DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 111

Réunion du jeudi 25 mai 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information de M. Gaëtan Gorce sur le « dumping social »

M. Gaëtan Gorce, rapporteur, a souligné que l'appréciation du phénomène de dumping social se heurtait à deux difficultés. D'abord, celle de sa définition. Pour lui, il s'agit de toute pratique consistant, pour un Etat ou une entreprise, à violer, à contourner ou à dégrader, de façon plus ou moins délibérée, le droit social en vigueur - qu'il soit national, communautaire ou international - afin d'en tirer un avantage économique, notamment en termes de compétitivité. En second lieu, les études statistiques permettant d'en évaluer la portée demeurent insuffisantes : il n'existe guère de données précises et actualisées sur le volume des délocalisations et des transferts d'activité des pays de l'Union vers des Etats tiers dus au plus faible niveau de coût du travail ou de protection sociale. De même, n'est-on pas en mesure d'apprécier exactement les effets réels de ces phénomènes en termes d'emploi.

Aussi, le rapport s'attache-t-il principalement à l'analyse du dumping intra-communautaire. Il en ressort que le dumping social au sein de l'Union européenne s'est révélé jusqu'à présent limité. Certes, la Communauté a longtemps considéré le social comme le volet résiduel des politiques de libre concurrence et de libre circulation ; de ce fait, les systèmes sociaux continuent de présenter de fortes disparités. Le rôle des partenaires sociaux diffère aussi selon les Etats, à la fois par les compétences dont ils disposent, leur représentativité ou leur place dans la vie économique et sociale. Cette diversité n'a cependant pas provoqué de véritables distorsions de concurrence au sein de l'Union. Les auditions et les courriers échangés avec nos ambassades dans les autres pays de l'Union montrent que les formes de dumping, qui sont plus ou moins significatives et diffèrent d'un pays à l'autre, se révèlent globalement marginales. Elles sont plus marquées dans les secteurs à forte intensité de main-d'_uvre, comme le textile et l'habillement, les métiers du cuir, le bâtiment, les chantiers navals, la filière bois, la restauration et les transports routiers. Mais les acteurs économiques sont influencés dans leurs décisions par d'autres facteurs, à savoir les différences de fiscalité, les débouchés économiques, la qualité des infrastructures, la qualification et la productivité de la main-d'_uvre, sa disponibilité, la nature et la stabilité de la réglementation et le coût de la vie.

Toutefois, l'évolution du contexte économique international ravive les craintes de dumping social. En premier lieu, les droits sociaux fondamentaux restent insuffisamment protégés dans le cadre de la mondialisation. La liberté des échanges s'accompagne d'une concurrence accrue dans les secteurs à forte intensité de main-d'_uvre, qui pourrait se traduire par des délocalisations et des pertes d'emploi, d'autant plus que de nouveaux pays industrialisés, caractérisés par un coût de main-d'_uvre et une protection sociale relativement faibles, sont en mesure de fabriquer des produits à forte valeur ajoutée à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués par les pays de la Communauté, et que la réduction des barrières douanières de l'Union se poursuit. Or, parallèlement, la mise en _uvre des droits sociaux fondamentaux dans le monde est confrontée à maintes difficultés : une ratification limitée des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), une reconnaissance insuffisante des droits liés à la sécurité sociale, un mécanisme de sanction réduit en cas de violation. Deuxièmement, la mise en place du marché unique et de l'euro risque de déplacer la concurrence sur le terrain social. Dans un contexte marqué par la réduction des marges de man_uvre monétaires et budgétaires, la politique salariale, voire la politique sociale au sens large, risque de servir de variable d'ajustement des politiques économiques et certaines garanties sociales pourraient être sacrifiées pour accroître, à court terme, la compétitivité.

