DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 81

Réunion du jeudi 10 juin 1999 à 9 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

I. Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen de Cologne

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, a évoqué, à titre liminaire, la densité de la période couverte par la présidence allemande de l'Union européenne : l'avènement de l'euro ; la ratification du Traité d'Amsterdam et l'entrée en vigueur de celui-ci le 1er mai dernier ; l'accord sur l'Agenda 2000 ; la crise institutionnelle sans précédent qui a abouti à la démission collective de la Commission européenne le 15 mars dernier et à la désignation de M. Romano Prodi ; le conflit dans les Balkans ; les élections européennes, qui sont organisées dimanche 13 juin.

Il a choisi d'évoquer cinq points à la lumière des conclusions du Conseil européen de Cologne qui s'est déroulé les 3 et 4 juin : la crise au Kosovo, la défense européenne, la réforme institutionnelle de l'Union, la charte des droits fondamentaux, enfin le Pacte européen pour l'emploi.

l S'agissant du Kosovo, deux Conseils européens ont encadré la phase la plus aiguë de la crise : celui de Berlin au moment du déclenchement des frappes, celui de Cologne pour l'acceptation par Belgrade des conditions de paix. Il y a là, plus qu'une simple coïncidence, la marque de l'action des Européens. La cause qu'ils ont défendue était juste ; ceux qui dénoncent le rôle de gendarme dévolu à l'OTAN sur notre continent auraient d'ailleurs été les premiers à stigmatiser la passivité si, comme ce fut le cas, en Bosnie, on avait laissé les forces serbes procéder en toute impunité.

Plutôt que de railler un quelconque « suivisme » des Européens, il convient de rappeler que ce sont eux, en particulier ceux du groupe de contact, dont la France, l'Angleterre et l'Allemagne, qui ont conduit les négociations de Rambouillet, puis celles qui, avec le Président finlandais, M. Ahtisaari, représentant l'Union européenne, ont conduit M. Milosevic à accepter l'accord de paix. Il convient aussi de reconnaître que les alliés américains ont mis en _uvre un vaste dispositif militaire et que l'accord n'aurait pu être obtenu sans les Russes.

Les Européens ont été très présents, tant du point de vue militaire qu'humanitaire ; la crise qui n'est pas encore terminée a marqué une étape importante pour la diplomatie européenne et sa crédibilité sur la scène internationale.

Le premier résultat du Conseil européen de Cologne en matière de défense et de sécurité commune a été la désignation de M. Javier Solana au poste de haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Notre pays a milité pour que cette très importante fonction soit assumée par une personnalité politique, et non par un haut-fonctionnaire, qui n'aurait sans doute pas eu toute l'autorité nécessaire pour faire vivre cette politique commune. A la question délicate de savoir s'il fallait choisir le Secrétaire général d'une organisation de sécurité, l'OTAN, réputée concurrente par rapport à l'organisation européenne de défense, le ministre délégué a répondu par l'affirmative, en raison de la personnalité de M. Solana, de ses origines politiques, de son indépendance d'esprit, de ses convictions fortement européennes, de sa francophonie et de sa francophilie marquée, mais aussi parce que l'expérience irremplaçable qu'il a accumulée dans la seule organisation régionale de sécurité qui ait fait ses preuves, constituera un précieux atout pour construire l'Europe de la défense et l'organisation indispensable de ses relations avec l'OTAN. La présence, aux côtés de M. Solana, de M. Pierre de Boissieu, représentant permanent de la France auprès des Communautés européennes, qui a été désigné au poste de secrétaire général adjoint du Conseil, devrait contribuer à renforcer notre influence dans une administration qui est une des pièces-maîtresses de l'architecture institutionnelle de l'Union.

L'accord de paix n'est que le début d'un processus dans lequel l'Union a vocation à jouer un rôle essentiel ; c'est dans cette perspective qu'elle travaille à l'adoption d'un Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, qui doit organiser de façon contractuelle les relations avec les pays balkaniques, en commençant par l'Albanie et la Macédoine, qui ont été exemplaires dans la gestion du conflit. Ainsi les conclusions du Conseil européen de Cologne ont confirmé que « l'Union européenne est résolue à jouer un rôle de premier plan dans les efforts de reconstruction au Kosovo », tout en indiquant que l'Union pourrait diriger une administration provisoire de la province et en invitant la Commission européenne à faire des propositions concernant l'organisation de l'aide.

Dès la fin de ce mois, la Commission devrait formaliser des propositions visant, d'une part à créer une agence qui sera chargée de mettre en _uvre les programmes d'aide de la Communauté, d'autre part à mobiliser de nouvelles ressources, humaines et financières, pour l'aide aux réfugiés et le retour de ces derniers dans leurs foyers. Tout ceci reste naturellement subordonné à la confirmation de l'accord dont M. Ahtisaari a rendu compte à Cologne.

Abordant la question de la défense européenne, le ministre a rappelé que le Traité d'Amsterdam prévoit le renforcement de la PESC, la définition progressive d'une politique européenne de défense, ainsi que la possibilité d'intégrer l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) dans l'Union européenne. Le Conseil européen de Cologne a réaffirmé que la PESC « doit s'appuyer sur des capacités opérationnelles crédibles si l'on veut que l'Union européenne soit en mesure de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale », dans la ligne des conclusions du Sommet franco-britannique de Saint-Malo, le 4 décembre dernier. Plusieurs participants au Conseil européen de Cologne ont souligné que les conclusions du Sommet de l'Alliance atlantique qui s'est tenu à Washington ouvraient une « fenêtre d'opportunité » pour le développement d'une défense européenne.

