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Document E2932
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de décision du Conseil concernant l'amélioration de la coopération policière entre les États membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures, et modifiant la Convention d'application de l'Accord de Schengen.


E2932 déposé le 5 août 2005 distribué le 12 août 2005 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2005) 0317 final du 18 juillet 2005, transmis au Conseil de l'Union européenne le 18 juillet 2005)

La Délégation est saisie d’un projet de décision du Conseil qui vise à améliorer la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures. Il modifie, en particulier, les articles de la Convention d'application de l'accord de Schengen de 1990 (ci-après la convention de Schengen) relatifs à l'observation et aux poursuites transfrontalières.

La plupart des dispositions proposées renforceront utilement la coopération policière et ne posent pas de difficultés particulières (I). L'extension projetée de l'observation et des poursuites transfrontalières soulève en revanche des difficultés d'ordre constitutionnel (II), et la modification de la convention de Schengen par une décision du Conseil pose question par rapport aux prérogatives des Parlements nationaux (III).

M. Christian Philip, rapporteur, a présenté ce document au cours de la réunion de la Délégation du 29 novembre 2005.

I. LA PLUPART DES DISPOSITIONS PROPOSEES RENFORCERONT UTILEMENT LA COOPERATION POLICIERE

Les dispositions projetées visent à développer l'acquis de Schengen en matière de coopération policière transfrontalière. La Convention de Schengen a en effet prévu un ensemble de mesures destinées à compenser la levée des contrôles aux frontières intérieures par un renforcement de la coopération policière, afin que la suppression des contrôles frontaliers ne se traduise pas par une diminution de la sécurité des personnes. Ces dispositions, relativement générales, ont été précisées par une série d'accords bilatéraux ou multilatéraux conclus entre les Etats membres.

La France a ainsi mis en place des centres de coopération policière et douanière (CCPD) avec l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et le Luxembourg, dans le cadre d'accords bilatéraux de coopération transfrontalière. Ces centres, installés à proximité de la frontière, accueillent des agents français et étrangers et associent plusieurs services (police, douanes et gendarmerie), chargés de lutter contre l'immigration clandestine, la délinquance transfrontalière et les trafics illicites, ainsi que de prévenir les menaces à l'ordre public.

La Commission propose de créer un cadre commun permettant de développer ce type de coopération, sans remettre aucunement en cause les accords existants. Le texte projeté précise ainsi la nature des informations échangées entre les autorités policière des Etats membres en application de l'article 39 de la Convention de Schengen. Il prévoit une coordination en matière de programmes et d'activités opérationnels (tels que les opérations d'observation, les recherches et les mesures de prévention de la criminalité), ainsi qu’en matière de compatibilité et d'interopérabilité du matériel et d'organisation de programmes de formations communs.

La proposition vise également à renforcer la coopération opérationnelle, grâce notamment à la constitution de patrouilles communes, la réalisation d'interventions et d'observations conjointes dans les régions frontalières et la mise en place d'équipes communes d'enquête. La création de structures permanentes de coordination dans les régions frontalières situées aux frontières intérieures des Etats membres, inspirées des CCPD, est prévue.

La Commission propose enfin de mettre en place un comité composé de représentants des Etats membres et présidé par un représentant de la Commission, qui devrait rendre un avis conforme sur les mesures réglementaires proposées par la Commission pour la mise en œuvre du projet de décision. L'octroi d'un pouvoir réglementaire à la Commission dans le domaine de la coopération policière, même ainsi encadré, est contesté à juste titre par de nombreuses délégations.

D'une manière générale, la valeur ajoutée de ce cadre commun sera relativement faible pour les anciens Etats membres appartenant à l'espace Schengen, compte du degré élevé de coopération existant déjà entre eux. Elle est en revanche réelle pour les nouveaux Etats membres, qui bénéficieront ainsi de l'expérience acquise dans ce domaine. Ce texte contribuera ainsi à permettre, à terme, la suppression des contrôles aux frontières intérieures des nouveaux Etats membres.

II. L'EXTENSION PROPOSEE DE L'OBSERVATION ET DU DROIT DE POURSUITE TRANSFRONTALIERS SOULEVE DES DIFFICULTES D'ORDRE CONSTITUTIONNEL

 La Convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS) a introduit deux innovations importantes : l'observation transfrontalière et le droit de poursuite.

1. L'observation transfrontalière (art.40 CAAS) permet aux officiers de police d'un pays, dans le cadre d'une enquête judiciaire, de continuer sur le territoire d'un autre pays Schengen la surveillance et la filature d'une personne présumée avoir commis des faits d’une certaine gravité ou d’une personne à l’égard de laquelle il y a de sérieuses raisons de penser qu’elle peut conduire à l’identification ou à la localisation de la personne susmentionnée.

