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Document E1393
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Conseil portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.


E1393 déposé le 7 février 2000 distribué le 10 février 2000 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(1999) 0565 final du 25 novembre 1999, transmis au Conseil de l'Union européenne le 6 janvier 2000)

Base juridique :

Article 13 du traité instituant la Communauté européenne, qui dispose que « sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

Procédure :

Décision du Conseil à l’unanimité sur proposition de la Commission, après avis du Parlement européen.

Avis du Conseil d’Etat :

Document E 1375 : La proposition de décision établissant une proposition d’action communautaire de lutte contre la discrimination (2001-2006), en tant qu’elle dresse une liste d’orientations pour l’action ultérieure de la Communauté ne comporte pas en elle-même de dispositions ayant un caractère législatif. Toutefois, certaines des décisions auxquelles elle renvoie auront nécessairement, en l’espèce, en raison du domaine concerné, un tel caractère ; leur mise en œuvre entraînera d’autre part l’attribution de crédits budgétaires ; cette proposition peut donc être regardée comme intéressant indirectement à ce double titre le domaine de la loi.

Documents E 1393 et E 1394 : Par la nature et l’étendue des principes et des droits qu’elle définit, comme par les garanties dont elle les entoure, la directive proposée régit une matière qui relève de la compétence législative.

Motivation et objet :

Ce « paquet de mesures » a pour objet de tirer les conséquences de l’extension des compétences de l’Union, en application du nouvel article 13 du traité instituant la Communauté européenne tel qu’il résulte du traité d’Amsterdam ( Cf . « Base juridique »), pour renforcer la lutte contre les discriminations. Il comporte trois projets distincts :

– une proposition de décision du Conseil établissant un programme d’action communautaire de lutte contre la discrimination (document E 1375) ;

– une proposition de directive ayant pour objet de mettre en place un cadre général pour assurer, en matière d’emploi et de travail, le principe de l’égalité de traitement entre les personnes au sein de l’Union, quels que soient leur race ou leur origine ethnique, leur religion ou leurs convictions, leur handicap éventuel, leur âge ou leur orientation sexuelle (document E 1393) ;

– une proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (document E 1394).

Ces initiatives ne manqueront pas d’être rapprochées du projet de protocole n° 12 à la convention européenne des droits de l’homme sur l’égalité et des dispositions sur le même sujet contenues dans la charte des droits fondamentaux de l’union européenne, en cours de discussion.

Appréciation au regard du principe de subsidiarité :

Ce principe est respecté d’abord parce que l’action de l’Union est nécessaire pour encadrer les dispositions des Etats membres en matière de lutte contre la discrimination. En son absence, leur contenu et leur portée pourraient varier sensiblement d’un Etat à l’autre et l’application du principe communautaire d’égalité entre les personnes en serait compromise.

Il l’est ensuite parce que cette action est proportionnée. La première proposition de directive (document E 1393) se borne à créer un cadre général, en laissant aux Etats la liberté d’en fixer les modalités précises d’application. Le champ d’application de la seconde proposition de directive (document E 1394) est déjà largement couvert par le droit du travail, le droit social et le droit de la fonction publique des Etats membres. On pourrait soutenir à cet égard que les Etats membres ayant fait leur cet objectif, la justification d’une législation communautaire en la matière ne s’impose pas d’évidence. Mais outre qu’elle peut contribuer à forger l’identité européenne et à renforcer la cohésion économique et sociale de l’Union, une directive dans ce domaine répond aux critères posés par le protocole n° 7 accompagnant le traité d’Amsterdam sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Celui-ci en effet justifie les actions communautaires lorsqu’elles présentent des avantages manifestes en raison de leurs dimensions ou de leurs effets par rapport à une action au niveau des Etats membres.