Il reste à traduire institutionnellement l'émergence progressive de cette nouvelle dimension, essentielle, de la construction européenne. Elle sera progressive, parce que la priorité n'est pas de construire des capacités de défense du territoire contre une menace extérieure - c'est là la principale mission de l'OTAN - mais, conformément au Traité d'Amsterdam, de développer des capacités de réaction aux crises. C'est dans ce domaine - qu'on appelle aussi les « missions de Petersberg » - que les Quinze ont décidé de concentrer leurs efforts, comme en témoignent les conclusions de Cologne : « Il s'agit là du domaine dans lequel l'Europe doit, de toute urgence, se doter d'une capacité d'action. La mise sur pied d'une capacité européenne militaire de gestion des crises doit être considérée comme une activité relevant de la PESC (...) et comme un élément de la définition progressive d'une politique de défense commune ».

Ce principe étant affirmé, le plus difficile reste à faire, notamment pour organiser la prise de décisions, pour assurer le contrôle politique et la direction stratégique des opérations conduites par l'Union européenne, tous les Etats membres de l'Union n'ayant pas les mêmes traditions ni les mêmes ambitions en matière de sécurité et de défense.

Le Conseil européen de Cologne a posé les jalons qui permettront de créer les organes pertinents à Bruxelles, notamment un Comité politique et de sécurité, un Comité militaire de l'Union et un Etat-major. Il faudra aussi organiser les relations avec l'OTAN, le Conseil européen ayant rappelé que, pour la conduite des opérations, l'Union européenne pourra recourir soit aux moyens et capacités de l'OTAN, soit à des moyens spécifiquement européens. Ces deux « piliers » de la défense européenne doivent donc être organisés.

Compte tenu du penchant des Français pour le développement de forces véritablement européennes, on peut se féliciter de la décision prise à l'occasion du Sommet franco-allemand de Toulouse, confirmée à Cologne, de transformer l'Eurocorps en une force d'intervention extérieure, naturellement ouverte aux autres Etats membres qui souhaiteraient le rejoindre.

Ainsi, l'Europe de la défense progresse et dessine peu à peu les lignes de force qui lui permettront de devenir un acteur majeur de la vie internationale au siècle prochain. La présidence française s'y emploiera, d'autant plus que l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne devra être achevée avant la fin de l'an 2000.

La réforme institutionnelle a fait l'objet de discussions et de décisions à Cologne. M. Romano Prodi, désigné lors du Conseil européen de Berlin pour être le nouveau Président de la Commission, doit à présent « élaborer un programme de travail dans lequel il esquissera comment la nouvelle Commission va travailler ». Ce mandat comporte plusieurs aspects.

Le premier aspect est celui des pouvoirs de gestion de la Commission et, en particulier, de ses capacités de contrôle de la dépense. Cette question est à l'origine de la crise qui a entraîné la démission de la Commission ; c'est donc sur ce point que la nouvelle équipe fera, début 2000, des propositions de réforme en profondeur, compte tenu de la création de l'Office européen de lutte anti-fraude.

Le deuxième aspect concerne l'organisation de la Commission, et, en particulier, la question cruciale de la collégialité. Le ministre délégué avait précédemment suggéré une réduction du nombre de Commissaires, idée rejointe par celles de M. Romano Prodi : il est probable que la prochaine Commission sera organisée autour de deux vice-présidents - l'un chargé des relations avec le Parlement, l'autre de la réorganisation de la Commission - et d'un petit groupe de commissaires assumant ce que le nouveau président lui-même appelle la dizaine de métiers fondamentaux de la Commission européenne.

Le troisième aspect de la réflexion de M. Prodi devrait porter sur l'organisation interne des services de la Commission : les 24 directions générales de la Commission devraient être réorganisées et adaptées aux attributions confiées aux commissaires titulaires. La prochaine commission sera ainsi plus resserrée et plus cohérente.

Comme les autres institutions, la Commission doit s'adapter à la perspective d'une Union élargie. Ce changement d'échelle implique une réforme profonde qui justifie - comme le stipule l'article 2 de la loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam - que cette réforme constitue un préalable aux futurs élargissements.

Les deux décisions prises à Cologne pour la réforme des institutions doivent être appréciées à l'aune de nos propres exigences.

D'abord, les Chefs d'Etats et de Gouvernement ont décidé de convoquer, pour le début de l'an 2000, une conférence intergouvernementale (CIG) destinée à régler les problèmes qui n'ont pu l'être à Amsterdam et « qui doivent l'être avant l'élargissement ». Le mandat de la CIG portera donc sur la taille et la composition de la Commission, sur la pondération des voix au Conseil et sur l'extension du champ de la majorité qualifiée.

En second lieu, le Conseil européen a décidé d'une méthode : la présidence établira, sous sa seule responsabilité, un rapport recensant et expliquant les possibilités qui s'offrent pour résoudre les trois questions mentionnées, qu'elle soumettra au Conseil européen d'Helsinki, en décembre 1999.

Il est convenu, enfin, que la clôture de la conférence et l'accord sur les modifications à apporter au traité devraient intervenir à la fin de l'an 2000, c'est-à-dire à la fin de la présidence française de l'Union européenne.

Au total, les idées qui ont été entérinées par le Conseil européen rejoignent largement celles qu'avaient pu exprimer les autorités françaises : une CIG courte et ciblée sur les questions non réglées à Amsterdam. Toutefois, la France n'a pu obtenir un consensus pour confier les travaux préparatoires à un groupe de Sages.

l La présidence allemande a lancé à Cologne, en accord avec la France, la préparation d'une Charte des droits fondamentaux, qui tend à codifier les droits dont bénéficient les citoyens du fait de leur appartenance à l'Union et, ainsi, à rendre l'Europe à la fois plus visible et plus proche.

Les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont ainsi demandé que des membres du Parlement européen et des parlements nationaux, associés à des représentants des gouvernements des Etats membres, élaborent ensemble un projet de Charte qui explicitera tout un ensemble de droits résultant des textes en vigueur ou de la jurisprudence de la Cour de justice et qui consacrera aussi des droits nouveaux, notamment dans le domaine économique et social.

La procédure d'élaboration du texte devrait être précisée lors du Conseil européen spécial de Tampere (Finlande), en octobre, et pourrait faire l'objet, sous présidence française, d'un accord entre les trois institutions, Conseil, Commission et Parlement européen, avant une éventuelle incorporation dans les traités.

