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Document E3234
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Accord entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique sur le traitement et le transfert de données PNR par des transporteurs aériens au bureau des douanes et de la protection des frontières du ministère américain de la sécurité intérieure.


E3234 déposé le 7 septembre 2006 distribué le 8 septembre 2006 (12ème législature)
   (Référence communautaire : 11900/06 du 20 juillet 2006)

M. Thierry Mariani, rapporteur, a rappelé que le projet d’accord, dont l’Assemblée nationale est saisie au titre de la clause facultative de l’article 88-4 de la Constitution( 1), vient rappeler l’ampleur du défi lancé par le terrorisme à la sûreté de nos systèmes de transport – en particulier le transport aérien – ainsi que la nécessité de disposer d’un cadre efficace de coopération, en particulier avec les Etats-Unis qui sont, dans le domaine aérien, le premier partenaire de l’Europe.

Or, force est de constater que ce projet, tout comme l’accord qui existait précédemment, ne satisfait pas pleinement à cette exigence d’efficacité, du fait de certaines lacunes, fortement contestées – entre autres – par le Parlement européen.

I. LE PROJET D’ACCORD FAIT SUITE A UN JUGEMENT D’ANNULATION DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES.

1. L’annulation par la Cour du précédent accord

A la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont adopté une législation disposant que les transporteurs aériens qui assurent des liaisons à destination, au départ ou à travers le territoire des Etats-Unis sont tenus de fournir aux autorités américaines un accès électronique aux données contenues dans leurs systèmes de réservation et de contrôle des départs, dénommées Passenger Name Records (PNR).

Estimant que ces dispositions pouvaient entrer en conflit avec la législation communautaire et celle des Etats membres en matière de protection des données, la Commission a entamé des négociations avec les autorités américaines. A l’issue de ces négociations, la Commission a adopté, le 14 mai 2004, une décision (la décision d’adéquation) constatant que le Bureau des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis ( United States Bureau of Customs and Border Protection, CBP ) assure un niveau de protection adéquat des données PNR transférées depuis la Communauté. Le Conseil a, le 17 mai 2004, adopté une décision approuvant la conclusion d’un accord entre la Communauté européenne et les États-Unis sur le traitement et le transfert de données PNR par des transporteurs aériens établis sur le territoire des Etats membres de la Communauté au CBP. Cet accord a été signé à Washington le 28 mai 2004 et est entré en vigueur le même jour.

Le Parlement a demandé à la Cour de Justice d’annuler la décision du Conseil et la décision d’adéquation, en faisant valoir notamment que l’article 95 du Traité( 2) ne constituait pas une base juridique appropriée pour la décision du Conseil et que, dans les deux cas, certains droits fondamentaux étaient violés.

Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de Justice a annulé les deux décisions, au motif que les bases juridiques étaient inappropriées.

? S’agissant de la décision d’adéquation de la Commission du 14 mai 2004, la Cour a estimé que le traitement lié au transfert des données PNR aux autorités américaines avait pour objet la sécurité publique et les activités de l’Etat (américain) relatives à des domaines du droit pénal, qui ne relèvent pas du champ d’application de la directive 95/46/CEE du 24 octobre 1995 sur la protection des données à caractère personnel.

? Quant à la décision du Conseil du 17 mai 2004, la Cour a constaté que l’article 95 du Traité combiné avec l’article 25 de la directive 95/46/CEE du 24 octobre 1995, concernant le transfert de données à caractère personnel vers les Etats tiers, n’était pas susceptible de fonder la compétence de la Communauté pour conclure l’accord en cause avec les Etats-Unis. En conséquence, la Cour a annulé la décision du Conseil.

Toutefois, la Cour de Justice n’a pas estimé nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par le Parlement européen à l’appui de son recours, en particulier la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à la vie privée) et du principe de proportionnalité. Selon certaines interprétations, celle de la CNIL, entre autres, bien que ces moyens n’aient, en aucune façon, été considérés comme infondés, l’arrêt de la CJCE ne permet pas, en l’état, de faire obstacle à d’éventuels accords bilatéraux entre les Etats membres et les Etats-Unis.

Quoi qu’il en soit, la Cour ayant maintenu la validité de l’accord international jusqu’au 30 septembre 2006, la question se pose donc du nouveau cadre légal à créer dans les meilleurs délais.

