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Document E3210
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Mise en oeuvre du programme de La Haye : la voie à suivre.


E3210 déposé le 28 juillet 2006 distribué le 1er août 2006 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2006) 0331 final du 28 juin 2006, transmis au Conseil de l'Union européenne le 30 juin 2006)

Le Conseil européen a défini, lors du sommet de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, les orientations politiques devant présider à la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. Ces orientations ont été actualisées par l’adoption d’un nouveau programme pluriannuel, valable pour la période 2005-2010, lors du Conseil européen de La Haye des 4 et 5 novembre 2004. La Commission a déposé, le 28 juin 2006, quatre communications relatives au programme de La Haye.

Ces communications portent plus précisément sur :

- la mise en œuvre de ce programme en 2005 (COM (2006) 333 final / E 3212) ;

- la voie à suivre pour poursuivre cette mise en œuvre (COM (2006) 331 final/ E 3210) ;

- l’évaluation des politiques de l’Union européenne en matière de justice, de liberté et de sécurité (COM (2006) 332 final / E 3211) ;

- l’adaptation des dispositions du titre IV du traité instituant la Communauté européenne relatives aux compétences de la Cour de justice en vue d’assurer une protection juridictionnelle plus effective (COM (2006) 346 final / E 3213).

I. La mise en œuvre du programme de La Haye en 2005 :

Cette communication (COM (2006) 333 final) dresse un bilan de la mise en œuvre des actions prévues par le programme de La Haye en 2005. Ce « tableau de bord » aborde à la fois le suivi du processus décisionnel de l’Union européenne (tous les actes qui devaient être adoptés en application du programme de La Haye l’ont-ils été ?) et la transposition par les Etats membres des actes adoptés (d’où son appellation de « tableau de bord plus », les précédents tableaux de bord sur le suivi du programme de Tampere se limitant au premier aspect).

1. Un bilan globalement satisfaisant en ce qui concerne les instruments adoptés par l’Union européenne

En ce qui concerne le processus d’adoption au niveau européen, la Commission estime que le niveau général de réalisation pour 2005 peut être considéré comme satisfaisant. La plupart des actions prévues pour 2005 dans le plan d’action de La Haye ont été réalisées ou sont en voie de l’être (65,22 % des actions prévues ont été réalisées en 2005 comme prévu, 21,74 % ont été reportées à 2006, 12,17 % retardées, 0,87 % ne sont plus pertinentes).

La Commission relève que le bilan est nettement plus positif dans les domaines relevant du traité instituant la Communauté européenne, en particulier pour les matières soumises à majorité qualifiée et à la codécision (celles restant soumises, en 2005, à l’unanimité, telles que la politique d’asile – passée depuis à la majorité qualifiée et à la codécision – et le droit de la famille, faisant l’objet d’un bilan plus mitigé).

Elle souligne les lenteurs accusées par contraste dans les matières relevant du troisième pilier (titre VI du traité sur l’Union européenne). L’unanimité a ainsi retardé l’adoption de mesures telles que le mandat européen d’obtention de preuves (qui a finalement fait l’objet d’un accord lors du Conseil « justice et affaires intérieures » des 1er et 2 juin 2006) ou la décision-cadre relative aux garanties procédurales accordées dans le cadre des procédures pénales.

2. Des résultats mitigés en ce qui concerne la transposition par les Etats membres des actes adoptés

Le jugement porté par la Commission sur la mise en œuvre des politiques relatives à l’espace de liberté, de sécurité et justice au niveau national est nettement moins positif.

La Commission souligne ainsi que la politique d’immigration légale fait l’objet d’une application lacunaire, un grand nombre d’Etats membres n’ayant pas communiqué les mesures de transposition des directives relatives au regroupement familial et au statut des résidents de longue durée, pour lesquelles des procédures d’infractions ont été lancées 1. Le bilan est plus satisfaisant s’agissant de l’immigration illégale, à l’exception d’un Etat membre (le Luxembourg, qui a fait l’objet de plusieurs recours en manquement devant la Cour de justice).

Dans le domaine pénal, la Commission juge les insuffisances tant quantitatives que qualitatives du niveau général de transposition « frappantes ». La détermination de l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme ne semble ainsi pas correctement relayée au niveau national, puisque la transposition de la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme continue d’accuser d’importants retards dans plusieurs Etats membres. La Commission souligne cependant que le mandat d’arrêt européen, en dépit d’un retard initial de transposition de la part d’un Etat membre sur deux, est aujourd’hui opérationnel dans toute l’Union, sous réserve de quelques efforts à consentir de la part de certains Etats membres pour se conformer pleinement au texte, et malgré les difficultés constitutionnelles apparues dans plusieurs Etats membres.

