DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 95

Réunion du jeudi 16 décembre 1999 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Le Président Alain Barrau a déploré le nombre élevé de demandes d'examen en urgence de projets de textes communautaires, tout en relevant que cette situation était liée à la fois à une fin de présidence européenne très active et au renouvellement d'accords commerciaux qui doivent entrer en vigueur au 1er janvier prochain.

Examinant en premier lieu les propositions d'actes communautaires relatives aux relations extérieures, il a présenté la proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide macrofinancière supplémentaire à la Moldavie (E 1329). Cette proposition met en _uvre l'engagement pris par la Communauté européenne, en janvier 1999, de mettre à la disposition de la Moldavie un troisième prêt de soutien à sa balance des paiements pouvant atteindre 15 millions d'euros. Ce texte n'a pas rencontré d'opposition de principe de la part des représentants des Etats membres au groupe d'experts ; ils ont cependant constaté que le FMI avait suspendu ses versements depuis la chute du précédent gouvernement, en février 1999, et que le rejet par le parlement moldave des lois de privatisation réclamées par le FMI n'était pas de nature à justifier une décision rapide du Conseil. La Délégation a accepté la levée de la réserve d'examen parlementaire, après que le Président Alain Barrau eut souligné que la liberté des choix électoraux des Etats devait rester intacte, quelles que soient les appréciations des institutions financières internationales.

Le Président a exposé les grandes lignes de la réforme des modalités de gestion du programme d'assistance aux pays tiers méditerranéens (MEDA) (document E 1331). Ce programme, doté d'une enveloppe de 4,5 milliards d'euros pour la période 1995-1999 et destiné à aider les pays tiers à se préparer au libre échange avec la Communauté européenne, a pris du retard : les paiements cumulés sur la période 1995-1997 ont atteint seulement 648 millions d'euros. Afin d'accélérer les versements, la Commission propose de supprimer l'approbation par le comité Med, au sein duquel sont représentés les Etats membres, de toutes les décisions de financement supérieures à deux millions d'euros. Les Etats membres se montrent critiques à l'égard de ce projet de réforme, qui a été présenté le 22 octobre au groupe de travail Mashrek-Maghreb : le contrôle qu'ils exercent et qui permet de coordonner l'aide communautaire avec l'aide bilatérale ne doit pas être affaibli. La proposition de règlement est, en outre, dépourvue d'enveloppe financière indicative pour la période 2000-2006. Les pays tiers ont pourtant besoin d'être rassurés sur le caractère prioritaire de l'engagement de l'Union européenne en faveur du processus de Barcelone ; ils hésitent d'autant plus à ratifier les accords d'association que le projet de zone de libre échange qu'ils prévoient d'instaurer à l'horizon 2010 leur paraît inégal.

En conclusion de l'examen de ce texte, la Délégation a adopté une proposition de résolution par laquelle l'Assemblée nationale :

1. Rappelle qu'une accélération de la négociation des accords d'association avec l'Algérie, le Liban et la Syrie est indispensable à la réussite globale du processus de Barcelone ;

2. Considère que la réforme du règlement MEDA doit permettre un versement plus rapide de l'aide aux pays tiers méditerranéens sans réduire le contrôle des Etats membres dans la mise en _uvre d'un programme aussi important pour la politique extérieure de l'Union européenne ;

3. Souhaite que soit améliorée l'efficacité de la programmation de l'aide aux pays tiers méditerranéens par un renforcement de l'évaluation, un meilleur ajustement de l'aide à la situation économique et sociale du pays tiers et une adoption des projets par le Comité Med qui soit étalée dans le temps ;

4. Demande que le programme MEDA bénéficie, à l'issue de la répartition des montants entre les différentes actions extérieures pour la période 2000-2006, d'une enveloppe appropriée afin de préparer nos partenaires au libre échange à l'horizon 2010 et de soutenir les nouvelles priorités du partenariat que sont la coopération entre les pays tiers méditerranéens, l'appui à l'investissement et le contrôle des flux migratoires.

La Délégation a ensuite levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de règlement du Conseil relatif aux contributions financières de la Communauté au Fonds international pour l'Irlande (document E 1341). La Communauté européenne a contribué depuis 1989 à cette initiative, destinée à promouvoir la réconciliation entre les deux communautés, ainsi que leur développement économique et social ; la Commission propose de prolonger de trois ans (2000-2002) le versement de cette contribution pour un montant annuel de 15 millions d'euros, conformément à la décision de principe prise par le Conseil européen de Berlin.

