DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 99

Réunion du jeudi 3 février 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Propositions pour la présidence française de l'Union européenne (examen des conclusions du rapport d'information)

Evoquant les conditions dans lesquelles la représentation nationale serait appelée à débattre des priorités de la présidence de l'Union européenne que la France exercera au second semestre de cette année, le Président Alain Barrau a considéré comme acquis, selon les informations dont il dispose, le principe d'un débat en séance publique, au mois de mai 2000. Afin de permettre une information en amont, l'organisation de quatre forums à l'initiative de la Délégation a été prévue : l'un le 28 mars, sur la présidence française, l'autre, le 16 avril, sur le projet de charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; le troisième, dont la date n'est pas fixée, sur la question de l'emploi dans l'Union européenne ; le dernier, qui pourrait avoir lieu en juin, serait consacré au thème du sport.

Le rapport sur des propositions pour la présidence française participe également à cet effort d'information, les propositions de conclusions que doit examiner la Délégation ayant pour objet de formaliser un certain nombre de suggestions faites par le rapporteur.

En réponse à M. Jean-Bernard Raimond, le Président Alain Barrau a précisé que l'adoption par la Délégation des conclusions qu'il lui soumettait ne préjugeait en rien des positions que seraient amenés à prendre les groupes politiques lors du débat en séance publique.

Abordant l'examen des conclusions, le Président Alain Barrau a présenté le paragraphe premier, qui résume les priorités qu'il souhaite voir retenues par la présidence française : la réforme des institutions de l'Union européenne, le soutien aux négociations d'adhésion en cours, la croissance et l'emploi, le souci de répondre aux préoccupations des citoyens, le fonctionnement plus équitable du système international.

M. Jean-Claude Lefort a souhaité que la priorité relative à la croissance et à l'emploi évoque le progrès social, et insisté sur le souci de mieux associer les citoyens à la construction européenne. S'agissant des règles de droit régissant le monde multipolaire, il a préféré que l'on mentionne des règles acceptables par tous, car elles ne sont pas nécessairement acceptées partout.

En réponse à M. Gérard Fuchs, pour qui la réforme des institutions était justifiée à la fois par les dysfonctionnements actuels et par la perspective de l'élargissement, le Président Alain Barrau a observé que, si une réforme institutionnelle pouvait aboutir sous la présidence française, malgré la complexité du dossier, les négociations d'élargissement s'étendent sur une longue durée, ce qui incite à séparer les deux questions. Mme Nicole Catala a rappelé que la Délégation avait adopté, sous la législature précédente, un rapport insistant sur la nécessité de réformer les institutions en raison des dysfonctionnements de l'Union.

M. Pierre Lellouche a souhaité que l'on ajoute à la réforme institutionnelle l'association des parlements nationaux. Evoquant les autres points abordés par les conclusions, il a souhaité que la disposition relative à l'harmonisation fiscale mentionne une baisse des impôts et des charges publiques afin d'éviter une « harmonisation par le haut », avant de mettre en doute l'opportunité d'un emprunt européen pour renforcer les infrastructures. Ayant souhaité que les priorités de la présidence française intègrent la lutte contre la drogue et le blanchiment d'argent, il a suggéré, en matière de défense européenne, et conformément au rapport, des objectifs quantifiables et un calendrier, comme naguère pour la monnaie unique.

M. Gérard Fuchs a souligné l'importance du calendrier envisagé pour la préparation du nouveau traité : celui-ci sera, au mieux, signé en décembre, et sa ratification ne peut guère intervenir avant 2002. Ce long processus rend irréaliste l'hypothèse de l'élaboration d'un autre traité résolvant l'ensemble des questions institutionnelles. Dès lors qu'il est nécessaire de pallier aux dysfonctionnements actuels, tout en préparant l'adhésion de nouveaux Etats membres, les deux questions doivent être liées.

Tenant compte de ces observations et de celles de MM. Maurice Ligot et Jean-Bernard Raimond, la Délégation a précisé les finalités de la réforme des institutions de l'Union et considéré comme prioritaire le souci de répondre aux questions des citoyens et d'associer ceux-ci, ainsi que leurs Parlements, à la construction européenne.

