ASSEMBLÉE NATIONALE

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 50

Réunion du jeudi 9 juillet 1998 à 9 heures 30

Présidence de M. Henri Nallet, Président

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10 juillet 1998

I. Audition de M. Michel Pinauldt, Préfet, coordonnateur pour les affaires intérieures et de justice au S.G.C.I.

Accueillant le Préfet Michel Pinauldt, le Président Henri Nallet a indiqué que son audition avait pour objet de faire le point sur la mise en oeuvre de la Convention de Schengen et le fonctionnement du troisième pilier. Il a rappelé que MM. Jean-Marie Bockel et François Loncle présenteraient dans le courant de l'automne les rapports dont ils ont été chargés sur ce thème, l'un au titre de la Délégation, l'autre pour la Commission des affaires étrangères.

Après avoir remercié le Président Henri Nallet de son accueil, M. Michel Pinauldt a indiqué que ses fonctions comportent à la fois une tâche de coordination interministérielle - laquelle correspond à la vocation du S.G.C.I. - et une mission de négociation à Bruxelles au sein du Comité de hauts fonctionnaires institué par l'article K 4 du traité sur l'Union européenne. Rattaché, dans un premier temps, au ministère des Affaires européennes, le préfet coordonnateur a été placé, après la conclusion du Traité de Maastricht, sous l'autorité du Secrétaire général du S.G.C.I. pour prendre en charge l'ensemble des affaires relevant du troisième pilier et de la Convention d'application des accords de Schengen.

Comme le font les autres responsables de secteur du S.G.C.I., il organise la coordination interministérielle sur les différents dossiers relevant de sa compétence, afin de dégager la position de la France : en cas de consensus entre les départements ministériels concernés, le S.G.C.I. formalise cet accord en adressant un télégramme d'instructions définissant le mandat de négociation à nos représentants à Bruxelles ; à défaut d'un tel accord, le Premier ministre est saisi pour arbitrage. Les négociateurs français destinataires des télégrammes d'instructions sont les experts des groupes de travail ainsi que les diplomates de la Représentation permanente. Les ministères concernés par les discussions relatives au troisième pilier, et qui sont donc les interlocuteurs du S.G.C.I. en ce domaine, sont ceux de l'Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères (direction de la coopération européenne), de l'Economie et des Finances, pour la douane, et le ministère de la Défense, pour la gendarmerie.

Une des particularités de fonctionnement du troisième pilier tient au fait que le Traité de Maastricht a institué, entre le Conseil des ministres « Affaires intérieures et Justice » et les groupes de travail, un comité spécifique, composé de hauts fonctionnaires et chargé de préparer les décisions de ce Conseil. Le chef de la délégation française au Comité K 4 est le préfet coordonnateur, qui est donc à la fois à Paris, pour organiser la coordination interministérielle, et à Bruxelles pour participer aux négociations. Dans un souci de cohérence, il a été décidé que le Préfet coordonnateur assurerait aussi la préparation interministérielle des positions de la France au sein du Comité exécutif de Schengen - qui réunit les ministres compétents des Etats participants - et qu'il représenterait la France au sein du Groupe central, instance chargée de préparer les décisions du Comité exécutif.

Depuis les Accords de Schengen, en 1985, et avec la Convention d'application de ces accords, entrée en vigueur en 1992, les Etats signataires se sont efforcés d'établir, sur une base intergouvernementale, hors des procédures communautaires classiques, une coopération renforcée dont l'objet est de mettre en place un espace de libre circulation des personnes reposant sur la suppression des dispositifs fixes de contrôle aux frontières intérieures. La contrepartie est l'obligation faite aux Etats de contrôler à leurs frontières extérieures les phénomènes migratoires et d'organiser une coopération judiciaire renforcée, qui s'est déjà traduite par une politique commune de lutte contre le trafic de stupéfiants et le crime organisé et par l'ébauche d'une politique commune en matière de visas.

