DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 66

Réunion du jeudi 4 février 1999 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau, Vice-Président,

1. Audition de M. Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, sur les aspects économiques et financiers de l'élargissement de l'Union européenne

M. Alain Barrau, vice-président, a rappelé que le Commissaire au Plan, accompagné de M. Antoine-Tristan Mocilnikar et de Mme Sylvie Bénard, venait exposer les résultats d'une étude réalisée à la demande du Président de la Délégation sur les aspects économiques et financiers de l'élargissement. Cette étude, intitulée « L'élargissement de l'Union européenne à l'est de l'Europe - Des gains à escompter à l'Est et à l'Ouest », a été remise au Premier ministre et à la Délégation. Elle comporte, outre une synthèse initiale qui expose la « problématique » de l'élargissement, quatre chapitres qui traitent successivement de la situation économique des PECO, des conditions et du processus d'adhésion, des réformes en cours dans l'Union européenne, en particulier pour la politique structurelle et la PAC, enfin de l'impact économique et budgétaire de l'élargissement. Globalement, l'étude débouche sur des projections optimistes : l'intégration des PECO créera de l'activité et des emplois à l'Ouest tout en développant l'Est. Mais elle ne néglige pas les défis lancés de part et d'autre : pour l'Union, réviser, outre ses institutions, ses politiques internes et en particulier la politique de cohésion et la PAC ; du côté des PECO, relever le défi immense de la mise en _uvre de l'acquis communautaire dans certains secteurs, en particulier l'environnement.

M. Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, a précisé que ce rapport consiste surtout, comme il en a été convenu avec le Président Henri Nallet, à présenter les différentes études réalisées, aussi bien à Bruxelles que dans certains Etats membres ou pays candidats, sur l'élargissement de l'Union européenne aux dix pays candidats d'Europe centrale et orientale. Ces travaux reflètent donc un point de vue international et non le point de vue spécifiquement français.

Il a exprimé sa satisfaction d'avoir réalisé cette étude pour le compte de la Délégation, qui a été très active en ce domaine, citant en particulier les travaux conduits par M. Henri Nallet sur l'Agenda 2000 et par M. Jean-Bernard Raimond sur l'élargissement de l'Union européenne. Il a souligné que cet élargissement allait entraîner une augmentation très importante de la superficie de l'Union européenne et un accroissement de 28 % de sa population, contrastant avec une augmentation de la richesse beaucoup plus marginale (4 %), tout en provoquant un changement pour l'agriculture : les surfaces exploitées et la population active sont appelées à doubler. Cet élargissement sera plus difficile que les précédents, en raison des écarts de développement très grands entre les pays candidats et ceux de l'Union européenne, encore qu'ils soient un peu trompeurs compte tenu du très bon niveau d'éducation et de formation de la population des PECO. En tout état de cause, l'absorption de l'acquis communautaire représente un défi considérable.

Trois points sont au c_ur des préoccupations : les perspectives de croissance, les risques financiers et budgétaires, les conditions de la transition.

S'agissant des perspectives de croissance, il convient de rappeler que ces pays ont d'abord connu une phase de décroissance aiguë après la sortie du communisme, avant de se redresser au cours de la décennie. Le point le plus bas a été atteint en 1991 par la Pologne, en 1992 par la République tchèque et la Slovénie, en 1993 par la Hongrie, la Slovaquie, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie mais seulement en 1997 par la Bulgarie. En 1999, seuls trois pays auront un niveau de production supérieur à celui de 1989 : la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie.

Les études présentées dans le rapport obéissent à des logiques variées et adoptent plusieurs angles d'attaque : le rattrapage qui correspond à la tendance des pays en développement, et s'accompagne d'une croissance du revenu par tête plus forte que celle des pays avancés ; l'allocation des ressources dans un environnement commercial libéralisé : contrairement aux approches ricardiennes anciennes fondées sur un schéma de concurrence parfaite où le libre-échange était toujours préférable à la fermeture mais où, en principe, il offrait un gain limité, les théories modernes du commerce international fondées sur un schéma de concurrence imparfaite montrent que le libre-échange n'est pas toujours favorable, mais aussi qu'il peut l'être fortement grâce aux économies d'échelle et à la différenciation des produits ; l'effet d'accumulation lié à des investissements endogènes ou provenant de l'extérieur de la zone, réalisés grâce à des financements abondants et bon marché. Toutefois, ces financements dépendent très fortement des perspectives et des anticipations des investisseurs et des créanciers. Le niveau d'investissement se maintiendra si la perspective de l'adhésion à l'Union européenne est certaine.

