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N° 3346

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

 

sur la politique d’approvisionnement du ministère des Armées

en « petits » équipements 

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. André CHASSAIGNE et Jean-Pierre Cubertafon,

Députés.

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(1)   La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 

 

 

 

 

La mission d’information sur la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en « petits » équipements, est composée de :

MM. André Chassaigne et Jean-Pierre Cubertafon, rapporteurs ;

Mme Séverine Gipson, M. Jean-Michel Jacques, Mmes Manuéla Kéclard-Mondésir et Josy Poueyto, M. Joachim Son-Forget, membres.

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

PREMIÈRE PARTIE LES « PETITS » matÉriels SONT ENCORE LE MAILLON FAIBLE DE L’ÉQUIPEMENT DE NOS ARMÉES

I. Un SOUS-INVESTISSEMENT RÉCURRENT DANS LES « PETITS » ÉQUIPEMENTS

A. Les « petits » Équipements, ciment de l’Édifice capacitaire des armÉes

1. Un ensemble de matériels en apparence hétéroclite

a. Une approche différente d’une armée à l’autre

i. L’armée de terre

ii. La marine nationale

iii. L’armée de l’air

b. Une spécificité budgétaire qui distingue des « petits » équipements : un financement « en flux », au sein d’enveloppes annuelles globales

i. Des agrégats budgétaires différents

ii. Des règles de gestion budgétaires différentes

2. Un ensemble d’équipements essentiel

a. Un ciment indispensable aux grands programmes

b. Un impact important sur le moral et l’efficacité opérationnelle des armées

i. L’impact opérationnel parfois sous-estimé des « petits » équipements

ii. Un impact sur le moral à ne pas à négliger

B. Les « petits » Équipements, variable d’ajustement des ressources des armÉes

1. Un sous-investissement chronique

2. Les effets à retardement des grandes réformes structurelles des années 2000 et 2010

a. Les vicissitudes des politiques d’« optimisation » de la dépense

i. Des effets perturbateurs des restructurations profondes conduites dans les années 2000 et 2010

ii. Un cas d’école : la « crise de l’habillement »

b. Une imbrication des responsabilités complexe

i. Une répartition des compétences ne prenant pas en compte les spécificités des armées

ii. L’enchevêtrement des autorités investies de responsabilités, cause de délais allongés et de complexités

II. UNE PolITiQue FAVORABLE AUX « PETITS ÉQUIPEMENTs » ISSUE DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE A RENFORCER

A. La loi de programmation de 2018 metTANT enfin l’accent sur l’Équipement « à hauteur d’homme »

1. Une ambition affirmée, des résultats tangibles

a. Un effort en matière d’approvisionnements

i. Un investissement supplémentaire pour toutes les armées

ii. Un investissement qui poursuit et amplifie un effort remontant, schématiquement, aux opérations en Afghanistan

b. Un effort de modernisation des procédures d’acquisition

i. Des mesures visant à faciliter l’acquisition d’équipements innovants

2. Un effort substantiel mais difficile à évaluer

B. Les armÉes « au milieu du guÉ » en matiÈre de modernisation de leurs « petits » Équipements

1. Les difficultés propres à une phase de transition

a. Les inconvénients du « panachage » des équipements

b. L’équipement personnel, un simple palliatif

i. Un phénomène encore bien présent

ii. Les causes de ce phénomène

iii. Un phénomène comportant des risques

iv. Des pistes de réflexion

2. Des points de vigilance

a. Pour acheter, encore faut-il des acheteurs

b. Éviter de moderniser par échantillons

c. Des ressources à défendre dans l’exécution et dans l’actualisation de la programmation militaire

Seconde partie amÉliorer l’Équipement « à hauteur d’homme » passe aussi par une vÉritable politique industrielle de dÉfense

I. ÉLOIGNER LE FABRICANT DU SOLDAT N’EST PAS SANS DANGERS

A. l’importation d’Équipements, mÊme « petits », UNE question de souverainetÉ et de rÉsilience

1. Des choix politiques ayant des conséquences défavorables aux fournisseurs français

a. Une affaire de droit ? Rigueurs du droit de la concurrence et grand zèle dans sa mise en œuvre

i. Le droit tel qu’on le lit

ii. Le droit tel qu’on le pratique

b. Une affaire de choix : la concentration assumée des efforts de maîtrise technologique souveraine sur les équipements les plus critiques

i. Une orientation assumée expressément en 2008

ii. Un cas d’école : les munitions de petit calibre

2. L’affaire des masques, la stratégie problématique d’approvisionnement étranger à flux tendus

a. Une logique difficilement conciliable avec l’impératif de résilience des armées et donc de l’État

b. L’idée de stocks stratégiques, une alternative plus théorique que réaliste à l’autonomie industrielle

B. Un Éloignement croissant et inquiÉtant entre nos P.M.E. et nos militaires

1. Un cantonnement progressif des PME françaises dans le rôle de sous-traitants, éloignés des utilisateurs de leurs produits

a. Un paradoxe : les PME, fournisseurs des armées ayant peu de liens contractuels directs

b. Des PME réduites à intervenir en sous-traitance de plus grandes entreprises

i. Une politique de massification des contrats

ii. Une dynamique cantonnant les PME au rôle de sous-traitants

2. Les difficultés des PME à connaître les besoins des militaires en temps utile pour soumissionner aux marchés

a. Pour les PME, la connaissance cruciale et difficile des besoins des forces en amont de la publication des marchés

b. En dépit d’initiatives louables de rapprochement des PME avec les forces, des contacts insuffisants

i. Des initiatives de rapprochement des PME et des forces

ii. Des liens encore insuffisants entre les PME et le ministère des Armées

II. VERS DES LIENS PLUS ÉTROITS AVEC LE TISSU FRANÇAIS DE P.M.E.

A. Resserrer les liens entre le ministère des ArmÉes et les P.M.E. françaises

1. Améliorer la connaissance par les PME des besoins des armées

a. En amont des marchés : pour une politique précontractuelle plus riche

i. L’importance d’une certaine ouverture des forces au monde extérieur, notamment aux PME de leur environnement

ii. L’intérêt de démarches actives des services « acheteurs » auprès des industriels de toute taille, y compris les TPE, PME et ETI

iii. L’intérêt d’un dialogue ouvert dans les phases amont des processus contractuels, notamment dans le sourcing

b. En aval des marchés : un dialogue post-livraison plus fourni

i. Un besoin de retour d’expérience des utilisateurs sur les produits des PME, même sous-traitantes

ii. L’intérêt des visites aux fournisseurs

2. Dynamiser la politique du ministère des Armées en faveur des PME en s’appuyant sur la dynamique née de la crise sanitaire

a. L’action du ministère des Armées en faveur des PME

i. Une politique confiée à la DGA

ii. Un coup d’accélérateur en réaction à la crise sanitaire

b. Des mesures à pérenniser et à étendre à l’ensemble des fournisseurs du ministère des Armées

B. Donner davantage de leviers de cohÉrence aux armÉes dans l’acquisition des « petits » Équipements

1. Les procédures d’acquisition récentes tendant à faire une plus grande place aux armées

a. L’association des armées à l’acquisition des « grands » équipements avec « la 1618 »

b. Des compétences nouvelles pour les armées en matière d’infrastructures

2. Faire davantage de place aux armées dans les procédures d’acquisition de « petits » équipements

i. Une idée vue avec bienveillance par les états-majors

ii. A minima, favoriser le travail tripartite entre les armées, les services « acheteurs » et l’industrie dans l’acquisition de « petits » équipements

C. Utiliser toutes les possibilitÉs juridiques pour favoriser leS RELATIONS entre l’industrie française et les armÉes sur tout le territoire

1. Favoriser les échanges entre les militaires et les industriels dans la conception et le développement des « petits » équipements

2. Utiliser les dispositifs juridiques existants permettant de déroger au droit commun des marchés

3. Mettre en place, en lien avec le Parlement, un groupe de travail commun aux armées, directions et services du ministère pour évaluer les marges de manœuvre existant dans le droit européen des marchés publics

4. Faire fond sur la dynamique européenne existant en matière de stratégie de défense pour promouvoir des assouplissements du droit européen des marchés militaires

D. Mettre À profit lE PLAN de relance pour soutenir la production française

1. Privilégier la production française dans une perspective de long terme

a. Les marchés militaires

b. Les marchés attribués à des entreprises étrangères

i. Rechercher systématiquement, dans les marchés susceptibles d’être remportés par des étrangers les lots pouvant être séparés

ii. Le problème des compensations industrielles exigées en contrepartie des importations

2. Un cas emblématique : la recréation d’une filière française de production de munitions de petit calibre

a) La poudrerie de Pont-de-Buis (établissement de NobelSport) : un cas exemplaire

b) L’abandon d’une filière souveraine de production de munitions de petit calibre

c) La relance d’une filière française de production : le projet industriel de mars 2017 et un engagement de campagne du Président de la République

d) Un projet de nouveau d’actualité

i. Un projet suspendu

ii. Un projet à reconsidérer après la crise sanitaire et la volonté affichée de l’État de réindustrialiser et de préserver la souveraineté nationale

iii. Un projet d’avenir pour notre base industrielle souveraine face à l’émergence de nouveaux calibres

EN GUISE DE CONCLUSION, LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

examen en COMMISSION

annexes

annexe 1 : auditions et dÉplacements de la mission d’INFORMATION


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   introduction

« De minimis non curat praetor » : l’homme important ne doit pas s’occuper des choses insignifiantes ou jugées mineures.

 

Cet adage romain ne doit pas et ne peut pas s’appliquer à ce que l’on nomme les « petits équipements ». En effet, que sont les « petits » équipements ? L’expression même invite à les définir par la négative : dans les arsenaux de nos armées, les « petits » équipements seraient « ce qui reste » quand on a passé en revue tout ce qui est plus emblématique, plus coûteux, plus spectaculaire par son ampleur, sa vitesse ou sa complexité technique.

De la poudre noire remplacée en 1886 par la poudre pyroxylée qui dégage moins de fumée, du Képi et pantalon rouge garance du soldat français de 1914 au nouvel uniforme bleu horizon du Poilu du printemps 1915, des brodequins de Félix Godillot du Second Empire aux nouvelles chaussures de combat des fantassins d'aujourd'hui, l'équipement de nos soldats n'a cessé d'évoluer vers plus de sécurité et de confort, parfois trop tardivement au fil des conflits.

Du couteau au treillis, du fusil à l’insigne, de la radio à la tenue de sport, il y a là tout un inventaire « à la Prévert » de matériels de toute nature, formant un ensemble assez hétéroclite, et pourtant indispensable à la cohérence capacitaire de nos forces : quelle cohérence y aurait-il à posséder les navires, les avions, les chars et les satellites les plus perfectionnés qui soient, si nos fantassins n’avaient pas de radios et de gilets pare-balles ?

Peut-être parce qu’ils sont ainsi moins visibles, parfois plus triviaux, souvent plus simples, les « petits » équipements ont trop longtemps pu servir de variable d’ajustement dans les arbitrages budgétaires ‒ excessivement ‒ difficiles des dernières décennies. En revendiquant un effort d’investissement « à hauteur d’homme », la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 vise à rompre avec cette dangereuse tendance.

Les rapporteurs se sont accordés pour donner à leur mission d’information un champ d’investigation large, correspondant à ce que la loi de programmation militaire considère comme étant « à hauteur d’homme ». Ainsi, premièrement, ce champ correspond aux équipements relevant de l’agrégat budgétaire « Équipements d’accompagnement et de cohérence » – du couteau au treillis, des jumelles de vision nocturne à l’équipement individuel du combattant. Il s’agit donc d’étudier la stratégie d’achat du ministère des Armées en la matière, y compris en étudiant les liens entretenus par les armées avec les PME/PMI et en évaluant les procédures d’acquisition applicables. Et deuxièmement, entrent dans ce champ les munitions de petits calibres. Une part des travaux sera donc consacrée à étudier les hypothèses de reconstitution d’une filière française de production de munitions de petits calibres – question qui revient régulièrement dans le débat public depuis vingt ans.

En raison même de ce large champ d’investigation, les rapporteurs ont mené d’une part, de nombreuses auditions (une vingtaine) dans des délais écourtés par les mesures liées au confinement et d’autre part, deux déplacements : les 29 et 30 juillet 2020 dans le Puy-de-Dôme où ils ont pu visiter trois entreprises de taille moyenne fournisseurs des armées, et le 1er septembre dans le Finistère où ils ont pu réfléchir à la recréation d’une filière de production de munitions en présence du Président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand.

Ce qui a particulièrement frappé les rapporteurs est l’idée suivante : la crise sanitaire que le pays a traversé, et traverse encore, a soumis aux feux de l’actualité la stratégie choisie par la Défense nationale pour l’approvisionnement en « petits » équipements.

La logique des cercles concentriques dans la maîtrise souveraine des technologies et des capacités industrielles, à l’œuvre dès la suspension de la fabrication de munitions de petit calibre en 1999 et formulée par le Livre blanc de 2008, repose in fine sur l’idée que pour des matériels de faible valeur ajoutée, produits à l’étranger à un moindre coût qu’en France, et ne présentant pas en apparence de caractère stratégique, la sécurité de nos approvisionnements ne risque pas d’être compromise si l’on abandonne la production nationale au profit d’importations.

Les rapporteurs relèvent que cette logique n’est pas sans rapport avec celle qui a guidé les choix de l’État concernant un autre type de matériels à faible valeur ajoutée, produits à l’étranger à un moindre coût qu’en France, et ne présentant pas en apparence de caractère stratégique : les masques protecteurs.

Par conséquent, les rapporteurs considèrent que l’affaire des masques doit être l’occasion de tirer toutes les leçons sur le plan de l’organisation de la résilience de l’État et de la Nation en cas de crise majeure. Ainsi, en cas d’augmentation massive de la demande de munitions résultant d’un conflit de grande envergure, soit européen, soit mondial, nos fournisseurs étrangers pourront-ils nous approvisionner à la hauteur de nos besoins ? L’exemple des munitions de petit calibre constitue, dès lors qu’on la considère, une illustration parfaite de la problématique de notre nécessaire indépendance industrielle pour des produits assurant notre souveraineté nationale.

Les rapporteurs se sont astreints à présenter des propositions de réforme à la fois ambitieuses, innovantes et robustes sur le plan économique et juridique et ils ont considéré que ces conclusions pourraient utilement nourrir l’actualisation de la programmation militaire, sur laquelle la commission commencera à travailler dès après la période budgétaire, en vue de l’examen du projet de loi annoncé pour le printemps 2021.

 

   PREMIÈRE PARTIE
LES « PETITS » matÉriels SONT ENCORE LE MAILLON FAIBLE DE L’ÉQUIPEMENT DE NOS ARMÉES

Les retards accumulés dans la modernisation des « petits » équipements sont tels, que l’ambition affichée par loi de programmation militaire de modernisation suppose un effort budgétaire important et de longue haleine.

Par ailleurs, mettre en œuvre un vaste plan de modernisation de l’équipement des militaires constitue une manœuvre délicate en soi : la transition entre plusieurs générations d’équipement doit être réglée avec autant de précision que possible, et plus l’effort s’inscrit dans le long terme, plus il importe de veiller à ce que les ressources nécessaires soient garanties pour les années à venir.

I.    Un SOUS-INVESTISSEMENT RÉCURRENT DANS LES « PETITS » ÉQUIPEMENTS

Le terme de « paupérisation » peut paraître fort ; il a pourtant été employé devant les rapporteurs par plusieurs hautes autorités militaires pour désigner l’effet, sur l’équipement des militaires, de l’insuffisance des crédits consacrés aux « petits » équipements pendant de longues années.

Ce sous-investissement récurrent est d’autant plus regrettable que « petits » et « grands » équipements, dans le fond, forment un tout dont l’efficacité tient à la cohérence d’ensemble, et que, même pris seuls, les conséquences d’une sous-dotation en « petits » équipements ne sont pas à négliger, tant sur le plan du moral des troupes que sur celui de leur efficacité opérationnelle.

A.   Les « petits » Équipements, ciment de l’Édifice capacitaire des armÉes

C’est le général Charles Beaudouin, sous-chef d’état-major de l’armée de terre chargé des plans et des programmes, qui a employé cette métaphore éclairante : dans l’ensemble que forment les différents matériels constituant l’« outil de travail » des soldats, les « grands » programmes ‒ c’est-à-dire les programmes emblématiques, dits « à effet majeur » ‒ constituent les briques d’un mur dont les « petits » équipements seraient le ciment.

Ces « petits » équipements, dont l’éventail est très divers, confèrent en effet aux capacités des armées une cohérence d’ensemble et, à ce titre, sont « essentiels ». L’effort revendiqué par la loi de programmation militaire de 2018 en faveur de l’équipement « à hauteur d’homme » va d’ailleurs dans ce sens.

1.   Un ensemble de matériels en apparence hétéroclite

La notion de « petits » matériels, ou d’équipement « à hauteur d’homme », n’a guère de définition précise dans le droit ou dans la doctrine militaire ; chaque armée a présenté aux rapporteurs son approche de la question. le principal point commun à l’ensemble de ces équipements tient à ce que, pour la plupart, ils ne sont pas financés en suivant des programmes pluriannuels bien identifiés, comme le sont les programmes dits « à effet majeur », mais au sein d’enveloppes budgétaires plus globales, et révisées tous les ans ‒ donc plus susceptibles de faire l’objet d’arbitrages défavorables.

a.   Une approche différente d’une armée à l’autre

i.   L’armée de terre

Comme l’a expliqué le général Charles Beaudouin, avant de désigner un agrégat budgétaire ou un mouvement de crédits, la notion de programmation « à hauteur d’homme » est en quelque sorte une « spécificité de l’armée de terre » ‒ celle qui emploie le plus de soldats ‒ et, dans le fond, renvoie au « respect dû à nos soldats, qui sont des volontaires, il faut à ce titre “attirer”, “fidéliser” et à qui nous devons, au regard de leur engagement en opérations extérieures, fournir les moyens directs d’environnement appropriés ». L’idée d’un effort « à hauteur d’homme » se décline donc à ses yeux dans quatre champs complémentaires que sont l’infrastructure, les primes, le statut social et l’« outil de travail » ‒ c’est-à-dire les équipements.

Dans cette optique, le champ des « petits » équipements est particulièrement large ‒ cf. infra, pour une présentation plus détaillée des principaux équipements « à hauteur d’homme » exposés aux rapporteurs lors de leur déplacement au 92e régiment d’infanterie, à Clermont-Ferrand. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce champ regroupe ainsi :

‒ des armes légères : fusils d’assaut mitrailleurs, fusils de haute précision semi-automatiques, pistolets semi-automatiques ;

‒ des munitions ;

‒ des équipements de tir et de visée : lunettes balistiques et protections phoniques, matériels optiques et jumelles de vision nocturne ;

‒ des équipements de protection individuelle, à commencer par les gilets pare-balles et les casques ;

‒ des matériels de transmissions, principalement les radios de tous types, mais aussi divers moyens informatiques nécessaires au combat « collaboratif » (ordinateurs ou tablettes) ;

‒ des effets d’habillement : treillis, différents types de chaussures, tenue de sport, équipements pour les températures froides ;

‒ d’autres effets textiles, comme les différents articles de bagagerie (musettes, sac à dos et sacs de transport) ou les sacs de couchage ;

‒ divers autres matériels, comme les couteaux de campagne, les porte-pistolets (ou holsters) ;

‒ de plus en plus, des mini, micro et nano-drones (notamment des modèles Black Hornet et NX70-Novadem) ;

‒ divers équipements informatiques, notamment de simulation.

ii.   La marine nationale

L’amiral Thierry Durteste, sous-chef d’état-major chargé des soutiens et des finances à l’état-major de la marine, faisant valoir qu’il est difficile de tracer le périmètre exact des équipements « à hauteur d’homme », a estimé qu’il pourrait se résumer, en première approche, à « être habillé, nourri et équipé pour les opérations et se préparer au combat, mais également être logé et soldé correctement ». L’équipement « à hauteur d’homme » correspond donc pour lui à tout ce qui concourt « au plus près » du marin à la préparation et à l’exécution de ses missions, en dehors des grands équipements qui font l’objet d’opérations d’armement érigées en programme, l’ensemble concourant à son moral.

L’amiral a cité comme exemples :

– les matériels que porte ou emporte le marin, de façon régulière (voire quotidienne) dans l’exercice de son métier, tels que les effets d’habillement, la protection balistique, l’armement individuel, ou le matériel d’observation et de visée ;

– les installations qui permettent au marin de s’entraîner, seul ou en équipe constituée, tels que des simulateurs ou encore des centres d’entraînement à la lutte contre les incendies à bord des bâtiments de surface ou des sous-marins ;

– des équipements volumineux indispensables pour l’exercice du métier au quotidien, qu’il s’agisse de véhicules, de petites embarcations de servitude, de remorqueurs ou d’engins de levage par exemple ;

– des équipements qui lui permettent de « vivre avec son temps », celui d’hommes et femmes d’une trentaine d’années en moyenne (wifi par exemple) ;

– tout ce qui peut contribuer, directement ou indirectement, à l’accompagnement des familles.

iii.   L’armée de l’air

Le général Frédéric Parisot, sous-chef d’état-major chargé de la préparation de l’avenir à l’état-major de l’armée de l’air a défini les équipements « à hauteur d’homme » pour l’aviateur comme « l’ensemble des matériels et équipements nécessaires à l’accomplissement de sa mission en tant que spécialiste et combattant, afin qu’il puisse réaliser toutes les missions qui lui sont confiées (opérations extérieures comme intérieures) tout en assurant sa propre sécurité ». Il peut donc s’agir de « petits » équipements, mais aussi de matériels plus volumineux (cf. infra les « matériels d’environnement »), voire relativement coûteux. Il a cité en exemple de « petit » programme coûteux la rénovation de l’avionique des avions d’entraînement Casa, pour un montant de 100 millions d’euros.

En matière d’habillement, a expliqué le général, l’effort « à hauteur d’homme » se traduit par la politique d’habillement de l’armée de l’air qui « vise à équiper chaque aviateur des effets nécessaires au juste besoin » afin qu’il puisse assurer sa protection en mission. Tous les effets et équipements visant à équiper l’aviateur et à le protéger sont pris en compte, que ce soit des vêtements allégés ou imperméables pour lutter contre les aléas climatiques ou des tenues de protection de dernière génération offrant une protection accrue de l’aviateur en mission : tenue de combat allégée, gilet de protection balistique, gants coqués, lunettes individuelles balistiques.

S’agissant d’armement, les équipements « à hauteur d’homme » sont les armes de petit calibre (pistolets automatiques et fusils), leurs munitions et leurs accessoires (lunettes, jumelles, viseurs, caméras et autres matériels associés).

Dans le domaine des matériels d’environnement, sont concernés les « matériels d’environnement aéronautique » (véhicules d’entretien de la piste, véhicules incendie, matériels de maintenance et de mise en œuvre d’aéronefs, etc.) et les « matériels d’environnement terrestre » (chariots élévateurs, véhicules « métier », engins du génie ou encore véhicules de la gendarmerie de l’air). Si certains de ces équipements sont relativement volumineux, le général les considère néanmoins comme « à hauteur d’homme » dans la mesure où ils permettent à l’aviateur de préparer et d’accomplir sa mission.

Il existe ensuite une multiplicité d’équipements concourant à la préparation et à l’accomplissement dans de bonnes conditions de la mission de l’aviateur, le général citant en particulier :

– les équipements des personnels navigants tels que les casques, gilets de combat, harnais de sauvetage, tablettes ou les balises ;

– les équipements du combattant tels que les micro-drones, les radios portatives ou les protections balistiques ;

– les prestations de formation et d’entraînement telle que la qualification et l’entretien des compétences sur avion civil type Beechcraft, la location ou acquisition de simulateurs, voire d’instructeurs, le Red Teaming (fait de jouer le rôle de l’ennemi lors de l’entraînement) ou encore le plastronnage (fait de servir de cible lors des entraînements) ;

– les véhicules spécialisés, notamment ceux des pompiers et des pisteurs ;

– les équipements de système d’information et de communication tels que les écrans, câbles, applicatifs spécialisés ou encore les serveurs de données ;

– les équipements de communication tels que les radios et les protocoles cryptographiques pour les sécuriser (qui doivent faire périodiquement l’objet de mises à jour pour garder le plus haut niveau de sécurité possible) ;

– l’adaptation des avions de transport aux réglementations de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) : système de surveillance ADS-B, radios de fréquence 8,33 KHz, système de télécommunication IFF ([1]) permettant aux radars de déterminer l’identité des aéronefs en approche) ;

– les adaptations de munitions embarquées ou les traitements d’obsolescences de certains matériels (comme la mise en conformité des munitions avec le règlement européen « REACH ([2]) » sur les produits chimiques).

De plus, le général a également estimé que méritaient d’être vues comme des équipements « à hauteur d’homme » certaines infrastructures ou installations d’environnement financées par des grands plans ministériels (notamment le plan « hébergement » et le plan « famille », ou directement par l’armée de l’air via la sous-action 11 « infrastructures aériennes » de l’action 4 « Préparation des forces aériennes » du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la mission « Défense », dans la nomenclature budgétaire.

b.   Une spécificité budgétaire qui distingue des « petits » équipements : un financement « en flux », au sein d’enveloppes annuelles globales

i.   Des agrégats budgétaires différents

La nomenclature budgétaire ne comprend pas d’agrégat budgétaire spécifiquement consacré aux « petits » équipements ‒ ni programme, ni action ou sous-action ‒, pas plus que la nomenclature de la programmation militaire ‒ différente de celle de la loi de finances ‒ ne comprend d’agrégat financier qui les regroupe. Cependant, ces deux nomenclatures comportent des agrégats transversaux, appelés « opérations stratégiques », parmi lesquelles on retiendra notamment :

‒ l’opération stratégique « Programmes à effet majeur » (PEM), qui retrace le financement des « grands » programmes d’armement pluriannuels conduits par la direction générale de l’armement (DGA) avec l’état-major des armées (EMA), au titre du programme 146 « Équipement des forces » ;

‒ l’opération stratégique « Autres opérations d’armement » (AOA), qui regroupe les crédits du même programme budgétaire consacrés à des opérations qui présentent une moindre envergure que les PEM, mais concernent des équipements qui ne peuvent cependant pas être achetés sur catalogue ou par un appel d’offres « simple » et, à ce titre, restent placés sous la responsabilité commune de la DGA et de l’EMA ;

‒ l’opération stratégique « Équipements d’accompagnement et de cohérence » (EAC), qui comprend les dotations inscrites aux programmes 178 « Préparation et emploi des forces » et 212 « Soutien de la politique de défense » pour l’acquisition sur étagère de « petits » équipements de différentes sortes, tels que les munitions « non complexes », les équipements d’entraînement (cibles ou simulateurs), les matériels nécessaires à la formation dans les écoles militaires, les dépenses d’investissement du service de santé des armées, du service des essences des armées et de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information, les achats de véhicules des bases de défense, les matériels de servitude portuaire et aéroportuaire, les moyens d’avitaillement et d’amarrage, les moyens de lutte contre l’incendie, ou encore les systèmes d’information d’administration et de gestion ;

‒ l’opération stratégique « Entretien programmé du personnel » (EPP), qui rassemble les dépenses du programme 178 relatives aux acquisitions d’équipements lourds de restauration collective, à l’habillement du personnel militaire et au « soutien de l’homme » en vivres et en matériels opérationnels.

Le classement d’une opération d’acquisition d’équipement dans l’une de ces trois catégories n’est pas réglé par des critères absolument stricts. L’encadré ci-après présente les pratiques en la matière.

Placement des programmes dans les différents agrégats budgétaires

Le classement d’une opération d’armement dans la catégorie PEM ou AOA, au programme 146 « Équipement des forces », résulte de décisions ministérielles et est matérialisé par l’inscription dans la liste des opérations d’investissement.

Le classement entre PEM et AOA se fait principalement par le coût, la complexité de l’opération et sa durée : en moyenne, les seuils retenus sont de deux ordres :

‒ un critère financier : un coût d’environ 100 millions d'euros ;

‒ un critère de durée : une durée d’environ trois ou quatre ans.

Par ailleurs, à la différence des « équipements d’accompagnement et de cohérence » (EAC) qui relèvent d’achats sur étagère au programme 178 « Préparation et emploi des forces », les AOA, sous maîtrise d’ouvrage de la DGA, comportent généralement une part de développement.

Source : Direction générale de l’armement.

L’amiral Thierry Durteste a expliqué que, lors de la présentation du projet de loi de programmation militaire en 2018, les matériels cités par la ministre pour illustrer l’effort « à hauteur d’homme » relèvent de la catégorie des EAC, mais que cet agrégat n’est ni exhaustif ni bijectif ‒ c’est-à-dire que tous les équipements d’accompagnement et de cohérence ne sont pas des « petits » équipements.

En effet, l’habillement, des équipements tels que le matériel de soutien en campagne (par exemple les douches et les tentes) ou celui de restauration collective, sont financés par diverses lignes budgétaires appartenant à l’opération stratégique « Entretien programmé du personnel » (EPP) inscrit à un budget opérationnel de programme (BOP) dont le responsable est le chef d’état-major des armées, et dont la gestion est confiée au service du commissariat des armées.

De plus, certains équipements que l’on peut qualifier de « à hauteur d’hommes » sont également acquis au moyen de crédits inscrits au programme 146 « Équipement des forces » et relevant, au sein de ce programme, de l’opération stratégique AOA. Tel est le cas, par exemple :

‒ pour l’armée de terre : des jumelles de vision nocturne, des équipements de guidage laser, de certains systèmes d’information, des fusils HK 416F, des fusils de haute précision semi-automatiques, des pistolets semi-automatiques ou encore des mini, micro et nano-drones ;

‒ pour la marine nationale : de certaines munitions, de remorqueurs, mais aussi de simulateurs « métiers », qui permettent aux marins d’apprendre à employer ou à entretenir leurs équipements avant d’embarquer ;

‒ pour l’armée de l’air : des radios, des protocoles cryptographiques et des systèmes de télécommunication.

Ainsi, les pratiques sont telles, que la plus grande part des équipements que l’on peut qualifier de « petits » ou rapporter à l’effort « à hauteur d’homme » ‒ infrastructures mises à part ‒ se trouvent financés au titre des opérations stratégiques AOA, EAC et EPP.

ii.   Des règles de gestion budgétaires différentes

Si les « grands » programmes d’armement sont clairement identifiés dans la nomenclature budgétaire, tel est loin d’être le cas des autres. En effet, les crédits relevant des opérations stratégiques EAC et EPP des programmes178 et 212 ‒ ainsi que, dans une large mesure, des financements de la catégorie AOA du programme 146 ‒ sont gérés année après année suivant une logique « de flux », c’est-à-dire d’enveloppes plus globales que les actions et sous-actions qui identifient les PEM du programme 146.

Pour technique que puisse paraître cette distinction, elle n’en revêt pas moins un enjeu majeur : dans la gestion des tensions et des aléas budgétaires ‒ qui n’ont pas été rares ces dernières décennies ‒, les arbitrages défavorables sont plus faciles à faire porter sur ces enveloppes larges que sur des « grands » programmes emblématiques, réglés suivant des calendriers pluriannuels complexes et clairement identifiés dans la nomenclature budgétaire. En conséquence, dans la pratique, les « petits » équipements ont cette caractéristique commune d’avoir un financement plus fragile que les « grands ».

2.   Un ensemble d’équipements essentiel

Le qualificatif de « petit » attaché aux équipements dont il est question dans le présent rapport d’information pourrait être lu avec une connotation péjorative, donnant l’impression que les matériels en question auraient moins d’importance que les « grands ». Si un tel penchant n’a peut-être pas toujours été absent de certains arbitrages budgétaires, y céder serait faire bon marché de l’importance de ces « petits » équipements à deux égards au moins :

– nos capacités opérationnelles dépendent de la cohérence capacitaire de nos forces, laquelle serait compromise si l’effort était réparti de façon déséquilibrée entre « petits » et « grands » équipements ;

– même de « petits » équipements peuvent avoir une plus-value opérationnelle incontournable, tant sur le plan tactique que sur celui du moral des troupes.

a.   Un ciment indispensable aux grands programmes

Les rapporteurs reprennent pleinement à leur compte la métaphore très éclairante du général Charles Beaudouin, selon laquelle les « petits » équipements sont aux « grands » ce qu’aux briques d’un mur est le ciment qui les lie.

Cette image dit bien l’enjeu qui s’attache à la cohérence capacitaire des armées : leur efficacité opérationnelle ne se mesure pas seulement au nombre de chars, de grands navires ou d’avions de combat qu’elles possèdent, mais à la cohérence de leur équipement. Cette cohérence serait affaiblie si, à côté de « grands » équipements modernes, les « petits » équipements de nos armées ne suivaient pas. Un tel déséquilibre serait particulièrement préjudiciable à une puissance qui, comme la France, ne répugne pas à engager ses forces au sol, voire à pied – « boots on the ground » –, là où d’autres s’en tiennent à des opérations éloignées des menaces immédiates.

b.   Un impact important sur le moral et l’efficacité opérationnelle des armées

L’importance des « petits » équipements ne se mesure pas seulement à ce qu’ils apportent aux « grands » dans la cohérence capacitaire de nos forces : en eux-mêmes, ils ont un impact opérationnel qui n’est pas à négliger, que ce soit sur le plan tactique ou sur celui du moral.

 

i.   L’impact opérationnel parfois sous-estimé des « petits » équipements

L’intérêt opérationnel n’est pas à démontrer dans le cas de certains « petits » équipements, tels que les armes légères, les équipements de protection ou les matériels de transmission.

Notons d’ailleurs que le général Charles Beaudouin a fait valoir que ces « petits » équipements, si l’on entend par là ceux que porte le soldat – par exemple, le fusil, le gilet pare-balles, ainsi que les moyens d’observation, de tir et de communication qui équipent le trinôme de base de l’opération Sentinelle – revêtent une importance particulière dans l’armée de terre, dans la mesure où l’activité de celle-ci a la particularité de reposer sur un niveau de subsidiarité très important. Le général a expliqué en effet qu’un militaire du rang de l’armée de terre doit assumer seul de très sérieuses responsabilités – par exemple le fait de tirer ou non sur l’ennemi –, qui incombent à des militaires plus gradés dans les autres armées, engagées le plus souvent engagés en actions collectives. Pour lui cette « responsabilité en subsidiarité, du général au simple soldat » est même « l’ADN de l’armée de terre » ; elle ne rend que plus importante la qualité du « petit » matériel qu’emporte le soldat.

Il ne faut pas négliger l’impact de la qualité de certains matériels, même en apparence plus anodins que les armes, sur le potentiel opérationnel des soldats.

S’agissant ainsi, par exemple, des effets d’habillement, le général Charles Beaudouin a indiqué que l’armée de terre n’employait pas le terme d’« habillement », lui préférant celui d’« équipement individuel du combattant », ce qui permet, a-t-il expliqué, de mettre davantage l’accent sur la dimension opérationnelle de ce matériel. En effet, pour l’armée de terre, « même le treillis est un système d’arme à part entière ». Ce sont d’ailleurs le programme FÉLIN ([3]) et les opérations en Afghanistan qui ont « révolutionné » complètement l’équipement individuel du combattant. La dureté des combats de ce théâtre d’opérations a en effet imposé la confection d’une nouvelle tenue calquée sur les équipements de la gamme FÉLIN, protégeant davantage le soldat, avec pour conséquence que « la silhouette du soldat a complètement changé en deux ans ».

Ainsi, pour simple qu’ils paraissent, ces équipements individuels doivent protéger le combattant contre trois types d’agressions : les coups directs et indirects infligés par tous types d’armes ; des « agressions physiques du milieu terrestres », c’est-à-dire les aspérités du terrain ; des intempéries et du froid. Pour l’heure, a estimé le général, la programmation en application de la LPM permettra d’atteindre complètement le premier de ces trois objectifs, à savoir la protection contre les coups et partiellement les autres.

Dans le même ordre d’idées, les rapporteurs se sont fait présenter l’ensemble des équipements du soldat par les militaires du 92e régiment d’infanterie, à Clermont-Ferrand, y compris un article en apparence anodin : les chaussures. Comme l’ont expliqué les militaires, l’enjeu n’est pas seulement de l’ordre du confort : un soldat qui attrape des ampoules ou des mycoses devient rapidement inapte. Or – ce sont là des faits bien connus –, les Rangers traditionnelles, en dotation depuis l’immédiate après-guerre, ne brillaient pas par leur confort et, lors de l’opération Serval au Mali, les militaires engagés en opérations dans des zones chaudes et désertiques telles que l’Adrar des Ifoghas ont eu la désagréable surprise de voir les semelles de leurs chaussures se décoller. Si l’affaire n’avait pas été aussi risquée, on conclurait de ces cas que l’on ne saurait mieux illustrer ce que peut être un « talon d’Achille ».

ii.   Un impact sur le moral à ne pas à négliger

L’une des premières déclarations qu’ont faites aux rapporteurs les membres de la délégation du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) qu’ils ont entendue ([4]) consistait à souligner que la qualité des matériels « du quotidien » contribue beaucoup au moral des militaires. Ils ont d’ailleurs rappelé que cet effet sur le moral n’est perceptible qu’à partir du moment où les militaires en voient les effets concrets, c’est-à-dire moins au moment de la promulgation d’une loi de programmation militaire ou de la commande de matériels qu’à celui de leur livraison dans un nombre significatif d’unités.

Les rapporteurs soulignent que rien de ce qui concourt à l’attractivité de la vie militaire ne saurait être négligé, en particulier dans une période où la gestion des ressources humaines des armées est doublement affectée par des tensions dans le recrutement de nouveaux militaires et dans la « fidélisation » – c’est-à-dire l’incitation à « rempiler » – de ceux qui sont déjà dans les rangs.

En effet, comme l’a dit le général Frédéric Parisot, « chaque aviateur est potentiellement un agent recruteur » – constat qui vaut d’ailleurs pour les trois armées. Selon lui, l’équipement des aviateurs, grâce à l’image de modernité et d’avance technologique de l’armée de l’air qu’il renvoie, est un facteur de recrutement. L’équipement des personnels – « au juste besoin, c’est-à-dire avec des effets adaptés à leur mission » – constitue donc un atout supplémentaire pour l’attractivité. À l’inverse, un personnel ne disposant pas des effets nécessaires pour accomplir sa mission « ne communiquera pas de façon appropriée et ainsi ne véhiculera pas un message adapté au recrutement ».

L’un des griefs qui reviennent le plus dans l’appréciation des militaires sur leurs « petits » équipements tient à leur habillement. Les rapporteurs se sont donc attachés à analyser cette « crise de l’habillement » – à laquelle ils consacrent des développements précis infra – et soulignent ici l’impact que cette crise a sur le moral des militaires.