Contenu et portée :

 Document E 1375

Cette proposition de décision assigne trois objectifs à ce programme, appelé à s’échelonner du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2006. Il s’agit d’évaluer l’ampleur et la nature de la discrimination dans la Communauté, d’aider à renforcer les capacités des acteurs qui luttent contre la discrimination et enfin de promouvoir et de diffuser les valeurs qui sous-tendent la lutte contre la discrimination. Les actions prévues pour atteindre ces objectifs s’appuient sur l’analyse des facteurs liés à la discrimination, la coopération transnationale et la sensibilisation. Si la Commission est maître d’œuvre de ce programme et de cette coopération avec les Etats membres, elle est assistée par un comité composé de représentants des Etats membres et présidé par le représentant de la Commission. Il revient en particulier à la Commission d’assurer la cohérence globale de ce programme avec d’autres politiques et de veiller au suivi régulier de ce programme en coopération avec les Etats membres. Le coût cumulé du programme jusqu’en 2006 est évalué à 98,4 millions d’euros. On relève que participent à ce programme : les pays de l’AELE, les pays associés d’Europe centrale et orientale, Chypre, Malte et la Turquie.

 Document E 1393

La proposition de directive comporte les principales mesures suivantes :

Elle affirme le principe général de non-discrimination – directe ou indirecte – entre les personnes, en fonction de la race ou de l’origine ethnique, de la religion ou des convictions, d’un handicap, de l’âge ou de l’orientation sexuelle, concernant l’accès à l’emploi et au travail, y compris la promotion, la formation professionnelle, les conditions d’emploi, de rémunération et de licenciement, et l’affiliation à certaines organisations. Est considéré notamment à ce titre comme une discrimination le harcèlement d’une personne lié à l’un de ces motifs, qui a pour objet ou effet de créer un environnement de travail intimidant, hostile, offensant ou perturbant.

Elle prévoit cependant deux exceptions à ce principe général. La première s’applique en cas de discrimination justifiée par la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, lorsque cette discrimination constitue une « exigence professionnelle essentielle ». Il en est ainsi notamment pour les établissements d’enseignement religieux vis-à-vis de leurs salariés au regard de leurs convictions religieuses. La deuxième exception concerne certaines discriminations fondées sur l’âge lorsqu’elles sont « objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime et sont appropriées et nécessaires à la réalisation de cet objectif ». C’est le cas en particulier pour l’interdiction de l’accès à l’emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d’assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés, ou pour la fixation d’un âge minimum comme condition d’attribution de prestations de retraite ou d’invalidité.

Elle précise que ce principe ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres mettent en œuvre des actions « positives » tendant à prévenir ou à compenser des désavantages résultant des discriminations qu’il a précisément pour objet de combattre. Par ailleurs, il ne leur interdit pas d’adopter des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement et n’a pas vocation à constituer un motif de réduction de la protection pouvant exister dans tel ou tel Etat.

Les Etats doivent veiller à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives permettant de faire respecter les propositions de ce texte soient accessibles à toutes les personnes victimes de ce type de discrimination – ou aux personnes morales agissant pour leur compte –, même après la cessation de la relation de travail.

Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que, à l’exception des procédures pénales, lorsqu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation de ce principe. De même, ils introduisent des dispositions protégeant les travailleurs contre tout licenciement ou toute autre mesure défavorable constituant une réaction de l’employeur à une plainte formulée au sein de l’entreprise ou devant une juridiction pour non-respect du principe d’égalité de traitement.

Les Etats sont tenus d’informer les autorités compétentes de toutes les mesures nationales prises en application de ce texte et de faire en sorte que celles-ci soient portées à la connaissance des organismes de formation professionnelle et d’enseignement et diffusées sur les lieux de travail.

Ils doivent également prendre les mesures appropriées pour favoriser le dialogue entre les partenaires sociaux afin de promouvoir l’égalité de traitement par la surveillance des pratiques sur les lieux de travail, les conventions collectives, les codes de conduite, la recherche ou l’échange d’expériences ou de bonnes pratiques. Ils les encouragent, à ce titre, à conclure des accords entre eux dans ce domaine.