Cette possibilité est cependant très encadrée. L'observation est en effet soumise, sauf urgence, à l'autorisation préalable de l'Etat sur le territoire duquel elle s'effectue, sur la base d'une demande d'entraide judiciaire. Si l’autorisation préalable de l’Etat concerné n’a pu être obtenue en raison de l’urgence, l’observation doit prendre fin dès que l’Etat sur le territoire duquel se déroule l’observation le demande et au plus tard cinq heures après le franchissement de la frontière, et n’est possible que si les faits visés figurent sur une liste limitative d'infractions graves( 1). Les agents observateurs doivent obtempérer aux injonctions des autorités localement compétentes et ne peuvent se servir de leur arme de service qu'en cas de légitime défense. L'entrée dans les domiciles et les lieux non accessibles au public leur est interdite, et ils ne peuvent ni interpeller ni arrêter la personne observée.

2. Le droit de poursuite (art.41 CAAS) autorise les officiers de police d'un Etat signataire, sans autorisation préalable, à poursuivre un individu sur le territoire d'un autre Etat Schengen en cas de flagrant délit ou d'évasion. Il est également très encadré. Chaque Etat partie peut en effet faire une déclaration excluant tout droit d’interpellation pour les agents poursuivants, limitant les poursuites dans l’espace ou dans le temps, ou encore les limitant à une liste d’infractions( 2). La France a fait une déclaration par laquelle elle exclut tout droit d’interpellation des agents poursuivants et limite les poursuites aux cas de commission de l’une des infractions figurant dans la liste limitative de l’article 41 § 4 a CAAS.

Les agents poursuivants ne peuvent ni entrer dans les domiciles et les lieux non accessibles au public, ni se servir de leur arme de service, sauf en cas de légitime défense. Les poursuites ne peuvent en outre se faire que par les frontières terrestres.

 La Commission européenne propose d’étendre l’observation et le droit de poursuite de manière significative (art.11).

En ce qui concerne l’observation transfrontalière, la Commission propose de supprimer la liste limitative des infractions ouvrant le droit à ce procédé sans autorisation préalable de l’Etat concerné en cas d’urgence. L’observation serait donc possible, en cas d’urgence, sans autorisation préalable dès lors que les faits visés peuvent faire l’objet d’une peine privative de liberté d’au moins un an.

La Commission propose également d’étendre le droit de poursuite, en supprimant la possibilité de le limiter à une liste d’infractions et en l’étendant à l’espace aérien, fluvial et maritime.

La Belgique a proposé, au cours des discussions au Conseil, d’aller encore plus loin. Elle suggère ainsi d’appliquer le droit de poursuite, non seulement aux cas de flagrant délit ou d’évasion, mais aussi aux suspicions de flagrant délit. En outre, le droit de poursuite ne pourrait plus être limité à une zone géographique ou à une période donnée, et devrait s’étendre à l’ensemble du territoire, sans limitation de durée. Enfin, la délégation belge propose de supprimer la faculté pour les Etats membres d’interdire aux agents poursuivants d’interpeller les personnes poursuivies.

La Belgique fondent ses propositions sur les extensions du droit de poursuite déjà reconnues dans certains traités bilatéraux, et sur l’approfondissement de la coopération transfrontalière prévue par le traité de Prüm du 27 mai 2005 (dit « Schengen plus »), dont la France est signataire avec l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Ces propositions sont sûrement souhaitables car efficaces, mais soulèvent des difficultés d’ordre constitutionnel. Lors de l’examen de la loi autorisant la ratification de la Convention de Schengen, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 91-294 DC du 25 juillet 1991, a en effet jugé que l’observation et la poursuite transfrontalières n’étaient pas contraires à la Constitution française parce que :

– le droit d’observation est subordonné, dans le cas général, à l’acceptation d’une demande préalable d’entraide judiciaire et que, dans le cas d’urgence, il est expressément stipulé que l’observation doit prendre fin dès que l’Etat sur le territoire duquel se déroule l’observation le demande et au plus tard cinq heures après le franchissement de la frontière ;

– le droit de poursuite transfrontalière n’est ni général, ni discrétionnaire et que cette procédure n’est applicable qu’à des hypothèses où il y a soit des infractions flagrantes d’une particulière gravité, soit une volonté de la part de la personne poursuivie de se soustraire à la justice de son pays ;

– les agents poursuivants ne disposent en aucun cas du droit d’interpellation et que l’entrée dans les domiciles et les lieux non accessibles au public leur est interdite.

Si la Constitution européenne était entrée en vigueur, ces difficultés auraient sans doute été atténuées, mais tel n’est pas le cas. Compte tenu de ces contraintes constitutionnelles, il serait préférable que le Gouvernement français saisisse le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur ce texte, comme le prévoit dans ce cas de figure la circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003. Un tel avis permettrait de lever toute incertitude juridique et d’éviter qu’une nouvelle révision constitutionnelle ne soit nécessaire, a posteriori, pour permettre l’application en droit français de ce texte, comme ce fut le cas pour le mandat d’arrêt européen.

III. LA MODIFICATION DE LA CONVENTION DE SCHENGEN PAR UNE DECISION DU CONSEIL ET LES PREROGATIVES DES PARLEMENTS NATIONAUX.