De surcroît, la réglementation communautaire, qui s'est pourtant enrichie au cours des dernières années, comporte bien des insuffisances. La règle de l'unanimité, qui régit une grande partie du domaine social, est paralysante ; elle le sera davantage encore, à mesure que l'Union s'élargira. En outre, la fixation de « prescriptions minimales » à la majorité qualifiée ne suffit pas à empêcher toutes les formes de dumping social. Force est aussi de souligner les capacités de contrôle limitées dont disposent les salariés ou leurs représentants sur les restructurations, les délocalisations ou les aides accordées aux entreprises. De même, la réglementation communautaire ne permet-elle pas d'empêcher certaines formes de détachement abusif de salariés ou de travail illégal.

Enfin, le processus d'élargissement pourrait, s'il n'est pas suffisamment maîtrisé, mettre en péril l'acquis communautaire. Si le dumping demeure limité dans le premier groupe de pays candidats, en revanche, les risques sont plus sensibles dans d'autres pays, tels que la Bulgarie ou la Roumanie. Les transferts d'activités textiles vers la Bulgarie motivés par la recherche d'une main-d'_uvre meilleur marché en constituent un exemple.

Face à cette évolution, l'Union européenne pourrait s'orienter dans trois directions.

D'abord, bâtir un nouvel ordre social international. Le rôle des grandes organisations internationales pourrait être renforcé : le mécanisme de sanction de l'Organisation internationale du travail (OIT) pourrait être plus dissuasif, les organisations ayant pour mission d'accorder des aides au développement - en particulier la Banque mondiale et le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) - pourraient plus largement tenir compte du respect des droits sociaux fondamentaux dans la définition de leur politique, tandis que l'Organisation mondiale du commerce pourrait prendre davantage en considération cet aspect dans ses décisions. L'Union européenne, quant à elle, gagnerait à encourager l'application de codes de bonne conduite par les entreprises et à s'appuyer sur son système de préférences généralisées (SPG) et sa politique d'aide au développement pour inciter certains de ses partenaires à mieux veiller au respect de ces principes.

La deuxième série de mesures consisterait à consolider le modèle social européen, par l'élaboration d'une constitution sociale européenne - que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne pourrait incarner - l'enrichissement des normes sociales communautaires, la définition de critères de convergence sociale assortis d'un calendrier contraignant et contrôlé, et des conditions d'adoption des textes plus adéquates, c'est-à-dire la généralisation de la règle de la majorité qualifiée et l'association plus étroite des partenaires sociaux à l'élaboration de ces textes. Il est également nécessaire de s'assurer de façon effective de l'intégration de l'acquis communautaire par les pays candidats dans le domaine social.

Une autre orientation serait de réconcilier l'économique et le social, en coordonnant mieux les politiques économiques et sociales, en renforçant le contenu des lignes directrices pour l'emploi et en organisant une concertation sur l'évolution des revenus et des prélèvements sociaux au sein de la zone euro, grâce notamment à la création d'un observatoire des politiques sociales. Il serait également souhaitable de favoriser l'intervention des partenaires sociaux dans la définition des grandes orientations politiques et sociales de l'Union : l'organisation d'une conférence sociale à la fin de chaque année, regroupant ceux-ci, des représentants du Conseil et de la Commission, ceux de la Banque centrale européenne et du Comité des régions, des membres du Parlement européen et des parlements nationaux et les organisations non gouvernementales _uvrant dans ce domaine, pourraient y contribuer. Enfin, la mise en place d'une autorité sociale européenne tripartite (pouvoirs publics, syndicats, patronat), chargée de faire respecter un code de bonne conduite en matière sociale, disposant d'un pouvoir de décision, d'expertise, d'investigation, voire de sanction, pourrait empêcher certains des abus actuels.

La France pourrait saisir l'occasion de sa présidence de l'Union européenne pour définir, dans le cadre de son Agenda social, un programme en faveur de l'amélioration du modèle social européen. A cet effet, elle pourrait être amenée à favoriser l'adoption de plusieurs textes, dont la proposition de directive du Conseil établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (E 1182), qui fait l'objet de la proposition de résolution soumise à la Délégation.

