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Document E3043
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la définition, la désignation, la présentation et l'étiquetage des boissons spiritueuses.


E3043 déposé le 26 décembre 2005 distribué le 30 décembre 2005 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2005) 0125 final du 15 décembre 2005, transmis au Conseil de l'Union européenne le 15 décembre 2005)

La Délégation est saisie d’une proposition de règlement, présentée par la Commission le 15 décembre dernier, qui a pour ambition de mettre à jour la législation communautaire relative aux boissons spiritueuses, en la rendant, c’est du moins l’objectif affiché, plus claire et plus lisible pour le consommateur.

Ce texte devrait remplacer les règlements dits « spiritueux », n° 1756/89 et n° 1014/90.

La négociation de ce régime juridique a été longue et difficile : elle a duré près de 20 ans, en raison des intérêts divergents des Etats membres.

Pour sa part, la France était soucieuse de défendre ses nombreux produits, tandis que le Royaume-Uni se montrait très offensif sur le plan de la promotion du Whisky et du Scotch Whisky , avec comme objectif final la reconnaissance de « sa » définition des deux produits au plan communautaire.

Dans la proposition élaborée par la Commission, chaque boisson spiritueuse devra respecter de strictes conditions de distillation, de macération et/ou de teneur en alcool, énumérées à l’annexe II du règlement. Cette approche est conforme à celle appliquée aujourd’hui, sur la base des règlements précités.

En revanche, l’article 3 de la proposition, qui constitue le cœur du dispositif proposé, innove par rapport au droit en vigueur, en classant les boissons spiritueuses dans trois catégories :

- A pour les « eaux de vie », ne devant inclure que les « formes les plus pures du produit », c’est-à-dire celles qui ne contiennent « pas d’alcool éthylique d’origine agricole, mais uniquement des substances aromatiques traditionnelles » (comme le rhum, le whisky et le brandy). C’est, pour la Grande-Bretagne, la disposition clef du texte, qui doit lui permettre de mettre en avant le Whisky et le Scotch Whisky ;

- B pour les « boissons spiritueuses particulières », pouvant contenir de l’alcool éthylique d’origine agricole, telles que le gin, la vodka et les liqueurs, et des substances aromatisantes identiques aux naturelles, mais uniquement sous une forme limitée ;

- C pour les « autres boissons spiritueuses », un groupe de produits pouvant contenir de l’alcool éthylique d’origine agricole, ainsi que des substances aromatisantes ou des édulcorants.

La Commission justifie cette innovation par sa volonté de valoriser les formes les plus pures de spiritueux et de rendre plus lisible le système actuel de classification.

Cependant, de son côté, la France a indiqué que ce projet, en l’état, ne peut être accepté.

En effet, celui-ci contredit l’objectif affiché de lisibilité pour le consommateur, comporte des incohérences et tend à ne pas prendre en compte toutes les spécificités de la production de rhum outre-mer.

I. Un cadre peu lisible et incohérent

L’argument d’un classement « plus lisible » avancé par la Commission n’est pas recevable : en effet, le consommateur ne connaîtra pas les critères ayant présidé à cette classification.

En outre, la liste des ingrédients n’étant pas obligatoire sur les spiritueux, aucune mention sur l’étiquette n’indiquera au consommateur que, par exemple, le whisky appartiendra à la première catégorie et la vodka à la deuxième.

Enfin, la « première » catégorie, qui doit regrouper les formes les plus pures des spiritueux, contiendra de facto , dans la plupart des cas, des boissons distillées, présentes dans la première et la seconde catégorie.

Le 3 mars 2006, à l’occasion de la première réunion du groupe d’experts du Conseil sur cette proposition, l’hostilité exprimée à la classification en trois catégories a été unanime, à l’exception de Chypre dont la position n’était pas encore bien établie.

A ce stade, selon les interlocuteurs des ministères de l’agriculture et des finances, la Grande-Bretagne n’a pas encore vraiment dévoilé ses cartes, car elle est, elle-même, plutôt gênée par la définition proposée du whisky, laquelle précise que ce produit ne peut contenir aucun produit autre que le colorant.

Par ailleurs, le classement prévu pour le whisky risque de poser problème pour les pays tiers : en effet, dans le droit communautaire, un produit ne peut être importé que s’il est conforme aux définitions contenues dans un règlement. Or, le Canada, comme les Etats-Unis, produisent du whisky contenant de l’alcool éthylique.

II. Des contradictions manifestes pour les eaux-de-vie

Pour sa part, la France en a relevé deux, éloquentes :

- la catégorie A « eaux-de-vie » comprend les produits dénommés « boissons spiritueuses de », tandis que la catégorie B, les « boissons spiritueuses particulières » comprend des produits dénommés eaux-de-vie (de mûre, de fraise, de myrtille, de gentiane, etc.) ;

- la catégorie B comprend les eaux-de-vie obtenues par macération et distillation, telle la framboise et la myrtille, alors que les eaux-de-vie d’autres fruits, directement distillées, comme la prune et la mirabelle, relèvent de la catégorie A.

