DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 146

Réunion du jeudi 31 mai 2001 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information de M. Jean-Bernard Raimond sur l'élargissement de l'Union européenne. Adoption des conclusions du rapporteur

M. Jean-Bernard Raimond a déclaré que le grand apport du Conseil européen de Nice était d'avoir donné un élan au processus d'élargissement de l'Union européenne et d'avoir montré aux pays candidats que leur place était déjà réservée dans les institutions communautaires. L'Union européenne a adopté un calendrier indicatif de négociation pour être prête à accueillir les candidats les mieux préparés à partir du début 2003. En outre, les pays candidats seront associés au débat sur l'architecture future de l'Union européenne qui va s'engager après Nice. Certes, l'intégration de l'acquis communautaire est techniquement difficile, mais elle présente l'avantage d'accélérer la transition économique et sociale conduite par ces pays depuis 1989. Le risque fondamental est que les difficultés techniques fassent oublier l'enjeu politique et qu'on n'utilise pas suffisamment l'arme politique pour les surmonter.

Les perspectives d'adhésion commencent à se préciser. En premier lieu, tous les dispositifs de la stratégie de pré-adhésion fonctionnent : accords d'association, partenariats pour l'adhésion, aides communautaires de pré-adhésion, jumelages, prêts de la Banque européenne d'investissement, participation aux programmes communautaires.

Ensuite, Nice a renforcé la stratégie de négociation en vue d'aboutir à un premier élargissement en 2004, grâce à l'adoption d'un calendrier indicatif de négociation de dix-huit mois, étalé sur les trois présidences suédoise, belge et espagnole, jusqu'à la fin de juin 2002, pour conclure, fin 2002, avec ceux qui seront prêts, ratifier le traité d'adhésion en 2003 et accueillir les nouveaux Etats membres en 2004. Les négociations ont sensiblement progressé depuis un an. L'Union a d'ores et déjà accepté bon nombre de demandes de périodes transitoires, présentées par les pays candidats.

Les négociations vont maintenant aborder les chapitres les plus difficiles. La présidence suédoise, qui a élevé l'élargissement au rang de première priorité, s'efforce de trouver des compromis, en particulier sur l'environnement et la libre circulation des personnes.

La reprise de l'acquis communautaire en matière d'environnement pour les douze candidats implique des investissements estimés à 120 milliards d'euros et l'ampleur des réformes a conduit les pays candidats à multiplier les demandes de périodes transitoires, plus d'une centaine allant de 2004 à 2016.

La liberté de circulation des personnes est le premier chapitre sur lequel l'Union européenne devrait présenter une demande de périodes transitoires, à l'initiative de l'Allemagne et de l'Autriche. L'Allemagne a demandé une période de restriction de sept ans après l'adhésion, avec la possibilité de la raccourcir à cinq ans pour tous les pays candidats, ou certains d'entre eux, si la pression migratoire s'avérait moins forte que prévue, et aussi d'accorder, pendant la période transitoire, un accès limité dans les secteurs des Etats membres subissant une pénurie de main d'_uvre qualifiée.

Dans son projet de position commune, la Commission a proposé aux Quinze de négocier avec les dix PECO une période de transition de cinq ans après leur adhésion, au cours de laquelle chaque Etat membre pourrait appliquer les restrictions de sa législation nationale, mais aussi accorder, immédiatement après l'élargissement, le libre accès du marché du travail aux citoyens de certains ou de tous les Etats membres. Une première révision automatique aurait lieu après deux ans pour évaluer la situation réelle sur les marchés du travail et décider si la période transitoire peut être raccourcie ou même abolie, avec éventuellement des clauses de sauvegarde. La période de transition prendrait fin après cinq ans, mais elle pourrait être prolongée de deux ans, soit sept ans au total, pour l'Etat membre qui le demanderait, en cas de turbulences sérieuses sur son marché du travail dûment justifiées.

