DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 94

Réunion du jeudi 9 décembre 1999 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

    (Réunion ouverte aux parlementaires membres de la délégation française à Seattle,
    à tous les députés et à la presse)

    Audition de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, et de M. Pascal Lamy, membre de la Commission européenne, sur les résultats de la Conférence ministérielle de Seattle

Ouvrant la discussion, le Président Alain Barrau a rappelé que la Délégation pour l'Union européenne avait travaillé en amont des négociations de l'Organisation mondiale du commerce : dès le 30 septembre 1999, elle a statué sur le rapport très approfondi de Mme Béatrice Marre (« De la mondialisation subie au développement contrôlé ») et décidé de déposer une proposition de résolution, laquelle a été adoptée par la Commission de la Production et des Echanges. Le Gouvernement a soutenu ces initiatives en organisant un débat en séance publique le 26 octobre à l'Assemblée nationale. Plusieurs membres de la Délégation figuraient parmi les seize parlementaires qui ont été invités par le Gouvernement à participer à la Conférence ministérielle qui s'est tenue à Seattle du 30 novembre au 3 décembre et ont eu accès à l'ensemble des informations. A la suite de l'échec de cette Conférence, la Délégation entreprendra de nouvelles réflexions sur les échanges multilatéraux.

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, a considéré que la suspension, sans déclaration finale, de la Conférence ministérielle de Seattle a traduit l'échec du processus entamé il y a un an et demi à Genève et qui aurait dû aboutir au lancement d'un nouveau cycle de négociations. Il s'est attaché à répondre aux deux questions qui se posent à la suite de cet échec : quelles leçons en tirer ? Quelles sont les perspectives pour les mois à venir ?

Sur le premier point, il a souligné que l'Union européenne, forte d'un mandat clair et substantiel, avait su maintenir sa cohésion tout en apparaissant plus ouverte que les Etats-Unis aux demandes des pays en développement. A Seattle, les Etats-Unis, qui avaient pourtant la responsabilité de la présidence de la conférence, ont choisi de privilégier des objectifs à court terme de politique intérieure : la satisfaction de leurs intérêts agricoles et le soutien, capital pour le parti démocrate, de l'AFL-CIO sur la question des normes sociales ; ils ont donc adopté sur ces deux sujets, ainsi que sur l'anti-dumping, une position très rigide.

Cette stratégie américaine a échoué faute d'alliances plus larges que celle du groupe de Cairns. En particulier, leur absence totale de flexibilité sur l'anti-dumping les a privés du soutien des pays en développement, comme de celui du Japon, qui est en situation précontentieuse avec les Etats-Unis dans le domaine de l'acier.

A l'opposé, l'Europe n'est pas apparue isolée, grâce aux initiatives prises par M. Pascal Lamy. Elle a su ainsi consolider des alliances en proposant un texte commun avec le groupe des pays « amis » : Japon, Corée, Suisse, Hongrie et Turquie. Elle s'est montrée plus ouverte que les Etats-Unis à l'égard des pays les moins avancés (PMA) et plus décomplexée vis-à-vis des pays en développement sur le thème de la mise en _uvre des accords de Marrakech. La Commission a certes pris quelques risques vis-à-vis du Conseil dans cet exercice, mais elle a su se placer ainsi à l'abri de toute accusation en cas d'échec des négociations. Pour sa part, le Conseil a clairement rejeté le « chantage » agricole en refusant de se prononcer sur une partie isolée de la déclaration - l'agriculture - avant de connaître le « paquet final ». La cohésion communautaire s'est donc vérifiée, même si elle s'est nourrie de l'intransigeance du groupe de Cairns et de l'inflexibilité américaine.

Malgré l'absence de déclaration finale, la conférence de Seattle comporte des enseignements positifs. Certes, l'échec du lancement d'un cycle large et global n'est pas satisfaisant, car il a pour effet de reporter à plus tard, pour une durée aujourd'hui difficile à apprécier, l'introduction à l'OMC des nouvelles régulations nécessaires pour mieux maîtriser la mondialisation.