Avec une approche de ce type, une étude évalue le taux de croissance moyen des cinq pays de la première vague sur la période 2003-2008 à 4,8 % dans un scénario d'association et à 6 % dans un scénario d'intégration, mais à 4,3 % seulement en cas de désintégration.

Le taux d'échanges entre les dix pays candidats et l'Union européenne est déjà de 60 %, niveau très proche de celui des échanges entre Etats membres, qui est de 65 %. Toutefois, le commerce PECO-Union européenne est différent du commerce intra-européen. Il est à la fois un commerce de spécialisation interbranches, c'est-à-dire un échange de produits différents, et un échange de produits relevant des mêmes catégories, qui s'explique principalement par des différences de gamme, alors que le commerce intra-européen concerne largement des échanges de produits similaires.

Il convient de souligner également que l'Allemagne et, dans une mesure moindre, l'Autriche, jouent un rôle dominant dans les échanges entre les Etats membres et les PECO : l'Allemagne représente la moitié des échanges commerciaux et plus du tiers des investissements qui y sont réalisés ; les investissements directs de l'Autriche représentent le double des investissements français.

S'agissant en second lieu des risques financiers et budgétaires, les pays candidats doivent, dans une perspective de rattrapage, accepter un déficit courant élevé. Toute la stratégie d'élargissement dépend du maintien d'un rythme d'investissement élevé et d'une abondance de crédits, en l'absence desquels leur gestion se heurterait à la contrainte extérieure.

Le rapport confirme le sérieux des prévisions budgétaires de l'Agenda 2000 : le maintien du plafond des ressources propres à 1,27 % du PIB des Etats membres n'est pas irréaliste, les budgets communautaires laissent subsister des marges importantes. Ainsi, le budget de 1999 plafonne les dépenses à 1,10 % du PIB des Etats membres.

Les perspectives du budget agricole dépendront de la réforme de la PAC qui sera finalement décidée. L'absence d'aides directes aux agriculteurs des PECO, actuellement prévue par Agenda 2000, est indispensable, mais elle sera difficile à prolonger très longtemps. Le plafonnement des financements communautaires de cohésion à 4 % du PIB des pays candidats semble également raisonnable, quoique des simulations effectuées sur la croissance réelle et le taux de change des pays puissent conduire à un dérapage à long terme. Aussi, un plafond exprimé en euro par habitant permettrait d'être également utile.

S'agissant enfin de la période transitoire préalable à l'adhésion, on note que les pays candidats consentent des efforts importants pour absorber l'acquis communautaire. Si la perspective de l'élargissement doit être certaine, l'adhésion ne doit pas être hâtive. L'expérience montre que les adhésions prématurées n'ont pas donné les meilleurs résultats. De surcroît, les risques migratoires apparaissent limités dans l'immédiat. Tout le problème consiste donc à concilier les délais relativement longs que nécessite l'adaptation aux normes communautaires et le souhait de tirer profit de la certitude de l'élargissement. S'il convient donc de s'engager sur le principe de l'adhésion, pour ne pas faire naître de doute dans l'esprit des investisseurs, il est souhaitable de conserver toute souplesse quant à la fixation de son échéance.

Après l'exposé du Commissaire au Plan, M. Jean-Bernard Raimond, Rapporteur d'information sur l'élargissement, a demandé à M. Jean-Michel Charpin quelles incidences financières comporterait, pour l'Union européenne, une forte croissance des pays en voie d'adhésion. Il l'a interrogé, en deuxième lieu, sur l'écart entre l'aide versée aux pays candidats du premier groupe et celle attribuée à ceux du deuxième : ne risque-t-il pas de se traduire par des conditions de rattrapage économique différentes et, partant, d'accroître les inégalités de développement entre ces pays ?

En réponse à la première question, M. Jean-Michel Charpin a indiqué que, selon les prévisions - qui présentent quelques différences d'une étude à l'autre - des taux de croissance de l'ordre de 6 % par an en volume étaient envisageables pour les pays candidats pendant la phase d'intégration à l'Union européenne. En outre, certaines études - notamment celle de l'OFCE - ont montré que l'élargissement devrait se traduire par des gains de croissance de quelques dizièmes de point pour les actuels pays de l'Union. Il a estimé qu'il fallait se réjouir de ces perspectives de croissance pour les pays candidats et que les problèmes de financement externes qu'elles posent devraient être résolus par les investissements réalisés dans ces pays par des entreprises étrangères privées et par les prêts privés importants dont ils bénéficient. Cependant, en cas de ratio plafond de 4 % du P.I.B. pour les dépenses de cohésion, un risque pourrait résulter d'une forte croissance des PECO, d'où l'intérêt d'un deuxième plafond en euros par habitant.

