19 juin 1998

COMPTE RENDU N° 47

Réunion du jeudi 18 juin 1998 à 9 heures 30

Présidence de M. Henri Nallet, Président

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I. Examen en urgence de propositions d'actes communautaires (E 1082, E 1084, E 1095)

Le Président Henri Nallet a informé la Délégation qu'il avait été saisi, le 2 juin 1998, par le Ministre délégué chargé des Affaires européennes, d'une demande d'examen en urgence d'une proposition de décision du Conseil autorisant la Commission à conclure des protocoles additionnels aux trois accords de garantie liant les Etats membres de l'Union européenne et la Communauté européenne de l'Energie atomique à l'Agence internationale de l'Energie atomique (E 1082). Les trois accords étaient entrés en vigueur en 1977 pour les Etats non dotés de l'arme nucléaire, en 1978 pour le Royaume-Uni et en 1981 pour la France. A la suite de la découverte du programme nucléaire clandestin irakien, la nécessité est apparue de renforcer le régime des garanties de l'AIEA, qui ne portaient jusque là que sur les nations nucléaires déclarées, et de l'étendre aux équipements et installations en tant que telles, quand bien même elles ne contiendraient pas ou plus de matières nucléaires.

Le Président a indiqué que dans le cadre de la procédure d'urgence arrêtée par la Délégation, il avait fait savoir au Gouvernement qu'il ne s'opposait pas à la levée de la réserve d'examen parlementaire sur ce texte, afin qu'il puisse être adopté par le Conseil Affaires générales du 8 juin.

Répondant à une question de M. Gérard Fuchs, il a précisé qu'il n'avait pas bénéficié d'informations autres que celles figurant dans la lettre du Ministre délégué. Il a ajouté que le Parlement aurait l'occasion de reprendre l'examen de ces protocoles additionnels, qui seront soumis à ratification en vertu d'une loi.

Présentant le document E 1084, relatif à une proposition de règlement du Conseil concernant la réduction de certaines relations économiques et financières avec la République fédérale de Yougoslavie et la République de Serbie, le Président Henri Nallet a indiqué que la Délégation avait été saisie d'une demande d'examen en urgence de ce projet de texte qui, examiné par le COREPER du 17 juin, doit faire l'objet d'une adoption par procédure écrite le 18 juin ou lors du Conseil Transports du 19 juin. La proposition de règlement soumise par la Commission au Conseil a un double objet.

D'une part, elle met en oeuvre la position commune adoptée le 7 mai 1998 par le Conseil de l'Union européenne dans le cadre de la PESC, sur la base de l'article J2 du Traité instituant l'Union européenne. Cette position commune se prononce en faveur du gel des capitaux détenus à l'étranger par les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie. D'autre part, pour des raisons de transparence et de clarté de la législation, la proposition de règlement incorpore les mesures restrictives adoptées précédemment dans le règlement du 27 avril 1998, que la Délégation a examiné en urgence lors de sa réunion du 23 avril dernier. Ces mesures concernent l'interdiction de la fourniture à la République fédérale de Yougoslavie de matériel susceptible d'être utilisé à des fins de répression interne ou de terrorisme et l'interdiction de l'aide des gouvernements à la Serbie pour le financement des privatisations et de nouveaux crédits à l'exportation en faveur du commerce et de l'investissement.

Or, depuis la présentation de la proposition de règlement par la Commission, après un relatif retour au calme, la situation au Kosovo s'est à nouveau brutalement dégradée.

A l'échelle communautaire, un consensus s'est établi en groupe d'experts entre les Etats membres pour apporter trois séries de modifications à la proposition de la Commission. Celle-ci se limite à la stricte application de la position commune du 7 mai 1998, relative au gel des capitaux et n'intègre plus les dispositions du règlement du 27 avril 1998, en vue de faciliter la progressivité de la mise en oeuvre des sanctions et de prévoir leur arrêt éventuel ; les personnes publiques sanctionnées sont strictement définies comme les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie, le texte ne comportant plus de liste des entités sous le contrôle de ces gouvernements dont la Commission n'a pas fourni une définition précise ; le dispositif de comitologie prévu par le texte est rendu inutile, les Etats membres - et non plus la Commission - étant chargés de la mise en oeuvre de ces dispositions. Le Conseil Affaires générales ayant adopté le 8 juin dernier une position commune sur l'interdiction de nouveaux investissements en Serbie, la Commission doit présenter très prochainement au Conseil une proposition de règlement pour sa mise en oeuvre. La Présidence britannique a indiqué que l'Union européenne cherchait une solution pour que la République du Monténégro ne soit pas affectée par cette sanction, qui frapperait sérieusement la Serbie. Enfin, le même jour, le Conseil a approuvé une déclaration dans laquelle il condamne tout recours à la violence à des fins politiques par l'une ou l'autre partie, affirme sa détermination à arrêter les flux d'armes et d'argent à l'armée de libération du Kosovo et souhaite l'élaboration d'un statut spécial comportant une large autonomie au sein de la République fédérale de Yougoslavie.

