix que de chercher à poursuivre les efforts pour parvenir à des accords à l’unanimité afin de moderniser nos systèmes fiscaux et de lutter contre la fraude et l’optimisation fiscales.

C’est donc bien avant tout de méthode qu’il convient de débattre si l’on veut avancer.

Pour favoriser la recherche du consensus, les rapporteurs estiment qu’il faut accepter que les négociations puissent prendre du temps et travailler, dans plusieurs directions, outre le renforcement de la coopération bi ou multilatérale entre États membres :

– concentrer les initiatives sur des réponses pragmatiques aux problèmes rencontrés par les États membres, tels que la fraude à la TVA transfrontières. Une des critiques récurrentes à l’encontre des propositions de la Commission est leur grande complexité. Les Danois, en particulier, se méfient des grandes architectures européennes et mettent en avant leur pragmatisme. En outre, les propositions très vastes et complexes comme l’ACCIS ou le système définitif de TVA, multiplient les motifs d’insatisfaction de la part des États membres et peuvent effrayer leurs administrations fiscales par l’ampleur des bouleversements qu’elles supposent. Une politique des petits pas pourrait peut-être permettre de lever les blocages progressivement. Elle atténuerait les craintes des pays qui craignent le caractère irréversible des réformes votées au niveau européen ;

– s’appuyer sur la pression de lopinion publique et les travaux de lOCDE (cf. infra) pour poursuivre le travail entamé avec les directives ATAD pour lutter contre les abus fiscaux et renforcer la surveillance des paradis fiscaux et juridictions non coopératives en matière fiscale, en actualisant régulièrement la liste noire de l’Union pour l’asseoir comme leader mondial de bonne gouvernance fiscale, en lien avec l’OCDE et le G20. La sensibilité des populations aux questions environnementales peut aussi être utilisée pour progresser sur la fiscalité de l’énergie ou la création d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières ;

– prendre en compte dès lélaboration des propositions de la Commission les légitimités de tous les États membres, pour éviter de braquer d’emblée un État ou un groupe d’États contre une proposition. Le « couple franco-allemand » constitue toujours un moteur pour les avancées européennes, mais il apparaît clairement qu’il n’est plus en mesure d’entraîner derrière lui l’ensemble des 25 autres États membres. Les pays de la ligue hanséatique, d’une part, et les pays de l’Est, d’autre part, ont fait preuve de leur capacité à nouer des alliances structurées ou de circonstances qu’il n’est pas possible d’ignorer. Les pays de l’Est, en particulier, n’acceptent plus d’être considérés comme des « stagiaires » de l’Union et comptent bien faire entendre leur voix.

Dans certains États membres, plus encore que les gouvernements, ce sont les parlements nationaux qui sont les plus sourcilleux sur le respect de la souveraineté nationale en matière fiscale. Il pourrait être opportun de les associer en amont au travail sur les questions fiscales pour qu’ils se les approprient et contribuent à les façonner avant d’avoir à se prononcer sur un projet d’acte législatif officiellement transmis ;

– procéder à une évaluation transparente et rigoureuse des conséquences des propositions législatives sur les recettes publiques des États membres, ce qui suppose que ceux-ci partagent avec la Commission les données nécessaires à la production de ces évaluations. À partir de ces évaluations, lorsqu’une réforme affecte de manière significative les recettes d’un État membre, il est nécessaire de prévoir une phase de transition suffisante et trouver des compensations qui lui permettent d’accepter cette réforme et de la faire accepter à son parlement et à sa population. Aucun pays ne peut accepter une perte de recettes sil nest pas « gagnant » sur un autre dossier qui lui tient à cœur.

E.   Des négociations internationales susceptibles de changer la donne en Europe

Les initiatives de la Commission en matière d’impôt sur les sociétés, qu’il s’agisse de l’ACCIS ou de la fiscalité du numérique sont suspendues aux négociations en cours à lOCDE sur les défis fiscaux posés par la numérisation de léconomie, dont les avancées ont été rendues possibles par l’adoption par les États-Unis d’une réforme fiscale ambitieuse en 2017, véritable tournant qui a ouvert la voie à une réflexion sur une répartition des bases d’imposition plus favorable aux juridictions de marché. Une partie des États membres de l’UE, en particulier ceux de la ligue hanséatique, soutient que seule l’OCDE est à même de définir les standards de la fiscalité internationale et qu’il n’existe, de ce point de vue, pas de spécificité européenne. De plus, si l’OCDE aboutit à un accord, l’expérience montre qu’il sera difficile pour les États membres de s’opposer à sa transposition dans le droit de l’Union européenne. Un accord à lOCDE peut par conséquent constituer un levier puissant de progrès vers un espace fiscal européen.

C’est pourquoi une grande partie du programme de travail de la Commission en matière de fiscalité pour les cinq prochaines années dépendra des négociations internationales en cours.

Compte tenu de ces enjeux, et bien que ces négociations dépassent largement le cadre européen, les rapporteurs les ont suivies attentivement, et tiennent à remercier pour sa disponibilité Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, qu’ils ont pu interroger à trois reprises.

Nous devons accepter et reconnaître que la solution sera difficilement élaborée au niveau européen et impossible au niveau national. Nous devons donc mettre toute notre énergie à contribuer à ce que les négociations au niveau de l’OCDE aboutissent pour redéfinir la fiscalité des entreprises afin qu’elles paient leur juste part d’impôt dans les États et territoires où elles réalisent leurs profits, à la fois au niveau européen et au niveau mondial.

Dans le contexte de la numérisation de l’économie et de la mondialisation, les règles fiscales actuelles conduisent en effet à une déconnexion croissante entre l’endroit où la valeur est créée et celui où les impôts sont payés. Elles favorisent une compétition fiscale qui mine la capacité des pays à concevoir des politiques fiscales permettant de satisfaire les besoins de leurs citoyens et de leur économie.

Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie ont constitué l’un des axes principaux (l’action 1) du plan d’action sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Le rapport sur l’action   de 2015 concluait que le processus de numérisation touchait lensemble de léconomie et quil serait difficile, sinon impossible, disoler le numérique du reste de léconomie. Il constatait que, au-delà des pratiques d’érosion de la base d’imposition, la numérisation de l’économie engendrait un certain nombre de défis fiscaux en matière d’impôts directs, au premier rang desquels la répartition entre les pays du droit d’imposer des revenus provenant d’activités transfrontalières.

Conformément au mandat qui lui a été́ confié par les ministres des finances du G20 en mars 2017, les membres du cadre inclusif sur le BEPS ([76]) ont engagé des travaux en vue de produire un rapport final en 2020 et de parvenir à̀ une solution de long terme fondée sur le consensus.

Les travaux de l’OCDE s’organisent autour de deux piliers, tous deux considérés comme essentiels en vue de dégager une solution complète à l’échelle mondiale et de re‑stabiliser le système fiscal international.

1.   Une nouvelle répartition des droits d’imposition

Le pilier 1 vise à réattribuer une fraction des bénéfices et des droits dimposition correspondants aux pays et aux juridictions dans lesquels les entreprises multinationales ont leurs marchés. De nouvelles règles seraient ainsi créées établissant le lieu où l’impôt doit être payé (règle dite « du lien ») et sur quelle fraction des bénéfices elles devraient être imposées (règle de « répartition des bénéfices »). Trois propositions émanant des pays membres étaient examinées par le cadre inclusif :

 la participation de lutilisateur. Cette proposition portait sur la valeur créée par certaines entreprises à forte composante numérique grâce au développement d’une base d’utilisateurs actifs et investis, auprès desquels l’entreprise collecte des données et du contenu ;

 les biens incorporels de commercialisation ([77]). Cette approche vise les situations où un groupe d’entreprises multinationales peut, en substance, « s’implanter » dans une juridiction, à distance ou par le biais d’une présence locale limitée (un distributeur limité assumant des risques limités, par exemple), pour y créer une base d’utilisateurs ou y développer d’autres biens incorporels de commercialisation. À l’instar de l’approche centrée sur la participation des utilisateurs, elle prévoit une révision des règles relatives à la répartition des bénéfices et au lien, mais elle s’en distingue en ce qu’elle n’est pas destinée à s’appliquer exclusivement aux entreprises à forte composante numérique ;

 la présence économique significative. Cette proposition visait à créer une présence imposable dans une juridiction dès lors que l’on peut établir qu’une entreprise non-résidente y a une présence économique significative, au regard de facteurs mettant en évidence une interaction voulue, inscrite dans la durée, avec cette juridiction par le biais de technologies numériques et d’autres outils automatisés.

Au début du mois d’octobre 2019, le secrétariat de l’OCDE a présenté une « approche unifiée » à partir des points communs identifiés entre les trois propositions. Au cours de sa réunion des 29 et 30 janvier derniers, le cadre inclusif sur le BEPS a décidé de poursuivre la négociation ([78]) sur la base d’une approche reprenant largement la proposition du secrétariat. Il s’agit d’une avancée significative, puisque, jusqu’ici, les membres du cadre inclusif avaient envisagé trois propositions concurrentes.

Les ministres des finances du G20, réunis à Riyad les 22 et 23 février, ont approuvé les contours de larchitecture de lapproche unifiée sur le pilier 1 comme base de négociation et fait bon accueil à la note de progrès sur le pilier 2 ([79]). Ils ont réaffirmé leur engagement à parvenir à une solution fondée sur le consensus à travers un rapport final dici la fin de lannée.

a.   Le champ d’application de la proposition

L’approche du cadre inclusif couvrirait les modèles d’affaires à forte composante numérique, mais irait au-delà, en étant centrée de façon générale sur les grandes entreprises en relation étroite avec les consommateurs.

La déclaration du cadre inclusif de janvier 2020 fournit une liste non-exhaustive de secteurs où cette nouvelle règle trouverait à s’appliquer (moteurs de recherche, réseaux sociaux, plateformes d’intermédiation en ligne, jeux en ligne, services de streaming, services de stockage en ligne, publicité en ligne, vente de matériel de micro-informatique et de téléphonie, vêtements, cosmétiques, produits de luxe, boissons et produits alimentaires de marque, automobile, modèles de franchise dans le secteur de l’hôtellerie et la restauration, etc.) et précise que certains secteurs ne sont pas concernés, comme les industries extractives et le secteur des matières premières ([80]). Les services financiers devraient également être exclus, compte tenu du fait que la majeure partie de leurs activités s’exerce à l’égard d’une clientèle professionnelle et qu’ils sont soumis à des exigences réglementaires particulières destinées à protéger les épargnants, qui assurent que les profits résiduels sont largement réalisés sur les marchés locaux.

Pour s’assurer que les charges administratives sont proportionnées aux avantages de la réforme, une limitation fondée sur la taille sera instaurée, par exemple le seuil de chiffre daffaires de 750 millions deuros utilisé pour la déclaration pays par pays. Avec ce seuil, la réforme concernerait environ 8 000 entreprises, réalisant plus de 90 % des profits des multinationales.

b.   Une nouvelle règle du lien indépendante de la présence physique

Pour les entreprises entrant dans le champ d’application, l’approche unifiée crée une nouvelle règle du lien, sans condition de présence physique, mais reposant largement sur les ventes. La nouvelle règle du lien s’appliquerait dès lors qu’une entreprise participe de façon significative et soutenue dans l’économie d’une juridiction du marché, par exemple par l’interaction et l’engagement des consommateurs, quel que soit le niveau de présence physique de l’entreprise dans cette juridiction.

Le moyen le plus simple pour appliquer cette règle serait de définir un seuil de chiffre d’affaires pour le marché considéré, calibré de telle sorte qu’il permette aux économies plus modestes de bénéficier également de cette nouvelle approche.

Ce seuil prendrait également en compte certaines activités, comme les services de publicité en ligne, qui ciblent des utilisateurs non payants situés en un lieu différent de celui où le revenu correspondant est comptabilisé.

L’objectif est non seulement que ce seuil de chiffre d’affaires déclenche un lien pour les modèles d’affaires impliquant des activités de vente à distance auprès des consommateurs, mais qu’il s’applique également aux groupes qui vendent leurs produits et services par l’intermédiaire d’un distributeur.

c.   Une nouvelle règle de répartition des bénéfices favorisant les juridictions de marché

L’approche unifiée réattribue une partie des droits dimposition aux juridictions du marché, indépendamment du critère de présence physique.

Dès lors qu’il est établi qu’un pays est en droit d’imposer les bénéfices d’une entreprise non-résidente (règle du lien), la question suivante consiste à déterminer le montant des bénéfices à lui attribuer. Les nouvelles règles de répartition des bénéfices iraient au-delà de deux principes généralement considérés comme fondamentaux dans les règles actuelles : le principe de pleine concurrence et la détermination des droits d’imposition fondée sur la présence physique.

Elles consistent en un mécanisme de répartition des bénéfices à trois niveaux. Le nouveau droit d’imposition (à travers le montant désigné par le montant A) se traduirait par une augmentation du montant de bénéfices commerciaux attribués aux juridictions du marché, y compris en l’absence de présence physique. Les deux autres catégories de bénéfices (montants B et C) s’appliqueraient uniquement en vertu de la présence d’un lien traditionnel dans la juridiction du marché (filiale ou établissement stable).