2. Le nouveau projet d’accord

Sur la base des directives de négociation approuvées par le Conseil en juin 2006, la présidence du Conseil de l’Union, assistée de la Commission, négocie actuellement un nouvel accord avec les Etats-Unis.

A la suite d’une réunion de négociation qui s’est tenue à Helsinki le 18 juillet 2006 entre les représentants des Etats-Unis et la présidence du Conseil de l’Union européenne, la présidence a présenté un projet d’accord.

Celui-ci prend pour base juridique les articles 24 et 38 du Traité sur l’Union européenne – relatifs à la conclusion d’un accord avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales pour des dispositions touchant à la PESC ou à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Mais son contenu reprend quasiment à l’identique les éléments de l’accord approuvé au nom de la Communauté par la décision du Conseil du 17 mai 2004.

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* *

II. UN PROJET RECELANT DE SERIEUSES LACUNES, DONT LES POSSIBILITES D’AMELIORATION FONT L’OBJET D’APPRECIATIONS CONTRASTEES.

1. La persistance de sérieuses lacunes

Les critiques formulées par le rapporteur et plusieurs membres de la Délégation en 2004 lors de l’examen du précédent accord pourraient être reprises, puisque le nouveau projet reconduit, à l’identique, les dispositions antérieures :

– Le nouvel accord maintient le privilège accordé aux autorités américaines d’accéder, par voie électronique, aux données provenant des systèmes de contrôle des réservations et des départs des transporteurs aériens de l’Union européenne.

En outre, est inchangée l’obligation impartie aux compagnies européennes assurant des vols à destination ou au départ des Etats-Unis de traiter les données PNR stockées dans leurs systèmes informatiques de réservation, selon les demandes des autorités américaines « en vertu de la législation américaine ».

Le projet d’accord maintient donc un cadre foncièrement dissymétrique entre les Etats-Unis et l’Europe.

– La valeur contraignante des engagements des autorités américaines demeure très fortement douteuse, puisqu’ils sont de nouveau relégués en annexe au projet, au lieu d’être incorporés dans son dispositif, ce qui a pour effet de limiter les possibilités d’action judiciaire en cas de violation de ces engagements.

– Dès lors, contrairement à ce qu’affirme un considérant du projet, les engagements ne sont toujours pas de nature à assurer un niveau de protection adéquat, d’autant que fait défaut aux Etats-Unis une protection juridique des données dans le domaine du transport aérien. Du surcroît, il n’existe pas non plus de protection judiciaire pour les non ressortissants des Etats-Unis.

2. Des appréciations contrastées quant aux possibilités d’amélioration du projet d’accord

Parlement européen et Commission s’accordent sur la nécessité d’éviter tout vide juridique à compter du 1er octobre 2006, afin que les compagnies aériennes ne perdent pas leur autorisation d’atterrissage aux Etats-Unis.

Le Parlement et la Commission plaident donc en faveur d’un texte commun, lequel devrait s’appliquer jusqu’à novembre 2007, terme du précédent accord.

En tout état de cause, ils sont hostiles à la conclusion d’accords bilatéraux.

S’agissant des autorités françaises, elles déclarent être très attachées à ce qu’un nouvel accord soit finalisé avec les Etats-Unis de manière à assurer la continuité et la sécurité juridique à ce sujet.

En revanche, on relèvera la position plus nuancée du gouvernement britannique, lequel a indiqué à la Commission spécialisée pour les affaires européennes de la Chambre des Communes que l’arrêt de la Cour de Justice « n’empêcherait pas les compagnies aériennes britanniques de transférer les données PNR conformément aux dispositions de la législation britannique ».

Selon la Commission spécialisée pour les affaires européennes, il résulte de cette déclaration qu’aucun instrument juridique n’est requis au plan communautaire, afin d’autoriser légalement les compagnies aériennes britanniques à communiquer les données PNR.

Cela étant, de profondes divergences existent entre le Parlement européen et la Commission quant à l’opportunité d’amender le dispositif du projet d’accord.

Les recommandations préconisées par Mme Sophia in’tVeld, rapporteure de la Commission des libertés civiles du Parlement européen, prévoient entre autres :

– l’application des principes européens – en particulier ceux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme – à tout nouvel accord ;

– l’incorporation immédiate des engagements dans le nouvel accord, en vue notamment :

* de parvenir à une stricte limitation des objectifs – comme prévu initialement dans la déclaration d’engagement 3 – de sorte que les données relatives au comportement ne puissent être utilisées à des fins d’identification de délits financiers ou de prévention de la grippe aviaire ;

* de passer à un système « Push », lequel filtre les données à la source, ce qui empêche les autorités destinataires des données de procéder par elles-mêmes au filtrage, et de pouvoir ainsi accéder aux données sensibles ;

* de mettre en place des procédures de recours judiciaires, au profit des passagers, comme c’est le cas dans les accords PNR conclus avec le Canada et l’Australie.