M. Pierre Brana, soulignant que le Monténégro était engagé dans un processus de démocratisation, a souhaité que - en l'absence d'une disposition spécifique le concernant - toutes les mesures soient prises pour éviter que cette République ne soit affectée par la décision prise par le Conseil le 8 juin d'interdire de nouveaux investissements en Yougoslavie. Il est demandé si l'appui du Conseil à l'attribution au Kosovo d'un statut spécial comportant une large autonomie au sein de la République fédérale de Yougoslavie était vraiment opportun, estimant qu'il appartenait aux intéressés eux-mêmes d'engager des négociations et de trouver une solution statutaire.

M. Gérard Fuchs s'est étonné de ce que l'intitulé de la proposition de règlement fasse mention de la République de Serbie, qui n'a pas d'existence au regard du droit international.

M. Pierre Lellouche, partageant l'avis de M. Pierre Brana, a estimé qu'il appartenait aux protagonistes de régler eux-mêmes la question du statut du Kosovo, sans que le Conseil de l'Union européenne ait à indiquer son choix.

A l'issue de ce débat, la Délégation a accepté de lever la réserve d'examen parlementaire.

Le Président Henri Nallet a enfin présenté le document E 1095 relatif à la prorogation de l'accord de coopération entre la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), le Japon, la Russie et les Etats-Unis concernant les activités ayant trait au projet détaillé du réacteur thermonucléaire expérimental (ITER). Il a rappelé que la Communauté européenne de l'énergie atomique, le Japon, la Russie et les Etats-Unis ont conclu le 21 juillet 1992 un accord de coopération pour étudier la possibilité de construire un réacteur thermonucléaire expérimental international, dénommé ITER, recourant au procédé de la fusion et non à celui de la fission comme les réacteurs actuels. L'accord, d'une durée de six ans, vient à expiration le 21 juillet 1998 et les parties estiment que trois années d'étude seront encore nécessaires avant de prendre une décision sur la construction de ce réacteur. La proposition de décision soumise par la Commission au Conseil a pour seul objet de proroger cet accord de trois ans. Par courrier du 10 juin 1998, le ministre délégué chargé des affaires européennes a saisi la Délégation d'une demande d'examen en urgence de ce document.

M. Pierre Brana s'est étonné de ce que le Ministre justifie partiellement la nécessité d'adopter précipitamment ce texte par l'hostilité de l'Autriche - qui exercera la présidence de l'Union européenne à compter du 1er juillet - à l'énergie nucléaire. Il a récusé toute position manichéenne en la matière, la fusion nucléaire ne présentant pas selon lui les inconvénients de la fission, notamment du point de vue des déchets - opinion sur laquelle M. Gérard Fuchs a exprimé des doutes.

La Délégation a accepté de lever la réserve d'examen parlementaire.

Le Président Henri Nallet a exprimé son inquiétude face au développement des demandes d'examen en urgence, qui empêchent la Délégation de procéder à l'instruction des propositions d'actes communautaires et l'obligent à statuer sans disposer d'informations suffisantes. Il a évoqué la possibilité d'entreprendre une démarche auprès du Gouvernement et des autorités communautaires pour demander le respect de délais de transmission et d'examen convenables.

Répondant à une question de M. Pierre Lellouche, il a précisé que la Délégation avait autorisé son Président à accepter, en cas d'urgence et après examen du texte, à lever la réserve d'examen parlementaire instituée par la circulaire du Premier Ministre du 19 juillet 1994. La Délégation a usé de cette faculté pour ne pas gêner le Gouvernement dans les cas où un texte correspondant aux intérêts de la France doit, pour des raisons qui doivent être justifiées, faire l'objet d'une adoption rapide par le Conseil des ministres de l'Union. Il a précisé que le Gouvernement est invité, en pareilles circonstances, à fournir une analyse du texte susceptible d'éclairer la Délégation et son Président.