Comme l’a dit l’amiral Thierry Durteste, l’habillement est l’objet d’une « crise profonde depuis plusieurs années », au point de devenir un « point dur récurrent » dans les rapports sur le moral et les autres instruments d’appréciation de la situation des unités.

Il a indiqué que la marine a demandé au service du commissariat des armées de concentrer ses efforts de traitement de la crise, en priorité, sur les marins récemment incorporés. Ce choix s’explique l’importance symbolique, pour un jeune marin, d’être doté d’un uniforme et d’un paquetage identique à ceux de ses camarades, tant pour développer son sentiment d’appartenance à la marine que pour qu’il puisse donner une bonne image la marine à l’extérieur, en particulier auprès de ses proches. L’habillement est à ce titre, selon l’amiral, un élément clef du recrutement et de la fidélisation ‒ il en va d’ailleurs de l’habillement comme de l’ensemble de l’équipement « à hauteur d’homme », sur lesquels la marine mise pour éviter l’« érosion » des personnels les plus anciens. L’objectif qu’a fixé la marine consiste à ce que tous les marins disposent d’un sac complet un mois au plus tard après leur incorporation. Selon l’amiral, cet objectif est aujourd’hui presque atteint, au prix cependant d’une réduction au strict minimum de la liste des effets contenus dans ledit « sac ».

B.   Les « petits » Équipements, variable d’ajustement des ressources des armÉes

En dépit de leur importance dans l’équipement de nos armées et du sérieux des enjeux qui s’attachent à leur qualité, les « petits » équipement apparaissent aujourd’hui comme le parent pauvre de nos arsenaux. La situation évoque même une dangereuse tendance à la paupérisation des armées – ou, à tout le moins, au mitage de leurs capacités – qui s’opère paradoxalement « par le bas », c’est-à-dire par les équipements qui ne sont pourtant ni les plus complexes, ni les plus coûteux.

Les causes de cette tendance sont à rechercher en premier lieu dans le sous-financement chronique de ces « petits » équipements. Mais ces causes budgétaires directes ne sont pas les seules à l’œuvre : en réalité, pour certains de ces « petits » équipements, la modernisation des matériels et les approvisionnements ont également pâti beaucoup des grandes réformes structurelles des années 2000 et 2010 – elles-mêmes motivées par la recherche d’économies via l’« optimisation » de fonctions de soutien.

1.   Un sous-investissement chronique

Le tableau suivant présente l’évolution de la part des dépenses consacrées aux « petits » équipements – c’est-à-dire des opérations stratégiques EAC, AOA et EPP – dans les trois programmes concernés de la mission « Défense » : les programmes 178 « Préparation et emploi des forces », 212 « Soutien de la politique de défense » et 146 « Équipement des forces ».

Part des crÉdits consacrés aux « petits » Équipements
dans les programmes budgÉtaires concernés en euros courants crÉdits consommés

 

Année

Part de l’EPP dans le programme 178

Part des EAC dans le programme 178

Part de l’EPP dans le programme 212

Part des AOA dans le programme 145

LR 2011

2,86 %

10,86 %

5,20 %

16,70 %

LR 2012

3,10 %

10,40 %

6,60 %

15,00 %

LR 2013

5,30 %

9,00 %

7,90 %

11,70 %

LR 2014

3,29 %

9,60 %

6,40 %

14,00 %

LR 2015

3,40 %

9,70 %

7,00 %

21,00 %

LR 2016

3,40 %

11,70 %

6,00 %

13,00 %

LR 2017

3,00 %

11,00 %

7,00 %

14,00 %

LR 2018

3,91 %

10,13 %

6,18 %

12,92 %

LR 2019

3,00 %

11,00 %

7,00 %

14,00 %

Source : rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement pour les années 2011 à 2019, retraitements des rapporteurs.

Ces chiffres font clairement apparaître, d’une part, que le poids des « petits » équipements dans les programmes budgétaires concourant à l’équipement des forces est modeste et, d’autre part, qu’il tend à décroître, particulièrement s’agissant des AOA. Et encore, comme le précise notre collègue Jean-Charles Larsonneur dans son avis sur les crédits de l’équipement des forces et de la dissuasion inscrits au projet de loi de finances pour 2019, faut-il rappeler que modeste rehaussement de ce poids en 2015 et 2016 est lié à des mesures conjoncturelles prises lors de l’actualisation de la programmation militaire pour financer en 2015 et en 2016 l’augmentation de l’effectif de la force opérationnelle terrestre ainsi que l’acquisition des roquettes pour les systèmes de lance-roquettes unitaires et pour l’hélicoptère Tigre.

Cette tendance à réduction de la part des AOA dans les dépenses d’armement résulte manifestement de choix consistant, dans une période de fortes contraintes budgétaires, à privilégier le financement des équipements jugés les plus emblématiques ou les plus structurants – les programmes à effet majeur –, au détriment de celui de « petits » équipements.

Comme le souligne notre collègue récité, « une telle manœuvre a cependant ses limites, en ce que, si elle est répétée plusieurs années de suite, elle pèse sur la cohérence de notre politique d’armement, garantie de notre modèle d’armées complet ». Or il apparaît clairement que cette tendance dure depuis plusieurs années déjà. Elle établit donc le niveau de financement de nos « petits » équipements à un niveau que les autorités militaires jugent insuffisant pour nous parer du risque d’un « mitage » de nos capacités. Ainsi, le général Charles Beaudouin a expliqué que l’armée de terre évalue à 500 millions d’euros par an les crédits d’AOA dont elle a besoin pour entretenir ses capacités, mais que ce seuil n’a plus été atteint depuis 2013. Après avoir touché un point bas en 2015, à 300 millions d’euros, ce montant devrait retrouver son niveau de 2013 qu’en 2025. L’encadré ci-après présente les conséquences de ce sous-financement.

Illustration des conséquences d’un sous-financement
des « autres opérations d’armement »

● Le financement des « petits équipements »

Si la LPM de 2018 met l’accent sur l’équipement « à hauteur d’homme », son exécution doit être suivie avec attention sur ce point.

En effet, les crédits finançant ces équipements voient leur hausse programmée, mais les besoins sont si importants que cette croissance ne suffira pas à pourvoir à tous.

Ainsi, pour le cas de l’armée de terre, le général Bernard Barrera a rappelé que le montant des AOA est encore en baisse en 2019, avec 300 millions d’euros environ. Les crédits d’AOA sont en effet nécessaires pour financer le comblement de nombre de faiblesses capacitaires. Mais compte tenu des impasses des deux précédentes périodes de programmation, la liste des besoins est longue.

Le général a cité à ce titre l’exemple d’un équipement de guidage laser dont l’armée de terre ne possède que 20 exemplaires, alors qu’elle dispose de 120 équipes formées à son utilisation, conformément à son contrat opérationnel. Pour accélérer les livraisons, il s’est même dit ouvert à des solutions de leasing pour certains équipements, comme les umelles de vision nocturne, qui se « périment » rapidement.

Ainsi, par exemple, les programmes de systèmes d’information constituent un point de vigilance. En effet, si le programme de système d’information des armées (SIA) prenait du retard ‒ ce qui n’est pas exclu pour le major-général de l’armée de terre ‒, le risque de « rupture de numérisation » n’est pas nul pour une armée dont le système de commandement des forces est d’ores et déjà « déclassé ».

Autre exemple, une vingtaine de radars tactiques sera hors-service dans les prochaines années, or seulement cinq nouveaux radars seront livrés d’ici 2025. Le général Bernard Barrera a jugé que les livraisons programmées étaient « un peu tardives au regard des évolutions prévisibles de la menace », la « déconfliction » et la « coordination 3D » constituant des capacités « de plus en plus cruciales ». Il a estimé que le vieillissement des radars actuels ne laisserait vraisemblablement d’autre option que des acquisitions non‑programmées, faites au titre des urgences opérationnelles.

De façon générale, il a rappelé que les AOA ont souvent tendance à se trouver « écrasées par les programmes à effet majeur », risque qui appelle un suivi rigoureux de l’exécution de la programmation.

● Les stocks de munitions

Les stocks de munitions paraissent, pour certains, avoir atteint aujourd’hui un niveau minimal. Dans le cas de la marine, par exemple, le chef d’état-major de la marine nationale a indiqué au rapporteur pour avis que les niveaux des stocks de munitions sont inférieurs aux besoins, tant pour les munitions simples financées sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » que pour les munitions complexes, dont l’acquisition relève du programme 146 et la maintenance du programme 178.

C’est en 2021 que les stocks de munitions simples, de bouées et de leurres par exemple, retrouveront leurs niveaux de référence. La situation est plus compliquée pour les munitions complexes. Le constat est le même pour les autres armées. Il appelle une certaine vigilance et, le cas échéant, l’engagement des dépenses nécessaires à la reconstitution des stocks.

Source : avis n° 1306, tome VII, fait par notre collègue Jean-Charles Larsonneur sur les crédits de l’équipement des forces et de la dissuasion inscrits au projet de loi de finances pour 2019, octobre 2018.

La même dynamique est bien entendu à l’œuvre dans autres armées. Ainsi, par exemple, le général Frédéric Parisot a présenté aux rapporteurs l’impact des sous-financements des années passées en matière d’équipement aéronautique, notamment pour le renouvellement des matériels d’escale et de transit tels que les escaliers pour passagers ou les plateformes de chargement et de déchargements. Ces matériels sont aujourd’hui vieillissants, et obligent les bases aériennes à avoir recours à « des solutions palliatives de dernière minute ». Il en va de même pour certains matériels de maintenance aéronautique tels que les barres de tractages d’aéronefs ou encore les groupes hydrauliques pour avion de chasses. Le général a également signalé que, compte tenu de l’évolution rapide des technologies, l’outillage spécifique en particulier pour le contrôle non destructif (CND) n’est pas régulièrement renouvelé du fait des contraintes budgétaires.

2.   Les effets à retardement des grandes réformes structurelles des années 2000 et 2010

Les causes du sentiment de paupérisation des armées du point de vue de leurs « petits » équipements tiennent au sous-financement de ces matériels pour une large part, mais pas de façon exclusive : il ressort clairement des travaux des rapporteurs que des causes structurelles sont également à l’œuvre. Elles sont en effet à chercher dans les restructurations opérées au sein des armées, directions et services du ministère des Armées dans le sillage de la révision générale des politiques publiques (RGPP), à deux égards au moins :

– ces réformes, quoique très profondes, ont été menées « tambour battant », et parfois même avec une précipitation qui s’est avérée très préjudiciable à la qualité du service rendu : il n’est qu’à songer au cas du logiciel Louvois pour s’en convaincre ;

– dans l’organisation qui ressort de ces réformes, les responsabilités sont souvent partagées, voire entremêlées, ce qui ne favorise pas une prise en compte exacte et rapide des besoins des armées.

a.   Les vicissitudes des politiques d’« optimisation » de la dépense

i.   Des effets perturbateurs des restructurations profondes conduites dans les années 2000 et 2010

Les années 2000 et 2010 auront vu un profond bouleversement de l’organisation des armées, en particulier pour les fonctions dites « de soutien ». C’est en effet de façon délibérée, en vue de limiter autant que possible les dissolutions d’unités combattantes, que les restructurations ont pesé pour la plus grande part sur les fonctions de soutien, y compris les approvisionnements en « petits » équipements.

Sans entrer ici dans une présentation détaillée des enjeux et des modalités de ces réformes, auxquels la commission a déjà consacré nombre de travaux, les rapporteurs rappellent simplement que l’objectif majeur de ces réformes était bien de réaliser des économies – tant en crédits qu’en emplois. Pour ce faire, tout en limitant la dégradation du service rendu aux militaires, il a été choisi de mettre en œuvre des méthodes d’« optimisation » consistant, la plupart du temps, à fusionner au sein d’organismes interarmées certaines fonctions de même nature opérées jusqu’alors par chaque armée séparément – et à accompagner cette réforme de réductions d’effectifs et de crédits.

S’agissant des « petits » équipements, la réforme la plus importante concerne la fusion des trois commissariats d’armées au sein d’un service du commissariat des armées (SCA), chargé à peine créé de réduire drastiquement ses effectifs et de mettre en œuvre nombre de chantiers de RGPP ; l’encadré ci-après présente cette ambitieuse manœuvre.

La fusion des trois commissariats d’armées

● Les trois commissariats d’armées ont été regroupés en un seul service du commissariat des armées (SCA). Cette fusion a été opérée très rapidement : décidée en avril 2008 dans le cadre de la RGPP, elle était accomplie dès le 1er janvier 2010, et le service devait poursuivre sa « montée en puissance » – c’est-à-dire la restructuration des entités qu’il a fédérées – jusqu’en 2014. Au terme de cette réforme, le service a connu une déflation très importante de ses effectifs : alors que les trois commissariats préexistants comptaient 11 650 agents, ses effectifs s’élèvent aujourd’hui à 6 500 personnes – 5 100 agents ayant été transférés aux bases de défense –, et atteindront 4 000 agents en 2014.

Le service est également engagé dans une restructuration profonde de ses structures : alors qu’il comptait 93 organismes fin 2009, il n’en possédait plus que 34 en 2014.

● Une nouvelle réforme a suivi celle de 2010 : dans une logique de simplification, les groupements de soutien de base de défense ont en effet été rattachés au SCA le 1er septembre 2014. Si la réforme des bases de défense avait permis de réaliser des économies par la mutualisation de fonctions au niveau local, l’organisation s’était révélée trop complexe pour les formations soutenues et source d’une dégradation des prestations rendues.

Tout en persévérant dans la réforme des bases de défense, il a donc été décidé d’adopter une logique verticale, dite « de bout en bout » en complément de la logique de regroupement des fonctions des bases de défense.

● Depuis l’adoption du modèle « SCA 22 » en 2014, le service développe donc une expertise dans huit filières de soutien :

– habillement ;

– gestion de « base vie », c’est-à-dire

– soutien de l’homme ;

– restauration ;

– hébergement ;

– assistance juridique ;

– droits financiers individuels ;

– formation.

Ces filières sont animées par des « métiers » : achats, finances, logistique, juridique.

Sources : rapport d’information n° 1353 sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense, présenté par Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot, septembre 2013, et avis n° 277, tome III, fait par notre collègue Claude de Ganay sur les crédits du soutien et de la logistique interarmées inscrits au projet de loi de finances pour 2028.

Toute réforme ambitieuse comporte des risques sérieux de perturbation du service si elle est menée dans une certaine précipitation – en particulier si les systèmes d’information censés permettre d’« optimiser » les ressources ne sont pas fonctionnels avant que les réductions d’effectifs et de dotations financières, elles, sont opérées. Tel a été le cas avec la création du service du commissariat des armées et la mise en œuvre concomitante d’ambitieux chantiers de réforme dans tous ses champs de compétence.

ii.   Un cas d’école : la « crise de l’habillement »

Lorsque les rapporteurs ont reçu des délégations du CSFM et des représentants d’associations nationales professionnelles de militaires (APNM), c’est unanimement que ces représentants des personnels militaires ont signalé que l’habillement est un sujet de forts mécontentements, et parfois de tensions locales entre les unités et les membres du service du commissariat des armées. Les problèmes, ont-ils rappelé, concernent la qualité mais aussi et surtout la quantité de stocks disponibles, les ruptures de stocks étant fréquentes.

Cette crise est d’ailleurs parfaitement reconnue par le commandement. Ainsi, l’amiral Thierry Durteste, estimant que la marine est l’armée la plus touchée par cette « crise de l’habillement » dans la mesure où celle-ci concerne à la fois les tenues de combat, de travail et de sortie, a indiqué que les marins déplorent :

l’impossibilité de renouveler les effets dont ils ont besoin dans des délais compatibles avec leurs missions ;

des problèmes de qualité récurrents pour certains effets, notamment les chaussures de sécurité et les « tenues de protection de base », c’est-à-dire la tenue d’uniforme portée habituellement à bord des bâtiments de la flotte.

Ce constat est partagé dans les trois armées. Dans le cas de l’armée de l’air, par exemple, le général Frédéric Parisot – faisant observer que c’est au sein l’armée de l’air qu’a été mesuré le taux le plus bas de qualité de service rendu en matière d’habillement – a d’ailleurs ajouté que tout changement de fournisseur vaut aux armées quelques problèmes, car la teinte précise et les tailles ont tendance à varier d’un fournisseur à un autre.

Le commissaire général Stéphane Piat, directeur central du service du commissariat des armées, a fait valoir que, au moment de sa prise de fonction en 2017, l’habillement était une composante « structurellement en difficulté », tant pour des raisons de sous-équipement informatique de de faiblesse des liens avec les fournisseurs.

Ainsi, en premier lieu, le caractère structurel de la « crise de l’habillement » tient à l’absence d’un système d’information unique de suivi des stocks et des commandes, alors même que le service du commissariat des armées doit gérer environ 32 000 référencements différents et des effets d’habillement dont les règles de gestion sont très hétérogènes entre les trois armées.

Le service a en effet aggloméré les trois commissariats d’armées, dotés chacun de leur propre système d’information. L’informatisation du service s’était alors concentrée sur la « partie haute » de la « supply chain », c’est-à-dire les entrepôts les plus importants, aux dépens des groupes de soutien de base de défense les plus petits. Le commissaire général hors classe Stéphane Piat a expliqué que quinze GSBdD – qu’il dénomme « GSBdD socles » en raison de leur taille, de leur capacité de stockage et de leur situation géographique par rapport aux lieux de présence des forces – sur les 50 qui existent sont dotés d’un système d’information modernisé, fourni par SAP, mais que les autres groupements utilisent encore d’anciens systèmes d’information – précisons toutefois ces systèmes anciens seront modernisés et seront « interfaçables » avec les systèmes SAP des entrepôts centraux dès 2021, soit onze ans après la création du service.

Face à ces faiblesses, un nouveau système d’information unique avait été envisagé en 2013-2014. Le ministère de la défense avait alors privilégié un développement « en régie optimisée » – c’est-à-dire essentiellement en interne – du nouveau logiciel, plutôt qu’un logiciel au développement externalisé, comme cela avait déjà été fait pour la gendarmerie nationale. Or ce logiciel développé « en régie » présentait des performances très insuffisantes. Le directeur central a donc, avec ses équipes, « démonté le moteur » afin de réorganiser l’ensemble de la fonction habillement.

En second lieu, la crise structurelle de l’habillement dans les armées tient aussi à la faiblesse des relations entre le service et le tissu industriel de ses fournisseurs. En effet, a expliqué le directeur central la faiblesse des moyens financiers alloués au service du commissariat des armées durant les précédentes lois de programmation militaire et son incapacité à suivre avec précision les stocks d’habillement – donc d’en exprimer le besoin aux industriels – ont empêché ce dernier d’établir des commandes stables d’une année sur l’autre, offrant ainsi trop peu de visibilité à long terme à ses fournisseurs, et compliquant d’autant ses relations avec ces derniers. Il a en effet précisé que 80 % des industriels fournisseurs du Service du commissariat des armées sont français, et 60 % sont des PME.

Selon le directeur central, le vrai « tournant » en matière de suivi des stocks et de possibilité de contractualisation a eu lieu en 2018-2019, avec le développement d’un algorithme mesurant la consommation d’habillement au sein des armées, permettant ainsi au service du commissariat des armées d’exprimer son besoin et d’anticiper ses commandes d’habillement. Dès lors, le service a pu développer ses relations avec ses fournisseurs dans le cadre d’une politique contractuelle à long terme.

Outre une profonde reprise technique de son système d’information logistique, le service du commissariat des armées mise sur deux efforts complémentaires pour résoudre la « crise de l’habillement » : le déploiement d’un logiciel de distribution par correspondance de nouvelle génération (DPC-NG) et la construction d’un établissement d’un entrepôt central pour l’habillement, à savoir l’établissement logistique du commissariat des armées (ELOCA) à Châtres. Ces deux mesures doivent permettre des « gains d’efficacité logistique colossaux ».

Le système de distribution par correspondance de nouvelle génération sera accessible non seulement depuis les ordinateurs de travail reliés à l’intranet du ministère des Armées, mais aussi depuis les smartphones des personnels. Selon leurs représentants, ce système était très attendu par les militaires ; il a été inauguré jeudi 9 juillet par la secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées Geneviève Darrieussecq. Le directeur central a précisé que le calendrier de déploiement de ce portail de commande prévoit que l’armée de l’air en sera la première équipée, dès octobre 2020, suivie de la marine nationale fin 2020 et de l’armée de terre début 2021. Ce calendrier est en grande partie motivé par les marges d’amélioration du taux de satisfaction sur la qualité du service en matière d’habillement : l’armée de l’air, en raison de l’éclatement géographique de ses magasins – un magasin pour chaque base aérienne – et de l’ancienneté de son système d’information logistique, enregistre les taux de satisfaction les plus faibles des trois armées.

Quant à l’établissement logistique du commissariat des armées construit à Châtres, s’il n’a pas été entièrement automatisé pour des raisons sociales, il est néanmoins quatre fois plus productif que l’ancien entrepôt qui occupait le même site, en employant un nombre de personnels identique à ce dernier – soit 100 personnels en très grande majorité civils.

Le général Frédéric Parisot a ajouté que dans l’évaluation des offres présentées aux marchés, les parts relatives des notes techniques et des notes financières ont été revues de façon à donner davantage de poids aux premières dans la formation par l’allocation des marchés ; selon lui, « l’effet de cette mesure s’est bien fait ressentir ».

De façon générale, les efforts consentis sous l’égide du commissaire général Stéphane Piat sont décrits par le commandement comme « remarquables et remarqués », constituant une véritable « révolution » du commissariat en vue de fournir aux militaires un équipement adapté en tous lieux et en tout temps, même si tous les résultats ne sont pas encore visibles.

Selon le directeur central du service du commissariat des armées, l’harmonisation des systèmes d’information et la réorganisation de la distribution en matière d’habillement ont permis d’enclencher un « cercle vertueux » qui « commence à payer », le taux de rupture de stocks étant passé de 10 % à moins de 2 % en un an. De fait, a-t-il fait valoir, les taux de satisfaction sur la qualité du service en matière d’habillement mesuré par le Service du commissariat des armées de juin 2020 sont les meilleurs depuis de nombreuses années : ils s’établissent à 48 % dans l’armée de l’air, 68 % dans l’armée de terre, 72 % dans la marine nationale et 92 % dans les services interarmées.

Il s’est dit toutefois conscient que le rétablissement de l’image du service du commissariat des armées, très dégradée en raison de cette crise, prendra du temps.

b.   Une imbrication des responsabilités complexe

Qui est in fine responsable du bon approvisionnement matériel des soldats ? La réponse est d’une obscure clarté. Aux yeux des rapporteurs, la répartition des responsabilités dans l’approvisionnement des soldats en « petits » équipements est en effet particulièrement complexe, ce qui ne peut pas faciliter une réponse rapide et adaptée aux besoins des armées en la matière.

i.   Une répartition des compétences ne prenant pas en compte les spécificités des armées

Comme l’a expliqué le général Charles Beaudouin, la répartition des compétences en matière de « petits » équipements, en fonction des agrégats budgétaires auxquels ces équipements sont rattachés :

– les agrégats budgétaires « Programmes à effet majeur » (PEM) « Autres opérations d’armement » (AOA) sont placés sous la responsabilité commune de la DGA et de l’état-major des armées ;

– les équipements relevant du budget opérationnel de programme (BOP) « Soutien des forces », tels que les treillis et couteaux de combat, sont gérés par le service du commissariat des armées, sous l’égide de l’état-major des armées. Ainsi, s’agissant par exemple de l’habillement, le commissariat gère une enveloppe financière globale pour les achats des trois armées, des directions et des services du ministère – n’oublions pas en effet que l’habillement les concerne aussi – et c’est l’état-major des armées qui arbitre entre les demandes des armées, directions et services placés en fonction des priorités et de l’enveloppe globale octroyée, pour décider de la dotation accordée à chacun ;

– pour ce qui concerne les équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC), cet agrégat budgétaire est quant à lui placé sous la responsabilité du chef d’état-major de chaque armée, à raison de ses fonctions de responsable de budget opérationnel de programme. Celui-ci fixe ainsi des objectifs à chaque unité opérationnelle – dans le cas de l’armée de terre, par exemple, il s’agit de la structure interarmées du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) et de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé).

Ainsi, une armée a donc la responsabilité des EAC qui lui sont destinés, mais pas des PEM et des AOA, et pas davantage des achats qui relèvent du BOP « Soutien des forces ». En tout état de cause, chaque état-major d’armée a néanmoins un rôle de prescripteur : définissant l’ensemble des caractéristiques voulues :

via des fiches d’expression de besoin, il définit les caractéristiques fonctionnelles et techniques attendues des matériels, en particulier leur performance, ainsi que la quantité de matériel souhaitée, conformément à la programmation militaire ;

– il définit l’ordre de priorité des besoins et des unités à équiper ;

– il alloue les crédits nécessaires dans les cas où il en est le responsable.

Il faut préciser qu’en revanche, les armées ne sont pas directement en charge de l’approvisionnement et de l’entretien de ses équipements : elles n’ont jamais de rôle d’acheteur direct.

Elles s’appuient pour cela sur les directions ou services de soutien spécialisés, indépendamment de l’origine du financement desdits équipements ; en fonction du type de matériel, il peut s’agir du service du commissariat des armées, du service interarmées des munitions (SIMu), de la DGA, de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), du service de soutien de la flotte (SSF) ou encore de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) – selon des procédures et une comitologie qui varient en fonction du domaine du matériel concerné.

Ces services, dont la plupart ne relèvent pas de l’autorité hiérarchique directe des chefs d’état-major d’armées, assurent l’acquisition (appel d’offres, contractualisation, acte d’achat), mais aussi la distribution ainsi que la contractualisation de l’entretien des matériels. Ainsi, les armées ne procèdent à aucune acquisition directe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le tableau ci-après présente cette organisation.

RÉpartition schÉmatique des compÉtences
suivant les sources de financement des « petits » matÉriels

Compétences

AOA

EAC

EPP

Prescription :

- fiches d’expression de besoin

- hiérarchisation des priorités

armées

armées

armées

Allocation des crédits

DGA

armées ou SCA

SCA

Processus d’acquisition :

- appel d’offres

- contractualisation

- acte d’achat

DGA

services interarmées spécialisés*

services interarmées spécialisés

Distribution

DGA

services interarmées spécialisés

services interarmées spécialisés

Contractualisation de la maintenance :

 

services interarmées spécialisés

services interarmées spécialisés

- initiale

DGA

- dans la durée

services interarmées spécialisés

 

 

 

 

* Service du commissariat des armées (SCA), service interarmées des munitions (SIMu), direction générale de l’armement (DGA), structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), service de soutien de la flotte (SSF), ou direction de la maintenance aéronautique (DMAé).

L’ingénieur général de l’armement François Pintart, directeur des opérations de la DGA, a expliqué que, dès que l’achat d’un matériel nécessite un certain niveau d’expertise technique, la DGA est responsable de son acquisition, peu importe la « taille » de l’équipement en question.

La DGA est le maître d’ouvrage des opérations d’armement depuis la conception jusqu’au démantèlement des équipements, et assure à ce titre un double rôle d’intégrateur et d’autorité technique pour les systèmes d’armes spécifiques. Ces responsabilités se distinguent du rôle d’acheteur conféré, d’une part, au commissariat des armées pour l’essentiel de l’équipement des combattants – habillement, petites munitions, denrées périssables ou consommables, etc. – et, d’autre part, aux forces armées qui peuvent effectuer des achats sur étagère de petits équipements et de composants ne modifiant pas l’architecture d’un système d’armes ni les performances associées, ainsi que de la location/vente de matériels.

Les autres puissances occidentales ont-elles retenu une organisation comparable ?

L’organisation de maîtrise d’ouvrage des programmes d’armement de la DGA à son niveau centralisé, depuis la conception jusqu’à la livraison des matériels tout en couvrant ultérieurement leur utilisation, n’a pas d’équivalent au monde.

Enviée de par le spectre des spécificités militaires qu’elle couvre et de par sa réactivité, elle constitue la seule organisation intégrant simultanément la capacité d’ingénierie de systèmes complexes (au niveau capacitaire) jusqu’à la modification ciblée de petits équipements, la capacité d’achats et d’essais des matériels, permettant par ailleurs leurs évolutions sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit.

D’autres organisations gouvernementales centralisées existent, à hauteur des crédits militaires et des équipements de souveraineté recherchés, telles qu’aux États-Unis, en Grande Bretagne, Australie, Inde, Allemagne, sans détenir cette densité de compétences, favorisant le haut niveau de technicité des matériels requis au bénéfice de l’avantage opérationnel des forces armées et de l’attractivité à l’exportation. Seuls les États-Unis ont conduit identiquement à la France une transformation de l’acquisition des systèmes d’armes équivalente à l’instruction n° 1618, favorisant l’achat rapide et/ou la modification-livraison de petits équipements d’armement par méthodes agiles, avec toutefois une organisation bien plus complexe que l’organisation française.

La DGA dispose en outre d’une expertise technique et de moyens d’essai qui permet d’assurer la maîtrise des risques, en particulier de tenir le rôle d’autorité technique et donc de se porter garante de la sécurité des militaires qui mettent en œuvre les matériels acquis. Les armées ne disposent pas d’une expertise aussi poussée et leur transférer davantage de responsabilité pourrait donc présenter des risques. Or il faut souligner que certains « petits » matériels nécessitent une forte expertise technique. Le directeur des opérations de la DGA a cité à ce titre :

– les micro- et nano-drones ;

– les équipements de protection nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ;

– l’optronique ;

– les systèmes de parachutes ;

‒ le système FELIN (« fantassin à équipements et liaisons intégrés »), système modulaire d’armement individuel, pour lequel les dernières notifications, en 2014, ont visé à alléger le système et à le rendre plus efficace en temps chaud, ce qui est cohérent avec nos théâtres actuels d’engagement ;

‒ le système Auxylium, acquis en 2016 au titre des urgences opérationnelles. Il s’agit d’un système permettant aux militaires de l’opération Sentinelle d’obtenir sur un smartphone de gamme commerciale l’ensemble des informations tactiques dont ils ont besoin. Le directeur des opérations a souligné le caractère emblématique de ce projet, développé initialement au titre de l’innovation participative (c’est-à-dire conçu et développé initialement par un militaire sur son temps libre, avec le soutien de la mission « innovation participative » du ministère des armées, aujourd’hui cellule rattachée à l’Agence de l’innovation de Défense). Si la disponibilité des terminaux a connu quelques faiblesses en 2019, un plan d’action conclu avec l’industriel, Atos, devrait permettre de résoudre ce problème en 2020.

Ces exemples montrent qu’en matière de « petits » équipements, les situations sont variées, allant :

‒ de l’achat sur l’étagère à des programmes complexes ;

‒ des grands industriels à des PME, parmi lesquelles le directeur des opérations a cité Novadem, une PME soutenue par la DGA qui fournit des micro-drones déployés aujourd’hui sur le théâtre de l’opération Barkhane.

Pour ce qui relève des trois armées, chacune ayant une spécificité « de milieu » – on entend par là les milieux terrestre, maritime et aérien –, le choix a été fait de confier aux organismes placés sous l’autorité de chaque chef d’état-major d’armée des compétences dépassant le champ organique de l’armée en question, pour s’étendre à l’ensemble des matériels d’un même « milieu ». Ainsi, par exemple, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), qui relève de l’armée de terre, est compétente non seulement pour les matériels terrestres de cette armée, mais pour ceux des trois armées ; de même pour le service de soutien de la flotte (SSF), qui relève de la marine nationale mais traite de tous les équipements navals, ainsi que de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), qui relevait de l’armée de l’air jusqu’à son récent placement sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, et qui est compétente pour tous les matériels aéronautiques des armées.

Ainsi, pour l’armée de l’air par exemple, le partage des responsabilités dans l’acquisition de matériels est le suivant :

– l’expression du besoin reste du ressort de l’armée de l’air ;

– les tests des matériels aéronautiques sont effectués, selon l’équipement, par le centre d’expertise aérienne militaire (CEAM), la division « essais en vol » de la DGA (DGA/EV) ou la division des techniques aéronautiques de la DGA (DGA/TA) ;

– l’équipement des combattants relève de l’armée de terre et de sa section technique (STAT) ;

– l’équipement des plongeurs de l’armée de l’air relève de la marine nationale.

ii.   L’enchevêtrement des autorités investies de responsabilités, cause de délais allongés et de complexités

Bien entendu, les autorités investies de compétences en matière d’équipements ne travaillent pas de façon tout à fait cloisonnée : une « comitologie » organise des mécanismes de dialogue entre eux. Il n’en reste pas moins que cet enchevêtrement de responsabilités a pour conséquences une certaine complexité dans le pilotage de l’équipement des forces, même « petit », et des délais parfois préjudiciables à une réponse rapide aux besoins des armées.

Le partage des responsabilités n’est pas en soi à critiquer, pourvu qu’il comporte des marges de souplesse et, surtout, que les différents services se coordonnent efficacement. On relèvera à cet égard que les relations entre les armées et les services interarmées de soutien – toutes parties prenantes de ce système d’acquisition – sont réglées par des contrats dits « de service », « d’objectifs de performance » ou encore « opérationnels » en vérifiant dans tous les cas l’atteinte, ou non, des objectifs fixés dans les délais souhaités.

En outre, comme le fait valoir la DGA, la répartition des rôles peut varier aussi en fonction du degré d’expertise technique requis. Rappelons, par exemple, que lorsqu’il a pris d’énergiques mesures visant à mettre un terme au scandale que constituait Louvois, le ministre de la Défense avait tenu à ce que le remplacement de ce logiciel défectueux soit confié à la DGA, et conduit suivant les procédures robustes que celle-ci suit pour les programmes d’armement.

La même logique de souplesse, assez pragmatique, est aussi à l’œuvre dans des cas moins graves. L’ingénieur général de l’armement François Pintart a cité l’exemple de la récente acquisition des pistolets semi-automatique pour renouveler les MAS 50 : dans ce projet, s’est posée la question de savoir quel était le service le mieux placé pour effectuer cette procédure, entre la DGA, la section technique de l’armée de terre (STAT) ou la structure interarmées du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT). Il en est ressorti que la sélection du matériel sur étagère a été assurée presque exclusivement par l’armée de terre, mais que celle-ci a préféré que la conduite des opérations juridiques d’acquisition soit assurée par la DGA. De façon générale, c’est dans les rangs du commissariat des armées que se trouvent les compétences d’acquisition au sein des armées, mais, selon la DGA, les commissaires reconnaissent eux-mêmes qu’ils ne peuvent parfois pas se passer de l’expertise de la DGA.

Il ressort de l’ensemble des auditions des rapporteurs que nombre d’acteurs, de toutes catégories – personnels comme autorités, industriels comme utilisateurs – s’accordent à regretter la complexité du système et, en particulier, les délais qu’elle engendre.

Ainsi, par exemple, le général Frédéric Parisot a jugé que les procédures contractuelles existantes sont insuffisamment « réactives », tant en raison des règles procédurales elles-mêmes que du nombre d’intervenants qu’elles mobilisent. À ses yeux, les délais qui résultent de ces procédures ne sont pas satisfaisants lorsque les opérations nécessitent une certaine réactivité ; par exemple, a fait valoir le général, il a fallu plus de six mois pour dépanner des stations délivrant de l’oxygène sur un théâtre extérieur, alors que cet oxygène est indispensable aux missions aériennes.

Ce constat est largement partagé par la troupe. Ainsi, lors de leur déplacement auprès des « Gaulois » du 92e régiment d’infanterie, les personnels de tous grades ont signalé aux rapporteurs que les délais constituent à leurs yeux un écueil des procédures actuelles : entre l’expression de besoin et la livraison, plusieurs années se sont souvent écoulées, et les évolutions technologiques ont pu rendre désuets les produits retenus initialement. Le meilleur exemple de cette situation est le programme Félin, répondant à une expression de besoin des années 1980, et entré en dotation au tournant des années 2010, avec des équipements technologiques déjà un peu datés.

Les processus de certification des matériels rallongent d’autant les délais d’équipement des forces. Le général Parisot a cité à ce titre l’exemple d’un aviateur qui a imaginé un procédé permettant, à bord d’un hélicoptère, de capter par 3G ou 4G les signaux ADS-B ([5]) de chaque appareil présent aux alentours, et d’intégrer ces signaux sur une tablette informatique. L’équipage de l’hélicoptère pourrait ainsi disposer directement et sur un seul support de cette donnée à bord de l’appareil notamment pour des missions de secours. Cependant, la mise en œuvre d’un tel dispositif nécessite, au préalable, que la DGA certifie la possibilité d’utiliser un terminal 3G ou 4G à bord d’un hélicoptère sans risques d’interférences avec les instruments de bord de l’appareil ; l’affaire est en instance auprès de la DGA depuis plus d’un an.

Notons que l’ingénieur général de l’armement François Pintart est revenu sur ce reproche, souvent adressé à la DGA, d’avoir des délais de qualification excessivement longs pouvant retarder des acquisitions de matériels. Il a fait valoir que les armées, pourtant promptes à adresser ce type de critiques, sont les premières demandeuses de ces qualifications, car elles tiennent à connaître les risques afférents à l’usage de leurs équipements. Il a ajouté que les armées peuvent prendre la responsabilité de commencer à utiliser un produit qui n’a pas encore été entièrement qualifié par la DGA. Les armées font donc face à un dilemme entre, d’une part, le souci d’admettre rapidement au service les nouveaux matériels ; d’autre part, celui de connaître et maîtriser les risques de l’emploi de ces matériels dans tous les types d’opérations possibles.

 

Les membres de la délégation du CSFM ont fait valoir qu’entre les orientations favorables de la loi de programmation militaire et leur traduction concrète et visible par les militaires s’écoulent de longs délais qui tiennent, pour une large part, aux procédures d’acquisition des matériels. À cet égard, ils ont regretté d’importantes rigidités dans les procédures d’achat public, à plusieurs égards :

‒ la tendance à la centralisation des procédures d’achat observée depuis vingt-cinq ans a contribué à rendre les procédures plus rigides, voire plus complexes. Ils ont cité l’exemple des ouvre-boîtes dans les cuisines à bord des bâtiments de la marine nationale, pour lesquels il faut un nombre minimal d’articles à commander pour pouvoir lancer une commande : de ce fait, l’acquisition d’équipements aussi simples s’avère paradoxalement complexe ;

– de même, les membres de la délégation ont expliqué qu’il existait une « carte d’achat » permettant aux unités de s’équiper sur étagère, mais que cette dernière requiert au préalable de vérifier s’il n’existe pas déjà un marché sur ce produit couvert par le service du commissariat des armées. Cette recherche de conformité juridique est, selon eux, très chronophage.