Cette proposition de résolution invite les autorités françaises à obtenir l'adoption de cette directive - qui étend largement les garanties accordées aux salariés en matière d'information et de consultation - et à l'améliorer sur quatre points : rendre applicable le dispositif proposé à un nombre plus important d'entreprises, c'est-à-dire celles d'au moins vingt salariés, au lieu de celles de cinquante salariés ; étendre l'information et la consultation des salariés à la situation et l'évolution prévisible des rémunérations, des conditions de travail, de l'aménagement du travail, de la formation et de la promotion professionnelles ; prévoir l'obligation pour les Etats membres de prendre des mesures équivalentes pour les administrations publiques ; enfin, permettre une évaluation de son application par un ou plusieurs organismes indépendants dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur.

M. Pierre Brana a soutenu les analyses et les propositions du rapporteur, avant d'évoquer l'influence des grandes entreprises multinationales sur la méconnaissance des droits sociaux et même des droits de l'homme. Dans l'Union européenne, l'absence d'application de la résolution du Parlement européen qui prévoyait la création d'un label social européen et d'un observatoire indépendant chargé d'en contrôler le respect est significative du chemin qui reste à parcourir. De surcroît, l'élargissement comporte certains risques de dumping social. Enfin, l'interdiction de l'activité syndicale et de la grève est utilisée par certains pays en développement comme argument d'appel aux investisseurs internationaux. Tous ces phénomènes requièrent la mise en place de systèmes de contrôle permettant de s'assurer que les Etats ou les entreprises qui proclament des codes de bonne conduite ne les méconnaissent pas. Les Etats-Unis condamnent les investissements en Birmanie, qui contribuent à soutenir la junte au pouvoir, mais ils sont les premiers investisseurs dans ce pays. Un projet de création d'un organisme indépendant pour contrôler l'application du code de bonne conduite que les compagnies pétrolières américaines déclarent s'imposer s'est d'ailleurs heurté au refus de celles-ci.

M. François Guillaume, ayant souligné l'intérêt du rapport, a regretté le décalage entre la richesse de son contenu et la modestie de la proposition de résolution qui le conclut. Il a déploré que des prescriptions sociales minimales n'aient pu être élaborées dans l'Union européenne, du fait de l'application de la règle de l'unanimité. Pour lui, le dumping social résulte en partie de l'intégration dans la Communauté européenne de pays du Sud de l'Europe qui, à l'époque de leur adhésion, avaient un niveau de vie plus faible que celui des pays fondateurs ; le souci louable de leur permettre un rattrapage, qui a conduit à atténuer les exigences sociales, perd de sa pertinence aujourd'hui, leurs économies s'étant considérablement développées. Il conviendrait donc de promouvoir un rapprochement des normes sociales, la perspective de l'élargissement de l'Union européenne constituant une nouvelle incitation en ce sens. La mondialisation des échanges a été mal maîtrisée : on a brûlé les étapes plutôt que de procéder par zones commerciales à l'intérieur desquelles on aurait défini des règles économiques et sociales communes, puis d'organiser une négociation entre zones. Dès lors, les économies développées sont confrontées aux pratiques de délocalisation et de sous-traitance internationale, tout en ayant le devoir de favoriser le développement économique des pays tiers : il y a donc un nouvel équilibre à trouver.

Le Président Alain Barrau a approuvé les travaux du rapporteur, qui donnent toute leur mesure aux difficultés résultant pour l'Union européenne du dumping social et suggèrent nombre de réflexions et de solutions. Il s'est interrogé sur les contours précis de l'acquis communautaire en matière sociale, avant d'évoquer la réaction négative des pays du Sud à l'égard des normes sociales que l'Union européenne veut introduire dans le cadre de l'OMC et que ces pays jugent d'inspiration protectionniste ou même néocolonialiste. Il a demandé au rapporteur quelles voies permettraient l'établissement d'un socle social européen avec le consentement des partenaires sociaux, des opinions publiques et des Etats, traduisant dans le domaine des relations du travail les valeurs dont on recherche actuellement la définition à travers la Charte des droits fondamentaux. Il lui a également demandé si l'agenda social européen pouvait traduire cette préoccupation.

