DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 169

Réunion du jeudi 29 novembre 2001 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Communication de M. Pierre Brana sur le mandat d'arrêt européen (document E 1829)

La Délégation a entendu une communication de M. Pierre Brana sur le mandat d'arrêt européen (proposition de décision-cadre, document E 1829).

M. Pierre Brana a rappelé que le principe de l'institution d'un mandat d'arrêt européen avait été consacré par le Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) du 20 septembre dernier et confirmé par le conseil européen de Bruxelles du 21, pour simplifier et accélérer les poursuites et faciliter l'exécution des condamnations pénales en Europe. Les attentats du 11 septembre ont provoqué une prise de conscience nouvelle de la nécessité d'un tel rapprochement et accéléré le cours des réflexions déjà engagées. Il faut espérer que le même ordre de préoccupations facilite la mise en place effective d'Eurojust et permette de faire avancer la réflexion sur la création d'un parquet européen et la prise en compte du Corpus Juris.

Le Conseil européen extraordinaire de Bruxelles a en particulier exprimé le désir que le mandat européen à créer se substitue entièrement à la procédure d'extradition et permette la remise directe des personnes recherchées d'autorité judiciaire à autorité judiciaire, dans le respect, bien entendu, des droits et libertés fondamentaux. Il est demandé au Conseil JAI de parvenir à un accord politique et de « fixer les modalités » de cet accord « au plus tard lors de sa réunion des 6 et 7 décembre 2001 ».

Les relations entre les Etats membres de l'Union européenne pour l'exécution des mandats et jugements de condamnation émis par les autorités judiciaires d'un Etat à l'encontre d'un individu se trouvant sur le territoire d'un autre Etat sont actuellement régies par la procédure traditionnelle de l'extradition. Il faut noter que les deux Conventions européennes les plus récemment intervenues en la matière, en 1995 et en 1996, ne sont pas encore entrées en vigueur, faute d'avoir été ratifiées par l'ensemble des Etats membres. Plus généralement, le développement de la coopération judiciaire en matière pénale et en procédure pénale s'est poursuivi selon un rythme très modéré.

Pour sa part, la proposition de décision-cadre fait du mandat d'arrêt européen un instrument d'application en principe universelle. Elle fixe les règles propres à résoudre des conflits de fond et de procédure.

La proposition initiale de la Commission permet d'émettre un mandat d'arrêt européen, soit pour l'exécution de condamnations définitives à au moins quatre mois d'emprisonnement, soit pour l'exécution de décisions judiciaires préalables au jugement dans une poursuite portant sur des faits passibles d'au moins un an de prison.

L'exécution du mandat d'arrêt est confiée aux autorités judiciaires, conformément à l'article 4 de la proposition de décision-cadre. Toutefois, une autorité centrale est chargée, dans chaque Etat membre, de l'assistance administrative et technique à l'exécution du mandat d'arrêt. La désignation de cette autorité centrale relèvera du droit interne de chaque Etat membre.

Parmi ces dispositions d'accompagnement de l'institution du mandat d'arrêt, M. Pierre Brana, a plus spécialement évoqué la procédure en cas de jugement par défaut : le règlement de compétence en cas de requêtes multiples se traduisant par l'émission de plusieurs mandats ; les garanties données, lorsque l'infraction poursuivie est passible de la prison à perpétuité, à l'Etat d'exécution dont la législation ne comporte pas cette peine ; et enfin la possibilité de suspension unilatérale de l'application du mandat d'arrêt européen vis-à-vis d'un Etat membre suspecté d'une violation grave et persistante des droits de l'homme fondamentaux.

Le rapporteur a ensuite exposé les principaux sujets restant en débat.

En premier lieu, il a rappelé que le droit de l'extradition repose sur l'application du principe de double incrimination : pour qu'une extradition soit possible, il faut en principe que l'infraction pour laquelle il y a condamnation ou poursuite soit également punissable dans l'Etat auquel la demande d'extradition est adressée. Le mandat d'arrêt européen exclut l'application de ce principe dès lors qu'il est fondé sur la règle de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Mais, chaque Etat demeurant souverain pour définir les éléments constitutifs d'infractions pénales, il peut se faire que des comportements punissables en vertu de la loi d'un Etat membre ne le soient pas dans la législation d'un autre (l'avortement ou l'homosexualité par exemple). La question s'est dès lors posée de savoir si l'on établit une liste d'infractions échappant, par dérogation au principe général, à l'application du mandat européen (c'est la proposition de liste négative contenue dans le document initial de la Commission) ou si l'on définit, et selon quels critères, la liste positive des infractions entrant dans son champ d'application.