Sur le deuxième point, il a souligné que peu d'études traitaient de la division des pays candidats en deux groupes, comme cela a été souligné dans l'avant-propos du rapport. M. Antoine-Tristan Mocilnikar a précisé, sur ce point, que de nombreux économistes craignent que de nouvelles divisions apparaissent au sein de l'Europe ; et le Centre viennois d'études comparatives a souligné les risques de creusement d'un fossé entre les deux groupes. Le cas de la Roumanie est, à cet égard, significatif : les perspectives de croissance forte sont conditionnées par la poursuite des réformes ; c'est précisément ce qui fait défaut en Roumanie, confrontée à une stagnation et à des difficultés d'une autre nature, alors même qu'elle intègre de façon satisfaisante l'acquis communautaire.

Evoquant le protocole de Kyoto, Mme Michèle Rivasi a demandé quelle était la politique des pays candidats concernant les transferts de technologie dans le domaine énergétique. Existe-t-il des permis négociables ? Des simulations ont-elles été réalisées sur le sujet ?

M. Pierre Brana a demandé si des études avaient été réalisées sur le commerce extérieur des pays du premier groupe et ceux du second et, par ailleurs, sur celui des Balkans. Rappelant qu'entre 1986 et 1990, on comptait neuf pays africains parmi les dix pays bénéficiant le plus de l'aide de l'Union, et que ce nombre était tombé à quatre entre 1991 et 1995, il a demandé si les projections avaient intégré en ce domaine les incidences de l'élargissement.

M. Alain Barrau, après s'être interrogé sur la marge de man_uvre disponible sous un plafond des ressources propres maintenu à 1,27 % du P.N.B. communautaire, a souhaité savoir s'il existait des données relatives aux investissements directs dont pourraient bénéficier les différents pays candidats et précisant la part des différents pays de l'Union européenne dans leur réalisation. Après avoir évoqué les conditions dans lesquelles l'intégration de l'acquis communautaire pourrait éventuellement revêtir un caractère progressif afin de faciliter la tâche des Etats candidats, il a fait état des interrogations que semblait susciter le processus d'adhésion chez les Etats candidats, notamment ceux relevant de la deuxième vague d'adhésion, et a demandé si ce point ressortait de l'étude réalisée par le Commissariat général du Plan.

M. François Guillaume s'est interrogé sur l'homogénéité du groupe d'Etats retenus pour la première vague d'adhésions et sur l'opportunité de prévoir des étapes transitoires avant une adhésion complète, au cours desquelles serait mis en place un suivi des nouveaux Etats membres. Ayant fait état du potentiel agricole de certains Etats candidats tels que la Pologne et la Roumanie, il s'est demandé si ces pays étaient en mesure d'atteindre des productivités comparables à celles de l'Union européenne, et a souhaité savoir si on avait étudié les conséquences de l'intégration de ces pays à forte vocation agricole. Il s'est enfin interrogé sur la place de l'Union européenne élargie dans le commerce agricole mondial.

M. Jean-Michel Charpin, ayant estimé pertinent le classement retenu pour les Etats candidats, a précisé que l'intériorisation de la perspective de l'élargissement par les acteurs économiques de l'Union européenne et de l'Est constituait aujourd'hui le meilleur facteur de rattrapage économique des Etats candidats ; de façon corrélative, un éventuel retournement de ces anticipations, notamment de la part des banques et entreprises occidentales, aurait des effets négatifs sur la croissance de ces pays.

Les études consacrées aux caractéristiques du commerce entre l'Union européenne et les Etats candidats révèlent que s'opère une spécialisation inter-branches et en termes de gamme. De même, les études sur les investissements, bien qu'elles revêtent essentiellement un aspect macro-économique, montrent que ces investissements - tant internes qu'en provenance de l'Union européenne - ont un impact décisif sur le processus d'intégration et de rattrapage des pays d'Europe centrale et orientale.

En réponse à M. Pierre Brana, M. Jean-Michel Charpin a précisé que les transferts dont bénéficieront les Etats candidats excéderont largement les efforts consentis par l'Union européenne en faveur des pays en développement. Il a souligné l'enjeu que comporte cette question pour la France et l'Europe du Sud, plus spontanément tournées vers la Méditerranée et l'Afrique et qui, à l'inverse de l'Allemagne ou de l'Autriche, jouent un rôle mineur dans les flux commerciaux avec l'Europe centrale et orientale.

