DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 86

Réunion du jeudi 7 octobre 1999 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Communication du Président sur l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Décision relative au dépôt d'une proposition de résolution

Situant sa réflexion dans la perspective du Conseil européen extraordinaire de Tampere, organisé par la présidence finlandaise les 15 et 16 octobre et consacré à l'établissement d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, le Président Alain Barrau a indiqué que ce thème figurait également à l'ordre du jour des travaux de la prochaine réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).

Il a ajouté que la Délégation pourrait prendre position sur cette question par la voie d'une proposition de résolution sur un texte communautaire tendant à améliorer tout un pan de la coopération judiciaire en matière civile, à savoir la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale des enfants communs (document E 1270).

L'Europe économique est très avancée, l'Europe politique progresse lentement, l'Europe judiciaire reste à faire : si les frontières entre les Etats membres ont été supprimées pour les travailleurs, les biens, les services et les capitaux, elles ont subsisté à l'égard des magistrats, des procédures et des décisions de justice. Deux séries de conséquences en découlent :

- d'une part, des situations inextricables pour les justiciables, confrontés à la triple incertitude de la loi applicable, de la juridiction compétente et de l'exécution dans le pays voisin d'un jugement rendu en France. C'est en particulier le cas des nombreux couples franco-allemands aux prises avec des obstacles de cette nature et même parfois avec des décisions de justice contradictoires en matière de divorce et de garde des enfants ;

- d'autre part, le maintien des frontières dans le domaine de la justice et des affaires intérieures favorise la criminalité transfrontalière : les poursuites s'arrêtent aux frontières, les commissions rogatoires s'enlisent, les procédures sont bloquées, tandis que la délinquance et la criminalité s'organisent dans un espace très vaste. Les Européens comprennent difficilement que quinze Etats incriminant et punissant des comportements identiques conservent des procédures pénales faisant obstacle aux poursuites et que cette inorganisation de l'Europe judiciaire profite au délinquant et pénalise le citoyen.

Rarement sans doute le décalage aura paru si grand entre l'impératif d'un rapprochement étroit et la timidité des actions entreprises. Selon les propos d'un ancien parlementaire européen, « la libre circulation du crime sans la libre circulation des juges est insupportable pour les citoyens ». Cette opinion rejoint le point de vue exprimé par le professeur Mireille Delmas-Marty, pour qui la coexistence d'un marché unique et de quinze juridictions nationales aboutit à « ouvrir largement les frontières aux délinquants pour les refermer aux organes chargés de la répression ». A l'heure où, parallèlement à la mondialisation de l'économie, la criminalité se globalise, la réponse à ce phénomène ne peut rester circonscrite dans le cadre national.

Il est vrai que les questions de cette nature sont liées à des compétences régaliennes et reflètent des conceptions, des traditions et des organisations juridiques fort différentes. Dès lors, la coopération judiciaire progresse très lentement, en matière civile comme en matière pénale.

La création du IIIème pilier de l'Union européenne par le Traité de Maastricht a eu pour effet d'instituer une coopération intergouvernementale en matière civile et pénale. Plusieurs conventions ont ainsi été signées dans le cadre du troisième pilier, comme celles relatives à la lutte contre la corruption, à la fraude, à l'extradition, mais très peu sont entrées en vigueur, faute de ratification par tous les Etats membres de l'Union européenne. La convention de Dublin relative aux procédures de demandes d'asile est entrée en vigueur en 1997, mais elle avait été signée en 1990, avant l'institution du IIIème pilier. Quant à la convention Europol, elle est en principe entrée en vigueur le 1er octobre 1998, mais son l'application a été paralysée par l'absence de ratification des textes relatifs à l'autorité de contrôle commune et aux privilèges et immunités des personnels. En d'autres termes, le processus de décision intergouvernemental a montré ses limites. Certes, la nomination de magistrats de liaison a favorisé une coopération opérationnelle, mais les commissions rogatoires continuent à se heurter à des difficultés tant juridiques que culturelles, lorsqu'elles sont adressées aux services relevant d'un autre Etat membre.