Mme Nicole Catala a fait part des doutes que lui inspire la démarche consistant à recourir à la voie réglementaire pour obtenir un progrès social, lequel résulte surtout du développement économique. Comment fixera-t-on les normes sociales dans l'Europe élargie ? Face aux distorsions résultant de standards sociaux très différents, les normes juridiques auront peu d'incidence. Il n'est pas réaliste de penser que l'on pourra dépasser sensiblement le niveau fixé par la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux de 1989 pour la définition des standards minimaux.

M. Daniel Paul a exprimé la crainte de voir la mise en place de l'euro se transformer en machine infernale si l'on n'aboutit pas d'urgence à des avancées dans la définition d'une politique sociale européenne : la concurrence risque en effet de se déplacer sur le terrain fiscal et social. L'évolution de l'Organisation internationale du travail lui paraît également constituer une source d'inquiétude, dans la mesure où elle renoncerait à imposer aux Etats des normes que seule une minorité d'entre eux a acceptées. Sous la pression de grands groupes multinationaux et de pays inféodés à ceux-ci, des politiques sociales négatives se développent. La création d'un espace social européen, comportant un haut niveau de protection des droits sociaux, permettrait d'exercer sur l'OIT les pressions de nature à éviter une régression.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué que la convention de l'OIT de 1998 constituait un progrès, puisqu'elle rendait applicables à tout pays adhérent les normes sociales fondamentales. Toutefois, les sanctions de l'OIT se limitent à une interruption de sa coopération avec l'Etat défaillant ; les principes de souveraineté des Etats et de libre-échange empêchent d'aller plus loin. Une action sur les échanges eux-mêmes, par l'introduction d'une clause sociale, ne peut être employée qu'avec précaution, afin d'éviter tout soupçon de protectionnisme. L'établissement de codes de bonne conduite n'est pas à négliger, dans la mesure où le dispositif mis en place par l'OCDE permet de faire connaître publiquement leur violation par les entreprises. Par ailleurs, de plus en plus d'accords comportent des dispositifs de régulation ; l'ALENA, par exemple, donne aux syndicats et aux salariés une possibilité de recours, toutefois limitée par le fait que le litige est jugé en fonction de la législation de chaque Etat.

La charte sociale européenne de 1961 constitue une référence juridique suffisante, qu'il suffirait d'intégrer dans l'ordre juridique européen, plutôt que de réécrire les droits sociaux fondamentaux. Il conviendrait aussi que l'agenda social se fixe des objectifs précis et un calendrier pour les atteindre. Les enjeux sont à la fois juridiques et politiques : il faut, d'une part, favoriser le progrès du droit dans des domaines comme la formation et la sous-traitance, en accordant toute sa place à la négociation collective - même si elle bute sur la réticence du patronat européen (UNICE) - d'autre part, lutter contre la pauvreté et élever le niveau du progrès social.

Par ailleurs, si les écarts entre pays européens sont incontestables, la convergence réalisée par le Portugal, l'Espagne et la Grèce depuis leur adhésion à l'Union européenne montre que progrès social et progrès économique ne sont pas antinomiques. On pourrait définir ensemble des principes communs à tous les Etats membres. Ainsi, le salaire minimum pourrait être défini dans chaque Etat par référence à un même pourcentage du salaire moyen, tandis que des règles-cadres devraient s'appliquer aux contrats.

Mme Nicole Catala a observé qu'il ne fallait pas seulement raisonner en termes de salaires mais aussi de coûts du travail, largement influencés par les systèmes de financement de la protection sociale. L'harmonisation en ce domaine est beaucoup plus difficile à réaliser que pour l'établissement d'un salaire minimum.

Le rapporteur a estimé, quant à lui, que le respect des règles communes lui semblait plus important encore que leur harmonisation. Il s'agit avant tout d'empêcher que des Etats ne fassent pression sur les coûts sociaux - salaires et niveau de protection sociale - pour se donner un avantage de compétitivité. L'établissement d'une coordination entre Etats pour veiller à ce respect de principes de base est donc essentiel.