Abordant enfin le Pacte européen pour l'emploi, le ministre délégué a reconnu que la France n'avait pas obtenu tout ce qu'elle souhaitait, tout en approuvant très largement son contenu. Comme souvent, dans le domaine des affaires communautaires, « nous avons pris notre part du consensus », selon la formule utilisée par le Premier ministre. L'essentiel est de développer et d'amplifier la dynamique en faveur de la croissance et de l'emploi, lancée en 1997 à Amsterdam et poursuivie à Luxembourg. Cette dynamique sera entretenue à partir de deux éléments essentiels, qui forment le c_ur des conclusions de Cologne.

Le premier élément est l'orientation vers une meilleure coordination des processus communautaires susceptibles de concourir à un haut niveau d'emploi dans l'Union. Ces processus sont au nombre de trois : d'abord, la définition d'une cohérence entre politique budgétaire, politique monétaire et évolutions salariales (processus de Cologne) ; ensuite, une stratégie coordonnée pour l'emploi, mise en _uvre à travers les lignes directrices pour l'emploi et les plans nationaux d'action (processus de Luxembourg) ; enfin, l'amélioration et la réforme du fonctionnement des marchés des biens, des services et des capitaux (processus de Cardiff). D'autres outils, comme la coordination des politiques économiques, notamment au sein de l'Euro11, devront être substantiellement renforcés.

Le second élément sur lequel un consensus a pu être obtenu à Cologne est une meilleure association des partenaires sociaux. Si le dialogue social européen doit être préparé dans les enceintes compétentes, il reviendra au Conseil européen de rendre son arbitrage et de lui donner une portée politique. Sous présidence portugaise, aura lieu une première réunion spéciale du Conseil européen dont le thème sera : « l'emploi, la réforme économique et la cohésion sociale ; vers une Europe de l'innovation et de la connaissance ». Un forum sera également constitué, afin d'évaluer régulièrement les résultats obtenus dans ce domaine et d'entendre les points de vue de tous les acteurs de l'espace économique et social européen : gouvernements des Quinze, Commission, Parlement européen, Banque centrale européenne et partenaires sociaux.

Enfin, plusieurs décision sectorielles ont été adoptées ou confirmées à Cologne, en vue de stimuler la création d'emplois dans l'espace communautaire.

Il s'agit tout d'abord du paquet fiscal, pour lequel a été confirmé l'objectif d'une conclusion à Helsinki à la fin de l'année, tant pour le « code de bonne conduite », sur lequel les travaux avancent à un rythme satisfaisant, que pour le projet de directive sur l'épargne, à l'égard duquel les réticences luxembourgeoises finiront par être levées, à force de persuasion.

En second lieu, à la demande du Gouvernement, la proposition de directive présentée par la Commission sur l'expérimentation de taux réduits de TVA sur les services à forte intensité de main d'_uvre fait partie des textes dont le Conseil européen a recommandé, à Cologne, une adoption rapide.

A également été décidée une action en faveur des petites et moyennes entreprises innovantes et du capital-risque, avec la mobilisation de 1,5 milliard d'euros au total, à l'initiative de la Banque européenne d'investissement (1 milliard d'euros pour les PME innovantes et 500 millions d'euros pour le capital-risque).

Il s'agit enfin du développement des réseaux transeuropéens, pour lequel le Conseil européen a marqué une attention particulière, en indiquant que les crédits communautaires seront portés à 4,6 milliards d'euros pour la prochaine période des perspectives financières, soit une augmentation de près de 50 % par rapport aux moyens mobilisés au titre de la période actuelle de programmation. En outre, le Conseil européen a prévu la possibilité pour les Etats-membres de définir une liste élargie de projets prioritaires, et souhaite un recours accru à des formules de financement mixte public-privé.

Tout en qualifiant ces résultats de substantiels, le ministre délégué les a jugés insuffisants, avant d'exprimer le souhait que la future présidence de l'Union européenne puisse développer le contenu du pacte pour l'emploi. Il a enfin salué la qualité de la présidence allemande et souligné le bon fonctionnement du couple franco-allemand.

L'exposé du ministre délégué a donné lieu à un large débat.

M. Yves Fromion, ayant souligné la valeur de l'intervention de la France et des Européens au Kosovo, a regretté les critiques portées par certains, qui ne rendent service ni à l'Europe, ni aux militaires français qui ont démontré leur capacité de participer à une action concertée. Il a interrogé le ministre délégué sur les raisons pour lesquelles l'Eurocorps n'avait pas été appelé à intervenir dans la mission d'occupation du terrain au Kosovo.

Stigmatisant à nouveau l'activité boulimique de la Communauté européenne, M. Jacques Myard a demandé si l'élargissement, qui est inéluctable, allait enfin l'inciter à se recentrer sur l'essentiel et si, dans cette optique, le principe de subsidiarité serait approfondi à l'occasion de la prochaine Conférence intergouvernementale. S'agissant de la défense européenne, il a jugé incompatible l'annexe III des conclusions de la présidence du Conseil européen de Cologne avec le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique défini à Washington. Un choix devra être fait entre les deux textes, animés par deux logiques inconciliables : la première est celle d'un contrôle total de l'OTAN, la seconde privilégie le développement d'une capacité d'action européenne autonome. Cette dernière est de loin préférable, mais on peut craindre qu'elle ne soit pas retenue par les Européens. Jugeant le nouveau concept stratégique contraire au traité de Washington, qui avait été ratifié en son temps par la France, il a demandé au ministre délégué de lui indiquer si le Parlement serait bientôt consulté.

Mme Nicole Catala a regretté qu'un comité des Sages n'ait pas été constitué pour préparer la réforme institutionnelle et que seuls les trois points laissés en suspens à Amsterdam aient été retenus : il aurait fallu en outre simplifier les procédures, trop nombreuses et trop complexes, clarifier et contrôler l'application du principe de subsidiarité et définir le rôle des parlements nationaux. Elle a demandé, sur ce point, si la France soutiendrait l'idée d'une deuxième chambre représentant les parlements nationaux.

