Présentation du budget des affaires culturelles

26 octobre 1961

Mesdames, messieurs, je tiens naturellement à remercier d'abord, non seulement MM. les rapporteurs, mais aussi la plupart des orateurs, de la nature de leurs interventions.

J'avais remarqué l'année dernière, dans une atmosphère bien différente, que beaucoup de ces interventions pouvaient non seulement aboutir à donner satisfaction aux parlementaires, mais encore attirer l'attention de mes services sur des cas semblables. Incontestablement, beaucoup de travail a été réalisé depuis un an, en raison de ce contact. Je constate que celui-ci s'accentue aujourd'hui ; je vous en suis reconnaissant, en raison de l'utilité certaine qu'en retire l'État.

Trop de questions de détail ont été posées pour qu'il me soit possible de répondre à toutes. Je les ai groupées en suivant les principaux rapports, si bien que lorsqu'une réponse s'adressera aux rapporteurs elle vaudra aussi pour tous ceux que préoccupent les mêmes problèmes.

Je commence par un point d'une assez grande importance.

Dans son rapport, M. Taittinger s'exprime ainsi :

« L'augmentation des autorisations de programme est extrêmement importante. En revanche, la majoration des crédits de paiement apparaît faible. Cette divergence entre la progression des autorisations de programme et celle des crédits de paiement est une des caractéristiques du projet de budget de 1962.

« M. le ministre des finances lui a donné pour cause l'existence d'importants reports dus à des retards dans la consommation des crédits. »

Cette remarque est fort pertinente. Mais les crédits de paiement constituent en quelque sorte la trésorerie des autorisations de programme. Il advient qu'un déséquilibre soit constaté entre celles-ci et ceux-là ; il est nécessaire, pour assurer le plein emploi des moyens financiers, de rétablir un équilibre forcément instable. C'est ce qui se produit cette année. Le léger coup de frein donné à l'expansion des crédits de paiement vise à assainir la situation.

En voici les conséquences : à la fin de 1962, le taux de majoration des crédits de fonctionnement et des autorisations de programme - qui est de 36 p. 100 pour la période de 1959 à 1962, la masse des crédits passant de 202 millions à 275 millions - aura pour contrepartie une expansion des crédits de paiement de 35 p. 100, ces crédits passant de 171 millions à 232 millions ; 36 p. 100, 35 p. 100 : la chose est évidemment importante pour tous ceux que les questions financières intéressent.

L'examen de ce rapport en commission a soulevé, lui aussi, quelques remarques. Je ne pense pas, comme le croit M. Courant, qu'existent encore des chevauchements entre le ministère de la construction et le mien. Certes, le ministère de la construction a versé entre I949 et 1957 des sommes correspondant aux indemnités qui auraient été allouées aux propriétaires de monuments sinistrés, sommes qui s'ajoutaient aux dotations budgétaires propres au service des monuments historiques. Mais ces versements sont terminés et il a été convenu, à la demande même de M. le ministre des finances, que les crédits nécessaires à la restauration des monuments historiques seraient désormais inscrits au budget des affaires culturelles.

Quant au palais de justice de Rouen, la situation de cet édifice est assez exceptionnelle. Il appartient pour partie à l'État et pour partie au département de la Seine-Maritime. D'autre part, l'intervention du service des monuments historiques est nécessaire lorsque ses éléments classés sont en cause.

Les retards constatés dans la remise en état de ce monument proviennent des difficultés d'ordre domanial que j'ai mentionnées et des difficultés d'ordre budgétaire relatives aux monuments sinistrés.

Comme les dotations budgétaires normales ne pourraient permettre d'achever la réparation de tous les monuments sinistrés, le ministère des affaires culturelles a donc demandé que figurent, dans le plan quadriennal d'équipement culturel qui vient d'être élaboré, les crédits nécessaires à l'achèvement de ces réparations.

Au budget de 1962, des crédits spéciaux ont été demandés au titre du chapitre 56-36 pour la réparation de deux importants monuments sinistrés, Vincennes et la cathédrale de Reims, qui figurent dans la loi de programme. L'établissement de ce plan quadriennal devrait avoir une importante incidence sur le budget de 1953.

M. Max Lejeune s'est élevé contre les techniques surannées qu'utilise le service des monuments historiques dans la restauration des monuments sinistrés. Ce service doit nécessairement leur garder leur aspect traditionnel. C'est ainsi qu'il est obligé de faire appel à des tailleurs de pierre, corporation qui ne travaille pratiquement plus que pour les monuments historiques. Mais lorsque les travaux qu'il exécute ne sont pas apparents, le service des monuments historiques fait appel aux techniques modernes. C'est ainsi qu'il a utilisé le béton précontraint pour la consolidation d'une des piles du clocher de la Chaise-Dieu qui s'écrasait, qu'il a également refait en béton armé la charpente des édifices sinistrés lorsque celle-ci avait été entièrement détruite. Les injections de ciment sous pression, les puits forés, les poutres en béton sont des techniques qu'il utilise fréquemment.

L'exemple de la cathédrale de Reims, cité par M. Taittinger, constitue d'ailleurs un hommage partiel ici au service des monuments historiques, car on sait assez peu que la charpente en béton armé qui couvre cette cathédrale, selon le souhait de M. Rockfeller, est due à une initiative de l'architecte en chef Deneux.

Enfin, le rapport de M. Taittinger constate que les rémunérations du personnel scientifique des musées de France sont modestes au regard de leur qualification technique et demande qu'elles soient revalorisées en fonction des mesures prises en faveur du personnel enseignant.

Le voeu de la commission des finances de voir assurer des rémunérations normales aux conservateurs des musées nationaux rejoint le désir du Gouvernement. Je préfère ne pas donner ici les chiffres de traitement de début d'un conservateur des musées nationaux, pas plus que ceux du traitement de la plupart des gardiens.

Comme l'a souligné M. le rapporteur, la notion même de conservateur a subi une évolution. La fortune privée aussi ! Il y a cent ans, un conservateur était un homme très riche de naissance.

Il est donc nécessaire de doter le corps des conservateurs d'un statut qui prévoie les conditions de leur recrutement, leurs devoirs envers l'État et les conditions du développement normal de leur carrière. En contrepartie, l'État devra assurer la juste rémunération des services rendus. Les indices, échelons et classes de ce corps, font actuellement l'objet d'études entre les services des ministères des finances, de la fonction publique et des affaires culturelles. J'espère que le conseil supérieur de la fonction publique sera en état d'examiner le projet de statut dès sa prochaine session. Le moment venu, il appartiendra aux collectivités locales, dont dépendent les conservateurs des musées classés, d'étendre à ceux-ci le bénéfice des aménagements éventuels de traitement qui pourraient être accordés aux conservateurs de l'État.