Le traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, considère comme un objectif de l'Union européenne la réalisation d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il a institué en outre deux catégories de dispositions nouvelles : celles du Titre IV du traité instituant la Communauté européenne (TCE), consacré aux « visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes » ; celles du Titre VI du traité instituant l'Union européenne (TUE), qui prévoient le recours à de nouveaux outils pour renforcer la coopération judiciaire en matière pénale : elles reconnaissent à la Commission un droit d'initiative, donnent au Conseil la faculté de prendre des décisions-cadres et des décisions et assouplissent les conditions d'entrée en vigueur des conventions.

En communautarisant la coopération judiciaire civile, en rénovant la coopération judiciaire pénale et en modifiant l'équilibre institutionnel, le traité d'Amsterdam constitue donc une nouvelle étape dans ce processus.

Le Conseil européen de Vienne en décembre 1998 a donné une traduction concrète aux priorités et au calendrier fixés par le traité d'Amsterdam, en approuvant le plan d'action élaboré par le Conseil et la Commission.

Les objectifs assignés à la coopération judiciaire civile, qui relève désormais du premier pilier, s'ordonnent autour de trois idées : l'amélioration et la simplification des actes judiciaires et extrajudiciaires, la solution des conflits de lois et de compétences et l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles. Plusieurs chantiers doivent par ailleurs être ouverts : ils portent notamment sur le règlement des procédures d'insolvabilité, sur le divorce, sur les modèles de solution non judiciaire des litiges, sur le recensement des règles de procédure civile ayant des implications transfrontalières et sur la coopération judiciaire en matière d'obtention de preuves.

Les Etats membres sont invités à accélérer la coopération judiciaire, à faciliter entre eux l'extradition, à assurer la compatibilité des règles applicables et à prévenir les conflits de compétences. Ils devront adopter progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions et aux sanctions pénales applicables dans trois domaines, à savoir : la criminalité organisée, le terrorisme et le trafic de drogue.

En ce domaine, le Parlement européen exerce un rôle consultatif ; le contrôle juridictionnel à titre préjudiciel n'est possible que s'il est accepté par les Etats membres et en outre, la Cour de justice n'est compétente pour contrôler la légalité des décisions-cadres et des décisions que lorsque le recours est formé par un Etat membre ou par la Commission. Quant aux parlements nationaux, leur rôle a été reconnu par un protocole annexé au traité d'Amsterdam, qui tend à préserver un délai d'examen des propositions législatives de la Commission et consacre l'existence de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Celle-ci peut désormais soumettre aux institutions toute contribution sur les activités législatives de l'union et examiner, de sa propre initiative, toute proposition législative en relation avec la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Enfin, depuis la révision constitutionnelle du 25 janvier 1999, notre Assemblée peut se prononcer sur les projets d'actes de l'Union européenne (IIe et IIIe piliers) et non plus seulement sur les propositions d'actes communautaires (Ier pilier).

La présidence finlandaise a présenté un document qui pourrait déboucher sur des conclusions très concrètes lors du Conseil européen de Tampere. Elle suggère que l'on s'attache particulièrement à favoriser l'accès à la justice et à prendre en compte les droits des victimes ; elle plaide également pour la suppression des obstacles techniques, administratifs et juridiques à la coopération judiciaire civile ; elle milite enfin pour l'institution d'un principe de reconnaissance mutuelle et pour l'introduction de normes minimales en matière de règles de fond et de procédure. Parmi ces propositions, celles qui visent à favoriser l'accès à la justice et à simplifier la reconnaissance des décisions de justice et à améliorer la situation des victimes méritent de retenir plus particulièrement l'attention.