Elle s'est interrogée sur les raisons pour lesquelles serait élaborée une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, car les Quinze sont tous signataires de la déclaration des droits de l'ONU et de la Convention européenne des droits de l'homme, ces droits étant, de surcroît, consacrés par leurs principes constitutionnels. Elle s'est interrogée sur les incidences de cette nouvelle charte sur la Convention européenne des droits de l'homme, sur la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme et sur l'articulation entre celle-ci et la Cour de justice des Communautés européennes. Elle a craint que cette charte ne domine nos principes constitutionnels. Un tel texte reconnaîtra-t-il, par exemple, le principe de laïcité ?

S'agissant de la défense, elle s'est interrogée, notamment au regard de la situation des pays neutres, sur les incidences de l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne. Relevant le changement du discours sur l'évolution des crédits militaires - qu'il fallait diminuer, au début des années 90, et qu'il convient à présent d'augmenter - elle a demandé quelles raisons déterminantes étaient avancées pour justifier un effort budgétaire plus important, et si un tel effort était envisagé pour constituer une défense européenne capable d'agir indépendamment de l'OTAN et, dans ce cas, à quelles fins et dans quelles hypothèses ? S'agit-il uniquement de remplir les missions de Petersberg ? Quel champ géographique sera couvert par ces missions ? Peut-on envisager une intervention à ce titre en dehors du territoire des Quinze ?

M. Gérard Fuchs, ayant évoqué les interrogations qu'avait pu susciter la nomination de M. Javier Solana au poste de haut représentant pour la PESC, en raison des fonctions qu'il vient d'occuper, a attesté qu'il s'agissait d'une personnalité « non atlantiste » et authentiquement européenne. Il a estimé que l'élément essentiel de la défense européenne est la capacité de conduire une action militaire autonome, le cadre des missions de Petersberg couvrant tous les scénarios militaires imaginables. S'il n'est pas certain que les Quinze veuillent déjà se doter de cette capacité, il est sûr que la France ne peut s'en doter à elle seule. Il reste maintenant à mettre en _uvre le texte de Cologne, qui est satisfaisant. Rouvrir un débat philosophique sur la nouvelle stratégie de l'OTAN ne pourrait que nous isoler.

S'agissant de la révision institutionnelle, il a déploré l'abandon de l'appel à un comité des Sages qui aurait renforcé les chances de succès de la CIG. Dans le domaine de l'emploi, il a souhaité que l'on puisse répondre un jour à la question de savoir quel rôle doit jouer le budget des Communautés. Tout en prenant acte de l'augmentation des dépenses consacrées aux réseaux transeuropéens, il a souhaité que, dans le cadre défini à Cologne, un groupe de travail intergouvernemental puisse proposer des politiques nouvelles, notamment la mise en place d'un réseau de satellites européens d'observation, qui présenterait pour l'Europe un triple intérêt : le développement d'une technologie de pointe, une utilité militaire, un impact sur l'emploi.

M. Pierre Lequiller a exprimé sa satisfaction à l'égard du rôle joué par l'Union européenne dans la crise du Kosovo. Même si la suprématie militaire des Etats-Unis dans le déroulement des opérations n'est pas contestable, l'Europe a été à l'origine de l'intervention de l'OTAN, ce qui constitue un des premiers actes authentiquement européens en matière de politique étrangère. Il a souhaité que des initiatives soient prises rapidement pour établir, en faveur de l'Europe de la défense, une concertation et une convergence aussi fortes que celles qui ont permis la création de l'euro. L'accroissement de l'effort de défense et le redéploiement des moyens disponibles nécessitent un changement total des politiques conduites jusqu'à présent. La souveraineté des Etats sera toutefois préservée par le recours à « l'abstention constructive » prévue par le Traité d'Amsterdam.

S'agissant des questions institutionnelles, M. Lequiller a regretté, comme Mme Nicole Catala et M. Gérard Fuchs, l'absence d'un comité des Sages pour la prochaine révision des traités, la solution de la Conférence intergouvernementale risquant de conduire à l'enlisement des discussions. Il a donc demandé au ministre délégué les raisons pour lesquelles la formule d'un comité des Sages avait été écartée.

Après avoir jugé bien minces les progrès enregistrés au sommet de Cologne sur le Pacte européen pour l'emploi, il a réitéré son souhait que soit organisée à l'Assemblée une séance mensuelle de questions consacrée aux problèmes européens et a demandé au ministre délégué son sentiment sur cette suggestion.

M. Jean-Claude Lefort a jugé piquante la satisfaction manifestée par le ministre délégué à propos de la désignation de M. Javier Solana comme « Monsieur PESC », alors qu'il avait exprimé le souhait, lors de sa précédente audition par la Délégation, que soit nommée à ce poste une personnalité « non otanienne ». Comme en témoigne la crise du Kosovo et le rôle joué par la Russie dans son dénouement, les questions de géostratégie se posent dans les termes qui dépassent la nature des régimes politiques et doivent être envisagées à l'échelle du continent tout entier. Le prochain Sommet sur le pacte de stabilité pour l'Europe du Sud est évoqué par le Conseil de Cologne, qui doit se tenir à Istanbul sous l'égide de l'OSCE, devrait faire l'objet d'une particulière attention.

Sur le Pacte européen pour l'emploi, il a estimé que les conclusions du Conseil européen de Cologne devaient être lues à la lumière de la déclaration commune que MM. Blair et Schröder viennent de rendre publique.

Enfin, notant que les conclusions du Conseil européen établissent un lien entre les aspects militaires et les aspects économiques des relations transatlantiques, il s'est déclaré partisan de l'organisation d'un débat parlementaire sur les prochaines négociations dans le cadre de l'OMC, en particulier sur le mandat de négociation qui sera confié à la Commission européenne.