Vous vous souvenez des préoccupations de M. Jean-Paul Palewski : elles rencontrent celles du Gouvernement.

Deux comités interministériels ont été consacrés à l'étude des mesures susceptibles de permettre, au besoin par une révision des missions assignées au ministère des affaires culturelles et à celui de la construction, d'obtenir le plein emploi des moyens mis à la disposition de l'État, qu'il s'agisse des personnels aussi bien que des crédits. Il va de soi que l'effet des dispositions à l'étude devra se traduire par la coordination des services et de leur action aux échelons locaux.

Je reviens, seulement pour mémoire, sur deux éléments considérables, mais dont il a été fait longuement état à cette tribune. D'abord, le décret relatif à la réforme de l'enseignement de l'architecture .sera signé avant quinze jours. Ensuite, le projet de loi de programme relative à la sauvegarde des sept grands monuments historiques et palais nationaux est présenté aujourd'hui au Conseil d'État. Il vous sera donc vraisemblablement soumis le mois prochain.

En qui concerne le cinéma, un amendement au projet de loi des finances sera déposé au cours d'une seconde délibération. Je pensais qu'il serait présenté avant que je ne monte à cette tribune ; mais peu importe puisque j'ai l'engagement formel du ministère des finances qu'il le sera dès la seconde délibération. Ce texte traduira la mesure récemment adoptée par le Gouvernement et répondra aux préoccupations de M. le rapporteur de la commission des finances et de M. Ie rapporteur de la commission des affaires culturelles.

Le compte spécial demeure équilibré à 76 millions de nouveaux francs, bien qu'il supporte une charge de 6 millions de nouveaux francs pour couvrir le reliquat du déficit du fonds de développement de l'industrie cinématographique.

Deux mesures ont été adoptées à notre demande. En premier lieu, la taxe additionnelle au prix des places sera de nouveau réduite au 1er janvier 1962. Je rappelle que la charge représentée par cette taxe a été de 95 millions de nouveaux francs en 1959 et qu'elle sera de 62.500.000 nouveaux francs en 1962.

Les taxes qui ne sont plus perçues sont comprises dans les recettes commerciales de l'exploitation et des autres branches de l'activité cinématographique. En conséquence, toutes les places de cinéma dont le prix est inférieur à 139 francs sont exonérées de la taxe additionnelle. Ainsi, M. le rapporteur de Ia commission des finances a-t-il, je crois, satisfaction.

La seconde mesure adoptée est un aménagement dans la réduction de l'aide automatique à la production de films. Alors qu'au 1er janvier 1962 les taux des subventions automatiques auraient dû être réduits de 6 à 5 p. pour les recettes métropolitaines et de 25 à 20 p. 100 pour les recettes provenant de l'étranger, la réduction ne sera que d'un demi-point pour les premières et de deux points pour les secondes.

Cette mesure, qui évite à la production une diminution trop brusque du montant de ses subventions, rencontrera, j'en suis sûr, l'accord de M. Beauguitte et de M. Boutard qui avaient demandé cet aménagement.

D'autres mesures sont à l'étude, vous le savez. Ce sont d'abord celles qui concernent la fiscalité.

M. Boutard a rappelé la déclaration que j'avais faite ici lors de la séance du 21 octobre 1960 ; mais il a oublié que diverses mesures de détaxation ont été prises depuis. Le droit de timbre - on en a fait état - a été supprimé pour les places d'un prix inférieur à deux nouveaux francs cinquante et un aménagement de l'impôt sur les spectacles est intervenu, qui se traduit par des allégements non négligeables.

A la suite de ces mesures, le sacrifice consenti tant par l'Etat que par les collectivités publiques peut être évalué à environ 25 millions de nouveaux francs.

Je ne puis encore indiquer les mesures qui seront prises pour l'année 1962. Mais mes collègues des finances et moi-même en poursuivons l'étude. Cette étude porte actuellement sur le prix des places.

M. Boutard s'est inquiété de la situation de l'exploitation qui connaît des difficultés certaines. Cependant, la taxation - qui n'est pas de 33, mais de 25 p. 100 en moyenne - sera, je l'espère, légèrement réduite. Le régime de taxation du prix des places vient d'être allégé par mon collègue M. le secrétaire d'Etat aux finances. Actuellement, à Paris et dans le département de la Seine, les prix sont libres jusqu'à 1,40 nouveau franc, en province jusqu'à 1,55 nouveau franc. De nouvelles mesures d'assouplissement sont, je vous l'ai dit, à l'étude entre nos services.

Voyons la situation de l'industrie cinématographique.

En fait, chaque fois que je viens en commission ou que je monte à cette tribune, j'ai vraiment l'impression que la situation de l'industrie cinématographique est catastrophique. Les uns et les autres vous avez vu une presse entière qui vous expliquait que les studios allaient être fermés, que ne serait plus produit un film français. Et cela depuis combien d'années ? Or, tranquillement, depuis tant d'années, année après année, le cinéma continue et, en définitive, quoi qu'en ait dit M. Grenier, ne se porte pas si mal que ça.

La production, qui était, en 1969, de 119 films, sera sensiblement identique en 1961. Depuis le début du régime de soutien de l'industrie cinématographique, 69 avancées ou garanties de recettes ont été attribuées à des films de long métrage, et beaucoup de ces films ont été distingués dans les différents festivals internationaux.

Le plan relatif aux directions techniques est entré en application. Malgré les difficultés la petite exploitation fonctionne.

Il est cependant évident que l'équilibre d'une industrie comme celle du cinéma dépend trop du goût du public pour ne pas être fragile et constamment menacée. Nos salles sont moins délaissées que celles de la plupart de nos voisins et les recettes en provenance de l'étranger se maintiennent.

A propos du traité de Rome, qui a évidemment retenu l'attention des deux rapporteurs, comme la mienne, je rappelle qu'à la demande de la France, les problèmes du cinéma sont maintenant examinés par l'administration supranationale dans leur ensemble et après une consultation d'experts nationaux qui sont les directeurs responsables du cinéma dans les différents pays. Ce groupe d'experts a isolé certains des problèmes à résoudre, proposé diverses solutions qui vous seront transmises lorsqu'elles seront devenues officielles.

M. Boutard semble nous reprocher d'avoir institué un nouveau régime de soutien à l'industrie cinématographique depuis la signature du traité de Rome, alors que nos partenaires du Marché commun conservaient les mêmes mesures qu'auparavant ou même semblaient instituer une aide nouvelle.

