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Document E2898
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II).


E2898 déposé le 9 juin 2005 distribué le 16 juin 2005 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2005) 0236 final du 31 mai 2005, transmis au Conseil de l'Union européenne le 31 mai 2005)

L’Assemblée nationale est saisie de trois propositions législatives relatives au développement du système d’information Schengen de deuxième génération, dit SIS II : un projet de décision fondé sur le « troisième pilier » de l’Union européenne 1 ; deux règlements fondés sur « premier pilier » communautaire, l’un sur les articles du traité relatifs aux contrôles aux frontières 2 et l’autre sur celui relatif aux transports 3.

Ces trois textes feront l’objet de deux procédures d’adoption différentes, le projet de décision devant être adopté à l’unanimité et après simple consultation du Parlement européen, tandis que les règlements doivent être pris à la majorité qualifiée au Conseil et en codécision avec le Parlement européen.

Ces propositions visent à faire évoluer le système d’information Schengen, afin de l’adapter à l’augmentation du nombre d’Etats membres et de lui confier de nouvelles fonctionnalités. Cette évolution nécessaire est bienvenue (I). Certaines des modifications proposées soulèvent cependant des difficultés, en voie d’être surmontées pour la plupart (II).

 I. L’évolution du SIS est nécessaire pour l’adapter à l’augmentation du nombre d’Etats membres et lui confier de nouvelles fonctionnalités qui renforceront la sécurité et la lutte contre l’immigration clandestine.

1. Le système d’information Schengen (dit SIS) est une base de données informatique commune qui relie entre eux les Etats participants aux accords de Schengen (c’est-à-dire tous les anciens Etats membres, à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande, et deux Etats associés, l’Islande et la Norvège, bientôt rejoints par la Suisse dont l’accord d’association est en cours de ratification).

 Opérationnel depuis 1995, le SIS permet aux autorités compétentes (policiers, gendarmes, douaniers, autorités judiciaires) de disposer en temps réel des informations introduites dans le système par l’un des Etats membres grâce à une procédure d’interrogation automatisée. Le SIS vient ainsi compenser la suppression des contrôles aux frontières intérieures, et évite qu’elle ne se traduise par une diminution de la sécurité des personnes. Les données transmises peuvent concerner des individus (comme les personnes disparues ou recherchées ou les ressortissants de pays tiers signalés aux fins de non admission) ou des objets (véhicules volés, armes dérobées, billets volés ou contrefaits, documents d’identité égarés, volés ou détournés, etc.). Un policier français peut ainsi lancer, en l’espace de quelques minutes, un mandat de recherche concernant une voiture volée, par exemple, valable pour tous les Etats Schengen.

Ce puissant outil de police et d’investigation se compose, sur le plan technique, d’un système central (C-SIS) relié à chacune des bases nationales du SIS (N-SIS). La gestion opérationnelle de la structure centrale a été confiée à la France, qui l’assure pour le compte des autres Etats membres. La France a offert le bâtiment accueillant le centre informatique Schengen, à Strasbourg et prend à sa charge la sécurité et une partie du fonctionnement. Les Etats membres remboursent en fonction d’une clé de répartition leur quote-part. Le système assurant la continuité des activités du SIS est situé, pour sa part, en Autriche.

 Au 31 décembre 2005, le SIS contenait plus de 15 millions de signalements, dont 76 % concernaient des documents d’identités délivrés, 10 % des véhicules (1,48 million), 8 % des personnes (1,1 million), 3 % des documents d’identité vierges, 2 % des armes et 2 % des billets de banque. En 2005, le SIS a été consulté près de 35 millions de fois par des utilisateurs français. A titre d’illustration, en 2004, grâce au SIS, 408 personnes faisant l’objet d’une demande d’arrestation provisoire de la part des autorités françaises ont été interpellées à l’étranger en vue de leur extradition et 976 véhicules volés ont été restitués à leurs propriétaires français. Environ 15 000 terminaux d’ordinateurs répartis entre police nationale, gendarmerie, douanes, préfectures et consulats autorisent, en France, l’accès au SIS. Des règles strictes s’appliquent au SIS en matière de protection des données, sous le contrôle d’une Autorité commune de contrôle, composée de représentants des autorités nationales chargées de la protection des données personnelles (telles que la CNIL en France).