M. Alain Barrau a regretté que la Délégation soit, en dehors même de cette procédure d'urgence, appelée à se prononcer fréquemment dans un délai de quelques jours, insuffisant pour procéder à un examen approfondi. Il a relevé que la transmission, au dernier moment, de nombreux textes, résulte, non de l'intention de gêner le Parlement, mais de la lourdeur de la machine communautaire. Il a néanmoins déploré que cette pratique défectueuse affaiblisse la portée du contrôle parlementaire, qu'il convient au contraire de renforcer.

M. Gérard Fuchs s'est demandé si la Délégation ne devrait pas mettre à l'épreuve le dispositif de la circulaire en refusant, dans un cas choisi, de statuer en urgence, de telle sorte que ses avertissements soient pris au sérieux.

M. Pierre Lellouche a indiqué que la Délégation avait souffert des mêmes maux sous la précédente législature et que cette position recueillerait une approbation unanime. Il a souhaité que le débat de ratification du traité d'Amsterdam soit l'occasion d'examiner le renforcement du contrôle parlementaire sur un dispositif communautaire qui fait entrer chaque année plus d'un millier de textes dans le droit positif français. Il a par ailleurs souhaité une meilleure articulation entre les travaux de la Délégation et ceux des Commissions permanentes.

Le Président Henri Nallet a rappelé que le nombre de propositions d'actes communautaires examinées par la Délégation au titre de l'article 88-4 de la Constitution s'est élevé à 229 en 1997, auxquels s'ajoutent 35 documents relevant des IIe et IIIe piliers examinés dans le cadre de l'article 6 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Ces propositions d'actes communautaires font l'objet d'une instruction par la Délégation, dont les analyses figurent dans les rapports d'information qu'elle publie. Par ailleurs, en 1997, la Délégation a reçu au total 2267 documents, qui ont fait l'objet d'une sélection publiée tous les mois et d'un tri systématique en fonction des compétences des commissions permanentes de l'Assemblée nationale.

M. Gérard Fuchs a souhaité qu'on introduise dans le traité une hiérarchie des normes analogue à celle de la loi et du règlement, afin de séparer clairement les textes de principe des textes secondaires.

Le Président Henri Nallet a indiqué qu'une réflexion sur ces questions pourrait être conduite lors de la phase préparatoire à la ratification du traité d'Amsterdam, dans le cadre d'un rapport d'information faisant le point sur l'application de l'article 88-4 de la Constitution. Tous les députés partagent la volonté de faire en sorte que les parlements nationaux aient leur mot à dire dans le processus de décision communautaire ; la modification de la Constitution, préalable à la ratification du traité, devrait constituer l'occasion d'élargir les possibilités de contrôle parlementaire et de résoudre le problème irritant de la jurisprudence trop étroite du Conseil d'Etat sur la nature des projets d'actes relevant de l'article 88-4 de la Constitution, qui a conduit le Gouvernement à ne pas saisir le Parlement de plusieurs textes de grande portée.

II. Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué, chargé des affaires européennes

M. Pierre Moscovici a ordonné son propos autour de trois thèmes : l'Union économique et monétaire telle qu'elle se met en place après le sommet historique de Bruxelles ; le processus d'élargissement et la réforme des institutions de l'Union ; l'état des relations extérieures de l'Union européenne.

S'agissant de l'Union économique et monétaire et des perspectives de croissance et d'emploi, il a noté que, contrairement à l'idée accréditée par certains observateurs selon laquelle les divergences sur le choix du président de la Banque centrale européenne allaient fragiliser celle-ci en entamant d'emblée sa crédibilité, les marchés financiers en ont au contraire salué la mise en place, marquant ainsi leur confiance dans cette institution et leur anticipation d'une croissance plus forte grâce à l'unification monétaire. Il est vrai qu'aucune institution monétaire au monde ne bénéficiera de garanties aussi importantes quant à la stabilité de ses dirigeants. Le véritable acquis de la réunion exceptionnelle des chefs d'Etat et de gouvernement du 2 mai dernier à Bruxelles réside dans le choix définitif d'un euro large, incluant onze pays, conformément aux conditions posées par le Gouvernement français pour accepter définitivement la monnaie unique ; cette décision, largement attendue, était toutefois loin d'être acquise il y a encore un an.