Vous savez que dans aucun de ces pays il n'existe d'aide à l'exploitation. En supprimant celle qui existait, la France s'est donc alignée sur ses partenaires, ce qu'elle était obligée de faire.

Je préfère ne pas engager de discussion sur l'importance respective des aides dans les différents pays, ni sur le danger que leur suppression pourrait impliquer en son temps, car, comprenez bien que si l'Italie pense qu'elle maintiendra son aide, elle est contre le traité de Rome. Elle peut parfaitement le penser mais, si elle ne peut pas maintenir son aide, l'aide quelle a choisie est une certitude de catastrophe le jour où elle devra tout retirer d'un coup.

Je pense que l'Assemblée a compris depuis longtemps, malgré le soin de certains pour qu'on ne comprenne plus rien. Je veux dire par là que l'un des exposés que j'ai entendus était inexact ; mais j'y reviendrai.

La loi d'aide a été faite pour une raison et pour une seule : c'est que le jour où il n'y aurait plus d'aide, l'Etat ferait quelque chose pour aider à la fois le cinéma français et les ouvriers du cinéma français. Il n'y avait pas d'autre raison.

Retenons seulement que le Gouvernement, à ma demande, a décidé de ne pas réduire automatiquement l'aide pour 1962 dans les proportions prévues initialement.

J'ai maintenant à répondre à deux questions particulières posées par M. Boutard.

M. Boutard a indiqué qu'un crédit de 3.500.000 nouveaux francs était inscrit à mon budget pour assurer la réinstallation de l'institut des hautes études cinématographiques dans de nouveaux locaux. Je dois indiquer que ce crédit concerne l'équipement de I'I D. H. E. C. que nous avons fait adopter.

Jusqu'ici cinémathèque, I. D. H. E. C., commission supérieure technique ne possédaient que des installations fort primitives. Ce qui vous a été exposé tout à l'heure est absolument exact.

Les crédits sont désormais prévus dans le plan pour mettre fin à cette situation. Le crédit de 3.300.000 nouveaux francs que M. Boutard rappelait ne représente que la première tranche des sommes destinées à cet établissement d'enseignement. Par ailleurs la cinémathèque sera installée, dans la première partie de l'an prochain, au palais de Chaillot.

En second lieu, M. Boutard s'est informé de l'activité de l'union générale cinématographique.

Je rappelle à l'Assemblée qu'à ma demande, en mai 1960, M. le Premier ministre a décidé le maintien de cette société et sa réorganisation.

Une division des tâches a été faite entre l'action directe de l'État et l'action que devait mener l'U. G. C. D'une part, le système des avances et garanties de recettes institué à l'intérieur du régime de soutien favorise la création de films de qualité. C'est donc une action de l'État. D'autre part, l'U. G. C. par son activité dans le domaine de la distribution et de l'exploitation, favorise la distribution et l'exploitation de certains films de qualité en diffusant des films qui ont remporté des prix dans des festivals internationaux, par exemple.

Enfin, c'est là un facteur d'équilibre puisqu'elle comprend des entreprises d'importance essentiellement inégale.

Il est souhaitable d'envisager sa participation à la production, mais seulement lorsque sa réorganisation aura porté ses fruits.

Enfin, une action sur les actualités françaises devrait être entreprise par le ministère de l'information auquel est rattaché ce service.

Au terme de son rapport sur les crédits du cinéma, M. Beauguitte, qui siège désormais à la commission consultative nationale, rapporte certaines des conclusions qu'il présentait l'année dernière.

Votre rapporteur souhaitait une réforme de la fiscalité du cinéma. Nous savons tous qu'une telle réforme est liée à celle des finances locales. Nous savons tous que celle-ci pose des problèmes extrêmement complexes et de réalisation difficile. Mais la nécessité d'un reclassement de la fiscalité cinématographique a été évoquée par les représentants du ministère des affaires culturelles à chacun des stades de l'étude entreprise par le Gouvernement en vue d'aboutir à la réforme des finances locales.

En revanche, ce qui pouvait être fait sans porter atteinte aux légitimes intérêts des collectivités locales l'a été par un ensemble de dispositions marginales qui se sont traduites par des allégements de l'ordre de 25 millions de nouveaux francs, comme il a été mentionné ci-dessus. Les pourparlers continuent.

Par ailleurs, M. Beauguitte estimait nécessaire de revenir à une aide à l'exploitation qui permît à l'ensemble des salles d'opérer des transformations techniques et de se moderniser.

Les motifs qui ont conduit le Gouvernement au régime actuel ont été rappelés tout à l'heure. Il convient cependant de préciser que, sous le régime ancien, ce qu'il était convenu d'appeler aide ou subvention constituait, en réalité, une répartition automatique des ressources financières d'un fonds. Cette répartition, malgré cet automatisme, était conditionnée par le réemploi, dans des opérations d'équipement, des droits acquis par l'exploitant. Certains petits exploitants ne parvenaient pas à totaliser assez de droits pour en obtenir le déblocage. C'est pourquoi, au terme du présent régime d'aide, des sommes non négligeables sont restées inutilisées.

Aujourd'hui, afin d'exécuter ses engagements internationaux, le Gouvernement abandonne l'ancien système, dont les résultats méritaient considération, pour une attitude plus libérale.

Progressivement, il laissera entre les mains des exploitants les sommes qui dans le système ancien auraient été simplement inscrites à leur compte en vue d'un éventuel réemploi, laissant à l'exploitant, chef responsable de son entreprise, le soin de décider de l'emploi des fonds.

Votre rapporteur regrette que les organismes dont dépendent le cinéma et la télévision n'aient pas encore pris contact en vue d'une action coordonnée. Je partage le point de vue de M. Beauguitte et c'est pourquoi, au cours de l'année écoulée, le directeur général de la radiodiffusion-télévision française et quelques-uns de ses principaux collaborateurs ont été appelés à participer aux travaux de la commission d'équipement culturel. C'est pourquoi, hier encore, le ministre des affaires culturelles saisissait par lettre son nouveau collègue chargé de la R. T. F. d'une proposition tendant à envisager les modalités d'une consultation sur les problèmes communs.

Les problèmes supplémentaires posés par M. Beauguitte sont d'une nature un peu différente, le cinéma, la question de la Sovic - Victorine et la petite exploitation.