La Convention ne peut fonctionner que grâce à des outils de coopération policière, c'est-à-dire la mise en commun des informations utiles : c'est l'objet du système d'information Schengen (S.I.S.), qui regroupe les informations fournies par les Etats en matière de lutte contre la délinquance (informations sur les personnes interdites d'entrée sur le territoire et les objets volés). Le S.I.S. se compose d'un fichier central, que chaque Etat charge en informations et auquel il a accès, de systèmes nationaux d'information, qui associent magistrats et forces de police, et d'un centre technique localisé à Strasbourg, qui met à jour en permanence le fichier central de données.

Alors qu'il regroupait à l'origine sept Etats, Schengen en compte aujourd'hui quinze, dont treize appartiennent à l'Union européenne (les quinze Etats membres sauf la Grande-Bretagne et l'Irlande), les deux autres étant la Norvège et l'Islande. L'espace de libre circulation des personnes ne concerne toutefois que neuf Etats, les autres étant appelés à s'y intégrer progressivement. L'intégration d'un Etat à l'espace Schengen repose sur un mécanisme à double détente : l'Etat adhère d'abord à la Convention d'application de l'accord de Schengen et se prépare à remplir les conditions préalables à l'intégration dans l'espace de libre circulation ; lorsque ces conditions sont réunies, le Comité exécutif peut décider, à l'unanimité, de lever les contrôles aux frontières intérieures. Si l'Autriche et l'Italie font désormais partie de l'espace de libre circulation, la Grèce n'y a pas encore accédé.

Il convient de noter que seuls les contrôles fixes et systématiques aux frontières sont levés, les Etats gardant la faculté de contrôler, de manière aléatoire ou ciblée, les mouvements de personnes à l'intérieur d'une bande de vingt kilomètres le long des frontières. De même, une clause de sauvegarde est prévue par la Convention de Schengen pour faire face aux cas de trouble à l'ordre public. C'est ainsi que la France a décidé de maintenir les contrôles à ses frontières avec la Belgique et le Luxembourg en raison des flux de stupéfiants en provenance des Pays-Bas. Le rétablissement des contrôles a été un temps envisagé pendant la Coupe du monde de football pour éviter l'entrée des hooligans sur le territoire, mais une telle mesure a pu être évitée jusqu'à présent.

Schengen préfigurait le principe de libre circulation inscrit dans le Traité de Rome et les coopérations renforcées prévues par l'Acte unique ; les conditions sont désormais réunies de son intégration progressive dans le dispositif de coopération communautaire qui est appelé à s'étendre en matière de visas, d'asile et d'immigration. Le Traité de Maastricht a institué le troisième pilier - qui recouvre la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures - régi par des procédures intergouvernementales et reposant sur des décisions prises à l'unanimité par le Conseil des ministres. Cette forme de coopération ayant été jugée trop lente, le Traité d'Amsterdam a prévu l'intégration de l'« acquis de Schengen » dans l'Union européenne et la ventilation de celui-ci entre le premier pilier, régi par la procédure communautaire, et le troisième pilier, de nature intergouvernementale. Cette ventilation dépendra de l'origine juridique des actes et elle devra être achevée d'ici l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam. Celui-ci prévoit également le transfert au premier pilier de matières relevant actuellement du troisième pilier (asile, politique d'immigration, coopération judiciaire civile) ; le comité K 4, chargé de préparer les décisions du Conseil « Affaires intérieures et Justice », deviendra le Comité de l'article 36 et ne restera compétent que pour les domaines qui continuent à relever du troisième pilier, c'est-à-dire la coopération en matière de police répressive et de justice pénale.

Nous sommes donc aujourd'hui dans une situation transitoire. Il conviendra, pendant cette période, de préparer l'intégration de l'acquis de Schengen, de réfléchir aux propositions de la Commission relatives aux matières qui seront transférées dans le premier pilier et d'adapter l'organisation interne du S.G.C.I. à cette nouvelle répartition des compétences.