En même temps que la Banque centrale européenne, l'« Euro-11 », son pendant politique, s'est mis en place au mois de juin. Il est normal que ces deux institutions connaissent une période de rodage, qui devrait se prolonger pendant quelques mois avant qu'un équilibre ne s'instaure entre ces deux branches du pouvoir économique européen. Il semble, d'ores et déjà, que la perspective des élections allemandes, à l'issue indécise, freine l'ardeur des partisans d'un système déséquilibré à l'avantage de la Banque centrale européenne. Pour des raisons tenant à l'équilibre des forces politiques en Europe, le couple Banque centrale européenne/Euro-11 ne devrait probablement trouver son rythme de croisière qu'au début de l'année prochaine, une fois l'euro effectivement mis en place.

Les deux institutions étant entièrement nouvelles, l'apprentissage sera sans doute assez délicat. La Banque centrale européenne fédère un ensemble de onze banques centrales, avec chacune leurs traditions et leurs concepts monétaires. L'Euro-11, qui est encore informelle, devra délibérer de questions cruciales pour le développement de l'Europe : politiques budgétaires, compétitivité, emploi, prix et salaires, etc. Compte tenu de la nécessité d'une coopération renforcée au sein des pays ayant l'euro pour monnaie, l'Euro-11 devrait probablement voir ses compétences renforcées, même si l'instance officielle de décision demeure le Conseil ecofin. La première réunion de l'Euro-11, le 4 juin dernier, semble conforter cette thèse, les onze Etats membres ayant réalisé qu'il était urgent de coordonner leur politique budgétaire respective, compte tenu de la position différente occupée par les différents pays dans le cycle économique. Les problèmes de la zone euro sont traités de manière très pragmatique ; en outre, la plus grande attention devra être apportée aux relations entre les pays membres de la zone euro et les autres pays.

Afin que la monnaie unique soit au service d'une stratégie pour la croissance et l'emploi, il convient d'engager une réflexion sur les modes de régulation qui devront accompagner la mise en place de l'euro ; la Présidence britannique s'est ainsi livrée à un effort de conceptualisation de la réforme économique en zone euro, laquelle a fait l'objet d'un long débat lors du sommet européen de Cardiff. Un consensus se dégage sur la nécessité d'un meilleur fonctionnement des marchés dans la zone euro : un espace unifié sur le plan monétaire doit dégager un surplus de croissance si les conditions d'une meilleure mobilité des marchandises, des capitaux et des hommes sont réunies. La Présidence britannique a proposé sur ce point une méthode de travail particulièrement intéressante et agréée par le Conseil européen de Cardiff : il s'agit de faire monter en puissance les diverses procédures communautaires qui existent, mais de manière isolée et donc souvent sans prise suffisante sur la réalité économique. Ainsi, les grandes orientations de politique économique (GOPE) sont appelées à constituer l'armature centrale de suivi de la réforme économique en Europe ; elles sont actuellement centrées sur le réglage conjoncturel de court terme mais devraient être appelées à permettre un suivi de l'ensemble des problèmes macro-économiques, y compris les politiques d'offre.

S'agissant de la promotion de l'emploi, le Conseil européen de Luxembourg de novembre dernier a débouché sur la définition d'une procédure de suivi des progrès réalisés en matière de lutte pour l'emploi. Cette procédure a été activée avec une rapidité remarquable, puisque tous les Etats membres ont transmis à la Commission en avril dernier leurs plans nationaux d'action pour l'emploi. L'évaluation des résultats obtenus aura lieu à Vienne en décembre prochain. Par ailleurs, les grandes orientations de politique économique prennent désormais en compte l'objectif d'un niveau élevé d'emploi, afin que cette question ne soit pas traitée isolément de l'ensemble de la politique économique en Europe dans le contexte créé par l'euro.

Le plan français a été salué par la Commission européenne, notamment pour le soin qu'il met à décrire ce qu'il attend du Fonds social européen en appui aux lignes directrices pour l'emploi. Le Gouvernement français se félicite de la résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne puis par la Commission des affaires sociales et s'engage à accorder la plus grande vigilance aux points dont elle souligne l'importance pour le rééquilibrage de la construction européenne.