Pour le cinéma, je lui demande la permission de ne pas répondre intégralement à sa question, car je vais avoir à répondre à ce sujet à une question écrite et ce problème, très technique, nous conduirait à de trop longues explications. Je vais donc esquisser une réponse en quelques mots :

Le cinéma a été invité à se mettre en règle avec l'ensemble des prescriptions de la réglementation cinématographique que le centre national de la cinématographie est chargé de faire respecter.

Pour la petite exploitation, dans les prochains jours paraîtra au Journal officiel un décret définissant la petite exploitation et donnant au Centre, assisté du comité consultatif dont six parlementaires font partie, le devoir de fixer de nouvelles règles concernant la location de films aux petits exploitants.

Enfin, en gros, sur le problème de la Sovic et Victorine : parmi les biens possédés par l'U. G. C. existent des parts dans une société appelée Sovic, qui gère les studios de la Victorine, à Nice, sur les terrains d'autrui. La situation est actuellement la suivante : les terrains ont été achetés par la ville de Nice, et la Sovic continue provisoirement à gérer les studios. Mais cette situation est extrêmement précaire, car l'emplacement actuel ne convient plus à l'activité cinématographique. La ville de Nice a grandi et l'aéroport voisin s'est développé. Il faut s'efforcer de trouver une solution de remplacement, car il est indispensable que l'industrie cinématographique continue d'avoir la possibilité de tourner une partie de ses films dans le Midi et que des firmes étrangères puissent disposer de plateaux de secours lorsqu'elles tournent des extérieurs dans cette région.

J'étudie en ce moment même, avec les principaux intéressés, avec certains de mes collaborateurs du Gouvernement et avec les responsables des collectivités Iocales, une solution efficace et rapide.

Je dois ajouter que, du point de vue des affaires culturelles, le seul problème par lequel, dans le domaine de la Victorine, nous soyons directement concernés est très simplement celui de l'absence de chômage. Nous tenons à ce qu'il n'y ait pas de chômage dans l'industrie cinématographique. Si nous avons la certitude qu'il n'y en aura pas, le fait que les studios appartiennent à telle ou telle organisation est beaucoup plus du ressort de l'autre ministère de tutelle, c'est-à-dire du ministère des finances et des affaires économiques, que du nôtre.

Ce que je viens de dire épuise les problèmes relatifs au cinéma et j'en viens maintenant au rapport de M. Vayron sur les affaires culturelles.

Je souhaite répondre ailleurs qu'ici, c'est-à-dire en commission, aux questions que M. Vayron a posées sur la sécurité des musées - vous comprenez tous pourquoi - et également sur le centre de diffusion culturelle, cette fois, non pas parce que le secret me paraît actuellement souhaitable, mais parce que la réponse est technique et très longue.

En définitive, la commission désire avoir des informations précises sur un problème technique. Les documents sont dans mon dossier. Je les remettrai, en quittant cette tribune, à M. Vayron qui pourra ensuite les diffuser, sans que j'aie à vous infliger un exposé d'un quart d'heure ou de vingt minutes sur ce seul sujet, qui est après tout très particulier.

L'action en faveur de la musique - je réponds là à une autre question de M. Vayron - n'est elle pas suffisante?

Monsieur le rapporteur, elle est dérisoire. Vous avez absolument raison. Non seulement il n'y a pas assez d'argent mais encore le système que j'ai trouvé et que je suis en train d'essayer de transformer de fond en comble est absolument périmé. Ce qui a été dit à cette tribune par M. Fréville est le résultat d'une expérience directe qui recoupe complètement la mienne et qui est la vérité même. Non seulement il faut plus de crédits et, après tout, vous me direz qu'il convient que je m'y emploie - c'est bien d'ailleurs ce que je fais - mais il faut aussi un autre système.

Les fonctionnaires, qui avaient à faire un travail modéré dans des circonstances tout autres, n'ont pas les moyens d'accomplir le travail considérable auquel ils ont à faire face.

La France doit comprendre qu'il y a une musique française et décider de faire un effort en sa faveur, comme un effort est fait en faveur du théâtre. Je ne dis pas qu'il faille faire le même effort. Je concède que la France n'a pas pour la musique le goût passionné qu'elle montre pour le théâtre. Mais ne finissons pas par supposer qu'elle n'en a aucun. Il y a tout de même les Jeunesses musicales. Un intérêt considérable pour la musique se manifeste dans ce pays.

Il est, par conséquent, nécessaire qu'une décision soit prise un jour en ce qui concerne la place à donner en France à la musique et du moment que la place a été déterminée que soient déterminés les moyens et que me soient donnés les hommes et un peu d'argent, mais surtout les hommes.

Le problème est le même pour l'enseignement artistique. Jadis cet enseignement était épisodique et je vous exposerai tout à l'heure la différence entre les situations ; vous verrez qu'elle est tout à fait saisissante.

Il existait un service qui exerçait une petite action avec des moyens modestes. Face à cette petite action et à ces moyens modestes, on trouve le problème démographique que nous savons, les événements eux-mêmes, l'évolution des arts, le fait qu'il est impossible, dans un grand pays, d'enseigner aujourd'hui l'architecture comme on l'enseignait il y a vingt-cinq ans.

Le Gouvernement l'a très bien compris puisqu'un projet de loi avait été prévu à cet effet, mais il s'est révélé inutile étant donné que le sujet relève du domaine réglementaire et un règlement définitif sur la réforme de l'enseignement de l'architecture va être édicté incessamment. D'ailleurs, à peine les textes étaient ils prêts que M. le Premier ministre s'est aperçu comme moi que de nouvelles formations seraient nécessaires pour les appliquer.

Ce qui est vrai dans l'enseignement de l'architecture l'est également dans d'autres domaines. Autrement dit, les petits services de jadis des arts et des lettres doivent devenir de véritables services du ministère des affaires culturelles parce que la nécessité l'impose et pour aucune autre raison.

Ce qui a été fait pour les bourses est encore assez pitoyable. Néanmoins il faut reconnaître que les moyens étant ce qu'ils sont - et après tout le Parlement n'est pas prêt à doubler le volume des impôts - cet effort n'est pas négligeable.

Dans le domaine des bourses les résultats obtenus sont, en effet, les suivants :

En 1959, l'État accordait 478 bourses pour l'ensemble des établissements d'enseignement artistique, école nationale supérieure des beaux arts, école des arts décoratifs, écoles nationales de département, école nationale d'architecture.

En 1962, il en accordera 658, soit une majoration de 40 p. 100.

En 1960 et en 1961, un effort avait été entrepris tendant à obtenir l'alignement des bourses des écoles d'art sur celles de l'école nationale ; cet effort sera poursuivi en 1962.