Cette proposition de position commune a évolué sur deux points au cours des discussions entre les Quinze : d'une part, la clause de révision au bout de deux ans ne repose plus sur une décision du Conseil à l'unanimité, mais sur un système plus souple de notification par lequel chaque Etat membre indiquera ses intentions ; d'autre part, la nouvelle présentation du dispositif revient à afficher une période transitoire de deux ans, suivie après examen d'une première prolongation de trois ans pour les Etats membres qui le souhaitent et d'une dernière prolongation éventuelle de deux ans.

Ce dispositif a suscité les réserves de l'Espagne, qui a cherché à établir un lien entre ce chapitre et l'avenir du financement de la politique régionale après l'élargissement. Cette demande de l'Union pourrait également avoir des répercussions sur le chapitre de la libre prestation de services, pour laquelle le gouvernement allemand avait demandé que, parallèlement à la période transitoire de sept ans pour les travailleurs salariés, une restriction à la libre prestation de services s'applique, notamment dans le domaine de la construction et de l'artisanat pour éviter les « faux indépendants ». Les pays candidats pourraient également se montrer plus intransigeants sur la libre circulation des capitaux, au titre de laquelle certains d'entre eux demandent le maintien de restrictions à l'achat par les non-nationaux de terres agricoles ou de résidences secondaires.

La présidence belge aura la tâche délicate d'amener l'Union à prendre position sur de nombreux chapitres complexes : concurrence, questions vétérinaires et phytosanitaires, énergie, transports, fiscalité, justice et affaires intérieures.

La sûreté nucléaire qui ne figure pas dans l'acquis communautaire, mais fait partie de la négociation, a suscité des difficultés avec la République tchèque, qui n'a pu clore le chapitre énergie en raison des inquiétudes de l'Autriche suscitées par le démarrage de la centrale tchèque de Temelin en octobre 2000. Par ailleurs, des accords en vue de la fermeture de réacteurs non modernisables ont été conclus avec les gouvernements lituanien, bulgare et slovaque, mais la Lituanie n'a pas encore pris d'engagement de fermeture pour le deuxième réacteur de type Tchernobyl à Ignalina.

Par ailleurs, la tragédie de l'Erika en décembre 1999 a incité la France à se montrer particulièrement exigeante en matière de sécurité maritime et à demander que soit pris en compte tout ajout à l'acquis communautaire, après l'adoption d'Erika I et II.

En revanche, on observera que, sur le chapitre fiscalité, les Quinze ont accordé un taux réduit de TVA de 7 % ou 12 % sur les services de restauration, pour une durée limitée, à la Hongrie, à la Pologne et à la Slovénie, alors que l'hôtellerie et la restauration françaises n'ont pas obtenu la réduction provisoire du taux de TVA de 19,6 % pour faire face aux distorsions fiscales de concurrence dont bénéficient la restauration rapide sur le territoire national ainsi que des pays touristiques d'Europe du Sud appartenant à la zone euro.

Le chapitre justice et affaires intérieures n'a donné lieu à aucune demande de période transitoire ou dérogation, en raison de la distinction qu'établit la convention de Schengen entre son entrée en vigueur, date de l'adhésion formelle à Schengen, et sa mise en vigueur, date de la levée effective des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen. Les pays candidats doivent commencer à s'aligner sur l'acquis avant l'adhésion tout en n'appartenant pas effectivement à l'espace Schengen lorsqu'ils adhéreront. Des difficultés importantes risquent d'apparaître pour le contrôle des frontières extérieures orientales de l'Union européenne et l'alignement sur la politique commune des visas, en raison des liens tissés par les pays candidats avec leurs voisins de l'Est et avec leurs minorités vivant dans des pays qui n'appartiendront pas, au moins pour un temps, à l'espace Schengen.

Les chapitres relatifs aux principaux aspects budgétaires de l'élargissement seront traités durant la présidence espagnole et concernent la politique régionale, l'agriculture et les questions budgétaires.