L'exposé de M. Michel Pinauldt a été suivi d'un large débat.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur de la Délégation sur les accords de Schengen, a interrogé M. Michel Pinauldt sur le bilan de l'entrée dans l'espace Schengen de l'Autriche et de l'Italie et sur le fonctionnement du Système d'Information Schengen (S.I.S.) avec treize Etats membres. Il l'a également interrogé sur l'évolution des relations entre la France et les Pays-Bas dans le domaine de la lutte contre la drogue et le contrôle de l'immigration clandestine depuis le renforcement de la coopération bilatérale aux frontières du Nord, ainsi que sur le projet pilote d'action concertée contre la drogue. Il s'est demandé comment assurer la présence de la France au sein du secrétariat de Schengen, compte tenu de la négociation sur l'intégration de celui-ci dans le secrétariat du Conseil. Notant qu'aucune convention négociée dans le cadre du troisième pilier n'était encore entrée en vigueur, il a demandé un bilan de l'application des positions communes et actions adoptées dans ce cadre.

M. François Loncle a tout d'abord regretté l'opacité et l'absence de communication qui caractérisent les négociations conduites dans le cadre du troisième pilier, alors qu'il s'agit de questions très concrètes pour les citoyens.

Il a ensuite posé les questions suivantes : quel est l'avenir du Comité exécutif dans la perspective de l'intégration de Schengen dans l'Union européenne et quelles seront les procédures de décision, sachant que tous les Etats membres de l'Union n'ont pas adhéré à la Convention Schengen, alors que des Etats tiers y ont adhéré ? Le passage de la coopération intergouvernementale à la procédure communautaire est-il possible sans harmonisation des législations dans les domaines concernés ? Une nouvelle autorité de contrôle commune sur le SIS, chargée de faire respecter les libertés, sera-t-elle instituée ? Peut-on espérer une harmonisation des politiques de lutte contre la drogue permettant de lever la clause de sauvegarde ? Enfin, quelle est la capacité des pays candidats à l'élargissement à reprendre « l'acquis Schengen »?

M. François Guillaume, s'interrogeant sur le fonctionnement de l'espace Schengen, a demandé si les conditions d'entrée des étrangers étaient en voie d'harmonisation et si un contrôle était exercé par les institutions européennes en ce domaine. Il s'est déclaré inquiet de la communautarisation des questions de justice et de sécurité intérieure et a demandé s'il fallait s'attendre à l'adoption d'un code civil et d'un code pénal communs. S'agissant de la lutte contre la drogue, l'harmonisation conduira-t-elle au laxisme ?

Il s'est également demandé s'il était vraiment concevable de communautariser l'acquis de Schengen et d'harmoniser les politiques qui en découlent. Il a relevé l'hypocrisie qui consiste à mettre l'accent sur la lutte contre le trafic de stupéfiants alors que la consommation de drogues reste autorisée dans un pays. Il a demandé si les Etats membres pourraient un jour se mettre d'accord sur la définition d'une politique européenne en matière de consommation de drogue, une telle politique étant nécessaire dans le contexte du marché unique et de la libre circulation des personnes.

Constatant que la coopération intergouvernementale mise en place dans le cadre du troisième pilier et de la convention de Schengen respectait la souveraineté des Etats et avait bien fonctionné, Mme Nicole Catala s'est demandée quel intérêt pouvait présenter son intégration dans le pilier communautaire.

Dans ses réponses, M. Michel Pinauldt a donné les indications suivantes.

S'agissant de Schengen, l'intégration dans l'Union européenne concerne l'ensemble de l'« acquis de Schengen », c'est-à-dire non seulement les textes, mais aussi les moyens d'application de la Convention : le S.I.S., le secrétariat et les services d'interprétariat. Le Traité d'Amsterdam contient déjà un certain nombre de dispositions à ce sujet, d'autres étant renvoyées à des décisions qui devront être prises à l'unanimité par les Etats membres. Le secrétariat devra être repris soit par la Commission, soit par le secrétariat général du Conseil. Le reste du dispositif sera déterminé par les Etats membres, à l'unanimité. La Commission disposera dans ce domaine de son droit d'initiative, alors qu'elle ne dispose aujourd'hui que d'un rôle d'observateur.

