Présentation du budget des affaires culturelles

13 novembre 1968

Monsieur le président, mesdames, messieurs, presque chaque année, le budget du ministère des affaires culturelles, par son développement même, posait des problèmes idéologiques que j'ai eu l'honneur d'exposer devant vous.

Cette année, pour des raisons que vous connaissez tous, ne sera pour moi qu'une année de stabilisation. Je me tiendrai donc strictement sur le terrain budgétaire. A vos rapporteurs, que je remercie, j'ai surtout à donner des chiffres. C'est pourquoi je serai, malheureusement, assez long.

Le problème le plus pressant est évidemment celui des enseignements artistiques qui groupent près de 70 000 élèves et étudiants, répartis entre cent trente établissements de toutes catégories, nationaux et municipaux, et des disciplines aussi variées que l'architecture, les arts plastiques et décoratifs, la musique, les arts dramatiques, la danse et le cinéma.

Jusqu'en 1959, ces enseignements artistiques ont vécu, dans la grande famille de l'éducation nationale, un peu comme des parents pauvres et éloignés, livrés à eux-mêmes ; les uns, comme celui des arts décoratifs, poursuivant une existence de plus en plus en marge des réalités professionnelles, d'autres au contraire, comme celui de l'architecture, trop intégrés dans les structures traditionnelles de la profession.

Rattachés en 1959 aux affaires culturelles, ils ont participé de la faiblesse générale des moyens de ce ministère, qui ne dépassaient pas ceux de son prédécesseur. Ils connaissent aujourd'hui, à leur échelle, les mêmes difficultés que le reste des enseignements, qu'il s'agisse de l'accueil des étudiants, des débouchés à la sortie des études, de la rénovation de la pédagogie.

Moins en évidence, mais tout aussi actuel est le problème des sites, alors que l'effort d'équipement qui se développe à travers le pays est en train de transformer devant nous le visage de la France. Le ministère des affaires culturelles n'est pas seul concerné par ce problème, mais il tire de la législation des responsabilités particulières ; il a des préoccupations qui lui sont propres et qui ne sont pas seulement conservatoires, dans la mesure précisément où ces objectifs tendent à devenir plus larges : de la notion de protection à celle d'environnement, de l'interdit à la proposition et à la prise en considération, lors des grandes opérations d'équipement, de ce que l'on a appelé la « dimension qualitative », notamment à la défense des chances de la création architecturale en matière d'urbanisme. Les conditions d'une intervention efficace, qui ne soit ni trop tardive, ni trop retardatrice, ni trop conciliante, ni excessivement rigide, ne sont pas actuellement réunies.

Sur le plan des concepts d'abord, car, s'il existe une politique des sites dont les fondements résident dans la loi de 1930 que nous avons complétée et modernisée il y a deux ans, ce que pourrait être une politique des sites français dans son ensemble, reliée à l'aménagement du territoire, reste à définir.

Sur le plan des procédures ensuite, car il conviendrait de dépasser le stade de la réglementation pour instituer une véritable collaboration avec les administrations et les organismes responsables des programmes d'équipement, et si quelques pas ont pu être faits dans cette voie - je citerai l'Atelier parisien d'urbanisme, aux travaux duquel nous sommes associés - il y a encore beaucoup à faire.

Sur le plan des moyens d'information, de contrôle, d'étude qui sont à constituer ou à reconstituer, puisque l'inspection des sites, qui avait été jadis créée, a été supprimée en 1947 à la suite de mesures de compression budgétaire.

C'est donc une tâche considérable que nous avons à entreprendre dans ce domaine.

Il me faut aussi évoquer les problèmes que rencontre le ministère des affaires culturelles en sa qualité de tuteur de certaines activités de nature à la fois culturelle et commerciale, qui relèvent de l'initiative privée - théâtre et surtout cinéma - dont les difficultés, qui vous sont connues, ont été soulignées par les rapporteurs, et que notre rôle est d'inciter et d'aider à réaliser les adaptations nécessaires.