Au point 2, qui aborde de manière plus précise la réforme institutionnelle et les négociations d'élargissement, M. Maurice Ligot a demandé si les propositions de la Délégation intégraient l'idée de Constitution européenne, et si elles évoquaient la géographie de l'Europe. M. Jean-Claude Lefort a souligné la contradiction consistant à proposer de modifier les institutions, puis dans un deuxième temps, à réexaminer l'architecture institutionnelle en fonction de l'élargissement. Il a par ailleurs proposé à la Délégation, qui l'a suivi, de réaffirmer la prééminence du Conseil sur la Commission, dont la collégialité et la transparence doivent être accrues. Il s'est opposé à l'extension du vote à la majorité qualifiée « à la plupart » des questions relevant du premier pilier, en soulignant qu'une telle procédure, appliquée à la politique sociale, aurait rendu très difficiles l'adoption de la législation relative aux 35 heures, ainsi que la défense des intérêts de l'Union européenne à Seattle.

Après les observations du Président Alain Barrau, qui a admis que plusieurs questions essentielles devaient continuer de faire l'objet de décisions prises à l'unanimité, de MM. Didier Boulaud, René André et Camille Darsières, la Délégation a maintenu, tout en modifiant sa rédaction, le point relatif à l'extension du vote à la majorité qualifiée.

Abordant les propositions de conclusions consacrées à la croissance et à l'emploi, la Délégation a adopté sans modification le point 4, relatif à la coordination des politiques économiques, et le point 5, consacré à l'harmonisation fiscale. Approuvant sur ce point les propos de M. Pierre Lellouche, M. Maurice Ligot a insisté pour que l'harmonisation fiscale ne soit pas entendue comme un alignement sur le niveau le plus élevé.

A l'initiative de M. Jean-Claude Lefort, la Délégation a ajouté un paragraphe demandant à la présidence française d'examiner et de proposer l'institution d'une taxe spécifique sur les opérations de change, afin de lutter contre les mouvements de capitaux spéculatifs.

Au point 7, relatif à l'emploi, M. Jean-Claude Lefort a regretté l'absence de mentions spécifiques à l'emploi des jeunes et aux chômeurs de longue durée. Après les observations de MM. Didier Boulaud, Pierre Brana et Jean-Bernard Raimond, la Délégation a simplifié le dispositif proposé en supprimant l'énumération des actions se rattachant à l'objectif poursuivi.

Après avoir adopté le point 9, relatif au programme d'infrastructures, la Délégation a retenu, au point 10, qui évoque le développement durable, une référence, suggérée par M. Jean-Claude Lefort, au principe de précaution et aux accords sur l'environnement. Au point 11, la Délégation a suivi M. Pierre Brana, qui a souhaité ajouter les économies d'énergie aux éléments de la stratégie commune en matière d'environnement.

Dans la partie consacrée aux préoccupations des citoyens (paragraphes 12 à 16), à M. Jean-Claude Lefort, qui souhaitait que la France soutienne la mise en _uvre de la Charte européenne des droits fondamentaux, le Président Alain Barrau a fait observer que la référence au projet de charte lui semblait plus appropriée. La Délégation a, en revanche, retenu l'amendement de M. Jean-Claude Lefort évoquant la notion de droit d'asile, ainsi que deux autres propositions du même auteur : l'une mentionne, au point 15, la création d'un espace maritime européen et l'autre substitue, au point 16, la notion de spécificité sportive à celle d'exception sportive. La suggestion de M. Pierre Lellouche relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux a été également adoptée.

Un débat s'est engagé sur la rédaction de la dernière partie des conclusions, consacrée aux relations internationales. M. Jean-Claude Lefort s'est demandé sur quel fondement reposait l'action du Haut Représentant pour la PESC et si le ministre des affaires étrangères de l'Etat qui exerce la présidence ne disposait pas d'une plus grande légitimité et donc d'une plus grande force dans les relations extérieures de l'Union européenne. Il a donc suggéré que la fonction de Haut Représentant pour la PESC subisse la même rotation que celle de la présidence du Conseil de l'Union. Le Président Alain Barrau a craint que cette suggestion affaiblisse la fonction et souligné que son titulaire avait pour mission d'assister le Conseil, dont il est le Secrétaire général. Après les observations de MM. Maurice Ligot et Didier Boulaud, cette dernière précision a été insérée dans le texte.

La Délégation a adopté sans modification le paragraphe 18, qui demande que la France donne son appui à la construction de l'Europe de la défense. M. Jean-Claude Lefort s'est étonné de ce que le projet de conclusions ne mentionne pas le caractère indépendant de l'Europe de la défense, ou l'existence de l'organisation de sécurité et de coopération en Europe (OSCE). Le Président Alain Barrau a souligné que la rédaction proposée ne comportait, à dessein, aucune référence à l'OTAN.

