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Document E2773
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'octroi de licences obligatoires pour des brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques destinés à l'exportation vers des pays connaissant des problèmes de santé publique.


E2773 déposé le 24 novembre 2004 distribué le 25 novembre 2004 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2004) 0737 final du 29 octobre 2004, transmis au Conseil de l'Union européenne le 29 octobre 2004)

Base juridique :

Articles 95, relatif à l'harmonisation des législations dans le cadre du marché intérieur, et 133, relatif à la politique commerciale, du traité instituant la Communauté européenne.

Procédure :

Codécision.

Avis du Conseil d'Etat :

La présente proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil a pour objet la mise en œuvre au plan communautaire de la décision du conseil général de l'Organisation mondiale du commerce du 30 août 2003 qui, en prévoyant des dérogations à certaines obligations concernant l'octroi de licences visées dans l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), permet aux Etats membres de l'OMC d'accorder des licences obligatoires pour la production et la vente de produits pharmaceutiques brevetés en vue de l'exportation vers des pays tiers dont les capacités de production en la matière sont insuffisantes. Elle fixe les conditions pour l'octroi de telles licences, définit les importateurs pouvant en bénéficier et la procédure.

S'agissant d'un nouveau cas d'octroi de licence obligatoire, touchant au droit de la propriété intellectuelle, et eu égard à l'interdiction d'importation, de mise sur le marché ou de réexportation des produits faisant l'objet d'une licence obligatoire à ce titre, ainsi qu'aux mesures susceptibles d'être prises en cas d'importation illicite, le présent projet relèverait, en droit français, du domaine législatif.

Commentaire :

M. Jean-Claude Lefort, rapporteur, a indiqué que la proposition de règlement a pour objet affiché de mettre en œuvre, au niveau communautaire, la Décision de l'OMC du 30 août 2003 sur l'accès des pays pauvres et en développement aux médicaments brevetés.

Avant de présenter ce texte, le rapporteur a exposé la situation qu'il recouvre.

D'un côté, il y a une tragédie humaine et sociale, dont on parle désormais de manière récurrente, en raison de son énormité et de ses effets considérables : il s'agit des pandémies mondiales, et de l'autre côté, il y a les règles de l'OMC qui consacrent, dans le domaine de la santé, une logique marchande, faisant opposition de facto à la réalisation du droit à la santé auquel peut espérer tout être humain sur cette planète.

De sorte qu'aujourd'hui, dans le monde, on ne meurt pas du sida parce qu'il n'y aurait pas de médicaments. On peut dire qu'on meurt du sida parce qu'il y a des médicaments - mais des médicaments inaccessibles pour les pays du Sud.

Quelle est la situation concrète ?

Selon le dernier rapport de l'ONUSIDA, près de 37,8 millions de personnes vivent avec le VIH. Il a tué, en 2003, près de 3 millions de personnes. Mais le pire est devant nous. Dans la seule Chine, 10 millions de personnes risquent d'être infectées d'ici à 2010. En Afrique, 12 millions d'enfants ont perdu l'un de leurs parents ou les deux à cause de la maladie, le nombre d'orphelins devant atteindre 18 millions d'ici à 2010. Le nombre d'enfants naissant avec le sida augmente, et les chiffres officiels, dans certaines régions du monde, sont sous-estimés.

Ce contexte est rendu d'autant plus dramatique que l'accès aux traitements antirétroviraux est très limité. Selon le rapport de l'ONUSIDA, " Cinq à six millions de personnes dans les pays à faible et moyen revenus ont immédiatement besoin d'un traitement antirétroviral. Pourtant, l'OMS a estimé que 700 000 personnes seulement y avaient accès à la fin de 2003, ce qui signifie que 9 sur 10 des personnes qui ont un besoin urgent de traitement du VIH n'en bénéficient pas ".

Face ce drame, que prévoient les règles de l'OMC sur la propriété intellectuelle pour l'accès aux médicaments ?

Premièrement, l'Accord dit ADPIC établit une durée de vie de 20 ans pour les brevets protégeant les médicaments. Comme le souligne, notamment Médecins Sans Frontières, cela se traduit par des situations de monopole, des prix élevés pour les médicaments et, par conséquent, un accès restreint ou impossible des populations pauvres à ces produits.