Le deuxième rapport sur la cohésion économique et sociale, présenté par le commissaire européen chargé de la politique régionale, M. Michel Barnier, souligne l'ampleur des défis posés par l'élargissement à la politique de cohésion. Dans une Union élargie à vingt-sept membres dont le territoire et la population s'accroissent de 33 %, mais le PIB de seulement 7 %, les écarts de richesse entre Etats membres vont se creuser à nouveau et diviser le nouvel ensemble en trois groupes distincts au lieu de deux actuellement : le groupe le plus prospère comprenant douze des quinze pays de l'Union actuelle ; un groupe intermédiaire comprenant l'Espagne, le Portugal et la Grèce rejoints par la République tchèque, la Slovénie, Chypre et Malte, dont le revenu par habitant se situe autour de 80 % de la moyenne des vingt-sept et dont la population représente 13 % du total ; un troisième groupe comprenant les huit autres pays candidats dont le revenu par habitant se situe aux alentours de 40 % de la moyenne des vingt-sept et dont la population représente 16 % du total. Au rythme actuel de la convergence, il faudra une génération pour éliminer les disparités régionales entre les Quinze, mais au moins deux générations pour les éliminer entre les Vingt-sept.

L'enveloppe fixée à Berlin pour les actions structurelles semble suffire jusqu'en 2006, mais la question se posera pour la période ultérieure et le commissaire européen considère qu'on ne pourra descendre au-dessous de 0,45 % du PIB communautaire.

L'agriculture est le chapitre le plus difficile des négociations parce qu'il faut appliquer à une agriculture qui n'a pas encore achevé sa transition et joue un rôle majeur dans l'économie des pays candidats, les règles d'une politique agricole commune adaptée à une agriculture peu nombreuse et compétitive qui a déjà accompli sa mutation. Les parties doivent aborder la négociation en se préservant du double risque d'une explosion budgétaire et d'un dérèglement du marché unique pour les Quinze et d'un choc concurrentiel pour les pays candidats.

La négociation portera sur trois enjeux majeurs : le bénéfice immédiat, dès l'adhésion, des aides directes aux producteurs ; la période de référence à retenir pour déterminer les quotas de production ; les demandes de périodes transitoires présentées par les pays candidats. La relance du débat entre les Quinze sur une réforme éventuelle de la PAC à la suite des crises sanitaires n'incite pas les pays candidats à s'aligner rapidement sur un acquis qu'ils croient voué à une profonde transformation avant leur adhésion. Or, quelles que soient les décisions qui seront prises par les Quinze lors de l'évaluation des réformes en 2002-2003 et du réexamen de la PAC en 2006, il est illusoire de penser que la PAC sera révisée de fond en comble. Il n'y a en effet pas d'alternative à une politique alliant productivité, qualité et précaution.

Les perspectives financières 2000-2006 sont fondées sur l'hypothèse de l'adhésion, en 2002, des six pays candidats du premier groupe de Luxembourg. Comme elle ne se réalisera pas, au moins pour la date d'adhésion, trois questions se posent concernant : le report des crédits inutilisés de pré-adhésion et d'adhésion sur les exercices ultérieurs ; l'attribution, dès l'adhésion de nouveaux Etats membres, des crédits de pré-adhésion qui leur étaient affectés jusqu'en 2006 aux pays candidats non encore adhérents ; la nécessité ou non d'adapter le montant des crédits d'adhésion prévus pour six pays dès 2002 dans l'éventualité d'une adhésion de dix ou douze pays avant 2006. La Commission considère qu'elle n'aura pas besoin d'un surcroît de fonds pour l'élargissement jusqu'en 2006 et qu'elle sera tout au plus en quête de flexibilité dans la réallocation des fonds entre la pré et la post-adhésion.

Enfin, la question particulière de Kaliningrad, territoire russe enclavé entre la Lituanie et la Pologne, peut devenir un abcès de fixation ou au contraire un modèle de coopération dans sa dimension régionale comme pour les relations bilatérales UE-Russie, selon l'avenir que les parties décideront pour elles.