Mais ce résultat révèle aussi les exigences de transparence émanant de la société civile. Au niveau national, la délégation française à Seatlle a déjà tenu compte de cette nouvelle exigence, puisque seize parlementaires en faisaient partie intégrante. Lui-même sur place, le secrétaire d'Etat a consulté et informé quotidiennement les représentants de la société civile présents à Seattle, en particulier ceux des organisations professionnelles et des syndicats.

L'échec de Seattle manifeste, paradoxalement, le caractère démocratique de l'OMC, qui repose sur le consensus et qui ne peut plus apparaître comme l'instrument de quelques pays négociant en secret des règles qui s'imposent à tous les autres. Cet échec n'enlève rien à la réalité du défi auquel doit faire face l'OMC : mieux intégrer les dimensions nouvelles de l'échange international, à savoir la santé, l'environnement, la sécurité des aliments, la transparence, la dimension sociale.

Abordant le second point de son exposé, le secrétaire d'Etat a dégagé quelques perspectives.

La situation juridique découlant de la suspension de la conférence ministérielle décidée à Seattle reste encore quelque peu confuse et devra être clarifiée. Conformément aux engagements de Marrakech, l'« agenda incorporé » devrait assurer au début de l'année prochaine la reprise des négociations, de façon séparée et sans calendrier contraignant, sur les services et sur l'agriculture. Nous veillerons à ce que ces négociations, si elles sont reprises, le soient sur la base des textes de Marrakech, et non pas sur la base des textes qui ont circulé à Seattle et que l'on doit considérer comme caducs.

On voit mal comment la dynamique brisée à Seattle pourrait être relancée dès le début de l'année à Genève. Compte tenu des échéances électorales américaines, il paraît peu vraisemblable que la prochaine réunion ministérielle se tienne avant 2001, malgré les souhaits exprimés par le directeur général M. Mike Moore. L'Union ne devrait pas renoncer aux objectifs figurant dans le mandat défini en octobre 1999 et continuera à plaider pour une approche large et globale.

D'ici là, et en poursuivant la politique de transparence à l'égard des parlementaires et de la société civile, il est nécessaire de réfléchir à une amélioration du fonctionnement de l'OMC, en réponse notamment aux critiques des pays en développement qui ont demandé que soient conciliées transparence et égalité de traitement. Il ne s'agit pas de modifier radicalement les bases de l'OMC, mais plutôt d'analyser et d'essayer d'améliorer ses méthodes de travail et de négociation. Les Etats membres de l'Union européenne devront participer à cette réflexion : le Gouvernement français a bien l'intention de jouer un rôle actif dans cette réflexion.

Revêtent également un caractère prioritaire les décisions budgétaires permettant l'assistance technique en faveur des pays pauvres, qui auraient dû être prises à Seattle, ainsi que la relance de l'initiative de l'Union européenne en faveur des pays moins avancés.

On peut enfin s'interroger sur la manière de commencer à répondre concrètement aux demandes des pays en développement relatives à la mise en _uvre des accords de Marrakech. C'était leur demande prioritaire à Seattle, qui n'a pas été satisfaite. Ce serait aussi la meilleure garantie de leur soutien dans l'hypothèse du lancement d'un cycle de négociations en 2001.

M. Pascal Lamy, commissaire européen en charge du commerce extérieur, a estimé que l'échec de Seattle pouvait s'expliquer à la fois par des raisons de fond et par les circonstances.

Sur le fond, la nature de la négociation a fondamentalement changé : elle met en présence des acteurs beaucoup plus nombreux et des thèmes de discussion plus complexes qu'il y a vingt ans. Face à cette évolution, les procédures de l'OMC n'ont pas évolué par rapport à celles du GATT, en vigueur dans les années 1950, à l'exception de la procédure de règlement des différends.

Les circonstances n'étaient, au demeurant, guère favorables : réunir une telle conférence aux Etats-Unis à une date proche des élections présidentielles américaines était une erreur, d'autant plus que les Américains considéraient que les problèmes étaient réglés. De surcroît, les manifestations extérieures n'ont pas été sans influence sur l'ambiance et la capacité de l'administration américaine et du secrétariat de l'OMC à organiser les négociations.