Le choix consistant à privilégier de vastes marchés interarmées peut compliquer la réponse à des besoins spécifiques, « de niche ». C’est ce qu’a relevé le général Frédéric Parisot : les marchés ne couvrent pas toujours les besoins très spécifiques de certains opérateurs, notamment les forces spéciales. Les exigences techniques inhérentes aux missions de certaines unités justifient en effet des besoins d’équipement différents du reste des forces. Tel est le cas, par exemple, pour les drones des forces spéciales. Il s’agit de technologies civiles, et les forces spéciales souhaiteraient, étant donné la sensibilité d’un tel matériel dans le cadre de leurs activités, se doter d’appareils de fabrication française. Or, non seulement le code de la commande publique interdit de formuler une telle requête, mais l’équipement doit de plus être certifié par la DGA – quand bien même ce drone serait déjà certifié pour un usage civil. Or, les délais de certification de la DGA sont souvent incompatibles avec le rythme des évolutions de ces technologies. Ainsi, dans le cas du fabricant de drones français Parrot, un nouveau modèle de drone remplace le précédent en moyenne chaque semestre.

Ainsi, de façon générale, on observe que le système actuel est très performant pour les besoins de masse, mais moins performant dans les besoins « de niche ». Ainsi, le commandement des forces spéciales n’obtient généralement un matériel innovant dont il a fait la demande qu’au bout de 18 mois de procédures, délai au bout duquel ledit matériel est souvent rendu obsolète par d’autres innovations ou par de nouvelles versions, plus performantes, du même produit.

II.   UNE PolITiQue FAVORABLE AUX « PETITS ÉQUIPEMENTs » ISSUE DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE A RENFORCER

La loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 revendique un effort inédit « à hauteur d’homme ». Elle en fit même l’un de ses principaux axes et le rapport annexé à la loi y consacre de longs développements. L’encadré ci-après en présente un extrait.

Placer la LPM « à hauteur d'homme »

Alors que les précédentes lois de programmation militaire ont mis un accent particulier sur les équipements, la présente loi vise à redonner parallèlement un modèle d'armée complet et équilibré, soutenable dans la durée afin de répondre à notre ambition stratégique. Ce modèle s'appuie ainsi sur des femmes et des hommes formés, entraînés et valorisés et pleinement intégrés à la Nation. Il s'agit donc d'une loi de programmation militaire « à hauteur d'homme » qui prévoit un effort en quatre volets complémentaires :

– la garantie de conditions adéquates pour permettre aux armées d'exercer de manière durable et soutenable leurs missions, à travers la formation, l'entretien des matériels, les équipements individuels et la préparation opérationnelle ;

– l'amélioration du « quotidien du soldat », à savoir les conditions de vie et de travail des personnels, les soutiens dont ils dépendent, ou l'accompagnement de leur famille, et leurs aspirations de citoyens modernes ;

– la dynamisation de la politique des ressources humaines placée au cœur de la loi de programmation militaire, afin de garantir l'adéquation des compétences et des effectifs à l'ambition opérationnelle ;

– le renforcement du lien armées-Nation pour faire du militaire un citoyen moderne, pleinement intégré dans une société animée d'un solide esprit de défense, développé dès la jeunesse, et capable de contribuer à sa propre protection à travers la Garde nationale, et en premier lieu les réserves opérationnelles.

L'effort consenti dans ces différents domaines est central pour l'attractivité de la condition militaire et la fidélisation des personnels.

3.1.1. Améliorer les conditions d'exercice du métier des armes, pour permettre de remplir les missions opérationnelles de manière durable et soutenable

La loi de programmation militaire 2019-2025 vise à répondre à un impératif : doter les armées des moyens pour exercer leurs missions de manière durable et soutenable et permettre à chaque militaire de disposer des moyens nécessaires à sa préparation opérationnelle afin qu'il acquière les savoir-faire opérationnels requis.

En conséquence, il est nécessaire de garantir la qualité des conditions d'exercice du métier des armes. Cette exigence impose tout d'abord d'assurer à chaque militaire les conditions nécessaires à une formation et à un entraînement de qualité, ce qui passe par un effort marqué sur les petits équipements, la simulation ou les infrastructures dédiées à la préparation opérationnelle, mais également sur la réalisation d'un taux d'activité permettant d'assurer le niveau indispensable d'aguerrissement et d'efficacité de nos forces lors des engagements opérationnels.

3.1.1.1. Doter chaque militaire du matériel et des infrastructures adaptées à sa formation, à son entraînement et à l'exercice de sa mission

Tout d'abord, il s'agit de doter chaque militaire du matériel adapté à sa formation, à son entraînement et à l'exercice de sa mission. À cet effet, la loi de programmation militaire porte un effort marqué pour garantir à chaque militaire une dotation en équipements individuels adaptés aux exigences de son métier, en particulier dans le domaine de l'habillement spécifique et de la protection individuelle du combattant, y compris en matière de protection auditive contre les traumatismes sonores.

En particulier, il dispose du petit équipement nécessaire : moyens de communication, munitions de petit calibre, système de visée optronique, jumelles de vision nocturne, moyens nautiques, ciblerie, véhicules tactiques logistiques et de franchissement spécialisés, etc. […

Par ailleurs, outil structurant pour la formation et l'entraînement, la simulation est un complément indispensable à l'activité réelle pour faire face à la complexité des systèmes d'armes et des conflits. Elle contribue à l'acquisition et à l'entretien des savoir-faire techniques de base, en permettant des gains significatifs sur l'emploi des moyens réels sans pour autant s'y substituer totalement.

Contributeurs majeurs à la qualité de la préparation opérationnelle et à l'exercice des missions, les organismes et services interarmées de soutien (service de santé des armées, service du commissariat des armées, service des essences des armées, service interarmées des munitions, service d'infrastructure de la défense et direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information) seront particulièrement sollicités. Dans le cadre de la nouvelle ambition opérationnelle, ils prendront part à l'effort d'amélioration des conditions d'exercice du métier des armes.

Au bilan, la loi de programmation militaire portera ainsi une attention particulière à la dotation en petits équipements des armées, au développement des moyens de simulation, cohérent notamment avec le calendrier de livraisons des équipements modernisés, à la mise aux normes et à la rénovation des espaces d'entraînement des armées.

Source : rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025.

A.   La loi de programmation de 2018 metTANT enfin l’accent sur l’Équipement « à hauteur d’homme »

L’extrait supra du rapport annexé à la loi de programmation militaire : si l’effort « à hauteur d’homme » se traduit par un vaste programme d’action dans plusieurs champs, l’équipement est le premier de ceux-ci – peut-être le plus concret, donc le plus attendu – et les « petits » équipements y tiennent une part très importante.

En la matière, la loi de programmation militaire poursuit et intensifie un mouvement de modernisation des « petits » équipements qui a été engagé, dans la – parfois maigre – mesure des crédits disponibles, dans les années précédentes, notamment sur la base des retours d’expérience de nos engagements en Afghanistan.

1.   Une ambition affirmée, des résultats tangibles

Non seulement la loi de programmation militaire prévoit un effort accru d’investissement dans les « petits » équipements, mais encore, elle dessine plusieurs pistes de réforme des procédures d’acquisition. L’ambition, ainsi, consiste à la fois à dépenser plus, mais aussi à dépenser mieux.

a.   Un effort en matière d’approvisionnements

Poursuivant et intensifiant des efforts consentis depuis quelques années, en réaction aux difficultés mises en évidence par les retours d’expérience des opérations françaises en Afghanistan, la loi de programmation militaire a planifié un effort supplémentaire d’investissement dans les « petits » équipements.

i.   Un investissement supplémentaire pour toutes les armées

Les rapporteurs se sont attachés à se faire présenter les orientations fixées par la loi de programmation militaire pour les trois armées en matière d’investissement dans les « petits » équipements, ainsi que les premières réalisations concrètes.

S’agissant de l’armée de terre, elle-aussi doit voir ses crédits de « petit » équipement croître. On l’a dit, les dépenses d’AOA devraient passer d’ici 2025 de 300 millions d’euros à 500 millions d’euros par an. Quant aux dépenses d’EAC et d’entretien programmé du personnel (EPP), elles font elles aussi l’objet d’efforts financiers qui, d’ailleurs, commencent déjà à être perceptibles.

Ainsi, le directeur central du service du commissariat des armées a expliqué que la hausse des moyens alloués au service dès le début de la présente période de programmation militaire a permis de proposer aux soldats des articles « intéressants ». Les nouveaux équipements en question sont en effet, en raison de leurs performances, nettement plus cher, à l’unité, que ceux de la génération précédente. Ainsi, par exemple, un treillis F3 coûte 122,5 euros l’unité, contre 65 euros environ pour la génération précédente ; le nouveau couteau de campagne, fourni par l’entreprise thieroise Tarrerias-Bonjean – dont les rapporteurs se sont fait présenter les usines lors de leur déplacement dans le Puy-de-Dôme – coûte 37 euros l’unité pour le ministère des Armées – au lieu d’environ 100 euros sur les marchés civils – contre 12 euros l’unité pour l’ancien.

Les rapporteurs se sont ainsi fait présenter, par les « Gaulois » du 92e régiment d’infanterie, les « petits » équipements les plus récents qu’ils ont perçus, et que présente l’encadré ci-après.

Présentation de « petits » équipements nouveaux au 92e régiment d’infanterie

● Le nouveau couteau de campagne, appelé CAC, donne davantage satisfaction que le précédent. Celui-ci présentait en effet une lame ajourée, ce qui le rendait peu commode à utiliser pour tartiner quoi que ce soit.

Les « Gaulois » ont précisé que le CAC doit être vu surtout comme un couteau de campagne, utile principalement pour « la popotte », et non comme un couteau de combat.

● S’agissant des équipements de tir, les nouvelles lunettes balistiques sont jugées nettement plus commodes que le masque balistique en dotation auparavant, notamment parce que s’y attache moins de buée.

Quant aux protections phoniques, les anciens matériels n’étaient guère que des « bouchons d’oreille » communs, tels que ceux qui sont distribués par les compagnies aériennes ; ils étaient d’ailleurs instables et ne suffisaient pas pour prévenir des traumatismes auditifs dont la prévalence n’est pas à sous-estimer. Les nouveaux équipements, en revanche, sont plus sophistiqués : notamment, ils filtrent certaines fréquences de sons, permettant ainsi aux soldats de tirer tout en communiquant par la voix ;

● Le nouveau gilet pare-balles, appelé « structure balistique modulaire » (SMB), est présenté par les militaires comme mieux adapté que celui des années 1990 à plusieurs égards :

– laissant libres les épaules, que le modèle des années 1990 enserrait dans une pièce de mousse entravant les mouvements sans pour autant protéger des balles, la SMB permet aux soldats de faire d’amples mouvements d’épaule et de bras ;

– la SMB est recouverte de plusieurs bandes en tissu permettant aux soldats d’y accrocher tous types de matériels, à commencer par les batteries et nombreux autres accessoires du système Félin ;

– elle intègre des câbles compatibles avec les différents équipements électroniques du système Félin.

● Les « Gaulois » ont aussi présenté aux rapporteurs leurs casques. Si le modèle des années 1990 était déjà construit en matériaux composites, plus légers que le métal, le nouveau modèle présente plusieurs avantages :

– il dispose de systèmes d’accroche pour les matériels optroniques ;

– son réglage est plus facile que celui des casques précédents ;

– il dispose, sur les côtés, de systèmes d’accroche pour des matériels infrarouges, ce qui permet d’éviter d’encombrer les mains du soldat.

Pour ces équipements de protection, l’objectif du renouvellement des matériels consiste à garantir le même niveau de protection tout en allégeant les équipements. Dans les recherches en ce sens, les Américains sont présentés comme ayant une avance sur nous. En effet, malgré les progrès des dernières années, le poids total que peut être amené à porter un soldat avoisine les cent kilogrammes.

● Les militaires du 92e régiment d’infanterie ont aussi présenté aux rapporteurs leurs anciens treillis (appelés F1) et les nouveaux (appelés F3). Le nouveau treillis est jugé nettement plus commode, car :

– il est plus ample que le précédent, lequel était porté juste au corps, laissant ainsi peu de marge pour d’autres équipements ;

– ses poches sont mieux disposées, et accessibles même quand le soldat porte un gilet pare-balles, ce qui n’était pas le cas avec le treillis F1 ;

– alors que les jambes du treillis F1 étaient terminées par un élastique incommode qui avait tendance à remonter le long du tibia et à y rester fixé lorsque le soldat pliait le genou, le nouveau modèle de pantalon est jugé plus pratique.

Ajoutons que le treillis F3 est taillé dans un tissu ignifugé, ce qui contribue à accroître significativement la protection des personnels.

● Les militaires ont aussi présenté aux rapporteurs leurs armes légères, à commencer par le pistolet semi-automatique Glock 17. Ces nouvelles armes de poing sont en cours de livraison et doivent remplacer les pistolets MAS 50 (datant des années 1950) et PAMAS G1 (développé dans la fin des années 1980 sur la base du Beretta 92F).

Les soldats ont expliqué que le nouveau modèle, fourni par un autrichien, présentait l’avantage d’être très simple d’utilisation, alors que le tir avec les modèles précédents demandaient davantage de manipulations. Cette simplicité offre un sérieux avantage opérationnel pour une arme ayant vocation à être employée en « tir-réflexe ».

● Les « Gaulois » ont aussi présenté aux rapporteurs leurs nouveaux fusils d’assaut HK 416F. Ces armes sont destinées à remplacer les FAMAS, entrés en dotation il y a près de cinquante ans.

Les militaires ont unanimement souligné les avantages de leur nouveau fusil : il est conçu pour un fonctionnement ambidextre, il est plus modulable que le FAMAS – même dans sa version modernisée pour le programme Félin – et plusieurs de ses éléments sont réglables, à commencer par la crosse, ce qui permet d’adapter l’arme à la physionomie du soldat qui l’utilise.

En outre, la baïonnette du HK 416F constitue un véritable couteau de combat, jugé supérieur à celui qui équipe le FAMAS « félinisé », et sans comparaison avec celle du FAMAS « historique », qui ne peut guère servir qu’en pointe.

● Enfin, les militaires du 92e régiment d’infanterie ont présenté leurs nouveaux mini-drones. Il s’agit de Black Hornet, appareils à voilure tournante d’une dizaine de centimètres d’envergure. Leur autonomie, limitée à une trentaine de minutes, cantonne leur champ d’action à un rayon d’un kilomètre et demi ; cependant, la charge d’un appareil ne prenant pas plus de trente minutes elle aussi, un même opérateur utilise toujours deux drones simultanément : l’un en vol, l’autre en charge. Ces caractéristiques sont très adaptées aux missions de levée de doute dans les manœuvres en terrain hostile.

La loi de programmation militaire a ainsi rendu possible une complète transformation de la silhouette du soldat, conçu comme un plan de modernisation d’ensemble appelé « combattant 2020 ». Le schéma ci-après présente les différents aspects de cette transformation.

 

 

 

Le combattant 2020

Source : ministère des Armées.

 

S’agissant de la marine nationale, l’amiral Thierry Durteste a expliqué que les ressources programmées pour les petits équipements de la marine représentent :

‒ 250 millions d’euros par an en moyenne d’ici 2025 au titre des « autres opérations d’armement » (AOA), cette enveloppe, a précisé l’amiral, suivant une trajectoire croissante pour atteindre 300 millions d’euros environ par an entre 2023 et 2025. Elle inclut 20 millions d’euros par an pour les simulateurs « métiers », dont l’amiral a souligné l’importance croissante pour l’entraînement des marins ;

‒ 100 millions d’euros en moyenne pour chaque année de 2019 à 2023, puis 125 millions d'euros en 2024 et 2025, au titre des « équipements d’accompagnement et de cohérence » (EAC), hors munitions, selon le BOP Marine (178-021C). D’après les explications de l’amiral, ces dotations ont notamment permis la mise en œuvre d’un plan d’acquisition d’équipements pour les fusiliers marins et commandos, portant prioritairement sur l’aide à la visée ou le petit armement pour ce qui relève des « équipements d’accompagnement et de cohérence », ainsi que du matériel radio et du petit matériel informatique.

S’agissant de l’armée de l’air, le général Frédéric Parisot a expliqué que, si les crédits alloués aux matériels d’environnement terrestre de l’armée de l’air ont été stables ces dernières années, les ressources étaient nettement sous-évaluées pour les matériels d’environnement aéronautique. En application de la programmation militaire, un effort important a été réalisé dès 2020 en la matière : les crédits sont passés de 17 à 27 millions d’euros. Pour la suite de la période de programmation, l’évolution de ces crédits planifiée par les documents administratifs de déclinaison de la programmation militaire ([6]) s’établit comme le présente le tableau ci-après.

Programmation des crÉdits d’environnement aÉronautique et terrestre en millions d'euros

2020

2021

2022

2023

2024

2025

51

56

60

57

71

76

Source : armée de l’air et de l’espace.

Le tableau ci-après présente l’évolution programmée des crédits de l’armée de l’air et de l’espace en matière d’EAC.

Programmation des crÉdits
d’Équipements d’accompagnement et de cohÉrence

en millions d'euros

hors munitions et hors systèmes d’information et de communication

2020

2021

2022

2023

2024

2025

57,42

65,25

66,51

61,43

95,41

98,97

Source : armée de l’air et de l’espace.

ii.   Un investissement qui poursuit et amplifie un effort remontant, schématiquement, aux opérations en Afghanistan

De façon générale, les militaires reconnaissent que de premiers efforts de modernisation de leurs « petits » équipements ont été consentis en réponse aux retours d’expérience de nos engagements en Afghanistan. Comme l’a dit le commandement du 92e régiment d’infanterie, il faut voir la tragique embuscade d’Uzbin, les 18 et 19 août 2008, comme ayant marqué un tournant en la matière.

Ainsi, par exemple, l’engagement des forces en Afghanistan avait déjà mis en évidence les limites du gilet pare-balles hérité des années 1990, et motivé l’acquisition – de façon assez urgente – d’un modèle plus commode et déjà doté d’accroches, appelé Cirasse. La SMB est conçue de façon à ce que les plaques de protection du modèle Cirasse soient compatibles.

De façon générale, les membres de la délégation du CSFM reçus par les rapporteurs ont d’ailleurs reconnu une « amélioration significative » de la qualité des « petits » équipements depuis les années 2000. Selon eux, les militaires considèrent notamment que la vulnérabilité du soldat est mieux prise en compte aujourd’hui qu’il y a vingt ans, tant dans la conception des équipements majeurs ‒ le VBCI étant cité ‒ que pour dans le choix des équipements individuels.

b.   Un effort de modernisation des procédures d’acquisition

Dépenser plus, mais aussi dépenser mieux : c’est ainsi que l’on pourrait présenter la logique sous-tendant la loi de programmation militaire, qui ouvre la voie d’une réforme des procédures d’acquisition d’armements, avec une attention particulière au soutien à l’innovation.

La réforme des procédures de conduite des opérations d’armement

Le rapport annexé à la loi de programmation militaire annonce une réforme des procédures d’acquisition d’équipements et lui assigne les objectifs suivants :

– « renforcer la vision capacitaire dans la conduite des investissements » ;

– « améliorer l’adéquation des équipements aux besoins des armées, tant en termes de fonctionnalités, de coûts que de délais de mise à disposition » ;

– « renforcer la maîtrise des coûts et des délais des programmes et d’améliorer leur suivi » ;

– « conférer plus d’agilité et d’adaptabilité aux processus d’acquisition » ;

– « mieux incorporer l’innovation issue de l’industrie et du secteur civil et tirer parti de l’ensemble des opportunités offertes par la révolution numérique » ;

Suivant ces orientations, la DGA a engagé en 2017 une profonde transformation des procédures destinée à les rendre « plus agiles » et « plus ouvertes à l’innovation et aux PME ». Tel est l’objet de l’instruction ministérielle 1618 ([7]). Pour illustrer l’esprit de cette réforme, le directeur des opérations de la DGA a rappelé les propos de la ministre des Armées sur la DGA : « la DGA n’est ni un service d’intendance ni cette vieille grand-mère qui distribuerait des chèques en blanc. Nos relations avec les industriels ne doivent obéir qu’à un mot d’ordre : l’équilibre ». L’encadré ci-après décrit les apports de l’instruction 1618.

La « 1618 »

Au sein du ministère, une transformation profonde de la conduite des programmes d’armement a été conduite, qui a notamment pris forme avec l’instruction ministérielle 1618.

La mise en application de cette instruction a permis :

– une accélération du tempo via un processus de conduite allégé (passage de 6 à 3 phases et renversement de la logique en faisant simple par défaut) laissant une très grande marge de manœuvre et d’initiative aux équipes de la DGA et des Armées ;

– un fonctionnement plus intégré entre l’EMA et la DGA, avec à l’issue de travaux en équipe, un document unique de besoin qui fusionne caractéristiques militaires et spécifications techniques auparavant séparées ;

– une meilleure prise en compte des questions de MCO, d’infrastructures, d’opportunités d’exportation et d’innovation technologique, pour offrir une vision complète au comité ministériel d’investissement présidé par la Ministre et faciliter ainsi les prises de décisions structurantes ;

– une meilleure intégration, incrémentale, des technologies innovantes prometteuses sur le cycle de vie des systèmes, au meilleur profit de la supériorité opérationnelle des forces armées.

– une mise en service accélérée des matériels grâce à une coopération beaucoup plus étroite entre l’industrie, la DGA et les armées, en particulier dans les processus de qualification, d’essais et d’expérimentation des matériels ou du soutien ;

En parallèle, de nouvelles directives en matière de procédures d’achats ont également été mises en place, notamment pour réduire les délais et instaurer une relation plus étroite entre utilisateurs et acheteurs.

Source : direction générale de l’armement.

Admettant que les procédures de la DGA étaient longues, l’ingénieur général de l’armement François Pintart a fait valoir cependant que cette dernière se fixe chaque année, dans le cadre des « plans d’amélioration » des objectifs en vue de réduire les délais et de rendre les procédures plus « agiles ». Aujourd’hui, l’acquisition de petits équipements comme des pistolets automatiques demande entre six et neuf mois.

Il a également souligné que, si le « carcan » du code des marchés publics a pu, dans la pratique, créer des délais, il existe des éléments de souplesse et d’« agilité » exploitables pour réduire ces délais. Il a cité pour exemple l’approche incrémentale permettant d’intégrer plus rapidement des innovations aux systèmes existants ou en programmation, notamment dans le cadre du programme SCORPION (« synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation ») dont le principe est de créer un système de combat suffisamment agile pour s’adapter en peu de temps à de nouvelles menaces et exigences opérationnelles. L’ingénieur général de l’armement François Pintart a fait valoir que les incréments ont pu être intégrés au véhicule Griffon plus rapidement encore que ce que le programme SCORPION prévoyait. Par ailleurs, l’instruction 1618 promeut ouvertement cette approche incrémentale dans son paragraphe 1.2 « Études préalables à la phase de réalisation » : « La phase de préparation prend en considération […] la façon de capter l’innovation et de l’intégrer dans le système, pendant le cycle de vie du programme. À ce titre, la conduite de l’opération doit favoriser cette agilité, en étudiant la réalisation de sous-ensembles par incréments à cycle court et de prototypes, ainsi que l’expérimentation ».

Les bénéfices de l’instruction 1618 sont attendus dans l’ensemble des étapes du cycle d’acquisition des équipements, notamment les phases d’expression du besoin et de qualification ou d’adoption des matériels. La passation des marchés est soumise aux règles de la commande publique qui impliquent des délais incompressibles. Néanmoins, le choix d’acquisition de matériels « sur étagère » ou de premiers incréments technologiquement plus matures, dans l’esprit de l’instruction, permet des gains sur les délais de passation, comme l’illustre les exemples suivants portant sur des « petits équipements ». La DGA précise cependant que les délais des procédures données en exemple ne sont cependant pas à généraliser, car ces procédures ont été menées « sous forte pression calendaire ».

Le premier exemple mis en avant par la DGA concerne les armements de petit calibre.

La consultation du marché d’arme individuelle future (AIF) – pour le remplacement du FAMAS – avait permis l’acquisition du fusil HK 416 F. La procédure d’acquisition avait duré plus de deux ans de mai 2014 à septembre 2016. Sa durée s’expliquait notamment par des fournitures intermédiaires d’échantillons qui ont été testés puis améliorés par les candidats tout au long de la procédure.

À l’inverse, les procédures d’acquisition suivantes relatives à l’armement petit calibre ont été menées dans l’esprit puis dans le cadre de l’instruction 1618 :

– le marché de fusil de précision semi-automatique (FPSA), notifié en décembre 2019, a pour finalité le remplacement des FRF2 en service. La procédure lancée en août 2018 a duré 16 mois. Ce délai s’explique par les contraintes d’une procédure négociée au sens du droit de la commande publique et par les essais d’évaluation d’échantillons. Il est cependant plus court que celui l’AIF du fait de la réduction du nombre d’exigences techniques à justifier (440 pour l’AIF, 220 pour le FPSA) – alors même que le périmètre d’acquisition est plus important, puisque le marché incluait l’optoélectronique –, de la suppression d’essais intermédiaires et de la limitation des évaluations à un premier incrément du système d’arme FPSA. En cela, quoique lancé avant la parution de l’instruction 1618, il s’inspire du principe d’acquisition de capacité de manière incrémentale. En effet, il a été choisi de spécifier et d’évaluer un produit « sur étagère » permettant l’acquisition plus rapide d’une première capacité de tir de précision de jour en programmant ultérieurement la qualification de la capacité de tir de nuit et de la capacité de tir avec munitions spécifiques de précision et perforantes ;

– le marché de pistolet semi-automatique a été notifié en décembre 2019. La procédure lancée en février 2019 a duré 10 mois. Afin de disposer au plus vite de cette capacité, il a été retenu d’acquérir des produits « sur étagère ». Conformément à l’instruction 1618 un plan commun d’essais a été rédigé par la DGA et l’armée de terre. Ce plan commun a été réalisé par les armées en relation avec la DGA en phase d’évaluation des offres. En capitalisant sur ces essais et sur l’engagement du titulaire à respecter les réglementations et normes applicables, le pistolet sera livré et adopté très rapidement.

Le second exemple concerne un équipement moins « petit » : le premier standard robotique SCORPION. Comme l’explique la DGA, conformément à l’esprit de l’instruction 1618, le programme SCORPION est géré de manière incrémentale, permettant d’introduire de nouvelles capacités et des innovations dès qu’elles sont matures. C’est aussi la démarche qui a été retenue pour l’acquisition de micro-robots dans le cadre du programme SCORPION. Dans un premier temps et sans attendre leur intégration complète dans la bulle du combat collaboratif, le premier incrément du programme a ainsi prévu l’acquisition de 56 micro-robots pour l’infanterie et le génie. Les bonnes pratiques de l’instruction 1618 ont été également appliquées :

– un travail en plateau étatique (entre la DGA et les armées) a abouti à une expression de besoin commune en moins de trois mois ;

– le choix de la procédure d’acquisition, un dialogue compétitif, a permis de discuter avec l’industrie en procédant à des évaluations des robots dans un centre de la DGA, en présence de l’armée de terre, avant le choix du titulaire du marché.

La procédure a été rapidement conduite, malgré les nombreuses réunions avec l’industrie et les phases d’évaluation des matériels, au prix d’un investissement humain significatif. Ainsi le marché a été notifié en août 2019, 10 mois après le lancement de la procédure qui a permis d’assurer la cohérence de bout en bout entre le besoin opérationnel et le matériel livré. Les premiers robots ont été livrés en décembre et la totalité le sera en 2020.

i.   Des mesures visant à faciliter l’acquisition d’équipements innovants

Suivant l’impulsion donnée par la loi de programmation militaire, le ministère a mis en œuvre des procédures nouvelles, dérogatoires au droit commun :

– le dialogue compétitif, dont le directeur des opérations de la DGA a expliqué qu’il est proche de la procédure négociée avec mise en concurrence et permet, par rapport à celle-ci, de rémunérer les compétiteurs pendant la phase de dialogue avec la possibilité de prévoir l’étude de solutions techniques au cours du dialogue, sur la base de spécifications fonctionnelles. Cette procédure permet d’intégrer une fraction d’étude technique au sein du dialogue. Elle est adaptée dès lors qu’il est intéressant de mener des études techniques en parallèle avec plusieurs fournisseurs potentiels avant d’en choisir un ;

– le partenariat d’innovation, particulièrement adapté aux cas où l’achat souhaité nécessite des développements ou des phases d’études plus importantes. Ce régime permet en effet de piloter les phases d’étude, d’acquérir des droits de propriété intellectuelle et in fine de choisir le meilleur partenaire pour la réalisation. Deux partenariats d’innovation ont pour l’instant été lancés à la DGA (l’un sur le traitement massif de données, le second sur la réalisation de capteurs de champ électromagnétique), plusieurs autres sont en préparation. Ce type d’achat qui permet de traiter au sein d’une même procédure la phase de recherche et développement (R&D) et la phase de passage à l’échelle et de déploiement du matériel. Il a donc pour avantage de fluidifier le passage de l’une à l’autre de ces phases mais, revers de la médaille, il a l’inconvénient d’être plus complexe et donc plus coûteux en ressources humaines. La DGA juge donc trop tôt à ce stade pour conclure sur un usage plus étendu de ce type de procédure ;

– le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 autorise, à titre expérimental et jusqu’au 23 décembre 2021, la passation de marché publics sans publicité ni mise en concurrence préalable pour des « travaux, fournitures ou services innovants » dont la valeur est estimée inférieure à 100 000 euros hors taxe.

Il en ressort que les acheteurs du ministère des Armées disposent aujourd’hui d’une palette assez étendue d’instruments juridiques. Le schéma ci-après illustre les choix que ferait le plus vraisemblablement l’acheteur public.

2.   Un effort substantiel mais difficile à évaluer

Les rapporteurs relèvent que, paradoxalement, l’importance qu’accorde la loi de programmation militaire à l’effort « à hauteur d’homme » n’est pas assortie d’objectifs et d’indicateurs – hormis pour la durée annuelle des activités de préparation opérationnelle. D’ailleurs, si la loi de programmation militaire parle expressément de « petit » équipement, elle ne donne pas de définition de cette notion – ni sur le plan capacitaire, ni même sur le plan de l’imputation budgétaire des dépenses concernées.

Aussi, pour légitime, pertinente et louable qu’elle soit, l’ambition « à hauteur d’homme » que la loi de programmation militaire présente comme une de ses priorités est-elle difficile à suivre et à évaluer.

Certainement l’actualisation de la programmation militaire, prévue pour l’année 2021, permettra-t-elle de combler cette lacune, par exemple en donnant une définition plus précise de l’équipement « à hauteur d’homme » et, surtout, en établissant une programmation chiffrée des ressources consacrées à leur acquisition.

B.   Les armÉes « au milieu du guÉ » en matiÈre de modernisation de leurs « petits » Équipements

En dépit de l’absence de définitions précises de l’équipement « à hauteur d’homme », d’indicateurs et d’agrégats spécifiques, les rapporteurs se sont attachés à évaluer la portée et les limites de l’effort de modernisation des « petits » équipements. Il en ressort que, dans cette vaste entreprise, les armées en sont encore « au milieu du gué », c’est-à-dire en phase de transition – ce qui n’est jamais sans difficulté dans la gestion publique. La poursuite de l’effort doit donc faire l’objet d’une vigilance soutenue pour les années restantes de la période actuelle de programmation militaire.

1.   Les difficultés propres à une phase de transition

La transformation du « petit » équipement ne se fait pas en un jour et, ce, non seulement pour des raisons budgétaires, mais aussi, parfois, pour des raisons tout simplement industrielles, tenant rapport entre les capacités de production et les grands effectifs des personnels militaires qu’il s’agit d’équiper.

Dans la plupart des cas, ces raisons exposent les armées à une phase de transition, pendant laquelle cohabitent dans leurs arsenaux les équipements modernes et les matériels anciens, en voie de remplacement. Compte tenu des inconvénients d’un tel panachage, mieux vaut que ces phases de transition soient aussi courtes que possible.

En attendant un équipement entièrement modernisé, les militaires trouvent des palliatifs soit en continuant à utiliser des anciens matériels à côté des plus modernes – ce qui est peut-être regrettable, mais pas critiquable en soi –, soit en continuant à acquérir eux-mêmes, sur leurs deniers et sur des marchés civils, des équipements « personnels » pour pallier l’insuffisance de leurs dotations. On observe que ce phénomène d’équipement personnel se poursuit, ce que les rapporteurs voient d’un œil critique, tant pour des raisons de principe que pour des raisons de sécurité des matériels échappant ainsi aux systèmes de tests et de contrôles qui garantissent la qualité et l’interopérabilité des matériels militaires.

a.   Les inconvénients du « panachage » des équipements

Un « panachage » transitoire en partie inévitable, mais parfois plus long que nécessaire

L’un des principaux griefs formulés devant les rapporteurs par les représentants des personnels des armées tient au « panachage » de leur équipement.

Les membres de la délégation du CSFM regrettent que les livraisons de nouveaux équipements ne se font pas d’emblée pour l’ensemble des unités, mais de façon échelonnée non seulement entre les unités mais aussi au sein de celles-ci.

Les rapporteurs ont d’ailleurs pu le constater sur le terrain, au 92e régiment d’infanterie. Tel est le cas, par exemple, s’agissant des jumelles :

– les plus anciennes ont un facteur de grossissement de six et, pour évaluer la distance des cibles, le soldat doit effectuer des calculs à partir de l’échelle de gradation qu’elles intègrent, ce qui demande quelques minutes ;

– le modèle suivant, appelé Vector, est une jumelle de jour multifonctions : elle dispose non seulement d’une voie de jour binoculaire performante, mais aussi d’un télémètre laser et d’un compas magnétique, qui réduit à quelques secondes l’évaluation des distances ;

– le plus récent dont soit doté le régiment est le JIM Medium Range (MR) de Safran, qui possède des capacités de détection infrarouge (donc utilisables de nuit). Si ces appareils sont performants, ils nécessitent cependant une alimentation électrique : leur emploi suppose donc que les soldats se chargent de batteries Félin.

Selon les explications du commandement, faute de disposer d’un nombre suffisant de JIM-MR, le régiment utilise concurremment ces trois modèles de jumelles : le premier, robuste et ne nécessitant pas d’alimentation électrique, à des fins de résilience ; les Vector par temps froid ; et les JIM-MR de nuit.

Le même « panachage » se rencontre d’ailleurs pour d’autres catégories d’équipements, comme les appareils de vision de nuit. Les « Gaulois » utilisent en la matière plusieurs modèles d’appareils :

– l’OB70, dispositif passif de vision nocturne livré à partir de 1996, certes robuste, mais impropre à la vision en trois dimensions et nécessitant le port d’un filet assez incommode sous le casque ;

– les jumelles de vision nocturne (JVN), amplificateurs de lumière résiduelle plus faciles à utiliser et permettant une vision en trois dimensions, qui ont été adaptées au système Félin en 2009 ;

– les jumelles O-Nyx, qui en constituent une évolution appréciée des soldats : le champ de vision est plus large, le système est jugé plus robuste (par exemple, il se « greffe » au casque par des pièces de métal et non plus de matière plastique), et peut aussi être porté sans casque.

Le panachage peut même conduire à maintenir en service, aux côtés d’équipements modernes, des matériels franchement obsolètes. Il en va ainsi, par exemple, des radios tactiques. Au 92e régiment d’infanterie, les militaires ont présenté aux rapporteurs les différents modèles de radios encore en dotation :

– la PR3G, livrée à partir de 1975 et qui, outre son encombrement, présente l’inconvénient de ne pas sécuriser les liaisons radio (« un routier avec sa CB peut les capter et entrer dans la discussion… ») ;

– la PR4G, un peu moins encombrante et nettement mieux sécurisée, a été livrée à partir des années 1990 ;

– depuis le milieu des années 2010, la radio Contact commence à être livrée.

Ainsi, il résulte donc de la livraison échelonnée des matériels une phase de transition, dans laquelle les nouveaux équipements cohabitent avec les anciens dans les parcs en dotation, qui peuvent ainsi rester plusieurs années hétérogènes, « panachés ».

Or ces panachages semblent être, aux dires des représentants du CSFM, un sujet de crispation important dans les rangs. Dès lors que les quantités ne suffisent pas à équiper l’ensemble du personnel, certaines formations peuvent se considérer comme défavorisées ‒ tel est le cas, par exemple, des écoles et, plus largement, des services de soutien.

L’échelonnement des livraisons peut être dû à quatre raisons :

– le souci de « lisser la facture », c’est-à-dire d’étaler dans le temps les dépenses importantes ;

– une certaine prudence consistant à éviter que trop de matériels livrés simultanément ne vieillissent simultanément, ce qui pourrait provoquer des difficultés de renouvellement des équipements, voire des ruptures temporaires de capacités ;

– le choix d’une approche en quelque sorte incrémentale, suivant laquelle l’échelonnement des livraisons permet d’adapter les matériels produits aux premiers retours d’expérience de l’emploi de ces matériels par les premières unités à en être dotées, afin que les unités puissent ainsi bénéficier, à terme, du meilleur matériel possible ;

– des restrictions budgétaires, les « petits » programmes d’armement étant souvent les premiers sacrifiés dans les arbitrages budgétaires. Les membres du CSFM font cependant observer que, si ce type d’arbitrage permet de faire des économies à court terme, il a toujours pour effet de renchérir le coût du programme concerné à long terme car, in fine, il oblige l’État à payer l’industriel pour que ce dernier maintienne en fonction la chaîne de production.

Un équipement disparate des unités peut aussi avoir un impact opérationnel si les nouveaux équipements sont des matériels de protection, les combattants étant alors inégalement protégés d’une unité à une autre.

Le « panachage » des matériels a ceci de regrettable qu’il ne permet pas de tirer le meilleur parti opérationnel des investissements consentis.

En effet, comme l’ont souligné les membres du CSFM, il y a toujours un risque de ne pas pouvoir utiliser pleinement une nouvelle capacité si toutes les unités opérant ensemble n’en sont pas dotées en même temps ‒ un groupe marche toujours au rythme du plus lent.

Les membres du CSFM ont expliqué en outre qu’il existe un décalage entre ce qui est prévu par la loi de programmation militaire, le calendrier effectif des livraisons aux unités et celui des engagements desdites unités en opération. En effet, les unités engagées ne sont pas toujours celles qui ont perçu l’équipement le plus récent. Ce type de décalage est cependant moins fréquent que dans les années 2000.

Le cas des jumelles de vision nocturne est cependant plus révélateur encore des limites que crée un échelonnement excessif des livraisons. En effet, les soldats ont souligné qu’en raison des progrès rapides de la technologie dans ce domaine, les armées peinent à maintenir leur équipement au meilleur niveau : une génération de jumelles de nuit devient obsolète avant même que son déploiement soit achevé.