Le suivi par Etat membre montre que la France se situe dans la moyenne des Etats membres en ce qui concerne les cas de mauvaise transposition ou application, avec un déficit de l’ordre de 4 %. Les Etats les mieux classés font partie des nouveaux Etats membres (2 % pour la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Slovaquie par exemple), tandis que l’Espagne (12 %), le Royaume-Uni et le Luxembourg (9 % chacun) sont en fin de classement.

Ce tableau de bord présenté par la Commission est un instrument utile, qui permet d’« aiguillonner » les Etats membres qui tardent à transposer les actes adoptés. Compte tenu de l’absence de procédure en manquement sur l’initiative de la Commission dans le cadre du troisième pilier, seule la « pression par les pairs » est en effet susceptible de mettre fin aux manquements constatés.

II. Mise en œuvre du programme de La Haye : la voie à suivre :

Cette seconde communication (COM (2006) 331 final) formule des propositions visant à insuffler une nouvelle dynamique à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, compte tenu du bilan mitigé présenté dans la communication susmentionnée. A cette fin, la Commission annonce le dépôt d’une série de nouvelles initiatives législatives et suggère de renforcer le processus décisionnel actuel grâce aux recours aux « clauses passerelles » figurant dans les traités existants.

A. De nouvelles initiatives législatives ambitieuses

Parmi les actions concrètes les plus significatives envisagées figurent notamment :

- la réalisation de la deuxième phase du régime d’asile, afin d’aboutir à un régime d’asile européen commun doté de procédures harmonisées (un Livre vert sera notamment déposé afin d’engager une consultation à ce sujet) ;

- en ce qui concerne l’immigration légale, la Commission présentera une proposition de directive-cadre sur les droits des travailleurs migrants, et quatre propositions de directives sectorielles relatives à certaines catégories de travailleurs migrants (travailleurs hautement qualifiés, travailleurs saisonniers, personnes détachées au sein de leur entreprise et stagiaires rémunérés) ;

- une initiative législative sur la lutte contre l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- un registre européen des documents de voyage est envisagé ;

- de nouvelles mesures seront déposées pour supprimer totalement l’exequatur pour les décisions en matière civile et commerciale, et seront accompagnées par des initiatives en matière de successions et de droits patrimoniaux des couplés mariés et non mariés ;

- une proposition de décision remplaçant la convention Europol existante, afin de pouvoir adapter plus facilement le statut de l’Office européen de police aux évolutions de la criminalité, annoncée par la Commission, a été effectivement déposée le 20 décembre 2006.

B. Améliorer le processus décisionnel grâce aux recours au « clauses passerelles »

La Commission propose également d’améliorer le processus décisionnel dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans le cadre des traités actuels, en ayant recours aux « clauses passerelles » de l’article 42 du traité sur l’Union européenne (ci-après TUE) et de l’article 67 § 2 du traité instituant la Communauté européenne (ci-après TCE).

1. Les carences institutionnelles actuelles

La Commission rappelle, en premier lieu, les inconvénients attachés à la méthode du « troisième pilier » :

- absence d’instruments juridiques dotés d’effet direct (les décisions-cadres et les décisions en étant explicitement dépourvues) et lourdeur des conventions soumises à ratification ;

- pouvoirs insuffisants du Parlement européen, qui n’est que consulté ;

- prise de décision à l’unanimité au Conseil, ce qui ralentit voire paralyse le processus et conduit à des accords sur le plus petit dénominateur commun ;

- rôle limité de la Cour de justice (exclusion des procédures d’infraction, décisions préjudicielles soumises à l’acceptation par chaque Etat membre concerné de la compétence de la Cour, qui concerne aujourd’hui 14 Etats membres sur 25, et possibilité de limiter cette compétence aux juridictions les plus élevées) ;

- absence de procédures formelles d’infraction permettant de garantir une transposition et une mise en œuvre correcte.