La Commission justifie ce classement par le recours à un seul critère, l’ajout ou non d’alcool éthylique, ce qui selon, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’économie et des finances, ne répond à aucune justification qualitative. D’après la DGCCRF et le bureau du vin du ministère de l’agriculture et de la pêche, la simple logique voudrait que les eaux-de-vie obtenues par macération et distillation, classées en catégorie B, soient considérées comme des eaux-de-vie de fruit, relevant de la catégorie A.

III. Des spécificités propres à l’outre-mer oubliées

La France souhaiterait que soient prises en compte certaines spécificités de la production outre-mer :

- en ce qui concerne la définition du rhum traditionnel, le degré maximum de distillation devrait être de 90 % vol., au lieu des 80 % actuellement retenus par le projet. Il s’agit de faire reconnaître des méthodes de production utilisées essentiellement en Guadeloupe ;

- en ce qui concerne l’annexe III, qui liste les indications géographiques de spiritueux, trois dénominations devraient être rajoutées pour couvrir la totalité des productions outre-mer : le rhum de sucrerie de la baie du galion/ le rhum de sucrerie de la baie du galion traditionnel, le rhum des Antilles françaises/ le rhum des Antilles françaises traditionnel et le rhum des départements français d’outre-mer/le rhum des départements français d’outre-mer traditionnel.

IV. Une extension irréfléchie de la procédure dite de gestion

La Commission propose que les annexes comportant la définition des produits puissent être modifiées, non plus par le Conseil, mais par un comité de gestion, c’est-à-dire, en fait, par elle.

On rappellera en effet que la procédure de gestion permet à la Commission de ne pas suivre l’avis, rendu à la majorité qualifiée, par le comité de gestion, au sein duquel les Etats membres sont représentés.

CATEGORIES DE BOISSONS SPIRITUEUSES PROPOSEES

Catégorie A

Eaux-de-vie

Catégorie B

Boissons spiritueuses particulières

Catégorie C

Autres boissons spiritueuses

Rhum

Whisky ou Whiskey

Boisson spiritueuse de céréales

Eau-de-vie de vin

Brandy ou Weinbrand

Eau-de-vie de marc de raisin ou marc

Eau-de-vie de marc de fruit

Eau-de-vie de raisin sec ou raisin Brandy

Eau-de-vie de fruit

Eau-de-vie de cidre et de poire

Hefebrand

Bierbrand ou Eau-de-vie de bière

 

 

 

Eau-de-vie (suivie du nom du fruit) obtenue par macération et distillation

Esprit (suivi du nom du fruit)

Eau-de-vie de fruit

Eau-de-vie de gentiane

Boissons spiritueuses au genièvre

Gin

Gin distillé

London gin

Boissons spiritueuses au carvi

Akvavit ou aquavit

Boissons spiritueuses à l’anis

Pastis

Pastis de Marseille

Anis

Anis distillé

Boisson spiritueuse au goût amer ou bitter

Vodka

Vodka aromatisée

Liqueur

Crème de (suivie du nom d’un fruit ou de la matière première utilisée)

Crème de cassis

Guignolet

Punch au Rhum

Sloe gin

Sambuca

Mistrà

Maraschino ou Marrasquino

Nocino

Liqueur à base d’œufs, advocaat, avocat ou advokat

Liqueur aux œufs

Vaekevae gloegi ou Spritgloegg

Berenburg ou beerenburg

Topinambur

Toutes les boissons spiritueuses qui répondent à la définition de l’article 1er mais qui ne satisfont pas aux conditions requises pour leur inclusion dans les catégories A ou B sont désignées, présentées et étiquetées sous la dénomination de vente « boisson spiritueuse :

 

- le Rum Verschnitt élaboré en Allemagne

- la Slivovice élaborée en République tchèque

 

Conclusion :

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a présenté ce document au cours de la réunion de la Délégation du 12 avril 2006.

M. François Guillaume s’est interrogé sur la position des professionnels à l’égard de ce texte, en considérant qu’il existe des différences significatives entre les alcools de bouche et ceux obtenus par macération ou distillation des fruits. Répondant à une question de M. Pierre Forgues, il a précisé que l’alcool éthylique se définit par opposition à l’alcool synthétique, moins naturel.

La Délégation a alors adopté, à l’unanimité, les propositions de conclusions du rapporteur, dont le texte figure ci-après :

« La Délégation,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la définition, la désignation, la présentation et l’étiquetage des boissons spiritueuses (COM (05) 125 final / E 3043),

Considérant que le classement proposé des boissons spiritueuses en trois catégories n’apporte aucune lisibilité au consommateur, mais comporte, au contraire, de graves incohérences, pouvant, de surcroît, être préjudiciables aux producteurs ;

Considérant que l’attribution, à la Commission européenne, par le recours à la procédure dite de gestion, du pouvoir de modifier les annexes comportant les définitions de produits peut s’avérer dangereuse, à terme, pour le maintien de la spécificité de certaines méthodes de production ;

S’oppose à la proposition de règlement en l’état. ».