En revanche, lors de son audition le 12 septembre 2006, par la Commission des libertés civiles, le commissaire Franco Frattini en charge de la justice, de la liberté et de la sécurité, a déclaré que, dans le cadre du projet d’accord, il serait difficile d’obtenir des autorités américaines qu’elles acceptent un cadre plus contraignant, car ceci exigerait de soumettre les engagements à la procédure d’autorisation de ratification du Congrès. Au demeurant, il a fait valoir, d’une part, que le bref laps de temps existant pour la conclusion d’un accord n’était pas suffisant pour autoriser des négociations dans le sens souhaité par le Parlement européen. D’autre part, il a mis en garde contre le fait que, si un accord n’était pas signé d’ici au 30 septembre 2006, les compagnies aériennes continueraient de transférer les données PNR, mais sans que les garanties prévues par le projet d’accord soient assurées.

En tout cas, M. Frattini a tenu à souligner que toute idée de renégociation approfondie ne pourrait concerner que l’accord définitif, dont la discussion n’interviendra qu’en 2008. A cet égard, M. Frattini a indiqué que les Etats-Unis étaient ouverts à une telle renégociation et s’y préparaient.

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* *

Si l’Europe et les Etats-Unis n’ont pas d’autre choix que de lutter avec succès contre le terrorisme, il importe d’éviter que les actions prises ou envisagées à ce titre ne soient menées à n’importe quel prix et qu’en tout cas, elles ne conduisent l’Europe à violer ses propres principes juridiques.

Or, l’examen du présent texte est d’autant plus redoutable que pour la plupart des membres de la Commission des libertés civiles du Parlement européen, par exemple, il serait préférable pour l’Europe de conclure un mauvais accord, plutôt que d’être confrontée à un vide juridique.

Certains de ses membres estiment néanmoins que « il est de notre responsabilité de s’assurer que les citoyens de l’Union puissent jouir au moins du même niveau de protection que les citoyens américains »( 3).

Il y a lieu de craindre, au vu d’une déclaration récente de M. Michaël Chertoff, ministre de la sécurité intérieure, que la partie américaine ne défende des positions opposées à celles du Parlement européen( 4).

De son côté, M. Ernst Burgbacker, Secrétaire général du groupe FDP (Libéral) du Bundestag a déclaré : « les gouvernements de l’Europe doivent sortir de leur réserve. Il ne suffit pas de s’élever contre les demandes exagérées des Etats-Unis. L’Europe doit, dans cette affaire, négocier enfin d’égal à égal avec les Etats-Unis ».

Tous ces éléments amènent le rapporteur à souhaiter, dans la proposition de conclusions ci-après, que, devant l’importance des problèmes politiques et juridiques soulevés par le projet d’accord, celui-ci soit soumis à la procédure d’autorisation de ratification par le Parlement.

Il convient, en effet, de rappeler que l’article 24 du Traité sur l’Union européenne permet au Conseil d’engager, puis de conclure, des accords avec des Etats tiers. C’est ainsi que, sur la base de cette disposition notamment, deux accords avec les Etats-Unis en matière d’extradition et d’entraide judiciaire ont été conclus par le Conseil.

L’article 24 précise toutefois qu’aucun accord conclu en application de cette même disposition « ne lie un Etat membre dont le représentant au sein du Conseil déclare qu’il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles ».

Des interprétations du service juridique du Conseil et du service juridique de la Commission, il ressort que cette disposition permet à un Etat de soumettre un accord conclu sur la base de l’article 24 à une procédure de ratification parlementaire.

Ce fut également l’avis du Conseil constitutionnel. C’est pour cela qu’il a jugé cet article 24 conforme à la Constitution française. Notre Délégation a déjà eu l’occasion, le 12 octobre 2005, d’adopter une interprétation analogue, de l’article 24, lors de l’examen d’un accord entre l’Union européenne, l’Islande et la Norvège, relatif à la procédure de remise entre les Etats membres de l’Union et ces deux pays. C’est pourquoi, dans ses conclusions sur cet accord, la Délégation avait recommandé au Gouvernement de faire usage de la réserve prévue à l’article 24, paragraphe V, pour procéder, à l’instar de nos partenaires européens, à sa ratification parlementaire.