Ils doivent aussi supprimer toutes les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement. Sont d’ailleurs déclarées nulles et non avenues celles qui, présentant cette caractéristique, figurent dans les conventions collectives, les accords d’entreprise, les règlements intérieurs d’entreprise et les statuts des professions indépendantes et des organisations de travailleurs et d’employeurs.

Les Etats membres prévoient des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de violation des règles de la directive. Ils communiquent à la Commission les dispositions qui les régissent ainsi que les éventuelles modifications auxquelles elles pourraient donner lieu.

Ils mettent en œuvre les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 31 décembre 2002 et en informent immédiatement la Commission.

Ils communiquent, enfin, dans un délai de deux ans à partir du 31 décembre 2002, toutes les informations nécessaires à l’établissement d’un rapport au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive.

Document E 1394

Pour mettre en œuvre une égalité de traitement entre des personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, la proposition de directive comporte quatre séries de dispositions : elles ont trait au champ d’application de la directive, aux conditions d’exercice des recours judiciaires pour appliquer les règles de non-discrimination, à la mise en place d’organismes indépendants de promotion de l’égalité de traitement et à la mise en œuvre de ces principes.

Sont prohibés par la directive les discriminations directes et indirectes ainsi que les harcèlements, qui sont opérés pour des raisons de race ou d’origine ethnique. Cette prohibition s’applique aux domaines suivants : l’accès aux activités salariées et non salariées ainsi que les conditions de travail ; l’affiliation à des organisations d’employeurs ; la protection sociale et la sécurité sociale ; les avantages sociaux ; l’éducation ; l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services. La directive admet toutefois des dérogations. Tout comme la proposition de directive contenue dans le document E 1393, elle autorise en effet les différences de traitement fondées sur une caractéristique liée à la race ou à l’origine ethnique, lorsque cette caractéristique constitue une exigence professionnelle essentielle, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice. Pour illustrer cette dérogation, l’exposé des motifs de la proposition de directive cite l’exemple du choix de personnes de race ou d’origine ethnique déterminée pour un spectacle.

Lorsque la proposition de directive permet aux Etats membres d’autoriser des mesures législatives ou administratives positives pour prévenir ou compenser des désavantages chez un groupe de personnes d’une race ou d’une origine ethnique, on ne manquera pas non plus d’établir un parallèle avec la proposition de directive figurant dans le document E 1393.

Trois séries de dispositions participent de la mise en place de procédures judiciaires et administratives visant à assurer la défense des droits énoncés dans le texte.

D’abord, les Etats doivent veiller à ce que ces procédures visant à faire respecter les obligations découlant de ce texte soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment victimes de discriminations. Un droit d’accès à ces procédures doit être ouvert en ce sens aux personnes morales agissant pour le compte du plaignant.

Ensuite, à l’instar de la disposition retenue dans la proposition de directive relative à l’accès à l’emploi (document E 1393), la charge de la preuve pèse sur la partie défenderesse, puisque c’est à elle qu’il incombe de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

Enfin, les personnes victimes de tout traitement discriminatoire ou de toute conséquence défavorable à leur plainte devront faire l’objet de mesures de protection dans l’ordre juridique interne.

Si la promotion du dialogue social entre partenaires sociaux constitue un point commun avec la directive sur la non-discrimination dans l’accès à l’emploi, la mise en place d’organismes indépendants de promotion de l’égalité de traitement entre personnes de races ou d’ethnies différentes constitue une des originalités du dispositif proposé. Ces organismes seront chargés de recueillir les plaintes des victimes, d’y donner suite, d’entamer des enquêtes et d’émettre des recommandations. On ne peut manquer de faire un rapprochement entre cette disposition et l’institution de la Commission for racial equality britannique. Cependant, dans le cas français, d’aucuns seront fondés à s’interroger sur la compatibilité d’une telle institution avec les pouvoirs de poursuite dévolus au parquet et sur l’opportunité de sa création. En effet, qu’il s’agisse du Haut Conseil à l’intégration, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, du groupement d’études sur les discriminations et des commissions départementales d’accès à la citoyenneté, le paysage administratif français n’est déjà pas avare d’institutions de ce type aux compétences voisines sinon identiques.