Deuxièmement, l'Accord ADPIC ne prévoit qu'une flexibilité pour faire face à cette situation dramatique, celle de recourir à une licence obligatoire, c'est-à-dire à une autorisation accordée par un gouvernement, à lui-même ou à une tierce partie, pour utiliser l'invention brevetée.

Mais l'exercice de cette " souplesse " est soumis à la négociation préalable d'une licence volontaire, à des " conditions commerciales " et dans un délai " raisonnables ", avec le titulaire du brevet; une obligation qui, toutefois, ne s'applique pas dans les " situations d'urgence nationale " ou " autres circonstances d'extrême urgence ".

Ainsi, au vu de la gravité des enjeux, la porte entrouverte par l'Accord ADPIC est trop étroite.

Troisièmement, au 1er janvier 2005, la période de transition accordée aux pays en développement pour différer l'application de l'ADPIC a pris fin. Le nombre de pays concernés par la Décision du 30 août est donc élargi.

Or, c'est grâce à ce délai que le Brésil a adopté, en 1996, un programme permettant de produire sous forme de génériques les principales molécules efficaces contre le VIH. Cela a permis de réduire, dans ce pays, la mortalité liée à la pandémie de 50 %.

Ce délai a également permis à l'Inde de devenir le premier producteur et exportateur mondial d'antirétroviraux génériques, et à la Chine, d'être le principal fournisseur de matières premières entrant la composition de ces produits.

Ces pays n'étant plus autorisés, depuis l'entrée en vigueur de l'ADPIC le 1er janvier dernier, à reproduire les traitements brevetés, cela fait peser une menace sérieuse sur la fabrication de génériques vendus à prix réduits, en particulier sur la possibilité de fabriquer ou d'exporter des médicaments de 2ème génération.

On affirme souvent que le prix de ces médicaments est lié au coût de la recherche afférente. Cet argument n'est pas sans intérêt. Mais il faut noter que seule la concurrence exercée par les médicaments génériques a permis de faire baisser sérieusement le prix des antirétroviraux princeps traitant le SIDA.

Comme le souligne M. Michel Kazatchkine, qui vient d'être nommé Ambassadeur de France chargé de la lutte contre le VIH-sida, l'application de l'Accord ADPIC par les grands pays du Sud risque de signifier " un brusque retour en arrière ".

La problématique étant posée, il convient d'examiner la réponse de l'OMC.

Dès son adoption en 1994, l'ADPIC a été critiqué. Mais le débat, d'abord porté principalement par les ONG, s'est en quelque sorte " mondialisé " en 1998, lorsque 39 laboratoires pharmaceutiques ont intenté un procès devant la Cour suprême d'Afrique du Sud contre un projet de loi du Gouvernement sur l'importation parallèle de médicaments génériques, un texte violant, d'après les plaignants, l'ADPIC.

Le sujet, devenu depuis lors un enjeu majeur de la fracture Nord-Sud, a occupé bien des discours et des réunions des pays riches. Il a été finalement mis à l'ordre du jour des négociations multilatérales, à l'occasion de la réunion ministérielle de Seattle, en novembre 1999. C'est dans ce cadre qu'une Déclaration sur l'Accord ADPIC et la santé publique a été adoptée à la Conférence ministérielle de Doha, en novembre 2001, soit deux ans plus tard.

Celle-ci a été saluée, à juste titre, comme un accord politique majeur. En reconnaissant implicitement qu'un droit de l'homme aussi essentiel que celui de la protection de la santé devait primer sur les règles commerciales multilatérales, la Déclaration de Doha a témoigné, pour la première fois dans l'histoire du combat pour une mondialisation régulée, de la volonté du politique de supplanter la logique du primat économique. Ce renversement des termes était majeur : le sujet - l'économique - devenait objet.

Ainsi, la Déclaration de Doha affirmait un principe, à savoir que l'ADPIC ne devrait pas empêcher de prendre des mesures pour protéger la santé publique et qu'il devait être interprété et mis en œuvre d'une manière qui appuie le droit des Membres de protéger la santé publique et de promouvoir l'accès de tous aux médicaments. Elle reconnaissait, en conséquence, les " préoccupations concernant les effets de la protection de la propriété intellectuelle sur les prix ". De plus, le texte de Doha rappelait solennellement les flexibilités prévues par l'Accord ADPIC, en insistant sur le droit absolu qu'ont les membres de l'OMC d'accorder des licences obligatoires et de déterminer librement ce qui constitue une situation d'urgence nationale.