Le Président à relevé l'intérêt que présenteraient l'institution d'un titre exécutoire européen et, en tout état de cause, la simplification des exigences procédurales en matière d'exequatur. Dans un mémorandum destiné à préparer le sommet de Tampere, l'Espagne a insisté sur la nécessité d'avancer vers la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, aussi bien en matière pénale qu'en matière civile. L'objectif, auquel il a souscrit, est que la décision d'un juge d'un Etat membre puisse avoir la même valeur dans cet Etat que la décision rendue par le juge d'un autre Etat membre. Les autres efforts à accomplir en matière de procédure portent sur la notification des documents, l'obtention des preuves, les mesures provisoires, l'aide juridique, l'exécution des arrêts et les injonctions de payer. S'agissant des règles de fond, des progrès sont attendus en matière de droit des contrats dans des domaines tels que les contrats de franchise et le crédit-bail.

Le Président Alain Barrau a estimé que, dans le domaine de la coopération judiciaire pénale, trois scénarios étaient envisageables pour l'Union européenne. La première option, minimaliste, consisterait à continuer à opérer dans le cadre intergouvernemental classique, en consacrant toujours davantage d'efforts au développement de la coopération opérationnelle entre policiers et entre magistrats et en favorisant les échanges d'informations.

La solution maximaliste s'orienterait vers la création d'un ministère public européen qui, dans un premier temps, se bornerait à centraliser l'information judiciaire et, dans un second temps, exercerait l'action pénale publique devant les juridictions des Etats membres. Cette voie dépasserait largement le cadre du corpus juris pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, lié à la convention du 26 juillet 1995 et à ses deux protocoles additionnels du 27 septembre 1996 et du 19 juin 1997, lesquels sont en cours de ratification. Les arguments qui plaident pour l'institution d'un parquet européen compétent pour la poursuite de la criminalité transfrontalière ne sont pas sans fondement, mais elle supposerait, au préalable, une harmonisation des législations pénales et des procédures. Cette proposition qui, il y a peu, semblait utopique, semble être mieux admise, puisque, lors de la réunion préparatoire du sommet de Tampere, à Turku, le 16 septembre dernier, seule la Grèce s'est prononcée ouvertement contre une telle idée. Mais bien des questions restent posées : par qui devrait-il être saisi ? Quels seraient ses pouvoirs ? Quels seraient ses rapports avec la Cour de justice des Communautés européennes ?

Abordant enfin la question de la Charte des droits fondamentaux qui figure également à l'ordre du jour de Tampere, le Président a évoqué les éléments du débat sur la portée et la valeur d'une telle charte. Le Conseil européen de Cologne, en juin 1999, a estimé qu'il convenait de réunir les droits fondamentaux communs aux Etats membres. La définition du contenu de cette Charte est plus problématique. On pourrait soutenir que les droits et libertés fondés sur la convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes sont ancrés dans notre système juridique. L'article 6 du traité sur l'Union européenne rappelle que « L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres ». Cet article affirme également que l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres.

Toutefois, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme montre que certains droits sont insuffisamment protégés par les textes nationaux et que, par conséquent, leur consécration est toujours une _uvre inachevée. De surcroît, la Communauté n'a pas compétence pour adhérer à la convention européenne des droits de l'Homme.

Bien des questions restent posées, notamment sur la valeur juridique et la portée de cette Charte. Comment seront mis en _uvre les droits qui seront proclamés ? A quelles règles sera soumise l'adoption du texte ? Comment s'harmonisera-t-il avec la convention européenne des droits de l'Homme ? Une saisine directe par le citoyen de la cour compétente sera-t-elle prévue ? Si la Cour de justice des Communautés européennes reçoit compétence pour protéger ces droits, comment ces nouvelles attributions s'articuleront-elles avec celles de la Cour européenne des droits de l'homme ? Quelle sera l'étendue des compétences de la Cour de justice ? Pourra-t-elle renvoyer des questions d'interprétation à la Cour européenne des droits de l'Homme, selon un mécanisme identique à celui de l'article 234 du TCE ? Le débat est donc loin d'être épuisé.

