DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 91

Réunion du jeudi 18 novembre 1999 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

Le Président Alain Barrau a salué la présence d'un membre de la Diète fédérale allemande, M. Klaus Hagemann, député de Rhénanie-Palatinat, qui effectue avec plusieurs de ses collègues un séjour de contact organisé conjointement par l'Assemblée nationale et le Bundestag.

I. Rapport d'information de Mme Nicole Ameline sur la réforme de l'organisation commune des marchés dans le domaine de la pêche ; décision relative au dépôt d'une proposition de résolution (E 1230)

Mme Nicole Ameline, Rapporteur, a souligné le paradoxe qui caractérise depuis l'origine l'organisation commune du marché de la pêche (OCM Pêche), qui tend à une rationalisation et à une harmonisation des pratiques de commercialisation et de valorisation de la production dans un secteur marqué par une grande diversité. L'attachement constant de la France à cette organisation explique son souci particulier de la voir évoluer d'une manière conjuguant l'élargissement de ses compétences et la reconnaissance de la responsabilité et de l'initiative des professionnels dans son développement.

L'organisation commune du marché de la pêche est, dans le traité de Rome, l'une des branches de la politique agricole commune. Elle a été définie, pour la première fois, par le règlement du Conseil du 21 octobre 1970. L'architecture générale de ce texte présente déjà les caractéristiques qui seront globalement reproduites par les règlements ultérieurs jusqu'en 1992, à savoir : le régime des normes de commercialisation des produits ; le statut et les missions des organisations de producteurs ; le régime des prix comportant notamment le prix de retrait, le prix d'intervention communautaire, l'indemnité compensatoire (pour le thon) ; les relations douanières avec les pays extérieurs à la Communauté. La réglementation de 1970 a été successivement remplacée par les règlements du 19 janvier 1976 et du 29 décembre 1981, qui sont tous deux présentés comme des codifications du droit existant et qui permettent ainsi d'appréhender, à intervalles réguliers, les évolutions du droit applicable à l'organisation commune du marché. C'est en 1981 qu'est instituée la prime de report, qui incite les productions de la pêche à s'orienter vers l'industrie de transformation.

La période de dix ans pendant laquelle le règlement de 1981 est resté en vigueur, compte tenu de modifications, a été notamment marquée par l'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et l'institution formelle d'une politique commune de la pêche en 1983. La consolidation du régime de l'OCM Pêche par le règlement du 17 décembre 1992 témoigne de la pérennisation des dispositions particulières, telles que les prix de retrait et de report autonomes applicables aux espèces présentes sur des marchés régionaux. Le nouveau texte manifeste aussi, en prévoyant la délégation facultative aux organisations de producteurs de la gestion des quotas de capture, le lien plus étroit entre gestion de la ressource et organisation du marché.

Cette réglementation intégrée s'applique à un marché de la pêche affecté d'une grande diversité, que ce soit dans la répartition des captures ou de la production aquacole entre les quinze Etats membres ou dans la composition de la flotte. Certains Etats membres parmi les plus importants contributeurs de la Communauté, en particulier l'Allemagne, n'ont pas une flotte de pêche de grande ampleur. L'intérêt des différents Etats pour l'OCM Pêche est donc extrêmement variable. L'économie communautaire des produits de la mer est en outre caractérisée par une division de base entre le marché du frais et le marché des produits destinés aux industries de transformation. Le déficit structurel de l'approvisionnement de ces industries par la production communautaire, dans un contexte où l'offre extra-communautaire de produits de la mer avive la concurrence et accentue la pression sur les prix, a conduit à une assez large indépendance du marché du frais et du marché des produits transformés. La satisfaction des besoins des industriels de la transformation est, depuis plusieurs années, recherchée à la fois par la conclusion systématique d'accords bilatéraux de pêche et par l'ouverture raisonnée du marché communautaire aux importations grâce à une politique douanière adéquate. Quant aux organisations de producteurs, elles sont inégalement réparties sur le territoire des différents Etats de l'Union européenne et elles n'accomplissent pas nécessairement les tâches d'organisation du marché qui leur sont en principe assignées, se limitant, dans certains pays, à la gestion déléguée des quotas de pêche. Il en résulte des distorsions de concurrence dommageables pour la mise en _uvre effective de l'OCM.