Il est apparu au cours des débats du Conseil JAI que la démarche de la liste positive était seule à permettre l'établissement d'un compromis. Mais de nombreuses divergences subsistent quant au contenu de cette liste et à la méthode de définition des infractions qui en feraient partie. Les propositions de plusieurs Etats membres, dans la mesure où elles réintroduiraient, au bénéfice du juge de l'Etat d'exécution du mandat européen, une trop grande faculté d'interprétation du fondement juridique donné à ce mandat par le juge de l'Etat d'émission, apparaissent inadéquates à l'objectif recherché, qui est la remise rapide des personnes mises en cause aux juridictions qui les ont poursuivies ou condamnées. Le débat sur les conditions et les délais de la remise des personnes est un autre sujet de controverse qui illustre la contradiction entre l'objectif de rapidité exprimé et la manière dont certains Etats conçoivent sa concrétisation.

Pour éviter que de telles divergences ne paralysent l'application du mandat d'arrêt européen, la France a été particulièrement active dans la mise en forme de propositions de compromis. La démarche de Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, doit être soutenue : tel est le sens des conclusions dont le texte est soumis à la Délégation. Il faut en effet éviter, sous réserve de la garantie des droits de l'homme mentionnée à juste titre par le Conseil européen, que la création du mandat d'arrêt européen ne souffre d'un excès de complication nuisible à sa réception concrète par les juridictions des Etats membres.

Le Président Alain Barrau a demandé au rapporteur s'il estimait que la proposition de directive pourrait être adoptée par le Conseil JAI des 6 et 7 décembre. Il a également souhaité savoir si ce dossier avait été abordé avec les candidats au processus d'élargissement et s'il serait intégré à l'acquis communautaire lors de la négociation.

M. Pierre Brana a estimé qu'au-delà d'un accord de principe entre les Etats membres, la proposition de décision-cadre créant un mandat d'arrêt européen pose de nombreuses difficultés d'application. Il lui a semblé que le Conseil JAI des 6 et 7 décembre allait s'orienter vers un compromis a minima permettant l'exécution d'un mandat d'arrêt européen suffisamment opérationnel et susceptible d'évoluer ultérieurement. Il a rappelé que le processus d'élaboration de la directive avait été accéléré à la suite des attentats terroristes du 11 septembre, et que le mandat d'arrêt n'avait pas été évoqué avec les pays candidats.

Le Président Alain Barrau a annoncé à la Délégation que son rapport relatif à l'Union européenne face au terrorisme serait actualisé et complété d'ici à la fin du mois de décembre.

Les propositions de conclusions du rapporteur figurant ci-après ont ensuite été adoptées.

« La Délégation pour l'Union européenne,

Vu la proposition de décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen et à la procédure de remise entre Etats membres (document E 1829), ainsi que la note de la présidence en date du 21 novembre 2001 contenant une nouvelle rédaction de cette proposition de décision-cadre,

Vu les conclusions du Conseil européen de Bruxelles du 21 septembre 2001,

Considérant l'accord de principe réalisé entre les Etats membres pour faire disparaître, grâce à l'institution d'un véritable mandat d'arrêt européen, les obstacles que mettent les frontières pénales des Etats à une répression efficace des crimes et délits dans l'espace de sécurité et de justice voulu par le traité d'Amsterdam ;

Rappelant en outre que la définition d'un tel instrument commun est particulièrement opportune à l'heure où les Etats membres se préoccupent de mieux coordonner leurs actions contre le terrorisme international ;

Considérant que, dans une matière qui touche directement aux libertés fondamentales de l'homme, la simplicité et la lisibilité de la règle de droit applicable est le premier gage du respect pratique de ces libertés par les autorités chargées d'appliquer cette règle,