Le S.I.S. doit évoluer : conçu au début de la décennie, le système fonctionne depuis 1995 ; dans sa forme actuelle, il est condamné : au S.I.S. actuel, baptisé « S.I.S. 1 », succédera un « S.I.S. 2 » ; il devra être actualisé pour éviter le « bogue » de l'an 2000, qui constitue une source de difficultés, mais aussi une opportunité pour accroître la capacité du système et y accueillir de nouveaux membres. Le dernier Comité exécutif a voté un budget permettant à la fois de se préparer au bogue et d'étendre la capacité à dix-huit membres : aux quinze participants actuels pourraient ainsi se joindre le Royaume-Uni et l'Irlande, la dix-huitième place constituant une réserve technique ou permettant d'accueillir un autre Etat, qui pourrait être la Suisse, cernée par les Etats Schengen et intéressée par ce dispositif. Le passage à un « S.I.S. 2 » fait l'objet d'une étude préalable de faisabilité, qui a été confiée au Portugal. Ce système serait opérationnel à l'horizon 2002-2005. Le passage d'un S.I.S. à l'autre intéresse directement la France, qui a actuellement la responsabilité de la gestion du système d'information central, établi à Strasbourg. L'implantation de ce système dans le cadre du S.I.S. 2 dépendra des solutions techniques retenues.

Cela dit, l'intégration de l'acquis de Schengen au sein de l'Union européenne pose plusieurs problèmes.

En premier lieu, le Traité d'Amsterdam prévoit la ventilation de l'acquis selon les bases juridiques de l'Union européenne. Certains sujets relèveront soit du premier, soit du troisième pilier, ce qui n'induit pas les mêmes rôles pour la Commission, le Conseil, la Cour de Justice et le Parlement. Le traité a toutefois laissé un délai de cinq ans avant l'application à certaines matières du vote à la majorité qualifiée, les seules innovations étant, dans l'intervalle, le droit d'initiative reconnu à la Commission ainsi que le rôle de la Cour de Justice.

Cette ventilation entre piliers pose, en second lieu, un problème spécifique pour certains textes, à propos desquels des divergences d'appréciation séparent les Etats membres, mais aussi la Commission et certains Etats. Ainsi, la Commission considère que les articles relatifs au S.I.S. devraient être rattachés au premier pilier, dès lors qu'ils concernent la libre circulation, la politique d'immigration et la protection des données personnelles. Pour plusieurs Etats membres, dont la France, le S.I.S., qui est d'abord un outil de coopération policière, doit relever du troisième pilier.

L'intégration du secrétariat de Schengen et des services d'interprétariat pose quelques difficultés d'ordre budgétaire et statutaire : dès lors que les personnels ne relèvent pas de la fonction publique européenne, il faut prévoir les postes budgétaires nécessaires et les modalités juridiques de leur intégration. Sur ce dernier point, la solution retenue, qui a l'aval de la France, consiste à donner à ces personnels vocation à intégrer les cadres de l'Union européenne, tout en respectant la formalité d'un concours ou d'une procédure de sélection. Le secrétariat de Schengen est composé de trois catégories d'agents : des personnels recrutés spécialement ; d'autres mis à disposition par les Etats membres ; enfin, des fonctionnaires relevant du secrétariat général du Bénélux. La France considère, à la différence de la Belgique, que la Communauté n'a pas d'obligation particulière à l'égard de cette dernière catégorie de personnels.