Le chantier fiscal est désormais réouvert à l'initiative de la France. Le Gouvernement souhaite une adoption rapide du projet de directive sur la taxation de l'épargne, lequel prévoit une retenue à la source minimale de 20 % dans tous les pays de l'Union. Même si la France aurait préféré un taux de 25 %, ce texte marquera un progrès très important en évitant les transferts d'épargne. La France est également favorable à un rééquilibrage de la fiscalité en faveur de l'emploi. Le plan national d'action pour l'emploi engage d'ailleurs une action volontaire dans le domaine du financement de la protection sociale. Une véritable démarche communautaire d'ensemble reste nécessaire, par voie de directives, au-delà du code de bonne conduite fiscale adopté en 1997. La mise en place de l'euro ne devrait pas manquer de stimuler la réouverture de ce chantier.

De manière plus générale, il apparaît clairement que l'euro est en train de modifier sensiblement l'univers de référence de la politique économique et des agents économiques ; l'euro redonne collectivement aux européens des marges de manoeuvre pour favoriser la création d'emplois, stimuler l'investissement et donner une assise solide à une croissance durable. Les baromètres d'opinion en Europe démontrent une évolution positive des agents économiques à la suite des décisions prises sur l'euro.

S'agissant du processus d'élargissement, le Conseil européen de Cardiff a pris acte des progrès réalisés. Les chefs d'Etat et de Gouvernement ont poursuivi à Cardiff la réflexion sur la Turquie, en se fondant sur la communication de la Commission du 4 mars dernier. Le Conseil européen n'a pas débouché sur une quelconque décision spectaculaire, le volet financier de l'union douanière continuant de faire l'objet du veto grec. Néanmoins, les conclusions du Conseil ont marqué un net progrès : constatant qu'un rapprochement euro-turc passait par un soutien financier, en particulier pour « l'harmonisation des législations et des pratiques turques avec l'acquis communautaire », les chefs d'Etat et de gouvernement, sans exception, ont pris acte de « l'intention de la Commission de réfléchir aux moyens d'étayer la mise en oeuvre de cette stratégie et de présenter des propositions appropriées à cet effet ». Introduite grâce à l'habileté de la présidence britannique, cette dernière formulation permet d'espérer la relance d'une dynamique de préparation à l'adhésion, y compris sur le plan financier.

En ce qui concerne l'« Agenda 2000 », le Conseil européen de Cardiff a définitivement consacré l'idée française d'une double programmation étanche entre les dépenses à Quinze, qui devront continuer à faire l'objet de la plus grande rigueur, et les dépenses au profit des pays candidats. A l'inverse, le Conseil européen est loin d'avoir agréé la conception allemande sur les soldes nets : les conclusions du Conseil indiquent que « certains Etats membres ont estimé que la répartition des charges devait être plus équitable et ont demandé de créer un mécanisme de correction des déséquilibres budgétaires », tout en ajoutant que d'autres Etats membres s'y sont opposés. Cette publicité des divergences est sans doute une première, que l'on peut regretter. Le débat sur cette question promet donc une extraordinaire complexité. Le Conseil européen a arrêté un calendrier destiné à inciter à une accélération des travaux sur « Agenda 2000 » : les chefs d'Etat et de gouvernement souhaitent pouvoir enregistrer des progrès substantiels lors de leur prochaine réunion à Vienne en décembre, afin de parvenir à un accord politique au plus tard en mars 1999. Cette date butoir doit toutefois être considérée comme indicative, son non-respect ne devant pas conduire à une crise.

Le Conseil européen a engagé une réflexion sur l'avenir de l'Union en abordant notamment la question institutionnelle. Ce thème suscite grand intérêt chez plusieurs de nos partenaires et le Conseil devrait prochainement entamer des discussions sur la base de propositions concrètes.

Dans l'immédiat, nous devons faire un effort pour améliorer, sans modifier des traités, le fonctionnement courant des institutions communautaires - Conseil, Commission, Parlement - qui n'est pas satisfaisant. Au-delà de ces réformes urgentes, il convient de prendre en considération la perspective de l'élargissement, avec la révision des mécanismes institutionnels, qui n'a pu être menée à bien à Amsterdam. Il est clairement acquis, après Cardiff, que ce chantier sera réouvert dès que le traité d'Amsterdam aura été ratifié. La révision des mécanismes institutionnels concernera essentiellement les points suivants : pour la Commission, trop nombreuse et trop peu collégiale, il conviendrait soit de réduire le nombre de ses membres, soit - et cette solution paraît convenir davantage, au vu de la position de la plupart de nos partenaires - d'introduire la notion de commissaire adjoint ; pour le Conseil, le système de présidence tournante et de pondération des voix doit être profondément révisé, tandis que le vote à la majorité qualifiée doit être largement étendu. Une réflexion sur ces différents sujets est en cours et le Conseil européen devrait tenir une réunion informelle à l'automne sous présidence autrichienne pour décider des modalités selon lesquelles devrait être poursuivie la discussion sur l'avenir de l'Union, la perspective du lancement d'une nouvelle CIG ayant été écartée.