L'euro a pour effet de substituer au risque de dumping monétaire celui de dumping social. Les écarts de coûts sociaux ne sont cependant pas condamnables en eux-mêmes, à condition qu'ils reflètent les écarts de productivité. L'organisation de débats publics pour éclairer l'opinion européenne sur ce sujet serait très utile.

Le traitement de la concurrence des pays tiers doit tenir compte du fait qu'ils doivent aussi se développer et qu'il n'y a pas de productions réservées aux Européens. Il faut donc agir en prenant en considération le cadre social correspondant au niveau de développement de ces pays et de veiller à la transparence des stratégies des entreprises européennes pour que la délocalisation n'aboutisse pas à une exploitation des personnes.

Abordant l'examen de la proposition de résolution, le Président Alain Barrau en a justifié la portée - limitée au texte qui lui sert de fondement - par le souci de respecter les dispositions constitutionnelles. Il a toutefois souligné que l'adoption de la directive constituerait un progrès appréciable. L'objet de la proposition de résolution, bien que plus limité que le rapport, n'est donc pas dépourvu de valeur. Le rapporteur a confirmé son intention de poursuivre ses travaux sur le thème du rapport afin de donner un prolongement aux suggestions qu'il comporte.

M. François Guillaume a suggéré de compléter le dispositif de la résolution par une référence à l'intéressement et la participation des salariés. Mme Nicole Catala a demandé si la proposition de directive relative à l'information et la consultation des travailleurs résultait des insuffisances de la directive de 1994 sur le comité d'entreprise européen et si un bilan de l'application de ce texte avait été établi. Elle a également souhaité savoir si les partenaires sociaux avaient été associés à la négociation, comme le prévoit le protocole social. Elle s'est enfin interrogée sur la proposition du rapporteur consistant à abaisser le seuil de cinquante à vingt salariés, seuil inférieur à celui qui est applicable en droit français. Elle a rappelé les grandes différences entre Etats membres en matière de seuils : il n'y a pas de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés en France, dans celles de moins de cent aux Pays-Bas et de moins de cinq en Allemagne. Elle a donc souhaité que le seuil de cinquante figurant dans la proposition de directive et correspondant au seuil français soit maintenu.

Mme Nicole Feidt a suggéré d'insérer dans la résolution une mention de la parité entre les hommes et les femmes et exprimé le souhait que la Charte des droits fondamentaux ait un caractère contraignant, de manière à infléchir les principes néo-libéraux retenus par le Conseil européen de Lisbonne et à souligner la place des services publics dans l'Union européenne.

Le rapporteur a indiqué que la proposition de directive permettait d'offrir désormais un cadre général réglementant l'information et la consultation des salariés en Europe. Il a précisé qu'elle avait a été présentée à la suite du refus de l'UNICE de négocier sur cette question. Il a rappelé que la directive de 1994 instituant un comité d'entreprise européen présentait un bilan positif et que cinq cents comités européens avaient été créés. Il a indiqué que le seuil de vingt salariés avait été proposé par le Parlement européen et que la proposition de directive comportait des éléments de souplesse : les Etats peuvent établir des dérogations pour les entreprises de moins de cent salariés et organiser librement les modalités de l'information. Un seuil de cinquante salariés couvre un champ correspondant à 3 % des entreprises européennes ; son abaissement à vingt salariés double cette proportion.

A l'issue de ce débat, la Délégation a décidé de déposer la proposition de résolution présentée par le rapporteur, modifiée pour tenir compte des suggestions de Mme Nicole Feidt et de M. François Guillaume.

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II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Le Président Alain Barrau a présenté une communication de la Commission sur la sécurité maritime du transport pétrolier ainsi que trois propositions relatives respectivement : au renforcement du contrôle de l'Etat du port, à l'assujettissement des sociétés de classification à des règles plus sévères et à l'interdiction progressive des pétroliers à simple coque (document E 1440).