En conclusion, le Président Alain Barrau a suggéré à la Délégation de déposer une proposition de résolution pour attirer l'attention du Gouvernement sur les points qu'elle souhaite voir développer à Tampere.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Gérard Fuchs, observant que l'embryon de droit pénal européen dont il sera question au Conseil européen de Tampere se limiterait sans doute à la lutte contre la contrefaçon de l'euro, a suggéré que les incriminations et la répression des nouveaux délits fassent l'objet de textes élaborés en commun, solution préférable à celle consistant à harmoniser après coup des lois que les Etats auraient élaborées chacun de leur côté. Cette méthode devrait être retenue non seulement pour la contrefaçon de l'euro mais aussi dans d'autres domaines, par exemple la lutte contre les utilisations répréhensibles de l'Internet. Il a donc suggéré à la Délégation, qui l'a approuvé, de compléter la proposition de résolution en ce sens.

Rappelant qu'il s'était opposé à la communautarisation du troisième pilier, partiellement organisée par le traité d'Amsterdam, notamment pour la libre circulation des personnes, M. François Guillaume a souligné que les droits nationaux, surtout en matière pénale, résultaient d'une stratification de textes marquées par une histoire et des traditions fort différentes. S'il est vrai que les justiciables européens peuvent se trouver de ce fait dans des situations complexes, la mesure de simplification la plus efficace devrait consister à ralentir la production de lois. Or, telle n'est pas la voie choisie par la France, qui, avec des textes comme celui instituant le PACS, ne fait qu'accroître la diversité législative. Tout en reconnaissant que la criminalité s'était mieux adaptée à l'espace européen que la justice, il a souhaité que l'on ne s'engage pas dans des voies trop audacieuses, dont on mesurerait mal la portée.

La Délégation a ensuite abordé l'examen de la proposition de résolution.

Mme Nicole Catala a contesté la rédaction du cinquième considérant selon lequel, pour atteindre l'objectif de communautarisation de la coopération judiciaire civile prévue par le traité d'Amsterdam, l'Union européenne devrait parvenir à une harmonisation des droits et procédures, notamment en matière de droit de la famille. Il lui est apparu inapproprié de vouloir résoudre les difficultés des couples franco-allemands par l'harmonisation du droit civil des Etats membres, ce droit relevant de la seule compétence des Etats et reposant sur des conceptions très différentes. S'il convient d'améliorer et de simplifier les procédures, de rendre compatibles entre elles les procédures en vigueur dans les Etats membres, en revanche, les règles du droit international privé doivent continuer à régir les litiges opposant les ressortissants d'Etats membres différents.

Le Président Alain Barrau a relevé que l'article 65 du TCE incluait, dans la coopération judiciaire civile, les mesures tendant à améliorer la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et éliminer les obstacles au bon déroulement des procédures civiles.

Après l'intervention de M. Camille Darsières, la Délégation, sur la suggestion de Mme Béatrice Marre, a décidé de substituer à l'alinéa contesté une référence à l'article 65 du TCE. Par coordination, le point 4 de la proposition de résolution, relatif à la coopération judiciaire en matière civile, a fait l'objet d'une nouvelle rédaction.

Examinant les dispositions consacrées à la coopération judiciaire pénale, la Délégation a adopté celles qui traitent de l'action de l'Union européenne dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue. Mme Nicole Catala a toutefois contesté la possibilité d'établir une distinction claire, dans la définition des éléments constitutifs des infractions pénales, entre les règles minimales relevant de l'harmonisation communautaire, et les autres règles, laissées aux Etats membres.

Tout en convenant des incertitudes que peuvent receler ces notions, le Président Alain Barrau a rappelé que l'article 31 du traité sur l'Union européenne incluait dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale l'adoption de mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables à la criminalité organisée, au terrorisme et au trafic de drogue.

