15 juin 1998

COMPTE RENDU N° 46

Réunion du jeudi 11 juin 1998 à 11 heures

Présidence de M. Henri Nallet, Président

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Audition de M. Eneko Landáburu, Directeur général à la Commission européenne (politique régionale et cohésion), sur la réforme des fonds structurels

M. Eneko Landáburu a indiqué que la proposition de réforme des fonds structurels élaborée par la Commission, vise, dans le prolongement de l'action de Jacques Delors, à maintenir et à consolider un outil de solidarité qui représente aujourd'hui 1/3 du budget communautaire. Cet effort de cohésion et de solidarité sera maintenu à la hauteur du taux de prélèvement sur le PIB communautaire qui sera atteint en 1999 (0,46 %). Il ne sera pas possible d'aller plus loin, les ressources propres de l'Union ne pouvant excéder le plafond de 1,27 % du PIB, que les Etats membres n'ont pas voulu relever. L'élargissement étant une priorité politique de l'Union européenne, l'effort de solidarité sera étendu aux futurs adhérents.

La réforme prévoit tout d'abord une concentration des actions : une concentration géographique, en faveur des régions les plus défavorisées ; une concentration des objectifs, dont le nombre est ramené de six à trois ; une concentration des programmes, la Commission souhaitant obtenir l'établissement d'un programme unique par région aidée, tous objectifs confondus. Les régions éligibles à l'objectif 1 bénéficieront des deux tiers de la totalité des fonds structurels.

Le second axe majeur de la réforme est la simplification et la décentralisation de la gestion des Fonds. Il s'agit de mieux identifier et de mieux responsabiliser chacun des partenaires. La Commission reste responsable de l'exécution des crédits et de leur bonne gestion, en application de l'article 205 du Traité, mais l'expérience montre qu'elle ne peut gérer efficacement les programmes sur le terrain. Elle n'interviendra plus qu'aux deux extrémités de la chaîne, c'est-à-dire au stade de la détermination des objectifs stratégiques des programmes de développement et pour l'évaluation des résultats et le contrôle de l'exécution des dépenses. La gestion courante relèvera entièrement des autorités publiques nationales.

La négociation a peu progressé depuis la présentation des propositions de la Commission le 18 mars 1998, tant sur les enveloppes financières que les critères d'éligibilité. Les véritables négociations devraient démarrer en octobre, après les élections allemandes ; la Commission va s'efforcer de faire adopter lors du Conseil européen de Cardiff l'engagement d'une adoption définitive de la réforme en mars 1999 afin que, compte tenu des délais de mise en oeuvre, les nouveaux programmes soient opérationnels le 1er janvier 2000.

M. Alain Barrau, rapporteur d'information sur la réforme des fonds structurels, a souligné que les données relatives à l'état d'exécution des actions structurelles font ressortir le faible taux de consommation des crédits de paiement pour la période 1994-1996, qui ne représente que 32 % de la dotation dont disposent les quinze Etats membres. Il a demandé quels enseignements pouvaient être tirés de cette situation au regard de la préparation de la réforme, et quels arguments justifiaient le maintien d'une enveloppe budgétaire alignée sur les dotations précédentes plutôt que sur leur exécution réelle.

Il a par ailleurs souhaité savoir si les rapports d'évaluation établis par la Commission en partenariat avec les Etats membres sont disponibles et a demandé si une période de transition suffisante est prévue pour la sortie des zones qui ne seront plus éligibles. Il s'est interrogé sur les conséquences de la réforme pour le zonage français et a souhaité obtenir des précisions sur le renforcement du partenariat et le partage des responsabilités avec les échelons décentralisés dans la mise en oeuvre des fonds.

Mme Nicole Ameline a approuvé le maintien de l'effort de solidarité ainsi que la volonté de la Commission de décentraliser l'exécution des actions structurelles. Elle a demandé si la concentration des fonds sur trois objectifs, qu'elle approuve, entraînera des changements en ce qui concerne le glissement de l'aide aux zones rurales défavorisées vers les zones urbaines en déclin.