La dernière difficulté tient à la situation de la Norvège et de l'Islande, qui ne sont pas membres de l'Union européenne, mais appartiennent à l'Union nordique des passeports. Ces deux pays participent actuellement aux discussions préparatoires aux décisions Schengen et s'engagent à reprendre intégralement l'acquis. Mais, une fois que Schengen aura intégré l'Union, ce sont les instances de celle-ci qui prendront les décisions. La Norvège et l'Islande souhaitent rester dans Schengen en maintenant leur association dans les mêmes formes. Comme deux millions de personnes circulent chaque année entre la Suède et la Norvège, il paraît hors de question de rétablir les contrôles aux frontières entre ces deux Etats. Le Traité d'Amsterdam prévoit la signature d'un accord entre le Conseil et la Norvège et l'Islande pour régler cette question (art. 6 du protocole intégrant l'acquis de Schengen).

La France considère que les Etats qui ne sont pas membres de l'Union doivent accepter l'application de règles différentes ou demander leur adhésion ; elle ne souhaite pas que certains Etats apparaissent comme une sorte de « passagers clandestins » de l'Union européenne. De surcroît, au fil du temps, l'acquis de Schengen va se diluer de plus en plus au sein des règles de l'Union, sans qu'il soit possible de l'isoler.

L'autorité de contrôle du S.I.S. fait partie de l'acquis de Schengen. A côté du fichier central du S.I.S., existent ou vont exister, au sein de l'Union européenne, d'autres fichiers de données personnelles, en matière douanière, pour les demandeurs d'asile (Eurodac, en application de la Convention de Dublin), ou encore le fichier Europol, chacun de ces systèmes ayant sa propre autorité de contrôle. Certains pays, comme l'Italie, envisagent de leur substituer une seule autorité, ce qui poserait des problèmes de principe. Dans la conception française, ces organes sont des autorités administratives, comparables à la CNIL, alors que, pour les pays germaniques, ce sont des quasi-juridictions. En outre, chaque fichier a son autonomie, un rôle spécifique. On retrouve la même divergence au sujet d'Europol : alors que, pour l'Allemagne, il préfigure un F.B.I. européen, doté de réels pouvoirs de police judiciaire, il ne devrait être, pour la France, qu'un simple instrument de coopération policière.

M. Edouard Beslay, chargé de mission pour la libre circulation des personnes au S.G.C.I., a apporté des précisions complémentaires. Les conditions de délivrance des visas de moins de trois mois sont déjà largement harmonisées au sein de l'espace Schengen et il en sera de même au sein de l'Union européenne. La communautarisation de la coopération judiciaire, prévue par le Traité d'Amsterdam, ne touche que le droit civil. Le droit pénal continuera à relever de conventions, conclues à l'unanimité et soumises à la ratification des parlements nationaux. Les propositions de textes qu'a présentés la Commission en matière d'immigration ne peuvent être jugées « laxistes », car elles sont plus sévères que le droit français et le droit de la plupart des Etats membres, notamment sur les règles d'admission des étrangers. La communautarisation de la politique d'immigration résulte d'un choix politique et non de considérations techniques.

M. Michel Pinauldt a ensuite évoqué la lutte contre la drogue, en observant que, si tous les Etats membres ont ratifié les conventions internationales relatives au trafic des stupéfiants, les Pays-Bas ont une politique particulière en ce qui concerne l'usage et la vente de certains produits, ce qui crée des difficultés du fait de la liberté de circulation des personnes. Toutefois, la politique néerlandaise évolue positivement, car les Pays-Bas comprennent mieux la nature de nos problèmes et l'effet de leurs propres décisions.

Il est difficile de dresser un bilan de l'opération-pilote, étant donné sa nature ; plus généralement, les opérations « coup de poing », associant les polices française, belge et néerlandaise pour assurer un contrôle des flux, se révèlent très efficaces.

La consommation de stupéfiants évolue, elle se porte désormais sur les drogues de synthèse, qui peuvent être produites partout, même en France ; dès lors, le problème dépasse le cas des Pays-Bas.

Mme Nicole Catala a rappelé que le Gouvernement français s'était engagé, avant l'autorisation de ratification de la convention de Schengen, à assurer le respect de trois conditions, dont l'une consistait à obtenir des Pays-Bas l'engagement de revenir sur leur réglementation permissive en matière de drogue. Elle a constaté que cette condition n'avait pas été remplie. Elle a également demandé si l'adoption de règles rigoureuses en matière d'immigration, dans le cadre de la communautarisation du troisième pilier, obligerait tous les Etats membres à réviser leur législation dans un sens plus restrictif, notamment en matière sociale.