Une réflexion de fond doit enfin être lancée de manière plus prospective sur les objectifs et le contenu d'une Union élargie. C'est dans ce cadre que s'inscrit le débat sur la subsidiarité, que le Président de la République et le Chancelier Kohl ont relancé par une lettre commune adressée à nos partenaires peu avant Cardiff. Il conviendra de mieux définir les compétences communautaires et de réorganiser les institutions pour s'adapter aux nouvelles formes de coopérations, le Traité d'Amsterdam ayant permis dans ce domaine des avancées significatives par l'introduction, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, de la notion de coopération renforcée.

Abordant enfin les relations extérieures de l'Union, le ministre délégué a évoqué la négociation de l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI), que le Gouvernement a contribué à clarifier en posant fermement quatre exigences relatives au respect de l'exception culturelle, à la capacité pour l'Union de poursuivre son intégration, au respect de normes sociales et environnementales, enfin à la question des lois extra-territoriales. Le groupe de négociation s'est donné jusqu'au mois d'octobre pour réfléchir aux objectifs d'un éventuel accord, à la lumière de ces exigences.

En revanche, l'initiative lancée par Sir Leon Brittan en faveur de l'établissement d'une zone de libre-échange avec les Etats-Unis, est désormais écartée en raison des multiples inconvénients qu'elle comportait. Le sommet euro-américain du 18 mai a donc pu être préparé, comme le souhaitait la France, uniquement sur la base du nouvel agenda transatlantique signé à Madrid en 1995. Ce sommet a abouti à une déclaration sur le partenariat économique transatlantique, qui renforce la concertation afin de préparer les échéances de l'OMC et un approfondissement de la coopération en matière de normes, de marchés publics et de propriété intellectuelle. Les conclusions de ce sommet ont permis de dégager un compromis satisfaisant en matière de lois extra-territoriales, compromis qui était loin d'être acquis initialement compte tenu de l'attachement du Congrès américain à ce type de législation et du peu d'inclination de certains de nos partenaires européens à croiser le fer avec les Etats-Unis. Ce compromis est sans doute à l'origine de l'annonce par l'administration américaine, le jour même du sommet, de son intention d'accorder une dérogation pour les investissements de Total en Iran.

D'une manière générale, les prises de position françaises sont mal comprises des Américains ; la visite que le Premier ministre effectue actuellement aux Etats-Unis devrait donc être l'occasion d'une explication sur la nature de la relation que la France et l'Union européenne souhaitent établir avec les Etats-Unis. Ne pouvant nous résoudre à leur hégémonie, nous préférons un « leadership partagé », selon l'expression utilisée par Mme Madeleine Albright.

Abordant enfin la question du Kosovo, le ministre délégué a rappelé la gravité de la situation : l'offensive engagée par la police serbe et l'armée fédérale dans l'ouest du Kosovo aurait provoqué le départ de 45.000 personnes et fait 20.000 réfugiés. Afin de tenter d'enrayer cette situation, le groupe de contact a décidé un gel des avoirs des gouvernements yougoslave et serbe à l'étranger et l'interdiction de tout nouvel investissement et formulé quatre exigences : l'arrêt de toutes les opérations des forces de sécurité à l'encontre de la population civile, la mise en oeuvre effective d'un contrôle international au Kosovo, le retour sans restriction des réfugiés et des personnes déplacées, la reprise d'un dialogue politique avec les dirigeants albanais du Kosovo. Le Conseil européen de Cardiff a rappelé ses exigences avec une extrême fermeté, l'ensemble des dirigeants européens ayant fait part de leur détermination à enrayer le début de conflit. Il semble désormais clair que si M. Milosevic ne se soumet pas aux conditions qui lui ont été signifiées, l'Union européenne est prête à envisager toutes les mesures nécessaires, y compris le recours à la force. Une telle menace ne pouvant être dissuasive aussi longtemps qu'une résolution n'aura pas été votée au sein du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., le groupe de contact doit tout faire pour rallier les Russes au projet de résolution déposé le 5 juin dernier par les britanniques, lequel autoriserait toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la paix.