Une deuxième série de difficultés concerne la procédure suivie pour l’adoption des modifications envisagées. Ce projet de décision a en effet pour objet de modifier des dispositions de la Convention de Schengen, qui est une convention internationale ayant été soumise à ratification après autorisation parlementaire, en application de l’article 53 de notre Constitution. Or la présente décision ne sera pas soumise à ratification parlementaire.

Certes, la modification de la convention de Schengen par un acte européen de droit dérivé est juridiquement autorisée par le protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité d’Amsterdam. Ce protocole prévoit en effet, en son article 5, que les propositions et initiatives fondées sur l’acquis de Schengen sont désormais soumises aux dispositions pertinentes du traité sur l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne.

La décision du Conseil du 20 mai 1999 déterminant la base juridique, au sein des traités européens, de chacune des dispositions ou décisions de l’acquis de Schengen, précise que cette détermination signifie que ces dispositions ou décisions pourront être modifiées selon les formes et la procédure prévues par les articles pertinents des traités. En d’autres termes, les articles 40 et 41 de la Convention de Schengen, qui sont désormais fondés sur les articles 32 et 34 du traité sur l’Union européenne, peuvent être modifiés par des décisions-cadres, des décisions ou des conventions du « troisième pilier » de l’Union européenne, adoptées à l’unanimité par le Conseil après consultation du Parlement européen.

Le choix de l’instrument retenu pour cette modification (décision-cadre, décision ou convention) appartient au Conseil, qui est juridiquement libre de retenir l’instrument qui lui convient. Des articles de la convention de Schengen, tels que les articles 40 ou 59 à 66, également fondés sur le titre VI du traité sur l’Union européenne, ont d’ailleurs déjà été modifiés par des décisions ou décisions-cadres( 3).

Pour des raisons politiques davantage que juridiques, il serait toutefois préférable de procéder à ces modifications par le biais d’une convention lorsque les changements envisagés revêtent une telle envergure et concernent un sujet aussi sensible pour les libertés publiques, afin de permettre aux Parlements nationaux d’exercer pleinement leur contrôle. Un tel choix n’entraînerait pas de délais supplémentaires pour l’entrée en vigueur effective de ces modifications, dans la mesure où les conventions peuvent être d’application directe, tandis qu’une décision du Conseil nécessiterait des mesures de transposition en droit interne.

*

* *

Après l’exposé de M. Christian Philip, rapporteur, M.  Guy Lengagne a demandé si l'extension du droit de poursuite concernait toutes les infractions et si le principe de l’incrimination dans chacun des pays concernés serait bien appliqué, s'appuyant sur l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse, qui constitue une infraction pénale dans certains des Etats membres uniquement.

Le rapporteur a indiqué qu’il est proposé que le droit de poursuite s’applique à toute infraction punie d’une peine privative de liberté d'au moins un an. Il a également précisé que le principe de la double incrimination s’applique actuellement et que ce point fait débat.

A l’issue de cette discussion, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

«  La Délégation pour l’Union européenne,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil concernant l’amélioration de la coopération policière entre les Etats membres de l’Union européenne, en particulier aux frontières intérieures, et modifiant la Convention d’application de l’Accord de Schengen,

1. Approuve l’objectif d’approfondissement de la coopération policière entre les Etats membres de l’Union européenne, en particulier aux zones frontalières,

2. Demande au Gouvernement de s’assurer de la conformité à la Constitution française des modifications proposées concernant l’observation et la poursuite transfrontalières, en saisissant le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur ce texte,

3. Recommande au Conseil de retenir l’instrument de la convention, soumise à ratification parlementaire, plutôt qu’une décision dans la mesure où les modifications de la Convention de Schengen envisagées concernent les libertés publiques.  »

(1) Cette liste est la suivante : assassinat, meurtre, infraction grave de nature sexuelle, incendie volontaire, contrefaçon et falsification de moyen de paiement, vol et recel aggravés, extorsion, enlèvement et prise d'otage, trafic d'êtres humains, trafic illicite de stupéfiants et substances psychotropes, infractions aux dispositions légales en matière d'armes et d'explosifs, destruction par explosifs, transport illicite de déchets toxiques et nuisibles, escroquerie grave, filières d’immigration clandestine, blanchiment de capitaux, trafic de substances nucléaires et radioactives, participation à une organisation criminelle, actes de terrorisme.
(2) Assassinat, meurtre, incendie volontaire, fausse monnaie, vol et recel aggravés, extorsion, enlèvement et prise d’otage, trafic d’êtres humains, trafic illicite de stupéfiants et puissances psychotropes, infractions aux dispositions légales en matière d’armes et explosifs, destruction par explosifs, transport illicite de déchets toxiques et nuisibles, délit de fuite à la suite d’un accident ayant entraîné la mort ou des blessures graves.
(3) V. la décision 2003/725/JAI du 2 octobre 2003 modifiant les dispositions de l’article 40, paragraphe 1 et 7, de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes et la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres. D’autres modifications sont en cours dans le premier pilier communautaire, v. la proposition de règlement du Conseil établissant le code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes et la proposition de règlement fixant des règles relatives au petit trafic frontalier aux frontières terrestres extérieures des Etats membres et modifiant la Convention de Schengen et les instructions consulaires communes.