Abordant les grandes lignes de la réforme proposée par la Commission européenne, le Rapporteur en a situé l'origine dans la crise de 1993, marquée par une profonde déstabilisation de la profession, à la suite notamment d'un effondrement des cours et la diminution rapide et importante des revenus des pêcheurs. En France, les Gouvernements successifs n'ont cessé de plaider pour la réforme de l'OCM Pêche dans le sens d'un renforcement effectif du rôle des organisations de producteurs et d'une politique harmonisée de suivi des importations.

La réforme, dont la Commission avait exposé les principes dans une communication du 19 décembre 1997, comporte quatre aspects : le renforcement des règles relatives à l'étiquetage, l'extension des compétences des organisations de producteurs aux actions de rationalisation et de planification, l'aménagement de l'équilibre entre prix de retrait et prix de report, et l'incitation à l'ouverture de relations interprofessionnelles, toutes ces mesures ayant pour objectif commun de favoriser l'adaptation de l'offre à la demande. Les discussions communautaires ont fait apparaître des réactions contrastées à la réforme proposée, le débat opposant les Etats où la production de produits de la mer a une importance économique significative et ceux qui dépendent largement de l'extérieur pour la satisfaction de leurs besoins de consommation. Les propositions de compromis de la présidence finlandaise vont plutôt dans le sens d'une atténuation de l'extension des compétences des organisations de producteurs et d'un desserrement des contraintes du régime des prix.

Mme Nicole Ameline a ensuite exposé les trois questions que lui paraît susciter la réforme au regard de l'évolution du marché de la pêche et de l'aquaculture :

- comment concilier les nouvelles obligations de planification et de gestion prévisionnelle, assorties de sanctions sévères, avec le caractère aléatoire de l'activité de pêche ?

- la proposition de règlement risque d'accentuer le caractère quasi-administratif de la mission confiée aux organisations de producteurs, tout en confirmant le caractère facultatif de l'adhésion à ces organisations ; elle pourrait également affaiblir la portée pourtant essentielle du prix de retrait comme garantie de sécurité pour les producteurs, ce qui n'encouragerait pas les dirigeants des organisations de producteurs françaises à développer leur action dans le sens d'une plus grande responsabilité ;

- on ne peut laisser subsister, sans une évaluation et un contrôle communautaires, une inégalité quantitative et qualitative aussi grande, selon les Etats, entre les interventions des organisations professionnelles.

Le Rapporteur a enfin déploré l'affaiblissement de la protection constituée par l'« indemnité compensatoire thon », avant de critiquer, comme l'ont fait les autorités françaises, l'institution de suspensions tarifaires généralisées pour certains produits destinés aux industries de transformation. La proposition transactionnelle de la présidence finlandaise, qui prévoit le maintien des contingents tarifaires, lui paraît constituer une réponse plus adéquate à la satisfaction des besoins de ces industries et ne démunirait pas l'Union européenne dans la perspective des négociations de l'Organisation mondiale du commerce.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Pierre Brana a souhaité savoir si l'extension à l'aquaculture du champ d'application de l'organisation commune de marché concernait toutes les espèces, avant de s'interroger sur le régime applicable aux espèces marines qui, telles les aloses, remontent les estuaires des fleuves et des rivières. Il a par ailleurs exprimé son accord avec le Rapporteur sur le caractère catastrophique que revêtirait, pour la pêche nationale, la suppression totale des droits à l'importation.

Le Président Alain Barrau, après avoir lui aussi déclaré partager le point de vue du Rapporteur sur les suspensions tarifaires, a demandé des précisions sur la flexibilité des règles applicables aux organisations de producteurs. Il a par ailleurs évoqué les difficultés qui surgissent périodiquement entre pêcheurs français et espagnols.

M. Daniel Paul, après avoir rappelé que les incidents franco-espagnols résultent des conditions d'exercice de la pêche, plus favorables en Manche que le long des côtes d'Espagne, s'est étonné de ce que le rapport n'aborde pas la question de l'évolution des techniques de pêche, les producteurs subissant pourtant de fortes pressions, d'inspiration écologiste, en faveur d'une modification de ces techniques. Il a souhaité savoir s'il existe des outils communautaires ou nationaux permettant d'évaluer les ressources halieutiques.