M. Didier Boulaud, chargé par la Délégation du suivi des négociations d'adhésion de l'Union européenne avec Chypre, a présenté la proposition de règlement du Conseil relatif à la mise en _uvre d'actions dans le cadre d'une stratégie de pré-adhésion pour Chypre et Malte (document E 1347). Ce texte prend le relais des protocoles financiers à partir de l'an 2000 et comporte une amélioration substantielle de la stratégie spécifique applicable à ces deux pays, grâce à la préparation d'un partenariat pour l'adhésion destinée à chacun des deux pays candidats : si les stratégies de pré-adhésion pour Chypre et Malte ont pour but de faciliter le rapprochement législatif avec l'acquis communautaire et la bonne application de l'acquis, comme pour les autres candidats, elles comportent également, pour Chypre, l'objectif complémentaire de faciliter la coopération entre les communautés qui divisent cette île. Sur ce point, le règlement rappelle que l'assistance de l'Union européenne se fonde sur les critères politiques de Copenhague et qu'elle peut être suspendue par le Conseil à la majorité qualifiée. Le programme aura une durée de cinq ans (2000-2004) et le montant de l'aide prévue dans l'avant-projet de budget pour 2000 s'élève à 15 millions d'euros. S'agissant de Malte, Mme Marie-Hélène Aubert a souligné que le débat y était vif sur les conséquences prévisibles de l'adhésion et notamment du coût social qui peut résulter du libre-échange, de la baisse des droits de douane et de la déréglementation. Compte tenu de ces observations, la Délégation a levé la réserve d'examen sur ce texte.

Elle a pris la même décision pour la proposition de règlement du Conseil prévoyant une interdiction des vols et un gel des capitaux en relation avec les Taliban d'Afghanistan (E 1352) : ce texte met en application les sanctions décidées à l'encontre des Taliban par le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution n° 1267 du 15 octobre 1999, lesquelles ont été adoptées par le Conseil Affaires générales dans une position commune du 15 novembre 1999. Les sanctions, déjà évoquées lors de l'examen de la position commune par la Délégation, comportent un embargo sur les vols effectués par des aéronefs appartenant, loués ou exploités par les Taliban, ainsi qu'un gel de leurs fonds détenus à l'étranger.

La Délégation a levé la réserve d'examen sur la proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière exceptionnelle de la Communauté au Kosovo (E 1357), le Président Alain Barrau ayant émis le souhait que la discussion relative à son imputation budgétaire n'en paralyse pas le versement.

Abordant les propositions d'actes communautaires relatives au commerce extérieur, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur trois propositions de règlement du Conseil portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires (E 1334, E 1335, E 1336).

Examinant la proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et le Royaume du Cambodge sur le commerce de produits textiles (E 1340), la Délégation s'est inquiétée des conséquences, sur l'industrie textile nationale, de la politique commerciale de l'Union européenne.

Mme Marie-Hélène Aubert ayant souhaité disposer d'une évaluation des effets des accords commerciaux de cette nature, le Président Alain Barrau a rappelé que la Délégation avait obtenu des éléments d'information substantiels, dont il conviendrait toutefois de demander l'actualisation. Il a évoqué la proposition, faite par l'Union européenne à Seattle, consistant à accepter l'entrée sans droits de douane de tous les produits des pays les moins avancés. M. Jacques Myard s'est déclaré hostile à cette proposition qui relève, selon lui, d'un libéralisme excessif, qui se traduirait par des destructions d'emplois dans les pays de l'Union et les ravages de l'économie duale dans les pays en développement. M. Maurice Ligot a souligné la gravité de la crise qui touche les secteurs du textile, de l'habillement et de la chaussure et considéré que la proposition formulée à Seattle par l'Union européenne, dont la mise en _uvre conduirait immanquablement à la disparition de ces industries, était contraire aux intérêts nationaux. Le Président Alain Barrau a fait valoir que l'intention de l'Union était de donner aux pays les moins avancés le moyen de prendre leur place dans le commerce mondial et d'améliorer leur situation économique.

Les membres de la Délégation ont estimé qu'il leur était difficile de porter une appréciation relative à l'impact des projets d'accord qui lui étaient soumis sur la situation de l'industrie européenne du textile, qui traverse depuis plusieurs années une crise particulièrement sévère pour l'emploi. Cet examen est d'autant plus difficile que l'Assemblée nationale est saisie en urgence, ces projets devant être adoptés au Conseil des 16 et 17 décembre 1999, en vue d'une entrée en vigueur au 1er janvier 2000. Elle a souhaité que le Parlement puisse disposer d'une étude globale sur les effets des différents accords relatifs au textile conclu par l'Union européenne.

A l'issue de ce débat, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de décision relative à la conclusion d'un accord avec le Cambodge et a décidé, en revanche, de la maintenir pour les autres propositions d'accords relatifs aux importations de produits textiles (E 1361 : règlement relatif au régime des importations en provenance de pays tiers non couverts par des accords blatéraux ; E 1362 : accord avec le Bélarus; E 1363 : accord avec l'Ukraine ; E 1364 : accord avec l'Egypte ; E 1365 : accord avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan, la Moldavie, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, et le Turkménistan ; E 1366 : accord avec la Macédoine ; E 1367 : accord avec la Chine).