 2. L’évolution du SIS est cependant indispensable. Sous sa forme actuelle, il ne dispose en effet pas de capacités suffisantes pour assurer les services nécessaires à plus de dix-huit Etats membres. Sa transformation est une conséquence de l’élargissement ; ce n’est que lorsque le nouveau système sera en place que les dix nouveaux Etats membres pourront devenir membres à part entière de l’espace Schengen, grâce à la suppression des frontières intérieures. Ceux-ci sont donc très attachés à la mise en place rapide du SIS II, que la Commission européenne espère opérationnel en mars 2007. Cette date apparaît cependant ambitieuse et ne sera vraisemblablement pas respectée, un certain retard ayant été pris dans l’élaboration du système (qui a été confiée à un consortium d’entreprises mené par les sociétés Steria-France et HP-Belgique, pour un montant de 40 millions d’euros), à la suite de divers contentieux notamment. Il convient cependant de relever que l’extension de la version actuelle du SIS aux nouveaux Etats membres serait techniquement possible, sans mettre en place un système de deuxième génération, pour un coût évalué à 4 millions d’euros.

 La mise en place d’un système de deuxième génération est également nécessaire parce que de nouvelles fonctionnalités vont lui être confiées. L’une des améliorations les plus importantes consistera à intégrer au signalement des personnes des données biométriques, telles que leur photographie et leurs empreintes digitales. La Commission envisage en outre de développer des synergies et une « interopérabilité » entre le SIS II et les autres bases de données européennes, telles que le système EURODAC (qui comporte les empreintes digitales des demandeurs d’asile) ou le futur système d’information sur les visas (VIS). Une plate-forme technique commune avec le SIS est, en tout état de cause, prévue. La diffusion des mandats d’arrêt européens sera effectuée par l’intermédiaire du SIS II, auquel Europol et Eurojust auront un accès élargi.

 Le cadre intergouvernemental sur lequel repose le SIS (le titre IV de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, CAAS) sera remplacé par des instruments juridiques européens classiques (deux règlements et une décision). La structure centrale du SIS II sera financée par le budget de l’Union européenne, et non plus par des contributions des Etats membres.

La plupart des dispositions proposées par la Commission ne posent pas de difficultés particulières et peuvent être approuvées. Une minorité d’articles est toutefois problématique.

 II. Certaines des modifications proposées par la Commission soulèvent cependant des difficultés, en voie d’être surmontées.

1. La première difficulté porte sur l’architecture et la gestion du futur système. La Commission propose que la gestion opérationnelle du système ne soit plus assurée par la France, mais qu’elle lui soit confiée. Cette solution est contestable, car la Commission ne dispose ni des experts informatiques, ni des policiers nécessaires au bon fonctionnement du système. Elle n’a pas la « culture policière » indispensable à la bonne gestion du SIS II, qui doit rester un outil au service des policiers. D’une manière générale, confier la gestion d’un tel système à une instance européenne n’est pas sans risque, comme le démontre l’expérience du système d’information d’Europol, dont la version définitive n’est toujours pas opérationnelle dix ans après sa création et en dépit d’investissements importants.

Plusieurs Etats membres, dont la France et l’Espagne, se sont donc opposés à ce que la gestion opérationnelle du SIS II soit confiée à la Commission. La dernière version du texte suggère, à titre de compromis, de confier cette gestion à la Commission pour une période transitoire, durant laquelle elle pourrait la déléguer à un organe national du secteur public, qui devrait logiquement être le centre informatique de Strasbourg, comme l’a suggéré le G6 des ministres de l’Intérieur lors de sa réunion à Heiligendamm les 22 et 23 mars 2006.