L'engagement contracté à Doha précisait par ailleurs que les pays les plus pauvres de la planète, c'est-à-dire les PMA, étaient exemptés des obligations de l'Accord ADPIC jusqu'en 2016, soit une prolongation de 10 ans de la période de transition initialement prévue.

Il donnait enfin la date butoir de fin 2002 pour trouver un accord sur la question de l'accès des membres de l'OMC dépourvus d'industrie pharmaceutique aux médicaments brevetés. L'accord n'est intervenu qu'en août 2003, soit 4 ans après Seattle.

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* *

Présentant la Décision du 30 août 2003, M. Marc Laffineur, rapporteur, a rappelé qu'elle vise à appliquer le paragraphe 6 la Déclaration de Doha sur l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et la santé publique.

Consacré au problème de l'accès aux médicaments brevetés des membres de l'OMC dépourvus d'industrie pharmaceutique, ce paragraphe a servi de fondement à l'élaboration d'un compromis équilibré, qui permet à ces pays d'importer des médicaments génériques à bas prix.

La Décision définit, à cet effet, les conditions dans lesquelles les membres de l'OMC peuvent déroger à l'obligation énoncée par l'article 31.f de l'Accord ADPIC.

Celui-ci prévoit qu'un pays utilisant " à des fins d'urgence nationale " une licence obligatoire doit le faire " principalement pour l'approvisionnement du marché intérieur ".

Il semble interdire l'exportation, par un membre de l'OMC, d'un médicament fabriqué sous licence. Or cette restriction est susceptible d'entraîner des conséquences dramatiques pour les pays victimes de pandémies ou d'autres graves crises de santé publique, et qui ne peuvent produire eux-mêmes les traitements appropriés.

Aussi, conscients que la solidarité due aux pays les plus pauvres devait primer sur l'application étroite des règles multilatérales, les membres de l'OMC ont-ils convenu d'assouplir celles-ci.

A cet égard, l'Union européenne a pesé de tout son poids pour parvenir à un compromis qui réponde aux attentes des pays démunis, tout en préservant les principes essentiels de l'Accord ADPIC.

Dans cette perspective, la Décision de l'OMC prévoit qu'à la possibilité d'octroyer une licence obligatoire pour permettre la fabrication d'un produit destiné au seul marché local, s'ajoute celle d'accorder une telle licence à des fins d'exportation vers un " membre importateur admissible ".

Cette possibilité doit être exercée selon les modalités suivantes :

- premièrement, le membre importateur doit présenter à l'OMC une notification, qui :

a) indique les noms et quantités attendues du produit ;

b) confirme que le membre importateur admissible, autre qu'un pays moins avancé (PMA), a établi qu'il avait des capacités de production insuffisantes ;

- deuxièmement, la licence obligatoire doit préciser que seul le volume nécessaire pour répondre aux besoins du membre importateur admissible pourra être fabriqué. Par ailleurs, la totalité de cette production devra être exportée vers les pays ayant notifié leurs besoins ;

- troisièmement, le membre exportateur doit notifier à l'OMC l'octroi de la licence, y compris les conditions qui lui sont attachées.

Quant au mécanisme d'octroi de licences obligatoires proposé par la Commission, il ne fait que transposer, sur le plan communautaire, la Décision de l'OMC, avec les adaptations qu'impose sa mise en œuvre uniforme et efficace dans 25 pays.

Afin que le système soit utilisé de bonne foi dans toute l'Union européenne, la demande de licence obligatoire introduite auprès des autorités compétentes des Etats membres doit comporter des indications précises, portant sur le nom et les coordonnées du demandeur, l'identification des brevets concernés, les quantités de produits que le demandeur a l'intention de fabriquer en vertu de la licence obligatoire, les membres importateurs et, enfin, la preuve que des négociations préalables ont eu lieu, pendant une " période raisonnable " et tenant compte de l'urgence, avec le titulaire des droits.