En réponse, Mme Nicole Ameline a apporté les éléments d'information suivants. La « flexibilité » des règles applicables aux organisations de producteurs signifie que la Commission semble avoir renoncé, au profit d'une démarche plus incitative, à l'idée de leur infliger, en cas de non-respect de leurs obligations, des sanctions pouvant aller jusqu'au retrait de la reconnaissance de leur statut. S'agissant de l'extension du champ d'application de l'organisation commune de marché à l'aquaculture, elle a indiqué que toutes les espèces produites selon cette méthode sont concernées, ce qui lui paraît exiger la mise en _uvre de règles précises d'étiquetage. Elle a précisé, en réponse aux questions de MM. Didier Boulaud et Jean-Claude Lefort, que la proposition de règlement ne vise que les produits de la mer, y compris la conchyliculture, et non les poissons d'eau douce. Enfin, tout en reconnaissant l'extrême importance des techniques de pêche et des outils permettant de connaître la réalité de la ressource, elle a noté que ces questions relevaient davantage des problèmes de structures que de ceux du marché, auxquels se limite la proposition de règlement faisant l'objet de son rapport.

La Délégation a ensuite examiné le texte de la proposition de résolution présentée par Mme Nicole Ameline.

A l'initiative de M. Maurice Ligot, la Délégation a ajouté un considérant pour souligner le caractère hétérogène des ressources de pêche des Etats membres et les difficultés qui en résultent pour la définition de l'organisation commune en ce domaine. Elle a ensuite inséré, à l'initiative de M. Daniel Paul et après les observations du Président Alain Barrau et du Rapporteur, un nouveau paragraphe appelant à l'élaboration concertée d'un outil communautaire permettant d'évaluer les ressources de pêche.

Le paragraphe 3, relatif à la valorisation des produits pêchés et à l'évolution des besoins des consommateurs, a fait l'objet d'une modification à l'initiative de M. Pierre Brana, après que M. Maurice Ligot eut relevé que le marché de la pêche était sensible à l'évolution de l'aquaculture, qui pèse sur les prix. La Délégation a ensuite adopté le paragraphe 4 relatif au maintien d'un mécanisme de retrait, après que Mme Nicole Ameline eut souligné, en réponse aux interrogations de M. Maurice Ligot, le caractère exceptionnel de ce type de mesure.

Au paragraphe 5, relatif aux organisations de producteurs, la Délégation a adopté, après intervention de Mme Nicole Catala, un amendement rédactionnel de M. Maurice Ligot. La Délégation a enfin ajouté, à l'initiative de M. Jean-Claude Lefort, un nouveau paragraphe soulignant l'importance des liens existant entre les Etats ACP et la Communauté dans le domaine de la pêche.

A l'issue de ce débat, la Délégation a décidé de déposer la proposition de résolution ainsi modifiée, dont le texte figure ci-après :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture (n°E 1230),

- Considérant que, dotée depuis 1970 d'une organisation commune de marché, l'activité de la pêche maritime est l'une des plus intégrées parmi les activités économiques de la Communauté européenne et qu'elle n'a cessé de l'être à travers les étapes successives de l'élargissement de la Communauté, y compris à des Etats caractérisés, comme l'Espagne et le Portugal, par l'existence d'un secteur de la pêche particulièrement actif,

- Considérant qu'à la suite de la grave crise de débouchés qui a frappé le secteur de la pêche en 1993 et a causé à de nombreux professionnels un préjudice très important, le Gouvernement français a proposé qu'une réforme de la politique commune des marchés de la pêche soit engagée de manière à rapprocher davantage l'offre de la demande de produits de la mer et à aider les professionnels, par l'intermédiaire de leurs organisations de producteurs, à mieux valoriser leurs produits, tout en favorisant, dans ce but, la concertation interprofessionnelle dans le secteur de la pêche,

- Considérant que les consultations préalables aussi bien que la phase de discussion préparatoire de la proposition de règlement ont montré l'existence persistante d'une divergence d'appréciation sur l'opportunité d'une organisation commune de marché, en fonction notamment de l'importance relative des secteurs de la production et de la transformation dans chacun des Etats membres,

- Considérant que l'hétérogénéité des ressources et des pratiques de pêche, ainsi que des structures de marché, rend délicate la définition de l'organisation commune de marché dans le cadre global de la politique commune de la pêche,

- Considérant par ailleurs que l'expérience montre de grandes différences de situation entre Etats, en ce qui concerne l'importance quantitative des organisations de producteurs, l'étendue réelle de leurs attributions et le degré de leur participation effective à la gestion du marché de la pêche ; que cette situation peut être génératrice d'inégalités, voire de distorsions de concurrence, particulièrement dommageables pour les organisations qui, comme c'est le cas en France, s'efforcent d'appuyer leur action sur une application intelligente et souvent innovante de la « règle du jeu » communautaire,