L'Union européenne est restée unie au cours de la Conférence, performance qui ne doit cependant pas être surestimée, dans la mesure où les mouvements d'alliance ont été limités et où la négociation n'a pas progressé. Les quelques tentatives du négociateur européen ont suscité des réactions internes à l'Union, ce qui n'est pas anormal. A un moment ou à un autre, il faudra « bouger », ce qui mettra en jeu la confiance des Etats membres à l'égard du négociateur.

Pour la suite, on pourra aller plus loin, à condition que l'action soit « régulée et pilotée » ; à cet effet, on a besoin d'une OMC en état de marche. Le défi reste devant nous mais il est éclairé par les leçons de Seattle. En particulier, il faudra prendre en compte davantage les préoccupations des pays en développement, lesquels considèrent qu'ils n'ont pas bénéficié du surcroît de libéralisation résultant des accords de Marrakech. Les pays développés doivent réfléchir au degré d'ouverture supplémentaire qu'ils sont disposés à consentir à l'égard des produits sensibles.

Le dispositif de négociation de l'OMC fonctionne mal. Il était certes difficile de conduire 135 pays souverains à prendre, en une semaine, des décisions communes. Mais les règles de procédure n'ont pas facilité les choses ; mettre l'accent sur la transparence sans prendre garde à l'efficacité risque de ne pas améliorer la situation. Il n'est guère aisé de combiner ces deux impératifs dans une instance de négociation, comme le montre le fonctionnement interne de l'Union européenne, dont l'évolution vers la transparence n'est d'ailleurs pas achevée. Encore s'agit-il, dans cette hypothèse, de pays de cultures voisines.

Les négociations sur l'agriculture et les services pourraient commencer en janvier 2000 sans engagement global et sans échéance ; leur ordre du jour n'est pas encore déterminé. Une relance supposerait une base de négociation équilibrée pour les pays en développement, les Etats-Unis et l'Union européenne. Le directeur général de l'OMC doit consulter les différents pays afin de définir ce qui pourrait être proposé.

M. Christian Jacob s'est dit frustré par l'exposé de M. Pascal Lamy, qu'il a jugé marqué par la langue de bois. Il lui a demandé quel était son angle de négociation en matière agricole et si le dispositif adopté par l'Union européenne dans le cadre de l'Agenda 2000 constituait un point d'ancrage solide. Il s'est également enquis de la position de l'Union à l'égard des pays en développement.

S'étant félicité de l'association de membres du Parlement aux discussions de Seattle, M. Jean-Claude Lefort s'est demandé si les ouvertures consenties par l'Union - non sans difficulté - dans le domaine des biotechnologies ne risquaient pas d'être utilisées par les Etats-Unis et mettre les Européens en difficulté dans l'hypothèse d'une relance des négociations. S'agissant des services, il a suggéré que tout ce qui ne relève pas exclusivement de l'OMC soit exclu du champ des négociations et traité par les organisations internationales spécialisées : on ne saurait, en effet, aborder la culture de la même manière que l'acier ou la construction navale. Il a également souhaité savoir si la question de la taxation des produits exportés par les pays en développement serait examinée et si une forme d'assistance juridique pourrait leur être donnée, dans la mesure où trente d'entre eux ne disposent pas d'une mission permanente auprès de l'OMC. Souhaitant que cette organisation soit plus démocratique, alors qu'elle a, selon M. Pascal Lamy, un « caractère médiéval », il s'est demandé comment elle pourrait intégrer les préoccupations de la société civile. Evoquant l'existence de groupes de pays réunis pour prendre position sur les propositions en discussion (« green rooms »), il a regretté que les pays en développement n'en fassent pas partie. Il a enfin suggéré une réforme de l'organisme de règlement des différends, soulignant que la transparence et l'efficacité, loin d'être des objectifs contraires, allaient dans le même sens.