A terme, la Commission envisage une externalisation de la gestion du SIS II et des autres bases de données européennes comparables, telles qu’EURODAC et le système d’information sur les visas (VIS). Celle-ci pourrait être confiée, selon elle, à l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX), dont le siège est situé à Varsovie 4.

Cette option n’est pas soutenue par le Gouvernement français, qui est favorable à la création d’une nouvelle agence, qui serait chargée d’assurer la gestion opérationnelle du SIS II, d’Eurodac et du VIS. Sa localisation à Strasbourg permettrait d’amortir les investissements importants déjà réalisés pour le centre informatique qui y est situé, au lieu d’en engager de nouveaux pour doter FRONTEX des infrastructures nécessaires.

Les différentes options envisagées doivent être soumises à l’appréciation du Conseil « Justice et affaires intérieures » des 27 et 28 avril prochains.

2. La deuxième difficulté porte sur la définition des ressortissants de pays tiers signalés aux fins de non admission. L’actuel article 96 de la Convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS) prévoit le signalement des étrangers dont la présence sur le territoire peut constituer une « menace pour l’ordre public ou la sécurité et sûreté nationales ». Tel peut être notamment le cas, selon cet article, de tout étranger ayant été condamné pour une infraction passible d’une peine de privative de liberté d’au moins un an ou à l’égard duquel il y a soit des raisons sérieuses de croire qu’il a commis des faits punissables graves soit des indices réels qu’il envisage de commettre de tels faits sur territoire d’une partie contractante. Environ 850 000 étrangers sont inscrits dans le SIS en application de cet article.

La Commission proposait de réduire considérablement la portée de l’article 96. Elle suggérait de restreindre l’obligation de signalement aux seules personnes présentant une menace grave pour l’ordre et la sécurité publics et ayant été effectivement condamnées à une peine d’emprisonnement supérieure à un an, et cela uniquement pour l’une des trente-deux infractions pour lesquelles le mandat d’arrêt européen a supprimé l’exigence de la double incrimination. L’article 96 aurait été, en pratique, vidé de son contenu et cette modification aurait conduit à une baisse significative du nombre d’individus signalés dans le SIS. La sécurité des personnes en serait diminuée, alors que l’objectif du SIS II est au contraire de la renforcer.

Plusieurs délégations, dont la France, se sont donc opposées à cette modification. Elles ont obtenu un retour au libellé de l’article 96 de la Convention d’application de l’accord de Schengen. La rédaction de cet article est désormais satisfaisante, mais le texte doit encore être approuvé par le Parlement européen.

Le cas particulier des ressortissants de pays tiers bénéficiant du droit à la libre circulation des personnes en tant que conjoints de ressortissants communautaires notamment devrait, en outre, être pris en compte. La Cour de justice a en effet condamné l’Espagne, par un arrêt du 31 janvier 2006, pour avoir refusé l’entrée dans l’espace Schengen de deux ressortissants algériens conjoints de ressortissantes espagnoles, au seul motif qu’ils avaient été signalés dans le SIS aux fins de non admission par l’Allemagne, sans avoir au préalable vérifié si leur présence constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. La pratique administrative espagnole, conforme à l’article 96 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, a été jugée contraire aux règles communautaires régissant la libre circulation des personnes. La notion d’ordre public au sens de la directive 64/221/CE du 25 février 1964 est en effet plus restrictive que celle de la CAAS. Il devrait être tenu compte de cette jurisprudence dans l’élaboration du SIS II, afin d’éviter toute condamnation ultérieure.

 Il importe également que les signalements au titre de l’article 96 de citoyens européens des nouveaux Etats membres ou de ressortissants de pays associés (au nombre de 503 au 16 février 2006) soient effacés au plus vite du SIS, car ils constituent une violation dudit article, qui n’autorise que le signalement de ressortissants de pays tiers.

3. La définition des autorités pouvant avoir accès aux signalements aux fins de non admission posait également problème. Actuellement, tout policier peut avoir accès à ces données sur n’importe quel point du territoire. L’accès aux données du SIS est en effet accordé aux instances compétentes pour les contrôles frontaliers et les autres vérifications de police et de douanes exercées à l’intérieur du pays.