- Considérant qu'il est indispensable d'encourager les efforts consentis par les organisations de producteurs pour développer la valorisation des produits de la pêche, et améliorer, compte tenu des aléas propres à l'activité de pêche, la prise en compte des besoins des consommateurs lors des campagnes de pêche,

- Considérant que ce souci de favoriser les initiatives coordonnées des producteurs et, au-delà, le développement des relations interprofessionnelles dans la filière n'est pas compatible avec une inflexion excessive vers une organisation administrée du marché des produits de la mer, tendance à laquelle la proposition de règlement n'a pas totalement échappé,

- Considérant par ailleurs que ce rôle de régulation spontanée pourra être d'autant mieux assuré par les organisations de producteurs qu'elles continueront de disposer, avec le prix de retrait, d'un instrument de garantie minimal d'évolution des prix,

- Considérant que, même si les approvisionnements à l'importation des industries de la transformation sont, pour une large part, parallèles et non en concurrence avec le marché des produits frais de la mer, un abaissement total des barrières douanières par le biais des suspensions tarifaires risquerait par sa brutalité de compromettre l'effort nécessaire d'adaptation à l'ouverture progressive des échanges mondiaux,

- Considérant que, si la gestion rationnelle des ressources de pêche est devenue un élément essentiel de la politique commune de la pêche, l'inexistence de véritables outils communautaires d'évaluation prive cette politique des données compétitives nécessaires à la définition d'une véritable prospective et à la conduite de négociations internationales sur la pêche selon des bases claires,

- Considérant que, dans la mesure où la place de l'aquaculture dans l'organisation commune du marché sera effectivement et justement reconnue, l'amélioration de l'information du consommateur sur l'origine des produits de la mer présentés à la vente, qui devra porter au demeurant sur tous ces produits, quelle que soit cette origine, sera amplement justifiée par la nécessité de lui permettre un choix pleinement éclairé,

1. Affirme la nécessité de définir les outils nouveaux de la politique de la pêche, que ce soit pour l'organisation du marché, la réforme des actions structurelles ou la gestion de la ressource en donnant la plus grande ampleur possible à l'initiative responsable, dans chaque Etat et chaque région de pêche, des professionnels intéressés ;

2. Souhaite la mise au point concertée de véritables outils communautaires d'évaluation des ressources de pêche ;

3. Affirme que l'une des clés principales du développement stable du marché de la pêche à travers son organisation commune est l'amélioration de la valorisation des produits pêchés passant notamment par une sensibilité à l'évolution des besoins des consommateurs ;

4. Exige le maintien d'un mécanisme de prix de retrait donnant aux professionnels de la pêche une garantie minimale de sécurité ;

5. Demande que le rôle essentiel des organisations de producteurs dans cette tâche soit effectivement reconnu et privilégié, à travers une réévaluation et une consolidation des aides qui leur sont accordées, par rapport à un système de sanctions irréaliste et défavorable à la crédibilité de ces organisations ;

6. Constate que le développement très inégal selon les Etats membres des organisations de producteurs crée un risque de distorsion de concurrence dommageable à la cohérence de l'organisation commune de marché ; invite en conséquence le Gouvernement à prendre l'initiative de proposer au Conseil la préparation de mesures permettant une évaluation et un contrôle communautaires de l'effectivité des actions des organisations de producteurs dans les Etats membres ;

7. Appuie les initiatives prises pour favoriser le rapprochement des producteurs, mareyeurs, transformateurs et autres professionnels de la pêche et de l'aquaculture dans des structures interprofessionnelles de concertation ;

8. Approuve le développement de l'information des consommateurs sur l'origine et la qualité des produits, tout en rappelant que la raison d'être de cette information est d'aider les consommateurs à prendre une décision aussi éclairée que possible et non de multiplier les contraintes administratives ;

9. Réaffirme son attachement au système d'accords de pêche conclus avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ;

10. Exprime, particulièrement à la veille de l'engagement des nouvelles négociations sur l'Organisation mondiale du commerce, son accord avec la préférence marquée par le Gouvernement français pour une politique de contingents tarifaires à l'importation garantissant, là où c'est nécessaire, des approvisionnements stables aux industriels de la transformation, plutôt que des suspensions tarifaires aux effets mal mesurables et indifférenciés. »

II. Communication du Président sur les lignes directrices pour l'emploi en 2000 ; décision relative au dépôt d'une proposition de résolution (E 1306)

Le Président Alain Barrau a indiqué que la politique de l'emploi était à la fois l'une des avancées majeures de la Communauté au cours des dernières années et une priorité des Etats membres comme de l'Union européenne. Il a jugé essentiel que la Délégation suive de près cette politique, en rende compte régulièrement à l'Assemblée nationale, et cherche, dans la mesure du possible, à en améliorer le contenu. Il a rappelé que la Délégation avait eu l'occasion de faire part de sa position à plusieurs reprises sur ce sujet, notamment à l'occasion de deux rapports qu'elle lui avait confiés : « Après l'euro, l'emploi », en mai 1998, puis « Pour l'emploi », en novembre de la même année.