Le Président Alain Barrau s'est étonné du nombre très élevé de questions abordées lors du Conseil européen de Cologne, les conclusions de la présidence portant sur plus d'une centaine de points. Il a suggéré que le Conseil européen se concentre sur un nombre limité de dossiers, pour lesquels un choix au niveau le plus élevé doit être effectué, les autres questions devant être traitées par les Conseils des ministres compétents. Il a demandé s'il pourrait être envisagé de mettre en _uvre une telle pratique lors de la présidence française de l'Union européenne au second semestre de l'an 2000.

Rappelant que la Délégation était très attachée à l'application d'un taux réduit de T.V.A. aux activités à forte intensité de main d'_uvre, il a souhaité que cette mesure soit mise en _uvre dès le prochain exercice budgétaire : sera-t-elle intégrée dans le projet de loi de finances pour 2000 ?

La question de la défense européenne, comportant des incidences financières considérables, devrait faire l'objet d'un débat approfondi. Quelles suites le Gouvernement donnera-t-il aux orientations dégagées par le Conseil européen de Cologne ?

S'agissant des négociations commerciales internationales, il a souhaité savoir quel rôle l'Union européenne et la France entendaient jouer à la conférence de Rio, avant d'insister sur la nécessité d'un débat politique sur les positions à défendre dans le cadre de l'OMC, ainsi que sur le mandat de la Commission européenne.

Dans ses réponses aux intervenants, M. Pierre Moscovici s'est déclaré disposé à être entendu par la Délégation sur la question de la défense européenne, l'organisation d'un débat en séance publique relevant de la Conférence des Présidents.

Il a indiqué que l'Eurocorps n'avait pas été utilisé dans le conflit du Kosovo, dans la mesure où il avait été conçu dans une optique stratégique différente et qu'il disposait de moyens matériels et de transport limités. Il a ajouté que l'une des idées du Conseil de Cologne était précisément de donner à l'Union une capacité d'intervention extérieure rapide, à laquelle l'Eurocorps prendrait part.

Pour lui, il n'y a pas d'opposition entre le concept stratégique de l'OTAN et la volonté des Européens de se doter d'une capacité d'intervention militaire autonome : ce sont les deux piliers de la sécurité européenne, la conférence de Washington ayant d'ailleurs salué cette volonté européenne.

L'ensemble des budgets des pays membres consacrés à la défense représente 60 % du budget militaire des Etats-Unis, ce qui paraît suffisant au regard de la conception stratégique européenne ; s'il n'est donc pas nécessaire d'augmenter ces budgets, il convient en revanche de mieux coordonner les actions des Etats dans l'accomplissement des missions de Petersberg et aussi dans le domaine de la recherche, des armements et des satellites.

Si la désignation de M. Javier Solana comme haut représentant pour la PESC a pu susciter des interrogations, c'est en raison des circonstances de la guerre au Kosovo. M. Javier Solana ne saurait être considéré comme « atlantiste ».

Favorable au renforcement de la coopération dans le cadre de l'OSCE, la France n'a pas ménagé ses efforts pour réintroduire la Russie dans le jeu diplomatique. La bonne articulation entre l'Europe et la Russie est d'ailleurs une constante de la diplomatie française.

Regrettant, comme plusieurs membres de la Délégation, l'absence de recours à un comité des Sages, il a rappelé que la demande exprimée par la France et l'Allemagne n'avait pas été partagée par les autres délégations. La crainte de certains Etats d'être placés en porte-à-faux par rapport aux propositions que le comité aurait pu élaborer et le souhait des « petits » pays d'être représentés dans toutes les instances expliquent ce refus. La CIG pourra traiter de la simplification des procédures communautaires et des questions connexes aux trois points qui doivent faire l'objet d'une réforme. Le Conseil de l'Union européenne joue d'ores et déjà le rôle d'une deuxième chambre, dans la mesure où il partage avec le Parlement européen la compétence législative. Quant à la charte des droits fondamentaux, sa valeur juridique n'est pas encore définie ; à la différence de la Convention européenne des droits de l'homme, à laquelle 41 Etats ont adhéré, cette charte aurait vocation à définir les droits, notamment de caractère économique et social, propres aux citoyens des pays membres de l'Union.

Si l'Union ne doit évidemment pas élaborer de réglementations tatillonnes, l'affaire de la dioxine montre l'utilité de textes exigeants. Quant à la subsidiarité, il convient surtout de l'appliquer avant de songer à en redéfinir le principe.

Favorable à l'organisation d'une séance mensuelle de questions consacrée aux affaires européennes, il a souligné que cette décision relevait de la compétence de l'Assemblée, tout en se réjouissant de la multiplication des débats portant sur les questions européennes. Quant à l'OMC, un débat parlementaire pourrait avoir lieu avant les discussions de Seattle, peut-être même au cours de cette session.

Le pacte européen pour l'emploi est le fruit d'un compromis ; s'il ne répond pas pleinement aux attentes françaises, il ne faut pas pour autant en sous-estimer l'importance.

Les conclusions des Conseils européens gagneraient, en effet, à être plus ramassées ; en pratique, les discussions portent sur un nombre de sujets restreint, le reste des conclusions étant approuvé de façon formelle par le Conseil.

S'agissant de la proposition de directive autorisant les Etats à réduire le taux de TVA sur des services à forte intensité de main-d'_uvre, il appartiendra au Conseil de l'Union européenne, après l'adoption de ce texte, d'approuver les demandes présentées par les Etats membres, le calendrier retenu permettant d'inclure une telle expérimentation dans la prochaine loi de finances.

Le Conseil « affaires générales » définira un mandat de négociation le 21 juin prochain pour la Conférence de Rio ; la France, tout en soutenant le principe d'une libéralisation des échanges, défend l'idée qu'il ne faut pas engager de négociations tarifaires avec le Mercosur avant les discussions qui doivent se tenir dans le cadre de l'OMC.