Dans le domaine agricole, les productions des PECO et celles de l'Union européenne sont plus concurrentes que complémentaires. Si les pays d'Europe centrale ont des coûts de main-d'_uvre moins élevés, ils ont une production plus faible et des rendements moins élevés, ce qui diminue leur compétitivité relative. Il existe encore peu de travaux sur la place de l'agriculture européenne dans le marché mondial et sur la stratégie à adopter en vue des prochaines négociations dans le cadre de l'OMC. On déplore, en ce domaine, un déficit de la prospective en France. Mais il s'agit là d'une question distincte de celle de l'élargissement.

M. Antoine-Tristan Mocilnikar a précisé que les études de la Commission européenne avaient évalué à un montant proche de 120 milliards d'euros le coût d'investissement nécessaire à l'assimilation de l'acquis communautaire par les dix pays candidats d'Europe centrale dans le domaine de l'environnement. Pour permettre une certaine progressivité, les accords d'association prévoient déjà une application de la réglementation communautaire aux nouveaux investissements. Une étude du ministère de l'industrie montre par ailleurs que des groupes français sont bien placés pour intervenir dans cette mise à niveau, notamment dans le domaine de la disposition de l'eau.

Plusieurs exercices ont été réalisés pour cerner les marges de man_uvre budgétaires liées à l'élargissement. Il résulte de ces études que, en cas de croissance annuelle moyenne du P.I.B. de l'Union européenne à Quinze limitée à 1,5 % pendant la période 2000-2006, le financement de l'élargissement est encore possible, même si les marges de man_uvre sont réduites. La croissance des pays d'Europe centrale est très forte, de l'ordre de 5 à 6 % par an, avec des taux de change qui augmentent de 4 % par an du fait de la revalorisation réelle de leurs monnaies. Les études montrent que le financement de l'élargissement est possible même si les dépenses affectées à ces pays sont revues à la hausse en cas de croissance supérieure aux prévisions. Leur P.I.B. ne représentant que 4 % de celui des Quinze, l'impact de ces dépenses est limité. Le plafond de 1,27 % serait néanmoins dépassé dans le cas extrême où la croissance des Quinze serait inférieure à 1,5 % et la croissance des pays de l'Est très forte.

La décision de stabiliser les dépenses en euros constants à partir de 1996 avait permis de constituer une marge de man_uvre budgétaire de 0,1 point de P.I.B. Les perspectives financières de l'Agenda 2000 ayant prévu une marge de 0,2 point de P.I.B. entre le plafond des ressources propres et les dépenses pour les Quinze, on a donc une marge de man_uvre totale de l'ordre de 0,3 point de P.I.B., pour financer l'élargissement. A M. Alain Barrau, M. Antoine-Tristan Mocilnikar a confirmé que le plafond de 1,27 % pouvait être respecté, tout en précisant que les dépenses liées à la PAC et aux fonds structurels étaient parfois insuffisamment analysées et que les conclusions pouvaient s'en trouver fragilisées. Cependant, il n'existe pas de système de répartition automatique des fonds structurels entre les Quinze et les nouveaux membres, les décisions en la matière étant prises au cas par cas par le Conseil. La limite des concours financiers de l'Union, fixée par la Commission européenne à 4 % du P.I.B. des pays candidats semble donc justifiée et il n'y a pas de raison d'invalider ses calculs en matière d'évaluation des coûts afférents à l'extension des fonds structurels.

Au-delà de l'an 2006, si la croissance est forte dans les pays candidats, cette limite de 4 % pourrait ne pas permettre de rester en deçà du plafond des ressources propres de 1,27 % du P.I.B. communautaire. Des calculs précis sont rendus difficiles par la grande différence entre les perspectives financières et les dépenses effectivement réalisées. Les niveaux de développement des pays candidats sont très variés et certains de ces pays pourraient alors dépasser le niveau communautaire moyen. Dès lors, un système permettant de plafonner les montants par tête devrait assurer une maîtrise budgétaire.