Mme Michèle Rivasi s'est interrogée sur les stratégies de développement régional qui sous-tendent la réforme, ainsi que les nouvelles modalités du contrôle de l'utilisation des fonds. Observant que les PME utilisent trop peu les crédits de recherche, elle a demandé si les aides régionales ne pourraient pas être conditionnées à l'intégration, dans les programmes de développement, du soutien à l'innovation des petites entreprises.

M. Gérard Fuchs a souhaité que des précisions soient apportées sur le volume global des fonds pour la période 2000 à 2006 et le partage entre les Etats membres et les nouveaux adhérents. La multiplication des cofinancements ayant alourdi et freiné l'exécution des programmes, notamment dans le cadre du FEDER, il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de diminuer le nombre des partenaires.

M. Maurice Ligot ayant rappelé que le programme « Agenda 2000 » prévoyait une « légère diminution » des dotations des fonds destinés aux Quinze entre 2000 et 2006, a souhaité connaître la mesure exacte de cette réduction. Il a demandé quelles seraient les conséquences de la concentration des aides pour les populations qui n'en bénéficieront plus, le taux de la population bénéficiaire devant être ramené de 51 % à 40 %, voire 35 %. Enfin, pour bénéficier pleinement des avantages de la décentralisation annoncée, il a suggéré d'augmenter l'aide aux entreprises en autorisant le dépassement du plafond de 25 % d'aides publiques.

M. François Guillaume a observé que les aides allouées au titre de l'objectif 5b étaient bien souvent « atomisées », ce qui rend la mission de contrôle par les institutions régionales, nationales et communautaires parfois plus onéreuse que le programme lui-même. Il a donc souhaité que l'on revienne à des programmes plus intégrés, avant de demander si les critères de zonage seront modifiés et quelles seront les autorités chargées de procéder à l'élaboration de la nouvelle carte des zones éligibles.

Dans ses réponses, M. Eneko Landáburu a jugé normal le taux d'utilisation des crédits d'engagement des fonds structurels ; d'ici le 31 décembre 1999, l'ensemble des engagements prévus pour la période seront consommés. L'exécution des crédits de paiement, en dépit d'un léger retard par rapport au profil de consommation décidé en 1992 à Edimbourg, couvre, à la fin de l'exercice 1997, plus de 50 % des paiements disponibles. Ce constat global masque de fortes disparités entre les Etats membres : alors que l'absorption des crédits communautaires est satisfaisante pour les pays les plus pauvres, comme l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et la Grèce, la situation est plus préoccupante pour l'Allemagne, les Pays-Bas ou la France, qui connaissent des retards d'exécution importants ; dans le cas de la France, ces retards se concentrent sur l'objectif 2. Dès lors la Commission examine actuellement, en concertation avec la DATAR, les possibilités de reprogrammation et de réallocation des crédits vers l'objectif 5b.

L'évaluation qualitative des actions structurelles par pays, en particulier les évaluations thématiques, seront disponibles à la fin de l'été et seront transmises à la Délégation.

S'agissant de la réduction du pourcentage de la population de l'Union éligible aux objectifs 1 et 2, qui doit être ramené de 51 % à un chiffre se situant entre 35 et 40 % à la fin de la prochaine programmation, M. Landáburu a fait observer que ce mouvement donnerait lieu à l'application de dispositions transitoires, d'une durée de trois à six ans selon les objectifs, pour les régions qui ne seront plus éligibles. La Corse et le Hainaut français bénéficieront ainsi, avant de sortir de l'objectif 1, d'une programmation d'aides dégressives sur une période de six ans. Il a souligné l'importance économique et politique de ce mécanisme transitoire dont il a relevé qu'il ne suscite pas de réticence de la part des Etats membres.