M. Jacques Myard a jugé surprenants les propos du commissaire européen sur l'erreur que constituait le choix de la date et du lieu de négociation : pourquoi, dans ces conditions, y avoir participé ? Il a estimé que la méthode retenue, consistant en un affrontement entre blocs, vouait la négociation à l'échec. Partisan du principe selon lequel il faut casser les blocs et diviser les sujets de discussion, il a suggéré de renvoyer aux organisations internationales spécialisées l'examen des questions relevant de leur champ de compétence. Il a enfin déploré que le commissaire européen n'ait pas utilisé le français dans les négociations, alors que celui-ci est l'une des trois langues officielles de l'OMC.

M. Yann Galut a rappelé que, dans l'Union européenne, en vertu du règlement sur la politique linguistique de 1958, le français est une des langues officielles et de travail, et que le français est également une des trois langues officielles de l'OMC. Il a donc demandé à M. Pascal Lamy pourquoi il s'était exprimé en anglais lors du symposium des organisations non gouvernementales qui a précédé les travaux de l'OMC. Il a également souhaité savoir sur quel fondement la Commission européenne avait accepté une discussion sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Après lui avoir demandé son appréciation sur le décalage entre le discours libre-échangiste développé par certains et le « commerce équitable » souhaité par de nombreux pays, il a souligné que la Conférence de Seattle, qui a connu un échec flagrant, avait toutefois manifesté l'existence d'un contre-pouvoir - reposant à la fois sur une classe politique plus vigilante et sur les organisations non gouvernementales - qui lui paraît de nature à exercer un contrôle sur toutes les décisions à venir.

M. René André s'est déclaré choqué par le fait que le commissaire européen s'était exprimé en anglais à Seattle. Il a ensuite demandé au secrétaire d'Etat de préciser les risques que la Commission avait pris, selon lui, à l'égard du Conseil.

Le sénateur Jack Ralite a considéré que la Conférence de Seattle n'était pas un échec : ouverte pour créer une République mercantile universelle, elle s'était close sur la perspective d'une République démocratique universelle. Dans ce nouvel espace public, la France et l'Europe devront jouer un rôle constructif et dynamique.

Si la culture n'était pas à l'ordre du jour et ne figurait pas dans le mandat donné aux négociateurs, ne peut-on redouter que la question de l'audiovisuel ne soit réintroduite par le biais des services et du commerce électronique ? De même, les biotechnologies ont été abordées. Tout mandat suppose qu'une marge de man_uvre soit laissée au négociateur : n'y a-t-il pas lieu de craindre, dès lors, un risque de contournement portant atteinte à l'esprit et au vivant ?

M. Jack Ralite s'est ensuite interrogé sur le rôle que pourraient jouer les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) dans le cadre de l'OMC, ces pays étant par ailleurs en négociation avec l'Union européenne pour le renouvellement de la Convention de Lomé.

Il a enfin proposé la création d'une instance parlementaire spécifiquement consacrée aux problèmes de l'OMC, réunissant les représentants de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Parlement européen. La transparence réalisée à Seattle doit être prolongée par un travail parlementaire totalement nouveau.

M. François Guillaume a déploré l'absence du ministre de l'agriculture à Seattle, qui aurait pu porter préjudice aux intérêts français. Il était pourtant clair que les Etats-Unis chercheraient à obtenir de l'Union européenne les concessions les plus importantes dans le secteur de l'agriculture. Or, la France réalise à elle seule le quart de la production agricole de l'Union européenne.

Faisant le choix d'une attitude plus défensive qu'offensive, la délégation européenne a révélé ses failles. Elle n'a pas considéré comme un préalable l'exigence qu'un mandat de négociation global (« fast track ») soit conféré à la négociatrice américaine. Si le dumping social a été mis sur la table, il n'est pas de même pour la question monétaire. En outre, on peut se demander pourquoi l'Union européenne ne s'est pas assurée l'appui des pays en développement, alors que les Etats-Unis ont fait « monter au créneau » les pays du groupe de Cairns. Ne pouvait-on leur proposer une orientation conjuguant des mesures de protection de leurs productions nationales et l'ouverture illimitée des marchés des pays industrialisés ? Enfin, compte tenu de la difficulté avérée d'obtenir un consensus entre 135 pays, il aurait fallu réfléchir aux moyens d'améliorer le processus de décision.