Le mécanisme de répartition des bénéfices envisagé dans le cadre de l’OCDE

– montant A : Ce premier type de bénéfice réattribuerait aux juridictions du marché une fraction du bénéfice résiduel présumé d’une entreprise multinationale (déterminé au niveau du groupe ou de la branche). Ce bénéfice résiduel présumé correspondrait au bénéfice disponible après avoir attribué un bénéfice standard ou routinier présumé aux activités du groupe ou de la branche d’activité. La rentabilité d’un groupe d’entreprises multinationales pouvant varier considérablement d’une branche d’activité, d’une région ou d’un marché à l’autre, il pourrait être nécessaire de calculer les bénéfices par branche d’activité, région ou marché. Avec cette proposition, il ne serait demandé à aucune juridiction de renoncer à son droit d’imposer les revenus d’activités commerciales routinières physiquement exercées sur son territoire ;

– montant B : Le deuxième type de bénéfice vise à attribuer un rendement fixe (ou différents rendements fixes selon les secteurs et les régions) au titre de certaines activités de distribution et de commercialisation routinières ou « de référence » exercées dans la juridiction du marché. Ce rendement fixe viserait à limiter le nombre de différends dans ce domaine où l’application des règles des prix de transfert est source de tensions importantes ;

– montant C : Tout différend entre la juridiction du marché et le contribuable au sujet d’un élément de la proposition devra être soumis à des mécanismes juridiquement contraignants et efficaces de prévention et de règlement des différends. Il s’agirait notamment des cas où les fonctions exercées dans une juridiction du marché sont plus importantes que celles prises en compte en se fondant sur l’activité de référence supposée de l’entité locale (à laquelle s’applique le rendement fixe au titre du montant B), et ladite juridiction cherche à imposer un bénéfice supplémentaire généré par ces fonctions additionnelles conformément aux règles existantes en matière de prix de transfert.

d.   Un travail titanesque à poursuivre

L’OCDE doit mener dans un temps très contraint un travail extrêmement complexe techniquement et qui recèle des éléments de tension entre les pays à tous les niveaux, l’objectif étant de prendre en quelques mois des décisions qui engageront les pays pendant des décennies, avec des propositions entièrement nouvelles.

La déclaration du cadre inclusif fixe le programme de travail pour développer une solution fondée sur le consensus sur le pilier 1 d’ici la fin de l’année. Les questions techniques et politiques restantes ont été divisées en onze axes de travail : périmètre du montant A ; nouvelle règle du lien ; détermination de la base taxable ; règles de calcul du montant A ; règles d’allocation des bénéfices pour le montant A ; élimination des doubles impositions pour le montant A ; interactions entre les montants A, B et C ; caractéristiques du montant B ; prévention et règlement des différends pour le montant A ; prévention et règlement des différends pour les montants B et C ; administration et mise en œuvre.

Outre un travail technique dune rare complexité, des divergences importantes subsistent principalement sur trois sujets :

– faut-il prévoir une « différenciation numérique », c’est-à-dire mettre en place une pondération dans le montant de bénéfice à réattribuer aux juridictions du marché selon la composante numérique du modèle d’affaires ?

– faut-il prévoir une segmentation régionale ? Lorsqu’un marché est plus profitable qu’un autre ([81]), la juridiction de ce marché doit-elle se voir attribuer un montant supérieur ?

– des désaccords persistent sur le caractère contraignant des mécanismes de prévention et de résolution des différends.

Enfin, la principale question politique en suspens concerne la demande, formulée dans une lettre adressée le 3 décembre 2019 par le Secrétaire du Trésor des ÉtatsUnis, Steven Mnuchin, au Secrétaire général de lOCDE, dun « régime de protection » (safe harbour) pour la mise en œuvre du pilier 1, dont la portée nest pas très précise, mais qui pourrait conduire à un système optionnel pour les entreprises.

La déclaration du cadre inclusif précise quun grand nombre de ses membres ont fait part de linquiétude que suscite à leurs yeux cette proposition. Beaucoup ont estimé, comme la France, quelle était inacceptable. Le cadre inclusif a décidé que la question du « régime de protection » ne serait traitée quune fois que larchitecture du pilier 1 aura été approuvée.

Contrairement à ce qui avait pu être avancé lorsque cette proposition a été évoquée en décembre, il ne sagirait pas dans lesprit de Steven Mnuchin de faire échouer la négociation, mais daboutir à une solution qui puisse recueillir laval du Congrès, majoritairement opposé à une solution qui concernerait les entreprises « traditionnelles ».

La décision du cadre inclusif de traiter cette question après avoir déterminé l’architecture du pilier 1 permet de dégager quelques mois pour essayer de trouver une solution acceptable par les États‑Unis et qui ne remette pas en cause l’accord pour les autres membres.

Si les États-Unis n’étaient pas disposés à renoncer au régime de protection, plusieurs pistes de travail sont étudiées, qui consisteraient soit à rendre le nouveau système obligatoire uniquement pour les entreprises du numérique, soit à obtenir de celles-ci un engagement à opter volontairement pour le nouveau régime.

Malgré toutes ces difficultés, il paraît exister des chances raisonnables de parvenir à un accord. Les désaccords au sein de l’administration américaine et l’imprévisibilité de sa position incitent toutefois à la prudence.

Les objectifs étaient d’aboutir à :

– un accord politique sur l’architecture détaillée de la proposition lors de la réunion des membres du cadre inclusif en juillet ;

– une solution consensuelle faisant l’objet d’un rapport final à la fin de l’année 2020.

La crise du coronavirus a conduit au report au mois d’octobre de la réunion du cadre inclusif, mais l’objectif demeure de parvenir à un accord à la fin de l’année.

2.   Vers une imposition minimale effective ?

Le pilier 2, également appelé « proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition » (GloBE) est consacré aux risques en matière de transfert de bénéfices vers des entités soumises à une imposition nulle ou très faible et introduit la possibilité d’un impôt supplémentaire minimal (imposition minimale effective). Il correspond en quelque sorte à une multilatéralisation du GILTI américain.

Dans le cadre du pilier 2, les membres du cadre inclusif explorent, sans préjuger de leur approbation ultérieure, lélaboration dun ensemble de quatre règles coordonnées :

 une règle dinclusion du revenu visant à imposer le revenu des succursales étrangères ou des entités contrôlées, dès lors que celui-ci a été soumis à limpôt à un taux effectif inférieur à un taux minimum ;

 une règle relative aux paiements insuffisamment imposés, qui refuserait toute déduction ou qui appliquerait limposition dans le pays de la source au titre dun paiement à une partie liée si ce paiement na pas été soumis à un taux effectif dimposition supérieur ou égal à un taux minimum ;

 une règle de substitution, à insérer dans les conventions fiscales, qui permettrait à une juridiction de résidence de basculer de la méthode de lexemption vers celle du crédit dimpôt si les bénéfices attribuables à un établissement stable ou provenant dun bien immobilier sont imposés à un taux effectif inférieur au taux minimum ;

 une règle dassujettissement à limpôt qui compléterait la règle relative aux paiements insuffisamment imposés en soumettant un paiement à une retenue dimpôt ou à dautres prélèvements à la source et en refusant les avantages prévus par les conventions à certains éléments de revenu lorsque le paiement nest pas imposé à un taux minimum.

Si le taux dimposition na pas encore été débattu, un taux de 12,5 %, correspondant au taux de limpôt sur les sociétés en Irlande, est toutefois régulièrement évoqué. Il conviendrait dinclure dans la discussion sur le taux minimal des réflexions sur une définition de lassiette associée à ce taux, afin déviter quaux distorsions sur le taux se substituent des distorsions sur lassiette.

La mise en œuvre de ces règles supposerait de modifier la législation interne des pays ainsi que les conventions fiscales, et serait assortie dun mécanisme visant à coordonner les règles ou à en définir lordre dapplication, afin déviter le risque de double imposition qui autrement pourrait survenir dans lhypothèse où plusieurs juridictions tenteraient de les appliquer à la même structure ou au même dispositif. Comme le précise la note de progrès sur le pilier 2, les travaux du cadre inclusif devront également étudier la compatibilité des nouvelles règles avec les obligations internationales, telles que la non-discrimination, et en particulier avec les règles de lUnion européenne. La compatibilité avec le droit de l’UE est également un sujet auquel les États membres se sont montrés attentifs dans leurs échanges au sein du Conseil ECOFIN.

3.   Des pays européens globalement favorables à une solution internationale, mais divisés sur ses modalités

La question de l’impact de la réforme sur l’économie et les finances publiques des différents pays est cruciale pour son acceptation et la définition de ses éléments précis. Or, cet impact est extrêmement difficile à déterminer compte tenu à la fois des incertitudes sur l’architecture de la réforme et de la difficulté à disposer de données exhaustives et comparables de la part des États.

En réponse à un référé de la Cour des comptes relatif à l’action des services de l’État en matière de négociation et de suivi des conventions fiscales internationales pour les exercices 2013 à 2018, les ministres des finances et de l’action et des comptes publics indiquaient que « létat lacunaire des systèmes statistiques, qui rend déjà complexe lanalyse économique des conséquences dune convention bilatérale, constitue un obstacle à la réalisation dune analyse chiffrée robuste des projets de réforme en cours. Les institutions internationales et les autres États sont confrontés au même manque de données exploitables et nont à ce jour [29 juillet 2019] pas été capables de produire danalyse chiffrée des conséquences des réformes projetées. Les études académiques sur le sujet sont elles-mêmes très peu nombreuses et celles qui existent doivent recourir à des approches complexes qui combinent plusieurs sources et font des hypothèses parfois discutables ».

Selon une note du Conseil d’analyse économique ([82]) de novembre 2019, une règle de répartition des bénéfices pour les redistribuer partiellement aux marchés de destination (pilier 1) aurait un impact négligeable sur les recettes fiscales et un impact légèrement positif sur l’attractivité de la plupart des pays non paradis fiscaux. L’adoption d’un taux d’imposition effectif minimum (pilier 2) réduirait les transferts de bénéfices et générerait des gains substantiels en recettes fiscales pour tous les pays, avec peu d’effet sur leur attractivité. Concernant spécifiquement la France, leffet du pilier 1 serait légèrement positif, celui du pilier 2 plus important.

Selon une analyse économique publiée par l’OCDE en février, la solution en cours de négociation pour répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie, combinant les deux piliers, pourrait avoir un impact positif de l’ordre de 100 milliards de dollars par an. L’augmentation des recettes de l’impôt sur les sociétés serait globalement homogène pour les économies à haut, moyen et faible revenus. La réforme au titre du pilier 1, destiné à réattribuer une partie des droits d’imposition aux juridictions du marché, indépendamment du critère de présence physique, procurerait un faible gain de recettes fiscales à la plupart des juridictions. Les économies à faible revenu et à revenu intermédiaire seraient relativement favorisées par rapport aux économies avancées, tandis que les centres d’investissement subiraient une perte modérée de recettes fiscales. Plus de la moitié des bénéfices réattribués proviendraient des cent plus grandes entreprises multinationales.

Selon les informations données aux rapporteurs par Pascal Saint-Amans, le Danemark et, dans une moindre mesure, la Suède, perdraient des recettes fiscales en raison de l’application du premier pilier, mais les plus grands perdants seraient les pays qui attirent les profits des multinationales par leurs faibles taux d’imposition, comme la Suisse, le Luxembourg, l’Irlande et l’Île Maurice. Cette dernière pourrait perdre 80 % de sa base d’impôt sur les sociétés.

Le pilier 2 pourrait générer un accroissement considérable de recettes fiscales, y compris pour un pays comme le Danemark qui dispose déjà de dispositifs efficaces pour empêcher les entreprises de délocaliser leurs profits.

En réduisant le différentiel de taux d’imposition entre juridictions, la réforme devrait aboutir à une diminution significative des transferts de bénéfices opérés par les entreprises multinationales. C’est une conséquence importante pour les économies en développement, qui sont en général davantage pénalisées par les transferts de bénéfices que les économies à revenu élevé.

Dans sa résolution du 18 décembre 2019 sur une fiscalité équitable dans une économie numérisée et mondialisée, le Parlement européen a toutefois invité la Commission à évaluer et à surveiller lincidence de cette future norme minimale sur une diminution potentielle générale du taux légal dimpôt sur les sociétés dans lUnion européenne. Cette préoccupation – pour certains –, ou cet espoir – pour d’autres –, est revenue à plusieurs reprises au cours des auditions des rapporteurs : à terme, on pourrait constater une convergence des taux d’imposition vers le taux minimal fixé par l’OCDE.

Concernant les négociations en cours, force est de constater que les Européens ne sont pas capables d’avoir une position commune à l’OCDE.

Tous les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs leur ont fait part d’une analyse générale sur ces négociations, mais attendent d’avoir plus d’informations sur les orientations retenues pour estimer plus précisément l’impact de la réforme.

Les Pays-Bas et le Luxembourg abordent les discussions de manière constructive. Les Pays-Bas, qui ont publié une déclaration commune avec l’Allemagne, estime qu’une mesure générale axée sur le niveau de l’impôt (pilier 2) peut fonctionner comme un filet de sécurité pour éviter que les multinationales recherchent des taux anormalement bas. Ils estiment qu’un accord sur le pilier 2 pourrait contribuer à l’attractivité des Pays-Bas en réduisant la différence entre l’impôt payé par les entreprises aux Pays-Bas et celui dont elles seraient redevables dans d’autres pays à la fiscalité plus avantageuse.

Conscient du rapport de force et soucieux de ne plus apparaître comme un paradis fiscal, le Luxembourg adopte une position ouverte sur les deux piliers, mais insiste sur le fait que, sil y a réallocation des bases vers les juridictions de marché (pilier 1), il faut tenir compte de la situation des petites économies ouvertes, point également mis en avant par la Suède et le Danemark. Sur le pilier 2, le Luxembourg ne bloquera pas un accord, mais fait part d’une opposition de principe, estimant que la fixation des taux relève de la compétence fiscale des États. Il s’inquiète en outre de la conformité de la transposition dun éventuel accord au droit européen, qui interdit d’opérer une discrimination entre revenus nationaux et revenus de source étrangère au sein de l’UE.

La Suède est, après le Danemark, un des pays européens qui aurait le plus à perdre dans un éventuel accord, compte tenu de la concentration de sièges de multinationales qu’elle accueille. Elle pointe la complexité des propositions en discussion et la nécessité de disposer d’une analyse économique approfondie incluant non seulement les effets directs sur les recettes fiscales des différents pays, mais également sur la croissance et l’innovation.

Le Danemark pourrait figurer parmi les rares pays à ne pas avoir intérêt à la réforme de la fiscalité internationale ([83]), mais il préfère une solution globale à des initiatives nationales ou européennes dont il estime qu’elles seraient dictées par les grands pays. Il souhaite arrêter la course à la baisse de l’impôt sur les sociétés et partage l’objectif que toutes les entreprises paient une part équitable d’impôt.