La Délégation a ajouté, à l'initiative de M. Gérard Fuchs, un point exprimant le souhait que le Conseil européen se fixe également pour priorité l'élaboration d'un droit pénal européen pour les infractions nouvelles à caractère transnational, comme la contrefaçon de l'euro ou l'utilisation répréhensible d'Internet. M. Jacques Myard a toutefois indiqué que, de son point de vue, les Nations-Unies constituent une enceinte plus appropriée que l'Union européenne pour définir des règles communes pour l'utilisation d'Internet. Dans le même esprit, Mme Nicole Catala, sans contester l'utilité de telles règles, a marqué sa préférence pour l'élaboration d'une convention internationale et souligné que la technique des lois uniformes résultant de conventions internationales pourrait être mise en _uvre avec profit. Mme Béatrice Marre et le Président Alain Barrau ont estimé que les Etats membres de l'Union européenne ne pourraient résister à la pression du droit anglo-saxon que s'ils rapprochaient leurs règles et leurs concepts.

L'examen du point 6, relatif au ministère public européen a donné lieu à un large débat. Cette disposition prévoyait initialement que, si l'institution d'un ministère public européen s'avérait être le moyen le plus sûr, à long terme, de lever les obstacles à la coopération judiciaire en matière pénale, il conviendrait au préalable d'harmoniser les procédures pénales applicables dans les Etats membres.

Mme Nicole Catala, MM. Jacques Myard, Maurice Ligot, François Guillaume et Jean-Bernard Raimond se sont déclarés opposés à ce paragraphe. M. Jacques Myard et Mme Nicole Catala ont notamment fait valoir qu'un tel degré d'intégration ne se rencontrait même pas au sein des Etats de type fédéral. Le Président Alain Barrau a souligné que la multiplication des relations transfrontalières au sein de l'Union européenne appelait des évolutions en matière de droit des personnes. Rappelant par ailleurs que le débat sur les moyens de renforcer la coopération judiciaire pénale est aujourd'hui ouvert, il a estimé nécessaire de faire progresser la réflexion sur ce point. Il a noté que l'institution d'un Parquet européen, qui, il y a peu, semblait utopique, commençait à être mieux admise. Après que M. François Loncle eut lui aussi exprimé ses réticences, la Délégation a décidé, sur la proposition de Mme Béatrice Marre, de limiter le point 6 au souhait d'une harmonisation des procédures pénales.

A l'issue de ce débat, la Délégation a décidé de déposer la proposition de résolution dans le texte suivant :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu l'article 65 c) du Traité instituant la Communauté européenne modifié par le Traité d'Amsterdam,

- Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale des enfants communs [COM (99) 220 final / document E 1270],

Considérant que cette proposition de règlement, qui reprend pour l'essentiel les stipulations de la convention adoptée par le Conseil le 28 mai 1998 concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale constitue une étape fondamentale dans la construction progressive d'un espace judiciaire européen au bénéfice des citoyens européens ;

Considérant qu'elle reconnaît une compétence aux autorités judiciaires pour trancher les conflits matrimoniaux et assure la reconnaissance et l'exécution d'une décision d'un Etat membre dans tous les autres Etats membres selon des procédures simplifiées ;

Considérant qu'elle a vocation à s'appliquer à toutes les procédures civiles relatives au divorce, à la séparation de corps ou à l'annulation du mariage des époux ainsi qu'aux procédures civiles relatives à la responsabilité parentale à l'égard des enfants communs des époux au moment de l'action matrimoniale ;

Considérant que si elle constitue une première pierre dans la voie de la communautarisation de la coopération judiciaire civile, prévue par le traité d'Amsterdam, celle-ci doit faire l'objet d'un programme d'action conforme aux stipulations de l'article 65 du traité instituant la Communauté européenne ainsi que l'a décidé le Conseil européen de Vienne le 3 décembre 1998 ;

Considérant que l'accès à la justice et les droits à réparation des victimes constituent une dimension essentielle de la coopération judiciaire civile ;

Considérant que la reconnaissance mutuelle des décisions en matière civile et commerciale doit permettre également d'améliorer de façon décisive cette coopération ;

Considérant que l'unité de l'espace judiciaire européen montre que les problèmes de coopération judiciaire civile ne peuvent être traités séparément des questions de coopération judiciaire pénale ;