Après avoir indiqué que la Commission souhaite ramener la population éligible à l'objectif 1 à environ 20 % de la population de l'Union et celle éligible au nouvel objectif 2 à 18 %, M. Eneko Landáburu a exposé la méthode de zonage qu'envisage de retenir la Commission. Prenant l'exemple du futur objectif 2, il a précisé que les critères relatifs au déclin industriel et à la ruralité, tels que définis dans la proposition de règlement, seront appliqués, dans le cas de la France, par département. Si un département remplit les critères d'éligibilité, la totalité de sa population sera alors couverte par l'objectif. En totalisant les habitants des départements ainsi éligibles, on obtiendra la population totale éligible pour le pays. Le choix sera ensuite laissé aux autorités nationales d'affiner ce zonage afin de sortir certaines populations des départements éligibles pour en faire bénéficier d'autres confrontées à des problèmes spécifiques. Cette nouvelle méthode repose sur une plus grande flexibilité et une plus grande prise en compte des spécificités des pays. Au surplus la coïncidence entre la nouvelle carte française des fonds structurels et les contrats de plan Etat-région constituera un puissant facteur de cohérence.

S'agissant de l'amélioration de la gestion des actions structurelles, la Commission veut renforcer le partenariat local et régional pour améliorer la conception et le suivi des programmes. L'expérience a montré, particulièrement dans le cas de l'Irlande, que l'implication des acteurs locaux et sociaux est une source d'efficacité. Chaque Etat devrait agir en ce sens, dans le respect de ses traditions administratives et politiques ; la France souffre d'une concentration excessive de la gestion des fonds structurels entre les mains des préfets de région et des secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR) et d'une multiplicité des cofinancements.

Evoquant l'avenir de l'objectif 5b, M. Eneko Landáburu a précisé qu'il sera intégré au nouvel objectif 2 et couvrira, pour la France, une population moins importante qu'aujourd'hui. A l'échelle de l'Union européenne et à titre indicatif, la population rurale couverte par le nouvel objectif 2 sera de l'ordre de 5 %, la population urbaine de 2 % ; les 11 % restant seront les populations des zones industrielles en déclin. De surcroît, la réforme de la P.A.C. met à la charge du FEOGA-garantie une aide au développement rural. La population française couverte par les fonds structurels serait ramenée à environ 36 % sur la base des nouveaux critères. Cette baisse sera plus faible que dans d'autres Etats membres, en raison de l'importance en France de la ruralité et du taux de chômage.

S'agissant de la stratégie de développement, elle relève des Etats membres, la Commission se bornant à des principes de bases tels que l'environnement et l'emploi. Il appartient également à chaque Etat membre d'instaurer les instruments de contrôle de l'utilisation des fonds, la Commission veillant à leur mise en place et à leur qualité.

Pour le soutien à la recherche des PME-PMI, aucun financement communautaire spécifique ne peut lui être affecté, la Communauté se limitant à abonder les politiques nationales.

S'agissant de la répartition des crédits entre les Etats membres actuels et les nouveaux adhérents, sur un montant total de 275 milliards d'écus, 230 milliards seront affectés aux premiers, dont 210 milliards au titre des fonds structurels et 20 milliards pour le fonds de cohésion, les Etats candidats bénéficiant de 45 milliards d'écus.

L'enveloppe globale attribuée aux actuels Etats membres diminuerait sur base annuelle, mais la France devrait bénéficier d'aides accrues au titre de l'objectif 2. En revanche, l'Irlande, de même que la région de Lisbonne - soit un tiers de la population portugaise - et probablement certaines régions de l'Espagne, ne seront plus éligibles à l'objectif 1 et subiront une perte globale importante.

Les plafonds fixés pour les aides publiques aux entreprises relèvent de la politique de concurrence et non de la politique régionale ; il a toutefois été décidé, dans un souci de cohérence, de fixer pour la première fois les plafonds des aides nationales autorisées en même temps que les montants des aides communautaires. Les critères d'éligibilité seront appliqués sur la base des statistiques harmonisées les plus récentes dont disposera la Commission.

Les programmes intégrés sont infiniment préférables aux projets sectoriels morcelés pour des raisons administratives ; cette logique se heurte toutefois à des résistances en France, où les ministères veulent continuer à gérer leurs crédits au lieu d'en accepter l'intégration au profit d'une action régionale plus cohérente. Sur ce point, M. Landáburu ne s'est guère montré optimiste.