Il a précisé que, depuis lors, trois faits nouveaux étaient intervenus. D'abord, le Conseil européen de Cologne en juin dernier a institué un « dialogue macro-économique » entre les ministres de l'Economie, des Affaires sociales, les partenaires sociaux et la Banque centrale européenne. Deuxièmement, le Portugal a annoncé la tenue, en mars 2000, d'un Conseil européen extraordinaire consacré à l'emploi. Troisièmement, la Commission a adopté, en septembre dernier, ce qu'on appelle le « paquet emploi », à savoir : le projet de rapport annuel sur l'emploi, dit aussi « rapport conjoint », une proposition de lignes directrices pour l'emploi en 2000, et des recommandations pour les politiques de l'emploi de chaque Etat membre.

De l'examen de ces documents, il ressort deux idées-forces. En premier lieu, cette stratégie communautaire a contribué à l'amélioration de la situation : l'Union européenne a créé 1,8 million d'emplois en 1998 et, pour la première fois depuis 1990, l'emploi a progressé dans tous les Etats membres ; le taux de chômage dans la Communauté est passé de 10,5 % en 1997 à 9,9 % en 1998. Certains pays enregistrent des progrès particulièrement significatifs, tels que l'Espagne, dont le taux a été ramené de 20,8 % à 18,8 %, ou la Finlande, dont le taux a chuté de 13,1 % à 11,4 %. On note également des améliorations, tant en matière de formation, de systèmes d'indemnisation et d'imposition, d'apprentissage, de développement de l'esprit d'entreprise, d'aménagement du temps de travail, que d'association des partenaires sociaux.

Cette évolution n'en présente pas moins des limites : la Commission européenne souligne que, malgré quatre années de reprise économique, le taux d'emploi de l'Union (61 %) reste loin derrière celui des Etats-Unis et du Japon (75 %). Le taux d'emploi des femmes est de 20 points inférieur à celui des hommes ; celui des personnes âgées de 50 à 64 ans n'est que de 47,6 %. Par ailleurs, le chômage de longue durée, qui touche 5,2 millions de personnes, reste préoccupant, comme le chômage des jeunes qui, bien qu'ayant baissé en 1998, affecte encore 4,3 millions de personnes.

En France, la situation connaît une amélioration dans plusieurs domaines : le décollage de la croissance économique de 1997 s'est poursuivi en 1998, avec une hausse du produit intérieur brut de 3,2 % et une augmentation de l'emploi de 1,3 % ; le taux de chômage a été ramené de 12,4 % en 1997 à 11,7 % en 1998 et à 11 % en juillet 1999. Elle a particulièrement profité aux hommes, dont le taux de chômage est passé de 10,7 % en 1997 à 9,9 % en 1998. De plus, le chômage des jeunes s'est sensiblement réduit, puisqu'il était de 9,1 % en 1998 contre 10,1 % en 1997. La Commission n'en a pas moins adressé quatre recommandations à notre pays, portant respectivement sur la réforme des régimes de prestations sociales, la mise en _uvre de stratégies cohérentes visant à réduire les charges administratives pesant sur les entreprises, la poursuite et l'évaluation des actions destinées à réduire la pression fiscale sur le travail et le renforcement du « partenariat social ».

La deuxième idée-force est celle de la continuité : les lignes directrices pour 2000 s'inscrivent dans le prolongement des précédentes et, comme l'an dernier, elles appellent des améliorations. Si la proposition de lignes directrices pour 2000 met l'accent, à juste titre, sur l'action préventive, le passage de l'école au travail, l'accroissement du rôle des partenaires sociaux, l'application de taux réduit de TVA aux services à forte intensité de main-d'_uvre et la réintégration dans la vie active, elle peut être améliorée de deux manières.