Moins optimale encore paraît l’équipement des forces en moyens de transmission : selon les « Gaulois » du 92e régiment d’infanterie, leur « panachage » pose deux problèmes qui pourraient sérieusement limiter les capacités opérationnelles des forces :

– faute de radios PR4G ou Contact en nombre suffisant, les militaires sont contraints de continuer à utiliser des radios PR3G, alors même que celles-ci ne disposent d’aucune forme de sécurisation des transmissions ;

– le débit des radios PR4G est aujourd’hui insuffisant au regard des besoins de transmissions de données des systèmes modernes de combat dit collaboratif, ce qui constitue l’épine dorsale du programme SCORPION. En conséquence, dans la manœuvre, les militaires ne peuvent pas utiliser simultanément les moyens de communication par voix et les moyens de transmission de données : « il faut choisir entre la voix et la donnée », ce qui limite beaucoup l’intérêt des systèmes les plus modernes de la gamme SCORPION.

b.   L’équipement personnel, un simple palliatif

L’équipement personnel des militaires, c’est-à-dire l’achat par ceux-ci de matériels privés, à leurs frais personnels et dans le commerce civil, constitue un phénomène observé de longue date dans les armées françaises.

Pour une part, il peut s’expliquer par des logiques de différentiation de la part de militaires ou d’unités soucieux de se démarquer des autres, voire par une grande sensibilité des militaires aux derniers développements technologiques. Néanmoins, ce facteur ne semble pas être la seule explication du phénomène ; comme l’ont dit aux rapporteurs certains membres du CSFM, « il n’y a pas de fashion victim en opération ! ».

En effet, c’est souvent pour pallier les insuffisances des matériels réglementaires – que ce soit du point de vue de leur quantité ou de leur qualité – que les militaires continuent à acquérir des matériels personnels.

i.   Un phénomène encore bien présent

Les représentants du CSFM ont souligné que l’équipement « hors circuit » des combattants ‒ dans des commerces spécialisés, des magasins d’articles sportifs et, surtout, en ligne ‒ n’est « pas un mythe ». Ils notent toutefois que la qualité de l’équipement personnel ayant tendance à s’améliorer depuis une vingtaine d’années, la part de l’équipement personnel dans les matériels des soldats a tendance à décroître.

Les fantassins qui ont présenté leurs matériels aux rapporteurs à Clermont-Ferrand ont confirmé que l’on relève encore des achats de matériels personnels, tout en notant une différence nette, dans ces pratiques, entre les plus anciens ‒ qui ont beaucoup acquis ‒ et les plus jeunes, qui ont beaucoup moins ce réflexe car ils sont contents (ou se contentent) de leurs matériels. Les cadres de contact précisent que nombre de personnels continuent cependant à acquérir des matériels à titre personnel, mais qu’ils le font pour un nombre beaucoup plus réduit d’articles qu’il y a quinze ans, à mesure que les nouveaux effets entrent en dotation. Par exemple, la quasi-totalité des soldats achètent leurs holsters (étui de pistolet porté à la cuisse, celui fourni étant lâche et donc fragile) ; la livraison du Glock 50 réglera le problème. En revanche, rien n’est prévu pour le renouvellement des effets de pluie ‒ un kway des années 1970.

L’ampleur du phénomène est difficile à évaluer. Les rapporteurs retiennent toutefois que les militaires qu’ils ont interrogés à ce sujet estiment – de façon empirique – qu’en moyenne, un soldat dépense 400 euros par an à ce titre, et parfois bien davantage avant un engagement en opération extérieure. Compte tenu de la modestie des soldes versées à la plupart des militaires, de telles sommes n’ont rien de négligeable.

ii.   Les causes de ce phénomène

Les raisons qui poussent les recrues à consentir de telles dépenses sur leurs deniers propres peuvent être de plusieurs ordres :

‒ l’inadaptation de certains matériels, qui se révèle dans la conduite des opérations. Outre le cas des holsters, les membres du CSFM ont cité celui des brelages de leurs FAMAS, qui se sont avérés inadaptés aux ceintures de sécurité des véhicules employés pour l’opération Sentinelle. De même, selon eux, les bombes lacrymogènes fournies aux militaires de l’opération Sentinelle se sont avérées mal adaptées à leurs gilets pare-balles ;

– l’évolution des matériels, faisant que les modèles proposés sur le marché civil sont parfois plus performants que ceux fournis par les armées. À ce titre, les membres du CSFM ont cité l’exemple des chaussures « de base » fournies aux marins, « qui ne tiennent pas deux mois alors que l’on trouve “dans le civil” des articles deux fois moins cher pour une meilleure qualité », ainsi que le cas de certaines housses de fusils, pour lesquelles l’offre civile propose des produits de qualité supérieure, par exemple en matière d’étanchéité ;

– la volonté des soldats d’optimiser leur confort opérationnel. Ainsi, par exemple, des genouillères fournies aux militaires : le modèle réglementaire s’attache au treillis par des élastiques, ce qui le rend pénible à porter par de grandes chaleurs, pourtant courantes dans certains théâtres d’opérations : nombre de militaires se sont dès lors équipés à titre personnel de genouillères s’attachant directement à leur treillis ;

– la standardisation très poussée de certains équipements, sur le mode de la « taille unique », qui sont ipso facto mal adaptés aux caractéristiques physiques de certains soldats.

Pour le sous-chef d’état-major de l’armée de terre chargé des plans et des programmes, il est inévitable que les soldats, bien qu’ayant par ailleurs un équipement de bonne qualité, souhaitent avoir « encore mieux » que ce qui leur est fourni. Il a fait valoir que ces achats « hors circuit » ne se font plus aujourd’hui pour les équipements essentiels du combattant. Ces acquisitions viennent toujours « en plus » et non pour compenser un manque sérieux dans leur équipement.

iii.   Un phénomène comportant des risques

Mais même si l’équipement personnel n’est pas révélateur de très graves défauts dans l’équipement réglementaire, ces acquisitions d’équipements dans le civil sont parfois risquées, lesdits équipements n’ayant pas été testés par les services compétents.

Le général Frédéric Parisot a d’ailleurs insisté sur ce point : les matériels ainsi acquis sur le marché civil n’ont pas été soumis aux procédures de certification qui, notamment par des tests dans les conditions d’emploi réelles, garantissent leur fiabilité et autorisent ainsi leur utilisation dans le cadre professionnel et opérationnel sans risques incontrôlés. En effet, les grands programmes d’habillement sont conduits suivant une procédure interarmées qui fait une large place à des tests de qualité, avant la publication du marché ‒ pour valider les critères de qualité ‒ après la soumission des offres, les produits candidats étant testés par les laboratoires du commissariat, voire par les utilisateurs, et enfin à réception en entrepôt par des experts du commissariat.

Ainsi, les caractéristiques techniques des matériels ‒ résistance au feu, comportement des matériaux aux impacts de balles, etc. ‒ sont spécifiques et adaptées aux armées, ce qui ne se trouve pas dans l’offre civile.

iv.   Des pistes de réflexion

Certains membres du CSFM ont rapporté qu’autrefois, au moins dans la marine nationale, les crédits d’habillement qui n’avaient pas été dépensés par un personnel au cours d’une année lui étaient reversés en décembre, ce qui constituait une soupape de sécurité pour le cas où le militaire était conduit à s’équiper à titre personnel. Aujourd’hui, c’est sur ses deniers personnels qu’il doit le faire.

Faudrait-il que les points d’habillement non-utilisés soient de nouveau versés en espèces ? Aux yeux des cadres de contact interrogés par les rapporteurs sur le terrain, le risque serait grand que les soldats s’en servent comme d’une source de revenus supplémentaires, in fine au détriment de leur équipement.

D’autres membres du CSFM ont pris pour exemple à suivre les magasins « PX » implantés sur les bases américaines et gérés par l’Army and Air Force Exchange Service (AAFES), qui proposent aux soldats de nombreux produits, en particulier des équipements complémentaires à ceux du paquetage standard, tous testés et certifiés par les services compétents du Department of Defence ( ([8]). De cette façon, si le soldat se blesse avec ces équipements, il peut recourir à l’assurance utilisée par l’armée américaine, ce qui l’incite à s’équiper dans ces magasins plutôt que « hors circuit ».

Une telle option est sécurisante, certes, mais elle n’est qu’un palliatif ; la meilleure solution consisterait à veiller, en étroite coordination avec le service du commissariat des armées, à ce que les progrès technologiques soient pris en compte, notamment en matière de textiles.

2.   Des points de vigilance

Il faut bien entendu saluer l’effort de réinvestissement dans les « petits » équipements annoncé par la loi de programmation militaire. Cependant, plusieurs points de vigilance ont été portés à l’attention des rapporteurs.

a.   Pour acheter, encore faut-il des acheteurs

Un risque pèse sur la bonne exécution de ces dépenses futures : il ne faudrait pas que le manque de personnels spécialisés dans la fonction « achats » au sein des services compétents ne constitue un frein à la consommation des crédits mis à disposition.

De surcroît, si les postes d’« acheteurs » ouverts aux tableaux d’effectifs sont en nombre suffisant, tous ne sont pas pourvus, les services rencontrant des difficultés de recrutement sur ces spécialités.

b.   Éviter de moderniser par échantillons

Dans certains des cas de « panachage » évoqués supra, comme dans le cas des matériels d’optronique pour les systèmes de visée, les difficultés ne tiennent pas seulement au rythme des livraisons mais aussi, fondamentalement, au volume trop faible des commandes. Dans cette situation, le temps ne fera rien à l’affaire : des commandes en nombre insuffisant créent nécessairement des tensions sur certains parcs de « petits » équipements.

Le général Charles Beaudouin a d’ailleurs souligné que « cette tendance est telle, que les déficits de moyens sont particulièrement difficilement ressentis vis-à-vis de ces petits équipements ». Certes, les équipements modernes sont généralement plus chers que les plus anciens, ce qui peut conduire le ministère à jouer sur le volume des commandes pour maîtriser les dépenses ; néanmoins, cette logique a ses limites.

c.   Des ressources à défendre dans l’exécution et dans l’actualisation de la programmation militaire

Si elle est bien programmée, la « remontée en puissance » est, pour ce qui concerne les « petits » équipements, subordonnée en permanence par les ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM).

Il demeure en effet un risque d’effet d’éviction au détriment des « petits » équipements si les ressources des armées devaient être contraintes, ou si de nouvelles dépenses devaient être financées – par exemple pour mettre en œuvre la stratégie de défense spatiale annoncée après le vote de la loi de programmation militaire, qui de ce fait n’en prend pas le coût en compte. D’un point de vue budgétaire, la tentation est grande de restreindre ce « flux » lorsqu’il y a besoin de réaliser des économies. Il a donc assuré que l’armée de terre sera « particulièrement attentive » à ce que les petits équipements ne soient pas sacrifiés lors des prochains arbitrages budgétaires.


—  1  —

 

   Seconde partie
amÉliorer l’Équipement « à hauteur d’homme » passe aussi par une vÉritable politique industrielle de dÉfense

Les crédits budgétaires dont la loi de programmation militaire planifie la croissance, comme les règles juridiques qu’elle prévoit de réformer, constituent indéniablement deux leviers d’amélioration du « petit » équipement de nos forces ; les rapporteurs ne peuvent que le saluer. Mais, en réalité, il ne s’agit là que de moyens, c’est-à-dire d’instruments, sur lesquels une politique (ou une stratégie) d’approvisionnement doit s’appuyer, mais auxquels elle ne saurait se résumer.

En effet, aux yeux des rapporteurs, une stratégie d’approvisionnement des armées ne se limite pas à un calendrier de livraisons, fût-ce pour de « petits » équipements. Dans une logique de résilience et d’indépendance, c’est-à-dire afin de garantir la maîtrise souveraine des technologies et des moyens de production, une telle stratégie traite à la fois de la demande – c’est-à-dire des besoins des armées auxquels il s’agit de répondre – et de l’offre, c’est-à-dire de l’entretien d’une base industrielle et technologique performante et robuste.

Pour les « grands » équipements, le ministère des Armées met en œuvre avec succès – et avec une remarquable continuité au fil des décennies – une stratégie industrielle et technologique ferme, qui vaut à notre pays de conserver une base industrielle et technologique de défense (BITD) reconnue pour son excellence ; aux yeux des rapporteurs, il devrait en aller en quelque sorte de même de nos « petits » équipements.

Associer de façon trop systématique « grands » équipements et « grandes » entreprises, ou « petits » équipements et « petites » entreprises, serait certes excessif, mais pas entièrement faux : les « petits » équipements sont le plus souvent produits par des entreprises qui ne comptent pas parmi les « grands » de la BITD, mais par de petites et moyennes entreprises (PME) ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Aussi le volet industriel d’une politique d’approvisionnements en « petits » équipements concerne-t-il en premier lieu les PME et les ETI.

C’est pourquoi les rapporteurs ont consacré une large part de leurs travaux à étudier la place des PME françaises dans l’approvisionnement des armées en « petits » équipements. Il en ressort l’impression d’un éloignement progressif des PME françaises et des armées, ce qui n’est pas sans risques non seulement pour la pérennité de notre tissu industriel, mais aussi, in fine, pour la satisfaction de besoins de nos soldats.

I.   ÉLOIGNER LE FABRICANT DU SOLDAT N’EST PAS SANS DANGERS

Si nos « grands » équipements sont presque tous produits en France par des entreprises françaises, tel n’est pas toujours le cas des « petits » équipements, pour lesquels le ministère des Armées hésite de moins en moins à se fournir auprès de producteurs étrangers.

Et, même lorsque ces « petits » équipements sont fabriqués en France, les PME qui les produisent sont de plus en plus souvent placés en position de sous-traitants de « grands » groupes plutôt que de partenaires directs des Armées, ce qui n’est pas sans inconvénients pour les industriels comme pour les armées.

A.   l’importation d’Équipements, mÊme « petits », UNE question de souverainetÉ et de rÉsilience

Les dernières années ont vu plusieurs marchés emblématiques de « petits » équipements confiés à des entreprises étrangères, au détriment de candidats français. Tel est le cas, en particulier, pour le marché d’arme individuelle future, destiné au remplacement du FAMAS : c’est l’allemand Heckler und Koch qui a remporté le marché, contre une candidature française présentée par Verney-Carron et une offre de FN Herstal, ancienne filiale de GIAT. Plus récemment encore, le même industriel français a été écarté du marché de fusils de précision semi-automatique, destiné à remplacer le FR-F2, au profit de FN Herstal.

Au-delà de ces marchés déjà emblématiques, la part des industriels étrangers dans la fourniture de « petits » équipements a eu tendance à croître. À titre d’illustration, le tableau ci-après présente la structuration du panel des fournisseurs de la plate-forme du service du commissariat des armées à Rambouillet dans les domaines de l’habillement, et des matériels et des vivres opérationnels.

Structuration du panel des fournisseurs
du service du commissariat des armÉes

Cas de la plate-forme de Rambouillet

Types de matériels

Nombre de fournisseurs

Fournisseurs français

Fournisseurs étrangers

nombre

en %

nombre

en %

Habillement*

100

78

78 %

22

22 %

Matériels**

34

30

88 %

4

12 %

Vivres***

40

36

90 %

4

10 %

Total

174

144

82 %

30

18 %

*  Agrégat regroupant les effets de service courant et les effets de combat, qu’ils soient classiques ou spécialisés (par exemple en matière balistique ou en matière nucléaire, radiologique, biologique et chimique).

**  Notamment les conteneurs et équipements de soutien de l’homme (cuisines, douches, laveries, tentes, etc.).

*** Vivres opérationnels (rations de combat).

Source : service du commissariat des armées.

Ce tableau montre que les fournisseurs français ont une part prépondérante dans ce panel, mais le service du commissariat précise que de plus en plus de nouveaux candidats se présentent à ses consultations, venant de l’étranger et disposant d’outils de production hors d’Europe, avec des produits qui « montent en gamme » de manière continue. Ajoutons que même lorsqu’un marché est attribué à une entreprise française, celle-ci peut être un simple distributeur français de produits étrangers, sous-traiter une partie des fabrications voire délocaliser tout ou partie de sa production à l’étranger. La carte suivante présente les lieux de fabrication des matériels acquis par le service du commissariat des armées.

Lieux de fabrication des matÉriels acquis
par le service du commissariat des armÉes

Source : service du commissariat des armées.

Le tableau précédent montre aussi que c’est d’ores et déjà dans le domaine de l’habillement que, pour ce qui concerne le service du commissariat des armées, les industriels étrangers détiennent le plus de parts des marchés du commissariat. Or, comme le montre le tableau ci-après, les fournisseurs français de ce type de matériels sont toutes des PME, des ETI ou de très petites entreprises (TPE). Dans ce cas, comme d’ailleurs de façon générale s’agissant des « petits » équipements, ce sont bien nos petites entreprises qui sont le plus menacées par la concurrence étrangère.

 

 

RÉpartition des fournisseurs du service du commissariat des armÉes
par taille d’entreprise

Cas de la plate-forme de Rambouillet

Types de matériels

Fournisseurs français

Fournisseurs étrangers

grandes entreprises

ETI

PME

TPE

nombre

en %

nombre

en %

nombre

en %

nombre

en %

nombre

en %

Habillement*

-

-

23

23 %

52

52 %

3 %

 

22

22 %

Matériels**

1

3 %

4

12 %

24

70 %

1

3 %

4

12 %

Vivres***

1

2 %

15

38 %

17

42 %

3

8 %

4

10 %

 Agrégat regroupant les effets de service courant et les effets de combat, qu’ils soient classiques ou spécialisés (par exemple en matière balistique ou en matière nucléaire, radiologique, biologique et chimique).

**  Notamment les conteneurs et équipements de soutien de l’homme (cuisines, douches, laveries, tentes, etc.).

*** Vivres opérationnels (rations de combat).

Source : service du commissariat des armées.

Les rapporteurs se sont vus expliquer souvent que cette situation tient à des contraintes juridiques : on ne peut pas réserver des marchés publics aux seules entreprises françaises, dès lors qu’il s’agit d’acquisitions ne présentant pas un degré élevé de sensibilité. Pourtant, ils observent que le recours à des importations, plutôt qu’aux productions de PME françaises, constitue aussi un choix pleinement assumé. À leurs yeux, ce choix soulève de sérieuses questions de résilience, dont la crise sanitaire en cours a d’ailleurs mis l’importance en évidence.

1.   Des choix politiques ayant des conséquences défavorables aux fournisseurs français

L’ouverture des marchés militaires français à des fournisseurs étrangers trouve-t-elle sa cause avant tout dans le droit de la commande publique ? Tel est assurément en partie le cas, mais les rapporteurs soulignent aussi que c’est un volet d’une stratégie d’équipement assumée depuis les années 2000.

a.   Une affaire de droit ? Rigueurs du droit de la concurrence et grand zèle dans sa mise en œuvre

i.   Le droit tel qu’on le lit

Le droit français de la concurrence découle pour beaucoup du droit européen, lequel fait une large place au principe de libre concurrence. Le droit, tel qu’il en ressort, exclut ainsi par principe de réserver des marchés publics à des entreprises françaises ; mais, par exception, il permet de restreindre la mise en concurrence et la publicité de certains marchés.

L’encadré ci-après présente en détail des procédures d’acquisition d’équipements par les armées, y compris les mesures dérogatoires.

Les procédures d’acquisition d’équipements par les armées

1. Définition

L’article L. 113-1 du code de la commande publique définit ces « marchés de défense ou de sécurité » comme suit :

« Un marché de défense ou de sécurité est un marché conclu par l'État ou l'un de ses établissements publics et ayant pour objet :

1° la fourniture d'équipements, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous-assemblages, qui sont destinés à être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre, qu'ils aient été spécifiquement conçus à des fins militaires ou qu'ils aient été initialement conçus pour une utilisation civile puis adaptés à des fins militaires ;

2° la fourniture d'équipements destinés à la sécurité, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous-assemblages, et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l'intérêt de la sécurité nationale ;

3° des travaux, fournitures et services directement liés à un équipement mentionné au 1° ou au 2°, y compris la fourniture d'outillages, de moyens d'essais ou de soutien spécifique, pour tout ou partie du cycle de vie de l'équipement. Pour l'application du présent alinéa, le cycle de vie de l'équipement est l'ensemble des états successifs qu'il peut connaître, notamment la recherche et développement, le développement industriel, la production, la réparation, la modernisation, la modification, l'entretien, la logistique, la formation, les essais, le retrait, le démantèlement et l'élimination ;

4° des travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires ou des travaux et services destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l'intérêt de la sécurité nationale.

Les principes [d'égalité de traitement des candidats, de liberté d'accès et de transparence des procédures], lorsqu'ils s'appliquent à des marchés de défense ou de sécurité, ont également pour objectif d'assurer le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne. ».

Ce dernier alinéa contraint les services acheteurs à recourir en priorité aux entreprises européennes ; il leur interdit en revanche de privilégier des entreprises françaises.

2. Dispositions générales applicables aux marchés publics de défense ou de sécurité

a) Procédures applicables

● Les seuils à partir desquels la mise en place d’une procédure formalisée est obligatoire pour les marchés publics de défense ou de sécurité sont définis au niveau européen, et sont de 443 000 euros hors taxes pour les fournitures et services et de 5 548 000 euros hors taxes pour les travaux

● L’article L. 2324-1 du code de la commande publique prévoit trois types de procédures possibles pour la passation de marchés de défense ou de sécurité, à savoir :

l’appel d’offres « restreint » (L. 2324-2) par lequel l’acheteur choisit l’offre la plus avantageuse économiquement, sur la base des critères communiqués préalablement par l’acheteur aux candidats, sans négociations. Cependant, l’acheteur doit veiller à ce que l’offre ne soit pas anormalement basse et, si tel est le cas, doit demander des précisions au soumissionnaire sur son offre et, le cas échéant, la rejeter (articles L. 2152-5 et L. 2152-6) ;

– la procédure « avec négociation » (L. 2324-3) dans laquelle l’acheteur négocie le contrat avec un ou plusieurs « opérateurs économiques » candidats ;

– le « dialogue compétitif » (L. 2324-3), sorte de procédure mixte dans laquelle l’acheteur dialogue avec plusieurs acteurs économiques pour définir avec eux les solutions pour répondre aux besoins de l’acheteur, qui définiront en retour les critères en vertu desquels chacun de ces acteurs sera invité à remettre une offre.

b) Techniques d’achat utilisables par l’acheteur

Dans le cadre des procédures décrites supra, les acheteurs peuvent recourir à trois « techniques d’achat » (article L. 2325-1) que sont :

l’accord-cadre, permettant de présélectionner un ou plusieurs candidats afin de définir un contrat courant sur plusieurs années. La durée de ces accords-cadres est plafonnée à quatre ans, sauf cas exceptionnels dûment justifiés ;

le catalogue électronique, permettant de visualiser tout ou partie des offres des soumissionnaires de manière « structurée » ;

les enchères électroniques permettant aux candidats de réviser leur offre en fonction des offres des autres candidats.

c) Exclusions

● Le code de la commande publique prévoit plusieurs motifs permettant d’exclure d’office un candidat d’un marché public, notamment si la personne en question :

– a été condamnée pour diverses infractions pénales et fiscales ou recel de telles infractions (article L. 3123-1) ;

– ne respecte pas ses obligations en matière fiscale et sociale (L. 3123-2) ;

– n’est pas économiquement en état d’assurer le marché en raison de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire de l’entreprise, ou en raison d’une procédure de faillite personnelle ou encore une interdiction de gérer dont chef de cette entreprise fait l’objet (L. 3123-3) ;

– a été condamnée pour non-respect de certaines dispositions du Code du travail (articles L. 3123-4 et L. 3123-5).

● Le code de la commande publique exclue (article L. 3123-13) prévoit également des mesures d’exclusion de plein droit propres aux marchés de défense ou de sécurité pour les personnes :

– condamnées pour possession, port ou transport illégal d’armes ou de munitions, trafic d’armes et de matériels de guerre, divulgation, altération ou encore recel d’informations à caractère secret. L’exclusion est alors de cinq ans à compter de la décision du juge ;

– dont la responsabilité civile a été mise en cause pour non-respect de leurs obligations en matière de sécurité de l’approvisionnement et de sécurité de l’information (sauf si elles ne parviennent à prouver que leur intégrité professionnelle n’est plus remise en cause) ;

– pour lesquelles il est établi qu’elles n’ont pas la fiabilité requise pour éviter des atteintes à la sécurité de l’État, y compris si cette non-fiabilité a été établie à l’aide de données de source protégée.

d) Règles en matière de sous-traitance

Le code des marchés publics permet aux entreprises soumissionnaires ou retenues de recourir à la sous-traitance.

L'opérateur économique peut y recourir lors de la passation du marché et tout au long de son exécution, à condition de l'avoir déclaré à l'acheteur et d'avoir obtenu l'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement. Deux cas de figure sont alors envisagés (L. 2193-5) :

– si l’entreprise soumissionnaire décide, dès le moment de dépôt de son offre, de recourir à un sous-traitant, elle doit faire figurer cette information dans son offre en précisant l’identité des sous-traitants ainsi que la nature et le montant des prestations sous-traitées ;

– si l’entreprise décide en cours de contrat de sous-traiter certaines prestations, elle doit remettre à l’acheteur un « acte spécial de sous-traitance ».

e) Exécution des marchés de défense ou de sécurité

● Dans un marché de défense ou de sécurité, en vertu de l’article R. 2391-1, l’acheteur effectue un versement à titre d’avance au titulaire du marché dès lors que la valeur du marché dépasse 250 000 euros hors taxe et que le délai d’exécution est supérieur à trois mois. Dans le cas d’une PME, cette valeur est ramenée à 50 000 euros hors taxes et la durée d’exécution du marché à deux mois. L’acheteur a également la possibilité de verser une avance au titulaire dans les cas où celle-ci n’est pas rendue obligatoire par les textes.

● De même, des versements d’acomptes ont lieu dès que le bien ou le service dont le marché fait l’objet commence à être fourni (L. 2391-4).

● À noter que les paiements différés, à la différence des autres marchés publics, sont en principes interdits dans les marchés de défense ou de sécurité (L. 2391-5). Pour tenir compte des urgences – opérationnelles ou autres –, des caractéristiques fonctionnelles, techniques ou encore économiques d’un équipement ou service pouvant rendre inévitables les paiements différés, un accord des ministres de l’Action et des Comptes publics et des Armées peut autoriser l’insertion d’une clause en ce sens.

3. Procédures particulières et dispositions dérogatoires

a) Carte d’achat

Depuis 2004, l’article R. 2192-7 du code de la commande publique prévoit que les personnes morales de droit public dotées d’un comptable public peuvent effectuer des achats par carte d’achat. Sont toutefois exclus les marchés de travaux et les marchés « faisant l’objet d’une avance forfaitaire ou facultative ».

b) Partenariat d’innovation

L’article L. 2172-3 du code de la commande publique prévoit une procédure spécifique destinée à co-développer avec l’industriel des solutions innovantes susceptibles de répondre aux besoins de l’acheteur : le « partenariat d’innovation ». Les procédés innovants susceptibles de bénéficier de cette procédure sont :

– les « nouveaux procédés de production ou de construction » ;

– les nouvelles méthodes de commercialisation d’un produit ;

– les innovations organisationnelles modifiant les méthodes de travail, l’organisation du lieu de travail ou encore les « relations extérieures » de l’entreprise.

Le partenariat d’innovation peut se dérouler en une ou plusieurs phases dont la durée doit tenir compte du degré d’innovation du bien ou service, de la durée et du coût des activités de recherche que le développement de cette solution nécessite (article R. 2172-23). Le partenariat doit définir explicitement ces phases, leurs objectifs ainsi que leur rémunération associée (article R. 2172-24).

Pour les marchés dont la valeur atteint ou dépasse les seuils de procédure formalisée, le partenariat d’innovation doit être passé selon la procédure « avec négociation », sans possibilité de réduire les délais, même en cas d’urgence opérationnelle.

c) Procédure dite « adaptée »

Le code de la commande publique aménage également la possibilité de conduire une procédure dite « adaptée » dans laquelle l’acheteur définit lui-même les modalités de passation de marché, ces modalités respectant le reste des dispositions du code à l’exception des règles inhérentes aux procédures formalisées. Cette possibilité existe si :

– le montant du marché est inférieur aux seuils de procédure formalisée ;

– l’objet du marché le permet ;

– bien que le montant du marché est supérieur aux seuils de procédures formalisées, celui de certains « lots » est inférieur à un certain seuil.

d) Marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalable

● Le code de la commande publique prévoit dans son article L. 2322-1 la possibilité de passation de marché sans publicité ni mise en concurrence préalable, notamment si :

– une première procédure a été conduite et s’est révélée infructueuse ;

– l’urgence de la situation le justifie (ce qui recouvre les urgences opérationnelles) ;

– l’objet ou la valeur du marché le permet ;

– la procédure prévue par les textes serait en l’espèce inutile, impossible voire « manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur ».

● Le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 autorise, à titre expérimental et jusqu’au 23 décembre 2021, la passation de marché publics – y compris de défense ou de sécurité – sans publicité ni mise en concurrence préalable pour des « travaux, fournitures ou services innovants » répondant à un besoin dont la valeur est estimée inférieure à 100 000 euros hors taxe.

Le décret précise toutefois que l’acheteur recourant à cette procédure doit veiller à « choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec le même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ». L’acheteur doit également informer de sa décision de recourir à cette procédure l’Observatoire économique de la commande publique, placé sous l’autorité du ministère de l’Économie et des Finances, lequel devra transmettre au Premier ministre un rapport d’évaluation de ce dispositif dans les six mois précédant la fin de l’expérimentation, soit aux alentours de juin 2021.

e) Autres dispositions dérogatoires

● Le code de la commande publique aménage dans son article L. 2512-3 un régime juridique simplifié pour les « contrats comportant des prestations répondant aux intérêts essentiels de sécurité » de l’État. Les marchés de défense ou de sécurité concernés (L. 2515-1) sont notamment :

– ceux pour lesquels l’exécution de la procédure est régie par un accord international ou une organisation internationale ;

– ceux dont les règles de passation sont régies par un accord conclu entre au moins un État – membre de l’Union européenne et au moins un État-tiers ;

– ceux portant sur des services financiers (assurances exceptées) ;

– ceux portant sur les armes, munitions ou matériels de guerre lorsque l’article 346 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne l’exige ;

– pour lesquels le respect de la procédure ordinaire obligerait à une divulgation d’informations de nature à compromettre les « intérêts essentiels de sécurité de l’État » ;

– les marchés dont l’objet est relatif aux activités de renseignement ;

– ceux conclus dans le cadre d’un programme de coopération en matière de recherche et développement en matière d’armement entre des État-membres de l’Union européenne ;

– ceux conclus, pour les fournitures d’équipements civils aux forces déployées en opération extérieure, auprès d’acteurs économiques locaux ;

– ceux passés par l’État et attribués à un autre État ou à une subdivision de ce dernier.

● L’instruction ministérielle 1618/ARM/CAB sur les opérations d’armement prévoit plusieurs procédures dérogatoires. Ces dernières concernent :

– l’« urgence opérationnelle », dont le déroulé est régi par une instruction spécifique. L’instruction précise que l’enclenchement de cette procédure est décidé par le chef d’état-major des armées et que cette dernière doit rester « exceptionnelle » ;

– les opérations d’armement incluant une forte part de SIC (systèmes d’informations et de communications) dont les modalités « s’inspirent » de celles disposées par l’instruction ministérielle 2476/ARM/CAB/CC6 portant sur la conduite de projets de systèmes d’information et de communication.

ii.   Le droit tel qu’on le pratique

Les rapporteurs observent que la quasi-totalité de leurs interlocuteurs ont regretté une application très stricte, voire franchement maximaliste, des règles du droit de la concurrence. Le ministère des Armées, d’ailleurs, est réputé pour sa grande rigueur dans l’application du droit ‒ ne dit-on pas que la DGA n’a jamais perdu un contentieux ? Cette sorte de frilosité présenterait trois aspects :

‒ une tendance à la surinterprétation et à la « sur-transposition » du droit européen. À titre d’exemple, les représentants des PME et ETI entendus par les rapporteurs indiquent que c’est le droit européen qui est invoqué pour refuser de lier les phases de développement, même autofinancé par les PME, et de production de série, même simplement pour une première série de produits. Le risque, à ne pas garantir de marché à une PME qui auto-finance le développement d’un produit, est de transformer celles-ci en des sortes de bureaux d’études, la production étant confiée à des opérateurs étrangers. Cette logique est selon eux dangereuse et a nui aux secteurs où elle a été appliquée, notamment dans l’industrie automobile ;

‒ une certaine réticence des acheteurs publics à recourir aux dispositifs juridiques dérogatoires au droit commun des marchés de défense ou de sécurité ;

‒ une grande prudence dans les rapports que les autorités militaires acceptent d’entretenir avec les industriels, par souci des acheteurs publics d’éviter d’être taxés de favoritisme. C’est la raison pour laquelle le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) d’un appel d’offres ne saurait inclure des critères susceptibles de « cibler » manifestement le produit d’un fabricant en particulier, fût-ce l’entreprise qui a été liée aux armées par un partenariat d’innovation. En effet, un concurrent pourrait poursuivre le représentant de l’État (le « représentant du pouvoir adjudicateur », RPA, dans le langage du droit de la commande publique) pour favoritisme ‒ ce qui constitue une violation du droit de la concurrence ‒, en l’accusant de collusion avec un des soumissionnaires.

Les représentants du groupement des industries groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), du groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et du comité Richelieu ont présenté aux rapporteurs différents cas d’espèce montrant non seulement qu’il existe des rigidités dans le code de la commande publique, mais aussi que certains acheteurs en font de surcroît une application plus prudente que nécessaire, voire « timorée ». Ils ont cité l’exemple d’une PME exclue d’un appel d’offres par la DGA peut exclure une PME au motif que ses dirigeants auraient fréquenté trop étroitement les futurs utilisateurs des matériels en question sans en informer la DGA et aurait ainsi « biaisé » l’appel d’offres. De même, dans la marine, ont-ils expliqué, la peur d’être accusé de collusion avec les industriels est telle que cette dernière s’est éloignée des entreprises de l’industrie navale, au point de décliner les invitations à visiter les chantiers navals.

Ce constat, à leurs yeux, vaut non seulement pour la mise en application du droit français de la commande publique, mais aussi pour la transposition en droit français du droit européen de la concurrence. Ainsi, à leurs yeux, le droit européen est déjà inspiré plus que de raison par un « zèle concurrentiel », et la France est de surcroît le « meilleur élève de la classe », dans sa transposition et dans sa mise en application, les autorités françaises ayant tendance à sur-transposer et à sur-appliquer les règles européennes au détriment des PME françaises.

Bien entendu, les rapporteurs comprennent parfaitement le louable souci d’un respect strict du droit. L’aversion au risque juridique n’est pas à blâmer, loin s’en faut.

Néanmoins, le risque juridique n’est pas le seul qui pèse dans cette affaire. En effet, dans une stratégie d’approvisionnement des armées en équipements, même « petits », il convient à leurs yeux de concilier plusieurs risques : le risque juridique, certes, mais aussi le risque opérationnel que l’on fait prendre aux militaires que l’on équipe pour leurs opérations, ainsi que le risque industriel, c’est-à-dire le danger qu’il y a à fragiliser le tissu industriel national, le seul sur lequel nous puissions compter à coup sûr.

b.   Une affaire de choix : la concentration assumée des efforts de maîtrise technologique souveraine sur les équipements les plus critiques

Si toutes les marges de manœuvre juridique existantes ne sont pas exploitées afin de privilégier l’approvisionnement des armées en produits français, c’est de façon cohérente avec une orientation stratégique prise il y a près de quinze ans.

i.   Une orientation assumée expressément en 2008

C’est en effet le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale qui prévoit, pour la première fois aussi explicitement, que la stratégie d’acquisition d’équipements s’organise en trois cercles concentriques :

‒ au centre de ces cercles, les équipements « nécessaires aux domaines de souveraineté » pour lesquels la France estime qu’un partage industriel ne peut pas être envisagé, et conserve en conséquence la maîtrise nationale des technologies et des capacités de concevoir, fabriquer et soutenir ces matériels ;

‒ en première couronne, la majorité des acquisitions de défense et de sécurité, pour lesquels est privilégiée une « interdépendance européenne » ;

‒ enfin, « pour tous les cas où la sécurité d’approvisionnement n’est pas directement en jeu », soit parce qu’elle peut être assurée grâce à la pluralité des sources, soit parce qu’il est possible de constituer des stocks stratégiques pour faire face à une rupture d’approvisionnement, le Livre blanc de 2008 a privilégié le « recours au marché mondial ». Il précise d’ailleurs que cette option doit être « considérée par l’acheteur public comme une solution à part entière de la stratégie d’acquisition, et non comme un pis-aller venant après l’épuisement de toutes les autres options », marquant ainsi un choix assumé.

Ni le Livre blanc de 2013, ni la revue stratégique de 2017 n’ont fondamentalement remis en cause cette logique, qui conduit non seulement à accepter l’idée de perdre la maîtrise technologique et industrielle de « petits » équipements, mais même à ériger ce renoncement en principe de bonne gestion. Si elle ne reprend pas exactement les termes du Livre blanc de 2008, la revue stratégique de 2017 confirme ainsi ce choix. Elle a traité la question de la maîtrise souveraine des compétences industrielles, définissant quatre « cercles » :

– les compétences devant rester souveraines (« souveraineté ») : dans ce cas, la question du maintien de la capacité industrielle se pose afin de sécuriser la pérennité d’approvisionnement et en tenant compte de l’évolution des menaces et la DGA veille à ce maintien ;

– celles pour lesquelles un recours à la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est possible mais ne doit pas être systématique (« coopération avec maintien des compétences en France ») ;

– celles pour lesquelles un recours à la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est possible et souhaitable pour partager les compétences tout en préservant des garanties d’autonomie suffisantes, notamment en matière d’exportation (« coopération avec dépendance mutuelle ») ;

– celles qui ne présentent pas de risques stratégiques et pouvant être mise en œuvre par n’importe quel industriel (« recours au marché »). Comme le précise la DGA, le recours au marché peut être retenu dès lors que l’on considère que le marché européen subsistera et sera capable de fournir des matériels répondant aux besoins des forces armées indépendamment de toute action que nous menons en France. Pour les produits où l’industrie et la technologie sont matures, où les standards sont connus et partagés au niveau mondial, et pour lesquels le besoin des forces correspond à ces standards, cette stratégie peut être poursuivie.

Le schéma ci-après illustre cette logique.

StratÉgie d’approvisionnement dÉfinie par la RevuE stratÉgique de 2017

Source : Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017.