Par rapport à 1959, la moyenne de majoration du montant des bourses est de 44 p. 100 et, pour les écoles d'art et les écoles régionales d'architecture, elle atteint 60 p. 100.

Honnêtement je ne crois pas qu'on puisse faire davantage en ce moment.

Dans les conservatoires nationaux de musique et d'art dramatique, la progression est moins sensible. Le nombre total des bourses est passé de 355 à 391, soit une majoration d'environ 10 p.100, ce qui est infiniment moins.

Le montant moyen des bourses n'a été majoré que de 10 p. 100 également mais il convient d'observer que le montant des bourses dans les conservatoires a été plus élevé que dans les écoles d'art.

J'en viens à des questions d'une autre nature et d'un assez puissant intérêt qui ont été posées par M. Vayron.

Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que le public parisien ne va pas au musée du Louvre.

En vérité, je n'en sais rien, parce que, vous ne ï'ignorez pas, nous n'avons aucun moyen de contrôler qui va au Louvre. Nous pouvons simplement enregistrer le nombre des visiteurs qui paient et de ceux qui ne paient pas. On peut également décider que les visiteurs sont étrangers quand ils ne connaissent pas le français, ce qui est une vue un peu légère. On peut aussi décider qu'ils sont provinciaux quand ils ont un accent. Mais il y a des provinces qui n'ont pas d'accent.

Jusqu'où pouvons-nous aller dans celte voie ? Nous n'en savons rien.

Mais ce que nous pouvons savoir avec certitude, c'est le nombre des visiteurs qui sont allés au musée du Louvre : ils étaient 580 000 en 1938 et cette année, ils ont été 1 750 000...

Ai-je besoin de vous dire que ces chiffres sont très impressionnants ? Dans le monde, depuis l'année dernière, le nombre des entrées dans les musées a dépassé le nombre des entrées dans les stades et à Paris, depuis un mois, il y a plus de galeries de peinture que de cinémas. Le problème que vous avez posé est donc très important et nous le retrouverons puisqu'un de mes interlocuteurs a posé le problème de savoir si l'art demeure ou non un luxe.

Vous demandez en fait pourquoi on ne présente pas davantage d'expositions temporaires au Louvre. Je dis au Louvre, car vous savez comme moi que, s'il s'agit des musées nationaux dans leur ensemble, ceux-ci, depuis deux ans, ont présenté beaucoup plus d'expositions qu'aucun autre pays d'Europe.

En ce qui concerne le Louvre, la réponse est double. Tout d'abord, il existe des conservateurs qui ont envie de faire des expositions et d'autres qui ont envie d'écrire au sujet de leurs tableaux. Ce ne sont pas les mêmes.

Parlons de ceux qui ont envie de faire des expositions.

Une grande exposition représente actuellement un travail immense. La France a présenté, l'année dernière et cette année les plus grandes expositions d'Europe : l'année dernière, précisément au Louvre, l'exposition Poussin, et, cette année, l'exposition iranienne.

Rendez-vous compte que, pour rassembler les deux tiers de l'oeuvre connue de Poussin, ce qui n'avait jamais été fait, il a fallu plusieurs années aux plus grands spécialistes du monde. La précédente grande exposition iranienne présentait 800 objets; celle-ci en présente 1.700 et il a fallu deux ans et demi de travail dans le monde entier.

C'est pourquoi on ne peut organiser un très grand nombre d'expositions. Ce que l'on pourrait appeler « l'exposition de plaisir » a disparu non seulement de nos musées nationaux, mais des musées nationaux de l'Europe entière. Désormais, l'exposition est un travail scientifique. Or, ce travail scientifique nécessite de gros efforts et, par conséquent, il ne peut pas être indéfiniment renouvelé.

Il n'en reste pas moins que vous aviez raison de dire qu'il faut développer tout cela au maximum.

Mais vous voulez aboutir à la province, et je vous rejoins alors beaucoup plus facilement.

Lorsqu'une exposition a été préparée scientifiquement, il n'y a pas lieu de la repréparer du fait qu'elle change de ville. Je ne pense pas néanmoins que l'on puisse envoyer l'exposition Poussin à Marseille. En effet, les propriétaires des tableaux de Poussin ont accepté de s'en dessaisir une fois, pour une exposition, car ils savent que cela revêt une importance immense pour la connaissance de la peinture dans le monde. Mais ils ne laisseront pas leurs tableaux faire le tour du monde. Il existe toutefois des tableaux de Poussin qui appartiennent à la France et il n'y a aucune raison pour que ceux-là ne soient pas envoyés à Marseille. Ils sont en état, puisqu'on vient de les exposer. Ils sont catalogués et le travail a été fait.

On peut suivre votre idée sur ce point.

Je suis d'accord également avec d'autres réformes de détail, en particulier pour ce qui concerne les heures. Un effort a été fait dans cette direction. J'en viens maintenant au théâtre.

Ah M. Lebas, comme vous avez raison, comme cela irait mieux si cela allait bien !

Tout ne va pas mal partout quand même.

Je prends les questions dans l'ordre dans lequel elles ont été posées et non pas par ordre d'importance.

Prospection des jeunes talents autrement que par une audition privée ?

En effet, il n'y a pas de prospection systématique des jeunes talents organisée par les théâtres nationaux. Cependant les conservatoires et les théâtres municipaux, le Conservatoire national, permettent de découvrir les jeunes talents et il semble que peu d'entre eux demeurent ignorés. Les impresarii, dans la mesure où ils sont intéressés, sont actifs dans cette prospection. Veut-on dire que des talents restent ignorés parce que leur découverte passe par un seul homme ?

Cet homme, à Aix, avait montré une rare sûreté de jugement.

Il va de soi que je ne vois aucune objection à l'organisation d'auditions publiques.

Pour les festivals - je l'ai dit en commission - je pense, comme vous, qu'une distinction s'impose entre les festivals qui contribuent manifestement à la culture française, comme ceux d'Aix et d'Avignon, et maintes manifestations en elles-mêmes sympathiques mais qui relèvent du tourisme plus légitimement que des affaires culturelles, le critère, à mes yeux, étant la qualité.

Décentralisation lyrique ?

L'État distribuera, en 1962, 283 millions aux théâtres lyriques municipaux contre 212 en 1959, soit 33 p. 100 de plus, 100 millions étant consacrés à leur fonctionnement et 183 millions aux créations lyriques et à leur déplacement d'un théâtre à l'autre.