Elle souligne, en deuxième lieu, les difficultés également rencontrées dans les matières « communautarisées » par le traité d’Amsterdam, figurant au titre IV du TCE, mais ayant conservé certaines spécificités parmi lesquelles :

- le maintien de l’unanimité en ce qui concerne l’immigration légale et le droit de la famille ;

- la limitation de la compétence de la Cour de justice, notamment en matière de questions préjudicielles (article 68 TCE).

2. Aller de l’avant grâce aux « clauses passerelles »

La Commission propose de surmonter ces difficultés en ayant recours aux « clauses passerelles » de l’article 42 TUE et de l’article 67 TCE.

a) La clause passerelle de l’article 42 TUE

L’article 42 TUE, introduit par le traité d’Amsterdam, autorise le Conseil de l’Union européenne, statuant à l’unanimité sur l’initiative de la Commission ou d’un Etat membre, à « communautariser » (c’est-à-dire à transférer dans le premier pilier communautaire, au titre IV du traité instituant la Communauté européenne) tout ou partie de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (qui relève du « troisième pilier » de l’Union, titre VI du traité sur l’Union européenne). Cette décision doit ensuite être ratifiée par l’ensemble des Etats membres selon leurs règles constitutionnelles. La mise en œuvre de cette procédure nécessiterait vraisemblablement une révision constitutionnelle en France.

Les avantages d’une telle communautarisation seraient nombreux et recoupent pour partie ceux attachés à l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe :

- les directives et les règlements communautaires remplaceraient les instruments actuels du troisième pilier (décisions-cadres, décisions et conventions) qui sont soit dépourvus d’effet direct (décisions-cadres et décisions), soit soumis à la ratification des Etats membres (conventions) ;

- les compétences de la Commission européenne seraient accrues : elle obtiendrait, en particulier, le droit de déclencher une action en manquement si un Etat membre ne remplit pas ses obligations ;

- les compétences de la Cour de justice, très limitées dans le troisième pilier, seraient également augmentées (sa compétence préjudicielle, par exemple, ne serait plus subordonnée à une déclaration de chaque Etat membre 2) ;

- les conflits liés au choix de la base juridique (premier ou troisième piliers) des textes comportant des dispositions pénales seraient atténués.

L’article 42 TUE permet au Conseil de choisir les modalités de vote qui seront applicables aux matières qu’il aura communautarisées. Le Conseil peut ainsi préserver, s’il le souhaite, l’unanimité en totalité ou en partie (pour certaines matières telles que le renseignement, par exemple) ainsi qu’une simple consultation du Parlement européen, au lieu de passer au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision.

En ce qui concerne le droit d’initiative, l’activation de la « clause passerelle » de l’article 42 TUE conduirait à aller plus loin que le traité constitutionnel, car elle supprimerait le droit d’initiative des Etats membres (alors qu’il serait simplement encadré par un seuil d’un quart des Etats membres par le traité constitutionnel).

L’Assemblée nationale a suggéré de recourir à cette « clause passerelle » dans une résolution adoptée le 29 mars 2006, sur l’initiative de la Délégation 3. Cette proposition a été reprise par la suite par M. Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, dans un discours prononcé le 16 février 2006 devant la Fondation Konrad Adenauer, à Berlin, puis par la France dans la contribution qu’elle a adressée à la présidence autrichienne le 24 avril 2006. La Délégation ne peut donc que se féliciter que la Commission ait faite sienne la proposition qu’elle a formulée en janvier 2006.

Le débat qui s’est engagé à la suite du dépôt de la communication de la Commission est cependant peu encourageant. Plusieurs Etats membres (le Royaume-Uni notamment) sont en effet opposés à l’utilisation de « clause passerelle ». Le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006 n’a ainsi pu que prendre acte de l’absence d’unanimité en son sein sur ce point, tout en soulignant que le processus décisionnel actuel ne permet pas de répondre aux attentes des citoyens en matière de justice et d’affaires intérieures.

b) La « clause passerelle » de l’article 67 § 2 TCE

La « clause passerelle » de l’article 67 paragraphe 2 TCE, issue du traité d’Amsterdam, permet au Conseil de décider, à l’unanimité, d’étendre la majorité qualifiée et la procédure de codécision aux matières relevant du titre IV du TCE, et de renforcer les compétences de la Cour de justice dans ce domaine.

Cet article a déjà été utilisé une fois, en 2004, pour étendre la majorité qualifiée et la codécision à compter du 1er janvier 2005 à l’ensemble des mesures relatives à l’asile, à la libre circulation des personnes, aux contrôles aux frontières et à l’immigration clandestine 4. Les compétences de la Cour de justice sur ces matières n’ont pas en revanche été modifiées.