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II. Rapport d'information sur la coopération transfrontalière dans le cadre de la Convention de Schengen (Rapporteur : M. Jean-Marie Bockel)

M. Jean-Marie Bockel a rappelé que la Convention d'application des accords de Schengen, tout en instaurant la libre-circulation entre les Etats parties, a édicté des mesures compensatoires dans trois domaines : le renforcement de la coopération policière, l'amélioration de la coopération judiciaire et la création du Système d'information Schengen (SIS). Il a souligné que le processus d'unification européenne avait par ailleurs entraîné une intensification des échanges et du trafic transfrontaliers, plus sensibles encore dans les régions frontalières. De ce fait, la conception historique française de la frontière-ligne s'est peu à peu effacée devant la réalité d'une frontière-zone rappelant les anciennes marches-frontières de l'Est.

Dès lors, ces régions ont été confrontées au risque de devenir des « zones grises » où agissent, dans une relative impunité, les délinquants et criminels, les passeurs d'immigrants illégaux, les organisateurs de réseaux de prostitution ou de trafic de drogue, en profitant des obstacles qui freinent la coopération entre policiers, douaniers et magistrats des différents Etats. Dans ce contexte, il apparaît clairement que sécurité intérieure et sécurité européenne sont indissociables. Aussi importe-t-il de savoir si les mesures compensatoires, telles que notre pays les a mises en _uvre, ont tenu leurs promesses.

Pour la coopération policière et douanière, la Convention a encouragé la signature d'arrangements administratifs bilatéraux en 1995 et 1996, créant ou officialisant les commissariats communs sur les points frontaliers. L'organisation actuelle de la coopération peut être comparée à un triangle : le sommet en serait Interpol, au niveau intermédiaire se trouveraient Europol et les cellules européennes auxquelles participe la police judiciaire française, enfin, à la base, se situeraient les commissariats binationaux. La base couvre la surface la plus étendue du triangle, c'est-à-dire la petite et moyenne délinquance, qui représente 80 % de tous les crimes et délits, d'où l'importance de la coopération transfrontalière.

Si les commissariats communs ont bien rempli leur rôle, les accords de la nouvelle génération, signés en 1997, ont prévu la création des centres communs de coopération policière et douanière (CCPD), qui constituent une bonne réponse à la stagnation des moyens, tant humains que financiers. Du fait des contraintes budgétaires, il n'est en effet plus possible aux unités de se superposer : la complémentarité et la répartition du champ d'action entre les unités nationales et entre les unités nationales et étrangères deviennent primordiales. De tels accords ont été conclus avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suisse. Les négociations entamées avec la Belgique ont malheureusement été interrompues, tandis que la négociation avec le Luxembourg prend du retard.

Après avoir décrit les missions des futurs CCPD, il a regretté que la constitution d'unités binationales ne soit pas envisagée par les conventions récentes car de telles unités pourraient remplir plus efficacement certaines missions limitativement définies. En outre, il s'agirait d'une avancée et d'un signal fort, s'inscrivant dans la ligne du traité d'Amsterdam.

Décrivant ensuite les procédures d'assistance et d'échange d'informations policières instaurées sur la base de la Convention, il a estimé que la coopération directe pourrait être développée, afin d'éviter le passage systématique par l'autorité centrale, qui alourdit parfois inutilement les échanges.

Dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine, le Rapporteur a décrit les aspects positifs de nombreuses procédures mises en place dans le cadre de la Convention. Il a indiqué que certains domaines appelaient des réponses plus adaptées : les gares ouvertes au trafic international très difficiles à contrôler, le défaut de sanction du franchissement de la frontière extérieure hors des points de passage autorisés, l'insuffisance des moyens accordés à la police de l'air et des frontières, laquelle pourrait par ailleurs être mieux déployée. L'Allemagne, qui a renforcé ses effectifs dans les régions frontalières, a obtenu aussitôt une amélioration très sensible des résultats.

Dans le domaine de la lutte contre la criminalité et la délinquance, le Rapporteur a regretté que le recours aux droits d'observation et de poursuite transfrontalière soit très limité et s'est déclaré favorable à un allégement des restrictions à l'exercice du droit d'observation et à l'harmonisation des conditions de la poursuite. Il a insisté sur la nécessité de maintenir les observatoires douaniers.

Si la coopération judiciaire a progressé localement par des rencontres et des contacts personnels accrus, elle a pris un grand retard par rapport à la coopération policière. Des progrès devront intervenir dans le cadre nouveau de la « coopération renforcée Schengen » intégrée dans l'Union européenne, ainsi que l'a prévu le Traité d'Amsterdam.

Dans les conclusions qu'il a soumis à la Délégation, le Rapporteur a suggéré des mesures de caractère pragmatique pour améliorer la coopération policière et judici aire, de telle sorte que la Convention de Schengen, dont chacun voit bien l'utilité, revête toute son efficacité.

Après avoir rendu hommage au travail du Rapporteur, M. Jacques Myard a estimé que ses conclusions n'étaient pas en harmonie avec la communautarisation partielle des matières du IIIème pilier et regretté que les arrangements administratifs institués entre la France et les Etats voisins appartenant à l'espace Schengen n'aient pas été approuvés par le Parlement. Il s'est réjoui de la suggestion du rapporteur d'implanter des postes de contrôle sur les autoroutes dans la zone frontalière des 20 kilomètres, cette recommandation montrant que le dogme de la libre circulation était en train de perdre de sa force.