M. François Loncle a confirmé l'existence de la condition relative à l'attitude des Pays-Bas vis-à-vis de la drogue, cette question ayant d'ailleurs justifié, à elle seule, l'introduction, à la demande de la France, de la clause de sauvegarde. Il a également confirmé les progrès considérables des Pays-Bas depuis un an en matière d'harmonisation des politiques relative à la toxicomanie. En ce qui concerne le déficit de communication des pouvoirs publics sur le système Schengen, il a souligné l'exemple remarquable que constituent les commissariats communs aux frontières intérieures, notamment ceux créés par la France et l'Allemagne et a souhaité la généralisation de cette pratique.

M. Michel Pinauldt a rappelé que les contrôles permis par la clause de sauvegarde n'avaient pas encore été levés. Leur efficacité a toutefois été mise en doute par plusieurs membres de la Délégation.

Il a noté que les contrôles sur cette frontière irritaient beaucoup les travailleurs frontaliers, du fait de l'attente aux postes frontière, avec la circonstance aggravante de l'augmentation actuelle des passages due à la Coupe du Monde de football. Il a précisé que, dans l'esprit des gens, régnait souvent une confusion entre les mesures de contrôle aux frontières et celle prises en application du plan « Vigipirate ».

Les commissariats communs et les centres de coopération policière et douanière résultent d'accords bilatéraux que la France a passé avec l'Allemagne (Strasbourg), l'Espagne et l'Italie (Vintimille, Modane), et le Gouvernement souhaite en développer la pratique.

Le souci d'une plus grande communication sur la Convention de Schengen est une priorité des présidences successives de l'Union et du Comité exécutif, mais il faut tenir compte de la nécessité d'une certaine confidentialité dans la lutte contre la délinquance et de la sécurité. Une plus grande action de communication pourrait néanmoins être entreprise pour mieux faire connaître les résultats obtenus et montrer que la sécurité des citoyens n'est pas menacée par le dispositif de Schengen.

S'agissant de la compatibilité entre les législations nationales et communautaires sur l'admission des étrangers, elle imposera aux Etats d'avoir une législation au moins aussi stricte que les dispositions communautaires ; les Etats pourront la maintenir inchangée à condition qu'elle ne soit pas contraire aux dispositions communautaires, lesquelles resteront soumises, pendant une période de cinq ans, à la règle de l'unanimité.

Le Président Henri Nallet a souligné l'importance d'une information aussi complète que possible de l'opinion publique sur les accords de Schengen. Cette information serait particulièrement appréciée par les élus locaux, notamment les maires, qui doivent faire face, en matière de libre circulation des personnes, à une législation complexe et instable. Evoquant les risques d'une mise en cause de la construction européenne issue d'une information défectueuse, il a souhaité que le Gouvernement explique en des termes simples le fonctionnement des accords de Schengen et mette en avant le caractère positif -  trop souvent méconnu - de leur mise en oeuvre depuis 1995.

II. Examen de propositions d'actes communautaires

Le Président Henri Nallet a relevé l'hétérogénéité des documents soumis à l'examen de la Délégation en application de l'article 88-4 de la Constitution : alors que certains revêtent une grande portée et retiennent l'attention de la représentation nationale, d'autres présentent un caractère tout à fait secondaire.

Il a noté l'intérêt que présente le document E 1075, qui modifie les règles d'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens. Après avoir rappelé que cette proposition de règlement constituait une application de l'Agenda 2000 de la Commission européenne, le Président Henri Nallet a montré qu'elle tendait à accroître substantiellement les crédits communautaires consacrés aux réseaux transeuropéens, ainsi que le niveau des cofinancements communautaires, et à modifier les instruments pouvant être utilisés pour financer les projets, avec l'introduction du capital-risque. Sur proposition de son Président, la Délégation a décidé de procéder à un examen plus approfondi de ce texte dans le cadre d'un rapport d'information.