Ces sommes sont réparties après avis d'une commission constituée par un arrêté du 13 juillet 1955 et renouvelée en 1957. Elle comprend des représentants des municipalités et, notamment, le président de la réunion des théâtres municipaux de France. C'est un organisme de fait ; elle groupe les principales villes de province, mais pas toutes. Elle avait pris, ces dernières années, une part prépondérante dans le partage des subventions, la commission réglementaire étant pratiquement tombée en désuétude.

Cette année, il en est allé différemment. La commission a repris son rôle au détriment, donc, de la R. T. M. F., ce qui est évidemment fâcheux dans la mesure où cette organisation constitue le lieu de rencontre des directeurs de salles ou adjoints aux beaux-arts d'un certain nombre de grandes municipalités.

Cette situation n'avait échappé ni aux députés ou sénateurs-maires ni à moi-même, et, il avait été convenu, l'an dernier, que les sénateurs-maires essaieraient de confronter leurs vues avec les nôtres pour résoudre le problème qui nous préoccupe. Un comité d'études constitué au Sénat - un groupe parallèle est envisagé à l'Assemblée - n'a pas encore fait connaître les résultats de ses travaux.

Cela dit, le problème de la décentralisation lyrique n'est pas seulement un problème de subventions. La part que l'État consacre aux théâtres lyriques municipaux est infime ; même en la multipliant par dix, vingt ou cent, on ne résoudrait pas le problème, qui tient à la situation de l'art lyrique en général. En fait, la décentralisation lyrique, c'est, éparpillé, démultiplié et transposé, le problème de la réunion des théâtres lyriques nationaux. La survie n'est-elle pas dans la rénovation de son répertoire, dans la recherche d'un public populaire, dans la décentralisation au deuxième degré vers des publics non encore atteints ?

L'art lyrique doit accomplir une révolution qui est largement engagée dans le domaine de l'art dramatique. Ce problème est de ceux qui doivent requérir l'attention de la nouvelle direction des théâtres, que le département des finances a acceptée en principe, mais qui n'est pas encore chose faite.

J'en viens à des questions épisodiques, et d'abord aux décors.

L'achat ou la location de décors à l'étranger s'inscrit dans une politique générale d'échanges entre les grands théâtres lyriques européens. Dans le cas des Troyens, il s'agit d'une coproduction, l'oeuvre de Berlioz ayant été créée en 1959 à la Scala sur promesse de rachat du matériel par l'Opéra. Ce dernier est en négociation avec la Scala pour louer un de ses décors en échange. A noter que l'achat des décors et des costumes des Troyens à la Scala est revenu à 20 millions de lires, alors que la Tosca avait coûté 37 millions de francs et Carmen environ 60 millions.

Remplacement de l'ancien directeur de la scène ? Pour mémoire : M. Beckmans est tombé malade alors qu'il préparait Médée. Il a été mis à la retraite dans des conditions très libérales pour lui dans le cadre d'une réorganisation des régies.

Manon ? Les héritiers des auteurs de cet ouvrage - Massenet et les auteurs du livret - refusent de laisser cette oeuvre au répertoire de l'Opéra-Comique. La pièce n'ayant pas, de ce fait, été jouée pendant deux années consécutives, ils ont la faculté d'en conférer l'exclusivité au théâtre de leur choix car elle n'est pas encore du domaine public. Les héritiers désirent cependant offrir cette exclusivité à l'Opéra si l'ouvrage est monté au Palais-Garnier.

C'est la raison pour laquelle l'Opéra a inscrit Manon dans son budget de 1962 afin de ne pas laisser disparaître cette oeuvre du répertoire des théâtres lyriques nationaux.

D'autres questions de même nature, dont la plus importante, et de loin, concerne la réunion des théâtres lyriques nationaux, sont posées par le rapporteur. Je ne les examinerai pas une à une.

L'administration de la R. T. L. N. déclare prendre toute la responsabilité de cette réunion devant le conseil supérieur. L'Assemblée nationale est représentée à ce conseil par son rapporteur de la commission des affaires culturelles et le Sénat par le président de cette commission. Le conseil doit se réunir, pour la quatrième fois de l'année, avant la fin du mois de novembre pour poursuivre l'étude de toutes ces questions et même une cinquième fois avant la fin de l'année si c'est nécessaire, bien que, statutairement, il ne doive se réunir que quatre fois par an.

Comme M. Lebas l'a souligné, il existe un problème de la R. T. L. N. ; il faut la faire ou la défaire.

La décision du Gouvernement sur ce point, d'une importance capitale, interviendra lorsque le ministre des affaires culturelles aura pris connaissance, d'une part, des conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale créée sur la proposition de M. le rapporteur général Pellenc et, d'autre part, des avis que pourrait émettre sur cette affaire le conseil supérieur de la R. T. L. N. aux travaux duquel votre rapporteur est associé. Cela dit, si l'on examine la situation des deux salles, on peut considérer que le problème de l'Opéra se pose peut-être avec moins d'acuité qu'autrefois car il n'a jamais connu un tel afflux de spectateurs, ce que chacun reconnaît d'ailleurs. Son prestige a sans doute grandi à l'étranger. En effet, la tournée de Carmen au Japon a réuni, pour onze représentations. 47.000 spectateurs enthousiastes, soit plus de 4.000 par séance.

Pour la première fois depuis bien des années, un accord de base est intervenu entre la direction de la R. T. L. N. et ses personnels.

Les obstacles nés d'une gestion toujours difficile surmontés, le problème des créations doit retrouver sa primauté.

Nous retrouvons ici l'aspect fondamental du budget qu'il est nécessaire de consacrer à i'illustration de cette politique.

A l'Opéra-Comique, je n'envisage pas d'arrêter les programmes de la prochaine saison avant que le conseil supérieur de la R. T. L. N. m'ait fait connaître son sentiment sur les diverses mesures à intervenir qui doivent déterminer l'avenir de cette salle. Il a été décidé qu'un exposé du problème et des solutions possibles serait remis avant le 15 novembre à chacun des membres du conseil supérieur et que, avant le début de décembre, le conseil supérieur se saisirait du problème et se réunirait pour formuler un avis en fonction duquel le ministre des affaires culturelles prendra ses responsabilités.

Dans ces conditions, donner des détails est inutile.

L'heure passe.

Je veux tout de même dire, avant de terminer, à mes différents interlocuteurs, que je ne suis vraiment pas d'accord avec eux sur la compagnie Renaud-Barrault.

Il n'est pas du tout exact qu'on ait chassé Labiche du Théâtre-Français. Ce Labiche est extrêmement opiniâtre.