Le paragraphe 19, relatif au développement souhaitable des relations de l'Union européenne avec les ensembles régionaux, a été adopté sans modification. Au paragraphe 20, qui se prononce en faveur d'une poursuite de la réforme du Fonds monétaire international et d'une amélioration des règles de fonctionnement du système monétaire international, M. Jean-Claude Lefort a souhaité ajouter la question de la représentation externe de l'euro. Il a en outre souhaité que, pour marquer une priorité politique, l'association des pays en voie de développement aux actions de réforme soit mentionnée avant celle des organisations non gouvernementales. Cette dernière suggestion a été retenue par la Délégation.

Après les observations finales de MM. Maurice Ligot, Jean-Bernard Raimond, René André et Jean-Claude Lefort, la Délégation a adopté les conclusions du rapporteur.

II. Rapport d'information sur la proposition de règlement modifiant l'organisation commune du marché dans le secteur de la banane (E 1353)

M. Camille Darsières a exposé que l'organisation commune du marché de la banane, mise en place en 1993, avait été modifiée à plusieurs reprises et que l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce avait invalidé, le 12 avril 1999, certaines de ses dispositions qui avantagent les pays ACP, ce qui a conduit la Commission européenne à proposer une nouvelle révision. Celle-ci consiste à maintenir, pour une période transitoire, et en l'aménageant, le régime d'importation actuel fondé sur un système contingentaire et à instituer, en 2006 au plus tard, un système où l'accès au marché communautaire ne serait plus soumis qu'à un tarif douanier commun.

Pour apprécier les incidences de ce projet, le rapporteur a rappelé les caractéristiques du système en vigueur. Actuellement, les importations de bananes sont réparties entre trois contingents : un contingent de 857 000 tonnes, réservé aux importations originaires des pays ACP, bénéficie d'un droit nul ; un contingent de 2,553 millions de tonnes est attribué aux pays tiers avec un droit d'entrée de 75 euros par tonne et aux pays ACP avec un droit nul ; au-delà de ces deux contingents, les importations sont soumises à un droit de 737 euros par tonne, réduit à 537 euros pour les bananes provenant des ACP.

L'ORD a jugé qu'il n'était pas équitable de réserver un contingent à un nombre limité de pays. Aussi, la Commission propose un système où les contingents seraient ouverts à tous les pays. Cette modification a pour conséquence de ne plus offrir aux ACP la même garantie d'écoulement sur le marché communautaire.

Aux termes du texte présenté par la Commission, trois contingents seraient créés : un premier contingent « toutes origines » de 2,2 millions de tonnes, au taux de 75 euros par tonne et à droit nul pour les pays ACP ; un deuxième contingent « toutes origines » de 353 000 tonnes aux mêmes niveaux de droit que le premier ; un troisième contingent de 850 000 tonnes également ouvert à tous, mais dont le niveau de droit serait déterminé par « enchères descendantes », procédure dont il a évoqué les règles.

Après avoir décrit les différentes méthodes de répartition des licences attachées aux deux premiers contingents, le rapporteur a regretté la préférence exprimée par la Commission en faveur de la méthode dite du « premier arrivé, premier servi » qui consiste à attribuer les licences à ceux qui arrivent les premiers dans un port communautaire. Cette méthode s'appliquera donc - bien qu'elle ait été largement rejetée au cours des négociations et que les ports européens ne soient pas équipés pour la mettre en _uvre - à moins que celle fondée sur les références historiques ne recueille l'accord des différentes parties concernées.

Le rapporteur a regretté que la Commission propose d'appliquer, à compter de 2006 au plus tard, un régime d'importation basé sur un système purement tarifaire, qui aura les plus graves conséquences pour les producteurs communautaires, car le tarif n'assurera pas une protection suffisante. Compte tenu des rivalités entre compagnies multinationales et des stratégies de dumping, il est à craindre que le tarif se traduise par une chute des prix qui élimine les producteurs communautaires. Pour le budget de l'Union européenne, ce régime risque de s'avérer très coûteux car l'aide compensatoire versée aux producteurs communautaires devra être fortement augmentée. Si les prix de revient de la banane communautaire sont particulièrement élevés, c'est parce que les salariés sont correctement traités : aux Antilles, un ouvrier agricole est payé 337 francs par jour, alors que les salaires journaliers se situent au niveau de 50 ou 60 francs dans les pays d'Amérique latine. De surcroît, le caractère monopolistique du transport maritime aux Antilles alourdit encore les coûts.