M. Jean-Marie Bockel, après avoir relevé, comme l'a fait Edgar Morin dans un grand quotidien, la nouvelle perspective mondiale ouverte par « ce qui a surgi à Seattle », a formé le v_u que le débat sur le commerce mondial ne fasse pas l'objet d'une récupération partisane et s'inscrive plutôt dans l'utopie féconde évoquée par M. Jack Ralite.

M. François Loncle, situant son propos dans la même ligne que ceux de MM. Jean-Claude Lefort, Jack Ralite et Jean-Marie Bockel, a félicité la délégation française à la Conférence ministérielle de Seattle, tout particulièrement M. François Huwart ; il a également salué le souci de transparence qui a animé M. Pascal Lamy. Le travail de réflexion doit être poursuivi, les suggestions présentées par M. Jack Ralite étant à cet égard intéressantes.

M. Jean-Pierre Delalande a estimé que la Conférence de Seattle avait apporté une innovation dans les négociations internationales, en manifestant le primat de l'approche multilatérale ; les organisations non gouvernementales ont apporté à des débats tenus à l'échelle mondiale une tonalité nouvelle, très concrète, que les médias ont relayée. Comme l'ont dit plusieurs des intervenants précédents, il convient de réfléchir à une meilleure organisation du travail préparatoire, dont Seattle a montré l'importance. Les Français ont trop tendance à s'attribuer spontanément une vocation universelle, qui les pousse à présenter des idées, certes brillantes, mais en ordre dispersé, alors que nos partenaires, notamment les Etats-Unis, soignent davantage la préparation diplomatique et politique de la négociation.

Le Premier ministre devrait constituer une instance composée de toutes les parties prenantes à la négociation internationale : elle devrait inclure les représentants du Parlement français, du Parlement européen et du Conseil économique et social. Cette approche, privilégiant l'intérêt national, permettrait d'éviter l'affrontement traditionnel entre la droite et la gauche. Pour que l'entreprise réussisse, il faut améliorer l'accès à l'information, qui fait notamment l'objet de plaintes des membres du Parlement européen. Les dossiers de l'organisation mondiale du commerce ne peuvent être traités par les seuls techniciens. La réinsertion nécessaire du politique dans ces débats présenterait l'avantage d'assurer une meilleure liaison entre les négociateurs et l'opinion publique et d'éviter à la fois le risque de débordement et le sentiment d'illégitimité.

Le Président M. Alain Barrau a observé qu'il restait beaucoup à faire pour assurer la place des hommes politiques dans la préparation des discussions relatives à l'OMC, tout en soulignant les progrès considérables accomplis dans ce domaine depuis le cycle de l'Uruguay. Il a souhaité que les parlementaires français réalisent un travail en amont, en liaison avec les députés européens et le Conseil économique et social.

Ayant souligné que le mandat adopté par le Conseil « Affaires générales » demeurait la base de travail de la Commission, même s'il ne recouvrait pas tous les aspects des négociations possibles, il a souhaité qu'un véritable débat politique permette de débloquer la situation actuelle, qui est à un tournant : il s'agit de faire de cette négociation une question politique centrale et de redéfinir le rôle de l'Union européenne à l'égard des pays ACP, des PMA, des Etats méditerranéens et du Mercosur, la politique extérieure de l'Union pouvant être utilisée pour préparer la reprise des négociations.