 

Ainsi, dans l’ensemble, la Revue stratégique a conclu que les risques pesant sur ce que l’on appelle communément les « petits » équipements (ceux du « quotidien ») n’étaient pas tels qu’ils auraient justifié une maîtrise souveraine. Le principe retenu est donc l’appel d’offres européen, la DGA appliquant ainsi les règles établies par le code de la commande publique.

ii.   Un cas d’école : les munitions de petit calibre

La stratégie formulée ‒ et revendiquée ‒ par le Livre blanc de 2008 avait des précédents, le plus emblématique étant le cas des munitions de petit calibre. En effet, depuis 1999, la France a cessé de produire de telles munitions, s’en remettant à des fournisseurs étrangers, au prix de quelques déconvenues.

La notion de « petit calibre » s’applique aux munitions de calibre compris entre 5,56 et 12,7 mm. Les munitions principalement utilisées par les armées françaises sont celles de calibre 5,56, 7,62, 9 et 12,7 mm, tant dans le service de l’armement individuel (pistolet automatique et fusil d’assaut), que collectif (mitrailleuses). Les munitions de petit calibre sont, à l’instar de plusieurs des équipements et matériels « otaniens », encadrées par des accords de standardisation (communément appelés STANAG, pour Standardization Agreement. Dans le cas, par exemple, des munitions de calibre 5.56 mm, très répandues au sein de l’OTAN, il s’agit du STANAG 4172.

C’est pour des raisons de compétitivité-coût des munitions, et donc de viabilité économique de leur filière de production, que Nexter a cessé sa production de munitions de moins de 20 mm en 1999. L’offre de fournisseurs étrangers était alors jugée suffisamment abondante et assez diversifiée pour offrir aux armées une multitude d’alternatives en cas de défaillance ou de rupture d’approvisionnement.

Les armées françaises se sont d’abord approvisionnées auprès de l’anglo-américain BAE Systems, et un contrat a été signé dans ce sens en 2006. Cependant, les munitions utilisées, les cartouches F5 de calibre 5,56 mm, se sont révélées inadaptées aux fusils d’assaut FAMAS. Dans les années qui ont suivi, les armées se sont fournies auprès d’autres groupes étrangers, tels que : ATK ([9]) aux États-Unis, Israel Military Industries et ADCOM Military Industries aux Émirats arabes unis ou Nammo en Norvège. Les munitions F3 de 5,56 mm d’ADCOM ont ainsi été livrées à partir d’octobre 2007 pour remplacer celles de BAE Systems, mais elles se sont également avérées défaillantes, provoquant de multiples accidents de tir à partir de février 2008, ce qui a conduit à leur retrait du service en 2009.

Les forces françaises se sont ensuite tournées vers les quatre entreprises retenues dans le cadre d’une phase de test de 2009 – 2013, à savoir ATK aux États-Unis, MEN ([10]) en Allemagne, BAE Systems au Royaume-Uni et CBC ([11]) au Brésil.

En parallèle de l’adoption définitive du fusil d’assaut Heckler und Koch HK416F, l’armée française a choisi de s’approvisionner en munitions du calibre correspondant auprès de MEN. Enfin, pour alimenter en munitions l’ensemble des 74 596 armes de poing Glock 17 qui équiperont les soldats français, c’est le tchèque Sellier & Bellot qui a été retenu.

Un projet de reconstitution d’une filière française de production de munitions de petit calibre a été rendu public en 2017, mais aucune suite n’y a été donnée pour l’heure (cf. infra). Le tableau ci-après présente les différentes étapes l’évolution de notre politique d’approvisionnement en munitions de petit calibre depuis 1999.

Chronologie de l’Équipement en munitions de petit calibre
par les forces françaises depuis 1999

1999

La France suspend sa production de munitions de petit calibre avec la fermeture du site industriel de GIAT Industrie au Mans.

2006

Contrat de cartouches F5 de calibre 5.56 mm standardisé OTAN, attribué à BAE Systems : les munitions à destination du FAMAS ne conviennent pas (balistique défaillante).

octobre 2007

Premières livraisons de cartouches F3 (5.56 mm) à destination du FAMAS par ADCOM, industriel des Émirats arabes unis.

février 2008

Premiers incidents de tirs enregistrés avec des munitions d’ADCOM.

2008

Aggravation des difficultés financières rencontrées par l’entreprise française Manurhin, malgré une position de leader dans le domaine des machines destinées à la production de munitions de petit calibre, avec des contrats sur les cinq continents.

2009 - 2013

Achat de munitions de petit calibre par Foreign Military Sales (FMS) chez Alliant Techsystems (ATK), industriel américain.

Parallèlement six fournisseurs différents sont évalués comme nouvelles sources d’approvisionnement potentielles pour les armées françaises. Quatre sont retenus à l’issue de ces tests : ATK, aux États-Unis, MEN en Allemagne, BAE au Royaume-Uni et CBC au Brésil.

janvier 2012

Après une recapitalisation à hauteur de huit millions d’euros par l’État en 2011, afin de pallier les difficultés financières que connaît l’entreprise Manurhin depuis plusieurs années, de nouveaux investisseurs entrent au capital du groupe en janvier 2012 : GIAT Industries, SOFIRED ([12]) et Delta Defence (groupe slovaque).

décembre 2015

Rapport parlementaire des députés Nicolas Bays (PS) et Nicolas Dhuicq (LR) sur « la filière de munitions ». Au sein de ce document, les rapporteurs s’inquiètent de l’absence de moyen industriel de production de munitions de petit calibre en France. Ils ouvrent donc une série de questionnements, visant à savoir par exemple si « la France serait (-elle) visionnaire en la matière alors que ses voisins ont pour la plupart conservé une industrie nationale de munitions de petit calibre qui alimente nos armées ? »

17 mars 2017

Accord signé à Pont-de-Buis-Lès-Quimerch entre Nobel Sport, spécialiste de la poudre pour armes de chasse, TDA Armements (filiale de Thales) et le groupe Manurhin, supervisé par le ministre Jean-Yves Le Drian, en vue de la recréation d’une filière industrielle de production de munitions de petits calibres.

juin 2017

L’entreprise Manurhin est placée en procédure de sauvegarde après plusieurs années de difficultés financières.

octobre 2017

Publication de la Revue stratégique, qui abandonne le projet de réintroduction d’une filière de production de munitions de petit calibre en France. Lors de son audition au Sénat, Joël Barre, Délégué général à l’armement avait déclaré que « les munitions de petit calibre ne font pas partie des domaines identifiés comme devant rester souverains » ([13]).

13 juin 2018

Décision de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse de céder le groupe Manurhin le premier août 2018 au groupe Emirates Defence Industries Company (EDIC), des Émirats arabes unis.

2.   L’affaire des masques, la stratégie problématique d’approvisionnement étranger à flux tendus

a.   Une logique difficilement conciliable avec l’impératif de résilience des armées et donc de l’État

La logique des cercles concentriques dans la maîtrise souveraine des technologies et des capacités industrielles, à l’œuvre dès la suspension de la fabrication de munitions de petit calibre en 1999 et formulée par le Livre blanc de 2008, repose in fine sur l’idée que pour des matériels de faible valeur ajoutée, produits à l’étranger à un moindre coût qu’en France, et ne présentant pas en apparence de caractère stratégique, la sécurité de nos approvisionnements ne risque pas d’être compromise si l’on abandonne la production nationale au profit d’importations.

Les rapporteurs relèvent que cette logique n’est pas sans rapport avec celle qui a guidé les choix de l’État concernant un autre type de matériels à faible valeur ajoutée, produits à l’étranger à un moindre coût qu’en France, et ne présentant pas en apparence de caractère stratégique : les masques respiratoires.

À leurs yeux, il y a des leçons à tirer de l’affaire des masques sur le plan de l’organisation de la résilience de l’État et de la Nation en cas de crise. Dans les temps normaux, certes, on peut s’en remettre à des fournisseurs étrangers. Mais qu’est-ce qui nous garantit qu’en cas de hausse subite de la demande de munitions de petit calibre ‒ non seulement en France, mais dans le monde ‒ qui résulterait d’un conflit de grande envergure, nos fournisseurs continueront de nous livrer et seront capables de nous approvisionner autant que nous en aurons besoin ? Le risque est d’autant plus grand que le commerce des munitions est plus régulé encore que celui des masques.

b.   L’idée de stocks stratégiques, une alternative plus théorique que réaliste à l’autonomie industrielle

Certes, on rétorquera aux rapporteurs que pour éviter une pénurie, il peut suffire de constituer des stocks stratégiques de matériels, même importés. Les rapporteurs observent cependant que, là encore en matière de munitions comme en matière de masques, la logique de prévoyance qui consiste à accumuler patiemment et à renouveler régulièrement des stocks stratégiques résiste difficilement aux pressions et aux aléas budgétaires.

Régulièrement, d’ailleurs, les autorités militaires entendues par la commission citent comme un point de vigilance le niveau de nos stocks de munitions.

Ainsi, l’idée de nous parer de ruptures d’approvisionnement en constituant des stocks est séduisante en théorie, mais les rapporteurs ne peuvent s’interdire de douter qu’elle soit réaliste en pratique, dans le temps long et à travers les épisodes réguliers de contraintes budgétaires que connaît notre pays. La résilience de nos armées leur paraît bien plus sûrement garantie quand l’usine n’est pas bien loin du régiment.

B.   Un Éloignement croissant et inquiÉtant entre nos P.M.E. et nos militaires

Même lorsque les « petits » équipements sont encore produits en France, on observe un éloignement croissant entre les armées et le tissu industriel de leurs fournisseurs. Cet éloignement a deux aspects : d’une part, les PME sont de plus en plus souvent reléguées au rôle de sous-traitants de grands groupes dans les marchés militaires et, d’autre part, les liens entre les armées et les petites entreprises ne sont plus assez étroits pour permettre à nos ETI, nos PME et nos TPE de répondre efficacement aux besoins des militaires.

1.   Un cantonnement progressif des PME françaises dans le rôle de sous-traitants, éloignés des utilisateurs de leurs produits

a.   Un paradoxe : les PME, fournisseurs des armées ayant peu de liens contractuels directs

La DGA explique que « les PME, forces de production, d’innovation et de réactivité nous sont indispensables » : dans l’armement, les PME sont plus de 4 000, mais aux dires du directeur des opérations, « elles restent invisibles ».

Au-delà de l’armement, dans le cadre de la mise en concurrence pour tous types de marchés, les PME sont plus de 26 000 à vendre directement au ministère des Armées.

Mais, dans l’éventail des cocontractants de la DGA, les PME n’obtiennent en moyenne que 1 % des marchés directs, représentant 2 % des dépenses de la DGA, alors que, selon l’ingénieur général de l’armement François Pintart, 60 % à 80 % de la valeur ajoutée des produits livrés aux forces provient des PME.

b.   Des PME réduites à intervenir en sous-traitance de plus grandes entreprises

i.   Une politique de massification des contrats

La « massification » des contrats d’approvisionnement du ministère des Armées ‒ parfois appelée aussi « globalisation » des marchés militaires ‒ constitue un mouvement à l’œuvre depuis quelques décennies au ministère des Armées.

Pour les acheteurs du ministère, il consiste schématiquement à privilégier des marchés publics ayant un vaste champ, plutôt qu’une multitude de marchés différents. Réduire ainsi le nombre des cocontractants du ministère a pour double effet de simplifier l’architecture contractuelle de ses approvisionnements et de confier à un opérateur extérieur le soin d’assurer la cohérence et l’interopérabilité des différents matériels fournis ‒ c’est ainsi une part du risque industriel et technologique dont se défait le ministère aux mains de son cocontractant principal (communément appelé prime contractor dans le langage commercial).

On pourrait présenter ce mouvement de globalisation des contrats comme ayant suivi trois grandes étapes historiques :

‒ dans les années 1990, la DGA a fait le choix de privilégier pour l’armement des contrats globaux, passés auprès d’un « assemblier » (ou « intégrateur ») auquel il revient de s’attacher les services des « équipementiers » (notamment des PME et des ETI) et d’assurer l’intégration des « briques » fournies par ses sous-traitants ;

‒ au tournant des années 2000 et 2010, la même démarche a été mise en œuvre par les grands services interarmées de soutien créés dans le cadre de la restructuration du ministère ;

‒ suivant les orientations de la loi de programmation militaire, les années 2020 devraient voir la globalisation des contrats de maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements, à commencer par ceux des matériels aéronautiques. La création de la DMAé a en effet pour objectif revendiqué de refondre l’architecture contractuelle dans le sens d’une « verticalisation » et d’une globalisation consistant à confier à un seul et même industriel l’ensemble des opérations de MCO pour la totalité d’une flotte.

ii.   Une dynamique cantonnant les PME au rôle de sous-traitants

La « massification » des contrats désavantage les TEP, PME et ETI à deux égards : d’une part, elles n’ont pas toujours la taille critique requise par les adjudicateurs pour s’assurer de la pérennité de leur fournisseur et, d’autre part, elle peut conduire à placer sous un même marché des produits très différents, bien plus divers que la production d’une petite entreprise. Dans de telles situations, les « petites » entreprises ne peuvent guère continuer à fournir les armées qu’en position de sous-traitantes, ce qui n’est pas pour elles sans inconvénients de toute sorte.

Comme l’ont souligné les représentants de PME et ETI du secteur de la défense rassemblés pas les rapporteurs à l’occasion d’une table ronde, une PME ne peut espérer de façon réaliste se voir attribuer un marché militaire que si le champ de celui-ci est assez limité. Dans tout autre cas, une PME ne peut espérer prendre une part d’un marché militaire qu’en tant que sous-traitants d’un grand groupe.

On rappellera à cet égard que c’est sa faible taille ‒ appréciée à l’aune de son chiffre d’affaires annuel moyen ‒ qui a été invoquée pour écarter le Français Verney-Carron de l’appel d’offres en vue du remplacement du FAMAS. Pour des équipements que les armées sont appelées à utiliser pendant de longues années, il n’est d’ailleurs pas incohérent que le ministère des Armées veuille s’assurer que son fournisseur soit suffisamment robuste pour que leur partenariat puisse s’inscrire dans la longue durée.

Les rapporteurs se sont fait présenter les effets très concrets de cette politique de massification des contrats par des fournisseurs du ministère des Armées devenues sous-traitants de plus grands industriels. Tel est le cas, par exemple, du fournisseur des dagues d’apparaît de l’armée de l’air, les Établissements Dumas, dont les rapporteurs ont visité les ateliers à Thiers.

Cas d’un ancien fournisseur direct des armées
devenu sous-traitant d’un grand groupe pour le même produit

Si les Établissements Dumas fournissent à l’armée de l’air ses dagues d’apparat depuis 1975, c’est de façon discontinue et suivant des architectures contractuelles qui ont varié. En effet, le premier marché obtenu en 1975 a été suivi d’autres, jusqu’à la mise en œuvre d’une procédure d’appel d’offres, en 2004, remporté alors par Béraudy-Vaure.

Toutefois, en 2014, Béraudy-Vaure a perdu ce marché, dans un contexte où on rachat par le groupe Martineau lui avait fait perdre certaines compétences nécessaires à la fabrication des dagues. De façon regrettable, le marché a été passé à une entreprise allemande. Celle-ci, cependant, aurait multiplié les malfaçons, et le marché ne s’est poursuivi qu’au prix d’ajournements, de pénalités et d’une nette baisse de la qualité du matériel.

En 2017, le ministère a choisi de « globaliser » certains marchés d’habillement. En conséquence, les poignards, dagues, épées et sabres ne constituent plus, depuis lors, des marchés à part entière, mais de simples accessoires d’un marché plus vaste, comprenant notamment les uniformes. Or, dans la restructuration d’un marché, le choix de la « globalisation » a pour effet de favoriser les soumissionnaires qui ont le plus de « voilure » financière, au détriment des PME et des ETI.

C’est ainsi que le marché a été remporté par Balsan (filiale du groupe Marck) et que les Établissements Dumas n’ont pu reprendre la production des dagues d’apparat qu’au titre de sous-traitant de Balsan.

Comme l’ont expliqué aux rapporteurs plusieurs dirigeants de TPE, PME et ETI sous-traitantes de plus grands industriels, même quand les relations sont bonnes avec leur donneur d’ordre, la position de sous-traitant n’en présente pas moins certains inconvénients :

– elle ne permet pas d’entretenir des rapports commerciaux directs avec les armées, qui seraient pourtant fructueux pour l’amélioration constante des produits en fonction de l’appréciation de leurs utilisateurs ;

– inévitablement, l’attributaire du marché public, donneur d’ordre à se sous-traitants, conserve pour lui une part de la marge financière réalisée sur le produit sous-traité. La part de cette marge qui se trouve ainsi captée par le donneur d’ordre peut en outre être très substantielle.

De même, les représentants de PME membres du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) entendus pas les rapporteurs ont été assez sévères quant à la réforme de la maintenance aéronautique, craignant qu’elle ne produise les mêmes effets. Le choix de cette dernière de réorganiser la maintenance sur un mode « vertical » privilégiant les grands groupes industriels pour cette activité est en effet, selon eux, préjudiciable aux PME, car :

 compte tenu des conditions de négociation des programmes, les PME ne réalisent pas leurs marges sur la conception ou la production des matériels, mais sur leur maintenance. Or, dès lors que les contrats de maintenance sont désormais confiés non plus à plusieurs PME, mais à un grand groupe responsable de l’ensemble, les bénéfices des contrats de maintenance risquent fort d’être davantage captés par le grand groupe attributaire du marché de maintenance d’une flotte que par les PME, qui n’interviendront plus que comme sous-traitants.

Ce risque aurait donc des conséquences déstabilisatrices pour le modèle économique des PME ;

 les activités de maintenance constituent la principale occasion, pour les PME, d’entretenir des contacts avec les forces qui utilisent leurs matériels et d’obtenir ainsi des retours d’expérience sur ces équipements et leur comportement dans le temps. Or les contacts entre les PME et les forces risquent de se réduire beaucoup dès lors que les marchés de maintenance seront confiés à des grands groupes. Aussi les représentants du GIFAS y voient-ils un risque pour la capacité des PME à faire évoluer leurs produits en fonction des retours d’expérience des forces ;

de plus, la prééminence des grands groupes pourrait allonger considérablement les délais de livraison. Un membre du groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) a cité le cas d’un contact avec le service de soutien de la flotte (SSF), mécontent du fait que l’entretien d’un équipement de haute pression sous-marine avait demandé 18 mois. En l’espèce, le SSF a été surpris d’apprendre que la pièce avait été livrée dans des délais très brefs (une quinzaine de jours) par le sous-traitant au groupe assembleur.

2.   Les difficultés des PME à connaître les besoins des militaires en temps utile pour soumissionner aux marchés

Unanimement, les dirigeants de TPE, de PME et d’ETI interrogés par les rapporteurs ont déclaré que le principal besoin des petites entreprises consiste à connaître précisément les besoins matériels des forces. Il s’agit pour elles de pouvoir se mettre « en ordre de bataille » avant même la publication des marchés du ministère des Armées, laquelle intervient souvent trop tard pour que ces entreprises soient en mesure d’adapter leurs produits aux demandes des armées.

a.   Pour les PME, la connaissance cruciale et difficile des besoins des forces en amont de la publication des marchés

Comme l’ont souligné les représentants du GICAT, du GICAN, du GIFAS et du comité Richelieu, la connaissance des besoins des forces en amont des appels d’offres est cruciale pour les PME. Du moment où la PME prend connaissance du besoin dépend en effet sa capacité à proposer un produit ou une technologie adaptée, compte tenu des délais de développement nécessaires.

Les représentants des trois groupements industriels ont regretté à cet égard qu’aujourd’hui, il ne soit pas rare que les PME ne découvrent les besoins précis des forces qu’au moment de la publication d’appels d’offres. Dans ce cas, n’ayant pas été en mesure de conduire à l’avance les travaux de R&D ‒ ou d’adaptation de leurs produits existants ‒ nécessaires pour répondre aux spécifications de l’appel d’offres, les PME en question se retrouvent de facto exclues du marché.

Les représentants des trois groupements ont cité l’exemple des casques audio pour pilotes : une PME française compétente dans ce domaine n’a découvert les spécifications traduisant les besoins précis des forces que le jour de la publication de l’appel d’offres ; les spécifications retenues prévoyaient que le casque dût peser 240 grammes, cette valeur correspondant aux caractéristiques d’un modèle de casque largement répandu et de fabrication américaine. Or la PME française concernée avait développé, pour des marchés civils, un casque de 260 grammes. Elle s’est donc retrouvée de fait exclue de l’appel d’offres, alors que l’écart de 20 grammes n’aurait probablement pas été dirimant pour les pilotes. L’essentiel tiendrait donc, selon les groupements, à avoir connaissance des besoins des armées plus en amont, dans des délais compatibles avec ceux de la recherche et développement.

Enfin, les représentants des trois groupements ont attiré l’attention des rapporteurs sur le fait qu’à leurs yeux, faute de connaître précisément les capacités industrielles en dehors des grands groupes, les spécifications retenues dans les appels d’offres sont parfois irréalistes d’un point de vue industriel.

b.   En dépit d’initiatives louables de rapprochement des PME avec les forces, des contacts insuffisants

i.   Des initiatives de rapprochement des PME et des forces

Les représentants des trois groupements industriels ont expliqué aux rapporteurs quelles mesures les PME mettent en œuvre pour pallier ces difficultés :

‒ certaines parviennent à avoir des contacts avec les forces, le plus souvent de façon informelle ou à l’occasion de salons ou de « journées portes ouvertes » ;

‒ il arrive également que des PME recrutent d’anciens militaires, en vue de développer leur connaissance des forces et de leurs besoins ;

‒ comme l’ont fait valoir les représentants du GICAT, les PME auxquelles la DGA passe directement des contrats ont une connaissance plus directe et plus aisée des besoins précis des forces. Ces PME restent peu nombreuses, ce qu’ont regretté unanimement les représentants des groupements, qui plaident en faveur d’un recours beaucoup plus fréquent de la DGA à la contractualisation directe avec des PME.

Lors de leurs déplacements sur le terrain, les rapporteurs ont aussi pris la mesure des efforts faits par les acteurs locaux, notamment les chambres de commerce et d’industrie, pour faciliter l’accès des TPE, PME et ETI de leur ressort aux marchés miliaires. Ainsi, par exemple, le délégué du ministère des Armées à l’accompagnement régional pour la région Auvergne – Rhône-Alpes a expliqué que, trop souvent, les PME de la région jugent les marchés de la défense difficilement accessibles à elles et que, pour lever ces phénomènes d’auto-censure, deux types d’actions ont été entreprises en lien avec la chambre de commerce et d’industrie :

– l’information des entreprises sur les marchés militaires ;

– un soutien aux PME dans la rédaction de leurs réponses aux appels d’offres du ministère des Armées.

Le président de la CCI a précisé que l’objectif de ces actions consiste à regrouper les PME en « clusters » pour qu’elles « chassent en meute » en partageant certains frais d’étude des appels d’offres.

ii.   Des liens encore insuffisants entre les PME et le ministère des Armées

Malgré de telles initiatives, les représentants des « petits » industriels estiment que connaître avec précision et suffisamment en amont des marchés les besoins des forces présente encore aujourd’hui une difficulté en soi, en raison des nombreux intermédiaires qui, dans la passation d’un marché, font écran entre les forces utilisatrices finales des matériels et les PME qui les développement et les fabriquent. La séparation entre utilisateur final et fournisseur est ainsi, selon les représentants des trois groupements, « étanche, ou du moins faite pour l’être ».

De plus, les représentants des trois groupements ont ajouté que, dans une chaîne de sous-traitance, non seulement la PME sous-traitante n’est pas associée à l’expression du besoin par les forces, mais ledit besoin lui parvient de surcroît parfois déformé, dans une sorte de « téléphone arabe » entre les usagers finaux, les donneurs d’ordres institutionnels ‒ tels que la DGA et le service du commissariat des armées, mais aussi les autres services interarmées chargées de fonctions d’achat, comme le service de santé des armées ‒, les maîtres d’œuvre industriels de premier rang et enfin, en bout de chaîne, la PME sous-traitante. Les PME membres du GICAT plaident ainsi en faveur de méthodes plus ouvertes d’expression du besoin, même dans le cadre de la sous-traitance.

Les autorités militaires semblent conscientes de ces difficultés. Ainsi, le sous-chef d’état-major de l’armée de terre chargé des plans et des programmes a reconnu que ce n’est pas toujours à tort que les PME se plaignent du peu de relations directes qu’elles peuvent avoir avec les forces, et de leur méconnaissance des besoins de ces dernières qui en découle, puisqu’elles ne disposent pas de conseillers militaires comme les grands groupes. Il y a là, pour les armées, un enjeu d’acculturation de ces entreprises.

C’est d’ailleurs pourquoi le général Charles Beaudouin s’est dit ouvert à ce que les industriels soient, de façon générale, associés plus étroitement qu’aujourd’hui à la définition du besoin dans le cadre d’un dialogue tripartite entre l’armée de terre, les industriels et le service de soutien compétent – selon la nature de l’équipement en question, ce service de soutien pouvant être la DGA, la SIMMT ou la DMAé pour ce qui concerne la plupart des équipements de l’armée de terre.

De façon générale, les représentants des trois groupements industriels ont regretté que les PME n’aient qu’un accès limité aux services de la DGA.

Selon leurs explications, le seul point d’entrée proposé par la DGA aux PME est aujourd’hui une adresse de courrier électronique, sans que les responsables de PME sachent quelle personne à la DGA reçoit et traite les messages envoyés sur cette adresse. Une plateforme de rencontre physique serait selon eux plus adaptée.

L’absence de liens entre la DGA et le tissu des PME peut d’ailleurs, ont fait valoir les représentants des trois groupements, s’avérer préjudiciable pour la DGA elle-même et, in fine, pour le bon équipement des forces. Un des intervenants a cité en exemple le fait que, sur une plateforme navale récente, les interférences entre matériels électroniques étaient telles, que la marine en était contrainte à ne pas pouvoir opérer simultanément deux radars, pourtant d’égale importance tactique. Cette situation a conduit la DGA à se tourner en urgence vers une PME dont la spécialité est la protection des systèmes électroniques contre les interférences : la société Jacques Dubois. Dans ce cas d’espèce, des inconvénients tactiques auraient pu être évités si la PME en question avait été en mesure de proposer ses services par anticipation.

Les représentants des trois groupements ont également déploré le manque de ressources humaines de la DGA en matière d’achats, qui conduit les « meilleurs » acheteurs à se consacrer aux grands programmes d’armement emblématiques plutôt qu’aux contrats de « petits » équipements, moins exigeants tant du point de vue technique que financier, et donc moins valorisants que les premiers.

II.   VERS DES LIENS PLUS ÉTROITS AVEC LE TISSU FRANÇAIS DE P.M.E.

Aux yeux des rapporteurs, le rétablissement de liens plus étroits entre les forces et les PME françaises serait mutuellement bénéfique, et particulièrement nécessaire dans une période où l’on entend accélérer la modernisation des équipements « à hauteur d’homme ».

Un tel rapprochement contribuerait à consolider notre politique d’approvisionnement en « petits » équipements. Les rapporteurs formulent en ce sens quatre séries de recommandations.

A.   Resserrer les liens entre le ministère des ArmÉes et les P.M.E. françaises

La première série de préconisations des rapporteurs est d’ordre générale : il s’agit de « resserrer les liens » entre les armées et l’industrie ‒ entre le soldat et le fabricant, pourrait-on dire ‒ par tous les moyens permettant :

‒ aux PME de s’acculturer conditions de vie et de travail des militaires afin de connaître leurs besoins et d’orienter en ce sens leurs développements et leurs productions ;

‒ réciproquement, au ministère des Armées de connaître mieux les capacités des producteurs de « petits » équipement, ainsi que leurs contraintes et leurs difficultés, particulièrement lorsque celles-ci sont de nature à compromettre la viabilité du tissu industriel de ses fournisseurs français.

1.   Améliorer la connaissance par les PME des besoins des armées

L’enjeu qui s’attache à la connaissance, par les PME, des besoins des forces se joue à la fois avant la passation des contrats, mais aussi après celle-ci, dans l’instauration d’un dialogue de qualité entre producteurs et militaires.

a.   En amont des marchés : pour une politique précontractuelle plus riche

Pour le ministère des Armées ‒ c’est-à-dire non seulement pour ses « acheteurs » mais aussi pour l’ensemble des entités et des autorités prenant part aux procédures d’acquisition, dont les rapporteurs ont montré supra qu’elles étaient nombreuses ‒, il y a schématiquement trois façons complémentaires d’entretenir des relations étroites avec les PME en amont de la notification d’un marché :

‒ divers événements permettant aux industriels de discuter très régulièrement avec les militaires, sans que ce soit nécessairement en amont d’un marché précis ;

‒ de façon déliée des publications de marchés, des démarches actives des services « acheteurs » auprès des acteurs de toute taille du tissu industriel ;

‒ dans les phases amont de la négociation d’un marché, un dialogue précontractuel assez ouvert entre les services « acheteurs » et les candidats qui en sont demandeurs.

i.   L’importance d’une certaine ouverture des forces au monde extérieur, notamment aux PME de leur environnement

Comme les représentants des trois groupements professionnels et du comité Richelieu l’ont fait valoir aux rapporteurs, si les PME ont fort peu de chances d’être retenues en prime contractors pour des programmes à effet majeur, elles sont mieux placées pour des marchés de matériels constituant en eux-mêmes des capacités intégrées ‒ comme des systèmes de drones légers ‒ ou pour des marchés d’équipements de série plutôt simples.

Dans ce dernier cas, les représentants des PME ont souligné l’importance particulière qu’ont des contacts entre les PME et les armées, par exemple à l’occasion des « portes ouvertes » organisées par les unités militaires, dans une démarche de co-développement des matériels. Les représentants du GICAT ont souligné à cet égard l’intérêt de la « journée de l’infanterie », qui offre aux PME une occasion de rencontrer les usagers finaux de leurs produits et, ainsi, de mieux connaître leurs besoins.

L’intérêt de ce type de manifestations pour les industriels, même très en amont d’éventuels marchés, a été confirmé sur le terrain, par exemple par les représentants de la chambre de commerce et d’industrie du Puy-de-Dôme. Dans le même ordre d’idées, le dispositif dit des « entreprises partenaires de la Défense » donne plutôt satisfaction. Les chefs d’entreprise, dans ce cadre, s’engagent à favoriser la souscription par leurs salariés d’engagements à servir dans la réserve ; en contrepartie, ils trouvent leur intérêt dans une certaine proximité avec le monde militaire, sur le mode du « relationnel ».

Aux yeux des rapporteurs, il convient d’encourager les initiatives de tout type qui permettent aux militaires et aux PME de nouer des relations directes, déliées de la perspective immédiate d’un marché.

ii.   L’intérêt de démarches actives des services « acheteurs » auprès des industriels de toute taille, y compris les TPE, PME et ETI

Les services « acheteurs » du ministère des Armées n’ont pas besoin d’attendre la préparation d’un marché précis pour mettre en œuvre diverses mesures relevant de la politique précontractuelle. Comme l’a ainsi expliqué le directeur central du service du commissariat des armées, une telle politique commence par le développement de relations avec les PME. Dans les pratiques actuelles de ce service, ces relations peuvent prendre plusieurs formes :

‒ des réunions périodiques constituant un cadre d’échanges avec les industriels, ce qui permet notamment de recueillir leur appréciation sur les relations qu’ils ont avec le service ;

‒ des visites des sites de production.

Des relations régulières entre l’industrie et les services acheteurs sont mutuellement bénéfiques : les seconds y trouvent intérêt en matière de veille technologique, tandis que les seconds en retirent des éléments leur permettant d’orienter leurs travaux développements dans un sens susceptible de correspondre à de futurs marchés militaires.

Le directeur général de la coutellerie thiernoise Tarreiras-Bonjean a ainsi expliqué que dans un marché tel que celui du couteau de campagne, le cahier des charges est très large, au point qu’attendre sa publication, c’est presque assurément ne pas pouvoir être en mesure de soumettre une offre en temps et en heure. D’où l’importance de relations suivies, d’échanges réguliers avec les personnels du commissariat des armées qui, un jour, pourraient contribuer à la rédaction d’un appel d’offres. Dans le cas du couteau de campagne, les remontées d’information par les décisionnaires ont été très utiles ; il est à noter que tous les concurrents peuvent solliciter de telles informations, lesquelles ne biaisent donc pas l’attribution du marché.

Un canal de ce type n’est cependant pas infaillible ; preuve en est, par exemple, que pour le marché de fourniture des dagues de l’ALAT, les contacts de Tarrerias-Bonjean avec un officier avaient abouti à imaginer un produit bien particulier, mais que les vues personnelles de l’officier en question n’ont pas été complètement retenues par les rédacteurs du cahier des charges. L’industriel a donc dû s’adapter en urgence.

De tels contacts sont particulièrement précieux pour les TEP, PME et ETI qui ne fournissent les armées qu’en sous-traitance d’autres industriels. Les représentants des trois groupements ont en effet expliqué que, dans une chaîne de sous-traitance, non seulement la PME sous-traitante n’est pas associée à l’expression du besoin par les forces, mais ledit besoin lui parvient de surcroît parfois déformé. Entre les utilisateurs finaux des matériels et, en bout de chaîne, la PME sous-traitante, les intermédiaires sont en effet nombreux, des donneurs d’ordres institutionnels ‒ tels que la DGA et le service du commissariat des armées, mais aussi les autres services interarmées chargés de fonctions d’achat, comme le service de santé des armées ‒, aux maîtres d’œuvre industriels de rang et aux autres entreprises placés plus haut dans la « cascade » de la sous-traitance. Les PME membres du GICAT plaident ainsi en faveur de méthodes plus ouvertes d’expression du besoin, même dans le cadre de la sous-traitance.

iii.   L’intérêt d’un dialogue ouvert dans les phases amont des processus contractuels, notamment dans le sourcing

Les procédures d’acquisition décrites supra permettent aux services « acheteurs » de lancer des consultations avant de publier un cahier des charges. Cette démarche, communément appelée de sourcing, peut constituer l’occasion de co-construire l’expression des besoins militaires que traduisent ensuite les cahiers des charges ; elle mérite donc d’être aussi approfondie que possible.

Le directeur central du service du commissariat des armées a ainsi expliqué que, dans le cadre de la politique précontractuelle du service, celui-ci s’efforce aujourd’hui de tenir des réunions ouvertes aux industriels ‒ notamment les PME ‒ pour leur annoncer ses intentions de commandes. Ces convocations permettent en effet de donner de la visibilité à ces industriels tout en s’assurant de leur disponibilité à moment où la commande sera faite.

Les rapporteurs ont recueilli des témoignages confirmant l’intérêt d’un dialogue précontractuel très ouvert au stade du sourcing. Ainsi, par exemple, le dirigeant de l’entreprise ambertoise Béraudy-Vaure a expliqué comment un tel dialogue avait permis à l’entreprise de remporter un marché de fourniture d’insignes militaires dont les fruits donnent pleine satisfaction aux soldats.

Selon lui, le poids accordé jusqu’à présent au critère du prix dans de tels marchés avait conduit les adjudicataires à transiger avec la qualité, « au point d’ailleurs de paraître en oublier ce qu’est la qualité, ou à tout le moins de se résigner à des matériels d’importation et de piètre valeur » du point de vue de la précision de la gravure, de la complexité du montage ‒ sertir une pièce dans une autre permet de donner aux insignes une complexité qu’un moulage en une seule pièce n’offre pas ‒ ainsi que de l’esthétique générale. Après plusieurs marchés d’approvisionnement en insignes passés auprès de fournisseurs qui ont délocalisé la fabrication de leurs produits dans des pays à bas coûts de production, les armées en venaient à se contenter, pour les marchés suivants, de critères de qualité très low cost. Tout l’enjeu du dialogue précontractuel consistait alors, pour Béraudy-Vaure, à accompagner les autorités militaires dans une démarche de redécouverte de la qualité des produits, afin qu’elles formulent des exigences supérieures aux habitudes prises jusqu’alors.

b.   En aval des marchés : un dialogue post-livraison plus fourni

Les travaux des rapporteurs font également ressortir l’intérêt que trouvent les PME, même ‒ et surtout ‒ en position de sous-traitance, à recueillir l’avis des militaires sur leurs produits et prestations en aval de la fourniture de ceux-ci.

i.   Un besoin de retour d’expérience des utilisateurs sur les produits des PME, même sous-traitantes

Les représentants des TPE, PME et ETI interrogés par les rapporteurs s’accordent à dire que, pour un producteur, recueillir l’appréciation de son produit auprès des utilisateurs de celui-ci est crucial pour l’amélioration de la production et la réponse aux marchés suivants.

Or un tel retour d’expérience est aujourd’hui loin d’être systématique, en particulier pour les « petites » entreprises qui ne prennent de part aux marchés militaires qu’à titre de sous-traitant.

Aux yeux des rapporteurs, de tels retours d’expérience devraient être généralisés, dans l’intérêt mutuel des industriels et des forces.

ii.   L’intérêt des visites aux fournisseurs

Lorsqu’ils se sont fait présenter l’ensemble des bureaux et des ateliers de Béraudy-Vaure, les rapporteurs ont rencontré l’ingénieur civil de la Défense qui y conduisait une mission de surveillance industrielle : il était chargé de rendre compte au Centre interarmées de l’équipement du combattant ([14]) du respect par l’entreprise des critères de qualité fixés par les cahiers de charges du marché de fabrication d’insignes.

Les discussions avec cet ingénieur ainsi que les dirigeants de Béraudy-Vaure ont permis aux rapporteurs de mesurer l’intérêt mutuel du ministère et de l’entreprise à de telles visites, à la double condition où les ingénieurs de l’État veulent bien s’y prêter et restent en poste suffisamment longtemps pour le faire :

‒ pour l’entreprise, outre qu’un tel contrôle participe à l’effort continu de « juste qualité », elles constituent des occasions de connaissance mutuelle avec des personnels qui, par ailleurs, peuvent être conduits à contribuer à la rédaction des marchés publics suivants (cahier des charges et cahier des clauses techniques particulières) ;

‒ pour le ministère, outre qu’elles permettent de contrôler la qualité des équipements qu’il acquiert, de telles visites contribuent à ses activités de veille technologique, au même titre d’ailleurs que la présence à des salons professionnels ou les invitations que peuvent recevoir ses ingénieurs.

L’entretien de tels liens peut aider les entreprises à cerner les besoins des armées tels qu’ils sont appelés à être exprimés dans les procédures d’acquisition, et ainsi à anticiper leurs développements en vue d’être prêtes à concourir des offres lorsque paraissent des appels d’offres.

2.   Dynamiser la politique du ministère des Armées en faveur des PME en s’appuyant sur la dynamique née de la crise sanitaire

Depuis le « Pacte Défense‒PME » conclu sous les auspices de M. Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, le ministère met en œuvre un politique visant à conforter les PME de notre base industrielle et technologique de défense. Cette politique a été poursuivie à partir de 2017 sous l’appellation de plan « Action PME », dont le pilotage a été confié à la DGA à partir de 2019.