Considérant qu'à ce titre, les jugements en matière pénale se heurtent également à des difficultés d'exécution, les décisions prises par les autorités judiciaires nationales n'étant pas reconnues de plein droit dans les autres Etats membres ;

Considérant que la coopération entre les services répressifs et les juges des Etats membres de l'Union européenne doit être renforcée ;

Considérant que l'Union européenne doit adopter des instruments permettant le rapprochement des législations des Etats membres, en ce qui concerne les éléments constitutifs de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ainsi que les sanctions qui leurs sont applicables ;

Considérant que la nécessité de l'instauration d'un contrôle judiciaire sur Europol ne manquera pas de se poser à terme ;

I - Sur la coopération judiciaire civile :

1. Souhaite que l'Union européenne s'attache à définir une stratégie propre à garantir aux citoyens européens une plus grande sécurité juridique ;

2. Estime que la réalisation de cet objectif implique : un accès plus simple à la justice ; une identification de la juridiction compétente et du droit applicable ; la résolution des conflits de lois sur la compétence judiciaire ; la reconnaissance et l'exécution automatique des jugements, sur les modèles de la convention révisée de Bruxelles et de Lugano et de la convention de Bruxelles II ;

3. Demande l'achèvement des procédures de ratification des conventions signées, lorsque l'entrée en vigueur d'un règlement reprenant le contenu d'une convention apparaît trop lointaine ;

4. Souhaite que l'Union européenne s'attache à harmoniser les normes de procédure civile applicables par les Etats membres ;

5. Souligne la nécessité de mieux protéger les victimes, en leur garantissant un droit effectif à réparation, l'indemnisation de leurs préjudices étant aujourd'hui inégale d'un Etat à l'autre.

II - Sur la coopération judiciaire pénale :

1. Souhaite la ratification des conventions de coopération judiciaire pénale en instance par tous les Etats membres de l'Union européenne ;

2. Soutient le renforcement de la coopération entre les services répressifs et les juges des Etats européens ;

3. Insiste sur l'urgence que revêt la signature du projet de convention d'entraide judiciaire en matière pénale ;

4. Souhaite que le Conseil européen de Tampere mette tout en _uvre pour instaurer des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue, conformément à l'article 31 e) du traité sur l'Union européenne ;

5. Souhaite que ce Conseil européen fixe également comme priorité l'élaboration d'un droit pénal européen pour les infractions nouvelles à caractère transnational comme la contrefaçon de l'euro ou l'utilisation répréhensible de l'Internet ;

6. Fait valoir que si Europol doit devenir un outil opérationnel d'enquête comme le prévoit l'article 30 du traité sur l'Union européenne, il apparaît nécessaire de soumettre à terme cet organe à un contrepoids judiciaire et politique ;

7. Souhaite la poursuite de l'harmonisation de la procédure pénale applicable dans les Etats membres de l'Union européenne. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

La Délégation a examiné des textes relatifs respectivement à la justice et aux affaires intérieures, à la politique commerciale de l'Union européenne et au budget communautaire.

La Délégation a tout d'abord examiné, sur le rapport de M. François Loncle, la proposition de règlement du Conseil relatif aux procédures d'insolvabilité (E 1269 rectifié). Le Rapporteur a présenté les grandes lignes du texte, qui s'applique aux procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur, personne physique ou morale. Le texte définit des règles de compétence, simplifie la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière d'insolvabilité, réglemente les procédures secondaires et renforce les droits des créanciers. Il ne comporte pas d'innovation par rapport à la convention européenne relative aux procédures d'insolvabilité signée à Bruxelles le 23 novembre 1995. Mme Nicole Catala et M. Jacques Myard se sont interrogés sur l'opportunité de transformer en règlement le texte d'une convention. Le Président Alain Barrau a rappelé que la Convention de 1995 n'avait pu entrer en vigueur, faute d'une ratification en temps utile par le Royaume-Uni. Après que Mme Nicole Catala eut souhaité que la Délégation puisse faire le point sur les conventions européennes non ratifiées et exprimé le souhait de disposer d'informations complémentaires sur la représentation des salariés dans la procédure de faillite instituée par la proposition de règlement, la Délégation a considéré que celle-ci n'appelait pas d'objection de sa part.

La proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale des enfants communs (E 1270) a été traitée dans le cadre de la communication du Président sur l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice, et a donné lieu au dépôt d'une proposition de résolution.

Le Président Alain Barrau a ensuite présenté le document E 1283 (proposition de décision du Conseil relative à la lutte contre la pédopornographie sur Internet) et souligné que ce texte, pour l'adoption duquel aucune date n'est fixée, souffre de plusieurs défauts : il est peu volontariste, il fait double emploi avec une série de textes peu normatifs et non coordonnés, édictés depuis 1995 ; enfin, pour que la coopération proposée avec Europol soit pleinement effective, il conviendrait d'étendre les attributions de cet organisme, ce qui n'est pas prévu. Après que M. Jacques Myard eut exprimé son accord pour une coopération internationale poussée sur ce sujet, mais aussi ses doutes sur la méthode employée, la Délégation a décidé de lever la réserve d'examen sur ce texte.

Abordant la politique commerciale de l'union européenne, le Président Alain Barrau a présenté cinq textes dont il avait été saisi en urgence par le ministre des affaires européennes au cours de l'été et sur lesquels il avait accepté de lever la réserve d'examen parlementaire :

- le document E 1272 concernant l'application provisoire de l'accord entre la Communauté européenne et le Royaume du Népal sur le commerce de produits de textiles. Le Président a indiqué que, conformément aux souhaits émis par la Délégation, un état récapitulatif des échanges résultant des accords conclus par l'Union européenne dans le domaine des produits textiles lui avait été adressé et figurerait en annexe au rapport ;

- le document E 1273 (proposition de règlement du Conseil relatif au régime applicable aux importations de produits originaires d'Albanie), destiné à aligner le régime des importations de l'Albanie vers la Communauté sur celui des pays voisins issus de l'ancienne Yougoslavie ;

- le document E 1274 (proposition de règlement du Conseil concernant l'importation de certaines céréales originaires d'Algérie, du Maroc et d'Egypte) ;

- le document E 1282 (proposition de décision du Conseil concernant l'application provisoire de l'accord de commerce, de développement et de coopération entre la Communauté et ses Etats membres d'une part, et la République d'Afrique du Sud d'autre part). Le Président Alain Barrau a indiqué que ce texte avait pour objet d'appliquer, à compter du 1er janvier 2000, les seules dispositions de l'accord qui relèvent des compétences communautaires, sans attendre l'achèvement des procédures de ratification nationales d'un accord mixte relevant des compétences de la Communauté européenne et de celles des Etats membres. Le Conseil Affaires générales l'a adopté le 29 juillet 1999 et la signature de l'accord de commerce, de développement et de coopération est prévue pour le 11 octobre. Toutefois, l'absence de progrès dans les négociations de l'accord séparé sur les vins et spiritueux, qui devait être conclu au plus tard en septembre 1999 pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2000, conduit les autorités communautaires à s'interroger sur l'application immédiate d'un contingent tarifaire à droit nul de 32 millions de litres ouvert au vin sud-africain, figurant en liste 6, annexe IV de l'accord global. La Présidence de l'Union européenne a entrepris les démarches nécessaires auprès des autorités sud-africaines. Le prochain examen par la Délégation du document E 1303, relatif à certaines procédures de mise en _uvre de l'accord de commerce, de développement et de coopération, devrait permettre de faire le point sur l'évolution de ce dossier ;

- le document E 1307 (proposition de décision du Conseil acceptant la prorogation de l'accord international sur le café de 1994). Ce projet n'a été transmis à l'Assemblée nationale que le 23 septembre, alors que l'échéance de l'accord, intervenue le 30 septembre 1999, résultait d'un texte datant de cinq ans. M. François Guillaume a estimé que cet accord était une coquille vide, au moyen de laquelle les producteurs de café se sont organisés entre eux pour réguler le marché ; un accord plus sérieux devrait être négocié dans deux ans sur le modèle de l'accord sur le cacao.