Sur le cinéma, je suis très largement d'accord avec les analyses de M. Beauguitte.

Sans vouloir empiéter sur le domaine du ministre de l'économie et des finances, je dirai un mot des questions fiscales évoquées dans le rapport et à cette tribune même.

Le cinéma français souffre d'une fiscalité, non seulement excessive, mais aussi boiteuse du fait que la T. V. A, qui s'applique depuis le début de l'année à la production et à la distribution, ne s'étend pas à l'exploitation qui reste assujettie au vieil impôt sur les spectacles, ce qui est à la fois anti-économique et contraire aux principes qui ont inspiré la réforme des taxes sur le chiffre d'affaires.

Aucune activité ne pourrait survivre longtemps en supportant un prélèvement fiscal double de celui du régime de droit commun, a fortiori lorsque cette activité connaît les graves difficultés qui affectent aujourd'hui le cinéma.

Il est également exact que l'occasion a été manquée en 1966 de généraliser la T. V. A. à l'ensemble de l'industrie cinématographique, surtout en raison des réticences manifestées par les exploitants de salles eux-mêmes.

La situation est aujourd'hui différente et c'est la profession elle-même qui souhaite l'extension de la T. V. A. aux salles de cinéma. Elle a fait un pas considérable en acceptant, sous réserve d'allégements internes tenant compte des avantages particuliers de la petite exploitation, l'uniformité du taux sur la base de 13 p. 100 qui est le taux normal applicable aux opérations de service à caractère culturel.

C'est donc une première condition essentielle de la réforme qui se trouve remplie. Mais cela ne résout que la moitié du problème. Il reste l'autre, qui réside dans la compensation réclamée par les collectivités locales, qui sont à l'heure actuelle les bénéficiaires de l'impôt sur les spectacles.

Le Gouvernement est favorable au principe d'une telle réforme qui ferait rentrer le cinéma dans le droit commun fiscal, mais il ne peut en négliger les conséquences pour les finances locales. Aussi a-t-il décidé de mettre à l'étude le problème sous ses divers aspects en vue d'aboutir à une solution qui, je l'espère, pourra vous être présentée dans le cadre de la prochaine loi de finances pour prendre effet en 1970.

Dans le cadre de la présente loi de finances, vous ne trouverez que des mesures d'allègement limitées et fragmentaires, mesures d'attente destinées à permettre à l'industrie cinématographique de passer l'année 1969 dans d'un peu moins mauvaises conditions.

D'autre part, le Gouvernement avait déposé un projet de loi tendant à instituer en faveur des petits exploitants une faculté d'option pour ou contre leur maintien dans le régime de l'aide à l'exploitation et, par conséquent, pour ou contre la perception de la taxe additionnelle. Votre commission des finances a estimé que cette disposition avait sa place dans la loi de finances et c'est pourquoi le Gouvernement vous demande de la reprendre par voie d'amendement. Ce texte donnera satisfaction à un certain nombre de propriétaires de petites salles, aux ressources modestes, qui n'envisagent pas d'effectuer des travaux de modernisation ou d'équipement et qui considèrent, dans ces conditions, qu'ils ne tirent aucun profit de l'aide à l'exploitation dont ils ne subissent que les charges puisqu'ils voient leurs recettes obérées par le versement de la taxe additionnelle. Il nous a donc paru équitable de leur offrir une possibilité de choix.

Mais nous avons d'autres problèmes et d'autres projets d'une plus grande portée touchant aussi bien l'amélioration des structures professionnelles du cinéma que la collaboration avec la télévision.

L'effervescence du printemps dernier a donné naissance dans ces domaines à toutes sortes de plans de réforme plus on moins raisonnables. Depuis lors, une décantation s'est opérée, et nous sommes aujourd'hui saisis de propositions plus sérieuses, dont plusieurs s'inspirent - quand ils ne les reprennent pas - de projets anciens du centre national du cinéma, qui n'avaient pu jusqu'à présent aboutir.