Dans la crise sanitaire, cette politique a connu un coup d’accélérateur : la DGA a mis en œuvre un dispositif de suivi rapproché des PME en vue d’éviter la défaillance de fournisseurs « critiques » de matériels miliaires, « grands » ou « petits ». Aux yeux des rapporteurs, cette dynamique mérite d’être pérennisée et étendue au-delà du seul champ des producteurs d’armements ou de composants « critiques », pour porter ‒ suivant des modalités adaptées ‒ sur l’ensemble des PME fournisseurs du ministère des Armées, que ce soit à titre de cocontractant ou de sous-traitant.

a.   L’action du ministère des Armées en faveur des PME

i.   Une politique confiée à la DGA

Comme l’a fait valoir le directeur des opérations de la DGA, celle-ci « veille au quotidien à soutenir les PME qui sont en sous-traitance des grandes entreprises de défense ». C’est le cœur de son action de soutien aux PME menée dans le cadre du plan « Action PME » qui comprend différents volets :

– le suivi et l’accompagnement de près de 500 PME identifiées comme étant critiques ou stratégiques pour les programmes en cours ou à venir ;

– le pilotage d’engagements bilatéraux entre les grands donneurs d’ordres et le ministère en faveur des PME sous-traitantes. Cet axe du plan « Action PME » est « le plus important en impact et en progrès » : il a permis de « générer une certaine proportionnalité entre les clauses des marchés publiques et celles des marchés de sous-traitance », par exemple en matière de propriété intellectuelle et de pénalités ;

– la mise en œuvre, aujourd’hui à travers l’AID, de dispositifs de soutien à la R&D adaptés aux PME : ASTRID et ASTRID Maturation pour la recherche, FUI PSPC pour la R&D civile, RAPID pour la R&D duale. L’encadré ci-après présente ces spécifiques de soutien aux PME et aux start-up ;

– un fonds d’investissement de soutien de PME et ETI de la Défense (Définvest) pour les PME stratégiques. Définvest n’a pas pour autant vocation à prendre une part majoritaire lors des « tours de table » de levées de fonds.

– pour faciliter l’accès des PME aux marchés de défense, la DGA organise plusieurs fois par an des événements dédiés aux PME (journées d’information générale, dédiée « export », dédiée innovation) afin de les informer notamment sur les orientations technologiques, les besoins défense ou la réglementation export. En 2019, plus de 20 journées ont été organisées partout sur le territoire. C’est par de telles initiatives que la DGA vise à remédier aux difficultés que rapportent les PME en matière de connaissance des besoins des forces et d’accès aux marchés, forums et « journées d’information » pouvant permettre aux PME de connaître suffisamment en amont les orientations des marchés, dans le respect du code de la commande publique (CCP). M. L’IGA François Pintart a expliqué que ces événements sont mis en place en partenariat avec la mission « achat » du ministère mais aussi avec les chambres de commerce et d’industrie (CCI) ainsi que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) locales ; le problème pourrait être, selon lui, que ces chambres et directions locales ne relayent pas toujours les informations à l’ensemble des PME de leurs juridictions respectives ;

– concernant l’export, la procédure dite de « l’article 90 » soutient les projets d’adaptation et d’industrialisation de matériels de guerre pour répondre aux besoins de clients étrangers. La DGA aide aussi les PME à participer à des salons d’armement et à aller trouver des prospects à travers des missions collectives dans des pays cibles ;

– enfin, pour soutenir la BITD, la DGA a pour mission dans le cadre du plan « Action PME » de faciliter l’accès des PME au Fonds européen de défense notamment en les informant, en les mettant en relation avec des entreprises européennes et en accompagnant leur projet. Une dizaine de journées organisées pour informer et mettre en relation en 2019.

Soulignons que le plan « Action PME » couvre non seulement les achats hors armement mais aussi (et pour une grande part) la sous-traitance des entreprises, « derrière » les grands industriels de défense. La mission « achat » du SGA ne traite que les achats directs du ministère et ne s’intéresse pas aux achats d’armement ni à leur sous-traitance qui relève de la DGA.

Interrogé sur les difficultés que rapportent les PME à trouver un point de contact auprès de la DGA, le directeur des opérations a expliqué que depuis le 1er janvier 2020, la DGA est désignée « pilote » de toute la politique du ministère des Armées en faveur des PME. C’est la conséquence du fait que depuis une quinzaine d’années la DGA a créé puis développé le métier de suivi et de soutien des PME de la base industrielle et technologique de défense.

Il a expliqué aussi que la DGA a le double souci de permettre aux PME d’accéder aux marchés et de faire en sorte que ces PME ne soient pas excessivement dépendantes des marchés publics. En effet, si une PME se consacre à un client unique pendant la durée du marché, elle n’aura plus de clients à l’expiration dudit marché. La DGA veille ainsi à ce que le marché public ne représente jamais plus de 30 % à 50 % – en fonction de la complexité des matériels fournis – des débouchés d’une PME.

D’autres mesures spécifiques sont prévues pour les « petites » entreprises innovantes ; l’encadré ci-après les présente.

Dispositifs spécifiques de soutien aux « petites » entreprises innovantes

L’Agence de l’innovation de défense a mis en place au sein de son pôle Innovation Ouverte un dispositif de détection, suivi et accompagnement (par financement de maquettes ou démonstrateurs) de start-ups que le ministère n’identifiait pas nécessairement jusque-là (start-ups non issues de laboratoires ou de la valorisation d’actifs de la recherche par exemple). Sur cette activité spécifique ciblant ces acteurs économiques émergents (en complément de la détection de petites entreprises que la DGA opérait déjà au travers de ses dispositifs comme RAPID), l’Agence a :

– référencé 119 start-up en 2019 sur les thématiques d’intérêt en termes d’innovation ouverte exposées sur le site de l’Agence,

– caractérisé 83 d’entre elles (entretien avec les fondateurs pour évaluer plusieurs éléments dont la maturité technique, marché, l’équipe, le plan d’actions, etc.)

Les projets menés par l’Innovation Défense Lab de l’AID impliquent fréquemment des PME ou Startup (26 projets sur 40). Pour rappel, l’Innovation Défense Lab permet l’expérimentation en situation réelle et le prototypage en vue de déploiement effectif.

Parmi ces projets, peuvent être cités :

– projet E-FLyco – un projet avec la société SEAIr (Lorient) qui équipe des embarcations semi-rigides (types zodiaques) avec des foils. Ce projet vise à étudier les bénéfices de l’installation de foils sur les embarcations des forces spéciales,

– l’appel à projets sur le maintien en conditions opérationnelles (MCO) aéronautique qui a donné lieu à deux développements de démonstrateurs : l’un avec la société Robotplanet (vérification automatique de matériaux dans la profondeur), l’autre avec la société Donecle (drone de vérification de défauts sur un aéronefs – comparaison entre la cartographie drone et le plan 3D de l’avion),

– le projet Niagara qui teste une maquette de LASER quantique à des fins de contre-mesure avec la société CAILABS.

Par ailleurs, depuis 10 ans, le mécanisme RAPID (Recherche appliquée pour l’innovation duale), dont la gestion relève depuis septembre 2018 de l’AID, subventionne chaque année des projets portés par des entreprises de taille inférieure à 2000 personnes.

Sur les trois dernières années, ce mécanisme a financé 31 moyennes entreprises pour un montant de 15.8 M€ et 120 petites entreprises pour un montant de 61.9 M€.

On peut citer quelques exemples de financement de projets d’équipements à hauteur d’homme :

– RAPACE : dispositif optique d’harmonisation d’une lunette de visée montée sur une arme à feu avec les sociétés SOMINEX et STARNAV.

– Turbine Z-Air : Développement d'un turbopropulseur propriétaire répondant aux exigences en performance et fiabilité nécessaires aux plateformes aéro-propulsées avec la société ZAPATA.

– HERACLES : démonstrateur d'exosquelette apte à préserver son utilisateur par l'emploi de protections lourdes tout en lui laissant une forte mobilité avec la société RB3D.

– RICAB : développement d’un antidote de biodéfense avec la société FAB'ENTECH.

Enfin, le mécanisme ASTRID maturation finance entre 4 à 5 M€ chaque année dans des projets d’amorçage impliquant une PME depuis 2013. Quelques exemples :

– TEXT-épur-OP : Protéger les populations civiles ou militaires, ainsi que les personnels de secours. Projet sur l'immobilisation sur surface textile d’épurateurs oligosaccharidiques d’agents organophosphorés neurotoxiques avec la société MDB TEXINOV.

– Baudet-Rob2 : Robot Mobile d’assistance logistique pour une mobilité des groupes d’intervention plus efficace, plus réactive et plus sûre - étape de maturation ave la société EFFIDENCE.

– MCIED2 : Protection des troupes au sol contre les engins explosifs improvisés : projet de Modèle d'Antenne directive Compacts Installée sur véhicule Equipé pour la Détection à Distance avec la société AXESSIM.

– STRATEGIC : Développement d'outils d'aide à l'analyse de situation : Situation Tactique de Référence sur tAblette Tactile, intelliGente et adaptée aux profIls fonCtionnels avec la société MASA GROUP.

Source : direction générale de l’armement.

ii.   Un coup d’accélérateur en réaction à la crise sanitaire

Comme la présidente Françoise Dumas l’a montré dans un récent rapport d’information ([15]), la DGA s’est attachée à soutenir les PME qu’elle juge « critiques » ou « stratégiques » et qui rencontrent de graves difficultés économiques en conséquence de la crise du covid-19 ; l’encadré ci-après présente cet effort.

Le soutien du ministère des Armées aux PME face aux conséquences de la crise sanitaire

Le soutien à la BITD passe dès à présent par un effort de recensement des difficultés et de traitement, dans la mesure du possible, des tensions sur la liquidité des entreprises les plus fragiles. La DGA a ainsi annoncé le 23 mars qu’elle avait entrepris diverses mesures en soutien aux PME et ETI « qui opèrent à son profit, directement ou indirectement » – c’est-à-dire y compris aux sous-traitants et aux fournisseurs des « grands » groupes – tels que :

– une accélération des paiements : la liquidation des factures d’une valeur inférieure à 5 000 euros est désormais faite sans attendre la délivrance de l’attestation de service réalisé ;

– la mise en place d’un site Internet et d’une hotline afin de répondre aux questions (hormis celle relatives à des programmes d’armement sensibles) des PME et ETI de la défense et de mettre en place des mesures adaptées à leurs situations individuelles.

De plus, devant la commission de la Défense, le délégué général pour l’armement a annoncé que la DGA devait mettre à l’œuvre, au début du mois de mai, une task force de suivi rapproché des PME et des ETI sur l’ensemble du territoire national, reposant sur les établissements de la DGA dans nos différentes régions. Ce dispositif s’articule autour de visites d’entreprises sur le terrain, du moins pour les plus critiques d’entre elles, afin d’identifier les problèmes auxquels elles se heurtent. Le délégué général a expliqué que, de ce constat, il sera possible d’identifier des solutions supplémentaires pour les aider à franchir l’étape difficile que constitue la crise.

Source : Rapport d'information n° 3088 présenté par la présidente Françoise Dumas portant restitution des travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées sur l'impact, la gestion et les conséquences de la pandémie covid-19.

Face à la crise, la DGA a ainsi donné une dimension et une portée nouvelles à la politique de soutien des PME mise en œuvre par le ministère des Armées. Fait nouveau, la DGA a entrepris un travail de cartographie des PME ‒ et de leurs éventuelles difficultés ‒, appuyé par des visites d’entreprises qui mobilisent une centaine de personnels de la DGA. Son travail de repérage et de traitement des difficultés est en outre mené de façon coordonnée avec la direction générale des entreprises (DGE) et la Banque publique d’investissement (BPI), ainsi qu’avec les « grandes » entreprises de l’armement et les groupements professionnels, en vue d’identifier les entreprises en situation suffisamment forte pour servir de pivot de consolidation industrielle, de préférence entre Français.

b.   Des mesures à pérenniser et à étendre à l’ensemble des fournisseurs du ministère des Armées

Les rapporteurs soulignent que ce faisant, la DGA conduit une véritable politique industrielle à l’égard des TPE, PME et ETI concernées.

Des mesures telles que l’accélération des paiements, la cartographie des entreprises, l’intermédiation entre industriels en vue de favoriser le cas échéant des rapprochements d’entreprises, ainsi que les visites régulières de sites de production et de bureaux d’études méritent assurément d’être pérennisées.

Si, dans l’urgence de la crise, la DGA a légitimement concentré son action sur les PME identifiées comme « critiques » ou « stratégiques », c’est aux yeux des rapporteurs l’ensemble des fournisseurs du ministère des Armées qui mérite d’être suivi et soutenu suivant la même démarche, que ce soit par la DGA elle-même ‒ principalement pour les entreprises qui bénéficient de ses contrats, directement ou au titre de la sous-traitance ‒ ou par les autres services interarmées « acheteurs ».

D’ailleurs, une connaissance plus fine des entreprises de toute taille est dans l’intérêt même des acheteurs du ministère. En effet, les représentants des trois groupements ont attiré l’attention des rapporteurs sur le fait qu’à leurs yeux, faute de connaître précisément les capacités industrielles en dehors des grands groupes, les spécifications retenues dans les appels d’offres sont parfois irréalistes d’un point de vue industriel.

De façon générale, un tel resserrement des liens entre le ministère des Armées et le tissu industriel dans lequel il trouve ses fournisseurs donnerait ainsi à la politique d’approvisionnement une véritable dimension de politique industrielle.

B.   Donner davantage de leviers de cohÉrence aux armÉes dans l’acquisition des « petits » Équipements

Faut-il modifier profondément la répartition des compétences entre les armées et les services interarmées chargées des achats ? Certains le souhaitent ; d’autres non. Il est d’ailleurs vrai que, ces dernières années, plusieurs réformes ont tendu à faire une plus grande place aux armées dans les procédures d’acquisition de diverses sortes d’équipements.

Les rapporteurs, pour leur part, ne plaident pas en faveur de grands bouleversements d’organigramme et plaident a minima pour des pratiques permettant de donner un peu plus de poids qu’aujourd’hui aux armées dans la politique d’approvisionnement en « petits » équipements.

1.   Les procédures d’acquisition récentes tendant à faire une plus grande place aux armées

S’agit-il de mouvements ponctuels et techniques, ou du début d’une tendance, d’un « retour de balancier » après plusieurs décennies marquées par la montée en puissance des structures interarmées au détriment des compétences des armées elles-mêmes ? Il est trop tôt pour le savoir.

Néanmoins, on observe bien que plusieurs réformes récentes ont visé à faire une plus grande place aux armées dans des procédures d’acquisition, notamment en matière de « grands » équipements et d’infrastructures.

a.   L’association des armées à l’acquisition des « grands » équipements avec « la 1618 »

L’instruction ministérielle 1618, outre ses ambitions déjà citées, a aussi pour objectif de rapprocher les armées et la DGA dans la conduite des opérations d’armement.

L’ingénieur général de l’armement François Pintart a ainsi expliqué qu’en application de cette instruction la DGA travaille avec les armées de façon aujourd’hui très intégrée avec les armées pour la préparation de l’avenir, puisque le service d’architecture des systèmes de défense de la DGA partage les mêmes bureaux que les officiers de cohérence opérationnelle (« COCA ») de l’état-major des armées. Il a expliqué que l’enjeu de ce travail en plateau consiste à trouver l’équilibre le plus satisfaisant entre technologie, délais et coûts. Ce faisant, une des orientations de l’instruction ministérielle 1618 est d’associer davantage les armées et l’industrie elle-même aux choix technologiques de la DGA.

b.   Des compétences nouvelles pour les armées en matière d’infrastructures

En 2019, le choix a été fait de transférer aux armées une partie des crédits d’infrastructures, qui relevait jusqu’alors de la responsabilité du secrétariat général pour l’administration du ministère. Les crédits concernés sont ceux destinés à financer les infrastructures liées aux activités opérationnelles et aux dépenses de maintenance dites « du locataire ».

Cette modification de périmètre traduit le choix fait de confier aux chefs d’état-major la responsabilité complète de programmes d’infrastructures, pour lesquels leur rôle se bornait jusqu’alors à l’expression des besoins capacitaires et fonctionnels.

Avec les orientations précitées de « la 1618 », elle marque un tournant ‒ modeste, mais significatif ‒ dans l’histoire administrative du ministère des Armées, qui était marquée depuis longtemps par la mutualisation de ce type de fonctions des trois armées au sein de grands services interarmées échappant à la tutelle directe de chaque armée.

2.   Faire davantage de place aux armées dans les procédures d’acquisition de « petits » équipements

i.   Une idée vue avec bienveillance par les états-majors

De façon générale, le sous-chef d’état-major chargé des soutiens et des finances à l’état-major de la marine a estimé que conférer aux chefs d’état-major davantage de « leviers de cohérence » dans le cadre des orientations et objectifs fixés par la ministre, faciliterait la réponse aux besoins des militaires.

En effet, selon le sous-chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace chargé de la préparation de l’avenir, la passation d’un marché demande à peu près la même charge de travail au service acheteur quel que soit le volume du marché en question. Les acheteurs ont donc tendance à traiter en priorité les grands programmes d’armement emblématiques, plus valorisants pour l’acheteur, au détriment des contrats de « petits » équipements.

En particulier, le sous-chef d’état-major de l’armée de terre chargé des plans et programmes, a expliqué que l’armée de terre, pour sa part, verrait des avantages à ce que la fonction « habillement du milieu aéro-terrestre », lui soit confiée directement, en sa qualité d’armée « menante » pour les opérations de ce milieu d’engagement. Il a expliqué qu’une plus grande autonomie permettrait à l’armée de terre de « gagner des marges de manœuvre » par diverses mesures d’optimisation ‒ par exemple le ré-emploi des treillis « un peu usagés » pour les activités physiques diverses (comme le parcours du combattant), qui permettrait d’économiser utilement de l’argent, ou le développement du camouflage unique, « tous temps, tous lieux » qui limiterait la gamme des treillis.

ii.   A minima, favoriser le travail tripartite entre les armées, les services « acheteurs » et l’industrie dans l’acquisition de « petits » équipements

Sans qu’ils aient à se prononcer sur des mesures d’organisation interne du ministère des Armées, dont la définition suppose une étude de nature plus administrative que leurs présents travaux, les rapporteurs relèvent que l’idée d’un travail tripartite, associant de façon resserrée les armées, la DGA et l’industrie, constitue l’un des apports de « la 1618 » dont nul n’a remis en cause la pertinence.

Des démarches du même type, avec un travail « en plateau », méritent certainement d’être mises en œuvre pour l’acquisition d’autres équipements que ceux relevant de la DGA.

C.   Utiliser toutes les possibilitÉs juridiques pour favoriser leS RELATIONS entre l’industrie française et les armÉes sur tout le territoire

Les rapporteurs tirent de l’ensemble de leurs travaux la conviction que les besoins des armées ne sont jamais mieux satisfaits, et les industriels français de toute taille mieux soutenus, que quand militaires et producteurs d’équipements réussissent à entrer dans une démarche de co-développement des matériels.

Tel est le cas pour les « grands » équipements les plus emblématiques, qui sont toujours développés « sur mesure », sous l’égide de la DGA. Pourquoi ne pas suivre la même démarche pour les « petits » équipements plus fréquemment qu’aujourd’hui ?

Il ne s’agit pas, aux yeux des rapporteurs, de remettre en cause le principe d’achats sur étagère : le « sur-mesure » n’est pas toujours nécessaire. Mais, même dans le cas d’une acquisition simple, l’entretien de contacts réguliers entre militaires et producteurs pourrait permettre aux seconds de développer une offre susceptible de répondre non seulement à d’éventuels marchés militaires, mais aussi à d’autres demandes. Il s’agit bien dans l’esprit des rapporteurs, de promouvoir une démarche de co-développement assez souple, et non d’établir un instrument juridique nouveau. Le droit en vigueur offre déjà des facilités ; peut-être des ajustements à la marge seraient-ils nécessaires, dans les limites du droit européen existant, en attendant que celui-ci évolue.

1.   Favoriser les échanges entre les militaires et les industriels dans la conception et le développement des « petits » équipements

Les exemples précités du couteau de campagne CAC ou des insignes militaires montrent que, lorsque les conditions sont réunies pour un dialogue précontractuel ouvert, un marché peut donner une égale satisfaction aux armées et à l’industriel.

À la faveur des échanges réguliers des producteurs, notamment les PME, avec les forces comme avec les services « acheteurs » du ministère des Armées, une telle démarche pourrait être sinon généralisée, du moins étendue à un grand nombre de « petits » équipements.

Le général Charles Beaudouin a d’ailleurs fait valoir que certaines procédures, prévues par le droit en vigueur de la commande publique, se prêtent bien à une association plus étroite qu’aujourd’hui des PME à la définition du besoin des forces dans le cadre d’un dialogue tripartite entre militaires, industriels et acheteurs du service de soutien compétent – par exemple le service du commissariat des armées, la DGA, la SIMMT la DMAé. Tel est le cas du « dialogue compétitif » et du « partenariat d’innovation », qui permettent de définir avec les industriels les besoins des forces et les solutions pour y répondre.

2.   Utiliser les dispositifs juridiques existants permettant de déroger au droit commun des marchés

Les développements qui précèdent concernant les procédures d’acquisition montrent que nombre de dispositifs dérogatoires au droit commun existent. Pourtant, pour l’heure, certaines sont très peu employées ; tel est le cas, par exemple, du partenariat d’innovation ‒ avec deux contrats seulement signés à ce jour ‒ comme du dialogue compétitif. Cette situation paraît s’expliquer, comme il a été dit, par la complexité de ce type d’instruments ‒ ou, du moins, par le niveau de risque juridique qu’en perçoivent nombre d’acheteurs.

L’expérience prouve pourtant que les procédures dérogatoires, lorsque les acheteurs du ministère des Armées prennent le risque d’y recourir, permettent de répondre efficacement aux besoins des forces, en lien avec les entreprises de leur environnement, et dans des conditions de coût qui ne sont pas fatalement moins favorables que suivant les procédures classiques.

Tel est le cas, par exemple, du développement et de l’achat des « masques covid » des militaires, conduit sous l’empire des dispositions dérogatoires au droit de la commande publique établies pour la durée de l’état d’urgence sanitaire.

En effet, durant la crise sanitaire, en l’espace de deux mois seulement, le service du commissariat des armées a réussi à faire développer pour les armées un « masque covid » assurant la protection sanitaire des combattants tout en préservant leur capacité à s’entraîner, grâce à un système de filtres à renouveler tous les quatre jours – ce qui laisse aux soldats suffisamment de temps pour une « sortie terrain ». Ce délai est particulièrement court au regard des délais habituels de contractualisation.

La demande émanait de l’armée de terre, qui avait rapidement fait valoir les inconvénients qu’aurait pour elle la première doctrine adoptée en la matière, à savoir la distribution aux soldats de masques jetables. L’approvisionnement en masque non chirurgicaux ayant été confié par l’état-major des armées au service du commissariat des armées ‒ et celui de masques chirurgicaux au service de santé des armées ‒, c’est vers cet organisme que s’est tournée la section technique de l’armée de terre (STAT) afin de développer un masque plus adapté. Une fois la veille technologique effectuée par l’équipe du commissaire général Éric Démerger, celle du commissaire en chef Régis Renard a lancé la « requête pour information » auprès un industriel. Le produit a ensuite été testé sur le plan technique par les laboratoires spécialisés du commissariat, et sur le terrain par la STAT. Une première commande de 10 000 masques environ a été passée peu avant l’échéance de l’état d’urgence sanitaire ‒ et, ainsi, des dispositions dérogatoires de passation de marchés ‒ le 23 juillet 2020.

Un tel programme, de l’expression du besoin des forces à la commande de la solution industrielle développée, prend habituellement plusieurs années. La rapidité exceptionnelle de cette procédure a été rendue possible grâce aux circulaires relatives à la crise sanitaire autorisant la négociation avec un seul industriel.

De façon générale, aux yeux des rapporteurs, exploiter les marges de manœuvre et les possibilités de dérogation du code de la commande publique mérite d’être encouragé.

3.   Mettre en place, en lien avec le Parlement, un groupe de travail commun aux armées, directions et services du ministère pour évaluer les marges de manœuvre existant dans le droit européen des marchés publics

Les rapporteurs constatent que les procédures d’acquisition, ou du moins la façon dont elles sont mises en œuvre, sont régulièrement critiquées pour leurs rigidités, pour leur lourdeur, ainsi que pour le déséquilibre de leur économie générale en faveur de la concurrence plutôt que de la qualité et des impératifs souverains de résilience.

À ce dernier titre, il n’est pas certain que le droit français n’ait pas « sur-transposé » des exigences du droit européen. C’est d’ailleurs ce qu’ont confirmé aux rapporteurs les acheteurs du service du commissariat des armées, selon lesquels les autorités allemandes ont une lecture plus large que les autorités françaises des textes européens. Selon des observateurs avisés, les entreprises allemandes participant aux marchés de défense et de sécurité dans leur pays recevraient, au titre de leur nationalité, une « prime » de l’ordre de 10 %.

Or il est déjà prévu que les services compétents des administrations de l’État remettent bientôt sur le métier l’ouvrage du droit des marchés publics, au moins à l’occasion de l’évaluation du dispositif expérimental institué par le décret précité de 2018 sur les achats innovants de moins de 100 000 euros. Ce décret prévoit en effet que, sur la base des retours d’expérience transmis par les acheteurs à l’Observatoire économique de la commande publique placé sous l’autorité du ministre chargé de l’Économie et des Finances, celui-ci doit transmettre au Premier ministre un rapport d’évaluation de ce dispositif dans les six mois précédant la fin de l’expérimentation, soit aux alentours de juin 2021.

Aux yeux des rapporteurs, une telle évaluation gagnerait à déborder le cadre strict du décret de 2018, pour procéder à une large analyse des raisons qui ont motivé l’élaboration de ce décret : la recherche de davantage de souplesse dans l’achat public.

Aussi les rapporteurs plaident-ils en faveur d’un travail collectif exhaustif sur les voies et moyens d’un assouplissement des procédures d’acquisition de l’État, dans les limites résultant du droit européen, mais sans « sur-transposition ». Un tel travail intéressant la législation française, il devrait naturellement faire l’objet d’un suivi très étroit par le Parlement ; la commission de la Défense nationale et des forces armées y aurait d’ailleurs toute sa place.

Un tel travail, en outre, pourrait utilement viser à alléger le poids administratif des procédures, dont les représentants des PME indiquent qu’il a tendance à s’alourdir déraisonnablement au regard de leurs moyens. Comme l’on fait valoir les représentants du GICAT, du GICAN et du GIFAS, une PME ne possède pas souvent les ressources humaines nécessaires pour employer quelqu’un à temps plein à la réponse à un marché public. De façon générale, les contraintes administratives concourent à une « dérive des coûts d’avant-projet », en raison notamment de la complexité croissante des technologies en jeu, qui nécessitent les savoir-faire d’au moins deux ingénieurs sur un projet pour lequel un seul ingénieur suffisait encore pour la génération précédente d’équipements ; il faut aussi rappeler que, dans le cadre de la réponse aux marchés publics, pour les PME ayant leur siège en province, les déplacements vers Paris dans le cadre des « rounds » successifs de négociations représentent un coût conséquent et croissant.

4.   Faire fond sur la dynamique européenne existant en matière de stratégie de défense pour promouvoir des assouplissements du droit européen des marchés militaires

Certes, la « concurrence libre et non faussée » constitue la pierre angulaire du droit économique européen depuis de longues décennies. Mais on observe, depuis quelques années, une ‒ lente ‒ prise de conscience des enjeux stratégiques au sein des institutions de l’Union européenne. En témoignent, par exemple, la mise en œuvre de la coopération structurée permanente ‒ certes une dizaine d’années après son inscription dans les traités ‒, la mise sur pied du Fonds européen de défense ‒ certes moins financé que ses promoteurs ne le souhaitaient ‒ ou, encore, le fait que la fusion d’Alsthom avec Bombardier ait quelque chance de succès, alors que la fusion du même industriel français avec Siemens avait été stoppée par la Commission au titre du droit de la concurrence.

La période est donc peut-être propice à une meilleure prise en compte des impératifs de souveraineté, et particulièrement de résilience, par le droit européen.

Les rapporteurs soulignent qu’il n’est pas question à leurs yeux de renoncer purement et simplement aux mécanismes de mise en concurrence. Dans une certaine mesure, ils servent l’intérêt public, notamment pour faire pression sur les prix à la baisse. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler l’exemple des derniers gilets pare-balles commandés : le titulaire du marché est certes resté le même avant et après la phase de mise en concurrence, mais il a revu son prix à la baisse de 16 %, d’où une économie substantielle pour le service du commissariat des armées.

C’est dans cet esprit d’équilibre entre intérêt de la concurrence et prise en compte des impératifs de souveraineté et de résilience qu’il semble aux rapporteurs que des aménagements raisonnables devraient pouvoir être trouvés dans le droit européen.

D.   Mettre À profit lE PLAN de relance pour soutenir la production française

1.   Privilégier la production française dans une perspective de long terme

a.   Les marchés militaires

Comme le montre bien la présidente Françoise Dumas dans son rapport précité, l’industrie de défense constitue un vecteur de relance économique plus efficace que bien d’autres, dans la mesure où le « multiplicateur keynésien » ‒ c’est-à-dire l’effet de levier d’un euro de dépense publique supplémentaire ‒ y est plus élevé que dans d’autres secteurs.

Dans le cadre de l’effort national de relance, c’est tout un tissu industriel de TPE, de PME et d’ETI, réparti sur l’ensemble du territoire, qui pourrait ainsi être mobilisé au profit de l’effort national.

Certes, en raison de leur qualité supérieure à celle des produits des pays à bas coût de main-d’œuvre, les produits français sont parfois plus coûteux ; mais est-ce dans les économies de nos concurrents que les investissements du contribuable français doivent créer de l’activité, de la richesse et de l’emploi ? À l’inverse, les éventuels surcoûts des commandes passées à des industriels français ne se retrouvent-ils pas largement compensés par les bénéfices que tire l’État de l’activité, de la richesse et de l’emploi ainsi créé en France ?

Pour les rapporteurs, l’effort de relance constitue une occasion de mobiliser nos PME de défense. Ils relèvent d’ailleurs que, dans leur rapport de mission « flash » sur le rôle de l'industrie de défense dans la politique de relance, nos collègues Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot appellent à « ne pas oublier les “petits” équipements, dans une logique de résilience ».

b.   Les marchés attribués à des entreprises étrangères

i.   Rechercher systématiquement, dans les marchés susceptibles d’être remportés par des étrangers les lots pouvant être séparés

On l’a vu, la « massification » ou la « verticalisation » des contrats a souvent pour conséquence de cantonner les TPE, PME et ETI à un rôle de sous-traitant. Favoriser un maillage industriel du territoire national suppose, au contraire, des allotissements assez fractionnés dans les marchés publics.

En la matière, il convient d’ailleurs de porter une attention particulière à l’allotissement des marchés susceptibles d’être remportés par des entreprises étrangères, faute de candidat qualifié dans l’industrie française. Même quand un marché ne peut pas être confié à une entreprise française, à tout le moins certains éléments de ce marché pourraient parfois l’être.

Ainsi, par exemple, de la baïonnette du nouveau fusil d’assaut des armées françaises, fourni par Heckler und Koch. Il n’appartient pas aux rapporteurs de commenter le résultat du marché d’arme individuelle future, échu à cet industriel allemand plutôt qu’à un industriel français ; si la DGA a estimé que cette arme surclassait les autres matériels en lice par ses qualités, les rapporteurs n’ont pas de raison de contester ce jugement. En revanche, ils auraient du mal à imaginer que la fabrication de la baïonnette de ce fusil, qui sert aussi aux soldats de couteau de combat, était au-delà des capacités de l’industrie française, dont la coutellerie est précisément un point d’excellence traditionnel. Si le marché de l’arme individuelle future avait été alloti de façon appropriée et annoncé avec suffisamment de préavis pour que l’industrie française développe une offre adaptée, alors à défaut de l’arme, c’est à tout le moins sa baïonnette qui aurait pu rester française.

ii.   Le problème des compensations industrielles exigées en contrepartie des importations

Lors de leurs auditions devant la commission ou devant les rapporteurs, les représentants de notre industrie d’armement ne manquent jamais de rappeler que, dans les marchés d’armement, la plupart des clients exigent des « retours industriels » – communément appelés offsets –, c’est-à-dire qu’ils conditionnent la signature d’un contrat d’importation à des engagements d’investissement dans leur pays pris par leur fournisseur étranger. Les taux de compensation atteignent fréquemment 100 % de la valeur du marché, ce qui est loin d’être négligeable ; elles prennent diverses formes – notamment de engagements de sous-traitance auprès de PME locales, des transferts de technologies ou des investissements dans tous types de projets intéressant plus ou moins directement l’industrie de défense.

Le droit européen interdit les offsets. Certes. Mais il est de notoriété publique que nombre d’États européens les pratiquent tout de même, sous des diverses appellations – « retours sociétaux » ou « compensations » –, sans jamais faire l’objet de sanctions des autorités européennes – ni même sembler en craindre aucune. À titre d’exemple, le rapport de nos collègues précisés indique que les « retours sociétaux » obtenus par les Belges en parallèle de l’acquisition d’engins de la gamme SCORPION représentent peu ou prou la valeur du contrat.

La France, pour sa part, se refuse par principe à de telles pratiques. Comme nos collègues le disent bien, « la France, en cela, peut se targuer d’être le « bon élève » de la classe européenne ; mais les « bons points » ne font pas toujours les bonnes affaires, et la réciprocité dans de telles pratiques ne serait pas un objet de scandale ». Aux yeux des rapporteurs, lorsque les services adjudicateurs du ministère des Armées n’ont d’autre choix que d’attribuer un marché à une entreprise étrangère, à tout le moins pourraient-ils rechercher avec elle, en amont de la signature, quels projets d’investissement elle pourrait soutenir dans nos territoires.

2.   Un cas emblématique : la recréation d’une filière française de production de munitions de petit calibre

Les rapporteurs souhaitent rappeler ici que la France est complètement dépendante de l’étranger d’une part, pour son approvisionnement en armes équipant son infanterie, d’autre part, pour les munitions de petit calibre correspondant.

a) La poudrerie de Pont-de-Buis (établissement de NobelSport) : un cas exemplaire

Les rapporteurs de la mission d’information MM. Chassaigne et Cubertafon se sont rendus à Pont-de-Buis-lès-Quimerc’h le 1er septembre 2020 pour un projet qui dépasse les activités actuelles de l’usine. En effet, cet établissement de Nobel Sport devait servir de point d’appui industriel dans le projet lancé en mars 2017 à ce jour avorté de reconstitution d’une filière française de munitions de petit calibre.

La poudrerie de Pont de Buis a été créée en 1687 par une ordonnance du Ministre de la Marine, Colbert. Le choix de Pont de Buis avait été dicté par la présence de la rivière Douffine, avec un accès direct au port militaire de Brest et ainsi répondre aux besoins en poudre de la Marine Royale en pleine renaissance sous l’impulsion du roi Louis XIV. Ainsi, trois siècles d’histoire sous-tendent cet établissement industriel durant lesquels les différentes générations de procédés dans la « science de la poudre » se sont succédées faisant évoluer industriellement et techniquement les productions : depuis les meules à poudre noire sous Louis XIV jusqu’à l’arrivée des poudres pyroxylées dites « sans fumée » à la fin XIXe siècle. L’innovation et les investissements ont, dans cet établissement, toujours été mis en œuvre pour servir les besoins de la défense de la Nation.

Au fil des années, afin de maintenir un équilibre économique et social, les activités se sont diversifiées : les générateurs de gaz (airbags) destinés à la sécurité automobile qui ont donné naissance à la société LIVBAG sur la commune de Pont de Buis employant plus de 800 personnes à ce jour sur la commune , les leurres infrarouges dans le domaine des contre-mesures pour la Défense Nationale, les matériaux de protection thermique produits par Naval Group et destinés à l’équipement des frégates de la Marine Nationale et enfin les produits de sécurité (grenades lacrymogènes et munitions non létales) pour les forces de sécurité et de l’ordre.

En 1996, la Société nationale des poudres et des explosifs (SNPE) décide de privatiser l’activité de Pont de Buis et crée la société NobelSport. Cette société a un chiffre d'affaires de 59,1 millions d'euros en 2018 et emploie plus de 160 salariés.

NobelSport est une filiale du groupe français Sofisport, leader mondial dans le marché de la chasse et du tir sportif. Avec un chiffre d’affaires de près de 200 millions d’euros, Sofisport exporte plus de 65 % de sa production. Il s’agit d’un groupe pleinement intégré qui produit ses amorces, ses douilles, son plomb et à Pont-de-Buis, sa poudre. Dans ce domaine de la poudre (à usage non militaire) Pont de Buis s’affirme comme le leader européen incontesté et représente près de 35 % de part du marché mondial.

Les rapporteurs ont pu constater par eux-mêmes que depuis une quinzaine d’années un effort considérable a été mené sur le site afin de concevoir et développer des nouveaux process de production de poudre et ont visité les nouvelles installations à la technologie avancée ont été construites au nord de l’établissement. M. Yves-Thibault de Silguy, président du conseil de surveillance a indiqué que Pont-de-Buis peut être aujourd’hui considérée comme l’une des usines de poudre les plus automatisées au monde. Les volumes de poudres produits par NobelSport, les 5 dernières années, progressent de 36 % à 2147 tonnes, quand le chiffre d’affaires a augmenté de 60 % et l’effectif de 40 %.

Parallèlement à l’activité poudre, le savoir-faire du Groupe dans l’intégration de l’ensemble des éléments de la chaîne pyrotechnique a permis de développer, dans le domaine du maintien de l’ordre, des produits spécifiques pour la sécurité nationale, en étroite collaboration notamment avec le SAELSI. Les rapporteurs ont ainsi pu ainsi assister à une démonstration de tir avec les nouveaux produits s’ajoutant aux « traditionnels » grenades lacrymogènes 56 minutes produites par l’usine : munitions 40 minutes, une munition impact PDMA brevetée (projectile en mousse d’aluminium) ainsi qu’une gamme de munitions en calibre 12.

Le marché mondial de la poudre

Le marché mondial de la poudre de la poudre est estimé à 42000 tonnes, avec pour les munitions métalliques 35 000 tonnes et 6500 tonnes pour les poudres de chasse.

Deux types de poudres couvrent l’ensemble des besoins du marché pour munitions de petits calibres :

- La poudre simple base à base nitrocellulose ;

- La poudre double base conjuguant deux matières premières énergétiques : la nitrocellulose et la nitroglycérine.

Les leaders sur le marché sont :

- au niveau européen, la poudrerie belge (PB Clermont) est le leader de la double base et la poudrerie de Pont de Buis celui de la poudre simple base pour la chasse.