Mme Nicole Catala a demandé quelle était la part du secteur public dans le P.I.B. des pays futurs membres et son évolution récente. Elle s'est interrogée sur l'éventualité d'une période de transition pour l'instauration de la libre circulation des personnes avec ces pays et sur le niveau de qualification de la main-d'_uvre. Par ailleurs, elle a demandé si le niveau plus bas de la protection sociale ne constituerait pas un facteur de distorsion de la concurrence au sein de l'Union élargie. Elle a enfin demandé si le coût de la réunification allemande pour le budget de l'Union avait fait l'objet d'évaluations et si ce précédent était pris en compte dans les projections relatives à l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale.

M. Jean-Michel Charpin a précisé que, si des études portent sur le coût de l'unification allemande, elles ne peuvent être éclairantes en l'espèce, les deux processus n'étant guère comparables, notamment parce que le choix monétaire effectué par le Gouvernement allemand a contribué dans une large part à ce coût élevé. Le niveau d'éducation de la population dans les pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion est très largement supérieur à celui que l'on observe dans les pays de développement économique équivalent. Quant aux qualifications, elles sont variables : souvent excellentes dans les domaines éloignés de l'économie, elles sont plus récentes dans d'autres activités. En tout cas, on observe que le processus de rattrapage s'opère sans que la question de la qualification de la main-d'_uvre ne crée de difficulté, à la différence d'autres pays en transition.

On ne constate pas pour le moment, selon lui, de mouvement migratoire important en provenance de ces pays ; et le risque est aussi grand de voir des personnes très qualifiées venir à l'Ouest, ce qui pénaliserait les pays candidats, que de voir une migration de travailleurs peu qualifiés. Le niveau de protection sociale est certes inférieur, mais cette donnée fait partie des caractéristiques propres à chaque pays, et ne s'analyse pas comme un facteur de distorsion de concurrence, surtout dans la mesure où le jeu des taux de change remplit son rôle d'ajustement. Ce phénomène continuera à remplir son office pour les prochaines années, puisque l'union monétaire avec les nouveaux Etats membres n'est pas d'actualité.

2. Rapport d'information de M. Alain Barrau sur la réforme de l'organisation commune du marché viti-vinicole (E 1134)

M. Alain Barrau a indiqué que cette proposition de réforme de l'organisation commune (OCM) du marché viti-vinicole était depuis longtemps attendue, le constat étant largement partagé du caractère obsolète des règles de fonctionnement de l'OCM et de la nécessité de les adapter pour tenir compte des évolutions du marché. Il a rappelé à ce sujet que, si l'Union européenne occupe de longue date une position dominante sur le marché mondial du vin - sans que le secteur viti-vinicole bénéficie du soutien d'un dispositif de restitutions à l'exportation - les pays européens doivent faire face à la concurrence croissante de nouveaux producteurs qui s'appuient sur des politiques commerciales agressives et proposent des produits, sans doute de qualité variable, à des prix très compétitifs. Après avoir été depuis 1973-1974 dans une situation d'excédent structurel, le marché communautaire du vin est depuis quelques années en situation globale d'équilibre du fait des mesures prises pour réduire les superficies viticoles, cette situation restant toutefois fragile car dépendante des aléas climatiques. Ce marché connaît une « segmentation » de plus en plus marquée entre la consommation des vins de table - qui accuse une diminution importante - et celle des vins de qualité provenant de régions déterminées, qui progresse.

Or, le cadre réglementaire qui régit l'organisation du marché viti-vinicole - et qui remonte, sous sa forme actuelle, à 1987 - souffre d'une complexité excessive mais aussi du caractère quelque peu inadapté de ses instruments : les mécanismes d'intervention et de gestion du marché ne jouent plus en effet le rôle qu'ils ont joué dans le passé et doivent être complétés par d'autres instruments.

La proposition de règlement présentée par la Commission repose sur des principes plus acceptables que le projet de réforme de 1994, lequel donnait la priorité à la réduction du potentiel viticole et remettait en cause les méthodes d'enrichissement du vin. Son principal apport positif consiste à introduire dans l'OCM viti-vinicole un régime d'aide à la reconversion des vignobles qui fait l'objet d'un large accord au sein du Conseil, même si deux modalités font encore l'objet d'interrogations : la première touche à son champ d'application, la France souhaitant qu'il ne couvre pas seulement les opérations de reconversion variétale des vignes, mais aussi celles de renouvellement ; l'autre disposition en débat est celle qui touche au financement, certains pays demandant que les mesures de reconversion soient cofinancées par les Etats membres.