D'autre part, pour que les produits fabriqués en vertu du règlement parviennent aux personnes qui ont en besoin, plusieurs garde-fous sont prévus :

- l'autorité compétente doit vérifier que chaque membre importateur cité dans la demande a réalisé une notification à l'OMC, conformément à la Décision du 30 août 2003 ;

- le titulaire de la licence doit fournir une preuve de l'exportation du produit, grâce une déclaration d'exportation certifiée par les autorités douanières concernées, ainsi qu'une preuve d'importation, certifiée par une autorité du membre importateur ;

- la licence accordée doit être strictement limitée aux actes de fabrication du produit en question et de vente à l'exportation vers les membres de l'OMC cités dans la demande ;

- les produits fabriqués en vertu de la licence doivent être clairement identifiés, par un étiquetage ou un marquage spécifique.

Enfin, la proposition interdit d'importer dans la Communauté des produits faisant l'objet d'une licence obligatoire en vue de leur admission, de leur mise en libre pratique et de leur réexportation. Les autorités douanières, dès lors qu'il y a des raisons de soupçonner que cette obligation n'a pas été respectée, retiennent le produit concerné pendant une période de 10 jours ouvrables, le temps nécessaire à la prise d'une décision sur la nature des marchandises par l'autorité compétente.

Le dispositif communautaire semble lourd à mettre en œuvre, alors qu'en réalité, il repose sur la transmission et l'échange de déclarations et de notifications.

Aussi ces obligations sont-elles de facto peu contraignantes, tout en étant indispensables à la légitimité et à l'efficacité du système. En effet, ce dernier n'a de sens que s'il ne fonctionne qu'à l'avantage des pays pauvres, rencontrant de réelles difficultés d'accès aux médicaments.

C'est pourquoi la proposition de la Commission comporte tous les mécanismes garantissant que les marchés des Etats membres ne seront pas alimentés, à la suite de détournements, en médicaments à bas prix.

En outre, toute tricherie dans ce système ne pourrait, à terme, que favoriser les trafics contrôlés par des intérêts peu scrupuleux, voire criminels, et qu'aggraver une situation dans laquelle 25 % des médicaments consommés dans les pays pauvres sont, selon l'Organisation mondiale de la santé, des contrefaçons ou des produits de qualité inférieure.

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* *

Pour sa part, M. Jean-Claude Lefort, rapporteur, a jugé que, pour une raison simple mais fondamentale, on ne pouvait accepter le texte de Bruxelles en ce qu'il marque un recul sérieux par rapport à la Décision d'août 2003, laquelle est, de plus, en recul par rapport à la Déclaration de Doha sur l'Accord ADPIC et la santé publique.

Une première critique d'ordre général concerne la proposition de règlement et porte sur la base juridique choisie par la Commission, autrement dit les articles 95, relatif à l'harmonisation des législations dans le cadre du marché intérieur, et 133, relatif à la politique commerciale, du traité.

La Commission se place ainsi dans une logique éclairante, à savoir : " médicaments anti-sida = marchandises ", alors que de toute évidence, le recours à l'article 177, consacré à la politique de développement aurait dû s'imposer.

Le but et les conséquences de ce choix juridique sont malheureusement clairs : il s'agit d'éviter qu'en la matière, un Etat membre - par exemple la France - n'adopte une législation plus généreuse que les autres.

La Commission souligne elle-même, dans l'exposé des motifs de la proposition de règlement, qu'une mise en œuvre uniforme de la Décision est nécessaire pour éviter " des distorsions de concurrence entre les opérateurs sur le marché unique ", une préoccupation qui paraît totalement déplacée quand on évoque la question de la lutte contre les pandémies.

De plus, cette position tourne le dos à la loi du marché qui a permis et pourrait encore permettre de tirer les prix vers le bas. Il convient en effet de ne pas oublier que d'autres pays extra-européens peuvent adopter des transcriptions qui leur soient plus favorables.

La deuxième critique vise les modalités communautaires d'application du compromis de Genève.

Celles-ci surajoutent en effet des obligations procédurales non incluses dans l'accord du 30 août :

1. A l'article 3, la proposition de règlement prévoit de notifier à la Commission les autorités compétentes désignées pour l'octroi des licences obligatoires alors que rien de tel ne figure dans le texte du 30 août. Cela alourdit la procédure, tout comme l'article 6.2., où il est proposé que l'autorité compétente vérifie la régularité des licences obligatoires émises par le pays importateur.

" Vérifier ", cela signifie en outre se donner un pouvoir, donc un droit, non prévu par la Décision.