Ces textes reposent sur une analyse des faiblesses du dispositif en vigueur, dues à la fois à une dérive du marché du transport maritime des produits pétroliers et à l'application très insatisfaisante de la réglementation contenue dans des conventions internationales et des textes communautaires.

Face à cette situation, la Commission suggère plusieurs séries de mesures : le renforcement du contrôle des navires par l'Etat du port ; l'assujettissement des sociétés de classification à une procédure d'agrément centralisée et harmonisée ; l'introduction accélérée des prescriptions relatives à la double coque. Pour éviter que les pétroliers à simple coque, bannis des eaux américaines à partir de 2005, ne continuent de naviguer dans les eaux européennes, la Commission propose d'aligner les limites d'âge des navires et les échéances prévues par la convention MARPOL sur celles de la législation américaine. En outre, des mesures d'accompagnement sont prévues pour réduire les redevances portuaires dues par les pétroliers à double coque et appliquer une surtaxe aux pétroliers à simple coque.

Tout en notant que les dispositions des trois propositions vont dans le même sens que celles qui ont pu être suggérées en France par le Gouvernement et le Conseil économique et social, le Président en a regretté les insuffisances : la Commission a estimé peu réaliste et prématuré que l'Europe mette en place un système de garde côte communautaire ; la question de la responsabilité du propriétaire du navire et des installations n'est pas traitée dès cette première série de textes ; enfin la Commission n'a pas estimé nécessaire de reprendre le projet de registre communautaire Euros, qui avait pour objet de réserver le cabotage communautaire aux navires inscrits à ce registre et dont les officiers, ainsi que la moitié au moins du reste de l'équipage, devaient être des ressortissants des Etats membres.

Il a donc proposé à la Délégation de déposer une proposition de résolution invitant les autorités françaises à donner une impulsion, au cours de la présidence de l'Union européenne, aux mesures qu'il a suggérées.

M. Daniel Paul a déclaré partager les analyses du rapporteur. Si l'existence d'une organisation internationale comme l'OMI est une bonne chose, on ne peut que déplorer son immobilisme. Evoquant le mécontentement des populations vivant sur le littoral souillé, il a souligné que, pour celles-ci, les conséquences d'accidents comme celui de l'Erika constituent une véritable atteinte à la souveraineté de l'Etat et mettent en cause la liberté d'entreprendre. Il a appelé de ses v_ux la création d'un espace maritime européen, respectueux des spécificités nationales, soutenant ainsi la proposition du Président Alain Barrau. Il a souhaité que l'Union européenne puisse faire évoluer l'OMI par ses initiatives, comme les Etats-Unis l'ont fait avec leur loi de 1990.

Ayant insisté sur l'idée que l'Etat du pavillon devait assumer des responsabilités, il a souhaité que des pays candidats comme Malte et Chypre se dotent d'une administration maritime efficace. Rappelant que la responsabilisation des pollueurs passait nécessairement par l'identification des armateurs, il a demandé que les bateaux pénétrant dans l'espace maritime européen soient dotés d'une assurance permettant de couvrir les dommages : l'Erika était assuré pour seulement 80 millions de francs, alors que le coût des dommages est évalué à 1,2 milliard de francs.

M. Daniel Paul a par ailleurs déploré l'absence de coopération entre les Etats membres pour la prévention de ce genre d'accidents en Mer du Nord, dans l'Atlantique et en Méditerranée. Il a estimé nécessaire d'interdire à un navire ayant à bord des déchets de soute de quitter un port européen, avant de déplorer que seuls deux ports français, Marseille et Le Havre, disposaient des installations nécessaires pour traiter ces déchets. Il a souhaité que les prochaines directives proposées par la Commission européenne établissent des règles strictes en ce domaine. Il a regretté que la proposition de directive ne prévoie des inspections que pour les pétroliers transportant plus de 2000 tonnes d'hydrocarbures en vrac, méconnaissant ainsi le problème posé par les paquebots ayant plusieurs dizaines de milliers de tonnes de carburant dans leurs réservoirs. S'agissant de la double coque, il a observé que les professionnels avaient des avis partagés sur son efficacité, même si, sous l'influence des Etats-Unis, la réglementation tendait à en généraliser l'usage. Le projet de navire à double pont, en construction à Saint-Nazaire, lui semble présenter des garanties équivalentes.