Or la Commission proposait de restreindre l’accès au SIS II aux seules autorités chargées des contrôles aux frontières extérieures de l’Union et à celles chargées de la délivrance des visas. Cette restriction aurait diminué considérablement l’efficacité de la lutte contre l’immigration illégale et la criminalité : environ 80 % des interrogations du SIS sont effectuées à l’intérieur du territoire de l’Union, et non lors du passage des frontières extérieures, et en France près de 40 % des interpellations d’étrangers en situation irrégulière opérées grâce au SIS sont réalisées à l’intérieur du territoire national. Il serait paradoxal que la création du SIS II se traduise par une diminution de la sécurité alors que la plupart des Etats membres ont renforcé récemment leur législation en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme, comme l’a fait la France avec la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant diverses dispositions relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

La France, soutenue par de nombreuses délégations, souhaitait par conséquent que les autorités chargées de l’ordre et de la sécurité publique (justice, police et douanes) soient ajoutées. Elle a obtenu, sur ce point également, un retour au libellé de la Convention d’application de l’accord de Schengen. Cette modification doit cependant encore être approuvée par le Parlement européen.

4. Le groupe de travail créé en application de l’article 29 de la directive 95/46/CE sur la protection des données (dit « groupe de l’article 29 ») et le contrôleur européen de la protection des données se sont félicités que les propositions de la Commission renforcent, sur certains points, la protection des données personnelles. Lesdites propositions comportent en effet un chapitre spécifique à ce sujet. Ils ont cependant émis des réserves sur certaines dispositions du texte, qui rejoignent les préoccupations formulées par l’Autorité de contrôle commune Schengen dans son avis sur le développement du SIS II du 19 mai 2004.

Les réserves émises concernent, en particulier, le strict respect du principe de finalité, les règles applicables au transfert de données à des pays tiers ou à des organisations internationales, l’allongement de la durée de conservation des données, le droit d’information, d’accès, de rectification et de recours des personnes concernées, et l’utilisation de copies nationales du système. Ces réserves devraient être prises en compte lors de l’élaboration du cadre juridique applicable au SIS II, afin d’assurer un équilibre satisfaisant entre la protection de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public.

Conclusion :

M. Thierry Mariani, rapporteur, a présenté ces textes au cours de la réunion de la Délégation du 12 avril 2006.

A la suite de son exposé, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (COM (05) 230 final / E 2897) ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du Système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (COM [2005] 236 final / E 2898) ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’accès des services des Etats membres chargés de l’immatriculation des véhicules au Système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (COM [2005] 237 final / E 2899)

; 1. Approuve la création du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II), qui permettra d’élargir l’espace Schengen à de nouveaux Etats membres et de renforcer la sécurité des personnes en confiant de nouvelles fonctionnalités au SIS II ;

2. Estime que la gestion opérationnelle du SIS II ne devrait être attribuée ni à la Commission, ni à l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX), mais plutôt à une nouvelle agence à laquelle serait confiée la gestion du SIS II, d’Eurodac et du système d’information sur les visas (VIS) ;

3. Considère que la définition des ressortissants de pays tiers signalés aux fins de non admission et des autorités pouvant avoir accès à ces signalements doit garantir un niveau de sécurité au moins équivalent à celui assuré par le SIS actuel ;

4. Souhaite que les réserves émises par le « groupe de l’article 29 » et le contrôleur européen de la protection des données soient prises en compte, afin de garantir une protection adéquate des données à caractère personnel. »

1Proposition de décision du Conseil sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II), COM (2005) 230 final (E2897).
2 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du SIS II, COM (2005) 236 final (E2898).
3 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’accès des services des Etats membres chargés de l’immatriculation des véhicules au SIS II, COM (2005) 237 final (E2899).
4 Communication de la Commission du 24 novembre 2005 sur le renforcement de l’efficacité et de l’interopérabilité des bases de données européennes dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et sur la création de synergies entre ces bases (COM (2005) 597 final), p.11 ; MEMO/05/188 du 1er juin 2005.