Le Rapporteur a regretté l'absence de toute disposition relative, en amont, à la modernisation des entreprises viti-vinicoles et, en aval, à la promotion de l'exportation, avant de déplorer les insuffisances du texte, qui lui paraissent traduire la volonté de la Commission d'affaiblir les moyens dont dispose la Communauté pour réguler et protéger le marché ; au surplus, les pouvoirs excessifs que s'attribuerait la Commission méconnaissent le principe de subsidiarité.

S'agissant du régime de maîtrise du potentiel viticole, le Rapporteur a souhaité que l'augmentation des droits de plantation soit suffisante pour répondre aux besoins du marché et que la dérogation soit maintenue pour les jeunes agriculteurs en phase d'installation ou d'adaptation de leur exploitation.

La réforme du régime de prix et de marché lui paraît également critiquable, la Commission proposant d'abandonner la distillation obligatoire des excédents - qui constitue pourtant un mécanisme nécessaire de régulation du marché - au profit d'un nouveau système inefficace de distillation volontaire en cas de crise, et de remplacer la distillation préventive par un mécanisme spécifiquement destiné à l'approvisionnement de l'alcool de bouche, qui risque de provoquer une spécialisation de certains vignobles dans l'approvisionnement de ce marché.

Pour l'enrichissement du vin, il est souhaitable qu'un véritable statu quo soit maintenu et que soit supprimée la possibilité pour la Commission de réserver le bénéfice de l'aide à l'enrichissement aux régions des zones CIII (c'est-à-dire à l'Italie et à l'Espagne), au détriment des régions du sud de la France. De même l'interdiction de vinifier le vin communautaire à partir de moûts importés des pays tiers doit être maintenue, car il s'agit d'une mesure protectrice de la qualité des produits. Si cette interdiction est sans doute contraire aux règles commerciales internationales, il n'est pas besoin dès maintenant - et alors qu'aucune plainte n'a été déposée contre cette disposition communautaire auprès des instances de l'OMC - d'ouvrir le marché communautaire aux moûts produits dans les pays tiers. Enfin, les transferts de compétences proposées au profit de la Commission, en ce qui concerne les règles relatives aux pratiques _nologiques et à l'étiquetage, doivent être retirées du projet de réforme.

Le dernier aspect contestable du projet de réforme touche à l'introduction dans l'OCM viti-vinicole d'un titre spécifiquement consacré aux groupements de producteurs et aux organisations interprofessionnelles. Si cette disposition répond à une demande du Gouvernement français, soucieux d'obtenir la reconnaissance par les instances communautaires de notre organisation interprofessionnelle viti-vinicole, le texte ne peut être accepté en l'état, non seulement parce qu'il prévoit la possibilité pour l'Etat d'étendre à l'ensemble des producteurs d'une région les règles édictées par un groupement de producteurs - ce qui est contraire à la réglementation française - mais aussi parce qu'il définit de manière très restrictive les compétences des organisations interprofessionnelles en ne leur donnant pas la possibilité de réglementer la mise sur le marché et de réguler l'offre. Cette rédaction traduit le refus constant de la Commission de reconnaître aux organisations interprofessionnelles le pouvoir de retarder la mise sur le marché d'une récolte, considérant que de telles pratiques constituent une entrave à la concurrence, alors qu'il a pour but de permettre la régulation d'un marché doté de caractéristiques propres. La rédaction du titre IV doit donc être modifiée sous peine de remettre en cause le système des interprofessions : il convient de donner compétence aux Etats pour définir eux-mêmes les missions susceptibles d'être assumées par ces organisations.

M. Alain Barrau a conclu en indiquant que l'objectif des ministres de l'Agriculture des Quinze est de parvenir à une position commune sur le projet de réforme de l'OCM viti-vinicole dès le Conseil agricole des 22 et 23 février 1999, en même temps que sur le projet de réforme de la politique agricole commune (PAC). Cette concomitance de calendrier a été voulue par la Commission pour des raisons de cohérence : le projet de réforme de la PAC comprend une programmation des dépenses agricoles sur la période 2000-2006 qui inclut le coût de l'OCM viti-vinicole ; il était donc nécessaire, dans l'esprit de la Commission, de lier les deux négociations afin de s'assurer de la cohérence d'ensemble du cadre budgétaire.

L'exposé du Rapporteur a donné lieu à un débat.