M. François Loncle, ayant noté la complémentarité de ce rapport avec celui qu'il avait présenté sur le même sujet devant la commission des affaires étrangères, et relevant l'intérêt des propositions concrètes de M. Jean-Marie Bockel, a rappelé que le fonctionnement de l'espace Schengen reposait sur la double exigence de la liberté de circulation et de la garantie de la sécurité. Il a fait observer que le scepticisme à l'égard de la convention, tant des parlementaires que des Etats, avai été surmonté, l'évolution du Royaume-Uni et de l'Irlande sur la question des visas étant éclairante de ce point de vue. Ces deux pays souhaitent à présent s'intégrer à une partie du dispositif Schengen, ce qui pose à nouveau le problème de « l'Europe à la carte ». Il a estimé par ailleurs qu'il convenait de conserver une extrême exigence quant à l'efficacité du dispositif.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Marie Bockel a apporté les précisions suivantes :

- l'intégration de la coopération Schengen dans le cadre de l'Union européenne devrait être sans incidences sur son développement ultérieur : les négociations se dérouleront au sein des groupes de travail de l'Union ;

- les conventions de coopération policière et douanière récemment signées font l'objet de procédures de ratification devant le Parlement ; on constate donc un progrès par rapport à la procédure d'adoption des arrangements administratifs ;

- la dimension internationale et transfrontalière des questions traitées par la Convention est telle que, même en l'absence de celle-ci, les Etats auraient été contraints de trouver des solutions communes ;

- les observatoires situés aux frontières restent utiles comme lieu d'observation, s'ils ne le sont plus comme lieu de contrôle. On ne saurait regretter les contrôles aux frontières, dans la mesure où le système actuel permet aux services de deux pays frontaliers de coordonner leurs contrôles dans une large zone ; pour la région frontalière franco-allemande, par exemple, les contrôles pourront être coordonnés dans une zone atteignant 50 kilomètres au total.

Examinant le texte des conclusions du Rapporteur, la Délégation a modifié la première partie de celles-ci, consacrée à la coopération policiaire et douanière. A l'initiative de M. Jean-Claude Lefort, elle a placé dans cette partie l'alinéa demandant le renforcement des effectifs et des dotations de la police de l'air et des frontières.

Tout en marquant son accord avec le principe d'une clause de sauvegarde, M. François Loncle a contesté l'application qu'en fait la France aux frontières belge et luxembourgeoise : ce dispositif, motivé par la politique néerlandaise en matière de stupéfiants, est totalement inefficace, ainsi qu'il a pu le constater sur place, et il porte en outre préjudice à nos relations avec les autorités belges et néerlandaises. Il serait donc préférable de négocier avec celles-ci, en vue de définir, non des pratiques uniformes, ce qui serait irréaliste, mais des procédures de coopération. Sur le point 3 des conclusions, M. François Loncle a demandé des précisions sur la suppression envisagée de certains commissariats communs, à laquelle fait référence le rapport, estimant qu'il ne fallait surtout pas supprimer ces structures, mais au contraire en créer de supplémentaires.

M. Jean-Marie Bockel a indiqué qu'il était envisagé de supprimer deux d'entre eux, à la frontière franco-italienne puis, à terme, au pont de l'Europe.

La Délégation a ensuite adopté le point 4 des conclusions, dans lequel est évoquée la possibilité de constituer des unités binationales, après que M. Jean-Marie Bockel eut précisé qu'il s'agissait d'une proposition novatrice, qui contribuerait à faciliter et à rendre plus efficace le travail des services chargés de lutter contre l'immigration clandestine, dont les personnels montrent parfois leur découragement devant l'ampleur et la difficulté de la tâche. Le Rapporteur a en outre précisé, sur demande de M. François Loncle, que les contrôles dans les gares ouvertes au trafic international étaient inévitablement limités.

Sur le point 7, dans lequel est exprimé le souhait d'une plus grande décentralisation des échanges entre les services de police, le Président Alain Barrau a rappelé que, lors de la négociation de la Convention, la France figurait parmi les Etats les plus soucieux d'assurer une centralisation de l'information. Sans contester ce point, M. Jean-Marie Bockel a fait observer que les procédures de l'article 39, paragraphe 3, de la Convention sont, dans la pratique, assez lourdes à gérer et ne constituent pas toujours un progrès.

Abordant la deuxième partie des conclusions, consacrée à la lutte contre l'immigration clandestine, la Délégation a adopté un amendement de précision proposé par le Président Alain Barrau au point 9, appelant à la mise en place d'un dispositif de sanctions, analogue à celui existant en Allemagne, pour le franchissement des frontières extérieures françaises hors des points de passage autorisés au sens de la convention.

Dans la troisième partie des conclusions, relative à la criminalité et la délinquance, au point 15, qui évoque l'intense travail de coopération avec les services de police et de douane des pays candidats à l'élargissement, M. François Loncle, approuvé par le Rapporteur, a rappelé que de telles actions de coopération avaient déjà été engagées avec les services de police de certains pays candidats à l'adhésion.

Dans la quatrième partie, relative à la coopération judiciaire, interrogé par M. François Loncle sur les problèmes visés par le point 20 relatif à la transmission directe des demandes d'entraide judiciaire, M. Jean-Marie Bockel a précisé que les entretiens conduits avec des magistrats ont fait apparaître que certains pays maintiennent, en dépit du principe posé par l'article 53 de la Convention, la transmission centralisée des demandes, ce qui ralentit cette transmission et crée une dissymétrie avec les pays, qui, comme la France, ont mis en oeuvre la transmission directe.

M. François Loncle a observé que les magistrats avaient tendance à vouloir garder la mainmise sur les actes qui relèvent du domaine d'action de la police et de la gendarmerie, notamment sur ceux qui font l'objet de la coopération. Le Rapporteur s'est dit, sur ce point, favorable à une réflexion sur l'extension des domaines de coopération directe entre les services de police, la négociation de la Convention franco-allemande ayant acté les prérogatives plus étendues dont pourront se prévaloir les policiers allemands, mais non les policiers français.