Dans ses réponses aux intervenants, M. Pascal Lamy a donné les éléments d'information suivants :

- l'Agenda 2000 constitue le mandat du commissaire chargé de l'Agriculture, M. Franz Fischler. L'ouverture faite par la Commission n'était pas déséquilibrée : le groupe de Cairns voulait obtenir l'élimination des subventions à l'exportation, alors que l'Union européenne demandait la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture et souhaitait que toutes les formes de subvention à l'exportation soient examinées. Chacun a pu constater les difficultés auxquelles se sont heurtées ces prétentions respectives. Cependant, l'Union a proposé un texte solide et a fait progresser le concept de multifonctionnalité auprès des pays candidats, du Japon et de la Corée ;

- s'agissant des biotechnologies, l'Union européenne est seule à défendre un agenda environnemental substantiel, comportant le principe de précaution, les règles relatives aux investissements et celle de l'étiquetage. Toutefois, les pays en développement rejettent ces normes, qu'ils considèrent comme des standards de pays riches, contribuant au protectionnisme. Quant aux Américains, volontiers diserts sur ce thème, ils ne proposent aucun dispositif juridique contraignant. Telles sont les conditions dans lesquelles le négociateur européen a jugé utile, pour débloquer la situation, de mettre sur la table la proposition de créer un groupe de travail sur les biotechnologies ; en contrepartie, l'Union européenne pouvait obtenir la quasi totalité de ses demandes ;

- l'Union européenne admet déjà en franchise de droits et de quotas la plupart des exportations des pays les moins avancés ; seuls certains produits sensibles, la plupart agricoles, sont exclus de ce dispositif. Il serait intéressant d'aller plus loin en réexaminant cette liste mais la Commission n'est pas mandatée à cet effet. Une aide juridique devrait être apportée aux pays en développement afin qu'ils puissent exploiter au mieux les règles de l'OMC ;

- les pays ACP sont de longue date les partenaires de l'Union européenne, mais des difficultés demeurent : par exemple, malgré le travail d'explication de la Communauté, ces pays sont solidaires des autres pays en développement contre l'inclusion des normes sociales dans le cycle des négociations. La déclaration du Président Clinton en faveur de sanctions en cas de violation des normes fondamentales du travail a compliqué les négociations ;

- l'OMC ne peut être chargée d'élaborer les normes qui ne concernent pas directement le commerce, mais une articulation doit être définie entre ces normes et celles du commerce afin que l'organe de règlement des différends puisse juger si une mesure prise au nom de normes environnementales, sociales ou sanitaire est justifiée ; la réforme de l'organe de règlement des différends de l'OMC est incluse dans le mandat de négociation de la Commission européenne ;

- les salons verts (« green rooms »), qui réunissaient une trentaine de pays, n'étaient pas fermés aux pays en développement ; le sous-continent indien y était représenté par des pays comme l'Inde et le continent africain par l'Afrique du Sud, le Maroc ou l'Egypte ; cependant, les pays qui n'y avaient pas accès ont contesté ce système ;

- la conférence de Seattle pouvait réussir, car il est arrivé qu'une négociation aboutisse au dernier moment en dépit des obstacles ; ce fiasco n'est pas sans précédent ; au reste, il n'était pas inutile que les Etats se rencontrent, se confrontent et même s'affrontent ;

- le contrôle démocratique sur les négociations commerciales internationales est nécessaire et fructueux : que les parlementaires s'organisent, comme l'ont suggéré MM. Ralite, Bockel et Barrau. La société civile a des modes d'expression qui lui sont propres, mais les ONG n'ont pas la légitimité qui s'attache au mandat électif que détiennent les membres des assemblées parlementaires. L'action des parlementaires peut être de surcroît fort utile pour faire valoir auprès de leurs collègues étrangers, notamment américains, les efforts considérables réalisés par l'Union européenne depuis 1992 dans la réforme de la politique agricole commune. D'une manière générale, le commissaire se prête volontiers à toutes sortes de contrôles : il rend compte régulièrement du Conseil des ministres, au Parlement européen, aux organisations syndicales et patronales, au Conseil économique et social, aux ONG. Le contrôle parlementaire ne suscite donc aucune réticence de sa part ;