Après avoir souligné la complexité de l'OCM viti-vinicole, qui tient à la diversité des pratiques _nologiques et à des relations interprofessionnelles anciennes qui ont façonné les viticultures européennes, M. François Guillaume a relevé que les programmes d'arrachage avaient touché la France plus que les autres Etats membres : tandis que ces arrachages ont revêtu un caractère virtuel en Italie, l'Espagne n'a pas pris les mesures de réduction de sa superficie viticole prévues par l'accord d'adhésion, ce qui lui a permis de préserver un potentiel viticole considérable. Si, comme l'indique le rapport, le marché européen est en situation d'équilibre, les viticultures des pays tiers comme l'Argentine, le Chili, l'Australie ou l'Afrique du Sud, sont en forte croissance, ce qui conduit à s'interroger sur la nécessité d'un maintien du régime communautaire d'interdiction des plantations nouvelles et sur les conditions de rénovation du vignoble. De surcroît, les vins de table sont de meilleure qualité et leur volume a décru. En tout état de cause, la viticulture européenne doit avoir les moyens de résister à la concurrence internationale.

M. François Guillaume a également souhaité que les Etats et associations viticoles gardent toute liberté pour réglementer les conditions d'appellation des vins et que soient maintenus à la fois le système des prestations viniques, le dispositif d'intervention - avec la dérogation prévue pour les petits producteurs - et l'interdiction de vinifier à partir de moûts importés de pays tiers. A propos du titre IV relatif aux organisations interprofessionnelles, il a rappelé que le comité interprofessionnel du Cognac avait déjà été contesté devant la juridiction communautaire et qu'il était donc nécessaire de prendre les précautions nécessaires pour éviter que le régime des interprofessions ne soit remis en cause. Le rôle de ces organisations ne pouvant être limité à des opérations de transparence du marché, comme le prévoit la proposition de règlement, la France doit chercher à obtenir une reconnaissance communautaire des compétences dévolues aux interprofessions en contrepartie de son acceptation à un certain assouplissement du marché.

M. Pierre Brana a souligné la nécessité d'étendre, dans des conditions à définir, le régime de reconversion aux opérations de renouvellement, afin d'éviter les risques de transfert entre vignobles que comporte la proposition de la Commission. Il a jugé dangereuse la réduction à cinq ans de la durée d'utilisation des droits de replantation, ce raccourcissement lui paraissant ouvrir la voie à des manipulations chimiques.

M. Camille Darsières a insisté sur le respect du principe de subsidiarité dans les organisations communes de marché et plaidé en faveur d'un renforcement de l'instrument d'intervention en cas de crise sur le marché.

Mme Michèle Rivasi a estimé que la limitation des droits de plantation risquait de pénaliser les viticulteurs européens, alors que le marché mondial connaît une forte croissance. La concurrence entre producteurs portant de plus en plus sur les prix, il est nécessaire de maintenir des exigences de qualité des produits et de protection de l'environnement. Les mesures de gestion du marché doivent relever non seulement de la compétence des organisations interprofessionnelles, mais aussi des Etats.

Répondant aux intervenants, M. Alain Barrau a souligné l'effort entrepris par les organisations interprofessionnelles pour coordonner leurs actions, maîtriser la production et en accroître la qualité. Si le titre IV de la proposition de règlement a été introduit à la demande de la France, sa rédaction crée des difficultés pour notre régime interprofessionnel. Comme il importe de se prémunir contre les risques d'une saisine de la Cour de Justice des Communautés européennes, il convient de maintenir ce titre et d'en modifier les dispositions, afin de permettre aux Etats de définir eux-mêmes les compétences de leurs interprofessions.

Approuvant les propos de M. Pierre Brana, il a estimé que la réduction de la durée de validité des droits de plantation risquait de provoquer une détérioration de l'environnement et un « mitage » du territoire. A propos du principe de subsidiarité, il a estimé qu'une articulation devrait s'opérer entre la réforme de l'OCM, la conservation des mécanismes de maîtrise de la production et une stratégie commune d'exportation sur le marché mondial.

La Délégation a ensuite abordé l'examen de la proposition de résolution.

Sur proposition de MM. Pierre Brana et Camille Darsières, la Délégation a modifié la réaction du paragraphe 1, afin que l'extension du régime d'aide à la reconversion aux opérations de renouvellement soit une simple possibilité. A l'initiative de M. Pierre Brana, elle a ajouté un alinéa au paragraphe 2 demandant le maintien à huit ans de la durée d'utilisation des droits de replantation.

Elle a également accepté un amendement de M. Camille Darsières précisant que la définition par les Etats du rôle et des compétences des organisations interprofessionnelles serait effectuée après consultation de la profession viticole.