La Délégation a ensuite levé la réserve d'examen sur : le document E 1336 relatif à la suspension temporaire de droits autonomes ; le document E 1351 concernant l'importation de produits agricoles transformés originaires de Lettonie, et le document E 1360 qui a le même objet à l'égard de la Pologne et de la Bulgarie ; le document E 1371 qui définit le régime relatif aux importations originaires de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de Slovénie et aux importations de vin de Macédoine et de Slovénie.

La Délégation a ensuite donné un avis favorable à la prorogation du régime d'importation de l'huile d'olive originaire de Tunisie (document E 1356). M. Jacques Myard a souhaité que soit réalisée une étude d'impact sur l'application de l'accord d'association avec la Tunisie, dont il a redouté les incidences sur l'équilibre économique et social du pays.

Abordant une troisième série de textes, la Délégation a statué sur deux propositions de directive du Parlement européen et du Conseil, l'une fixant des plafonds d'émission nationaux pour certains polluants atmosphériques et l'autre relative à l'ozone dans l'air ambiant (document E 1288). Le Président Alain Barrau a suggéré à la Délégation, qui l'a suivi, de conforter la position du Gouvernement consistant à faire ressortir le caractère peu réaliste des plafonds nationaux d'émission prévus par la Commission - ceux retenus dans le protocole « multi-polluants et multi-effets » conclu dans le cadre de la Convention de Genève paraissant plus adéquats - et à inciter la Commission à prendre des mesures complémentaires, notamment dans le domaine des petites installations de combustion et des produits contenant des solvants.

Le Président Alain Barrau a ensuite présenté la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes de la Communauté et à la libre-circulation de ces données (document E 1316). Ce texte prévoit d'instituer un contrôleur européen de la protection des données, qui examinera les plaintes et les recours des personnes concernées, exercera un contrôle a priori sur le traitement des données sensibles et disposera de pouvoirs d'enquête et de sanction administrative. Compte tenu de la portée qu'il revêt, la Délégation, sans maintenir la réserve sur un texte dont la négociation pourrait être longue, en suivra attentivement l'évolution.

La Délégation a approuvé le projet de décision du Conseil concernant l'amélioration de l'information sur les travaux législatifs du Conseil et le registre public des documents du Conseil (document E 1345). Elle a levé la réserve d'examen sur la proposition de décision du Conseil autorisant le Danemark et la Suède à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17 de la sixième directive d'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (document E 1350). Comme ce texte simplifie le régime de déduction de la TVA relative au paiement du péage pour les utilisateurs d'une liaison fixe entre le Danemark et la Norvège, le Président Alain Barrau s'est étonné de l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat à l'article 88-4 de la Constitution, qui conduit le Gouvernement, une fois encore, à soumettre à l'Assemblée nationale des textes dépourvus de toute incidence sur la concurrence, le droit communautaire ou le droit national.

La Délégation a enfin levé la réserve d'examen sur la proposition de règlement du Conseil fixant certaines mesures de contrôle concernant les navires sous pavillon de parties non contractantes à l'organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest (document E 1354).

II. Informations relatives à la Délégation

· En complément des décisions qu'elle a prises le 1er juillet 1999, la Délégation a chargé Mme Marie-Hélène Aubert de suivre le processus d'adhésion de Malte et M. Yves Dauge d'effectuer un suivi de l'évolution de la Turquie, dont la candidature à l'Union européenne a été reconnue par le Conseil européen d'Helsinki.

Intervenant sur ce point, M. François Loncle a rappelé la teneur des conclusions du rapport d'information sur l'élargissement que la Délégation a adoptées le jeudi 2 décembre. Il a constaté que la position très claire prise par la Délégation sur la candidature de la Turquie n'avait eu aucune influence sur la position de la France au Conseil européen d'Helsinki. Il a déploré que les parlementaires n'aient pas été associés à la réflexion sur ce point et a souligné que la décision prise aurait des conséquences graves sur la construction européenne.

S'exprimant dans le même sens, M. Yves Dauge a évoqué le décalage, en Turquie, entre une minorité dirigeante favorable à la candidature à l'Union européenne et une population qui, elle, est largement réticente. Le Président Alain Barrau a rappelé que la Délégation avait précisément déposé son rapport sur l'élargissement, ainsi que sa proposition de résolution, dans la perspective du Conseil européen d'Helsinki, et regretté l'absence de débat en séance publique.

· Le Président a rappelé que la décision avait été prise, à l'initiative de M. Jean-Marie Bockel et avec l'approbation du Président de l'Assemblée nationale, de constituer un groupe de travail franco-allemand destiné à travailler dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne.

Ce groupe de travail, dont la création a déjà été évoquée au cours de la réunion de la Délégation du 25 novembre, sera constitué de cinq députés français et de cinq députés allemands. Le Président a donc proposé aux membres de la Délégation de se porter candidats, à raison de trois députés appartenant à la majorité et deux à l'opposition. Il a souhaité que ce groupe de travail soit constitué rapidement et puisse commencer ses travaux dès le début de l'an prochain.