J'ai expliqué à cette tribune, à plusieurs reprises, que je ne l'avais jamais chassé ; il revient à travers le microphone.

Je jure que nous n'avons pas chassé Labiche de la Comédie-Française !

Bien.

Il y a Feydeau. Mais, enfin, 35 Occupe-toi d'Amélie sur 331 représentations, cela ne me paraît pas dépasser les normes d'une bonne gaîté française.

Par conséquent, n'exagérons pas et, pour le reste, dire trois fois hélas ! en raison de la présence au Théâtre de France de cette compagnie ! Non. Alors, je ne m'aventurerai pas dans un exposé qui nous mènerait trop loin. Je dirai à tous ceux qui ne sont pas de mon avis : vous tenez la présence de cette compagnie au Théâtre de France pour une erreur, permettez-moi de la tenir pour un honneur.

Il me reste à répondre rapidement aux questions posées par les orateurs successifs.

Monsieur Hostache, la solution de l'affaire qui vous concerne, celle du chant à Aix, est liée à la réorganisation des festivals. Quelle que soit la forme que prendra l'aide apportée à Aix, je souhaite qu'elle soit à la mesure de l'éclat de cette ville dans le domaine de l'art lyrique. Si je dis : je souhaite, c'est que j'entends faire le nécessaire dans la mesure où cela dépend de moi.

Sur les questions posées par M. Fréville, je n'ai presque rien à ajouter parce que j'aurais trop de choses à dire. Je suis d'accord, exactement, avec tout ce qu'il a dit.

M. Fréville a posé une question relative aux rapports avec le haut-commissariat à la jeunesse. Le protocole qui réglait provisoirement ces rapports expire en 1961. Il conviendrait de statuer définitivement cette année. Sur le fond, monsieur Fréville, vous avez dit : tout est une question de crédits. Et, naturellement, c'est vrai. Pourtant, ce que nous savons tous les deux, c'est qu'il y a aussi, de temps en temps, des choses qui se font avec rien. Cette année, c'est aussi ce qui se passera. Certaines choses se feront avec des crédits ; d'autres se feront avec rien. Mais, là aussi...

Les projets proposés ici par M. Sallenave sont à mes yeux du plus grand intérêt.

J'ai pensé, à plusieurs reprises, à une loi de programme d'action culturelle. Je n'ai pas rencontré, il faut le dire, un accueil extrêmement passionné mais je ne me suis heurté à aucune hostilité et, si l'Assemblée s'intéresse à la question, j'ai le sentiment qu'elle pourrait faire là quelque chose de considérable car, ne nous y méprenons pas, le IVe Plan va être mis en vigueur et les sommes dont il s'agirait ne sont en rien des sommes astronomiques. Il va de soi que nous disposons de sommes très faibles, il va de soi qu'il faut des sommes plus considérables, mais enfin il ne s'agit pas du tout de sommes excédant un effort susceptible d'être demandé, par exemple, à une loi de programme.

Donc, je fais tout à fait mienne la suggestion de M. Sallenave et je le remercie de l'avoir faite.

D'autre part, sur le problème de la culture lui-même, je n'ajouterai qu'un mot à ce que j'ai dit tout à l'heure.

L'art ne sera bientôt plus un problème de luxe. Ce n'est même plus un problème politique. Il ne s'agit plus de faire que ceux qui sont les plus pauvres puissent aussi connaître l'art. L'art est en train de devenir un immense problème sociologique. Le fait mystérieux, c'est que très simplement, il y a cent ans, même pour un très grand artiste, un objet d'art, un tableau riche, c'était quelque chose qu'on possédait. Si on n'était pas assez riche, on allait au Louvre, mais c'était bien dommage car, c'était la collectivité alors qui possédait et c'était tout de même un peu une tare. Mais, à l'heure actuelle, c'est absolument fini. En définitive, la moitié des gens qui aiment la peinture possèdent extrêmement peu de tableaux. Ils vont dans les musées ou, tout bonnement, ils vont voir les vitrines des marchands de tableaux. La possession est donc en train de devenir viagère. Considérez les collections américaines. Il n'y en avait pas une, l'année dernière, qui, après deux générations, n'ait pas été remise à un musée. C'est dire que, à l'heure actuelle, la notion de possession de l'objet d'art est en train de disparaître.

Je n'ai pas besoin de vous dire que cela va extrêmement loin parce que l'art gothique ou l'art roman étaient des arts que personne ne possédait. Ce qui est en train de se produire de nouveau, c'est un art qu'on ne possède pas, alors que ce qu'on a appelé « art », pendant tout le temps du luxe, c'était le tableau qu'on mettait à son mur.

Les conséquences sont considérables, trop considérables pour que j'insiste.

Poux les questions de toponymie, M. André Chamson est présent. Il pourra vous donner, monsieur Sallenave, les renseignements que vous souhaitez connaître d'une façon détaillée.

Croyez bien que je n'oublie pas le château de Pau qui, comme bien d'autres, nous fait signe au passage. Mais je crois qu'il faut s'occuper d'abord des grands monuments, non pas tellement parce qu'ils sont plus importants - l'importance est relative dans ces cas-là - mais parce que nous n'obtiendrons une mobilisation vraie du pays que sur les monuments illustres. Si nous demandons aux Béarnais de participer à une grande action sur Pau, je pense que nous serons suivis, mais lorsque nous parlons de Reims ou de Versailles, alors c'est la France qui doit bouger. Et si l'on veut que ce soit la France, alors il faut que ce soit Versailles.

Je pense que nous allons avoir, grâce à vous, une loi qui va nous permettre d'essayer enfin de sauver vraiment ce très grand monument. Lorsque les conséquences de cette loi seront lisibles, c'est-à-dire lorsqu'on verra exactement ce qu'on peut faire, je pense que nous pourrons essayer d'aller plus loin et entreprendre 50 ou 60 grands monuments, comme nous en avons d'abord restauré sept. Il sera plus facile, à la fois techniquement et psychologiquement, de passer à la seconde opération, si nous avons fait la première, que de tenter l'inverse. Je crois que l'inverse nous ne le réussirons pas.

J'en arrive aux observations de M. Grenier.

Depuis plusieurs années, à la fin des discussions qui sont devenues techniques, les grands problèmes des rapporteurs sont dépassés, chacun pose une question qu'il juge très importante, généralement elle l'est ; en tout cas pour sa région.

Alors, M. Grenier ou un délégué du parti communiste monte à la tribune et pose des problèmes fondamentaux ; alors je monte à cette tribune et je pose des problèmes fondamentaux.