Tout d'abord, en demandant que les suggestions présentées l'an dernier par la Délégation soient prises en compte, à savoir : la suppression de la référence aux minorités ethniques dans la ligne directrice 9 ; la fixation d'objectifs quantifiés et d'un calendrier pour les atteindre dans plusieurs domaines ; le renforcement de la ligne directrice 20 relative à la lutte contre la discrimination sexuelle ; la création d'une ligne directrice incitant les Etats à renforcer l'articulation entre les entreprises, la recherche et les universités, afin de favoriser le dépôt des brevets et leur exploitation ; l'insertion d'une disposition prévoyant que, hormis les cas où des objectifs quantitatifs sont fixés dans les lignes directrices, les Etats doivent se fixer de tels objectifs et un calendrier pour les atteindre ; l'ajout d'une ligne directrice obligeant les Etats à harmoniser leurs indicateurs de performance, de suivi et d'évaluation ; la création d'une ligne directrice prévoyant que la stratégie européenne de l'emploi fera l'objet d'une évaluation régulière et indépendante ; la demande d'études d'impact des mesures que les Etats envisagent de prendre dans le cadre des lignes directrices et le recensement des freins à la création d'emplois.

En second lieu, l'Assemblée pourrait inviter les autorités compétentes à obtenir quatre améliorations complémentaires : la modification de la proposition de la ligne directrice 15 pour tenir compte de l'adoption, en octobre 1999, de la directive autorisant les Etats à appliquer à titre expérimental un taux de TVA réduit sur les services à forte intensité de main-d'_uvre ; l'amélioration de la consultation des Etats membres au sujet des propositions de recommandation élaborées par la Commission ; un renforcement de la coordination des politiques économiques, et ce, en particulier dans le cadre de la future présidence française de l'Union européenne ; enfin, le lancement d'un emprunt européen destiné à financer un grand programme de travaux d'intérêt communautaire dans le domaine des infrastructures, des réseaux de communication ou des nouvelles technologies.

En conclusion, le Président Alain Barrau a souhaité que, au-delà de cette proposition de résolution, la stratégie communautaire pour l'emploi devienne un enjeu de débat politique national et européen et que, dans le prolongement du Conseil européen extraordinaire de Lisbonne de mars prochain, elle constitue l'une des priorités de la présidence française.

Après avoir salué la qualité du travail du Rapporteur, M. Pierre Brana a souhaité qu'il soit fait mention des problèmes que pose le travail précaire, qui a, en outre, pour effet de masquer, en partie, le chômage. Approuvant la proposition de résolution, il a suggéré une modification d'ordre rédactionnel à son dernier paragraphe.

Pour M. Maurice Ligot, la communication de la Commission européenne, en relevant que le passage de l'école au monde du travail reste difficile, se contredit en affirmant par ailleurs que la France se caractérise par la place prioritaire quelle accorde à la formation professionnelle. Regrettant que le rapport de la Commission aborde la question de l'emploi indépendamment de l'économie, il a souligné que l'allégement des charges pesant sur les entreprises, la baisse de la fiscalité et, en particulier, de l'impôt sur le revenu, ainsi que la diminution de l'endettement, réuniraient les conditions économiques de l'amélioration de la situation de l'emploi. Il a enfin approuvé la suggestion du Rapporteur relative au lancement d'un emprunt européen pour financer de grands travaux, suggestion à laquelle Mme Nicole Catala s'est déclarée, pour sa part, opposée.

Evoquant certaines prévisions optimistes selon lesquelles nous serions dans une situation de plein emploi d'ici une dizaine d'années, M. Didier Boulaud a regretté que ne soit jamais abordée la question des personnes qui resteront, de toute évidence, dans l'incapacité totale de retrouver un emploi et seront, de ce fait, en situation totalement marginale. Souhaitant que ces populations bénéficient dès à présent de dispositifs spécifiques d'aide à la réinsertion, il a suggéré que ce problème soit évoqué par la proposition de résolution.

S'associant à ces propos, M. Daniel Paul a indiqué que la baisse du chômage tenait à la forte augmentation des « petits boulots », qui sont une forme de précarité. Partageant les craintes exprimées par M. Didier Boulaud sur la marginalisation croissante d'une partie de la population, il a souligné la nécessité de dépasser le simple constat - qui figure dans la communication de la Commission - et de s'interroger sur les dispositifs de formation et de requalification nécessaires pour favoriser la réinsertion des exclus. Il a souhaité que la réduction des cotisations à la charge des entreprises évoquée dans la ligne directrice 10 soit subordonnée à des obligations précises en matière d'embauche. Citant l'exemple d'ingénieurs embauchés à 6 800 francs par mois, il a souligné que des emplois non qualifiés étaient souvent occupés par des personnels qualifiés ; il a contesté, de ce fait, la pertinence des arguments consistant à prôner une baisse systématique des charges des entreprises au titre des emplois non qualifiés. Ayant enfin relevé une grande disparité, dans les Etats membres, des définitions des PME, des normes de travail, des conditions d'indemnisation du chômage et de bien d'autres notions pourtant couramment utilisées dans l'analyse de la situation sociale, il a souhaité que la proposition de résolution évoque la nécessité d'une harmonisation des outils statistiques.