1. Soutient la position du Gouvernement en faveur de l'établissement, pour la définition du champ d'application du mandat d'arrêt européen, d'une liste positive fondée principalement sur l'énumération d'infractions dénommées de façon générique et non par référence à des conventions internationales qui ont pu intervenir en matière pénale ;

2. Exprime son attachement aux seuils de quatre et douze mois d'emprisonnement retenus dans le projet de décision-cadre pour l'application du mandat d'arrêt européen, respectivement pour les jugements exécutoires et dans la phase préalable au prononcé du jugement ;

3. Emet le v_u que, la définition des exceptions et limites que l'on déciderait d'apporter à l'application du mandat d'arrêt européen, soit conçue dans l'unique souci d'assurer le respect des garanties fondamentales des droits de l'homme ;

4. Demande que toutes dispositions soient prises pour assurer, dès lors que ces garanties fondamentales sont convenablement observées, la remise rapide, et en tout cas dans un délai qui ne saurait excéder trois mois, des personnes poursuivies ou condamnées aux juridictions qui ont émis les mandats d'arrêt. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Alain Barrau, la Délégation a examiné plusieurs textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

¬ Commerce extérieur

Elle a étudié en premier lieu la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion des accords sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et, d'une part, la Barbade, le Bélize, la République du Congo, Fidji, la République coopérative de Guyana, la République de Côte-d'Ivoire, la Jamaïque, la République du Kenya, la République de Madagascar, la République du Malawi, la République de Maurice, la République du Suriname, Saint-Christophe-et-Névis, le Royaume du Swaziland, la République unie de Tanzanie, la République de Trinidad-et-Tobago, la République d'Ouganda, la République de Zambie, la République du Zimbabwe et, d'autre part, la République de l'Inde, sur l'approvisionnement en sucre brut de canne à raffiner (document E 1859).

Après que le Président Alain Barrau et Pierre Brana aient souligné l'importance d'une prise en compte par cette proposition de décision des accords passés avec les pays ACP, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur ce texte.

Elle a également levé la réserve d'examen parlementaire sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2505/98 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits agricoles et industriels (document E 1865).

¬ Consommation

La Délégation a examiné le Livre vert sur la protection des consommateurs dans l'Union européenne (document E 1834). Cette démarche vise à évaluer la nature des obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur liés aux différences de réglementations nationales, ainsi que les attentes et besoins des partenaires économiques en matière de relations commerciales. La Délégation a pris acte de ce texte.

Elle a également étudié la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (document E 1835). Ce texte concerne les OGM destinés à l'alimentation humaine ou animale, ainsi que les denrées alimentaires et aliments pour animaux contenant des OGM ou obtenus à partir d'OGM. Il institue une procédure d'évaluation et d'autorisation centralisée confiée à la future Autorité alimentaire européenne qui doit être mise en place début 2002. La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur cette proposition.

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

La Délégation a examiné la proposition de décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme (document E 1828). Il s'agit d'harmoniser la définition par les législations nationales des comportements constitutifs d'actes de terrorisme, l'échelle des peines applicables à ces infractions et les éléments connexes de leur régime juridique. La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur ce texte.

Elle a également levé la réserve d'examen parlementaire sur :

- la proposition d'accord entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Office européen de police (Europol) (document E 1869), visant à intensifier la coopération entre Europol et les « Law Enforcement Agencies » américaines ;

- l'initiative commune en vue de la constitution d'équipes communes d'enquête pour la répression coordonnée de certains comportements de grande criminalité (document E 1832).

¬ Pêche

La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur les documents E 1861 (proposition de décision du Conseil) et E 1862 (proposition de règlement du Conseil) relatifs à l'application de l'accord de coopération en matière de pêches maritimes entre la Communauté européenne et la République islamique de Mauritanie pour la période du 1er août 2001 au 31 juillet 2006. Ces textes permettront, notamment, aux navires européens (espagnols, italiens, portugais, français et néerlandais) d'accroître leurs possibilités de pêche, et à la Mauritanie d'obtenir un soutien financier plus important pour compenser l'épuisement de ses ressources. Avec une contribution communautaire qui passe de 266,8 millions d'euros à 430 millions sur cinq ans, ce protocole de pêche devient le plus important conclu avec un pays tiers.