A l'heure actuelle, les engagements souscrits par M. Milosevic suite à son entretien avec le Président Eltsine ne répondent que très imparfaitement aux exigences du groupe de contact, notamment en raison de ses déclarations sur l'armée et de celles liant le retrait les forces de sécurité à la fin des actions terroristes. Seule une solution politique débouchant sur l'instauration d'un statut pour le Kosovo peut permettre de résorber la crise ; c'est pourquoi il importe que M. Felipe Gonzales, représentant spécial de l'Union auprès de la République fédérale de Yougoslavie, puisse être en mesure de conduire à bien sa mission. A moyen terme, cette crise peut renforcer la prise de conscience de la nécessité d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune en Europe, seule susceptible de prévenir ce type de conflit au coeur même de notre continent.

Après l'exposé du ministre délégué, plusieurs membres de la Délégation sont intervenus.

M. Gérard Fuchs a souhaité connaître la position des partenaires de la France sur la possibilité d'une coordination effective des politiques économiques et budgétaires entre les Etats membres de l'Union. Rappelant que la Délégation avait pris position sur la composition du Comité économique et financier, pour demander que la proposition de décision du Conseil soit modifiée de telle sorte que les Etats membres demeurent libres d'y désigner les représentants de leur choix, il a souhaité savoir, d'une part, si la France avait déjà procédé à cette désignation et, d'autre part, quelle était la position des autres Etats membres sur ce point. Après avoir exprimé son accord avec les propos du ministre délégué sur la fiscalité de l'épargne et rappelé le caractère déjà ancien de cette question, M. Gérard Fuchs lui a demandé si des éléments nouveaux permettaient d'entrevoir une solution. Il s'est dit enfin pessimiste sur l'évolution de la situation au Kosovo, se demandant ce qui, à défaut de l'envoi d'une force internationale par l'ONU, pourrait empêcher une explosion de violence dans cette région.

M. Pierre Brana, faisant état de la déclaration approuvée par le Conseil européen à Cardiff les 15 et 16 juin derniers, dans laquelle il est notamment demandé à M. Milosevic de « permettre un contrôle international effectif et continu au Kosovo », a souhaité savoir s'il s'agissait de la mise en place d'un médiateur international ou d'un simple contrôle sur le terrain. Evoquant ensuite les conclusions de la présidence sur le suivi de la conférence de Kyoto sur les changements climatiques, il s'est interrogé sur les incidences de celle-ci pour l'Union européenne.

M. Alain Barrau, rappelant la position exprimée par l'Assemblée nationale sur la mise en place d'un contrôle démocratique de la Banque centrale européenne, a demandé au ministre délégué si le même souci est partagé par les autres Etats membres et si le Parlement européen s'est prononcé sur cette question. Il a demandé des précision sur l'initiative qui serait prise en vue de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement qui doit se dérouler à l'automne prochain sur les questions institutionnelles, avant de s'interroger sur les effets positifs qui pouvaient être attendus d'une reprise des négociations sur l'A.M.I.. Ayant noté que le Conseil de Cardiff avait seulement « évoqué » les politiques de lutte contre le chômage, il a demandé quel serait en ce domaine le rôle du Conseil européen qui se déroulera à Vienne en décembre prochain.

Mme Nicole Ameline a souhaité savoir si l'idée de réunir un « comité des sages » pour réfléchir sur la réforme institutionnelle était de nouveau d'actualité. Faisant état des dysfonctionnements de l'Union, elle a souhaité que le Gouvernement français use de toute son influence pour obtenir cette réforme qu'elle a jugée essentielle pour l'avenir de la construction européenne.

Le Président Henri Nallet a interrogé le ministre délégué sur la portée du calendrier des travaux relatifs à « Agenda 2000 » et sur la pertinence de l'échéance de mars 1999.

Le ministre délégué a répondu aux questions des intervenants.

Il a souligné l'urgence qui s'attache à une ratification rapide du traité d'Amsterdam par la France, qui devrait intervenir à la fin de l'année ou au plus tard au début de l'année prochaine, afin de ne pas se trouver trop en retard par rapport aux autres Etats membres et de ne pas faire de cette question un objet de débat peu avant les prochaines élections du Parlement européen.