- comme tout commissaire européen, il a pour premier souci de se faire comprendre de ses interlocuteurs ; dès lors que des moyens de traduction efficaces existent dans une enceinte, il s'exprime dans sa langue maternelle ; en revanche, lors d'une réunion avec les syndicats, il s'est exprimé en anglais, car la grande majorité de l'assistance n'était pas francophone. Lors des conférences de presse, il a répondu en français aux questions qui lui étaient posées dans cette langue ;

- s'agissant de l'audiovisuel, le mandat de la Commission correspond totalement au principe de l'exception culturelle arrêté à Marrakech ; le commerce électronique ne saurait conduire à transformer des services en marchandises, et les biens culturels acquis par ce moyen demeurent soumis à ce principe ;

- le mandat global de négociations n'est jamais donné au Président américain en début de cycle de négociation ; cette habilitation, donnée par le Congrès, n'est pas utile à ce stade ; elle est en revanche nécessaire pour la conclusion des négociations ;

- depuis la création de l'euro, la monnaie n'est plus un sujet de négociation commerciale.

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, a souligné l'absence de grandes divergences de vue entre la Commission et le Conseil, chacun tenant sa place : la Commission négocie et doit donc tester les positions des partenaires ; le Conseil a un rôle interactif de propositions et de veille, consistant à déterminer les concessions acceptables compte tenu du mandat qui a été défini.

L'intérêt manifesté par la société civile pour les négociations est positif, mais ne remet pas en cause la légitimité des gouvernements qui négocient, en concertation avec les parlements. Il est intéressant du reste de remarquer que le message des manifestants allait dans le sens du mandat européen, qui tend à réguler et humaniser la mondialisation. Les normes sociales ou environnementales qui ne relèvent pas de l'OMC devront néanmoins être prises en compte par cette organisation ; à défaut, elles resteraient lettre morte ; il y a donc une articulation à trouver en ce domaine.

L'absence du ministre de l'agriculture à Seattle a résulté d'une décision prise au niveau européen, afin de ne pas focaliser les débats sur ce thème, de ne pas augmenter l'insatisfaction de certains pays et de développer d'autres sujets de négociations. Cela n'a pas empêché d'adopter une position ferme sur les subventions et de faire avancer le thème de la multifonctionnalité de l'agriculture européenne. Les biotechnologies ont constitué un vrai problème, les quinze Etats membres de l'Union européenne n'ayant pas accepté l'idée avancée par la Commission de créer un groupe de travail sur les OGM.

Les pays en développement doivent être aidés dans le cadre de l'OMC, car beaucoup ne peuvent y agir efficacement ; le budget de l'organisation devrait être augmenté à cette fin. Plusieurs d'entre eux ont mal ressenti les décisions prises à Marrakech et ont souffert d'un déficit d'explication. A l'issue des futures négociations, 95 à 98% des produits des PMA devraient entrer librement sur les marchés des pays développés, mais des dispositions particulières seront à maintenir pour des produits sensibles tels que l'habillement, le sucre, les agrumes, la viande bovine. Tout en souhaitant obtenir de nouveaux avantages par rapport à ceux obtenus à Marrakech, la plupart des pays en développement ne voulaient pas d'un nouveau cycle de négociation, de crainte que les normes sociales et environnementales se traduisent par des mesures protectionnistes. Sur ce point, l'Union européenne n'a sans doute pas consenti l'effort d'explication qui aurait été nécessaire.

La réunion de Seattle aura permis de créer un espace de démocratie supplémentaire, même si les discussions y ont été mal organisées. Rien ne sera plus tout à fait comme avant. L'accord de Berlin sur la politique agricole commune constitue bien la référence de l'Union européenne. Celle-ci peut accepter de réduire progressivement les subventions à l'exportation à un rythme convenable, et si elle est compatible avec le modèle agricole européen, mais aucune concession ne sera faite aux demandes du groupe de Cairns.

Si, dans les semaines prochaines, il faudra tenir compte des débats de Seattle, il n'est pas question de repartir sur la base des textes qui y ont été mis sur la table : on ne saurait faire à Genève ce qu'on n'a pas fait à Seattle.

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