Parmi les pays de l’Est, la Pologne participe aux discussions mais demande une solution sur le premier pilier qui aboutisse à une vraie réallocation des droits d’imposition. Sur le deuxième pilier, elle soutient la lutte contre l’érosion des bases d’imposition, mais met en garde contre une solution qui neutraliserait les préférences fiscales de la Pologne, par exemple en faveur du développement régional. Compte tenu de la baisse de sa base d’imposition, elle demande une réponse rapide, et ne serait pas défavorable à une solution plus contraignante que les lignes directrices de l’OCDE.

La Hongrie, quant à elle, n’est pas opposée à une solution globale sur le premier pilier, mais opposée au pilier 2 dont elle estime qu’il est complexe à mettre en œuvre et fait peser un risque que le revenu ne soit pas taxé là où la valeur est produite.

L’Irlande, qui était opposée aux deux piliers, est consciente du fait que la pire option pour elle serait la multiplication de mesures nationales comme la taxe française sur les services numériques. Elle participe activement aux débats à l’OCDE pour essayer de limiter les conséquences d’un éventuel accord concernant le pilier 1 sur les petites économies ouvertes. Elle reste en revanche défavorable au pilier 2, contraire selon elle à la souveraineté des États, même si Agnès Bénassy Quéré a fait remarquer qu’il pouvait aussi la protéger, par exemple contre les Bermudes.

Pascal Saint-Amans a souligné le rôle moteur de l’Allemagne dans les négociations. La France défend quant à elle le pilier 2 depuis 2019, mais a eu une position moins affirmée sur le pilier 1, privilégiant la proposition de directive instaurant une taxe sur les services numériques, qui n’a pas abouti. Elle est dorénavant également favorable au pilier 1.

Elle a surtout une obligation de résultat compte tenu notamment de la menace de sanctions américaines liées à l’adoption de la taxe française sur les services numériques.

Les deux pays sont donc maintenant en pointe sur les deux piliers. D’autres pays participent à la discussion sur une position plus défensive, mais il existe un sentiment général qu’il est nécessaire de parvenir à un accord si l’on veut mettre un terme à l’érosion des bases fiscales et à la concurrence déloyale. Chacun a conscience que la volonté d’y parvenir des Américains comme des Chinois est une opportunité qui, si elle n’était pas saisie, pourrait ne pas perdurer.

Il s’agit, il faut le reconnaître, d’un des rares sujets sur lequel Donald Trump accepte pour le moment que les discussions aient lieu dans un cadre multilatéral.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 9 juillet 2020, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Notre réunion d’aujourd’hui est consacrée à l’examen du rapport d’information sur l’espace fiscal européen qui est l’œuvre de Frédérique Dumas et Xavier Paluszkiewicz.

Nous sommes particulièrement heureux de pouvoir examiner votre travail en présence d’un expert reconnu de ces questions, M. Daniel Gutmann, qui est à la fois avocat fiscaliste, membre du Conseil des prélèvements obligatoires et professeur de droit fiscal à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Nous serons particulièrement intéressés par ses commentaires sur ce rapport et, bien entendu, par ses réponses aux questions que nous ne manquerons pas de lui poser.

Je reviens au travail de nos rapporteurs. Permettez-moi de vous dire d’emblée que vous avez fait un très bon travail qui met en valeur les éléments de progrès intervenus ces dernières années – la fin du secret bancaire, la lutte contre l’évasion fiscale – mais aussi les failles qui demeurent – l’absence de régime définitif de TVA, l’incapacité de l’Union à se mettre d’accord sur des sujets comme l’harmonisation de la fiscalité des sociétés ou la taxation du numérique...

J’ai trouvé votre partie sur la diversité des régimes fiscaux nationaux particulièrement intéressante : cette hétérogénéité est évidemment un facteur de blocage dans la prise de décision à 27 sur les questions fiscales.

La question que je me pose est de savoir si la mise en place d’une fiscalité équitable à l’échelle de l’Union a plus de chances de voir le jour dans le contexte post-pandémique actuel alors que l’accélération de la transition numérique et la mise en œuvre du plan vert constituent des priorités pour l’Union.

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur. Nous avons la joie de vous présenter notre rapport d’information sur l’espace fiscal européen. La première réaction serait de prendre des raccourcis sur ce sujet en résumant la fiscalité au totem de la lutte contre une évasion fiscale insupportable pour les Européens. Il y a dans l’Union ce qu’on appelle pudiquement de l’optimisation fiscale, qui est largement de l’évasion fiscale, attaque insupportable contre notre pacte républicain, qui nous prive des moyens pour mettre en œuvre efficacement les politiques publiques attendues par tous.

En préambule, je voudrais expliquer la démarche que nous avons suivie. Sur un sujet aussi vaste que l’espace fiscal européen, qui peut facilement prêter à la polémique, nous n’avons souhaité ni dénoncer les pratiques de tel ou tel pays européen, ni nous lancer dans l’élaboration d’une Europe fiscale idéale. Il était important de nous préoccuper de la faisabilité de nos propositions. Nous avons souhaité établir un état des lieux le plus objectif possible de la fiscalité des différents pays européens et des harmonisations déjà mises en œuvre. Beaucoup de choses ont été faites, mais nous ne retenons que les dérives et les scandales couverts par la presse.

À partir de cet état de l’existant, nous avons cherché à comprendre la logique et la construction des systèmes fiscaux des autres pays, les contraintes auxquelles ils doivent s’adapter, ainsi que l’histoire ou les choix politiques dont ils sont le reflet. Ceci est d’autant plus important que les États membres ont des profils très divers et que les petites économies périphériques ont intérêt à attirer des investissements par le biais de la compétitivité fiscale. Certains pays sont de petites économies, si je puis dire, comme l’Estonie ou la Lettonie, d’autres des économies périphériques, comme l’Irlande ou Malte, qui ont des taux de fiscalité moindres. Ils ne financent pas des politiques publiques de la même ampleur que la France ou l’Allemagne.

Il nous était difficile de nous rendre dans toute l’Europe. Nous nous sommes donc concentrés sur les pays qui ont des positions souvent éloignées de celles de la France, et qui ont pu bloquer des projets importants. Je pense évidemment à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) et à la fiscalité du numérique. Nous nous sommes rendus en Irlande, au Danemark et en Pologne, et avons interrogé par le biais de leurs ambassades à Paris le Luxembourg, les Pays-Bas, la Hongrie et la Suède. Nous avons également rencontré à plusieurs reprises Pascal Saint-Amans, le « monsieur fiscalité » de l’OCDE, pour inscrire nos réflexions sur la fiscalité européenne dans le cadre plus global des négociations sur l’adaptation de la fiscalité internationale aux enjeux de la numérisation de l’économie. Écouter ceux qui ne pensent pas comme nous et comprendre la légitimité de leurs positions nous paraît indispensable si l’on veut pouvoir avancer sur ces questions à la fois redoutablement complexes techniquement, aux enjeux cruciaux pour les budgets nationaux et parfois véritablement identitaires pour certains pays. Le besoin, pour chaque État membre, de pouvoir appliquer ses propres préférences sociales dans son système d’imposition est plus que légitime. Si nous avons quelques divergences, notamment sur l’adoption par notre Assemblée d’une taxe sur les services numériques, nous sommes d’accord sur l’essentiel pour ce qui est de la méthode que Frédérique Dumas présentera.

Je commencerai par rappeler qu’il est incontestable que l’Union européenne a souffert d’un « vice de fabrication » en matière fiscale, puisque les États souverains étaient très attachés à leur pouvoir d’imposition. Comme chacun sait, les questions fiscales obéissent à une procédure spéciale selon laquelle le Parlement européen n’est que consulté et les décisions du Conseil doivent être prises à l’unanimité. Pour beaucoup de nos interlocuteurs, la fiscalité est un attribut de souveraineté nationale, qui ne peut être exercé que par le parlement national. Il est important de souligner que, si la fiscalité relève de l’unanimité, c’est surtout parce que les traités n’attribuent à l’Union qu’une compétence résiduelle en la matière. L’article 113 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) fournit une base claire en matière de fiscalité indirecte pour harmoniser les législations « dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence ». Le traité ne comprend en revanche aucune disposition explicite en matière de fiscalité directe. Toutes les initiatives européennes ont été prises sur le fondement de l’article 115 du TFUE, qui permet au Conseil de prendre des directives pour rapprocher des législations « qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur », sans mention explicite de la fiscalité. Certains pays soulignent que l’absence de compétence explicite en matière de fiscalité directe est un choix des rédacteurs des traités et que, dans la mesure où l’Union n’agit que sur la base subsidiaire de l’article 15, il est normal que chaque pays puisse avoir un droit de veto.

L’Union n’a donc que des moyens limités pour harmoniser les législations fiscales. Il en découle un espace fiscal européen très fragmenté à tous les niveaux. Je vous renvoie à notre rapport écrit pour le détail des chiffres et ferai juste ressortir les grandes lignes.

Le niveau global est celui des prélèvements obligatoires, qui reflète des choix politiques structurants en matière d’intervention publique plus ou moins grande. Cela soulève une question presque philosophique : peut-on rapprocher les systèmes fiscaux sans rapprocher les systèmes sociaux ? Cela a aussi des conséquences très directes. Schématiquement, des pays qui ont des dépenses publiques moins élevées et un budget équilibré estiment qu’ils ont toute légitimité pour diminuer les impôts. Or, entre l’Irlande et la France, par exemple, le taux de prélèvements obligatoire varie du simple au double.

Le niveau suivant est celui de la structure d’ensemble des recettes fiscales, qui reflète des choix éminemment politiques découlant de l’arbitrage des électeurs : privilégier plutôt les impôts directs ou indirects, les impôts ou les cotisations sociales ; prélever plutôt sur les ménages ou les entreprises. Nous voyons bien en France la sensibilité de la question du financement de la protection sociale par des cotisations ou par des impôts. Il faut en outre bien garder à l’esprit qu’une réforme fiscale ne peut pas être examinée sans tenir compte de la cohérence du système fiscal dans son ensemble. C’est par exemple une question très sensible au Danemark, où l’attachement au système de protection sociale est très profond, mais où l’impôt sur le revenu des ménages est déjà très élevé. Je vous donne quelques exemples pour illustrer la grande diversité des systèmes fiscaux européens : les impôts sur la production et les importations représentent plus de 22 % du PIB en Suède contre 8 % en Irlande ; les impôts sur le revenu et le patrimoine (ménages et entreprises confondus) près de 29 % du PIB au Danemark mais un peu moins de 5 % en Roumanie.

Le troisième niveau d’analyse est celui des taux d’imposition, qui est réellement au cœur de la souveraineté fiscale.

Là encore, les différences sont majeures, y compris pour la TVA, dont les taux sont encadrés par une directive : le taux normal varie de 17 % au Luxembourg à 27 % en Hongrie, les taux réduits du plancher de 5 % à 18 % en Hongrie. En outre, pour des raisons historiques, certains pays peuvent continuer à appliquer des taux inférieurs à 5 %, voire nuls sur certains produits. C’est un sujet de grande crispation pour les pays de l’Est, qui n’ont pas bénéficié de cette dérogation lors de leur adhésion, nous avons pu le constater lors de notre déplacement en Pologne.

Enfin, même si l’impôt sur les sociétés ne représente en moyenne que 2,6 % du PIB dans la zone euro, loin derrière l’impôt sur le revenu, les impôts indirects et les cotisations sociales, c’est celui qui est au cœur des préoccupations pour des raisons de justice fiscale. Les comparaisons sont plus difficiles qu’en matière d’impôt sur le revenu car les règles d’assiette et les possibilités de transferts de bénéfices rendent les taux théoriques peu significatifs. Nos auditions nous ont par exemple permis de découvrir une spécificité des régimes estonien et letton que nous ignorions : c’est la distribution et non la réalisation des bénéfices qui déclenche l’imposition. Une société qui met en réserve l’ensemble de ses bénéfices et ne verse aucun dividende n’acquitte aucun impôt sur les bénéfices. Tous les outils construits par la Commission européenne ou l’OCDE, comme les taux implicites ou les taux d’imposition effectifs moyens, montrent toutefois de grandes disparités. En 2019, les taux légaux étaient particulièrement faibles dans certains pays d’Europe de l’Est : 9 % en Hongrie et 10 % en Bulgarie.

Face à ce paysage fragmenté, et bien que l’Union européenne doive se libérer du carcan de l’unanimité, il faut toutefois souligner que cette règle n’a pas empêché l’Union de légiférer en matière fiscale, principalement dans deux directions sous le mandat de la Commission Juncker : la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, d’une part, avec les directives « DAC » sur la coopération administrative et les deux directives « ATAD » pour lutter contre les pratiques fiscales abusives, dans la lignée du plan BEPS de l’OCDE, et la TVA d’autre part, notamment en matière de lutte contre la fraude et de TVA sur le commerce électronique.

Il n’en demeure pas moins que les initiatives les plus structurantes en matière fiscale, qui permettraient de réduire les coûts de conformité des entreprises et de sécuriser les recettes fiscales des États, sont bloquées au Conseil. La règle de l’unanimité, devenue un dogme, prive les États membres de moyens pour déployer une véritable politique fiscale, pourtant attendue des citoyens et des entreprises pour plus de justice fiscale. Vous trouverez dans notre rapport un condensé des principales dispositions de ces initiatives, les points de blocage identifiés, ainsi que, lorsque nous avions l’information, la position des différents pays. Ces projets particulièrement importants concernent l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, l’imposition de l’économie numérique, le régime définitif de TVA, les ressources propres du cadre financier pluriannuel et la fiscalité de l’énergie. De l’examen de ces différents dossiers, il nous semble ressortir que les blocages peuvent intervenir à quatre niveaux différents, et parfois se cumuler :

– premièrement, des difficultés techniques réelles, compte tenu de la coexistence de 27 systèmes différents, avec chacun sa propre complexité. C’est le cas, par exemple pour le régime définitif de TVA ou l’assiette de l’impôt sur les sociétés ;

– deuxièmement, un manque de confiance et de coopération administrative entre les autorités fiscales ou, plus globalement, entre États, notamment en matière de recouvrement. C’est particulièrement frappant pour la proposition de régime définitif de TVA : les États font modérément confiance aux autres pour collecter leur part de TVA à leur place ;

– troisièmement, les craintes sur les effets des réformes en discussion sur les recettes fiscales nationales ;

– enfin, pour certains pays ou certaines franges de la classe politique, la volonté, par principe, de préserver la souveraineté nationale en matière fiscale.