Aujourd’hui, la mise en œuvre de la « clause passerelle » de l’article 67 § 2 TCE permettrait d’étendre la majorité qualifiée et la codécision à l’immigration légale ainsi qu’aux mesures relatives au droit de la famille, et de mettre fin aux dérogations relatives au contrôle de la Cour de justice posées par l’article 68 TCE.

La Commission européenne suggère, dans sa communication, d’étendre la codécision et la majorité qualifiée à l’immigration légale. Elle ne propose en revanche pas une telle extension dans le domaine du droit de la famille (pour lequel le traité constitutionnel maintient également l’unanimité). La Délégation ne peut également qu’appuyer cette proposition, qui renforcerait l’efficacité du processus décisionnel dans ce domaine.

La Commission a par ailleurs déposé, dans la quatrième communication qu’elle a déposée le 28 juin 2006, une proposition de décision visant à faire usage de l’article 67 § 2 pour aligner les compétences de la Cour de justice sur le droit commun pour toutes les matières figurant dans le titre IV du TCE ( cf. infra , IV).

III. Evaluer les politiques de l’Union européenne en matière de liberté, de sécurité et de justice :

Cette troisième communication de la Commission (COM (2006) 332 final) vise à mettre en place un mécanisme d’évaluation des politiques de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures.

Il existe déjà divers mécanismes d’évaluation dans les domaines concernés (tels que le mécanisme d’évaluation mutuelle prévu par la convention d’application des accords de Schengen, le mécanisme d’évaluation de l’application de la mise en œuvre au plan national des engagements internationaux en matière de lutte contre le terrorisme mis en place par la décision du Conseil du 28 novembre 2002, ou encore l’évaluation prévue par l’article 34 de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen de l’application de cet instrument), mais ils sont fragmentés.

La Commission estime que la création d’un mécanisme d’évaluation cohérent est nécessaire pour offrir aux parties prenantes et aux décideurs un aperçu plus complet et plus opérationnel des résultats obtenus et des moyens de réaliser des progrès. Toutes les politiques relevant de l’espace de liberté, sécurité et justice seraient couvertes. Cette évaluation doit, selon la Commission, être bien distinguée du suivi de la mise en œuvre, qui consiste à examiner les progrès accomplis dans l’exécution des politiques tandis que l’évaluation implique une appréciation des résultats obtenus.

Le mécanisme proposé reposerait sur trois étapes :

- en premier lieu, un système de collecte et de partage des informations qui fixerait, pour chaque domaine, les objectifs politiques et les principaux instruments, avec une série d’indicateurs ;

- en deuxième lieu, un mécanisme d’élaboration de « rapports d’évaluation », qui regrouperaient et analyseraient les informations fournies. Ces rapports seraient élaborés par la Commission en partenariat avec les Etats membres et les autres institutions de l’Union ;

- en troisième lieu, le mécanisme serait complété par des évaluations ciblées des domaines politiques ou d’instruments particuliers.

Ce mécanisme serait mis en œuvre par la Commission et le Conseil, conformément à leurs prérogatives institutionnelles et en association étroite avec le Parlement européen. Il se déroulerait sur une base régulière, deux fois tous les cinq ans. La charge administrative en découlant serait, selon la Commission, limitée car il se fonderait sur des pratiques en vigueur et utiliserait des informations pour la plupart déjà existantes.

Le traité établissant une Constitution pour l’Europe, en son article III-260, prévoit la mise en place d’un mécanisme d’« évaluation objective et impartiale » de ce type. Il précise cependant que cette évaluation serait effectuée par les autorités des Etats membres, en collaboration avec la Commission européenne (qui se verrait donc reconnu un rôle moins central que dans le mécanisme qu’elle propose), et que le Parlement européen et les parlements nationaux seraient informés de la teneur et des résultats de cette évaluation.

Cette communication de la Commission est bienvenue, un mécanisme cohérent d’évaluation des politiques relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice étant indispensable. Il conviendra cependant de ne pas retenir une approche exclusivement quantitative, fondée sur les seuls indicateurs suggérés par la Commission.