- au niveau international, le marché est largement dominé par un acteur majeur aux États-Unis, General Dynamics, en n° 2 les chinois de Norinco, en n° 3 un autre américain, la filiale ATK du groupe Orbital, les deux leaders européens précédemment cités arrivant en 4 ème et 5 ème position.

NobelSport ambitionne de bouleverser ce classement et de devenir le numéro 2 en pénétrant le marché des poudres militaires (poudres pour munitions métalliques)

b) L’abandon d’une filière souveraine de production de munitions de petit calibre

Depuis 1999 et l’abandon par GIAT Industrie de la production des munitions de petit calibre, la France ne dispose plus de production « souveraine » de ce type d’équipements. Depuis lors, les armées françaises se sont approvisionnées auprès de divers fournisseurs étrangers, dont certains ont fourni des munitions défaillantes ou inadaptées aux armes pour lesquelles elles étaient destinées.

Ce problème de fiabilité, mais aussi les considérations de souveraineté nationale soulignées dans le rapport de 2015 de MM. Les députés Dhuicq et Bays, ont conduit en 2017 Jean-Yves Le Drian, alors Ministre de la Défense, à tenter de relancer une filière française pour les munitions de petit calibre. Ce projet n’a cependant pas été repris dans la Revue stratégique d’octobre 2017.

La France importait en 2018 100 millions de cartouches de petits calibres par an auprès de ses partenaires étrangers. Selon le rapport d’information de MM. les députés Nicolas Dhuicq et Nicolas Bays, la production française avait été abandonnée d’une part en raison de la faible viabilité économique du secteur, les entreprises françaises étant peu compétitives, d’autre part en raison d’une offre de fournisseurs suffisamment large permettant une multitude d’alternatives en cas de défaillance ou de rupture d’approvisionnement.

Le panorama européen des principaux producteurs de munitions de petit calibre

-          en Belgique, FN Herstal produit des calibres 5,56, 7,62, 9 et 12,7 mm. Cette entreprise fournit déjà par ailleurs des fusils de précision aux armées françaises ;

-          en Italie, Fiocchi Munizioni produit une très large gamme de munitions, dont des calibres 5,56, 7,62, 9 et 12,7 mm ;

-          en Suisse, RUAG produit des munitions de calibre 5,56, 7,62 et 12,7 mm, mais aussi l’ensemble des composants nécessaires aux fabrications de munitions par d’autres industriels ;

-          en République Tchèque, le Brno Defence Group produit des calibres 5,56 et 7,62 mm, STV Group produit des calibres 7,62, 9 et 12,7 mm et Sellier & Bellot, déjà évoqué, produit notamment des calibres 5,56 et 9 mm, ainsi que d’autres calibres moins courants ;

-          en Grèce, Hellenic Defense Systems produit des calibres 5,56, 7,62 et 12,7 mm ;

-          en Lituanie, GGG produit des munitions de calibre 5,5- et 7,62 mm ;

-          en Roumanie, ROMARM produit des calibres 5,56, 7,62, 9 et 12,7 mm ;

-          en Pologne, PGZ produit des munitions de calibre 5,56, 7,62 et 9 mm ;

-          en Bulgarie, Arsenal JSCo produit des munitions de calibre 5,56, 7,62 et 9 mm.

D’autres industriels, notamment biélorusses et serbes, produisent des munitions, mais ne respectent pas les normes STANAG édictées par l’OTAN.

c) La relance d’une filière française de production : le projet industriel de mars 2017 et un engagement de campagne du Président de la République

Le 17 mars 2017, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian supervise la signature d’un accord entre trois industriels français dans le but de relancer une filière française des munitions de petit calibre. Ces trois industriels sont le spécialiste des poudres NobelSport, la filiale de Thales TDA Armements et le fabricant de machines-outils Manurhin.

Le Président de la République M. Emmanuel Macron fait mention de cet accord dans son discours sur la politique de défense à hôtel des Arts et Métiers pendant la campagne électorale.

« Je souhaite préciser que nos choix d’investissement seront guidés par le souci de préserver notre souveraineté nationale. Le temps est venu de réinvestir, comme cela a été fait à l’initiative de M. Jean-Yves Le Drian, en lançant pas plus tard qu’hier à Pont de Buis, dans le Finistère, la filière de munitions de petit calibre qui avait disparu dans notre pays depuis deux décennies. Cette réindustrialisation doit permettre de limiter nos dépendances envers des pays tiers, notamment ceux qui, comme les États-Unis, n’hésitent pas à faire de leurs équipements un moyen de pression. »

L’usine de production devait donc être construite à Pont-de-Buis (cf. supra). SofiSport devait fournir la poudre et les amorces. Le projet associait trois sociétés françaises : pour la conception, Thalès, qui fabrique déjà ces munitions en Australie pour l'armée australienne ; pour l’équipement en machines-outils, Manurhin ; pour la fabrication des amorces et de la poudre ainsi que l’assemblage, NobelSport, qui détient 30 % du marché mondial de munitions de chasse. La rentabilité de l’installation était garantie à l’issue de la phase d’investissement-amortissement (environ 7 ans dans le « business plan »).

L’objectif était alors de relancer la filière française d’ici à 2020, pour un investissement de 100 millions d’euros. Cependant, la Revue stratégique d’octobre 2017 abandonne ce projet et il n’existe donc pas à ce jour de filière nationale des munitions de petit calibre.

d) Un projet de nouveau d’actualité

i.   Un projet suspendu

Premièrement, la Revue stratégique d’octobre 2017 abandonne ce projet de recréation d’une filière de production.

Deuxièmement, l’examen conduit par la DGA en 2018 n’a pas permis de s’assurer que l’important investissement requis, dans un contexte budgétaire contraint, permettait de disposer, in fine, d’une source d’approvisionnement économiquement viable, propre à répondre aux besoins des forces françaises de manière compétitive et d’affronter les marchés à l’exportation. Le business model envisagé en 2017 repose sur la captation de la quasi-totalité des commandes des armées françaises, ce que la DGA juge juridiquement difficile puisque la France aurait du mal à justifier la non mise en concurrence au niveau européen s’agissant de consommables jugés non stratégiques lors de la Revue stratégique tenue à l’automne 2017. Par ailleurs, l’offre au niveau européen et mondial permet à la DGA de se dire confiante quant à la sécurité d’approvisionnement des forces françaises. Le projet n’a donc pas été jugé comme prioritaire par la DGA.

Troisièmement, les industriels, Thales essentiellement, ne se sont pas montrés empressés de créer une telle usine, peut-être parce que la valeur ajoutée des cartouches est moins élevée que d’autres produits, et que les perspectives d’exportation sont limitées. Sofisport en revanche n’a cessé de porter et de valoriser le projet auprès de la DGA et de Mme la Ministre des Armées. En effet, Groupe Sofisport considère avec raison que la construction de cette nouvelle usine est d’une part, viable économiquement et d’autre part, innovante avec la création d’un nouveau type de poudre. En effet, l’usine permettrait de produire pour les munitions métalliques une poudre à simple base (nitrocellulose) au lieu d’une poudre à double base sachant que la nitroglycérine est beaucoup plus dangereuse d’utilisation. Sofisport fabriquerait cette poudre d’un nouveau genre sous un procédé de fabrication développé pour le monde du civil (cartouches pour la chasse) introduisant une évolution technologique importante et une grande automatisation.

Quatrièmement, les armées ne se sont pas dites particulièrement attachées à avoir des munitions « made in France ».

Les rapporteurs regrettent à ce stade que les grands groupes de la Défense semblent vouloir délaisser, par manque d’attrait économique, ces produits au profit d’autres activités de la Défense, à plus haute technologie et valeur ajoutée. Ils déplorent que bon nombre d’actifs industriels aillent dans un avenir proche entre les mains d’investisseurs étrangers, avec des comportements opportunistes qui favoriseront des rentabilités à court terme.

ii.   Un projet à reconsidérer après la crise sanitaire et la volonté affichée de l’État de réindustrialiser et de préserver la souveraineté nationale

Ce projet de construction d’une filière de fabrication de munitions métalliques de petit calibre doit être réexaminé à l’aune de trois nouveaux facteurs de contexte.

- l’analogie avec les masques est frappante : dans les deux cas, l’État a pu considérer qu’il s’agissait de matériels à faible valeur ajoutée, pour lesquels on pourrait toujours s’approvisionner à l’étranger, logique qui a montré ses limites lorsqu’elle est mise en œuvre à flux plus ou moins tendus. Précisons que, s’agissant de munitions de guerre, les importations ne sont possibles qu’en l’absence d’embargo ;

- 100 millions d'euros constituent certes une somme importante, mais le montant de cet investissement est à relativiser, notamment des sommes en jeu dans le cadre du plan de relance et :

-  dans l’hypothèse où un autre acteur européen viendrait co-investir ce qui aurait l’intérêt pour lui de se placer sous le régime français de licences d’exportation, réputé moins aléatoire que d’autres.

Pour mémoire, l’État vient de créer 20 points de PIB de dette en trois mois et lance un plan de relance de 100 milliards d’euros : est-il vraiment à 70 ou 100 millions d'euros près ?

L’industrie de défense a été frappée assez durement par la crise, et les crises ouvrent souvent la voie à des consolidations industrielles et notamment au niveau européen afin d’instaurer un consortium européen sur le secteur des munitions.

Or, dans le paysage européen, l’industrie d’armement terrestre française est en position de minorité face aux Allemands (RheinMettal et KMW, ce dernier étant « marié » à Nexter). Tout ce qui peut « faire grossir » le « made in France », que ce soit en croissance interne ou en croissance externe (un partenariat étroit avec FN Herstal ou un autre tel qu’un italien) irait dans le sens d’un rééquilibrage franco-allemand dans le secteur de l’armement terrestre, et permettrait donc à l’industrie française d’aborder la perspective de consolidations européennes dans une position moins déséquilibrée.

iii.   Un projet d’avenir pour notre base industrielle souveraine face à l’émergence de nouveaux calibres

Les rapporteurs soulignent par ailleurs le développement à venir de nouveaux calibres.

Pendant la guerre froide, le monde des fusils d’assaut s’est séparé entre les fusils chambrés en 5.56 mm aux Etats-Unis et dans le bloc de l’Ouest et ceux chambrés en 7.62 mm dans le bloc de l’Est. Ces choix perdurent aujourd’hui : notre HK 416 F en 5.56 mm.

Conscients des limites propres à chacun de ces calibres, face notamment à certains ennemis et aux évolutions technologiques induites, les Etats-Unis ont lancé un marché pour le renouvellement total de leurs Armements Légers d’Infanterie. Parmi les trois entreprises en lice », deux ont développé des munitions en calibre 6.8 mm. Le choix de l’une de ces entreprises signifierait la production d’armes dans un nouveau calibre et leur distribution dans toute l’armée américaine.

L’apparition et la généralisation d’un nouveau calibre aux Etats-Unis pourrait, en effet, avoir un impact important sur les standards OTAN.

Les États-Unis sont en effet la nation-cadre par excellence de l’OTAN. S’ils changent de calibre, ce dernier deviendra quasi nécessairement la norme OTAN à laquelle tous devraient se plier. Ce standard pourrait devenir, par voie de conséquence, le standard européen et le marché des petits calibres et des petites munitions pourrait connaître des changements.

En France et en Europe, à terme, cela impliquerait de changer nos armements et de se doter de ce nouveau calibre, qu’aucune usine en Europe ne produit actuellement ; dans le cas contraire nous serions totalement dépendants des Etats-Unis.

Une autre solution serait de conserver la 5.56 ou de développer notre propre calibre ; et donc risquer de ne plus être interopérable avec nos alliés américains et otanien et être « en retard d’une guerre » sur les technologies de munition.

Sur le développement de nouveaux calibres, la relance d’une filière petit calibre française nous permet d’être présent, dans quelques années, sur ce sujet des petites munitions en cas d’évolutions du marché liées au développement des nouveaux calibres.

En raison de ces éléments de contexte, les rapporteurs soutiennent fortement la construction d’une filière de fabrication de munitions métalliques de petit calibre qui présenterait les avantages suivants :

-         l’affirmation de la souveraineté nationale dans un secteur sensible,

-         la création d’une nouvelle filière française industrielle à l’heure d’une nécessaire réindustrialisation de notre pays ;

-         la création d’emplois en Bretagne (Pont-de-Buis et bassin de Brest) ;

-         l’association modèle d’un grand groupe et d’une PME (si ce n’est pas Thales, un grand partenaire européen) ;

-         un investissement innovant introduisant une évolution technologique importante en matière de type de poudre utilisée dans les munitions métalliques ;

-         un investissement d'avenir permettant à notre base industrielle de défense d'être présente dans la compétition future sur le marché des petits calibres de demain.

Il s’agit d’un engagement de campagne du Président de la République qui trouve toute son actualité après la période de crise sanitaire que nous avons traversée : sans jeu de mots, il s’agit de la bonne « fenêtre de tir » pour recréer cette filière de production en France avec un partenaire européen si nécessaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   EN GUISE DE CONCLUSION, LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

 

Les rapporteurs se sont attachés à faire ressortir ici les axes majeurs de recommandation, dont l’énumération ne résume pas cependant l’ensemble des développements du présent rapport, mais vise à mettre en avant ce qui revêt, à leurs yeux, le plus d’importance.

1. Rapprocher le fabricant de petits équipements du soldat car il faut bien comprendre que l’importation d’équipements, même « petits » est une question de souveraineté et de résilience pour les armées et donc a fortiori pour l’État. Dans ce contexte, l’éloignement croissant entre les PME fournisseurs des armées et nos soldats est inquiétant.

2. Par conséquent, tout doit être entrepris pour resserrer les liens entre les PME et les armées en améliorant pour les PME la connaissance des besoins des armées en amont et en aval des marchés militaires.

3. En ce qui concerne les marchés militaires, il convient de faire davantage de place aux armées dans les procédures d’acquisition en renforçant les améliorations récentes.

4. S’appuyer sur la dynamique européenne existant en matière de stratégie de défense pour promouvoir des assouplissements du droit européen des marchés militaires.

5. Mettre à profit le plan de relance pour soutenir la production industrielle de défense et notamment la récréation d’une filière de production de munitions de petit calibre.

 

 


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   examen en COMMISSION

La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en « petits » équipements au cours de sa réunion du mercredi 16 septembre 2020.

M. le vice-président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de la Présidente retenue par un exercice de simulation avec les forces aériennes stratégiques.

Permettez-moi également, en son nom et au mien, de vous dire tout le plaisir de vous retrouver au sein de cette commission, pour cette première réunion, après une trêve estivale bien méritée après ce printemps si particulier.

Et ce plaisir est d’autant plus grand que nous allons examiner ce matin un rapport que vont nous présenter deux membres aguerris de notre commission : le Président André Chassaigne et Jean-Pierre Cubertafon.

Mais avant d’aborder notre ordre du jour, je voudrais exprimer en votre nom à tous l’hommage de la représentation nationale à l’égard des deux militaires français, le hussard parachutiste de première classe Arnaud VOLPE et son camarade brigadier-chef de première classe dont le nom, à la demande de la famille, n’a pas été publié. Tous deux ont trouvé la mort le 5 septembre dernier lors d’une opération dans la région de Tessalit au Mali, victimes de la destruction de leur véhicule blindé par un engin explosif improvisé. Que leurs frères d’armes soient également assurés de notre reconnaissance et de notre soutien dans la difficile mission qui est la leur au Sahel.

Par ailleurs, je voudrais également dire notre profonde tristesse à l’annonce du décès, lors d’un accident d’avion d’aéroclub, de deux élèves de terminale et de première de l’École des pupilles de l’air, et d’une réserviste citoyenne pilotant l’appareil. Nous présentons nos condoléances à leurs familles et leurs camarades.

Après ces justes hommages, venons-en maintenant à notre ordre du jour qui prévoit la nomination de rapporteurs.

Tout d’abord, la Présidente Françoise Dumas s’est concertée avec Sabine Thillaye, la présidente de la commission des affaires européennes, pour effectuer un travail commun sur la coopération structurée permanente de l’Union européenne. Il a été convenu que notre commission nomme le député de la majorité alors que la commission des affaires européennes nommera le député de l’opposition. En conséquence, conformément à la répartition des rapporteurs entre les groupes faites par le Bureau, le groupe LaREM a présenté la candidature de Natalia Pouzyreff. S’il n’y a pas d’opposition, je vous propose de la retenir.

Par ailleurs, la Présidente Françoise Dumas a eu des échanges écrits avec son homologue britannique, pour organiser une réunion commune avec la chambre des Lords et le Sénat à l’occasion des 10 ans des accords de Lancaster House. La date proposée est le jeudi 29 octobre mais nos amis britanniques sont dans l’incapacité aujourd’hui de préciser aujourd’hui, du fait de la situation sanitaire, si cette rencontre se fera en visioconférence et en présentiel à Londres et bien sûr nous le comprenons. Cette rencontre, au-delà de ces modalités, devrait nous permettre d’adopter une résolution commune. Afin de la préparer il a été décidé d’organiser une mission pour établir un bilan des accords de Lancaster House, avec si cela est possible, une participation de nos homologues anglais. Selon une décision du Bureau, les rapporteurs sont répartis entre le groupe LaREM et le groupe LR : le premier présente la candidature de Jacques Marilossian et le second de Charles de la Verpillière. S’il n’y a pas d’opposition, il en est ainsi décidé.

Après ces nominations, je vous propose de revenir au rapport d’information dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Son thème en est « la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en petits équipements ». C’est un sujet important qui se trouve à la croisée d’une multitude d’enjeux : la résilience et la cohérence capacitaire de nos forces, l’illustration de la préoccupation du ministère de développer une LPM à « hauteur d’homme », l’aménagement du territoire à travers ses multitudes de PME. Et la crise sanitaire a soulevé un autre enjeu : celui de la souveraineté à travers les questions sur la stratégie de l’importation de produits ne présentant pas en apparence de caractère stratégique. Je sais qu’au regard de cette problématique, MM. Chassaigne et Cubertafon portent une proposition forte pour la récréation d’une filière de production de munitions de petits calibres en France.

Je voudrais d’ores et déjà remercier les rapporteurs pour leur travail. Ils ont ainsi mené de nombreuses auditions -environ une vingtaine- et dans des délais écourtés par les mesures liées au confinement. Ils ont également fait des déplacements en France, l’un dans le Puy de Dôme, cher à M. Chassaigne, et l’autre dans le Finistère pour étudier sur le terrain, avec Richard Ferrand, la possibilité de développer une poudrerie aujourd’hui à usage civil vers la production de munitions militaires.

M. Jean-Pierre-Cubertafon. Monsieur le Vice-président, Mesdames et Messieurs mes chers collègues,

Voici venu le moment de vous présenter les conclusions de la mission d’information que vous nous avez confiée, l’automne dernier, sur la politique d’achat du ministère des Armées en matière de petits équipements.

Les « petits » équipements, vous le verrez à la lecture de notre rapport, nous n’en parlons qu’en mettant le qualificatif entre guillemets.

En effet, cet intitulé inviterait presque à définir ces équipements par la négative : c’est comme si, dans les arsenaux de nos armées, les « petits » équipements étaient un reliquat, « ce qui reste » quand on a passé en revue tout ce qui est plus emblématique, plus cher, plus spectaculaire par sa taille, sa vitesse ou sa complexité technique. Comme nous nous efforçons de le montrer dans notre rapport, du couteau au treillis, du fusil à l’insigne, de la radio à la tenue de sport, il y a là tout un inventaire « à la Prévert » de matériels de toute nature, formant un tout assez hétéroclite, et pourtant indispensable à la cohérence capacitaire de nos forces. Eh oui, la cohérence capacitaire tient pour beaucoup à ces « petits » équipements : quelle cohérence y aurait-il à posséder les navires, les avions, les chars et les satellites les plus perfectionnés qu’ils soient, si nos fantassins n’avaient pas de radios et de gilets pare-balles ?

Et pourtant, s’y est-on jamais intéressé « pour de vrai », si j’ose dire ? Force est de constater que, quelles que soient les majorités au pouvoir – car là n’est pas la question, et les deux rapporteurs que nous sommes ont travaillé de concert –, le « petit » matériel a souvent, trop souvent, servi de variable d’ajustement dans les ajustements budgétaires des années dures, trop dures.

M. André Chassaigne. C’est d’ailleurs pour rompre avec cette fâcheuse tendance, Monsieur le président, mes chers collègues, que la loi de programmation militaire a mis l’accent sur l’équipement qu’elle appelle « à hauteur d’homme ». Certes, elle n’en donne pas une définition précise, et reste vague quant aux indicateurs administratifs et financiers très précis les grandes orientations qu’elle trace. Mais, en soi, cet accent est déjà une nouveauté, et une nouveauté bienvenue ; partout où nous nous sommes rendus, partout où nous avons pu discuter avec des militaires de tous grades, cet effort est d’ailleurs bien perçu. Je voulais le souligner ici, ce qui dans la bouche d’un député de l’opposition a toute son importance.

Alors, bien sûr, on peut toujours craindre que les armées, par un légitime réflexe de fierté, s’attachent à présenter aux parlementaires plutôt « le verre à moitié plein » que « le verre à moitié vide ». Mais, justement, c’est parce que nous tenions à éviter que nos travaux se limitent à une tournée des « villages Potemkine » ou à une illustration de « Tintin au pays des Soviets » que nous avons tenu à discuter très librement avec les militaires et leurs représentants, c’est-à-dire non seulement les hautes autorités, mais aussi les personnels de tous les grades, tant par leurs représentants – je pense au Conseil supérieur de la fonction militaire, le CSFM, et aux associations nationales professionnelles de militaires, les APNM. Nous avons aussi entendu les producteurs de ces « petits » équipements, qui ont leur mot à dire sur la politique d’achat en question. Bien entendu, dire que « petits équipement » égale « petit producteur », PME ou TPE, ne serait pas rigoureusement exact ; mais c’est tout de même un peu le cas : que ce soit en sous-traitance ou en commande directe, les « petits » équipements sont le plus souvent fournis par des PME, et même, traditionnellement, par des PME françaises.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ainsi, mes chers collègues, le premier enjeu de nos travaux consistait à dresser une sorte de tableau à l’instant « T » de ces « petits » équipements, c’est-à-dire à évaluer l’adéquation de ces matériels aux besoins des soldats. Ce n’est pas une mince affaire, et notre rapport présente en détail le résultat de nos travaux. Pour faire court, et au risque de brosser ce tableau un peu « à la hussarde », il faut bien dire que la modernisation des « petits » équipements est assez lente, plus que celle des grands matériels « à effet majeur ». Ce sont même de hautes autorités militaires qui ont prononcé devant nous le terme de « paupérisation » pour qualifier l’état des « petits » équipements de nos soldats.

Le terme est un peu fort, assurément. Mais soyons lucides, sans esprit polémique : il suffit de passer une journée dans un régiment pour se rendre compte qu’à côté des matériels les plus modernes, on trouve aussi des matériels franchement obsolètes.

Pourquoi cela ? D’abord et avant tout, parce que les lignes budgétaires qui financent ces équipements sont trop souvent des variables d’ajustement – nous l’avons dit. Cela tient d’ailleurs en partie, peut-être, à la présentation des choses par le ministère lui-même : si l’on étudie en détail la documentation qui nous est fournie avec le projet de loi de finances, qui ne devrait pas tarder à nous arriver, on trouve aisément des lignes budgétaires spécifiques pour les grands programmes, mais on aura bien du mal à savoir combien va être dépensé pour les gilets pare-balles, pour les effets d’habillement, pour les pistolets, ou pour les munitions des armes individuelles. Tout ce qui est « petit » est traité assez indistinctement ; cela contribue certainement à en faire des variables d’ajustement toutes trouvées.

M. André Chassaigne. Ajoutons aussi que les grandes réformes structurelles des années passées n’ont guère aidé, du moins dans un premier temps. Pour dire les choses très schématiquement, on a eu tendance dans les années 2000 et 2010 à créer de grands services interarmées chargés des fonctions de soutien, afin précisément d’optimiser ces fonctions – comme disent les gens chics –, c’est-à-dire de réaliser des économies en emplois et en financement. C’est, paraît-il, ce que l’on appelle une organisation « matricielle ».

Le fait est, cependant, que le résultat n’a pas toujours été au rendez-vous. Je ne veux pas dire par là qu’il n’y a eu aucun succès, bien au contraire, mais force est de constater que, bien souvent, ces grands services ont mis plusieurs années à trouver leur rythme ; ces réformes n’ont pas été aidées par le fait que, parfois, on a réduit les crédits et les ressources humaines avant même que les nouveaux organismes créés pour cela aient trouvé leur rythme de croisière. Pensons, par exemple, à ce que les militaires appellent la « crise de l’habillement » : la fusion des trois commissariats des trois armées en un seul service était censée optimiser nombre de fonctions de soutien, mais cette réforme ambitieuse a mis une bonne dizaine d’années à déboucher sur une situation à peu près équilibrée. Entre-temps, et cela perdure d’ailleurs encore, les militaires ont eu toutes les peines à percevoir leur paquetage initial, à renouveler leurs effets, et à trouver des matériels de qualité. Et, ce, à tel point que nombre d’entre eux ont été plus ou moins conduits à s’équiper sur leurs deniers personnels, dans les magasins d’articles de sport ou les surplus militaires.

D’ailleurs, avec ces grandes réformes structurelles, on finit par avoir du mal à comprendre qui, in fine, est responsable de tel ou tel matériel. Il y a une forme d’imbrication des responsabilités entre les armées, les services de soutien et la DGA pour certains matériels, et cette imbrication ne facilite pas les choses. Nous l’avons clairement indiqué dans le rapport.

L’effort « à hauteur d’homme » de la loi de programmation militaire ne résout certes pas tout, mais il va dans le bon sens. Il s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement de prise de conscience qui n’a pas attendu 2018, mais qu’il a nettement amplifié. Ce sont en effet les opérations en Afghanistan qui ont marqué un tournant. Il est devenu évident, à ce moment, que nous ne pouvions plus en rester aux équipements des années 1980 et 1990, ceux que les moins jeunes d’entre nous se rappellent peut-être avoir vus en Irak et en Bosnie…

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ainsi, le constat que nous faisons est tout en nuances : en matière de modernisation des « petits » équipements, les armées en sont aujourd’hui « au milieu du gué ».

Comme l’explique en détail notre rapport, dans lequel vous trouverez nombre d’exemples précis et d’explications techniques, la transformation du « petit » équipement ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a bien entendu à cela des raisons budgétaires, mais pas seulement : la lenteur tient parfois aussi à des raisons tout simplement industrielles ; équiper d’un seul coup plusieurs centaines de milliers d’hommes supposerait des capacités de production difficiles à réunir au même moment et difficiles à entretenir dans la durée.

C’est pourquoi, bien souvent, les armées se trouvent dans une phase de transition, où cohabitent dans leurs armureries des matériels modernes et des équipements anciens, en attente de remplacement. C’est ce que l’on appelle le « panachage » des « petits » équipements, qui constitue l’un des griefs les plus souvent soulevés devant nous par les militaires.

Ceux-ci, d’ailleurs, trouvent des palliatifs de tout genre. Parfois, ils continuent à utiliser des anciens matériels à côté des plus modernes – ce qui est peut-être regrettable, mais pas critiquable en soi. Parfois, ils en viennent à en acquérir eux-mêmes, sur leurs deniers et sur des marchés civils, pour pallier l’insuffisance de leurs dotations. On pourrait y voir un pis-aller, certes regrettable pour des questions de principe mais somme toute pas insatisfaisant du point de vue opérationnel ; pour nous, non seulement les questions de principe ont leur importance – c’est aux armées d’équiper les soldats – mais ce que l’on appelle « l’équipement personnel » présente aussi de sérieux risques : les matériels achetés dans le civil échappent aux tests et aux contrôles stricts qu’organisent la DGA et le commissariat pour garantir non seulement la qualité, mais aussi la sécurité et l’interopérabilité des matériels militaires. Prenons un exemple très concret : certains effets d’habillement ou de chaussage sont jugés obsolètes par les militaires, et le sont certainement ; mais les vêtements et les chaussures achetées dans les grandes surfaces spécialisées dans le sport ou dans les surplus militaires sont-ils plus sûrs ? Ont-ils les mêmes capacités de résistance au feu ? Leurs fibres ont-elles les mêmes propriétés lorsqu’elles viennent à être percées par une balle, auquel cas il importe que la blessure ne soit pas infectée par des débris de fibres textiles ? Leur comportement dans des conditions extrêmes de chaleur est-il aussi satisfaisant que sous nos latitudes ? Rien ne le garantit.

M. André Chassaigne. Ce bilan de l’effort d’équipement « à hauteur d’homme », comme le dit la LPM, nous amène naturellement à penser à la suite, c’est-à-dire à l’actualisation de la programmation militaire qui, si elle intervient, interviendra en 2021, c’est-à-dire demain.

Dans cette optique, et sans prétendre empiéter sur les travaux que notre commission consacrera à cette actualisation, nous tirons de nos travaux quelques points à garder en tête au moment des travaux sur cette actualisation. J'en mentionnerai trois.

D’abord, et je vous prie d’emblée d’excuser cette vérité de La Palice : pour une politique d’achat, encore faut-il des acheteurs. La chose est moins évidente qu’il n’y paraît, non seulement parce que ce sont des spécialistes dont l’effectif est assez réduit, et dont les tableaux d’effectifs ont souvent des trous. Mais aussi parce que l’expérience montre qu’il y a l’acheteur et le « bon » acheteur… la quantité ne fait pas tout : le ministère a besoin d’acheteurs qui soient rompus aux procédures d’acquisition qui sortent un peu de l’ordinaire. Pratiquer le droit de la commande publique n’est pas un sport de masse – si vous me permettez l’expression à quelques jours de l’arrivée du Tour de France. Depuis quelques années, on a mis en place des procédures innovantes, des possibilités de dérogation au cadre parfois un peu strict de la commande publique : encore faut-il s’en servir. Avant d’inventer des procédures nouvelles, qui devraient de toute façon rester conformes au droit européen, commençons par tirer toutes les possibilités des procédures actuelles. Cela suppose de sortir plus souvent qu’aujourd’hui des sentiers battus en matière d’achats, et c’est là tout un enjeu. À nos yeux, le mieux est d’arriver à des démarches de co-développement de nos petits équipements entre les PME de nos territoires et les armées. Nous y reviendrons.

Nous y reviendrons en effet, mais ne nous éloignons pas de l’actualisation de la programmation militaire… Le deuxième message que nous tenons à faire passer s’agissant de cette actualisation, c’est qu’il faudra veiller à ce que l’on appelle « la masse ». En termes clairs, il faut éviter de moderniser par échantillons. Alors, bien sûr, nous en sommes bien conscients : les matériels modernes sont presque toujours plus chers que les matériels anciens qu’ils remplacent, et la tentation est grande d’en commander moins. Mais cela contribue au « panachage » que nous évoquions, et qui présente un inconvénient opérationnel tout à fait évident : quand on doit rester en groupe, on marche toujours au rythme du plus lent… La cohérence capacitaire, enjeu majeur dont on a souvent souligné l’importance dans cette salle, suppose d’éviter des commandes échantillonnaires.

Troisième point de vigilance : les crédits, encore les crédits, toujours les crédits. Les prévisions de la LPM sont à saluer ; encore faut-il qu’elles soient réalisées. Deux de nos collègues résumaient bien cela d’une expression qui nous est restée à l’oreille : « pour la LPM, ni exécution au rabot, ni actualisation au rabais ». Le risque serait que les « petits » équipement servent de nouveau de variable d’ajustement budgétaire si l’actualisation devait être difficile, soit que les crédits manquent, soit qu’il faille financer des dépenses que la LPM n’avait pas encore intégrées, par exemple pour la défense spatiale.

M. André Chassaigne. Voilà nos trois points de vigilance pour l’actualisation de la programmation militaire. Mais nos recommandations ne se limitent pas à cela, au contraire. En réalité, nous avons assez rapidement orienté nos travaux suivant un axe qui nous paraissait pertinent, et que la crise n’a rendu que plus pertinent : davantage encore qu’une affaire de politique d’achat, la clé du succès est affaire de politique industrielle.

En particulier, nous observons une tendance, à nos yeux regrettable, à l’éloignement du fabricant et du soldat, et cela concerne les « petits » équipements peut-être davantage que les grands. En effet, si les matériels majeurs sont presque tous produits en France par des industriels français, tel n’est pas toujours le cas des « petits » équipements : non seulement le ministère hésite de moins en moins à se fournir à l’étranger, mais même lorsqu’il choisit des fournisseurs français, les PME qui produisent ces « petits » équipements ont de moins en moins souvent des contrats directs avec le ministère, qu’ils ne fournissent plus qu’en position de sous-traitants des grands industriels.

On nous répond souvent que c’est là une affaire de droit, que pour des équipements qui ne sont pas « cruciaux », on doit en passer par des appels d’offres européens, par nature ouverts aux étrangers. Certes, mais il y a le droit tel qu’on le lit, et le droit tel qu’on le pratique. Or, en la matière, il est à craindre que nos acheteurs fassent excès de rigueur, et que la France soit le meilleur élève de la classe européenne… sans pour autant remporter les prix ! J’avais noté ce même phénomène étrange lorsque je fus rapporteur d’un rapport d’information sur la PAC (Politique agricole commune) à la Commission des affaires européennes.

À cet égard, j’aime à citer Balzac dans « La maison Nucingen » : « Les lois sont des toiles d'araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites ».

M. Jean-Pierre Cubertafon. Nous allons réfléchir, cher Monsieur Chassaigne à votre citation. Et nous comprenons qu’en réalité c’est une affaire de choix. C’est de façon tout à fait assumée que les Livres blancs ont choisi de concentrer la souveraineté industrielle sur les équipements les plus critiques pour notre souveraineté. Cette politique de concentration, on l’illustre d’ailleurs souvent par des cercles concentriques : un « cœur » souverain – tout ce qui est avions, nucléaire, renseignement, etc. – ; une première couronne constituée de matériels pour lesquels on s’en remet plutôt à la coopération et enfin, le reste, c’est-à-dire ce que l’on acquiert sur étagère, en France ou ailleurs. C’est ainsi que le FAMAS, l’emblématique fusil du soldat français, a pour successeur un fusil allemand ; que le vénérable pistolet MAC 50 a un successeur autrichien ; et que les balles que tirent nos soldats sont usinées en Allemagne, en Belgique ou aux États-Unis, mais pas en France.

Il y a là une certaine logique économique, nous ne le nions pas. Mais nous nous demandons si cette logique est vraiment compatible avec une autre, qui devrait prévaloir : une logique de souveraineté et de résilience. Ce mot de « résilience », d’ailleurs, nous l’avons beaucoup entendu ces derniers temps dans la salle de la Commission de la Défense… Et, d’ailleurs, dans les retours d’expérience de la crise sanitaire et de l’opération Résilience, on pourrait utilement s’interroger sur la pertinence de notre politique d’approvisionnement en « petits » équipements, par exemple en munitions. Le parallèle est assez frappant entre les masques et les munitions de petit calibre : dans les deux cas, on a considéré que ces produits avaient une bien faible valeur ajoutée, et n’intéressaient guère nos industries ; que produire français était trop cher, et le resterait inexorablement ; que l’offre étrangère était aussi abondante que compétitive, qu’elle le resterait indubitablement ; bref, que l’on pouvait ainsi s’en remettre à des fournisseurs étrangers. S’agissant des masques, on en est revenu…

Et nous pensons, vous l’aurez compris, que s’agissant des munitions, il en va de même. Avec le président Richard Ferrand, dont nous tenons à saluer ici le chaleureux accueil dans sa circonscription, nous nous sommes rendus à Pont-de-Buis-lès-Quimerch pour nous faire présenter en détail un projet, hélas avorté en 2017, de reconstitution d’une filière française de production de munitions de petit calibre. Les Belges, les Allemands et les Suisses parviennent à entretenir une industrie viable en la matière, et l’on ne peut pas dire que c’est le coût de la main-d’œuvre qui les rende plus compétitifs que nous ! De plus, le développement de nouveaux calibres pour armes légères et leur généralisation potentielle au sein de l’OTAN nous amènent à penser que la reconstitution d’une filière souveraine aujourd’hui pourrait ouvrir des perspectives intéressantes dans quelques années. À nos yeux, il y a là un beau chantier pour l’effort de redressement industriel que le plan de relance doit soutenir.

M. André Chassaigne. J’insiste sur ce point : c’est un projet qui nous paraît viable du point de vue économique, et sensé du point de vue stratégique. Nous avons l’appui de Madame la présidente Dumas, et votre soutien, à vous tous, mes chers collègues, sera certainement crucial dans la réussite de ce projet.

Ce serait d’ailleurs un bel emblème d’une politique industrielle affermie, tirant les leçons de la crise, et réimplantant au cœur de nos territoires une activité économique qui sert le bien commun.

De façon plus générale, d’ailleurs, nous arrivons à la conclusion qu’il y a beaucoup à faire pour rapprocher nos TPE, nos PME et nos ETI des armées. C’est là aussi un enjeu de politique industrielle de toute première importance. Ce que nous tenons à souligner ici au risque de nous répéter, c’est que nos TPE, nos PME et nos ETI ne demandent pas à être placées sous perfusion d’argent public : elles ne recherchent pas des rentes. Au contraire, ce qu’elles demandent, c’est que le ministère les accompagne dans la recherche d’un haut niveau d’excellence et de compétitivité qui leur permette de remporter les marchés, même contre la concurrence. Très concrètement, pour développer un produit compétitif, une petite entreprise a besoin de temps, de davantage de temps que n’en laissent les délais de réponse aux appels d’offres. Il lui faut anticiper les besoins des forces armées et, pour cela, connaître ces besoins. Cela paraît assez platement logique, mais cela n’a rien d’évident en pratique. Ouvrir les portes des bases et des régiments, à toutes sortes d’occasions, ne coûte pas bien cher, mais présente bien des avantages ; de même, l’effort qu’a fait la DGA, pendant la crise, pour nouer des liens avec les PME mérite d’être pérennisé et généralisé. Il s’agit, somme toute, de mesures très simples, d’occasions de rencontres même déliées de la perspective d’un marché. Il s’agit, en quelque sorte, de recréer une certaine familiarité entre les armées et le tissu industriel, sur le terrain, au quotidien. Le dispositif des entreprises partenaires de la défense, à cet égard, constitue un modèle qu’il convient certainement de promouvoir.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ajoutons, mes chers collègues, que c’est aussi dans l’intérêt des armées que de connaître mieux les capacités des producteurs de « petits » équipement, ainsi que leurs contraintes et leurs difficultés. On parle beaucoup d’innovation, y compris participative : nous sommes convaincus que c’est au contact de nos TPE, de nos PME, de nos ETI et de nos start-up que nos militaires, quel que soit d’ailleurs leur grade, pourront imaginer certaines des armes et des techniques de demain.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, mes chers collègues, il y aurait tant à dire… nous vous avons présenté les grandes lignes de nos conclusions, et nous vous remercions encore de nous avoir confié cette mission, et nous nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le vice-président Jean-Michel Jacques. Merci Messieurs pour ce travail de grande qualité et plein d’humanité à l’image de ces deux rapporteurs. Je vais donner la parole aux orateurs de groupe.