Eh bien ! je n'en poserai pas cette année, d'abord parce que ce n'est peut-être plus la peine, ensuite parce que j'estime que, cette année, M. Grenier n'en a pas soulevé beaucoup. D'habitude, ce qu'il déclarait m'intéressait sur certains points. Je sais bien qu'une certaine prudence s'impose dans l'examen de ses chiffres, mais enfin certains de ses propos sur la petite exploitation me paraissent extrêmement pertinents.

Cette fois, j'ai le sentiment que je n'ai rien à retenir pour mon instruction de l'exposé que j'ai eu l'honneur d'entendre.

D'abord, les faits sont assez inexacts là encore. Bon ! Nous allons à la catastrophe ? Mais les longs métrages produits en France ont été au nombre de 99 en 1958, de 103 en 1959, de 119 en 1960, et pour 1961, d'environ 120.

Cette situation ne peut tout de même pas être considérée comme une catastrophe.

Nos studios continuent à recevoir des subventions pour modernisation. En 1962, il est prévu d'augmenter le montant de ces subventions qui, de deux millions et demi de nouveaux francs en 1961, passent à quatre millions pour 1962. La encore, la situation ne me paraît pas dramatique.

La baisse de fréquentation des salles ? Bien sûr. Mais dans les autres pays ? Il ne faut pas exagérer l'importance de la télévision mais elle existe. Et cet état de choses n'est pas particulier à la France.

Alors, mesdames, messieurs, j'en ai terminé.

Nous avons envisagé, les unes après les autres, beaucoup de questions. Comme vous l'avez constaté, ce que je souhaitais lorsque je me suis présenté devant vous pour la première fois est devenu si habituel entre nous que nous n'avons pas tellement envie ni besoin d'y revenir.

Un seul d'entre vous a repris quelques-unes de mes phrases sur « la culture pour le plus grand nombre d'hommes ».

Sur tout cela, nous sommes d'accord et, au fond, la question que nous nous posons maintenant est : « Qu'est-ce que nous faisons ? » et non pas tellement : « Qu'est-ce que nous voulons faire ? »

Sur ce que nous voulons faire, eh bien ! à la vérité, en dépit de tout ce qui, politiquement, nous divise, en dépit de tout ce qu'on peut dire à cette tribune, sur le fond, d'une extrémité à l'autre de cet hémicycle, nous sommes d'accord : Personne ici, ne pense que la culture n'a aucune importance.

Par conséquent, sachons seulement ce que nous avons fait, et je répète ce que j'ai dit à la commission.

Nous avons organisé cette année, pour les archives, l'exposition Saint-Louis, à la Sainte-Chapelle. Elle a reçu 300 000 visiteurs. C'est le plus grand nombre de visites qu'une exposition ait suscitées en France, depuis quelques années.

Les archives ont réussi la prise en charge des services venus de l'ancienne Afrique équatoriale française, de l'ancienne Afrique occidentale française et de l'Afrique du Nord. Vous vous rendez bien compte que cela représente des dizaines de kilomètres de rayonnages. Ces archives ont été reçues en leur temps et elles sont à leur place.

Quant au cinéma, à Venise, pendant deux années consécutives, nous avons obtenu la plus haute récompense. Nous avons, d'autre part obtenu des allégements fiscaux qui ne sont peut-être pas suffisants, mais enfin, après tout, ils sont là et, mesdames, messieurs, il n'y a pas foule.

Nous avons obtenu des paliers et des taux de l'impôt sur les spectacles pour les théâtres privés. Nous avons pu organiser le secteur d'État du cinéma. Nous allons enfin pouvoir nous attaquer au problème de l'I. D. H. E. C. qui est ce que vous avez dit et dont je serais content de pouvoir vous dire l'année prochaine qu'il est résolu.

Aux arts et lettres et à l'architecture, le service des fouilles est en préparation. Le projet de loi de programme sur la sauvegarde des grands monuments est élaboré, un important, un vaste travail de nettoyage des monuments historiques a été entrepris. Après tout, il n'est pas désagréable de trouver une place de la Concorde à peu près propre, alors qu'elle n'avait pas été nettoyée depuis 240 ans.

A ce sujet, je signale à l'Assemblée que, contrairement à ce qu'a dit la presse, nous avions proposé le nettoyage de la façade du Palais Bourbon sur la Seine et que c'est uniquement parce que vous avez demandé que ce travail soit effectué en fin de session, et non pas pendant les sessions, que nous avons fait passer d'abord l'hôtel Crillon.

Non, L'Humanité, ce n'est pas pour faire plaisir aux capitalistes que l'on a fait passer d'abord l'hôtel Crillon.

Nous avons ouvert la galerie Mollien. Nous avons également libéré au passage le pavillon de Flore. La cinémathèque va s'ouvrir dans le courant de l'année prochaine. Le prix des artistes de la Biennale est, pour la première fois, distribué par les artistes eux-mêmes.

Nous allons enfin pouvoir exposer la deuxième tranche des réserves du Louvre, ce qui veut dire que dans un an les Français auront enfin vu toutes les réserves du Louvre et ils seront les premiers à les voir. Nous ne les avons jamais vues - il ne s'agit plus, cette fois, de rattraper 240 ans de retard !

On a dégagé les fresques de Fontainebleau, c'est-à-dire le premier grand ensemble de peinture maniériste du monde.

Je ne vais pas vous donner la liste des expositions ; celle de l'Inde et celle de l'Iran sont d'une importance capitale. Pourquoi celle de l'Iran est-elle si importante ? Parce que la France, qui avait été le grand pays fondateur de l'archéologie iranienne, commençait à être rattrapée par l'Allemagne et par les États-Unis. Or, le fait que le plus grand ensemble d'objets iraniens du monde soit présenté à Paris par des spécialistes français a pour conséquence que pour une génération toutes les attributions et toutes les dates sont fixées par la France.

C'est évidemment un résultat dont nous pouvons féliciter les savants français qui ont voué leur vie à cette tâche qui semblait désespérée et qui, au contraire, devient maintenant tout à fait inattendue. Ils croyaient que l'on classerait dans des greniers quelques chefs-d'oeuvre inconnus et c'est la plus grande gloire de poésie qui vient les inaugurer. Par conséquent, ils sont ravis.

Mesdames, messieurs, fasse la chance, lorsque j'aurai terminé cette tâche, qu'un empereur et une impératrice inconnus viennent aussi inaugurer les travaux que nous aurons accomplis ensemble !

J.O. Débats Assemblée nationale,
n° 74, 27 octobre 1961, p. 3144-3149.