Le Président Alain Barrau a ensuite présenté la proposition de règlement du Conseil portant ouverture, à titre transitoire, d'un contingent tarifaire annuel de viande bovine séchée désossée en provenance de Suisse (« viande des Grisons »), jusqu'à l'entrée en vigueur du nouvel accord, signé le 21 juin dernier, relatif aux échanges de produits agricoles et de six autres touchant à divers secteurs (E 1304). Ce texte n'a pas suscité d'objection de la part de la Délégation.

· Abordant les documents portant sur les questions budgétaires et financières, la Délégation a accepté la levée de la réserve d'examen parlementaire sur les documents E 1302 (lettre rectificative n° 1 à l'avant-projet de budget pour l'exercice 2000) et E 1305 (projet de lettre rectificative aux prévisions budgétaires du Conseil pour l'exercice 2000).

S'agissant du document E 1267, annexe 3 (avant-projet de budget rectificatif et supplémentaire n° 4/1999, section III - Commission), le Président Alain Barrau a rappelé que ce texte avait été adopté dans des conditions peu acceptables, qui ont d'ailleurs fait l'objet d'un échange de correspondance entre le Président de la Délégation et le Gouvernement, le ministre délégué chargé des affaires européennes ayant répondu - pour en appuyer la position - à la lettre critique que lui a adressé le Président dans le cadre de la procédure d'urgence. Cette procédure s'est elle-même déroulée dans des conditions inhabituelles : le texte ayant été adopté par le COREPER le jour même où il lui était soumis par la Commission, il n'y avait plus place pour une quelconque influence parlementaire. Sur le fond, les dispositions prises sont également contestables, puisqu'elles consistent à prélever des crédits afférents à la rubrique 1 (PAC) pour financer les actions extérieures de l'Union européenne (rubrique 4).

M. François Guillaume a jugé ce prélèvement inacceptable et, de surcroît, contraire à la distinction du régime des dépenses obligatoires et des dépenses non obligatoires. Ayant contesté la réalité d'excédents disponibles sous la rubrique 1, qui lui paraissent provenir d'une gestion déplorable du marché céréalier, il a regretté que la Commission tarde à exécuter les dépenses de la PAC et procède ensuite à ce type de redéploiement.

Examinant le document E 1284 (proposition de décision du Conseil relative au système des ressources propres de l'Union européenne), le Président Alain Barrau a indiqué que la proposition de décision tirait les conséquences des décisions prises par le Conseil européen de Berlin, qui a modifié le mode de calcul des contributions des Etats membres. Ces décisions se traduisent, en particulier, par un rééquilibrage au profit des pays qui sont actuellement les contributeurs nets les plus importants, la contribution française étant appelée à augmenter sensiblement. La France participera davantage à la compensation financière du rabais dont bénéficie la Grande-Bretagne depuis 1984 : selon le nouveau mode de calcul, son effort à ce titre serait, en valeur de 1999, de 1 251 millions d'euros contre 940 selon le système antérieur. Cet alourdissement de la participation financière de la France doit cependant être mis en rapport avec les autres décisions du Conseil européen de Berlin, qui ont conforté des mécanismes financiers auxquels les autorités françaises sont particulièrement attachées, dont la ligne directrice en matière agricole.

Pour M. François Guillaume, le fait que la part des ressources propres traditionnelles (droits de douane et agricoles, cotisations sur la production de sucre et d'isoglucose) retenue par les Etats membres au titre de leurs frais de perception soit portée de 10 à 25 % à partir de l'exercice 2001 favorise de manière singulière les Pays-Bas et la Belgique. Ayant contesté le maintien du rabais consenti à la Grande-Bretagne, qui lui semble aujourd'hui dépourvu d'objet, il a également jugé critiquable toute appréciation reposant sur les soldes nets.

Sur proposition du Président Alain Barrau, la Délégation a accepté la levée de la réserve d'examen parlementaire.

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