S'agissant de la réforme institutionnelle, l'idée de réunir un comité des sages n'a pas été retenue à Cardiff, pas plus que celle de lancer une nouvelle conférence intergouvernementale, les chefs d'Etat et de gouvernement préférant examiner entre eux cette question. Lorsque le traité d'Amsterdam aura été ratifié et après le conseil européen informel de l'automne, des initiatives pourront être prises. Le ministre délégué s'est dit favorable à l'idée, évoquée notamment par le Président de l'Assemblée nationale, d'introduire dans le projet de loi de ratification une disposition manifestant que la réforme institutionnelle est une condition préalable à l'élargissement.

Pour lui, les principales décisions prises lors du Conseil européen de Cardiff, « sommet d'étape », ont porté sur le calendrier des prochains travaux de l'Union européenne plutôt que sur le fond des réformes envisagées. Il est souhaitable que l'échéance de mars 1999 retenue par le Conseil européen de Cardiff pour l'achèvement des travaux sur l'« Agenda 2000 » soit respectée, même si elle ne doit pas être considérée comme un butoir absolu : outre que la décision du 31 octobre 1994 sur les ressources propres permet d'assurer le financement de l'Union au-delà de l'année 2000, la négociation n'a guère avancé, tant les intérêts en présence sont divergents. L'Allemagne entend payer moins, l'Espagne et le Portugal veulent maintenir les versements communautaires dont ils bénéficient ; l'issue des négociations risque d'avoir non seulement de lourdes conséquences budgétaires - de l'ordre de 10 à 15 milliards d'écus si l'on accède aux demandes allemandes et espagnoles - mais aussi des incidences sur la politique agricole commune et les actions structurelles. Il est encore trop tôt pour avoir une vue d'ensemble de toutes les implications des réformes envisagées.

Le Conseil de l'euro est encore trop jeune pour avoir révélé toutes ses possibilités. Il est certain, en revanche, qu'il y aura une coordination renforcée et plus efficace des politiques économiques des Etats membres. Le combat sur la place respective des « banquiers » et des « économistes » au sein du futur Comité économique et financier est entièrement à mener. De même, le gouvernement soutien fermement la proposition de directive sur la fiscalité de l'épargne qui introduirait une retenue à la source minimale de 20%, mais il y aura des résistances et rien n'est acquis.

S'agissant du Kosovo, le ministre délégué a rappelé que des progrès ont été réalisés par rapport aux crises antérieures: l'analyse de la crise a été beaucoup plus rapide et notamment la menace d'une purification ethnique a été clairement identifiée ; les déclarations de l'Union européenne sont fermes et font apparaître une grande détermination, y compris sur l'usage de la force dans le cadre de l'ONU ou en utilisant le bras armé de l'OTAN. La Déclaration sur le Kosovo adoptée par le Conseil européen de Cardiff, qui se prononce en faveur d'un statut spécial assurant au Kosovo une large autonomie au sein de la République fédérale de Yougoslavie, demande la mise en place d'une surveillance internationale, chargée de contrôler le retour des réfugiés sans exclure des tâches de maintien de l'ordre. M. Felipe Gonzales, représentant spécial de l'Union européenne auprès de la RFY pourrait jouer un rôle de médiateur international.

S'agissant du contrôle démocratique de l'Union économique et monétaire, l'amendement voté par l'Assemblée nationale sur la création d'un Comité parlementaire de l'euro, qui se heurte à des réticences auprès des autres parlements nationaux et du Parlement européen, devrait faire l'objet d'une action de lobbyisme, notamment de la part de l'Assemblée nationale, auprès de ceux-ci.

Le Conseil de Cardiff a évoqué le suivi de la conférence de Kyoto sur les changements climatiques en l'associant à la nécessité pour l'Union européenne d'intégrer l'environnement dans toutes ses politiques.

L'Accord Multilatéral sur les Investissements (AMI) a marqué une pause, mais il ne faut pas refuser le principe de ce type d'accord de libre échange, qui prévoit des obligations réciproques et qui peut être favorable aux européens, sous les conditions qui ont été définies par la France.

La politique de lutte contre le chômage est un processus continu, qui a commencé au Conseil européen de Luxembourg avec la fixation des objectifs et s'est poursuivi à Cardiff avec la présentation des plans nationaux pour l'emploi ; il va se poursuivre à Vienne avec l'examen des premiers résultats.

M. Pierre Moscovici s'est montré enfin très favorable à l'idée d'un débat à l'Assemblée nationale préalable au Conseil de Vienne.