En guise de conclusion, il ne s’agit pas de dupliquer tous les régimes fiscaux sur celui de la France, qui, je tiens à la préciser, de surcroît dans ce contexte d’épidémie de COVID-19, est trop lourd pour les entreprises et les citoyens. Il s’agit d’éviter la concurrence fiscale exacerbée dont nous aurions tort de nier l’existence et que nous aurions tort d’exagérer. Cette concurrence peut avoir une vertu, celle d’obliger les États membres à améliorer la performance de leurs administrations publiques et à repenser leur périmètre.

Afin de converger vers une harmonisation fiscale européenne, une réflexion des États membres sur une articulation plus globale avec l’OCDE et les instruments à destination des Européens est nécessaire.

Ce rapport nous invite à nous demander plus largement s’il faut des règles communes sur la fiscalité et, si oui, lesquelles. Débat légitime sachant que l’impôt est là pour répondre à des besoins de financement. J’en retiens que la fiscalité est avant tout un moyen et non une finalité.

Mme Frédérique Dumas, rapporteure. Il est essentiel d’essayer de clarifier les enjeux de ces chantiers fiscaux très complexes. C’est bien parce que les projets sur la table du Conseil sont cruciaux qu’il nous semblait important de les restituer dans leur complexité et de faire entendre la légitimité de chaque pays à défendre la position qui est la sienne, et qui s’inscrit dans une histoire et un contexte politique particulier.

Cette légitimité, elle découle déjà de deux évidences qu’il n’est toutefois pas complètement inutile de rappeler quand on a tendance à mettre à l’index certains pays qui ne sont pas d’accord avec nous : premièrement, chacun des États à la table du Conseil doit mettre en œuvre le mandat que les électeurs lui ont confié et répondre devant son parlement national ; deuxièmement, chaque pays a un budget à boucler et est donc attentif à la préservation de ses recettes fiscales. Au sein de cette commission, nous avons beau avoir l’intérêt européen chevillé au corps, il faut tout de même avoir l’honnêteté de reconnaître que lorsque nous discutons de budget ou de fiscalité, nous ne nous désintéressons pas complètement des conséquences des discussions européennes sur le budget national ! Accepter que nos collègues d’autres pays fassent de même est donc la moindre des choses.

Notre rapport donne quelques exemples tirés de nos auditions pour montrer que les choix fiscaux de nos partenaires ont une cohérence politique ou répondent aux contraintes auxquelles ils sont soumis en termes géographiques, démographiques et économiques. Ce peut-être, en Hongrie, la volonté de favoriser l’émergence d’une classe moyenne qui avait un peu disparu ; en Pologne, une politique fiscale tournée vers la politique familiale et une lutte résolue contre la fraude, notamment à la TVA ; au Danemark le souci de préserver le modèle de protection sociale ; en Irlande, la création depuis les années 1960, à partir d’une fiscalité compétitive, d’un écosystème numérique qui génère des emplois qualifiés et bien rémunérés, ainsi que la conviction que la confiance des entrepreneurs repose sur la stabilité du régime fiscal ; aux Pays-Bas, les contraintes des « petites économies ouvertes », dont les entreprises sont fortement dépendantes des marchés internationaux.

C’est la première condition pour pouvoir se parler des sujets fiscaux : reconnaître que chaque pays a une légitimité et ne pas caricaturer les positions des chacun. Par exemple, le discours qui nous a été tenu par nos interlocuteurs en Pologne sur la fiscalité environnementale était beaucoup moins caricatural que l’image qui peut nous en être donnée habituellement. Ils n’avaient pas d’hostilité de principe, mais estimaient que le produit des échanges de quotas d’émission devait servir à financer la politique climatique, et non le budget général de l’Union, et qu’une taxe sur les plastiques recyclés devait constituer une ressource des États. Je note aussi que, selon les données de la Commission européenne, les taxes environnementales représentent déjà en Pologne une part des recettes fiscales supérieure à la moyenne européenne.

Ne pas caricaturer la position des autres pays, c’est aussi prendre en compte les efforts qu’ils ont déjà réalisés. Les régimes fiscaux luxembourgeois et néerlandais sont certes encore critiquables, mais on ne peut pas faire comme s’ils n’avaient pas transposé les directives ATAD et mis en œuvre les mesures du plan BEPS de l’OCDE. Laissons à ces réformes le temps de porter leurs fruits.

Partant de ces constats, comment continuer à progresser sur les dossiers fiscaux ? La première idée qui vient à l’esprit, puisque l’unanimité donne à chacun le pouvoir de bloquer les textes au Conseil, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, est de recourir davantage à la majorité qualifiée. Pierre Moscovici avait proposé une feuille de route pour une transition progressive vers la majorité qualifiée. Cette évolution est discutable : il nous semble que le chemin est semé d’embûches et qu’il y a d’autres moyens d’avancer. Une révision des traités à court terme pour permettre à l’Union de légiférer en matière fiscale selon la procédure ordinaire nous paraît peu réaliste. Même si tout peut être discuté dans une négociation globale, les « petits » pays et les pays de l’est nous semblent peu enclins à abandonner l’unanimité, car c’est ce qui les protège contre le « rouleau compresseur » franco-allemand. Les traités actuels prévoient des clauses passerelles qui permettent au Conseil, statuant à l’unanimité, d’adopter une décision l’autorisant à légiférer à la majorité qualifiée dans un domaine soumis à l’unanimité. Ces clauses passerelles pourraient permettre d’accélérer les discussions sur des textes techniques. Elles nous paraissent en revanche peu opérationnelles pour des réformes ayant de vrais enjeux politiques : si un pays est prêt à utiliser son véto pour s’opposer à un texte, on l’imagine mal voter une décision l’en privant…

La Commission dispose aussi de l’outil de l’article 116 du TFUE, qui permet d’adopter des directives suivant la procédure législative ordinaire pour éliminer les distorsions de concurrence dues à des disparités existantes entre les règles des États membres si la distorsion ne peut être supprimée en concertation avec les États membres. Bien que le Parlement européen ait souvent poussé à l’utilisation de cette arme, la Commission ne l’a utilisée jusqu’ici que comme arme dissuasive. Il nous semble que légiférer sur cette base susciterait des contestations juridiques et ouvrirait des conflits ouverts infinis entre la Commission et certains pays. Cela renvoie à une question plus large sur le recours à la majorité qualifiée en matière fiscale : jusqu’où une majorité, fut-elle qualifiée, peut-elle imposer à un État membre des décisions qui heurteraient de front ses intérêts ? La fiscalité n’est pas une matière comme les autres. Le consentement à l’impôt est un fondement de la démocratie et les recettes fiscales déterminent directement la capacité d’action des États. Si le recours à la majorité qualifiée était élargi, les États membres devraient faire preuve de discernement dans son utilisation. On voit bien dans le cadre des discussions sur le plan de relance que c’est un sujet très sensible, car cela touche à la souveraineté des États.

C’est pourquoi, il nous semble utile de trouver un chemin pour continuer à discuter en travaillant sur les quatre points de blocage que nous avons identifiés.

Il est impératif de renforcer la confiance entre administrations fiscales. De nombreux outils de coopération existent, mais les performances et les outils technologiques des administrations fiscales ne sont pas les mêmes. Il faut continuer à aider les États qui ont des retards à améliorer les performances de leur administration, notamment grâce au programme Fiscalis. Il faut aussi renforcer les échanges de bonnes pratiques entre administrations fiscales. La Pologne a par exemple acquis une expertise sur la lutte contre la fraude à la TVA qu’elle est très désireuse de partager. Nous avons pu constater lors de notre déplacement qu’elle était très fière de son système, mais si certains l’estiment trop bureaucratique.

Concernant la négociation des propositions de texte elles-mêmes, nous l’avons déjà dit, il est impératif de prendre le temps d’écouter et de comprendre nos partenaires. Si une impulsion franco-allemande peut être utile, il est désormais évident qu’elle n’est plus suffisante. Des groupes de pays se sont organisés pour peser, autour de la ligue hanséatique ou du groupe de Visegrad par exemple, ce serait une erreur de penser que l’on peut passer outre leurs demandes. Ces groupes s’étaient positionnés avant le confinement mais les lignes sont toujours valables. Dans certains États, ce sont les parlements nationaux qui sont les plus sourcilleux sur le respect de la souveraineté nationale en matière fiscale. Beaucoup de pays doivent passer devant leur Parlement. Les associer en amont pour qu’ils s’approprient les débats fiscaux pourrait être plus efficace que de les mettre dans une situation où ils ne peuvent que s’opposer à un projet déjà ficelé.

La base de la discussion doit être une évaluation transparente et rigoureuse des conséquences des propositions législatives sur les recettes fiscales de chacun des États membres. Il s’agit trop souvent d’un débat idéologique, dans la majorité comme dans l’opposition : on ne fait pas l’effort de démontrer pourquoi tel chemin est emprunté. Si ces conséquences sont importantes pour un État, il faut prévoir une transition suffisante et des compensations qui lui permettent de faire accepter la réforme à son parlement et à sa population. C’est du pragmatisme.

Une critique récurrente à l’encontre des propositions de la Commission est leur grande complexité. Certains pays seraient plus ouverts à des projets plus ciblés et pragmatiques, pour répondre à des problèmes concrets.

Il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur la pression de l’opinion publique pour lutter contre les abus fiscaux et progresser en matière de fiscalité environnementale. Les Pays-Bas et le Luxembourg ont clairement mis en évidence une certaine efficacité du « name and shame » : les gouvernements de ces deux pays semblent désormais déterminés à se défaire de l’image de paradis fiscal qui nuit à leur réputation. C’est un point sur lequel ils ont beaucoup insisté lors de nos échanges.

Enfin, il nous semble qu’en matière d’impôt sur les sociétés, les réformes européennes gagneraient à s’inscrire dans le cadre plus global des travaux actuellement en cours à l’OCDE sur l’adaptation de la fiscalité internationale à la numérisation de l’économie – c’était le seul sujet de divergence entre nous. C’est une demande forte de plusieurs pays européens, qui estiment que les standards de la fiscalité internationale relèvent de l’OCDE et qu’il n’existe pas de spécificité européenne en la matière. Ils craignent en outre qu’une initiative européenne déconnectée des discussions mondiales se traduise par une perte de compétitivité. Les choses ont beaucoup évolué depuis la crise.

De fait, les négociations sur l’ACCIS et sur la fiscalité du numérique sont suspendues à l’issue des négociations à l’OCDE, qui ont été retardées à cause de la crise du coronavirus. La prochaine étape importante, qui devait avoir lieu en juillet, a été repoussée à octobre. Ce sera même plutôt en 2021. Je tiens à saluer le travail de Pascal Saint-Amans pour rapprocher les points de vue. Le travail technique se poursuit, y compris avec les Américains, mais, compte tenu du calendrier des élections américaines, l’objectif initial d’un accord global à la fin de l’année paraît désormais inatteignable. Si un accord est envisageable sur le deuxième pilier des négociations, visant à mettre en place une imposition effective minimale effective, un accord sur le premier pilier, qui vise à réattribuer une fraction des bénéfices et des droits d’imposition correspondants aux pays et aux juridictions dans lesquels les entreprises multinationales ont leurs marchés, ne pourrait intervenir, au mieux, avant l’été 2021.

Sur le deuxième pilier, particulièrement poussé par l’Allemagne et la France, il reste des obstacles politiques à lever, mais une proposition sera prête en octobre.

Sur le premier pilier, beaucoup de travail a déjà été accompli, mais des sujets difficiles à trancher restent sur la table et la position américaine est instable et imprévisible. Après avoir proposé un « régime de protection » (safe harbour) qui pourrait conduire à un régime optionnel pour les entreprises inacceptable pour tous les autres pays, les Américains tergiversent sur le champ des entreprises concernées. Ils s’opposent à un dispositif qui ne concernerait que les entreprises du numérique, mais soulèvent des difficultés dès que l’élargissement du champ concerne des entreprises américaines. Ils considèrent en outre que la gestion de la pandémie et le soutien à l’économie, qui portent sur des montants bien plus élevés que ce que pourrait rapporter la réforme en discussion, sont prioritaires à l’heure actuelle.

Les pays européens, même ceux qui s’étaient opposés à l’ACCIS et aux propositions de la Commission en matière de fiscalité du numérique, participent de manière active et constructive aux travaux de l’OCDE. Ils sont conscients du fait que le statu quo n’est guère tenable et qu’il existe une opportunité rare de moderniser la fiscalité des entreprises au niveau mondial. L’ouverture des États-Unis et de la Chine pourrait ne pas perdurer. Ils savent aussi que la multiplication d’initiatives nationales serait pire qu’une solution négociée au niveau international.

C’est pourquoi un pays comme le Danemark, qui souhaite arrêter la course à la baisse de l’imposition des sociétés, est prêt à accepter une solution au niveau de l’OCDE, alors qu’il serait un des pays à avoir le plus à perdre au premier pilier. Nos discussions avec Pascal Saint-Amans ont montré que le Danemark risquait effectivement de beaucoup y perdre : de très grandes entreprises danoises comme Novo Nordisk, spécialisée dans la production de médicaments contre le diabète, payent en effet beaucoup d’impôts au Danemark alors qu’elles réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires à l’étranger.