M. Yves Fromion a souhaité que la proposition de résolution suggère de donner aux Etats la possibilité d'accroître le nombre des secteurs d'activité à haute intensité de main-d'_uvre pouvant bénéficier des baisses de TVA. Evoquant un aspect du plan d'action français pour l'emploi, relatif à l'esprit d'entreprise, il a contesté que l'on puisse soutenir, comme le fait la Commission européenne, que le programme d'emplois-jeunes aurait contribué à le développer, puisque ces emplois ont surtout été créés dans les administrations.

M. Jean-Claude Lefort, ayant souhaité que l'opinion politique soit associée à la définition de la politique communautaire de l'emploi, a également suggéré qu'elle ne soit pas absente des négociations commerciales internationales et que les principes directeurs relatifs à l'emploi soient considérés comme une priorité de la présidence française.

Mme Nicole Feidt a souhaité que la proposition de résolution insiste sur l'insertion des publics en difficulté et que la ligne directrice 20 soit renforcée par une référence à la lutte contre le chômage des femmes et en faveur de l'insertion des femmes.

Sans méconnaître la valeur des questions abordées par le Rapporteur, M. Jacques Myard a douté que les lignes directrices puissent contribuer à améliorer la situation de l'emploi. Elles reposent d'ailleurs, selon lui, sur des appréciations bien fragiles : par exemple, aux Pays-Bas, où le taux de chômage est apparemment faible, un grand nombre de personnes, prises en charge par une sorte de « Cotorep sociale », ne sont pas prises en compte dans les statistiques du chômage. Pour relancer, à l'échelle européenne, la croissance et l'emploi, il conviendrait d'abord de renoncer à une politique monétaire dramatique et aux contraintes imposées par le pacte de stabilité. L'hétérogénéité des Etats participant à la monnaie unique rend illusoire, au demeurant, la définition de toute politique monétaire cohérente.

A l'issue de ce débat, le Rapporteur a décidé d'amender la proposition de résolution afin de prendre en compte les suggestions concernant :

- la situation des chômeurs de longue durée qui risquent de se trouver durablement marginalisés sur le marché du travail, même dans l'hypothèse d'un retour au plein emploi ;

- le travail précaire, défini à l'aide de la notion d'instabilité durable de l'activité d'une personne ;

- la baisse des cotisations sociales subordonnée à des contreparties en terme d'embauche ;

- l'harmonisation des outils statistiques de mesure du travail et du chômage ;

- l'élargissement de la marge de man_uvre des Etats dans le dispositif de baisse des taux de TVA applicable aux secteurs à haute intensité de main-d'oeuvre ;

- l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

La Délégation a donc décidé de déposer la proposition de résolution dans le texte suivant :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la communication de la Commission - Proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres en 2000 (COM (1999) 441 final / E 1306),

- Vu la résolution de l'Assemblée nationale du 9 décembre 1998 (n° 217) sur la proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999 (COM (1998) 574 final / E 1171),

Considérant que la lutte contre le chômage est l'une des priorités politiques, économiques et sociales des Etats membres ;

Considérant que la politique communautaire de l'emploi tend à apporter une réponse globale et structurelle au problème du chômage ;

Considérant que cette politique a constitué l'une des avancées majeures de la construction européenne au cours de ces dernières années ;

Considérant que cette politique repose largement sur les lignes directrices pour l'emploi ;

Considérant que la proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres en 2000 s'inscrit sur le moyen terme et qu'elle n'apporte donc que quelques modifications ponctuelles aux lignes directrices pour 1999 ;

Considérant toutefois que la plupart des demandes formulées par l'Assemblée nationale dans sa résolution susvisée du 9 décembre 1998 sur la proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999 n'ont pas été satisfaites ;

Considérant que d'autres améliorations pourraient être apportées à la proposition de lignes directrices pour 2000 ;

    1 - Rappelle les demandes qu'elle a formulées dans sa résolution du 9 décembre 1998 (n° 217) au sujet de la proposition de lignes directrices pour 1999 qui n'ont pas été satisfaites, à savoir :