Les dix pays candidats d'Europe centrale et orientale auront accompli une révolution politique et économique en franchissant en une quinzaine d'années une transition en trois étapes. Ils sont d'abord passés d'une société totalitaire et d'une économie planifiée à une société démocratique et à une économie de marché. A cet égard, cinq pays ont retrouvé ou même dépassé leur niveau de vie antérieur à 1989 : la Pologne, la Slovénie, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque. En revanche, le problème de la convergence avec les niveaux de vie des Quinze reste entier.

La deuxième étape de la transition correspond au respect des trois critères politique, économique et de capacité à assumer les obligations d'un Etat membre, définis à Copenhague en 1993 pour l'adhésion à l'Union européenne. Tous les candidats respectent les critères politiques, à l'exception de la Turquie. Concernant les critères économiques, Chypre et Malte sont les pays les mieux placés et la Bulgarie et la Roumanie ferment la marche. Enfin, la transposition législative de l'acquis a, en général, bien progressé, mais la capacité à l'appliquer est encore insuffisante, en raison de la faiblesse administrative de tous les pays candidats.

La troisième et ultime étape de la transition correspond à l'alignement progressif sur les critères de Maastricht pour entrer, après l'adhésion, dans la zone euro. En novembre 2000 le Conseil Ecofin a publié une déclaration sur la stabilité économique et financière des pays en voie d'adhésion, non pas pour ajouter des conditions à l'adhésion de ces pays, mais pour les aider à assurer cette stabilité.

S'il est encore trop tôt pour définir avec précision les scénarios d'adhésion, les adhésions se feront par groupes de pays dans le respect du principe de différenciation selon les mérites de chacun et il est possible de distinguer trois situations. La candidature des dix pays candidats d'Europe centrale et orientale soulève essentiellement des problèmes économiques, en particulier la mutation de l'agriculture polonaise et le rattrapage des candidats du groupe d'Helsinki. Celle de Chypre et de Malte soulève principalement des problèmes politiques, d'une part, la division des Maltais entre majorité et opposition sur l'objectif d'adhésion à l'Union européenne, d'autre part, la partition de l'île de Chypre. Enfin, si la Turquie a progressé dans le processus de pré-adhésion, elle n'a pas encore satisfait aux critères politiques de Copenhague permettant d'ouvrir les négociations d'adhésion, mais il est évident que la reconnaissance du génocide arménien faciliterait considérablement son adhésion.

Le débat sur l'avenir de l'Europe ne fait que commencer et il faut se féliciter qu'il n'ait pas été abordé à Nice, permettant ainsi aux pays candidats d'y être pleinement associés. Sans vouloir freiner l'imagination créatrice, la réforme de l'Union européenne devait prendre pour fil conducteur la fidélité au pragmatisme qui a fait ses preuves depuis le début de la construction européenne. Enfin, il apparaît indispensable de résoudre le problème agricole polonais pour écarter le risque d'un blocage du processus d'élargissement dans un domaine où la démarche politique doit aider à surmonter une difficulté technique.

Après avoir salué le travail effectué par le rapporteur, M. Pierre Brana s'est étonné qu'il ne soit pas question d'instaurer des « garde-fous » contre les risques de dérive autoritaire des PECO, alors que l'élection présidentielle roumaine a montré qu'il ont été écartés de justesse. Toutes les leçons de la crise autrichienne ont-elles été bien tirées à ce sujet ?

Il a souhaité ensuite savoir quel était le nombre de travailleurs originaires de l'ex-Yougoslavie et d'Albanie travaillant légalement dans l'Union et exprimé la conviction que ces pays devraient faire partie d'une troisième vague d'adhésion pour apporter la paix dans cette région. Il s'est également interrogé sur la situation de la centrale nucléaire roumaine et sur la possibilité d'associer les PECO à la lutte contre la corruption et la délinquance à travers Eurojust et Europol.