Les rôles respectifs de la Commission et des Etats membres dans ce processus devraient également être débattus. Il serait utile de s’inspirer, sur ce point, de la méthode d’évaluation mise en place pour le mandat d’arrêt européen, qui s’est notamment fondée sur les contributions des Etats membres, d’Eurojust et du réseau judiciaire européen, afin d’avoir une vision pratique étayée.

IV. L’extension des compétences de la Cour de justice en vue d’assurer une protection juridictionnelle plus effective :

1. Les restrictions actuelles à la compétence de la Cour de justice ne sont pas acceptables dans une « Communauté de droit ».

Les compétences de la Cour de justice pour les matières relevant du titre IV du TCE (visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes) sont restreintes par rapport au régime de droit commun. L’article 68 TCE prévoit en effet deux restrictions :

- la Cour de justice ne peut être saisie d’un renvoi préjudiciel que par les juridictions suprêmes, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel en droit interne, alors que dans le droit commun la Cour peut être saisie par l’ensemble des juridictions nationales ;

- la Cour de justice n’est pas compétente pour statuer sur les mesures relatives à l’abolition des contrôles des personnes (qu’il s’agisse de citoyens européens ou de ressortissants de pays tiers) aux frontières intérieures, lorsque celles-ci portent sur « le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

L’article 68 TCE prévoit également une troisième dérogation, tendant cette fois à étendre la compétence de la Cour, puisque celle ci peut être saisie par le Conseil, la Commission ou un Etat membre afin de statuer sur une question d’interprétation du titre IV ou d’un acte pris sur le fondement de celui-ci. Cette possibilité n’a jamais été utilisée jusqu’ici.

La Commission souligne, à juste titre, que ces restrictions empêchent la Cour d’exercer une protection juridictionnelle efficace dans le domaine concerné, ce qui est problématique compte tenu de la sensibilité de ce secteur au regard des droits fondamentaux. De telles lacunes ne sont pas acceptables dans un véritable « espace de justice » et une Union qui se veut une « Communauté de droit » (CJCE, 23 avril 1986, aff. 294/83, arrêt dit « Les Verts »).

2. La Commission propose d’étendre le régime de droit commun au titre IV du TCE.

L’article 67 § 2 prévoit que le Conseil prend, à l’unanimité, après avis du Parlement européen et à l’expiration de la période de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, c’est-à-dire du 1er mai 2004, une décision en vue d’adapter les dispositions relatives à la Cour de justice. La Commission estime qu’il s’agit d’une obligation pour le Conseil, et non d’une faculté, l’indicatif employé (« le Conseil prend ») énonçant selon elle une obligation. C’est pourquoi elle a déposé une proposition de décision visant l’adaptation des dispositions du titre IV relatives à la Cour de justice, c’est-à-dire à supprimer les trois dérogations prévues par l’article 68 TCE.

Cette proposition a été relativement bien accueillie par les Etats membres, sous réserve de quelques exceptions (Pologne et République tchèque notamment). La plupart des délégations, dont la France, ont cependant souligné la nécessité de prévoir une procédure d’urgence pour le traitement des questions préjudicielles dans ce domaine, compte tenu de l’existence d’un contentieux de masse (en droit des étrangers notamment) et de contraintes de délais très fortes.

Plusieurs Etats membres ont également estimé, à juste titre, qu’il n’était pas opportun de supprimer la dérogation prévue par l’article 68 TCE permettant la saisine de la Cour pour interprétation. Il s’agit en effet d’une possibilité qui pourrait se révéler, le moment venu, utile même si elle n’a pas été employée jusqu’ici.

3. L’adoption de cette décision devra s’accompagner de la mise en place d’une procédure d’urgence pour le traitement des questions préjudicielles relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Un dialogue s’est engagé à ce sujet entre le Conseil et la Cour de justice. Celle-ci a apporté son soutien à l’analyse de la Commission et a formulé des suggestions pour l’élaboration d’une procédure d’urgence pour le traitement des questions préjudicielles relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

Le président de la Cour de justice, M. Vassilios Skouris, a rappelé que de nombreuses réglementations communautaires ou nationales imposent un traitement dans des délais très stricts des affaires concernant l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Le règlement du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (dit « Bruxelles II bis ») prévoit, par exemple, plusieurs délais pour le juge national, notamment un délai de six semaines lorsqu’une juridiction est saisie d’une demande de retour d’un enfant déplacé de manière illicite. Les législations nationales prévoient également des délais très brefs en matière d’immigration et de responsabilité parentale notamment.