¬ PESC et relations extérieures

La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur les deux textes suivants :

- le document E 1853 (proposition de décision du Conseil) modifiant la décision 2001/549/CE du 16 juillet 2001 portant attribution d'une aide macrofinancière à la République fédérale de Yougoslavie, qui propose, à la suite d'une initiative franco-allemande et d'une invitation du Conseil, de majorer de 45 millions d'euros le montant global initialement adopté et de le porter à un montant maximal de 345 millions d'euros ;

- le document E 1863 (proposition de décision du Conseil) modifiant la décision 1999/325/CE du Conseil - portant attribution d'une aide macrofinancière à la Bosnie-et-Herzégovine -, qui propose de fixer la date limite d'utilisation de l'aide au 31 décembre 2002 pour permettre de verser les 15 millions d'euros de dons restants.

Le Président Alain Barrau a également informé la Délégation qu'il avait levé la réserve d'examen parlementaire, selon la procédure d'urgence, sur le document E 1848 abrogeant la réduction de certaines relations économiques avec la République fédérale de Yougoslavie.

¬ Questions sociales

La Délégation a examiné deux documents sur lesquels elle a levé la réserve d'examen parlementaire :

- le document E 1653 (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil), qui a pour objet de remédier aux principales difficultés constatées dans l'application de la directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Il précise le champ d'application de la directive, fixe plusieurs obligations aux Etats concernant les institutions de garantie et réglemente le cas des situations transnationales ;

- le document E 1857 (proposition de décision du Conseil) sur les lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres en 2002, qui apporte quelques modifications ponctuelles par rapport au texte des lignes directrices pour 2001.

Le Président Alain Barrau a estimé à cet égard que cette démarche pourrait être amplifiée par la définition de critères convergents plus précis. Sinon, elle risque de se limiter, au mieux, à une incitation favorable pour les Etats et, au pire, à l'établissement de statistiques et d'indicateurs communs.

Mme Béatrice Marre a souligné que si la Conférence de Doha n'avait guère réussi à avancer sur la question de l'emploi, cela était dû en partie à la difficulté de l'Union européenne à définir une stratégie suffisamment claire en la matière.

La Délégation a également pris acte du document E 1776 (Livre vert tendant à promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises), qui s'inscrit dans le cadre de l'objectif stratégique défini au Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 (permettre à l'Union de devenir « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable, accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ») et invite les pouvoirs publics de tous niveaux - y compris les organisations internationales, les entreprises, les partenaires sociaux et les organisations non gouvernementales - à exprimer leur opinion sur la manière de bâtir un partenariat destiné à ériger un nouveau cadre favorisant la responsabilité sociale des entreprises.

¬ Transports

La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur le document E 1765 (proposition de règlement du Conseil), relatif à la constitution d'une entreprise commune Galileo, qui propose de recourir à la formule de l'entreprise commune prévue à l'article 171 du traité CE, afin de veiller au bon développement du programme Galileo, de poursuivre les efforts en matière de recherche et de développement technologique et d'associer les financements publics et privés.

Elle a pris acte du document E 1818, qui constitue le Livre blanc sur la politique européenne des transports à l'horizon 2010. Celui-ci comprend soixante mesures reposant sur la tarification, la revitalisation des modes de transports alternatifs à la route et des investissements ciblés dans le réseau transeuropéen.

¬ Divers

La Délégation a enfin levé la réserve d'examen parlementaire sur deux propositions :

- le document E 1549 (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil), qui procède à une mise à jour de la directive 97/66/CE actuellement en vigueur
- relative au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications - afin de garantir sa neutralité technologique et la couverture des nouveaux services de communications ;

- le document E 1751 (proposition de directive du Parlement européen et du Conseil) sur la performance énergétique des bâtiments, qui prévoit, notamment, la mise en place d'une méthodologie commune de calcul de l'efficacité énergétique des bâtiments, l'introduction par les Etats membres de normes minimales d'efficacité et un système de certification de performance.

M. Pierre Brana a souligné que si ce texte était pertinent, il revenait aux Etats membres, en vertu du principe de subsidiarité et compte tenu de leurs conditions climatiques spécifiques, de prendre les mesures concrètes permettant de réaliser les économies d'énergie visées.