M. Stéphane Trompille. Merci Monsieur le président. Merci Messieurs les rapporteurs pour cette excellente présentation. Concernant votre rapport, lorsqu’on fait le tour des unités dans les trois armées, ce que vous avez fait avec passion comme on a pu l’entendre, on aborde souvent dans un sujet récurrent qui rentre tout à fait dans le champ de votre mission. Au sein des hommes de troupe dans les régiments, on dit qu’on a trois tailles : le trop grand, le trop petit et le stock épuisé. Où en est-on en la matière ? Qu’est-ce qui a été fait pour que cette problématique progresse ?

Concernant les équipements personnels que les soldats achètent à leurs frais, ce que vous avez bien précisé, pensez-vous que les armées devraient reverser directement aux soldats les crédits prévus pour les habillements quand les chaînes de soutien ne réussissent pas à fournir le matériel en temps et en heure ?

M. Charles de la Verpillière. Merci Monsieur le président. Je m’associe aux félicitations adressées à nos deux co-rapporteurs, qui ont fait un travail absolument remarquable et utile si leurs préconisations pouvaient être mises en œuvre à l’avenir. Je voudrais revenir sur la question des petits équipements pour les opérations de sécurité intérieure. On sait que les opérations de sécurité intérieure peuvent mobiliser jusqu’à 10 000 soldats simultanément. On sait aussi que pour tenir leur rôle dans l’opération Sentinelle, nos soldats consomment essentiellement des petits équipements. Avez-vous pu, au regard de ces besoins des opérations de sécurité intérieure, identifier des manques ? Avez-vous des préconisations particulières à faire dans ce domaine ?

M. Stéphane Baudu. Merci Monsieur le président. Je tiens à remercier les rapporteurs pour leur travail commun, qui montre combien la quête de l’intérêt général permet de se retrouver sur l’essentiel quel que soit le camp politique. Je souhaitais revenir sur la constitution de la filière de petits calibres française, qui s’intègre dans l’esprit du plan de relance post-Covid et qui va probablement faire parler d’elle. Dans un esprit de consolidation de la défense européenne, je souhaitais aussi avoir votre avis sur la synergie et la concurrence qui pourraient exister avec les autres producteurs européens. Je veux par ailleurs souligner dans cette perspective l’appel d’offres « Next Generation Squad Weapons » du gouvernement américain pour un nouveau calibre et de nouvelles armes légères d’infanterie. Cet appel d’offres devrait se terminer en 2021 et permettre d’équiper toute l’armée américaine d’un nouveau calibre et de nouvelles armes adaptées à ce calibre. Les retours d’expérience de l’utilisation du calibre 5-56 OTAN contre des armes durcies semblent indiquer que le futur des conflits fera la part belle à des calibres de nouvelle génération. Pouvez-vous dès lors nous donner votre analyse sur les conséquences de ce changement de calibre américain sur nos équipements européens de demain, et potentiellement français ?

M. Jean Lassalle. Merci Monsieur le président. J’ai particulièrement apprécié la présentation des deux rapporteurs. Le fait de confier à des députés des dossiers de cette importance est une bonne idée. De surcroît, votre présentation était très intelligible, c’est-à-dire compréhensible pour le néophyte que je suis.

La France est la quatrième puissance militaire du monde. Dès lors, peut-elle raisonnablement rester dans cette situation en matière de petits équipements ? On le regrette depuis 20 ans et, depuis ce temps, notre pays régresse. Il faut évidemment trouver l’argent pour y remédier. Est-ce qu’on peut continuer à financer toute la défense européenne comme nous le faisons aujourd’hui ? C’est un très lourd fardeau. Toutes les opérations extérieures dépendent de nous. Peut-on se permettre de continuer à fournir toute notre énergie nucléaire à l’Allemagne ? Nous avons déjà assez de crises majeures à gérer, mais je me demande si, en dépensant autant pour l’Union européenne pour nos pays frères, nous pourrons longtemps rester crédibles.

M. Thomas Gassilloud. Pour commencer, je voudrais remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail, qui éclairent très utilement les travaux de la commission. Nous sommes tous convaincus de l’importance des petits équipements, ceux qu’on ne voit pas défiler le 14 juillet mais qui sont si importants pour la vie quotidienne du soldat. Ce n’est pas qu’une question de confort pour le soldat, apporté notamment par la loi de programmation militaire « à hauteur d’homme », c’est aussi une question de performance opérationnelle, car rien ne sert d’avoir le meilleur soldat ou le meilleur équipement structurant – satellites, chars, avions – si on ne dispose pas de la cartouche disponible à l’instant T. Ce débat prend une résonance particulière dans le contexte sanitaire que nous vivons actuellement, où des choses réputées sans valeur ont cruellement manqué au personnel soignant – masques, gants, blouses – et je voudrais vraiment insister sur le fait que ce qui a été vrai dans le domaine civil le serait beaucoup plus dans le domaine militaire. Nous aurions beaucoup moins de fabricants, des commandes en milieu dégradé, des routes maritimes qui seraient bloquées et des rivalités internationales exacerbées.

Par ailleurs, dans nos choix stratégiques industriels, bien entendu la dissuasion structure nos priorités et demeure capitale. Mais il faut également garder en tête la dimension stratégique des forces terrestres car la guerre se finit malheureusement souvent les yeux dans les yeux sur terre. Il faut donc continuer dans cette reprise en compte de l’importance stratégique du petit matériel terrestre. C’est pour cela que j’appuie vos travaux sur la filière de construction de munitions de petit calibre. J’ajoute qu’il faut vraiment regarder la dimension « robotisation » de près, car elle réduit considérablement l’écart de coût de production qu’on pourrait avoir. Je vous conseille de voir des vidéos de fabrication à l’étranger de cartouches qui sont presque intégralement robotisées, et c’est vrai également, par exemple, dans la filière textile.

J’ai deux types de questions. Premièrement, avez-vous creusé la question du niveau de stock de nos munitions terrestres ? Avez-vous échangé notamment avec l’état-major des armées sur la manière dont ont été dimensionnés les niveaux de stock de munitions de petits calibres notamment ? Deuxièmement, avez-vous identifié des sujets qui pourraient être poussés dès le projet de loi de finances pour 2021 ?

M. André Chassaigne. Je vais partir du sujet abordé par Thomas Gassilloud, qui apparaît aussi dans les autres interventions : l’importance des petits équipements. Je me suis replongé dans L’Armée nouvelle de Jean Jaurès. On peut évidemment dire que ce n’est pas d’actualité, notamment depuis la suppression de la conscription. Mais il contient des propos très intéressants. Je souhaite vous lire un petit passage qui dit beaucoup de choses sur le caractère multiple qui peut accompagner les combats. Il écrivait ceci en 1910, dans un texte présenté à l’Assemblée nationale : « Le succès ou l’insuccès d’une campagne dépend à la fois d’innombrables forces intellectuelles et morales, et d’innombrables forces matérielles. Le terrain, le climat, les approvisionnements, l’état physique des soldats, l’état des âmes, l’élan ou la paresse des cœurs, l’accident heureux ou funeste : quel mélange énorme et trouble. Et comment reconnaitre ce qui doit revenir à la volonté réfléchie et à la pensée directrice d’un homme. De là l’incertitude des jugements portés même sur une seule bataille ; mais de là aussi, pour les esprits sincères qui cherchent dans l’étude de l’histoire militaire, non pas des formules toutes faites et des recettes mécaniques, mais des leçons vivantes et de libres inspirations pour l’avenir, une admirable matière à réflexion et à critique. » Je crois que cela est apparu dans les questions que vous avez posées sur la dimension globale de la question, entre les petits et les grands équipements. Tout se tient.

Il est vrai que la crise de l’habillement, évoquée par Stéphane Trompille, est d’une grande importance. Il est honteux qu’il y ait des problèmes si récurrents sur l’habillement pendant des années, avec indéniablement un impact sur le moral mais aussi sur ce que le soldat dit autour de lui. Pensons au jeune qui peut voir sa vocation écrasée par la prise de conscience du fait qu’il n’est pas toujours traité de bonne manière. Le service du commissariat des armées a connu beaucoup d’atermoiements, avec des vicissitudes que nous connaissons. Mais depuis la prise de fonction du général Piat, on assiste à une véritable reprise, allant dans le bon sens, avec l’ouverture d’un stock centralisé moderne, fondé sur un modèle de commande aussi réactif que celui d’Amazone, et l’ouverture d’un portail de commandes en ligne. On peut toujours se demander s’il faut verser une indemnité d’habillement – comme il y en avait jusqu’il y a vingt ans – mais le risque serait qu’au lieu d’être utilisés pour l’objectif recherché, ces crédits soient considérés comme une forme de complément de salaire. Sans doute faut-il réfléchir à d’autres formules. Une marge de liberté plus grande pourrait être donnée aux régiments. Si les officiers et sous-officiers nous ont fait part des frustrations qui demeurent, ils reconnaissent – et ils se sont exprimés en toute liberté – que des progrès ont été réalisés. Pour ma part, je pense qu’on est sur la bonne voie.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Monsieur de la Verpillière, un soldat reste un soldat, que ce soit à Sentinelle ou à Barkhane. À même homme même fusil, même pistolet et même gilet pare-balles. Sinon il faudrait confier Sentinelle à des forces spécialisées dans la sécurité intérieure et ce n’est pas le choix qui a été fait. On ne peut pas donner à nos soldats un double équipement, l’un adapté aux OPEX et l’autre, aux opérations menées sur notre territoire. Dès lors, nous n’avons donc pas de recommandations particulières à ce sujet.

Monsieur Baudu, ce qui se passe aux États-Unis en matière de développement de nouveaux calibres doit retenir toute notre attention. Pendant la Guerre froide, le monde s’est réparti entre les fusils d’assaut chambrés à 5,56 millimètres, aux États-Unis et dans le bloc de l’Ouest, et ceux chambrés 7,62 millimètres dans le bloc de l’Est. Ce choix perdure aujourd’hui. Notre HK447F a un calibre de 5,56 millimètres. Les États-Unis ont effectivement lancé un marché pour le renouvellement de leurs fusils d’assaut. Parmi les trois entreprises en lice, deux ont développé des munitions de 6,8 millimètres. Le choix de l’une de ces entreprises entraînera la production d’armes dans un nouveau calibre et leur distribution dans toute l’armée américaine. L’apparition et la généralisation d’un nouveau calibre aux États-Unis pourrait alors effectivement avoir un impact important sur les standards de l’OTAN : les États-Unis étant la nation-cadre par excellence au sein de l’Alliance atlantique, s’ils changent de calibre, ce dernier deviendra quasi nécessairement la norme de l’OTAN à laquelle nous devrons tous nous plier. En conséquence, ce standard pourrait devenir le standard européen et le marché des petits calibres et des munitions, évoluer. En France et en Europe, cela impliquerait à terme de changer nos armements et de nous doter de munitions de 6,8 millimètres, qu’aucune usine en Europe aujourd’hui n’est capable de produire. Nous serions complètement dépendants des États-Unis. Une autre solution consisterait à conserver le 5.56 et à développer notre propre calibre et, par conséquent, à plus être interopérable avec nos alliés américains et à être en retard d’une guerre sur le plan technologique. À l’aune de ces éléments techniques, la relance d’une filière française petit calibre et la création de synergies avec nos alliés européens paraissent utiles pour plusieurs raisons : cela nous permettra d’être présents sur le marché dans quelques années, cela offre des perspectives de long terme à cette filière, cela permet de répondre à l’objectif de souveraineté future et enfin, cela crée un nouvel axe de travail pour consolider la défense européenne.

M. André Chassaigne, co-rapporteur. Notre rapport n’aura pas d’impact sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2021 qui est déjà finalisé. Notre horizon est plutôt celui de l’actualisation de la loi de programmation militaire.

Monsieur Gassilloud, le niveau des stocks de munitions est classifié. Notre réunion étant publique, la seule chose que je puisse dire est que nos stocks ne sont pas pléthoriques, loin s’en faut. La question que nous avons soulevée est celle de la souveraineté de la production. D’où nos propositions.

Monsieur Lassalle, mon objectif de co-rapporteur n’est pas d’utiliser un rapport tel que celui-ci pour développer des propositions que je peux soutenir dans cette commission à d’autres occasions. Je peux avoir mon idée sur les dépenses militaires mais tel n’était pas l’objet de ce rapport.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Ayant aperçu Jean Lassalle dimanche dernier à Beynac, je peux vous dire qu’il n’a pas eu besoin de munitions puisqu’il avait des fourches. (Sourires.)

M. Jacques Marilossian. Les investissements français au niveau de l’Union européenne et de l’OTAN permettent des gains, grâce à la mutualisation européenne des coûts en recherche-développement, et une certaine interopérabilité des équipements des soldats embarqués. Tout cela semble vertueux et complémentaire pour notre défense et celle des autres pays.

La France s’est intéressée récemment à l’acquisition d’équipements pour le soldat embarqué. La NATO Support and Procurement Agency (NSPA), agence OTAN de soutien et d’acquisition, a sélectionné comme fournisseur une entreprise britannique pour les uniformes de combat. Or, le Royaume-Uni se dirige vers un hard Brexit qui risque d’avoir un impact sur les coûts. Avez-vous identifié des entreprises européennes capables de fournir les troupes de l’OTAN et les armées de ses États-membres en petits équipements ? Le cadre de l’OTAN est-il pertinent pour notre réflexion ?

Mme Séverine Gipson. Je remercie nos deux collègues pour ce rapport essentiel à nos troupes, à leurs missions et à leurs familles. Nous sommes tous conscients de l’importance de ces équipements dans les missions de nos hommes. Ce sont certes de petits équipements que nous considérons comme normaux mais ils ne sont pas forcément toujours disponibles. Petits équipements mais grande utilité et grande quantité ! Il revient aux armées d’équiper leurs soldats mais face au manque de disponibilité de certains équipements, il n’est pas rare que certains militaires n’hésitent pas à les acheter eux-mêmes. Même si la loi de programmation militaire prévoit un effort conséquent pour le remplacement de ces matériels, ce remplacement a parfois posé des problèmes importants, notamment de pointure de chaussures et de solidité des fermetures de celles-ci. Comment soutenir le processus de qualification et d’achat pour le rapprocher de nos soldats et le conformer à leurs attentes ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Je voudrais évoquer l’intime du soldat qui concourt non seulement à sa sécurité mais aussi à sa performance et à son endurance. Les gilets pare-balles sont en perception et en réintégration à l’issue d’une mission, et non en dotation alors qu’ils font vraiment partie de l’intime : le soldat forge son gilet pare-balles comme on fait une paire de chaussures. Je reprendrai la métaphore balzacienne qu’a citée le président Chassaigne. Dans votre rapport, il a souvent été question des choix du Gouvernement et du ministère des Armées mais la commission de la défense a sa part de responsabilité. Depuis le début de la législature, nous nous sommes concentrés sur les gros équipements : le porte-avions, le SCAF, le Barracuda, le Rafale… Mais dès le début de nos travaux, j’avais écrit au président de la commission de la défense de manière à ce que nous nous saisissions de la question de l’intime du soldat. C’est un petit budget de 200 à 300 millions d’euros. Nous-mêmes avons laissé passer cette grosse mouche entre les fils de notre toile d’araignée !

Ma question porte sur l’armement petit calibre et la munition dont vous avez parlé. J’ai eu la chance, dans une affectation passée, d’être armurier. La munition 5.56 avait été adoptée par l’OTAN pour ses vertus létales : une petite munition, frappée à une certaine vitesse à n’importe quel endroit du corps, peut provoquer des ravages mortels. Avez-vous pu vérifier si la nouvelle munition choisie peut constituer un apport physique au combat ?

M. Jean-Marie Fiévet. Ce que vous nous dites du panachage des petits matériels, nous le constatons sur le terrain lors de nos déplacements, dans les armées, comme d’ailleurs dans la gendarmerie. Vous l’avez bien dit, il n’est pas facile d’équiper d’un seul coup 100 000 hommes, ce que nous pouvons bien comprendre. Mais selon quels critères certains régiments, voire certaines compagnies, sont-ils prioritaires pour ces livraisons ? Sommes-nous au moins certains que les unités qui vont en OPEX sont toujours les premières dotées en matériel moderne ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Je voudrais moi aussi revenir sur la question des petits calibres, qui est évidemment une question de souveraineté mais aussi de compétitivité. J’aimerais immédiatement répondre au président Chassaigne par une citation de Léon Blum qui disait : « Tandis que la règle du capitalisme américain est de permettre aux nouvelles entreprises de voir le jour, il semble que celle du capitalisme français soit de permettre aux vieilles entreprises de ne pas mourir ». Sur le plan technologique, faire du petit calibre, au fond, est assez simple : par exemple, nous avons pu reconstituer très rapidement des filières de masques qui soient pleinement souveraines. L’analogie s’arrête là. Sur le plan de la compétitivité, un sujet que nous abordons depuis des années au sein de cette commission, ce n’est pas aussi évident. Plusieurs questions se posent alors. Une première question technologique : l’important est de ne pas manquer le virage de la robotisation, comme l’a dit M. Gassilloud, mais également de la fabrication additive, et j’aimerais savoir si vous avez eu des éclaircissements sur ce point lors de vos entretiens. Se poseront évidemment les questions du calibre 6,8 à moyen terme, de la compétitivité, et de l’inscription dans un espace européen. En effet, la résilience ou la souveraineté, ce n’est pas forcément tout faire, tout seul. Cette souveraineté peut parfois s’appuyer sur des sources d’approvisionnement diverses. Lorsque j’ai été rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre (CaMO), j’ai eu des échanges avec nos amis belges, et notamment dans le monde industriel. Certains industriels comme FN Herstal avaient alors manifesté un intérêt pour une consolidation européenne dans le domaine du petit calibre. Comment avez-vous abordé cette problématique dans votre rapport ?

M. Yannick Favennec Becot. Ma question s’inscrit dans la continuité de celle de M. Larsonneur. La question du renouvellement des petits équipements de nos armées se règle de plus en plus en dehors de nos frontières, par le biais notamment de l’Agence européenne de défense (AED) et de l’Agence de soutien et d’acquisition. La France entend-elle s’inscrire encore davantage dans des dispositifs d’acquisition (OTAN), de recherche et de développement (NSPA) encadrés par l’Europe et par l’Otan – ce qui présenterait le triple avantage de diminuer la facture finale, grâce à un programme conjoint, de créer un effet de volume, et de gagner en interopérabilité par l’acquisition de matériels en partie identiques ? Sur quels programmes d’achats lancés par l’AS et la NSPA la France est-elle positionnée ? De quelles améliorations concrètes en matière d’équipement nos forces armées vont-elles pouvoir, de ce fait, bénéficier ?

M. André Chassaigne, co-rapporteur. Monsieur Marilossian, il est vrai que les choix prioritaires faits par l’Otan nous posent problème. Nos entreprises, et en particulier les PME, ont besoin de pouvoir anticiper. Les choses sont différentes pour les grandes entreprises : les multinationales sont très performantes et n’ont pas de difficulté par rapport à l’armement lourd. Lors d’un échange avec des PME, une entreprise nous a donné un exemple très concret concernant une commande de casques qui répondaient à des critères précis définis au niveau de l’Otan. Quand l’appel d’offres a été lancé, la PME française était dans l’incapacité d’y répondre parce qu’elle n’avait pas pu anticiper le cahier des charges, qui avait été préparé aux États-Unis et était déjà connu d’entreprises américaines. Les Américains ne sont pas des enfants de cœur. Ceux qui ont eu l’occasion parmi nous de faire des missions à l’étranger, notamment dans le cadre des groupes d’amitié, ont souvent pu entendre nos ambassadeurs nous dire que la présence de conseillers militaires français est très limitée. Là où vous avez un conseiller militaire français dans une ambassade – et encore faut-il que ce soit une ambassade qui compte –, vous avez sept ou huit conseillers militaires américains. Par conséquent, beaucoup d’États de l’Union européenne restent actuellement tournés vers les États-Unis, pour des raisons historiques parce qu’ils considèrent que ces derniers assurent leur protection. Ces pays donnent des gages aux États-Unis, y compris en termes de commandes. Dans le groupe d’amitié France-Roumanie, nous avons eu l’occasion de discuter d’une commande d’hélicoptères qui devait être passée avec la France, mais qui ne l’a pas été parce que, derrière, les Américains agissent pour placer leur propre matériel. Cela se reproduit dans énormément d’États de l’Union européenne et d’Europe centrale. Il faut effectivement faire valoir l’idée d’une plus grande coopération au niveau européen. Aujourd’hui, un élément nous sert : Donald Trump, qui fait office de repoussoir. Je ne souhaite pas pour autant que Trump soit réélu, bien évidemment, mais les propos qu’il peut tenir renforcent la cohésion européenne. Ce doit être un travail de longue haleine mais commençons chez nous par protéger et accompagner nos PME et nous pourrons davantage être présents sur les appels d’offres.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Madame Gipson, l’équipement personnel des militaires, c’est-à-dire l’achat par ceux-ci du matériel privé et à leurs frais personnels dans le commerce civil, est un phénomène observé de longue date dans l’armée française. Les fantassins qui nous ont présenté leur matériel à Clermont-Ferrand ont confirmé que l’on relève encore des achats de matériels personnels, tout en notant une différence nette dans les pratiques entre les anciens et les nouveaux. Tout l’objet de notre rapport est donc de prendre en compte les spécificités des petits équipements, en rapprochant nos PME et nos forces armées au plus près des besoins des soldats.

M. André Chassaigne, co-rapporteur. Monsieur Fiévet, concernant les OPEX, effectivement, dans la mesure où les équipements modernes sont distribués et répartis sur l’ensemble des régiments, il y a forcément un mélange. Or, à peu près tous les deux ans, les forces armées – je prends l’exemple du 92e régiment d’infanterie de Clermont-Ferrand – sont amenées à partir en OPEX. Mais avant d’y aller, elles doivent se préparer sur le territoire français. Il faut donc bien distribuer une partie de ce matériel dans l’ensemble de nos forces armées, pour se préparer à l’OPEX. Il est vrai qu’ensuite, quand un régiment se déploie en OPEX par exemple, il ne va pas avoir que de l’équipement du dernier cru, mais peut-être aussi des équipements de deux, trois voire quatre générations antérieures. Cela concerne les lunettes par exemple, tellement les progrès sont rapides. Il est très difficile d’apporter une réponse à ce problème mais cette réalité nous a été signalée.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Monsieur Michel-Kleisbauer, l’intime du citoyen-soldat est bien l’objet de notre préoccupation. Jean Jaurès était lui-même gorgé de lectures classiques qui nous ramènent jusqu’au citoyen-soldat d’Athènes. Pour ce qui est du choix très technico-technique, nous ne sommes pas des ingénieurs.

M. André Chassaigne, co-rapporteur. Monsieur Favennec Becot, vous avez parlé de l’Agence européenne de défense. Il y a des progrès à faire à ce sujet. Par contre, je suis incapable de répondre quant au positionnement que nous pouvons avoir aujourd’hui sur les programmes, qui nous semblent être prioritaires. Nous pourrions peut-être aborder ce sujet en commission plus tard.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Monsieur Larsonneur, en réalité, nous n’avons pas fait de prospective technologique nous-mêmes. Mais MM. Gassilloud et Becht en avaient très bien fait dans leur rapport. Sur le terrain, ils nous parlent moins de 5 g, d’impression 3d ou de radio que de leurs fusils, de leurs treillis ou de leurs casques. Je voudrais rappeler que les radios datent parfois de 1980, donc nous sommes loin des nouvelles technologies.

Mme Nathalie Serre. J’ai posé à plusieurs reprises, depuis ma première intervention dans cette commission en juin, des questions sur le petit équipement, et spécialement sur le petit armement. Aujourd’hui, votre rapport, chers collègues, pose un constat sans équivoque. Je tenais à vous remercier pour ce travail extrêmement pertinent qui a l’avantage de mettre en lumière cette problématique.

Je ne vais pas être plus longue. Je tenais simplement à vous remercier parce que j’ai déjà eu, par les questions de mes collègues, toutes les réponses que je souhaitais. Néanmoins, je voulais vous exposer un proverbe qui vient de la ruralité « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Sur les petits équipements, je pense que c’est extrêmement important.

Je vous remercie.

M. Pierre Venteau. Je remercie les rapporteurs pour cette présentation claire et, comme l’a dit notre collègue Jean Lassalle, compréhensible pour tous, ce qui n’est pas toujours le cas. L’éloignement des PME des marchés de petits équipements se produit souvent parce qu’elles sont des sous-traitantes des grands groupes. Par ailleurs, et vous l’avez souligné, la concurrence étrangère, notamment extra européenne, est réelle. La crise de la Covid-19 et la volonté de relocaliser en France une partie plus importante de notre production pourrait-elle avoir pour conséquence la réappropriation de ces marchés par des fournisseurs français ? De façon très concrète, le suivi du tissu industriel de défense mis en place par la DGA pendant la crise sanitaire a-t-il permis d’identifier, au-delà des munitions de petit calibre, pour lesquelles vous avez été très clairs et très prescriptifs, des axes d’amélioration ou des pistes d’action ?

Mme Monica Michel. Je souhaite vous interroger sur l’origine européenne des petits équipements. Depuis peu, les soldats français sont équipés du fusil allemand HK 416 F. Pensez-vous qu’il soit pertinent de renforcer l’intégration européenne dans ce domaine, aujourd’hui peu pris en compte dans les projets européens ? La coopération structurée permanente (CSP) dans le domaine de la défense n’inclut par exemple aucun projet concernant ces petits armements.

M. Jean-Louis Thiériot. Vous avez cité Jaurès et Blum. Autorisez-moi sur ces bancs à citer le Barrès de 14-18 qui s’est battu ici à l’Assemblée nationale en tant que député pour que ce soit adopté le casque Adrian mais surtout le réchaud à alcool du soldat. Je ne parviens pas à retrouver le passage exact que je voulais citer mais c’est un sujet suffisamment important pour que notre assemblée s’en saisisse. C’est le quotidien du soldat ! Sur tous les bancs de l’Assemblée, ce message a été repris. Vous proposez la recréation d’une filière de munitions de petit calibre. Je crois que nous en sommes tous convaincus. Ma question est simple : avez-vous identifié des entreprises déjà capables de remplir cette fonction ? Avez-vous une idée de la taille du marché ainsi créé, des investissements nécessaires et des emplois induits dans la durée ? Cela aurait pu être l’une des thématiques du plan de relance – et, nous y reviendrons sans doute, je regrette que la Défense soit l’angle mort de ce plan sauf à la marge.

M. Didier Le Gac. Vous n’avez pas évoqué le plan de relance mais peut-être est-ce lié au calendrier de vos travaux. Les industriels vous en ont-ils parlé ? Vous ont-ils demandé un soutien pour sauvegarder des emplois industriels dans ce secteur ?

Mme Laurence Trastour-Isnart. Ma question porte sur la qualité. Vous avez évoqué les contraintes de l’achat public et de la commande publique, en soulignant l’importance des critères de qualité. Or, souvent, les échantillons présentés lors de la procédure d’achat public ne correspondent pas ensuite aux produits effectivement livrés, surtout lorsque les produits viennent de l’étranger. Les militaires s’en plaignent fréquemment. Dans quelle mesure un contrôle a posteriori est-il réalisé ?

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Je remercie Nathalie Serre pour ses paroles d’encouragement. Nous n’avons pas l’intention de mettre tous nos œufs dans le même panier. C’est bien ce qui nous dissuade de nous en remettre totalement à l’OTAN.

M. André Chassaigne, co-rapporteur. Quand je pose des questions à des rapporteurs, je me plains parfois parce que je n’ai pas de réponse. Alors que plusieurs parmi vous pourront regretter de n’avoir pas de réponses assez précises de notre part, je me rends compte de la difficulté de l’exercice et cela invite à l’humilité. Je crains d’oublier certains points abordés. Sur la crise de la Covid-19 évoquée par Pierre Venteau, il va de soi que nos travaux en ont ressenti les effets. Nous avons réalisé quelques auditions avant le confinement, interrompu nos travaux, et mis les bouchées doubles après. Plus largement, la crise sanitaire a démontré notre dépendance à l’égard de l’étranger. Nous avons cité les masques sciemment. Mais peut-être cela concerne-t-il d’autres matériels ? Nous n’avons pas d’exemple précis à donner. Peut-être les armées n’ont-elles pas paru affectées dans l’immédiat parce qu’elles avaient des stocks ? C’est une question qui mérite d’être approfondie. Cela nous renvoie logiquement à la question du plan de relance. Pour reprendre la formule de nos collègues Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot dans leur rapport récent sur l’état de la base industriel et technologique de défense, il importe surtout que la loi de programmation militaire soit bien exécutée : « ni exécution au rabot, ni actualisation au rabais » ! Nous pourrons nous appuyer aussi sur notre rapport dans les discussions que nous pourrons avoir sur l’actualisation.

Je remercie Nathalie Serre. Mais nous avons tout à fait conscience que notre travail est inachevé. Nos réponses montrent bien que le travail parlementaire a toujours quelque chose d’inaccompli. Vous allez dire que nous accumulons les citations mais je vais quand même citer René Char : « L’inaccompli bourdonne de l’essentiel. » Alors j’espère que même si nous ne répondons pas précisément à toutes vos questions, l’essentiel se dégage cependant de nos propos.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. Je vais répondre à la fois à Jean-Louis Thiériot et à Monica Michel. Nous nous sommes rendus à Pont-de-Buis le 1er septembre 2020 pour visiter la poudrerie Nobelsport. En effet, Nobelsport devait servir de point d’appui dans le projet de reconstitution d’une filière industrielle lancé par l’ancien ministre de la Défense en mars 2017, projet à ce jour avorté. En 1996, la Société nationale des poudres et des explosifs avait décidé de privatiser l’activité de Pont-de-Buis. Cette société a un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros et emploie plus de salariés aujourd’hui. C’est une filiale du groupe français Sofisport, leader mondial du marché de la chasse et du tir sportif, avec un chiffre d’affaires de près de 200 millions d’euros. Sofisport exporte plus de 65 % de sa production. Ce groupe pleinement intégré produit des amorces, des douilles sans plomb et de la poudre. Il s’affirme comme un leader européen incontesté dans le domaine de la poudre non militaire puisqu’il représente 35 % de parts de marché mondial. Nous avons constaté sur place que, depuis une quinzaine d’années, ce site développait avec succès de nouveaux process de production. L’extension de l’activité du site pourrait créer 60 emplois directs – sans parler des emplois induits – pour un coût d’environ 100 millions d’euros.

M. André Chassaigne, co-rapporteur. À Laurence Trastour-Isnart, j’assure qu’il y a énormément de contrôles et de certifications, quels que soient les matériels. À tel point que les délais de qualification – environ dix-huit mois – sont parfois considérés comme trop longs par les soldats, de telle sorte que certains matériels, lorsqu’ils arrivent dans les forces, pourraient déjà être remplacés par des matériels de nouvelle génération. Ce qui peut manquer, en revanche, c’est le retour sur expérience. Lors de nos échanges avec les membres du 92e régiment d’infanterie à Clermont-Ferrand, un des soldats nous a dit qu’ils étaient insuffisamment consultés après livraison. Les officiers sont conscients de cela. Il faut davantage de retours de terrain.

Pour répondre à Didier Le Gac qui est chargé du plan de relance, je dois dire que si nous avons une priorité, c’est celle que vient de développer mon collègue sur la poudrerie Nobelsport. C’est pour nous une priorité. Nous sommes d’ailleurs en contact avec le président du conseil de surveillance, M. Yves-Thibault de Silguy qui nous a fait visiter le site. Il est dans les starting blocks ! Mais pour garantir l’élargissement de la production, les créations d’emplois, les investissements, il faut – et c’est là la difficulté – une garantie qu’ensuite le ministère des Armées donne une priorité à cette entreprise dans le cadre de ses appels d’offres. Pour nous, c’est une question vitale et une proposition concrète qui montrerait notre utilité en tant que rapporteurs.

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. En visitant le site, nous avons vu qu’une ancienne usine, désaffectée, pourrait être réaménagée.

M. Jean-Michel Jacques, président. Vous avez encore des réponses à fournir, mon cher collègue ?

M. Jean-Pierre Cubertafon, co-rapporteur. J’ai une citation qui me plaît. Même si elle ne correspond pas au thème : c’est une citation ! (Sourires) Winston Churchill disait au cœur de la Seconde guerre mondiale : « On peut déléguer les tâches mais pas les responsabilités. » Donc : prenons la responsabilité de nous réarmer, au sens propre comme au figuré ! Avec l’accord de mon collègue André Chassaigne, je voudrais rappeler les avantages de la solution Nobelsport : affirmation de la souveraineté nationale dans un secteur sensible, recréation d’une filière française industrielle, création d’emplois en Bretagne. Je crois que nous vous avons fait part de notre enthousiasme ! J’espère qu’il sera partagé !

M. Jean-Michel Jacques, président. Merci, mes chers collègues. Nous avions eu un rapport dense et de qualité, présenté par nos collègues Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot. Je crois qu’en voici un deuxième, tout aussi dense, qui nous apportera beaucoup pour nos travaux à venir.

 

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La publication du rapport d’information est autorisée à l’unanimité.


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   annexes

 

   annexe 1 :
auditions et dÉplacements de la mission d’INFORMATION

(Par ordre chronologique)

 

 Représentants de l’APNM-Commissariat, APN-Air, France-Armement et APRODEF ;

M. le contre-amiral François Moreau, sous-chef d'état-major chargé des plans et des programmes ;

 M. le général Frédéric Parisot, sous-chef d’état-major de l’armée de l’air chargé de la préparation de l’avenir ;

 Représentants des trois groupements industriels GICAN, GICAT et GIFAS : M. Jacques Orjubin, délégué à la communication et aux relations publiques du GICAN ; M. François Mattens, directeur de la communication et des affaires publiques du GICAT ; M. Jean-Marc Duquesne, délégué général du GICAT ; M. Jérôme Diacre, président de la commission PME du GICAT ;  M. Bertrand Lucereau, président d’honneur du comité Aéro-PME du GIFAS, président de la société SECAMIC ; M. Nicolas Voiriot, vice-président du Comité Aéro-PME du Gifas, président de la société Jacques Dubois et M. Jérôme Jean, directeur des Affaires publiques du GIFAS ;

 M. François Pintart, directeur des opérations chez DGA et M. Robin Jaulmes, conseiller technique du délégué ;

 Groupe de liaison du CSFM ;

 M. le général Charles Beaudouin, sous-chef d’état-major de l’armée de terre chargé des plans et des programmes ;

  M. le commissaire général Stéphane Piat, directeur central du service, Commissariat des Armées ;

M. Jean Quentin, PDG du Groupe Martineau ;

M. Patrick Lestevin, directeur de l’entreprise Dumas ;

Mme Béatrice Steffan, secrétaire générale de la préfecture du Puy-de-Dome, représentant Mme la préfète ;

M. Étienne Kalalo, sous-préfet de Thiers ;

M. Claude Barbin, président de la CCI du Puy-de-Dôme ;

Mme Bernadette Fougerouse, directrice de l’unité départementale DIRECCTE ;

M. le Colonel (R) Christian Almont, représentant le délégué militaire départemental ;

M. le lieutenant-colonel Pascal Wiland, commandant en second du 92e régiment d’infanterie ;

M. Claude Murena, délégué du ministère des armées à l’accompagnement régional pour la région Auvergne–Rhône-Alpes ;

M. Philippe Mahé, préfet du Finistère ;

M. Yves-Thibault de Silguy, Président du conseil de surveillance de Sofisport ;

M. Gilles Roccia, Président Directeur Général de Nobelsport ;

M. Thomas Devaulx de Chambord, directeur général délégué de Nobelsport.


([1]) Identification friend or foe : système automatique d’identification des alliés et des adversaires.

 

([2]) Registration, Évaluation, Autorisation and Restriction of Chemicals : ce règlement européen impose des normes strictes en matière de stockage, de certification et d’usage de substances chimiques, aussi bien dans l’industrie que pour les produits du quotidien.

([3])  FÉLIN, pour « fantassin à équipements et liaisons intégrés », est le nom d’un système de combat individuel destiné aux soldats de l’armée de terre française et visant à améliorer leur équipement en matière de communication, d’observation, de létalité, de protection, de mobilité et de soutien du soldat.

([4]) Précisons qu’aux yeux des rapporteurs, le Conseil pouvait se saisir de la question des « petits » équipements sans dépasser son champ de compétence, centré sur la condition militaire, dès lors que la loi de programmation militaire revendique un effort « à hauteur d’homme » qui repose sur un ensemble de mesures, y compris la modernisation des matériels, présentées comme visant à améliorer les conditions d’exercice du métier de militaires.

([5]) Automatic Dependent Surveillance Broadcast : système permettant de déterminer la position de chaque appareil présent dans un secteur donné.

([6]) Document appelé « ajustement annuel de la programmation militaire » (A2PM).

([7]) Instruction n° 1618/ARM/CAB sur le déroulement des opérations d'armement, en date du 15 février 2019 ; voir aussi l’instruction n° 100/ARM/CAB relative aux opérations d'investissement du ministère des armées, de la même date.

([8]) A noter que le terme « PX » (Post Exchange) ne désigne que les magasins des bases de l’armée de terre américaine (US Army). Ces magasins sont dénommés « BX » (Base Exchange) dans l’US Air Force, « NEX » (Navy Exchange) dans l’US Navy, « MCX » (Marine Corps Exchange), dans le corps des Marines et « CGX » (Coast Guard Exchange) dans le corps des gardes-côtes. Si ces magasins ne sont pas gérés par la même autorité (seuls les PX et BX sont gérés par l’AAFES), ils semblent obéir à la même logique en matière de service aux militaires partant en opération.

([9]) Alliant Techsystems Inc., aujourd’hui propriété de Northrop Grumman.

([10]) Metallwerk Elisenhütte Nassau GmbH.

([11]) Companhia Brasileira de Cartuchos.

([12]) Société anonyme détenue à 100 % par l’État dont le capital sert à soutenir les petites et moyennes entreprises de la Défense face à la modernisation du secteur.

([13]) Source : compte rendu de l’audition de M. Joël Barre, délégué général pour l'armement, dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2018, mercredi 18 octobre - Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

([14]) Service du service du commissariat des armées installé à Rambouillet.

([15])  Rapport d’information n°3088 présenté par la présidente Françoise Dumas portant restitution des travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées sur l’impact, la gestion et les conséquences de la pandémie covid-19.