Pour le document E 1093 (modification du régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche), la Délégation a décidé de ne pas procéder à un examen plus approfondi, après que le Président Henri Nallet eut souligné l'importance d'un renforcement du contrôle pour assurer une exploitation rationnelle des ressources halieutiques.

Le Président a présenté le document E 1100, relatif à une proposition de règlement du Conseil instituant un régime communautaire de contrôle des exportations de biens et technologies à double usage civil et militaire. Ce texte modifie le régime communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage, institué par un règlement et une décision du Conseil du 19 décembre 1994 et entré en vigueur le 1er juillet 1995. La Commission constate que le régime actuel, caractérisé par la coexistence de nombreux types d'autorisations nationales, souvent pour les mêmes destinations, mais couvrant un éventail de produits légèrement différent, est trop complexe pour être géré au quotidien par les agents des douanes aux postes frontières, et que l'industrie le juge impraticable. Elle propose donc un nouveau régime de contrôle, combinant éléments de politique commune et de coopération administrative renforcée.

Ce texte propose cinq modifications techniques : introduction d'une autorisation communautaire générale pour l'essentiel des exportations vers certains pays (Australie, Canada, Japon, Nouvelle-Zélande, Norvège, Suisse et Etats-Unis, représentant plus de 70 % des exportations de ces biens à partir de la Communauté, auxquels s'ajouteraient la République Tchèque, la Hongrie et la Pologne) ; extension de la clause « fourre-tout » à tous les usages finals militaires pour les envois à destination des pays soumis à un embargo des Nations unies ; couverture des transferts de technologie par PC, télécopieur et téléphone ; suppression des procédures d'autorisation pour les échanges intra-communautaires ; renforcement de la coopération administrative. Par ailleurs, le dispositif « inter-piliers » actuel, fondé sur un règlement communautaire et une décision P.E.S.C., serait remplacé par un dispositif fondé uniquement sur le premier pilier.

Les groupes d'experts viennent à peine de commencer leurs travaux et les Etats membres n'ont pas encore défini leur position sur ce texte. En France, les discussions interministérielles ne sont pas achevées entre la Direction des relations économiques extérieures et le ministère de l'Industrie, qui approuvent l'assouplissement proposé, et les Ministères des Affaires étrangères et de la Défense, extrêmement réservés pour des raisons qui tiennent à la sécurité.

Pour autant qu'on puisse en juger, un certain nombre d'améliorations techniques semblent néanmoins recueillir l'assentiment, en particulier la création d'une autorisation communautaire générale pour l'essentiel des exportations vers dix pays, qui paraît de nature à alléger un dispositif que tout le monde s'accorde à reconnaître comme étant trop lourd, dans la mesure où 95 % des biens contrôlés servent à un usage civil.

De fortes réserves s'expriment, en revanche, à l'encontre de la suppression des procédures d'autorisation des échanges intracommunautaires portant sur la quasi-totalité des biens à double usage les plus sensibles, ainsi que l'extension de la clause fourre-tout à tous les usages finals militaires pour les envois vers des pays soumis à embargo des Nations Unies ; il en est de même pour l'exclusion de la P.E.S.C. comme base juridique de la réglementation.

Enfin, les organisations professionnelles appellent l'attention des Etats membres et des autorités communautaires sur l'application extra-territoriale de la réglementation américaine des biens à double usage, qui porte atteinte à leur souveraineté et pénalise les entreprises européennes. Celles-ci sont en effet obligées de demander à l'administration américaine une licence d'exportation pour vendre dans n'importe quel pays du monde, dès lors que le bien inclut 10 % de composants américains sensibles ou 25 % de composants moins sensibles. En cas de violation, les sanctions sont lourdes, puisque l'entreprise est privée de toute fourniture américaine, n'a plus droit d'accéder au marché américain et est frappée d'une amende. Les industries européennes, mais aussi japonaises et américaines, dont les filiales implantées en Europe sont également handicapées par ce dispositif, demandent que la Commission négocie avec les Etats-Unis la non-application extra-territoriale de la réglementation américaine du contrôle des biens à double usage aux entreprises implantées sur le territoire de la Communauté européenne.