Les Américains viennent d’envoyer trois messages qu’il faut entendre. D’abord, ils ne participeront à aucune discussion internationale tant que certains pays disposeront de lois ou de projets de loi de taxation dans le domaine du numérique. Il faut rappeler, comme je l’ai fait dans le cadre du rapport, que nous parlons d’impôts sur les sociétés. La taxe française sur les entreprises du numérique porte, quant à elle, sur le chiffre d’affaire, ce qui ne résout absolument pas le problème de l’impôt des très grandes entreprises américaines. Elle est en outre reportée sur le contribuable. En effet, Facebook a reporté cette taxe sur les tarifs publicitaires et Amazon sur certaines commissions. En France, la taxe est donc payée par les usagers ou les opérateurs économiques. En outre, les entreprises françaises et européennes vertueuses s’acquittent à la fois de l’impôt et de la taxe. Ils paient donc plus d’impôts à eux seuls que tous les géants américains du numérique.

Ensuite, les Américains ont toujours conditionné l’accord à une clause de sauvegarde qui permette de limiter les effets du transfert de la base fiscale. Enfin, ils n’acceptent de maintenir leur participation à la discussion sur le taux minimum d’imposition qu’à la condition que leurs règles nationales antérieures sur le sujet soient sanctuarisées. Leur premier message concerne donc les Européens, le second les chinois et le troisième les pays en développement.

Pour résumer et conclure, je dirais que la construction d’un espace fiscal européen passe par une meilleure attention portée aux motivations de chacun et l’inscription de cet espace européen dans un contexte international. Cela passe par beaucoup de pragmatisme et un changement de logiciel, surtout pour la France qui a l’habitude de considérer que ce qui est bon pour elle est également bon pour les autres.

M. Daniel Gutmann. J’ai trouvé ce rapport passionnant, extrêmement nuancé et j’en partage la plupart des orientations. C’est un rapport unique car je n’en ai pas trouvé un autre qui fasse un point aussi précis sur les angles d’approches nationaux en remontant aux sources des divergences européennes. Cela permet d’orienter la politique fiscale de façon raisonnable.

Le rapport a été fait avant la crise du COVID-19, mais, depuis lors, il me semble que la question des moyens d’action financiers que l’on veut donner à l’Europe devient centrale. En effet, l’Europe recourt à l’endettement pour financer ses actions : pourquoi ne recourrait-elle pas à l’impôt ? Cette question ne peut, selon moi, être ignorée et se pose de façon particulièrement aiguë à l’heure actuelle. Cela nous amène naturellement à la question des ressources propres et ce que vous avez dit par ailleurs sur ce sujet n’appelle de ma part aucun commentaire additionnel. Cette question est appelée à prendre une place considérable à mesure que l’on s’aperçoit que l’Europe sert de pompier pour les différents États membres.

Ensuite, vous avez insisté dans votre rapport sur l’idée, que je partage, que la fiscalité est un moyen et non une fin. Il faut donc savoir quels sont les objectifs de l’Europe que la fiscalité pourrait servir. Votre rapport montre que l’harmonisation complète des systèmes fiscaux n’est pas un objectif en soi, ne peut pas l’être et en toute hypothèse a peu de chances de prospérer pour des raisons que vous avez parfaitement décrites. On peut donc laisser cette idée de côté, même si on constate des propositions et des aspirations de certains acteurs économiques à une fiscalité totalement homogène au niveau européen. Cela simplifierait en effet la vie des entreprises que de pouvoir s’appuyer sur un jeu de règles unique, quels que soient les États membres. Compte tenu des contraintes que vous avez soulignées dans le rapport, la question ne se pose pas à court terme.

Ainsi, quels sont les objectifs qu’une fiscalité européenne peut servir ? Le premier d’entre eux est la réalisation effective d’un marché intérieur sans frontière, ce qui constitue un objectif spécifiquement européen. C’est pour cela qu’il existe l’article 113 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et que l’on dispose d’ores et déjà d’une harmonisation en ce qui concerne les transactions intracommunautaires, passant notamment par la TVA et les accises.

Au-delà des impôts qui frappent les transactions, est-il légitime de considérer que l’impôt sur les sociétés, en particulier, mérite une harmonisation plus poussée pour réaliser ce marché intérieur sans frontière ? Le droit positif montre qu’il existe certaines directives qui défiscalisent un certain nombre de flux transfrontaliers, notamment les dividendes, intérêts, redevances. Certaines directives permettent de garantir la neutralité des restructurations transfrontalières, notamment la directive 2009/133/CE du 19 octobre 2009, dite « directive fusions ».

Quand on fait cette analyse, on peut se dire que l’essentiel est fait. Je pense toutefois que l’on pourrait aller plus loin. En effet, lorsqu’on regarde plus précisément d’un point de vue technique ces directives, on s’aperçoit que l’exonération de retenue à la source qui est prévue sur certains flux reste soumise à des conditions assez contraignantes. La Commission européenne elle-même a suggéré à plusieurs reprises d’assouplir les conditions d’exonération de retenue à la source, en particulier dans le cadre de la directive 2003/49/CE du 3 juin 2003 dite « intérêts redevance ». Il s’agit d’un point d’amélioration que l’on pourrait souligner.

En outre, la double imposition continue d’exister en Europe. En effet, une même entreprise ou une même personne physique peut faire l’objet d’une double imposition sur le même revenu par plusieurs États européens. Une même succession peut également être imposée deux voire trois fois à l’intérieur de l’Union européenne alors qu’il s’agit exactement du même fait générateur d’impôt. Je pense que cela est assez problématique.

C’est la coexistence de systèmes nationaux qui fait que, chaque État se considérant comme compétent pour imposer un revenu ou une donation par exemple, cela touche tous les pays. Si, à titre d’exemple, un français reçoit une succession d’origine belge portant sur un immeuble présent en Espagne, cette personne va être imposée en France car l’héritier s’y trouve, en Belgique parce que le défunt s’y trouve et en Espagne parce que l’immeuble s’y trouve.

Or, aujourd’hui, il n’existe pas d’instrument juridique qui permette de lutter contre cela. La directive adoptée en 2017 relative aux mécanismes de règlement des différends en matière de double imposition permet d’éliminer la double imposition sur les bénéfices et les revenus et met en place une procédure de règlement des différends entre États mais elle ne touche pas toutes les situations de double imposition.

Il me semble qu’il pourrait être intéressant d’appuyer une démarche de généralisation des techniques d’élimination de la double imposition. La Commission européenne plaide pour cela depuis plusieurs années, notamment en matière successorale pour laquelle il n’existe que très peu de conventions bilatérales. Il en existe encore moins lorsqu’il s’agit de donations. En outre, ces conventions sont bilatérales : elles ne permettent donc pas de régler les cas de triple imposition susceptibles de survenir entre les différents États. Ce sont des réformes certes techniques mais qui poursuivent des objectifs qui méritent d’être pris en considération.

Un autre objectif est souvent assigné à l’Europe : garantir une forme de justice fiscale. Cet objectif recouvre en réalité deux idées très différentes : la justice dans le partage du fardeau entre les entreprises et entre les personnes physiques et la justice dans la répartition entre États. Toutes les discussions autour du numérique mélangent les deux dimensions. Lorsque certains acteurs se plaignent du fait que les géants du numérique ne sont pas imposés en France, il s’agit en réalité de se plaindre à la fois que ces entreprises ne supportent pas l’impôt alors que d’autres le supportent mais également que la France ne récupère pas l’impôt que ces entreprises devraient payer dans un monde idéal.

Se pose donc la question de savoir si l’Europe a un mot spécifique à dire sur ce sujet ou si l’OCDE ou un forum mondial doit régler ce problème. C’est une question politique mais, d’un point de vue pratique, si l’on mettait en place au niveau européen une méthode de répartition de la matière imposable entre les États qui n’a rien à voir avec ce qui est fait au niveau mondial, cela créerait des problèmes techniques absolument insurmontables.

En prenant l’exemple d’un groupe américain qui disposerait de plusieurs filiales et succursales en Europe, si on met en place l’ACCIS (c’est-à-dire une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés au niveau des groupes établis en Europe) et si on le partage entre les pays européens en se basant sur les critères imaginés par la Commission européenne, les États vont imposer une certaine part des bénéfices. Mais comme il s’agit d’un groupe américain, ses bénéfices sont mondiaux et il faut donc combiner cette répartition avec des conventions bilatérales conclues avec tous les États tiers. Or, ces conventions vont retenir des critères de répartition de la masse taxable complètement différents. Cela va donc créer des situations de double imposition sur lesquelles nous disposerons de peu de prise d’un point de vue technique. À la lumière de cela, la conclusion pourrait être de tout laisser à l’OCDE, ce qui pourrait être un autre écueil.

Pascal Saint-Amans a raison de dire que seule une concertation mondiale pourra résoudre cette problématique de la masse taxable. Ce qui m’inquiète, c’est que l’Europe ne parle pas d’une seule voix et qu’on assiste, avec la remontée de la problématique au niveau de l’OCDE, à une dissolution d’une Europe fiscale qui n’existe pas mais qui pourrait exister car les intérêts communs sont nombreux. Il est vrai que l’Europe ne peut pas agir seule sans mettre en péril sa compétitivité et se heurter à des difficultés techniques insurmontables, mais si elle est à la remorque de l’OCDE, elle risque de perdre son âme.

Enfin, toujours dans les objectifs qui doivent poursuivre l’Europe en matière fiscale, un dernier objectif pourrait être de renforcer l’idée d’une Europe puissance continentale, laquelle devrait se manifester tant dans les relations avec l’OCDE que dans celles avec les États tiers. Trois exemples me viennent à l’esprit.

Premier exemple : les conventions fiscales avec les États tiers ne sont pas respectées et ce, en toute connaissance de cause. Or, on ne peut pas faire grand-chose contre cette mauvaise volonté. La France, seule, ne peut contraindre un pays comme la Chine à respecter les conventions qu’elle a signées. C’est une vraie demande des entreprises que de voir l’Europe se doter d’une capacité de négociation dans cette situation.

Deuxième exemple. Imaginons une convention multilatérale qui, par exemple, permettrait à la France de taxer toute entreprise ayant des clients ou des consommateurs en France, y compris si elle n’y possède aucun actif ou établissement stable. Que se passerait-il si ces entreprises ne veulent pas payer ? Il faudrait un accord d’assistance en matière de recouvrement qui permettrait à l’autorité fiscale française de demander à l’autorité fiscale étrangère de collecter l’impôt dû et de le lui rétrocéder. De tels accords existent entre les États-membres de l’Union européenne ainsi qu’avec quelques États tiers. L’objectif de l’Europe devrait être de les multiplier autant que possible en y mettant tout son poids.

Dernier exemple : la portée de la liberté de circulation des capitaux. Cette liberté est protégée par les traités européens mais elle est la seule liberté de circulation qui s’applique dans les relations avec les États tiers. C’est ainsi que les résidents des États tiers peuvent demander à bénéficier en Europe du même traitement fiscal que des résidents de l’État qui accorde l’avantage fiscal. Cela peut créer des déséquilibres et être à l’origine d’effets d’aubaine pour l’investissement en provenance d’États tiers. La réciproque est vraie lorsque des résidents européens investissement dans des États tiers : dans l’État de départ, ils peuvent se prévaloir d’un traitement identique avec l’investissement qu’ils feraient chez eux ou dans un autre État européen. Cette question prend de plus en plus d’importance dans les contentieux fondés sur le non-respect par la France de la liberté de circulation des capitaux. La restitution d’impôt à des résidents d’États tiers est à l’origine de pertes budgétaires importantes pour l’État français.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je note que l’on revient souvent, dans les différentes thématiques que nous abordons, sur la nécessité de faire émerger une Europe puissance ou plutôt que l’Europe a une puissance qu’elle devrait mieux utiliser, sans se borner au soft power. Ce sera à n’en pas douter un vrai sujet pour la conférence sur l’avenir de l’Europe.


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L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

 

Mme Aude Bono-Vandorme. Je remercie les rapporteurs pour leur excellent travail. Plusieurs grandes propositions sont sur la table en matière fiscale, parfois depuis plusieurs années, comme l’ACCIS. Or, les multiples scandales que nous avons récemment connus, impliquant des montages fiscaux dans des pays comme le Luxembourg ou les Pays-Bas, ont mis en lumière la concurrence fiscale qui existe au sein de l’Union européenne. De tels montages sont rendus possibles par un cadre fiscal qui est dépassé car fondé sur le principe de la résidence fiscale. Avec la mondialisation, le boom des entreprises multinationales et la révolution numérique, les chaînes de valeur sont aujourd’hui disséminées. Dans le prolongement du rapport du Parlement européen de 2015 sur les rescrits fiscaux, je m’interroge sur la mise en place d’un outil centralisé public permettant de connaître par État membre les exemptions, exonérations, déductions et crédits d’impôt qui affectent l’impôt sur les sociétés, ainsi que d’un système centralisé au niveau de l’Union qui permettrait à la Commission européenne de contrôler systématiquement les rescrits.

M. André Chassaigne. Je remercie à mon tour les rapporteurs ainsi que M. Daniel Gutmann pour son intervention. La question de la fiscalité européenne est aujourd’hui au cœur du débat. Thierry Breton, commissaire chargé du Marché intérieur, a récemment indiqué que pour rembourser la dette du plan de relance, la Commission voudrait se voir doter de la capacité de lever directement l’impôt, pensant par exemple à la taxe carbone aux frontières ou à la taxe GAFA. Ces déclarations sont passées sous le radar médiatique mais elles méritent notre attention car elles annoncent un changement de paradigme. En effet, le consentement à l’impôt est au cœur de la citoyenneté et la fiscalité est un attribut essentiel de la souveraineté des États, comme l’a montré Norbert Elias. Or, en dépit de toutes les divergences idéologiques, tout le monde s’accorde sur le fait que l’Union n’est pas un État, tout au plus un objectif politique non identifié, pour reprendre la boutade de Jacques Delors. D’où ma question : cet OPNI peut-il lever l’impôt ?