Or, la Communauté européenne n'est pas, sauf erreur de la part du rapporteur, un sous-organe de l'OMC. Quoiqu'il en soit, cela va dans le même sens : l'alourdissement et la complication, voire l'imbroglio juridique avec l'OMC en cas de désaccord, alors que dès lors que la demande s'opère dans le cadre d'une urgence sanitaire nationale ou d'exploitation à des fins non commerciales, rien ne devrait empêcher l'octroi d'une licence obligatoire.

Le rapporteur a par ailleurs rappelé que la Décision du 30 août prévoit déjà pour un pays demandeur de convaincre le Conseil ADPIC de l'OMC - qui inclut les USA - qu'il ne dispose pas de capacités de production, que les produits importés ne seront pas réexportés et que les quantités importées pourtant fixes seront accordées.

Tout cela rend lourd et surtout plus qu'aléatoire le processus.

2. L'article 4 de la proposition de règlement comporte une disposition qui n'est pas, non plus, présente dans l'accord du 30 août, à savoir l'interdiction d'exporter des médicaments sous licence vers des pays ayant déclaré leur auto-exclusion du processus. Si des pays s'auto-excluent, l'intérêt que présente une telle disposition ne paraît pas évident, mais s'ils changent d'avis, alors, de nouveau, une complication hors de propos aura été mise en place par la Commission.

3. Les articles 5, 6 et 8, qui obligent de fixer et de déclarer à l'autorité compétente des quantités à l'avance, médicaments par médicaments, constituent une entrave aux génériqueurs qui devront tout recommencer à chaque fois que les quantités changeront. Cela ne peut constituer un motif d'attractivité pour ces derniers.

4. L'article 7 prévoit qu'un demandeur doit apporter la preuve devant l'autorité compétente qu'une demande de licence volontaire émise par lui a été refusée par un détenteur de brevet.

Or, l'ADPIC lui-même dispense, en cas d'urgence nationale, le demandeur de procéder à ces négociations préalables avec le détenteur du brevet. Cette disposition, qui n'est pas prévue également par l'accord du 30 août, alourdit non seulement la démarche, mais surtout peut aussi permettre à un détenteur de brevet de bloquer l'action d'un génériqueur qui s'engage, en lui demandant de prouver que les conditions n'ont pas été réalisées.

Le dispositif offre donc des moyens de pression énormes aux détenteurs de brevets. En outre, ce système reposant sur des décisions, prises, médicament par médicament, pays par pays et au cas par cas, ne pourra favoriser les économies d'échelle et l'émergence d'un marché de dimensions suffisamment importantes, qui constituent deux conditions indispensables à l'attrait de nouveaux fabricants de génériques.

5. Il convient de souligner, encore, que rien n'oblige la Commission à ne pas étendre le processus aux pays non-membres de l'OMC. La Norvège a, pour ce qui la concerne, étendu à tous les pays le bénéfice du dispositif de l'OMC.

En conclusion, M. Jean-Claude Lefort a estimé que la proposition de la Commission, en retrait sur l'accord du 30 août, ne peut être approuvée.

L'Europe qui, dit-on, s'est battue à Doha, main dans la main avec les pays en développement, pour arracher aux Etats-Unis un accord historique sur l'accès aux médicaments, ne peut se déjuger, en adoptant un texte timoré, tout en reculades.

Cette démarche est d'autant plus mal venue qu'en parallèle, les Etats-Unis durcissent les règles de brevetabilité à l'occasion de la négociation d'accords de libre-échange avec les pays en développement, le Maroc et la Jordanie, par exemple.

Il n'est pas trop tard pour agir : l'Europe doit faire de l'année 2005 une étape positive dans le combat pour une OMC mise au service des droits fondamentaux et du progrès social. Elle doit à tout le moins ne pas être moins disante que l'Accord du 30 août. Or c'est ce que fait cette proposition de règlement.

Non-conforme et encore moins favorable que l'accord du 30 août, si cela se peut, il ne peut pas, en bonne logique, être accepté.

M. Jean-Claude Lefort a indiqué qu'il déposerait, en cas de besoin, une proposition de résolution devant l'Assemblée nationale, afin que sur ce sujet majeur chacun prenne ses responsabilités.

On nous vantait il y a peu la directive Bolkestein dans l'hémicycle. Et voilà qu'elle est devenue inacceptable. La voie est donc ouverte pour déclarer, en cette matière tellement sensible, une position offensive de la France.