S'agissant enfin du cabotage, il a rappelé que la législation américaine le réservait aux navires construits aux Etats-Unis et armés par des équipages nationaux. Il a estimé que la réglementation communautaire devait s'inspirer de ce dispositif pour confier le cabotage entre ports européens aux navires battant pavillon d'un Etat membre et ayant un équipage composé de marins ayant la nationalité de celui-ci.

M. Pierre Brana, regrettant que la réglementation ne soit améliorée que postérieurement à des catastrophes, a souhaité que les initiatives communautaires s'attachent également à la réglementation du transport des déchets nucléaires. Il a observé que l'immobilisme de l'OMI résultait de la répartition des voix des membres, qui est proportionnelle au tonnage des navires enregistrés, ce qui renforce l'influence des pays délivrant des pavillons de complaisance.

A l'issue de ce débat, la Délégation a décidé de déposer la proposition de résolution élaborée par le rapporteur et modifiée pour tenir compte de préoccupations exprimées par MM. Daniel Paul et Pierre Brana.

Le Président Alain Barrau a ensuite présenté plusieurs textes portant sur les relations extérieures et au commerce extérieur. La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur le projet de décision du Conseil portant création d'un Fonds européen pour les réfugiés (document E 1404), tout en souhaitant suivre attentivement l'évolution de la négociation. M. Pierre Brana a rappelé à cette occasion la demande de M. Rugova qu'une aide au retour soit apportée aux réfugiés pour leur permettre de se réinstaller au Kosovo.

La Délégation a pris la même décision pour les propositions de décision relatives aux accords de partenariat et de coopération avec l'Ukraine (document E 1438), la Moldova (document E 1445) et la Russie (document E 1456), ces trois textes ayant pour objet de tenir compte de l'adhésion de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande.

La réserve d'examen parlementaire ayant été levée à la suite d'une procédure d'examen en urgence, la Délégation a pris acte du règlement du Conseil interdisant l'exportation en Birmanie de matériels susceptibles d'être utilisés à des fins de répression interne ou de terrorisme, et prévoyant le gel des capitaux appartenant aux personnes exerçant d'importantes fonctions dans ce pays (document E 1446). M. Pierre Brana a fait part du rôle qu'ont pu jouer dans la répression certaines personnes n'appartenant pas au gouvernement, mais à des organisations liées à la police ou à l'office de renseignement. Le rapporteur a évoqué, en réponse, les différentes catégories de personnes mentionnées par le texte, ainsi que le grand nombre de celles qui sont visées nommément.

La Délégation a également pris acte, dans les mêmes conditions, de la proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière exceptionnelle au Monténégro (document E 1448), après une intervention de M. Pierre Brana, qui a souligné le rôle à jouer par l'office communautaire de lutte contre la fraude (OLAF) pour contrôler la bonne utilisation des aides européennes humanitaires, dans le contexte du développement des mafias en Yougoslavie.

La Délégation a considéré que plusieurs textes n'appelaient pas, en l'état actuel de ses informations, un examen plus approfondi : la proposition du Conseil modifiant le règlement portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits agricoles et industriels (document E 1433) ; la proposition de règlement modifiant l'annexe I du règlement relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (document E 1434) ; la proposition modifiant le règlement portant suspension temporaire des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels et agricoles (document E 1442) ; la proposition de décision concernant la conclusion entre la Communauté européenne et le Chili d'un protocole relatif à l'assistance administrative mutuelle en matière douanière (document E 1443) ; enfin, de la proposition de décision du Conseil relative aux possibilités de pêche ouvertes aux navires battant pavillon communautaire dans les eaux de l'Ile Maurice (document E 1444).

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