L’Union européenne est un espace de compétition économique régi par les traités de libre-échange, qui tente de mettre un terme aux nombreux abus fiscaux en son sein. C’est ainsi, faut-il le rappeler, qu’Apple a pu bénéficier d’une réduction d’impôt à hauteur de 13 milliards d’euros grâce à un accord avec l’Irlande. De même, il y a une liste européenne des paradis fiscaux mais elle ne comprend aucun État-membre, faisant fi de paradis fiscaux comme les Pays-Bas. Enfin, le projet d’ACCIS, malgré une bonne volonté parfois naïve, n’empêche en rien les Etats-membres de mettre en place diverses niches fiscales pour attirer les entreprises.

Cette incapacité des Etats-membres à mettre fin aux abus a une cause bien connue : c’est la philosophie des traités et l’idée que la libre concurrence permet l’efficacité des marchés, reléguant l’harmonisation fiscale et sociale au second plan. Je me rappelle à ce propos une audition du professeur Catherine Prieto. Alors que d’habitude, je diabolise la libre concurrence, elle nous a expliqué qu’au contraire, le droit de la concurrence se voulait protecteur et un instrument de lutte contre les distorsions de concurrence. Mais alors, comment se fait-il qu’on ne puisse s’appuyer sur lui lutter contre les distorsions de concurrence en matière fiscale ou sociale ?

Au final, force est de reconnaître qu’aujourd’hui, l’harmonisation fiscale est une chimère car les institutions européennes reposent sur des présupposés libéraux d’inspiration hobbesienne : l’homme est un loup pour l’homme, loin de toute idée d’intérêt général.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Je tiens, au nom du groupe MODEM, à vous féliciter pour ce rapport qui va en profondeur, et je remercie M. Gutmann pour son apport. Le rapport nous permet d’approfondir des problèmes liés à l’espace fiscal européen et, plus largement, les défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie. À ce sujet, j’ai interrogé le commissaire Thierry Breton il y a quelques semaines lors de son audition en commission.

Comme vous l’avez justement souligné, ce sont les négociations à l’échelle internationale qui nous permettront de réaliser les avancés les plus significatives face à ces défis. Il faut, j’en suis convaincue, que les parlementaires continuent de contribuer à ces négociations. Il serait intéressant de mettre en place un suivi autour de la réunion du cadre inclusif qui aura lieu en octobre et éventuellement d’organiser une communication en commission afin de débattre des avancées réalisées.

Pour ce qui est de vos propositions, je vous rejoins sur le constat que vous dressez. Effectivement, espérer le passage progressif à la majorité qualifiée en matière fiscale ne semble pas être une stratégie viable. J’ai cependant deux questions sur vos « propositions pragmatiques » de la troisième partie du rapport, « quelle démarche pour lever les blocages ».

Vous proposez de concentrer les initiatives sur des réponses pragmatiques aux problèmes rencontrés par les États membres, ne craigniez-vous pas que cela nous conduise à ne pas résoudre la véritable source des problèmes, à traiter les symptômes et non la cause ?

Par ailleurs, vous évoquez la liste noire de l’Union en matière d’abus fiscal mais cette liste de par sa nature et son mode d’élaboration ne serait-elle pas une illustration de la difficile entente européenne sur ce qu’est une mauvaise pratique fiscale ?

M. Christophe Jerretie. Nous sommes dans la continuité de nos discussions d’hier. J’ai de nombreuses questions que j’intégrerai à mes réflexions.

L’espace fiscal européen, pour moi, pourrait s’appeler « les espaces fiscaux », du fait de l’individualisation des espaces fiscaux dans chaque pays, que vous bien relevée. Vous avez fait ce que j’appellerais de l’archéologie fiscale, qu’on fait assez rarement, en remontant asses loin dans les approches nationales. Je n’ai pas l’habitude de ne faire que des compliments mais je pense que c’était le bon chemin et je vous en félicite. J’espère que nos collègues liront votre rapport.

Ma première question concerne l’utilité de la fiscalité. Je souhaiterais votre avis sur ce que l’on doit privilégier entre le travail, le capital et la consommation. Par ailleurs, doit-on privilégier les impôts directs ou indirects ? Ne doit-on pas privilégier un seul élément et un seul type de fiscalité ?

Ma deuxième question concerne le recouvrement, qu’on évoque rarement. Quand on ne recouvre pas l’impôt, il n’y a pas d’intérêt à le voter. Je me demande si votre rapport ne pourrait pas être complété par ce sujet. Ce n’est pas la peine de légiférer au niveau européen sans agir sur la boîte à outils du recouvrement. Allez-vous continuer sur cette logique ?

Je compare souvent les nations aux communes et l’État à l’Union européenne. En créant les EPCI, nous avions le choix entre fiscalité additionnelle et fiscalité directe unique. Je voulais savoir si vous êtes plutôt favorables à l’un ou à l’autre. Je pense qu’en Europe, nous ne pouvons pas faire les deux. La fiscalité ciblée, sur le plastique par exemple, a-t-elle un avenir ?

Enfin, nous avons évoqué l’emprunt pour le futur. Je pense sincèrement que nous sommes dans l’obligation de trouver des ressources pour l’Union. Il faut trouver l’imposition qui corresponde à l’utilisation de l’argent. Nous devons être dans la logique de la compétence en lien avec la fiscalité, ce qui mène à la responsabilité. Je crois que, dans les prochains travaux de l’Union européenne, nous devons regarder à quoi sert ce qu’on met dans le plan de relance et qui il faut taxer pour ce faire. Il s’agit de construire l’avenir de la fiscalité européenne.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. La question de la double imposition, que j’adresse plutôt à M. Gutmann, est assez cruciale pour l’Union européenne et surtout pour le citoyen. Si l’on pense aux 120 millions de citoyens qui vivent ou travaillent ailleurs que dans leur pays d’origine, mais qui gardent d’un point de vue patrimonial des attaches dans un autre pays, on peut considérer que c’est une entrave à la liberté de circulation.

Cela ne rentre pas exactement dans le champ de la lutte contre la discrimination dans les traités. Il y a tout de même une forme de discrimination par rapport à quelqu’un qui reste toute sa vie dans un même État membre. Merci pour les pistes que vous pourrez évoquer.

M. Xavier Paluszkiewicz. Vous nous interrogiez notamment sur la pertinence de l’outil centralité et public en lien avec les rescrits fiscaux. Ma circonscription, la troisième de Meurthe-et-Moselle, jouxte les frontières belges et luxembourgeoises. Les rescrits y sont donc un vrai sujet. Ils ont posé des problèmes politiques en 2014 et ont même entraîné la démission de Jean-Claude Juncker, à l’époque Premier ministre luxembourgeois, remplacé par Xavier Bettel.

L’outil existe auprès des administrations fiscales, grâce à des actions résolues proposées par l’Union européenne, notamment en matière d’échanges d’informations. J’estime qu’il est bien dommage de ne pas rendre cet outil public ; il permettrait de comparer, d’évaluer, de flécher les entreprises vers les États membres. Le fait que ces informations ne soient pas publiques m’interroge particulièrement au regard du manque d’information. Lorsqu’on parle de fiscalité, la transparence me semble une évidence.

Dans la perspective des réformes fiscales initiées sur la fiscalité des entreprises, l’Union applique la logique du reporting pays par pays, introduit par le dispositif BEPS de l’OCDE. Il permet de connaître le montant de la richesse taxable des entreprises, en l’espèce le bénéfice, qui est l’assiette taxable de l’IS. Cet outil existe. La lutte contre la fraude fiscale est un sujet qui devrait être évoqué au sein du Parlement européen.

Concernant le système de vérification centralisée au niveau de l’Europe, il existe et doit probablement être amélioré. L’affaire qu’évoquait M. Chassaigne des rescrits luxembourgeois et belges de 2014 a posé des problèmes. Un rescrit est une prise de position du fisc sur un cas compliqué ou inhabituel. Il confère une sécurité juridique aux entreprises mais peut octroyer des avantages fiscaux pour attirer certaines sociétés holding par des taux d’imposition très faibles.

Pour autant, à la suite de l’affaire Luxleaks, la Commission a adopté le paquet de transparence fiscale, et plus spécifiquement l’extension de l’échange automatique aux rescrits. La directive DAC 3 du 8 décembre 2014 a imposé un échange automatique pour les rescrits accordés à des entreprises pour le traitement fiscal d’opérations transfrontalières. De fait, chaque administration doit transmettre ces informations aux services de contrôle fiscal.

M. Chassaigne disait qu’aucun pays européen ne figure sur la liste des paradis fiscaux. Tout le monde a signé les conventions, mais la question est de savoir si ces accords sont véritablement respectés.

Dans ce rapport, nous soulevons parfois plus de questions que nous n’apportons de réponses, car nous sommes dans une organisation à vingt-sept. Chacun a une approche différente. Voilà pour y répondre de la manière la plus précise possible.

Pour répondre aux sujets soulevés par M. Chassaigne, notamment sur le prélèvement de l’impôt, cela reste anecdotique mais il faut rappeler que l’Union européenne prélève l’impôt sur le revenu des fonctionnaires européens. Elle récolte aussi les droits de douane. Dans cette architecture, il est possible de prélever l’impôt ; il n’y a pas de raison de penser qu’elle ne serait pas en mesure de le faire. Quand il s’agit justement de prélever plusieurs milliards, l’Europe peut se structurer.

Nous évoquions hier la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom) et la difficulté de considérer les entreprises comme imposables dans le pays, la problématique est la même à l’échelle nationale comme à l’international.

André Chassaigne a parlé de chimère pour qualifier l’harmonisation fiscale. Certes, notre rapport soulève plus d’interrogations qu’il n’apporte de solutions. Nous devons avoir une réflexion globale et considérer les positions de nos voisins.

Je voudrais revenir sur la taxe GAFA telle que la France l’a instituée. Même si asseoir cette taxe sur le chiffre d’affaires n’est pas forcément pertinent, tel n’est pas le sujet, pas plus que son montant, 350 ou même 500 millions d’euros. Ce qui est important est le message politique qui est porté. En l’instituant, la France a relancé le débat au niveau européen, et montré le chemin puisque des pays comme le Royaume-Uni, l’Autriche ou la Pologne ont également créé une telle taxe. Les négociations sont en cours au niveau international, même si leur issue est fortement liée au résultat de l’élection présidentielle américaine.

Mme Frédérique Dumas. Notre rapport montre le chemin et ce chemin est le pragmatisme. Je pense qu’il n’est plus possible d’en rester au seul message politique. Si ce dernier n’est pas suivi d’effet, il y aura un véritable problème.

Contrairement à l’image que l’on s’en fait, les Pays-Bas sont ouverts à l’idée de réduire les possibilités d’optimisation fiscale agressive. Je rappelle qu’ils sont partis à la convention BEPS. Toutefois, parce que c’est un pays relativement peu peuplé, comme d’ailleurs l’Irlande ou la Hongrie, il ne peut se reposer sur une base taxable faite uniquement de consommateurs. Ces pays doivent attirer la base taxable par des avantages auxquels ils sont très attachés.

S’agissant du plan de relance, les discussions portent sur le lien avec les recommandations spécifiques par pays faites dans le cadre du semestre européen. C’est une exigence des quatre pays mais ce qu’on oublie souvent, c’est qu’eux aussi font l’objet de recommandations. La conditionnalité ne se limite pas, comme pouvait le penser André Chassaigne, à la seule austérité. Elle peut porter également sur l’État de droit ou, pour ce qui concerne les Pays-Bas par exemple, la dette privée. Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, il faut souligner que dans les recommandations de la Commission figure également la lutte contre la planification fiscale agressive, les Pays-Bas, la Hongrie, le Luxembourg, l’Irlande, Malte ou Chypre étant explicitement visés. Dans les recommandations spécifiques aux Pays-Bas, il leur est demandé de corriger les particularités de leur système fiscal qui facilitent la planification fiscale agressive. Cela fait partie des réformes structurelles.

La question du droit de l’Union européenne à lever l’impôt fait l’objet de blocages très forts. Lever cet obstacle exige un travail technique afin de renforcer l’efficacité et la responsabilité des impositions, par exemple en fléchant les recettes vers certaines dépenses. En d’autres termes, il faut connecter les ressources propres aux objectifs poursuivis.

La taxe GAFA illustre ce que je disais s’agissant des réponses politiques qui n’ont pas d’efficacité technique, économique ou sociale parce que l’objectif poursuivi n’a rien à voir avec les moyens qui sont mis en œuvre. S’agissant de cette taxe en particulier, elle a été présentée, après la crise des Gilets Jaunes, comme un moyen de réduire les distorsions de concurrence en faisant payer des impôts en France à des entreprises qui n’en payaient pas, ni en France, ni ailleurs. Or, assise sur le chiffre d’affaires, elle frappe des entreprises américaines qui désormais paient des impôts non négligeables aux États-Unis mais également des entreprises françaises du numérique, comme Amadeus. Cette taxe étant répercutée sur les consommateurs et les Américains demandant son remboursement, il est à craindre qu’elle soit payée deux fois, par le consommateur et par le contribuable. Enfin, elle est devenue un instrument de chantage entre les mains des Américains qui vont utiliser ce prétexte pour imposer des droits de douane très supérieurs à son montant aux produits français et européens.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. S’agissant de l’ISI, qui fait toujours débat, on est à ma connaissance le seul État-membre à avoir une telle imposition. Quelles en sont les conséquences ?

M. Daniel Gutmann. L’IFI, limitée à l’immobilier, a peu d’équivalents en Europe, mais les impôts sur les actifs immobiliers sont en revanche très fréquents. La spécificité française est plutôt le cumul des impositions sur l’assiette immobilière et une forte imposition du capital en France en comparaison des autres États-membres.

S’agissant de la double imposition, la jurisprudence de la Cour de Justice est très claire : rien dans les traités n’interdit à deux États-membres de taxer le même revenu. Il n’y a là aucune discrimination, laquelle n’existe que si un État-membre applique une règle différente selon les situations, interne ou transfrontalière. Le seul moyen pour résoudre le problème de la double imposition est procédural. La directive de 2017 est un premier pas mais il est très insuffisant.