Le rapporteur s'est donc prononcé en faveur du maintien du régime contingentaire, aménagé de telle sorte qu'il garantisse le régime préférentiel prévu par la Convention de Lomé et l'accès égal de tous les opérateurs, y compris communautaires, à toutes les sources d'approvisionnement originaires de pays tiers. Il a ajouté que le régime de l'aide compensatoire, qui n'a pas été invalidé par l'Organe de règlement des différends de l'OMC, devrait être réformé. Actuellement, l'aide ne prend pas en considération les différences de situation entre les producteurs des Canaries et les autres producteurs communautaires. Les premiers bénéficient de la proximité de leur marché de consommation et des préférences du consommateur espagnol, ce qui leur permet d'obtenir des prix de vente convenables. De ce fait, l'aide qui leur est versée est supérieure de 13 % à la moyenne, alors que celle versée aux producteurs martiniquais, guadeloupéens et madériens est inférieure respectivement de 10 %, 27 % et 40 % à cette moyenne. Les Canaries ne seraient pas hostiles à un rééquilibrage si le niveau de l'aide restait inchangé. Le rapporteur a suggéré en outre que le fait générateur de l'aide soit l'expédition et non la commercialisation, car les producteurs communautaires subissent des pertes entre l'expédition et la mise sur le marché. Il a insisté pour que l'incidence des cyclones et des tempêtes tropicales, handicap majeur pour les économies antillaises, soit prise en considération par la Communauté.

M. Jean-Claude Lefort a soutenu pleinement les propositions du rapporteur, avant de s'élever contre la décision de l'ORD, qui, en appliquant la seule loi du marché, méconnaît à la fois les spécificités des DOM et des ACP, ainsi que la notion de multifonctionnalité de l'agriculture. Cette décision, qui pose à nouveau la question de la réforme de l'ORD, méconnaît également le mode de fonctionnement de l'Union européenne : contrairement aux Etats-Unis, l'Union subventionne les entreprises étrangères présentes sur son territoire ; ainsi, les multinationales américaines bénéficient des mécanismes communautaires de marché lorsqu'elles commercialisent leur production en Europe. Plus que jamais, il lui semble nécessaire de travailler à la réforme de l'OMC et de reconsidérer les relations entre l'Union européenne et les pays du sud.

Mme Béatrice Marre a approuvé ces propos et salué le travail du rapporteur, avant d'estimer qu'il n'y aurait, en dépit des propositions de la France, ni nouvelle conférence ministérielle, ni réforme de l'OMC avant les élections américaines. Evoquant la proposition de résolution, elle a souhaité que le dernier point, appelant une réforme substantielle des mécanismes d'aide aux producteurs communautaires, précise l'orientation préconisée par le rapporteur. Elle s'est demandé si le choix de l'acte d'expédition comme fait générateur de l'aide était le meilleur moyen de prendre en considération les risques liés à l'expédition.

Elle a enfin estimé que le travail de la Délégation dans le domaine des relations commerciales multilatérales devrait comporter deux volets : le premier, portant sur la réforme de l'OMC et de l'ORD, aborderait aussi la question de leurs relations avec les institutions de l'ONU et avec la Banque Mondiale et le FMI ; le second devrait se concentrer sur les relations entre l'Union européenne et les pays du sud.

M. Camille Darsières a indiqué que les compagnies multinationales américaines bénéficiaient effectivement des mécanismes de soutien communautaires. A propos des pays en développement, il a estimé que l'on pourrait étudier la possibilité de verser à ces pays une partie du produit des droits de douane perçus sur les importations de bananes.

La Délégation examinera lors de sa prochaine réunion la proposition de résolution présentée par M. Camille Darsières.

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III. Echanges de vues sur la situation de l'Autriche

Les conditions dans lesquelles un parti d'extrême droite serait appelé à participer au Gouvernement de l'Autriche, ainsi que les incidences de cette situation sur l'Union européenne, les principes et les valeurs qui la fondent et le fonctionnement de ses institutions, ont fait l'objet d'un débat auquel ont pris part M. Pierre Lellouche, Mme Nicole Catala, M. Gérard Fuchs, M. Jean-Claude Lefort, M. Jean-Marie Bockel et le Président Alain Barrau.

A l'issue de ce débat, le Président a constaté que les dispositions de la Constitution ne permettaient pas à la Délégation de s'exprimer sur ce point par la voie d'une proposition de résolution. Il a suggéré à la Délégation, qui l'a suivi, d'évoquer lors de la prochaine conférence des Présidents le souhait qu'un débat en séance publique soit consacré à cette question.