        - la suppression de la référence aux minorités ethniques dans la ligne directrice 9 ;

        - la fixation d'objectifs quantifiés et d'un calendrier pour les atteindre concernant le développement de l'apprentissage et de la qualification (ligne directrice 6), l'accès des personnes handicapées au marché du travail (ligne directrice 9), la réduction du montant des charges pesant sur les entreprises (ligne directrice 10), celle de la charge fiscale totale, en particulier celle grevant le travail (ligne directrice 14), et l'accroissement des emplois dans les services (ligne directrice 13) ;

        - le renforcement de la ligne directrice 20 relative à la lutte contre la discrimination sexuelle, en prévoyant que les Etats s'efforceront aussi de réduire l'écart entre hommes et femmes au regard des conditions de travail et de la formation professionnelle ;

        - la création d'une ligne directrice incitant les Etats à renforcer l'articulation entre les entreprises, la recherche et les universités, en vue de favoriser le dépôt des brevets et leur exploitation ;

        - l'insertion d'une disposition prévoyant que, hormis les cas où des objectifs quantitatifs sont fixés dans les lignes directrices, les Etats doivent se donner, autant que possible, ce type d'objectifs et un calendrier pour les atteindre ;

        - l'ajout d'une ligne directrice obligeant les Etats à harmoniser les indicateurs de performance, de suivi et d'évaluation et les outils statistiques permettant de mesurer la conformité des résultats de leurs actions aux objectifs quantifiés prévus dans les lignes directrices ;

        - la création d'une ligne directrice prévoyant que la stratégie européenne de l'emploi fera l'objet d'une évaluation régulière et indépendante ;

        - inviter les Etats, dans la présentation des lignes directrices, à élaborer des études d'impact des mesures qu'ils envisagent de prendre et à recenser les freins à la création d'emplois ;

    2 - Suggère au Gouvernement de demander :

        - que la ligne directrice 9 prévoie que chaque Etat membre accordera une attention particulière aux besoins des personnes marginalisées ou en voie de l'être, et non, seulement, à ceux « des personnes handicapées (...) et d'autres groupes et personnes susceptibles d'être défavorisés (...) » ;

        - la fixation d'objectifs quantifiés et d'un calendrier précis pour les atteindre concernant la ligne directrice 9 tendant à promouvoir un marché du travail ouvert à tous ;

        - d'ajouter à la ligne directrice 10, prévoyant que les Etats membres « accorderont une attention particulière à la réduction sensible des frais généraux et des charges administratives des entreprises (...) », la phrase suivante : « A cet égard, ils s'attacheront à s'assurer que cette réduction aura pour contrepartie la création ou la préservation d'emplois et à alléger les cotisations sociales portant sur le travail peu qualifié » ;

        - le remplacement, à la ligne directrice 15, de la formule « examinera, sans obligation, la proposition de la Commission visant à réduire le taux de TVA sur les services à forte intensité de main-d'_uvre et non exposés à la concurrence transfrontalière » par : « examinera, sans obligation, la possibilité de réduire le taux de TVA sur les services à forte intensité de main-d'_uvre et non exposés à la concurrence transfrontalière, notamment à la lumière de la directive adoptée dans ce domaine par le Conseil Travail-Affaires sociales du 22 octobre 1999 » ;

        - que la directive concernant la possibilité d'appliquer à titre expérimental un taux de TVA réduit sur les services à forte intensité de main-d'_uvre soit modifiée afin de permettre aux Etats membres de fixer des taux réduits de TVA pour ce type de services à trois ou quatre des cinq secteurs couverts par ce texte, au lieu de deux actuellement ;

        - remplacer, à la ligne directrice 17, « devraient » par « devront » ;

        - que la ligne directrice 20 relative à la lutte contre la discrimination sexuelle mentionne précisément l'objectif de réduction des inégalités entre hommes et femmes dans le domaine de l'insertion professionnelle ;

        - une consultation plus large des Etats membres sur les propositions de recommandations élaborées par la Commission à leur intention en matière de politique de l'emploi ;

        - un renforcement de la coordination des politiques économiques en faveur de l'emploi dans le cadre du Conseil des ministres de l'Union européenne ;

        - le lancement d'un emprunt européen destiné à financer un grand programme de projets d'intérêt communautaire notamment dans le domaine des infrastructures, des réseaux de communication ou des nouvelles technologies ;

        - que la stratégie communautaire de l'emploi fasse l'objet d'un vaste débat national et européen afin que les citoyens en soient mieux informés et puissent davantage y prendre part. »

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