La Délégation a ensuite décidé de déposer la proposition de résolution ainsi rédigée :

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune du marché viti-vinicole (E 1134),

Considérant l'importance du secteur viti-vinicole en termes d'emploi, de préservation de l'environnement, d'occupation du territoire et d'exportation ;

Considérant que, si le marché viti-vinicole connaît depuis les trois dernières campagnes un équilibre entre production et consommation, cet équilibre reste fragile car dépendant de l'évolution des conditions climatiques ;

Considérant qu'une réforme de l'OCM viti-vinicole est nécessaire afin de favoriser l'adaptation du vignoble communautaire à l'évolution de la demande, de simplifier la réglementation communautaire et de promouvoir l'organisation économique des filières viticoles ;

Considérant que cette proposition de règlement, si elle repose sur des principes plus acceptables que le précédent projet de réforme, contient des dispositions critiquables tendant à introduire des rigidités dans les conditions de gestion des droits de plantation, à augmenter de manière injustifiée les compétences de la Commission et à affaiblir les mécanismes d'intervention et de protection du marché communautaire ;

Considérant que, si la proposition de règlement consacre le rôle des groupements de producteurs et des organisations interprofessionnelles, les compétences qui leur sont reconnues sont définies de manière trop restrictive ;

1. Approuve l'effort de simplification de la législation communautaire et l'introduction dans l'OCM d'un régime d'aide à la reconversion, tout en souhaitant que ce régime puisse être étendu aux opérations de renouvellement des vignobles ;

2. Demande :

- l'augmentation des possibilités de croissance de la viticulture européenne en fonction des besoins réels des Etats et des régions et le maintien d'un dispositif dérogatoire pour les jeunes agriculteurs en phase d'installation ou d'adaptation de leurs exploitations ;

- le maintien à huit ans de la durée d'utilisation des droits de replantation ;

- le maintien d'un instrument d'intervention efficace en cas de crise sur le marché et de l'interdiction de vinifier dans l'Union européenne à partir de moûts importés des pays tiers ;

- le maintien d'un véritable statu quo en matière d'enrichissement des vins ;

- le respect du principe de subsidiarité dans la répartition des compétences entre la Commission et le Conseil en matière de pratiques oenologiques et de désignation et d'étiquetage des produits ;

- l'octroi d'une délégation de compétence aux Etats, afin qu'ils aient la possibilité de définir eux-mêmes, après consultation de la profession viticole, le rôle et les attributions des groupements de producteurs et des organisations interprofessionnelles ;

3. Souhaite que des dispositions soient prises par ailleurs pour soutenir la promotion commerciale des produits et la modernisation des entreprises viticoles.

3. Examen de propositions d'actes communautaires

Conformément aux conclusions de M. Alain Barrau, Rapporteur, la Délégation a considéré que les propositions d'actes communautaires suivantes n'appelaient pas d'objection de sa part : trois projets d'actes (E 1190, E 1199, E 1201) relatifs à des dérogations fiscales, l'une d'entre elles (document E 1199) étant demandée par la France ; la proposition de décision modifiant le programme « Douane 2000 » (E 1179) ; une proposition de directive TVA, portant sur la détermination du redevable de la taxe (E 1191) et la modification d'une autre directive TVA, relative au taux normal de la taxe (E 1193) ; deux accords commerciaux intérimaires avec le Turkménistan (E 1196) ; une proposition de refonte de l'instrument financier pour l'environnement (LIFE), le rapporteur faisant observer que le Conseil d'Etat a jugé applicable l'article 88-4 de la Constitution, alors que ce texte relèverait, en droit interne, du domaine réglementaire, parce qu'il organise l'information du Parlement européen et du Conseil sur la gestion des finances communautaires (E 1200) ; la reconduction d'accords avec Chypre et Malte, ce texte étant, en raison de sa faible portée, destiné à être adopté selon la procédure écrite par le Conseil de l'Union européenne (E 1206).

Par ailleurs, le Rapporteur a indiqué que, pour trois autres documents, le Président de la Délégation avait été conduit à appliquer la procédure d'urgence. Il s'agit des documents : E 1192 (régime applicable aux importations en provenance de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, de Macédoine et de Slovénie), M. Pierre Brana faisant observer qu'il est excessif d'évoquer la « consolidation » de la démocratie et des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine et en Croatie, compte tenu de l'ampleur des problèmes de réfugiés et des divers trafics qu'on peut y observer ; E 1194 (importations de sardines du Maroc) ; E 1195 (arrangements monétaires relatifs à Saint-Pierre et Miquelon et à Mayotte).