Après s'être déclaré partisan d'utiliser les éventuelles marges financières existantes pour venir en aide à la Bulgarie et à la Roumanie, qui ont souffert des mesures d'embargo instaurées pendant la guerre du Kosovo, M. Pierre Brana a estimé quelque peu excessive la formulation retenue dans le rapport qui qualifie d'« extrémistes » certaines propositions actuelles de refonte de l'architecture européenne.

Félicitant à son tour le rapporteur pour un travail qui fera référence, M. François Loncle a estimé également que même les propositions les plus ambitieuses faites récemment étaient des contributions utiles au débat, qui peuvent être, certes, critiquées mais qu'on ne saurait qualifier d'« extrémistes ».

Se déclarant partisan de l'élargissement parce qu'il s'agit d'une chance historique et d'une nécessité politique, M. François Loncle a estimé qu'il n'était pas contradictoire d'élargir et de poursuivre le mouvement d'intégration. Encore faut-il pour cela disposer de bonnes institutions et de moyens financiers suffisants. Or, si le traité de Nice a le grand mérite d'ouvrir la voie à l'élargissement en trouvant des solutions aux trois reliquats d'Amsterdam, une nouvelle réforme des traités sera nécessaire en 2004 pour renforcer l'architecture institutionnelle de l'Union. Par ailleurs, il semble difficile de financer l'élargissement avec un plafond des ressources propres fixé à 1,27 % du PNB des Etats membres.

Concernant Chypre, M. François Loncle s'est inquiété des risques d'une « fuite en avant ». L'alternative semble être entre l'adhésion de l'île toute entière sans attendre sa réunification, ou de la seule République de Chypre, mais au risque alors de construire une frontière artificielle entre les deux parties de l'île, devenant la frontière extérieure de l'Union, et de créer des difficultés supplémentaires en terme d'immigration clandestine. S'étonnant de la faible mobilisation de l'ONU et de l'Union européenne, M. François Loncle a estimé que Chypre méritait son adhésion à l'Union et qu'il fallait pour cela trouver les solutions à ce problème très complexe.

M. Pierre Lellouche a souligné l'intérêt de ce rapport qui donne une photographie précise de l'élargissement au lendemain du traité de Nice. Déplorant l'impréparation institutionnelle de l'Union au défi de l'élargissement, il a ensuite souligné quatre difficultés liées au processus d'élargissement :

- les disparités des niveaux de vie dans une Europe composée de 27 membres, qui se situera pour un tiers de ses habitants entre 40 % et 80 % de la moyenne des européens, risquent de provoquer des tensions politiques ;

- la question agricole, alors que des incertitudes pèsent sur la politique agricole commune en raison de la volonté allemande de réformer la PAC, rend nécessaire d'adresser à la Pologne, qui compte autant d'agriculteurs que l'ensemble des Etats de l'Union européenne, un signal fort pour qu'elle réforme son agriculture ;

- la sécurité nucléaire dans les pays candidats devrait amener la France, en pointe dans l'industrie nucléaire mais trop silencieuse sur ce sujet, à aider ces pays et à proposer des solutions alternatives qui soient financées par le budget communautaire ;

- enfin, les tensions politiques qui pourraient naître de l'accession au pouvoir, dans certains pays candidats, de coalitions extrémistes devraient conduire à modifier le traité de Rome pour que l'adhésion des pays éventuellement concernés puisse être provisoirement suspendue tant que ne seraient pas réunies les conditions du retour à un pouvoir démocratique. En ce qui concerne la politique internationale, il a regretté que l'Union ait accepté la candidature de la Turquie à l'adhésion sans avoir préalablement exigé le règlement de son contentieux avec Chypre. Il a ensuite évoqué les tensions liées à la situation des minorités en Europe centrale et souligné les risques d'importation dans l'Union européenne des problèmes de frontières et de minorités non réglés avant l'adhésion.

Enfin, M. Pierre Lellouche a suggéré la réalisation par la Délégation d'un rapport d'information spécifique sur la question de Kaliningrad, qui soulève d'importants problèmes en matière militaire et d'environnement et constitue un sujet très intéressant du fait de sa position géographique en Europe.