Cette contrainte nécessite une modification significative des règles procédurales existantes pour garantir un traitement suffisamment rapide des demandes préjudicielles relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

La procédure accélérée existante, entrée en vigueur il y a plus de cinq ans et figurant à l’article 104 bis du règlement de procédure de la Cour, ne peut en effet être utilisée qu’avec parcimonie car l’accélération obtenue se fait au détriment de toutes les autres affaires pendantes. Cela explique qu’elle n’ait été utilisée que trois fois (dont une procédure préjudicielle) à ce jour. Elle ne permet en outre pas d’obtenir des délais suffisamment brefs (dans les trois affaires pour lesquelles elle a été utilisée, les délais ont été respectivement de 76 (pour la procédure préjudicielle), 168 et 171 jours).

La Cour a suggéré deux options principales pour cette procédure préjudicielle d’urgence.

La première option serait une procédure d’un type nouveau qui dans sa première phase, ne prévoirait pas la participation de l’ensemble des Etats membres et des institutions. Seuls pourraient participer à la procédure les parties au litige national, l’Etat membre dont relève la juridiction à l’origine de la demande préjudicielle, la Commission ou les institutions dont émane l’acte dont la validité est contestée ou l’interprétation est demandée. Il serait possible de déposer de brèves observations écrites et/ou d’organiser une audience. La Cour rendrait une ordonnance, qui serait ensuite communiquée à tous les Etats membres et aux institutions.

Afin de permettre aux Etats membres et aux institutions de défendre leur point de vue malgré leur exclusion de la première phase de la procédure, une possibilité de réexamen pourrait être prévue. Celui-ci pourrait être demandé, par exemple, dans un délai d’un mois. La nouvelle procédure de réexamen donnerait lieu au prononcé d'un arrêt. En l’absence de demande de réexamen, l’ordonnance adoptée à la suite de la procédure préjudicielle d’urgence aurait un caractère définitif.

La seconde option serait une procédure à laquelle participeraient toutes les parties, mais avec des règles pratiques plus strictes (traduction dans toutes les langues des seules questions préjudicielles, fixation d’un délai de réponse plus bref que dans le cadre de la procédure accélérée, fixation de la longueur maximale des observations, voire absence d’observations écrites, absence de conclusions de l’avocat général, lequel serait toutefois entendu comme dans la procédure accélérée). La Cour rendrait un arrêt qui serait soumis aux règles normales, c’est-à-dire sans possibilité de réexamen.

La première option met l’accent sur la rapidité de traitement des affaires, tandis que la seconde, clairement plus longue, respecte davantage le droit des Etats membres et des institutions de participer aux affaires préjudicielles, et de faire valoir leur point de vue.

La majorité des délégations s’est montrée favorable à la deuxième option, en dépit du fait qu’elle ne permettrait pas un gain de temps aussi important que la première. C’est donc dans ce sens que les discussions visant à préciser les modalités de cette procédure préjudicielle d’urgence se poursuivent au sein du groupe « Cour de justice » du Conseil.

*

* *

 

M. Christian Philip, rapporteur, a présenté ce document au cours de la réunion du 20 mars 2007 de la Délégation.

M. Jacques Floch s’est félicité du dépôt par la Commission de ces propositions relatives aux « clauses passerelles », et le Président Pierre Lequiller a rappelé les réserves de certains Etats membres à leur égard.

A la suite de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation pour l’Union européenne,

Vu la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen : « Mise en œuvre du programme de La Haye : la voie à suivre [COM (2006) 331 final / E 3210],

Vu la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, au comité des régions et à la Cour de justice des Communautés européennes visant l’adaptation des dispositions du titre IV du traité instituant la Communauté européenne relatives aux compétences de la Cour de justice, en vue d’assurer une protection juridictionnelle plus effective [COM (2006) 346 final / E 3213],

1. Se félicite que la Commission ait repris la suggestion formulée par l’Assemblée nationale dans la résolution n° 560 du 29 mars 2006, appelant à la mise en œuvre de la « clause passerelle » de l’article 42 du traité sur l’Union européenne, afin de donner un nouvel élan à l’Europe de la justice ;

2. Approuve la suggestion de la Commission d’utiliser la « clause passerelle » de l’article 67, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne afin d’étendre la majorité qualifiée et la codécision à l’immigration légale ;