Le Président Henri Nallet a souligné que les débats interministériels montraient la difficulté de trancher une question aussi complexe et de trouver le juste équilibre entre les préoccupations économiques et commerciales de libre circulation des biens et les préoccupations diplomatiques et militaires de non-prolifération.

Il a conclu que la Délégation accomplirait sa mission d'instruction des textes en alertant les commissions permanentes compétentes. Il a jugé souhaitable que le Parlement se saisisse de ce dossier dans le cadre d'une mission d'information commune aux commissions des affaires étrangères, de la défense, des finances et de la production, à laquelle la Délégation pourrait participer.

Cette conclusion a été approuvée.

La Délégation a ensuite décidé, sur proposition du Rapporteur, que les documents suivants n'appelaient pas un examen plus approfondi :

E 1104 (proposition de décision du Conseil et de la Commission portant conclusion de l'accord entre les Communautés européennes et le Canada concernant l'application de leur droit de la concurrence) ;

E 1109 (proposition de décision du Conseil relative à la conclusion du protocole additionnel à l'accord intérimaire concernant le commerce et les mesures d'accompagnement entre la Communauté européenne, la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier et la Communauté européenne de l'Energie atomique, d'une part, et la république de Slovénie, d'autre part, et à l'accord européen entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la république de Slovénie, d'autre part) ;

E 1111 (proposition de décision du Conseil concernant l'approbation d'un mémorandum d'accord entre la Communauté européenne et la République dominicaine sur la protection à l'importation de lait en poudre dans la république dominicaine) ;

E 1112 (modification du règlement du Conseil établissant le code des douanes communautaires) ; le Rapporteur a toutefois estimé que la disposition relative à l'instauration d'une procédure unique d'autorisation pour les entreprises multinationales est inacceptable, du fait des répercussions négatives qu'elle aurait en termes de recouvrement de la T.V.A. et de perte d'information statistique relative aux flux commerciaux.

La Délégation a pris acte de la transmission du document E 1110 (proposition de décision du Conseil autorisant la République italienne à appliquer une mesure dérogatoire aux articles 2 et 10 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires).

S'agissant du document E 1102 (proposition de directive modifiant la taxation des cigarettes et du tabac), le Président Henri Nallet a jugé contestable la logique qui a inspiré la Commission : plusieurs Etats membres étant en infraction avec le droit communautaire, elle a entrepris de modifier celui-ci plutôt que de mener à son terme les procédures contentieuses. La Délégation a donc souhaité maintenir la réserve d'examen parlementaire afin de pouvoir se prononcer à un stade plus avancé de la négociation.

S'agissant du document E 1117, qui autorise de nouvelles sanctions économiques à l'encontre de la Serbie, M. François Loncle a estimé que ce texte tendait à préserver les intérêts du Monténégro, qui fait preuve d'une modération louable dans la crise du Kosovo. Tout en se déclarant favorable à une aide en faveur du régime monténégrin, il a fait part de son scepticisme quant à l'efficacité de sanctions économiques : souvent inefficaces, elles risquent au surplus de se retourner contre les pays qui les mettent en oeuvre si elles ont pour effet d'unir contre ceux-ci la population concernée et ses dirigeants.

La Délégation a considéré que les textes suivants n'appelaient pas un examen plus approfondi :

- E 1115 (proposition de règlement C.E. du Conseil relatif à la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et la République gabonaise relatif à la pêche au large de la côte gabonaise) ;

- E 1116 (proposition de règlement C.E. du Conseil établissant certaines mesures concernant l'importation de produits agricoles transformés de Suisse pour tenir compte des résultats des négociations de l'Uruguay Round dans le secteur agricole).