S’agissant de la mise en œuvre de ces principes, on retiendra surtout deux dispositions : la première invite les Etats membres à prendre les sanctions adaptées à ces règles. Selon la terminologie communautaire habituelle, ces sanctions sont appelées à être efficaces, proportionnées et dissuasives. La seconde règle impose à ces Etats de se conformer aux obligations de la directive avant le 31 décembre 2002 au plus tard.

Textes législatifs nationaux susceptibles d'être modifiés :

Les dispositions visées par le document E 1393 portent sur le code du travail.

Seront affectées par la directive contenue dans le document E 1394 les dispositions des codes du travail et de la sécurité sociale, ainsi que des dispositions du titre premier du statut et général de la fonction publique et du code de procédure civile (droit d’ester en justice des associations).

Réactions suscitées et état d'avancement de la procédure communautaire :

Ces textes ne soulèvent aucune opposition de principe de la part d’aucun Etat membre. Ils seront examinés au Conseil « Travail Affaires sociales » du 8 mai prochain et pourraient donner lieu à une position commune au Conseil « Travail Affaires sociales » du 6 juin 2000.

Si la proposition de décision du Conseil établissant un programme d’action communautaire de lutte contre la discrimination ne suscite pas de difficulté (document E 1375), elle ne devrait être adoptée qu’après la proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (document E 1394) qui semble prioritaire.

Conclusion :

Le document E 1393 ne soulève pas de problème politique particulier. Il est cohérent à la fois avec le niveau de protection nationale contre les discriminations et avec l’action engagée par les pouvoirs publics depuis plusieurs années dans ce domaine. Reste que, malgré les fiches d’évaluation jointes aux projets d’acte, on ne voit pas quelles seront les conséquences économiques, administratives et judiciaires précises du dispositif proposé. Ainsi, par exemple, quels seront les effets pour les entreprises et les administrations publiques des « aménagements raisonnables » à prévoir pour permettre aux personnes handicapées « d’accéder au travail » ( visés à l’article 1, point 4) ? Quel sera, pour elles, l’impact du renversement de la charge de la preuve au profit des salariés (prévu à l’article 9) ? Cette disposition est-elle susceptible d’accroître sensiblement les contentieux juridictionnels ?

Si ce texte n'appelle donc pas, en l'état actuel des informations de la Délégation, un examen plus approfondi de sa part, il serait souhaitable que, au-delà de l’identification des incidences juridiques du dispositif, une évaluation précise de son impact économique, administratif et juridictionnel soit faite avant que le Gouvernement ne donne son accord au Conseil.

Qu’il s’agisse d’une référence jugée parfois excessive à la notion de race qui pourrait être interprétée comme donnant un fondement scientifique aux distinctions entre races, ou qu’il s’agisse de la définition des discriminations directes et indirectes, des interrogations rédactionnelles nourrissent encore le débat sur le document E 1394. D’autres propositions contiennent des difficultés plus substantielles déjà évoquées à propos du document E 1393. La crainte de voir le renversement de la charge de la preuve favoriser un abondant contentieux, les problèmes soulevés par l’insertion des organismes indépendants de promotion de l’égalité de traitement dans le droit existant, la remise en cause d’une certaine forme d’autonomie des partenaires sociaux constituent les objets de la discussion en cours.

La Délégation pourrait intervenir à nouveau sur ces textes si, au vu des informations complémentaires dont elle aura connaissance, ils soulevaient une difficulté particulière.