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* *

En réponse, M Marc Laffineur, rapporteur a rappelé deux vérités.

En premier lieu, le compromis de Genève démontre que les membres de l'OMC peuvent concilier, par la négociation, les règles commerciales de propriété intellectuelle et la santé publique. C'est à ce titre qu'il doit être défendu.

A cet égard, il convient de rappeler l'objectif et le contexte des négociations sur l'accès au médicament.

D'abord, la Déclaration de Doha avait pour objet d'offrir aux pays en développement une réelle sécurité juridique quant à l'utilisation des garde-fous prévus par l'Accord ADPIC, telles que les licences obligatoires. Il convient de rappeler ici que les Etats-Unis avaient, en 2001, menacé d'un panel le Brésil, dont une loi de 1996 permettait de produire un traitement anti-SIDA pour le fournir gratuitement à tous ceux qui en avaient besoin.

Ainsi, en affirmant que l'Accord ADPIC ne doit pas empêcher les membres de l'OMC de prendre des mesures pour protéger la santé publique, la Déclaration de Doha a répondu aux inquiétudes des pays en développement et écarté les menaces de représailles juridiques et commerciales résultant du manque de clarté des règles multilatérales.

Ensuite, s'agissant du problème des membres dépourvus de capacités de production, toute solution négociée à l'OMC exigeait d'élaborer un mécanisme d'exportations transparent et fiable, c'est-à-dire ne donnant pas lieu à des abus.

Le dispositif devait donc comporter toutes les garanties permettant de gagner la confiance de l'ensemble des membres de l'OMC, y compris celle du pays concentrant 80 % de la recherche et développement en matière de médicaments, à savoir les Etats-Unis.

Dire le contraire reviendrait à nier une réalité de la négociation multilatérale, et aurait conduit à répéter l'échec du 20 décembre 2002. A cette date, en effet, les Etats-Unis, craignant que la solution proposée ne permettrait à des pays du Sud producteurs de génériques d'exploiter le système pour vendre des traitements sur les marchés des pays riches, ont rejeté un texte qui avait reçu l'accord des 143 autres membres de l'OMC.

Le compromis du 30 août 2003 constitue, dans ces conditions, un résultat inespéré, tant du point de vue de sa portée que de celui de ses modalités pratiques de mise en œuvre.

Au départ, les Etats-Unis, afin d'éviter tout risque de détournement, souhaitaient limiter l'application du mécanisme aux seuls médicaments permettant de lutter contre le SIDA, la malaria et la tuberculose, en laissant ainsi de côté toutes les autres maladies. Sur ce point, le compromis de Genève marque le ralliement des Etats-Unis à une solution conforme aux engagements de Doha et reprenant le champ d'application de l'accord qu'ils avaient repoussé à la fin de l'année 2002. La Décision du 30 août vise ainsi " tout produit breveté...du secteur pharmaceutique ", ainsi que, conformément à la Déclaration de Doha, " les problèmes de santé publique affectant plusieurs pays en développement et moins avancés ".

En ce qui concerne les modalités de mise en œuvre, les obligations procédurales les plus " lourdes " à mettre en œuvre parmi celles prévues par de la Décision, comme le contrôle de l'exportation et le marquage de la totalité des produits concernés par une licence obligatoire, pèsent exclusivement sur les pays fournisseurs, c'est-à-dire sur les pays développés et les laboratoires pharmaceutiques. Il serait excessif de qualifier ces précautions de lourdeurs bureaucratiques. A l'inverse, il est seulement demandé aux pays importateurs, afin d'éviter tout détournement du nouveau mécanisme, de prendre " dans la limite de leurs moyens, des mesures raisonnables et proportionnées à leurs capacités administratives ".

Compte tenu de l'état des forces en présence, toute démarche visant à contester le compromis de Genève ne pourrait qu'être aventureuse : elle remettrait en cause l'équilibre fragile de l'accord, qui repose sur la confiance des pays développés et en développement.

Or, cette confiance doit être préservée à tout prix, car elle est plus que jamais indispensable aux négociations visant à modifier l'Accord ADPIC pour y insérer le compromis du 30 août 2003. En effet, la date butoir pour cette modification, actuellement fixée au 31 mars 2005, a déjà été reportée plusieurs fois. La Décision de l'OMC prévoyait pourtant que d'ici à la fin 2003, le Conseil des ADPIC de l'OMC engagerait des travaux, visant à élaborer un amendement à l'accord en vue de son adoption dans un délai de 6 mois.