Mme Béatrice Marre a rejoint M. Pierre Lellouche dans l'analyse qu'il fait de l'impréparation institutionnelle de l'Union européenne face à l'élargissement. Puis elle a proposé que les conclusions du rapport insistent davantage sur les problèmes agricoles qui rendent, selon elle, indispensable une augmentation des transferts de compétence et du budget communautaire. Elle a également souhaité que soit mentionnée l'idée selon laquelle l'élargissement doit permettre de renforcer l'un des acteurs du monde multipolaire et de contribuer à un rééquilibrage économique planétaire prenant mieux en compte le modèle européen.

M. Pierre Lequiller s'est à son tour félicité que ce rapport délivre une vision concrète des différentes difficultés rencontrées par chacun des pays candidats. Sur la question évoquée précédemment du niveau de vie, il a demandé s'il serait possible de disposer d'éléments de comparaison entre les pays candidats et la situation du Portugal et de la Grèce, à la date de leur adhésion.

Puis il est revenu sur la nécessité de poser clairement, et dès maintenant, la question de l'augmentation du budget communautaire pour réussir l'élargissement. Abordant ensuite la question du calendrier des adhésions, il a rappelé l'interprétation relativement souple qui avait été faite des critères de convergence pour le passage à la monnaie unique, afin de ne pas écarter les pays du Sud de la zone euro. Il estime qu'un raisonnement similaire pourrait être tenu en ce qui concerne l'adhésion de la Pologne dès la première vague d'élargissement, compte tenu de son poids démographique et politique, et malgré des difficultés persistantes dans le domaine agricole.

Sur les questions institutionnelles, il a insisté sur la distinction qu'il faut établir entre une Europe de la paix, qui justifie l'élargissement, et une Europe de la puissance, fondée sur le développement des coopérations renforcées. Il a enfin regretté que la question de l'adhésion de la Turquie n'ait pas été liée au règlement préalable du contentieux chypriote.

M. Jean-Claude Lefort, après avoir relevé que l'unanimité des félicitations à l'égard du rapporteur reflétait le consensus de la Délégation sur l'élargissement, a soulevé le problème de la place du politique dans la poursuite du processus d'élargissement. Il a ainsi exprimé le sentiment que l'adhésion de certains pays comme la Pologne, qui ne satisfait pas encore aux critères économiques ou techniques, revêtait avant tout un caractère politique. Il s'est également interrogé sur les conséquences économiques et sociales de l'accroissement des disparités au sein de l'Union élargie.

Il s'est ensuite étonné que soit envisagée l'adhésion de Chypre alors qu'une large partie du territoire de ce pays divisé reste occupée par une armée étrangère et s'est inquiété de l'avenir de la PESC avec des pays candidats tous demandeurs de plus d'OTAN.

Il a souhaité que soient prises des initiatives pour redonner à la décision politique la primauté dans le processus actuel d'élargissement.

M. Maurice Ligot a d'abord considéré que Nice n'avait rien réglé pour la construction institutionnelle, mais que l'échéance de 2004 offrait une perspective intéressante et que la participation des pays candidats au débat était particulièrement opportune.

Evoquant les conséquences budgétaires de l'élargissement et les résultats assez médiocres de l'important effort financier réalisé par l'Allemagne en faveur des Länder de l'Est, il s'est demandé si les perspectives budgétaires ne devraient pas être analysées moins en terme de volume qu'en considération de l'usage des dotations et du choix des bons leviers. Il s'est également interrogé sur les limites géographiques de l'élargissement de l'Union, rappelant que l'intégration de la Turquie amènerait l'Union à reprendre à son compte les intérêts de ce pays en Asie centrale.

Le Président Alain Barrau a souligné que le rapport de M. Jean-Bernard Raimond constituait le prolongement des travaux consacrés par la Délégation aux enjeux de l'élargissement, en liaison avec les Parlements des pays candidats.