La question de Mme Aude Bono-Vandorme portait sur le caractère public des rescrits et des déclarations pays par pays. Sur ce sujet, il y a beaucoup d’idées fausses et d’incompréhension. En premier lieu, je voudrais insister sur le fait que la Commission européenne a mis un terme, sur le fondement des règles en matière d’aide d’État, aux rescrits fantaisistes dont ont pu bénéficier nombre d’entreprises. Les travaux de l’OCDE, en particulier sur les prix de transfert, l’ont également aidée. Au final, il y a un décalage entre les coups de projecteur médiatique sur les rescrits fiscaux, qui sont des pratiques passées, et la réalité présente.

En deuxième lieu, il est vrai que les rescrits et les déclarations pays par pays ne sont pas publics. En 2016, la loi Sapin 2 imposait de rendre ces dernières publiques mais elle a été censurée sur ce point par le Conseil constitutionnel, qui y a vu une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. En effet, tant ces déclarations que les rescrits comportent des informations hautement confidentielles qui ne peuvent être mises à disposition du public et, donc, des concurrents des entreprises concernées. En outre, une telle publicité présente le risque que se développe un « name and shame » incontrôlé, comme on a pu le voir s’agissant des établissements bancaires dont les déclarations pays par pays sont d’ores et déjà publiques. Les ONG qui les ont analysées ont commis des erreurs factuelles majeures.

Le droit de la concurrence existe aussi d’une certaine manière en matière fiscale. Depuis le Code de conduite fiscalité des entreprises de 1997, on admet la concurrence mais pas la concurrence fiscale déloyale. Il y a pour cela deux outils, les aides d’État, qui peuvent mener à une procédure d’infraction, ce qui est du droit dur, et le Code de conduite, qui est du droit mou, mais néanmoins très efficace. Les États qui ne respectent pas les règles du Code de conduite doivent rendre des comptes auprès de leurs pairs. Ce Code donne les critères de transparence, d’évaluation des avantages. Il ne faudrait pas voir la concurrence fiscale que sous l’angle de l’évasion ou de la fraude, et à ce titre l’exemple de la TaSCom est éclairant, puisqu’elle conditionne la localisation des entreprises. En Europe à l’heure actuelle, la concurrence fiscale n’est pas sans frein.

M. Xavier Palusckiewiscz. Les conventions fiscales sont là pour éliminer les possibilités de double imposition, elles reprennent les modèles établis par l’OCDE. En matière successorale, il y a beaucoup à faire, je peux en témoigner au regard de la situation géographique de ma circonscription, avec des personnes travaillant dans un pays, vivant dans un autre et héritant d’un bien issu d’un troisième.

Pour terminer, se pose évidemment la question de l’ISF, et de la pertinence de créer un ISF européen. Aujourd’hui, seule l’Espagne possède encore un tel impôt, et on ne mesure pas forcément les effets d’une telle mesure sur l’attractivité des territoires.

 

À l’issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport d’information.

 

 


—  1  —

   ANNEXE n° 1
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

À Paris

-         M. Alain Lamassoure, ancien ministre, ancien membre du Parlement européen

-         S.E. M. Georges Károlyi, ambassadeur de Hongrie, accompagné de Mme Kinga Endresz, premier secrétaire, Mme Zsuzsanna Gregor, diplomate à la délégation permanente de la Hongrie à l’OCDE et à l’UNESCO, et Mme Mariann Szücs, attachée commerciale et économique

-         S.E. M. Pieter de Gooijer, ambassadeur des Pays-Bas

-         M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE

-         Mme Natalia Radichevskaia, conseiller financier à la représentation permanente du Luxembourg auprès de l’OCDE

-         M. Clément Beaune, conseiller spécial du Président de la République

-         M. Thomas Revial, directeur adjoint du cabinet du ministre de l’économie et des finances

-         M. Boris Melmoux-Eude, conseiller financier au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)

-         M. Vincent Renoux, avocat, associé au cabinet Stehlin & Associés

-         Mme Agnès Bénassy-Quéré, économiste

 

À Bruxelles (29 avril 2019)

-         M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne

-         Cabinet de M. Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière

-         M. Valère Moutarlier, directeur de la fiscalité directe, de la coordination fiscale, de l’analyse économique et de l’évaluation à la Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière de la Commission européenne

-         M. Gregory Clayes, chercheur, Institut Bruegel

 

À Dublin (13 et 14 juin 2019)

-         S.E. M. Stéphane Crouzat, Ambassadeur de France en Irlande

-         M. Timmy Dooley et Mme Joan Burton, députés

-         M. Gerry Horkan, sénateur

-         M. James Stewart, professeur de finance au Trinity College

-         M. Feargal O’Rourke, managing partner chez Pricewaterhouse Coopers

-         Irish Tax Institute : M. Martin Lambe, chief executive, et Mme Anne Gunnell, director of tax policy & representations

 

À Copenhague (7 et 8 novembre 2019)

-         S.E. Mme Caroline Ferrari, ambassadrice de France au Danemark

-         Cabinet de la Première ministre : M. Fabrice Jacobsen, conseiller technique

-         Membres du Folketing : Mme Katarina Ammitzbøll (Det Konservative Folkeparti) et M. Rasmus Nordqvist (Alternativet)

-         Dansk Industri : M. Jacob Bræstrup, directeur des politiques fiscales, Mme Ulla Lyk-Jensen, conseillère principale en charge des affaires européennes, M. Kristian Koktvedgaard, directeur TVA, comptabilité et audit, et M. Sune Hein Bertelsen, conseiller en charge des politiques fiscales

-         Ministère des finances : M. Peder Lundquist, secrétaire d’État adjoint, et M. Asbjørn Brink

-         Ministère des impôts : Mme Merete Godvin Jensen

 

À Varsovie (28 et 28 novembre 2019)

-         S.E. M. Frédéric Billet, ambassadeur de France en Pologne

-         MM. Henryk Kowalczyk et Andrzej Kosztowniak, président et vice-président de la commission des finances publiques de la Diète

-         Table ronde avec des représentants des ministères des finances et des affaires étrangères

-         Chambre de commerce et d’industrie France Pologne : Mme Joanna Jaroch-Pszeniczna, directrice adjointe, et Mme Agnieszka Wnuk, conseillère fiscale chez Michalik Dłuska Dziedzic i Partnerzy (MDDP)

-         Polski Instytut Ekonomiczny : M. Piotr Arak, directeur, et M. Andrzej Kubisiak, responsable de la communication

 

Le ministère des finances suédois a répondu par écrit aux questions des rapporteurs.


—  1  —

   ANNEXE n° 2
structure des recettes fiscales (
[84]) en 2018 en % du PIB

 

Impôts sur la production et les importations

dont TVA

Impôts sur le revenu, le patrimoine, etc.

dont

Cotisations sociales nettes

sur le revenu des personnes physiques ou des ménages

sur le revenu ou les bénéfices des sociétés

Union européenne

13,6

7,1

13,2

9,5

2,7

13,3

Zone euro

13,3

6,9

13,0

9,5

2,7

15,2

Belgique

13,9

6,9

16,8

11,8

4,3

15,7

Bulgarie

15,2

9,1

5,8

3,3

2,2

8,7

Tchéquie

12,5

7,7

8,0

4,3

3,5

15,6

Danemark

16,4

9,8

28,9

24,7

2,9

0,9

Allemagne

10,8

7,0

13,3

9,7

2,9

17,1

Estonie

13,9

9,0

7,4

5,4

2,0

11,7

Irlande

8,0

4,4

10,7

7,1

3,2

4,2

Grèce

17,1

8,3

10,1

6,2

2,2

14,2

Espagne

11,9

6,6

10,6

7,8

2,5

12,4

France

16,7

7,2

13,3

9,6

2,7

18,0

Croatie

20,1

13,5

6,5

3,5

2,3

12,0

Italie

14,5

6,2

14,1

11,6

1,9

13,3

Chypre

16,0

9,9

9,1

3,2

5,5

8,7

Lettonie

14,5

8,4

7,4

6,0

1,1

9,5

Lituanie

11,8

7,8

5,7

4,1

1,5

13,0

Luxembourg

12,0

6,2

16,4

9,3

5,8

12,2

Hongrie

18,6

9,7

6,7

5,2

1,2

12,3

Malte

12,9

7,5

13,4

7,3

5,6

6,2

Pays-Bas

12,1

6,8

12,5

8,0

3,5

14,4

Autriche

14,0

7,6

13,5

9,6

2,8

15,2

Pologne

14,3

8,1

7,8

5,3

2,1

14,1

Portugal

15,4

8,8

10,1

6,5

3,3

11,7

Roumanie

10,7

6,4

4,9

2,4

2,1

11,5

Slovénie

14,3

8,2

7,8

5,3

1,9

15,8

Slovaquie

12,1

7,0

7,3

3,6

3,3

15,0

Finlande

14,2

9,1

15,9

12,2

2,5

11,9

Suède

22,4

9,2

18,6

15,1

3,1

3,4

Royaume-Uni

13,1

7,0

14,0

9,1

2,7

7,8

Source : Eurostat.


—  1  —

 

   ANNEXE n° 3
structure des recettes fiscales en 2018 en % du total

 

Impôts sur la production et les importations

dont TVA

Impôts courants sur le revenu, le patrimoine, etc.

dont

Cotisations sociales nettes

sur le revenu des personnes physiques ou des ménages

sur le revenu ou les bénéfices des sociétés

Union européenne

33,8

17,7

32,7

23,6

6,7

33,0

Zone euro

31,8

16,6

31,2

22,7

6,6

36,5

Belgique

29,5

14,5

35,7

25,1

9,1

33,4

Bulgarie

50,8

30,4

19,3

11,2

7,5

29,0

Tchéquie

34,5

21,2

22,2

12,0

9,7

43,3

Danemark

35,7

21,3

63,0

53,9

6,4

1,9

Allemagne

26,1

16,9

32,1

23,3

6,9

41,3

Estonie

42,2

27,1

22,4

16,4

6,0

35,4

Irlande

34,8

19,0

46,4

31,0

14,1

18,1

Grèce

41,3

19,9

24,2

14,9

5,2

34,3

Espagne

33,7

18,6

29,9

21,9

7,0

35,1

France

34,5

14,8

27,5

19,9

5,6

37,3

Croatie

52,1

34,9

16,8

9,2

5,9

31,1

Italie

34,6

14,7

33,5

27,5

4,4

31,7

Chypre

47,2

29,2

26,9

9,3

16,2

25,8

Lettonie

46,1

26,8

23,5

19,0

3,4

30,3

Lituanie

38,7

25,5

18,6

13,3

5,0

42,7

Luxembourg

29,6

15,3

40,2

22,9

14,3

29,9

Hongrie

49,4

25,7

17,8

13,7

3,2

32,7

Malte

39,6

22,8

41,0

22,4

17,0

19,0

Pays-Bas

30,8

17,3

31,8

20,3

8,9

36,8

Autriche

32,7

17,8

31,6

22,5

6,5

35,6

Pologne

39,5

22,5

21,7

14,7

5,8

39,1

Portugal

41,3

23,6

27,3

17,6

9,0

31,4

Roumanie

39,4

23,4

18,2

8,9

7,7

42,4

Slovénie

37,7

21,7

20,7

14,1

5,1

41,6

Slovaquie

35,2

20,5

21,2

10,4

9,5

43,6

Finlande

33,5

21,5

37,6

28,8

6,0

28,1

Suède

50,5

20,8

41,9

34,0

6,9

7,7

Royaume-Uni

37,4

19,9

39,8

25,9

7,6

22,1

Source : Eurostat.


([1]) Bénédicte Peyrol, Rapport de la mission d’information relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises, Assemblée nationale, XVe législature, n° 1236, 12 septembre 2018.

([2]) Résolution du Parlement européen du 10 octobre 2019 sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et les ressources propres : il est temps de répondre aux attentes des citoyens, point 5.

([3]) Source : site internet du Conseil de l’Union européenne.

([4]) Lors d’un vote à l’unanimité, une abstention ne fait pas obstacle à l’adoption d’une décision.

([5]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil, Vers un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière de politique fiscale dans l’Union [COM(2019) 8 final], 15 janvier 2019.

([6]) Afin de permettre l’organisation par le Danemark d’un second référendum sur le traité de Maastricht, le Conseil européen du 12 décembre 1992 a donné au Danemark la possibilité de ne pas participer à la troisième phase de l’Union économique et monétaire (monnaie unique), à la politique de défense et à la politique en matière de justice et affaires intérieures.

([7]) Conseil des prélèvements obligatoires, Sens et limites de la comparaison des taux de prélèvements obligatoires entre pays développés, mars 2008.

([8]) Les impôts sur la production et sur les importations recouvrent notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les droits perçus sur les importations, les accises, les impôts à la consommation, les droits de timbre, les impôts sur les salaires et les impôts sur la pollution.

([9]) OCDE (2018), Examens environnementaux de l’OCDE : Hongrie 2018 (Version abrégée), Éditions OCDE, page 24.

([10]) OCDE (2015), Examens environnementaux de l’OCDE : Pologne 2015, Éditions OCDE, page 78.

([11]) Le taux retenu va au-delà de celui de l’impôt sur le revenu. Pour la France, par exemple, il prend en compte la CSG et la CRDS. Les taux en italique correspondent à une imposition proportionnelle.

([12]) Surcharges incluses.

([13]) Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

([14]) Le taux d’imposition des bénéfices des sociétés en France a été exceptionnellement élevé en 2017 en raison de la création de contributions exceptionnelles destinées à compenser le surcoût du contentieux de la contribution de 3 % sur les montants distribués (loi n° 2017‑1640 du 1er décembre 2017 de finances rectificative pour 2017).

([15]) Différence entre les recettes de TVA escomptées et le montant effectivement perçu.

([16]) Parallèlement, celles de l’impôt sur les sociétés augmentaient de 35 %.