Ce dernier n'a pu être tenu, car les membres sont, encore aujourd'hui, en désaccord quant à la façon d'amender l'Accord ADPIC, soit par une simple modification de l'article 31.f, soit par une révision plus générale des règles de brevetabilité, souhaitée par certains pays en développement.

Dans ces conditions, pour faire avancer ces discussions difficiles, l'Europe doit montrer l'exemple, en indiquant clairement, par la transposition de la Décision du 30 août, qu'elle ne cherche à n'appliquer que le texte de Genève, rien que le texte de Genève, dans l'intérêt de tous les membres de l'OMC.

Quant à la seconde vérité devant être rappelée, elle consiste à souligner que la réponse de la communauté internationale au problème de l'accès des pays pauvres aux médicaments exige une approche globale, qui aille au-delà des négociations sur les règles de brevetabilité.

C'est pourquoi l'Union européenne poursuit, dans ce domaine, depuis l'adoption, en février 2001, d'une Communication, une politique active. La Commission et les Etats membres soutiennent en effet les initiatives visant à développer les infrastructures de santé et à favoriser l'accès aux soins, tel que le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, dont les approbations de projets totalisent 3,1 milliards de dollars, consacrés à la prévention et au traitement de ces pandémies.

Mais malgré ces nouveaux instruments et une réelle prise de conscience politique de l'importance des enjeux, la mobilisation internationale reste insuffisante.

Ainsi, la Commission OMC-Banque mondiale sur la macroéconomie et la santé recommande une allocation budgétaire annuelle en faveur de la santé d'au moins 40 dollars par habitant, quand l'aide publique au développement pour la santé n'atteint aujourd'hui que 7 euros par an. La Commission européenne, dans une Communication en date du 26 octobre 2004, note qu'il manque actuellement 140 milliards d'euros par an pour atteindre cette recommandation.

Dans cette perspective, il serait souhaitable de " communautariser " l'appel du Président de la République en faveur de la création d'une facilité financière et de taxes internationales, portant par exemple sur les transports aériens, destinées à assurer la prise en charge des traitements contre le SIDA.

En conclusion, M. Marc Laffineur, rapporteur, a considéré que la proposition de la Commission européenne doit être approuvée, car elle s'inscrit dans une politique d'ensemble, témoignant de la volonté d'apporter des solutions concrètes à l'un des principaux problèmes de gouvernance mondiale.

Toutefois, il a proposé aux membres de la Délégation de soutenir, sur ce dossier, une revendication importante de la France, qui demande que le futur règlement couvre tous les PMA, y compris les PMA non-membres de l'OMC, soit 50 pays, une position partagée par l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Conclusion :

A l'issue des deux exposés de MM. Jean-Claude Lefort et Marc Laffineur, rapporteurs, au cours de la réunion de la Délégation du 16 février 2005, le Président Pierre Lequiller a rappelé que la proposition de la Commission transcrit un accord durement et brillamment négocié par l'ancien Commissaire européen au commerce extérieur, M. Pascal Lamy, actuel candidat au poste de directeur général de l'OMC. Ce dernier est d'ailleurs soutenu par la France et l'Union.

M. Pierre Forgues a jugé que, d'une part, le texte de la Commission, s'il constitue effectivement un recul par rapport à l'accord du 30 août 2003, ne peut être approuvé et que, d'autre part, la politique d'accès au médicament ne peut se réduire à une politique commerciale.

M. Marc Laffineur, rapporteur, a indiqué que les obligations procédurales prévues par le texte sont nécessaires à la transposition, sur le plan communautaire, de la décision de l'OMC. Elles sont en outre indispensables à la mise en place d'un système écartant les risques d'abus et de contrefaçon.

M. Jérôme Lambert ayant déclaré partager la position de M. Jean-Claude Lefort et souligné le drame posé par la contrefaçon de médicaments, M. Pierre Forgues a considéré que les abus ne pouvaient être évités, ce qui n'empêchait par l'Europe d'adopter une position forte sur le sujet.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé le document E 2773, tout en soutenant la demande française concernant l'inclusion de tous les PMA, y compris ceux non-membres de l'OMC, dans le futur règlement.