Il a considéré que le prochain élargissement de l'Union européenne changerait la nature de l'Europe, en raison du poids démographique et du nombre des pays concernés. Il a appelé à la vigilance sur la volonté de certaines forces politiques d'en profiter pour affaiblir l'Union européenne et la transformer en zone de libre-échange.

Dans ce contexte, il a jugé que la France devait assumer un rôle politique majeur pour permettre la réussite de l'élargissement, notamment en raison des liens étroits que notre pays entretient avec plusieurs pays candidats.

Evoquant les questions techniques difficiles à résoudre, dont les conséquences pour des secteurs économiques des deux parties ne doivent pas être négligées, il a proposé de privilégier la méthode de la négociation individualisée avec les pays candidats. Il y a en effet de fortes justifications à une présence de la Pologne dans le premier groupe, mais cet accord sur l'objectif ne dispense pas d'une négociation approfondie.

Il a souhaité que le rapport ne fasse pas référence, pour l'adhésion des premiers pays concernés, aux délais de ratification, qui sont variables selon les cas, mais plutôt à la date du 1er janvier 2003 qui est l'objectif de conclusion des négociations avec les candidats les mieux préparés.

Il a estimé que l'élargissement de l'Union européenne ne pourrait réussir sans un accroissement sensible des dépenses qui lui sont consacrées, voire une remise en cause du plafond global des ressources propres fixé à 1,27 % du PNB des Etats membres.

Il a enfin déclaré que le débat sur l'élargissement ne pouvait pas faire l'impasse sur la question des frontières, notamment entre la Slovénie et la Croatie ou entre la Pologne et l'Ukraine, ou sur l'évolution des relations entre la Russie et l'Union européenne, sujet sur lequel la France doit être politiquement active.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- depuis le départ de Milosevic, le « problème » yougoslave est pratiquement réglé. Dans ce contexte, la question des frontières de l'Europe du Sud-Est se pose avec une acuité particulière ;

- il est anormal qu'on n'ait pas davantage progressé sur la question du nucléaire et de la remise à niveau des vieilles centrales des pays candidats et il faut que l'Europe y consacre davantage de moyens ;

- sur la partition de Chypre, les deux possibilités de règlement évoquées par M. François Loncle soulignent combien ce problème pose un défi à l'adhésion de ce candidat ;

- le dépassement éventuel du plafond des ressources communautaires, fixé à 1,27 % du PNB européen, fait déjà l'objet d'un débat nourri, mais ce problème ne sera sans doute réglé qu'en 2006, à l'expiration des perspectives financières actuelles ;

- le rapport ne qualifie pas les contributions de l'Allemagne au débat sur l'avenir de l'Union de positions «extrémistes», mais ces dernières doivent être mises en perspective par rapport à ce qui serait souhaitable et possible pour l'Europe. Toutefois, la formule générale employée, qui visait en réalité certaines thèses du début des années cinquante, sera retirée pour éviter tout malentendu à cet égard.

La Délégation a ensuite examiné les propositions de conclusions présentées par le rapporteur.

Au point 2, relatif à l'importance des négociations agricoles avec la Pologne, M. François Loncle a considéré que le fait de distinguer ainsi la Pologne par rapport aux autres pays candidats était quelque peu problématique et le Président Alain Barrau a indiqué que les conclusions avaient traditionnellement un caractère général.

Sur la suggestion de M. Maurice Ligot et après les interventions de MM. Pierre Lequiller et François Loncle et du rapporteur, la Délégation a modifié le point 2 en précisant, avant d'aborder le cas de la Pologne, qu'elle considère que des solutions techniques doivent être apportées aux difficultés communes à l'ensemble des pays candidats préalablement à leur entrée dans l'Union.