([17]) Une société polonaise peut ouvrir un compte bancaire spécial dédié uniquement à la TVA. Ce compte bancaire permet de collecter, payer et reverser la TVA. Lors d’une opération entre deux sociétés polonaises, le client verse la partie HT sur le premier compte du fournisseur et le montant de TVA sur le deuxième compte du fournisseur. Ce compte est ensuite directement accessible par les autorités fiscales pour le règlement de la dette TVA et le rapprochement avec la déclaration de TVA polonaise. Les délais de récupération de la TVA sont réduits et les entreprises participant au système ne sont pas tenues solidairement responsables de la fraude à la TVA dans leur chaîne d’approvisionnement.

([18]) Article 153 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

([19]) Par exemple directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents et directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents, ainsi qu’au transfert du siège statutaire d’une SE ou d’une SCE d’un État membre à un autre.

([20]) Voir Émilie Cariou et Pierre Cordier, Rapport de la mission d’information sur le bilan de la lutte contre les montages transfrontaliers, Assemblée nationale, XVe législature, n° 2252, 25 septembre 2019, pages 41 à 46.

([21]) Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur et directive (UE) 2017/952 du Conseil du 29 mai 2017 modifiant la directive (UE) 2016/1164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers.

([22]) Voir Joël Giraud, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2020, Assemblée nationale, XVe législature, n° 2301, 10 octobre 2019, pages 557 à 575.

([23]) La notion de dispositifs hybrides désigne les mécanismes exploitant les différences de qualification d’instruments ou d’entités entre les législations de plusieurs États afin de générer des asymétries fiscales se traduisant par une double non-imposition.

([24]) https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-list-of-non-cooperative-jurisdictions/

([25]) Directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en qui concerne l’instauration de certaines exigences applicables aux prestataires de services de paiement et règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 904/2010 en ce qui concerne des mesures de renforcement de la coopération administrative afin de lutter contre la fraude à la TVA.

([26])  Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens ; règlement d’exécution (UE) 2017/2459 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 282/2011 portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ; règlement (UE) 2017/2454 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant le règlement (UE) n° 904/2010 concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.

([27]) Directive (UE) 2018/1713 du conseil du 6 novembre 2018 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux de taxe sur la valeur ajoutée appliqués aux livres, journaux et périodiques.

([28]) Directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne le régime particulier des petites entreprises et le règlement (UE) n° 904/2010 en ce qui concerne la coopération administrative et l’échange d’informations aux fins du contrôle de l’application correcte du régime particulier des petites entreprises.

([29]) Les propositions directement liées au cadre financier pluriannuel 2021-2027 sont indiquées en italique.

([30]) Voir Isabelle Bruneau, Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur la proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), Assemblée nationale, XIVe législature, n° 4513, 15 février 2017.

([31]) Étude d’impact des services de la Commission européenne sur les deux propositions de directive [SWD(2018) 81 final/2].

([32])  Pour le professeur Spengel, un des auteurs de l’étude du Leibniz-Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung (ZEW) utilisée par la Commission européenne dans son étude d’impact, il n’est pas exact de dire que les entreprises numériques paient moins d’impôts que les autres.

([33])  Office of the United States Trade Representative, Report on Frances Digital Services Tax prepared in the investigation under Section 301 of the Trade Act of 1974, 2 décembre 2019, page 5.

([34]) Voir Éric Bothorel et Marietta Karamanli, Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur la fiscalité du numérique, Assemblée nationale, XVe législature, n° 1455.

([35])https://sellercentral.amazon.fr/gp/help/external/help.html?itemID=200336920&ref=efph_200336920_cont_home : « Les frais de vente sur le site Amazon FR sont 3 % plus élevés que sur les sites Amazon UK/DE/ES/IT pour refléter le coût de la taxe sur les services numériques de 3 % en vigueur en France. Par exemple, si les frais de vente sur les sites Amazon UK/DE/ES/IT sont de 15,00 %, sur le site Amazon FR, ils sont de 15,45 %. »

([36]) Depuis 1974, la section 301 a donné lieu à 127 enquêtes, qui n’ont pas toutes débouché sur des sanctions. Avant la présidence Trump, le dernier cas d’enquête ayant débouché sur des sanctions datait de 2009 et visait le Canada. Depuis 2017, trois actions ont été menées, concernant la Chine (droits de propriété intellectuelle), l’Union européenne (subventions à Airbus) et la France (taxe sur les services numériques).

([37]) Notice of Determination and Request for Comments Concerning Action Pursuant to Section 301: France’s Digital Services Tax, Federal register/vol. 84, n° 235, 6 décembre 2019, pages 66956 à 66960.

([38]) Communiqué de la Direction générale des finances publiques n° 960 du 10 février 2020.

([39]) Article 402 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006.

([40]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen concernant un plan d’action sur la TVA [COM(2016) 148 final].

([41]) Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’harmonisation et la simplification de certaines règles dans le système de taxe sur la valeur ajoutée et instaurant le système définitif de taxation des échanges entre les États membres [COM(2017) 569 final].

([42]) Un stock sous contrat de dépôt est un stock pour lequel, au moment du transport des biens vers un autre État membre, le fournisseur connaît déjà l’identité de l’acquéreur des biens auquel ces biens seront livrés à un stade ultérieur et après leur arrivée dans l’État membre de destination. Cela donne actuellement lieu à une opération assimilée à une livraison (dans l’État membre de départ des biens) et à une opération assimilée à une acquisition intracommunautaire (dans l’État membre d’arrivée des biens), suivie d’une livraison « intérieure » dans l’État membre d’arrivée et requiert l’identification du fournisseur aux fins de la TVA dans ledit État membre. Pour éviter cette situation, de telles opérations, lorsqu’elles interviennent entre deux assujettis, seront considérées, dans certaines conditions, comme donnant lieu à une livraison exonérée dans l’État membre de départ et à une acquisition intracommunautaire dans l’État membre d’arrivée.

([43]) Les opérations en chaîne concernent des livraisons successives de biens qui font l’objet d’un transport intracommunautaire unique. Le mouvement intracommunautaire de biens ne devrait être imputé qu’à une seule des livraisons, et seule ladite livraison devrait bénéficier de l’exonération de TVA applicable aux livraisons intracommunautaires. Les autres livraisons dans la chaîne devraient être taxées et pourraient nécessiter l’identification à la TVA du fournisseur dans l’État membre de livraison. Afin d’éviter que les États membres n’adoptent des approches différentes, ce qui pourrait conduire à une double imposition ou une non-imposition, et afin de renforcer la sécurité juridique des opérateurs, une règle commune est établie selon laquelle, lorsque certaines conditions sont remplies, le transport des biens devrait être imputé à une seule livraison dans la chaîne d’opérations.

([44]) Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’introduction de mesures techniques détaillées pour le fonctionnement du système de TVA définitif pour la taxation des échanges entre les États membres [COM(2018) 329 final].

([45]) Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux de taxe sur la valeur ajoutée [COM(2018) 20 final].

([46]) Les « solutions rapides » ont fait l’objet de la directive (UE) 2018/1910 du Conseil du 4 décembre 2018 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’harmonisation et la simplification de certaines règles dans le système de taxe sur la valeur ajoutée pour la taxation des échanges entre les États membres et du règlement d’exécution (UE) 2018/1912 du Conseil du 4 décembre 2018 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 282/2011 en ce qui concerne certaines exonérations liées aux opérations intracommunautaires.

([47]) Le principe d’autoliquidation consiste à transférer, du fournisseur vers le client, la responsabilité d’acquitter la TVA. Cela signifie que c’est le client, et non le fournisseur, qui serait tenu de payer la TVA à l’administration fiscale lorsqu’il est identifié comme une personne assujettie à la TVA. En l’occurrence, tout défaut de paiement au Trésor par un opérateur défaillant est impossible, dans la mesure où ce dernier ne perçoit pas la TVA auprès de son client. La Commission ne considère pas, à ce stade, que la généralisation de l’autoliquidation, à savoir son extension à l’ensemble des secteurs de l’économie, permettrait de lutter efficacement contre la fraude, car cette dernière serait alors commise au moment de la vente au détail, où les risques d’évasion en matière de TVA sont encore plus élevés.

([48]) Voir la position de Business Europe : 
https://www.businesseurope.eu/sites/buseur/files/media/position_papers/ecofin/2018-12-14_definitive_vat_system.pdf

([49]) Directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité.

([50]) Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité [COM(2011) 169 final].

([51]) Pour une présentation synthétique de la réforme fiscale américaine, voir Bénédicte Peyrol, Rapport de la mission d’information relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises, Assemblée nationale, XVe législature, n° 1236, 12 septembre 2018, pages 145 à 149.

([52]) Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil, Vers un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière de politique fiscale dans l’Union [COM(2019) 8 final], 15 janvier 2019.

([53]) L’Estonie a quitté la coopération renforcée en mars 2016.

([54]) Résolution européenne sur la proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), Assemblée nationale, XIVe législature, 31 mars 2017, texte adopté n° 935.

([55]) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices [COM(2016) 198 final].

([56]) Affaires C-715/17, C-718/17, C-719/17.

([57]) Voir Alexandre Maitrot de La Motte, L’application du droit de l’Union européenne en matière fiscale, Titre VII, n° 2, avril 2019.

([58]) CJCE, 14 février 1995, Aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker, point 21.

([59]) Romain Grau, Rapport de la mission d’information relative à la gestion du risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’État, Assemblée nationale, XVe législature, 17 octobre 2018, page 56.

([60]) Romain Grau, op. cit., pages 37 à 48.

([61]) Tribunal de première instance des communautés européennes, 27 janvier 1998, Affaire T-67/94, Ladbroke Racing contre Commission.

([62]) Décision de la Commission annulée par le Tribunal de l’UE le 24 septembre 2019 (Affaires T-760/15 et T‑636/16).

([63]) Voir les rapports concernant la Hongrie, l’Irlande, le Luxembourg, Malte and les Pays-Bas.

([64]) Semestre européen 2020 : évaluation des progrès concernant les réformes structurelles, la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, et résultats des bilans approfondis au titre du règlement (UE) nº1176/2011 [COM(2020) 150 final].

([65]) Voir le rapport concernant l’Irlande [SWD(2020) 506 final], pages 29 et 30, le Luxembourg [SWD(2020) 515 final], pages 28 à 30, Chypre [SWD(2020) 512 final], pages 31 et 32, la Hongrie [SWD(2020) 516 final], pages 20 et 21, Malte [SWD(2020) 517 final], pages 19 et 20 et les Pays-Bas [SWD(2020) 518 final], pages 27 et 28.

([66]) Le budget du programme Fiscalis s’élève à 270 millions d’euros pour la période 2021-2027 dans la proposition de la Commission.

([67]) Article 3 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme « Fiscalis » aux fins de la coopération dans le domaine fiscal [COM(2018) 443 final].

([68]) Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE.

([69]) Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.

([70]) Le système de base de données VIES est à la base des échanges de données entre États. Il recense tous les échanges transfrontaliers renseignés par les autorités douanières nationales. Il permet également aux entreprises de vérifier, dans le cadre d’un échange transfrontalier, que leur client ou fournisseur présent dans un autre État de l’Union dispose bien d’un numéro de TVA intracommunautaire valide.

([71]) Cour des comptes européenne, Lutte contre la fraude à la TVA intracommunautaire : des actions supplémentaires s’imposent, n° 24, 15 décembre 2015.

([72]) Cour des comptes européenne, Commerce électronique : la perception de la TVA et droits de douane reste problématique à bien des égards, n° 12, 16 juillet 2019.

([73]) Le système du mini-guichet unique est un instrument de facilitation des échanges commerciaux pour les commerçants fournissant des services de commerce électronique à l’intérieur de l’UE ou à destination de celle-ci. L’enregistrement dans le système s’effectue sur une base volontaire ; si un commerçant ne se fait pas enregistrer, il doit demander une immatriculation à la TVA dans chaque État membre où des clients de ses services sont établis. S’il est enregistré, il déclare et verse la TVA à ce mini-guichet, puis l’État membre reverse à l’État de consommation la part de TVA ainsi collectée qui lui revient.

([74]) Règlement (UE) n° 904/2010 du Conseil du 7 octobre 2010 concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.

([75]) Evaluation of the Council directive 2011/16/EU on administrative cooperation in the field of taxation and repealing Directive 77/799/EEC [SWD(2019) 327 final], 12 septembre 2019.

([76]) Le cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 rassemble 137 pays et juridictions qui collaborent à la mise en œuvre des mesures issues du projet BEPS.

([77]) Les biens incorporels de commercialisation peuvent être, par exemple, des marques de fabrique, des noms commerciaux, des listes de clients, des relations avec la clientèle, ainsi que des données exclusives sur des marchés ou des clients qui contribuent à la commercialisation de biens ou services.

([78]) Statement by the OECD/G20 inclusive framework on BEPS on the two-pillar approache to address the tax challenges arising from the digitalisation of the economy, as approved by the OECD/G20 inclusive framework on BEPS on 29/30 January 2020.

([79]) https://g20.org/en/g20/Documents/Communiqué%20Final%2022-23%20February%202020.pdf

([80]) Par exemple, les sacs de grains de café vert ne seraient pas concernés, à l’inverse du café torréfié vendu par une grande marque.

([81]) Par exemple si la marge réalisée sur la vente d’une voiture allemande est supérieure en Chine qu’en France.

([82])  Clemens Fuest, Mathieu Parenti et Farid Toubal, Fiscalité internationale des entreprises : quelles réformes pour quels effets ? Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 54, novembre 2019.

([83]) Une très grande entreprise comme Novo Nordisk, leader mondial dans le domaine du diabète, réalise environ 95 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, notamment aux États-Unis, mais représente 10 % des recettes d’impôt sur les sociétés.

([84]) Les impôts sur la production et sur les importations recouvrent notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les droits perçus sur les importations, les accises, les impôts à la consommation, les droits de timbre, les impôts sur les salaires et les impôts sur la pollution.

Les impôts sur le revenu, sur le patrimoine, etc. recouvrent notamment l’impôt sur le revenu des personnes physiques et l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les plus-values, les taxes liées à la propriété et à l’utilisation de voitures par les ménages et les impôts courants sur le capital payé à intervalle régulier.

Les impôts sur le capital, inférieurs à 0,8 % du PIB dans tous les États, ne figurent pas dans ce tableau.