En revanche, lors d’un débat qui a eu lieu au Sénat, le 12 décembre 2003, le Gouvernement s’était référé à un avis du Conseil d’Etat, lequel avait estimé que « la réserve par un Etat membre de ses propres règles constitutionnelles a pour objet de permettre à cet Etat d’assurer uniquement le respect des règles de fond d’ordre constitutionnel ».

Aux yeux du rapporteur, deux considérations mériteraient précisément d’être ici prises en compte, en faveur de cette procédure d’autorisation de ratification : d’une part, comme il a eu l’occasion de le montrer, le projet d’accord ne satisfait pas – entre autres – aux standards posés par la directive 95/46 relative à la protection des données à caractère personnel.

D’autre part, il importe que, pour l’avenir, les autorités françaises reconsidèrent la position apparemment restrictive que le Gouvernement a défendue en 2003 devant le Sénat, car on peut craindre que le refus de recourir à la procédure de ratification devant le Parlement français ne conduise à ce que des accords majeurs ne fassent pas l’objet d’une autorisation de ratification parlementaire ni au niveau national ni au niveau européen.

A l’issue de la communication de M. Thierry Mariani, rapporteur, M. Jérôme Lambert s’est interrogé sur la possibilité d’envisager une interdiction d’atterrissage à l’encontre des compagnies américaines, dans l’hypothèse où les autorités des Etats-Unis refuseraient d’infléchir leur position.

Le Président Pierre Lequiller a jugé qu’il était effectivement souhaitable de réaffirmer la position déjà prise par la Délégation, conforme d’ailleurs à celle adoptée par le Sénat, tout en soulignant, dans le cas d’espèce, sa portée théorique.

M. Christian Philip a observé qu’un débat parlementaire sur la ratification de l’accord était probablement nécessaire, mais que le Parlement serait confronté à un important dilemme puisqu’un refus de ratifier aurait de fortes répercussions économiques sur les compagnies aériennes européennes.

Le rapporteur a confirmé que le dispositif, déséquilibré, ne peut déboucher sur une solution satisfaisante et a ajouté que des mesures de représailles contre les compagnies américaines apparaissaient inenvisageables.

A l’issue de ce débat, la Délégation a approuvé les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 24, paragraphe V, du Traité sur l’Union européenne,

Vu le projet d’accord entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique sur le traitement et le transfert de données PNR par des transporteurs aériens au bureau des douanes et de la protection des frontières du ministère américain de la sécurité intérieure (document E 3234),

1. Constate que le projet d’accord susvisé reprend, pour l’essentiel, les éléments de l’accord approuvé au nom de la Communauté par la décision du Conseil 2004/406/CE relative à la conclusion de l’accord avec les Etats-Unis sur le transfert des données dites PNR par les compagnies aériennes opérant des vols transatlantiques, que la Cour de Justice des Communautés européennes a annulée par un arrêt rendu le 30 mai 2006 ;

2. Craint, dès lors, que si le nouvel accord devait être conclu en l’état d’ici au 30 septembre 2006 – date fixée par l’arrêt de la Cour de Justice du 30 mai 2006, il ne recèle des dispositions contrevenant notamment aux standards fixés par la directive 95/46/CEE du Parlement et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ;

3. Déplore que le projet d’accord, comme le précédent accord, repose sur un dispositif déséquilibré, à la différence des accords du même type conclus avec le Canada et l’Australie ;

4. Demande aux autorités françaises, que, en application de l’article 24, paragraphe 5, du Traité sur l’Union européenne, autorisant un Etat, dont le représentant au sein du Conseil déclare qu’il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles, de ne pas être lié par un accord conclu avec les Etats tiers, le présent projet d’accord soit soumis à la procédure d’autorisation de ratification parlementaire. »

 

(1) Pour le SGAE, cette procédure se justifie par le fait que le projet d’accord n’est pas présenté en l’état en complément d’une proposition de décision du Conseil relative à son application provisoire ou à sa conclusion.
(2) Cet article vise l'adoption de mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
(3) Mme Martine Roure.
(4) Dans un article du 29 août 2006, publié par le Washington Post, M. Chertoff plaide en faveur de la mise en place de nouveaux instruments de contrôle dans le transport aérien et du transfert d’un nombre accru de données.