La Délégation a ensuite adopté l'ensemble des conclusions dans le texte suivant :

« La Délégation,

    - Considérant que, dans l'espace de libre circulation instauré par les accords de Schengen, sécurité intérieure et sécurité européenne sont indissociables ;

I. - Sur la coopération policière et douanière :

    1 - Considérant que les conventions de coopération policière et douanière conclues par la France avec les pays limitrophes renforcent la complémentarité et la coordination des actions des services de police, de douane et de la gendarmerie dans les régions frontalières ;

    2 - Souhaite l'aboutissement des négociations entreprises avec la Belgique et le Luxembourg dans le but d'élaborer de telles conventions et regrette le retard pris dans ces négociations, alors que la région frontalière du Nord est confrontée à de nombreux trafics et à des flux d'immigration clandestine ;

    3 - Considérant que les commissariats communs instaurés par les accords bilatéraux conclus en 1995 et 1996 jouent un rôle important dans le cadre des missions imparties à la coopération transfrontalière : la situation géographique de ces commissariats, situés sur la frontière, est irremplaçable pour lutter contre les trafics et les fraudes, pour procéder à la réadmission des étrangers en situation irrégulière et pour effectuer les contrôles aux frontières intérieures en cas de rétablissement provisoire de ceux-ci ; regrette la suppression envisagée pour certains d'entre eux ;

    4 - Souhaite qu'une réflexion s'engage sur la possibilité de constituer des unités binationales de police ou de gendarmerie, appelées à exercer des missions précises, dans des lieux déterminés, avec des prérogatives de police également limitées. De telles patrouilles mixtes pourraient jouer un rôle très efficace, notamment en matière de lutte contre l'immigration clandestine, tant pour appréhender dans des lieux stratégiques les personnes en situation irrégulière que pour effectuer la réadmission ;

    5 - Souhaite que les conventions de coopération puissent établir un lien institutionnel avec les parquets dans le ressort desquels se trouveront les centres de coopération policière et douanières (CCPD) afin de faciliter et d'accélérer la délivrance des autorisations nécessaires à la mise en _uvre des procédures de coopération ;

    6 - Se félicite de la gestion performante du Système d'information Schengen (S.I.S) par l'administration française, tant pour le système central que pour la partie nationale ; demande toutefois que le service chargé du fonctionnement de la partie nationale SIRENE du S.I.S soit doté de personnels supplémentaires et bénéficie de conditions de travail plus appropriées, le raccordement des Etats nordiques au système en l'an 2000 devant entraîner de surcroît une augmentation des dossiers à traiter ;

    7 - Souhaite que les échanges entre les services de police soient plus directs et moins centralisés, afin de permettre aux enquêtes de gagner en rapidité et en efficacité ; demande, en conséquence, une réflexion sur l'évolution des dispositions de l'article 39, paragraphe 3, de la Convention d'application des accords de Schengen ;

    8 - Rappelle que le report des contrôles dans les zones frontalières et le choix du contrôle mobile sont illusoires sans l'augmentation des effectifs et des dotations des services de la police de l'air et des frontières, le contrôle mobile exigeant plus de moyens que le contrôle statique ;

II. - Sur la lutte contre l'immigration clandestine :

    9 - Appelle à l'amélioration du contrôle dans les gares ouvertes au trafic international et souligne en particulier la situation difficile de la gare de Lille-Europe ;

    10 - Considère qu'il conviendrait de sanctionner, comme le fait l'Allemagne, le franchissement des frontières extérieures françaises hors des points de passage autorisés au sens de la Convention ;

    11 - Souligne que les mesures prises dans le domaine de la politique de l'immigration doivent faire l'objet d'une concertation et d'une coordination à l'échelle communautaire ;

    12 - Considère que la lutte contre l'immigration clandestine impose des mesures en amont : l'envoi d'officiers de liaison des pays Schengen dans les pays d'émigration doit être développé, ainsi que la coopération policière internationale pour la formation d'experts dans le domaine des documents falsifiés ;

    13 - Regrette que la réadmission des étrangers en situation irrégulière auprès des autres Etats parties demeure difficile et souhaite la signature de nouveaux accords de réadmission plus complets, comme celui intervenu avec l'Italie, ainsi que la généralisation de ces accords avec l'ensemble des autres Etats parties ;

    14 - Considère que la préparation de l'élargissement de l'Union européenne doit inclure un intense travail de coopération avec les services de police et de douane des pays candidats, afin de rendre plus sûres leurs frontières extérieures ;

III. - Sur la lutte contre la criminalité et la délinquance :

    15 - Regrette l'utilisation insuffisante des droits d'observation et de poursuite instaurés par la convention ; suggère une réforme de ces droits, afin d'alléger les restrictions qui affectent l'exercice du droit d'observation et d'établir la liste harmonisée des infractions autorisant la poursuite ;

    16 - Soutient l'organisation des projets pilotes transfrontaliers avec les pays limitrophes, afin de développer les méthodes de travail en commun ;

    17 - Estime que les observatoires douaniers, qui jouent un rôle important pour la recherche des infractions, ne doivent pas être remis en cause ;

    18 - Souligne que les conditions d'un travail efficace tant des services de douane que de ceux de la police de l'air et des frontières doivent être assurées, ce qui implique l'aménagement d'aires de stationnement sur les nouvelles infrastructures autoroutières situées en région frontalière ;

IV. - Sur la coopération judiciaire :

    19 - Constate que la Convention a contribué à rendre plus simple et plus rapide la transmission des demandes d'entraide judiciaire ;

20 - S'interroge cependant sur les raisons pour lesquelles certains Etats parties maintiennent une pratique contraire à la lettre et à l'esprit de la Convention en continuant de faire transiter les demandes d'entraide par les chancelleries ;

    21 - Estime qu'une réflexion sur les moyens d'accélérer le délai d'exécution des demandes d'entraide judiciaire devrait être entreprise au sein des groupes de travail de l'Union européenne ;

22 - Soutient les projets européens visant à transmettre directement de juge à juge les dénonciations officielles aux fins de poursuite ;

    23 - Soutient les initiatives du Gouvernement visant à réduire les entraves à la coopération judiciaire, qui n'ont plus lieu d'être dans l'espace unifié que forment entre eux les Etats Schengen ;

    24 - Souhaiterait à cet égard que soit étudiée l'hypothèse de la création d'une structure composée de magistrats des quinze pays de l'Union européenne, chargée de faciliter l'entraide entre magistrats européens - à l'instar d'Europol - et d'élaborer des propositions d'harmonisation des droits nationaux. »

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