3. Souhaite l’adoption de la proposition de décision de la Commission visant à supprimer les restrictions actuelles aux compétences de la Cour de justice applicables dans le cadre du titre IV du traité instituant la Communauté européenne, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits fondamentaux ;

4. Recommande de maintenir la possibilité de saisir la Cour de justice d’une question d’interprétation, prévue à l’article 68, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne ;

Souligne la nécessité de mettre en place une procédure préjudicielle d’urgence pour les affaires relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice préalablement à l’adoption de cette décision. »

(1)Les procédures d’infraction concernant le regroupement familial visaient, au 5 décembre 2005, Chypre, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, Malte, le Portugal, la Finlande et la Suède. Les Etats n’ayant pas notifié leurs mesures de transposition de la directive relative au statut des résidents de longue durée au 23 janvier 2006 étaient l’Allemagne, l’Espagne, la Grèce, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, la Finlande, la Suède, Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Lituanie, Malte et la République tchèque.
(2)La « communautarisation » du troisième pilier pourrait cependant conduire à un recul paradoxal en ce qui concerne la compétence préjudicielle de la Cour pour les onze Etats membres ayant accepté cette compétence pour toutes leurs juridictions nationales, si la proposition de décision fondée sur l’article 67 TCE (cf. infra, IV) n’était pas préalablement adoptée, puisqu’elle conduirait à limiter les possibilités de renvoi préjudiciel aux seules juridictions suprêmes.
(3)Rapport d’information n° 2829 de M. Christian Philip au nom de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, janvier 2006.
(4)Décision 2004/927/CE du Conseil du 22 décembre 2004 visant à rendre la procédure définie à l'article 251 du traité instituant la Communauté européenne applicable à certains domaines couverts par la troisième partie, titre IV, dudit traité.

ANNEXE

Article 42 du traité sur l’Union européenne

Le Conseil, statuant à l’unanimité à l’initiative de la Commission ou d’un État membre, et après consultation du Parlement européen, peut décider que des actions dans les domaines visés à l’article 29 relèveront du titre IV du traité instituant la Communauté européenne et, en même temps, déterminer les conditions de vote qui s’y rattachent. Il recommande l’adoption de cette décision par les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Article 67 du traité instituant la Communauté européenne

1. Pendant une période transitoire de cinq ans après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, le Conseil statue à l’unanimité sur proposition de la Commission ou à l’initiative d’un État membre et après consultation du Parlement européen.

2. Après cette période de cinq ans :

— le Conseil statue sur des propositions de la Commission; la Commission examine toute demande d’un État membre visant à ce qu’elle soumette une proposition au Conseil,

— le Conseil, statuant à l’unanimité après consultation du Parlement européen, prend une décision en vue de rendre la procédure visée à l’article 251 applicable à tous les domaines couverts par le présent titre ou à certains d’entre eux et d’adapter les dispositions relatives aux compétences de la Cour de justice.

3. Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les mesures visées à l’article 62, points 2 b) i) et iii), sont, à compter de l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, arrêtées par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen.

4. Par dérogation au paragraphe 2, les mesures visées à l’article 62, points 2 b) ii) et iv), sont, après une période de cinq ans suivant l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, arrêtées par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251.

5. Par dérogation au paragraphe 1, le Conseil arrête selon la procédure visée à l’article 251 :

— les mesures prévues à l’article 63, point 1, et point 2 a), pour autant que le Conseil aura arrêté préalablement et conformément au paragraphe 1 du présent article une législation communautaire définissant les règles communes et les principes essentiels régissant ces matières,

— les mesures prévues à l’article 65, à l’exclusion des aspects touchant le droit de la famille.

Article 68 du traité instituant la Communauté européenne

1. L’article 234 est applicable au présent titre dans les circonstances et conditions suivantes: lorsqu’une question sur l’interprétation du présent titre ou sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté sur la base du présent titre est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demande à la Cour de justice de statuer sur cette question.

2. En tout état de cause, la Cour de justice n’est pas compétente pour statuer sur les mesures ou décisions prises en application de l’article 62, point 1, portant sur le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.

3. Le Conseil, la Commission ou un État membre a la faculté de demander à la Cour de justice de statuer sur une question d’interprétation du présent titre ou d’actes pris par les institutions de la Communauté sur la base de celui-ci. L’arrêt rendu par la Cour de justice en réponse à une telle demande n’est pas applicable aux décisions des juridictions des États membres qui ont force de chose jugée.