Sur le point trois, relatif aux coopérations renforcées, M. François Loncle a estimé que l'exclusion a priori de coopérations renforcées débouchant sur des institutions distinctes créées au sein de l'Union ne se justifiait pas. M. Pierre Lequiller a déclaré partager l'analyse de M. François Loncle. Les coopérations renforcées, en matière de défense, de politique monétaire et dans le cadre des accords de Schengen ont abouti à la création d'enceintes distinctes des institutions de l'Union. La Délégation a alors adopté, sur proposition de M. François Loncle, un amendement au point trois indiquant que l'avant-garde de l'Union élargie devait reposer prioritairement sur les coopérations renforcées.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les rapports présentés par la Commission, le 8 novembre 2000, sur l'évolution d'ensemble et les progrès réalisés par chacun des treize pays candidats à l'Union européenne,

Vu les décisions de la Conférence intergouvernementale sur la réforme des traités et les conclusions adoptées par le Conseil européen de Nice, les 7, 8 et 9 décembre 2000, sur le processus d'élargissement,

Considérant que le Conseil européen de Nice n'a pas seulement levé le préalable institutionnel à l'élargissement, ni permis d'intensifier les négociations d'adhésion, mais qu'il a ouvert une nouvelle étape de la construction européenne invitant au dépassement de l'opposition traditionnelle entre l'élargissement et l'approfondissement de l'Union européenne ;

1. Estime que le respect des critères d'adhésion est une exigence sur laquelle l'Union ne peut transiger sans menacer tout l'édifice communautaire, mais que l'Union européenne ne peut pas accueillir des pays victimes de la déchirure de l'Europe en se limitant à une négociation technique ; se réjouit que la déclaration relative à l'avenir de l'Union adoptée à Nice permette d'ouvrir un dialogue entre les Quinze et les pays candidats sur une vision commune d'un avenir partagé, à la hauteur des espoirs soulevés par l'unification de l'Europe ;

2. Considère que des solutions techniques doivent être apportées aux difficultés communes à l'ensemble des pays candidats préalablement à leur entrée dans l'Union ; constate notamment que l'impact de l'intégration de l'agriculture polonaise dans la politique agricole commune sera tel que l'Union européenne ne pourra clore ce chapitre de la négociation avec les autres pays candidats avant d'avoir défini une solution pour la Pologne et appelle ce pays à s'engager fermement dans la restructuration de son agriculture, afin de lui permettre de figurer parmi les premiers pays à adhérer ;

3. Considère que l'Europe ne peut se diviser institutionnellement au moment où elle se réunit enfin et que l'avant-garde de l'Union élargie doit reposer prioritairement sur les coopérations renforcées ;

4. Estime que le modèle communautaire doit rester un système évolutif capable de trouver à chaque étape le point d'équilibre entre les aspirations de ses membres et que la prochaine réforme institutionnelle ne doit pas prétendre le figer dans sa forme définitive, au risque d'adopter une configuration institutionnelle en complet décalage avec le développement ultérieur de l'Union ;

5. Rappelle que la réforme institutionnelle doit être proportionnée aux ambitions des Etats membres de l'Union et que les aides que les Quinze seront prêts à accorder au rattrapage des nouveaux Etats membres à partir de 2007, dans une Union élargie, constitueront une mesure des ambitions du modèle européen en matière de cohésion et de solidarité entre ses membres ».

II. Informations relatives à la Délégation

Le Président Alain Barrau a apporté des précisions sur les activités qui vont être menées par la Délégation dans le cadre du débat sur l'avenir de l'Union :

- un groupe de travail a été constitué pour réfléchir à l'architecture future de la construction européenne. Présidé par le Président de la Délégation, ce groupe de travail se compose également de quatre membres appartenant à la majorité et à l'opposition et procèdera à des auditions de responsables politiques, de juristes et de fonctionnaires. Il établira un rapport d'information à l'automne prochain ;

- des auditions de hautes personnalités auront lieu régulièrement le mardi à 17 H 30, sous l'égide de la Délégation. Ces auditions seront ouvertes à tous les parlementaires et au public ;

- à l'automne prochain seront organisées des assises sur l'Europe, devant notamment permettre aux représentants des forums régionaux de faire le bilan de leurs travaux ;

- par ailleurs, la Délégation continuera d'avoir des contacts avec les parlements nationaux des pays candidats.