L'occasion est bonne de réaliser avec la participation des différentes branches professionnelles du cinéma un certain nombre de réformes. Mon souci est d'éviter le coup par coup et d'intégrer ces mesures dans une vue d'ensemble de l'avenir de l'industrie cinématographique en France.

Je voudrais enfin répondre aux inquiétudes exprimées par votre rapporteur dans son rapport au sujet des archives du film et de l'Institut des hautes études cinématographiques.

La mission de service public des archives du film, telle que nous l'avons conçue, est de conserver le répertoire cinématographique et d'en rendre possible la consultation. Il est déjà très important de pouvoir assurer la conservation des films dans de bonnes conditions, en offrant aux déposants - et parmi eux la cinémathèque - toutes les garanties matérielles et juridiques convenables en ce qui concerne la diffusion. Et c'est précisément parce que nous souhaitons que cette diffusion soit la plus large possible que nous avons pris pour principe de laisser le champ libre à toutes les initiatives en excluant tout interdit, tout monopole et tout privilège.

Pour l'I. D. H. E. C, il est évident que la solution que nous avons trouvée cette année est une solution de fortune qui ne saurait avoir un caractère permanent ni même durable. Comme la réalisation de la nouvelle école que nous projetons de construire ne pourra pas intervenir avant plusieurs années, nous continuons donc à rechercher une installation provisoire pour permettre à l'I. D. H. E. C. de fonctionner.

Il y a enfin les actions nouvelles que nous voulons développer et que nous qualifions du terme général d'action culturelle, qui recouvre tout le reste - patrimoine architectural, musées, expositions, théâtre, cinéma, musique, lettres - dont la finalité se confond avec celle du ministère telle que l'a consacrée son décret constitutif : rendre accessibles au plus grand nombre les oeuvres capitales de l'humanité. C'est pourquoi nous nous efforçons de renouveler l'esprit des institutions et des manifestations traditionnelles. C'est pourquoi nous avons tenté avec les maisons de la culture de créer un outil nouveau. C'est pourquoi dans toute la mesure de nos possibilités nous plaçons la décentralisation culturelle au premier rang de nos objectifs.

En ce qui concerne ces maisons de la culture il y a, comme les rapporteurs - notamment M. Giscard d'Estaing - l'ont souligné, un problème. Elles ne sont pas pour autant devenues le pire après avoir été le meilleur, comme d'aucuns ont tendance à le penser, et je remercie MM. les rapporteurs d'avoir abordé ce problème dans un esprit critique mais constructif.

Nées des troupes de théâtre parties à la conquête de la province à la suite de Copeau, ces maisons ont eu tendance à se confondre avec le théâtre qui doit certes être l'un de leurs principaux éléments, mais un élément seulement. Elles sont faites pour tous les arts.

Elles ne sont pas toujours administrées comme il le faudrait et on n'a pas trouvé un bon système de rapports entre leur direction, la municipalité et l'Etat. Elles excèdent parfois les possibilités financières des villes intéressées. Les événements de mai ont accentué les rivalités et les divergences. Mais ignorions-nous que cette entreprise serait difficile ?

Nous ne sommes qu'au début de cette nouvelle aventure : moins de dix maisons de la culture fonctionnent, dont plusieurs ne méritent même pas ce nom. Qu'on se souvienne donc des obstacles, des violences auxquelles a donné lieu la mise en place d'un enseignement primaire public dans toutes les communes de France ! Ce qui paraît explosif aujourd'hui en province dans le domaine de la culture ne le sera plus avant dix ans.

Nous continuons de croire que leur finalité est bonne et que celle-ci doit demeurer notre objectif. Comme on l'a fait jadis pour l'enseignement, il s'agit de mettre la culture à la portée de tous. L'essentiel des maisons de la culture, c'est la décentralisation, la fin du privilège parisien et le développement en province de foyers de diffusion, mais aussi de création artistique, c'est la conquête progressive d'un public qui ne serait allé ni au théâtre ni au concert ni au musée, parce qu'il n'en avait pas la possibilité matérielle ou parce qu'il pensait que cela ne le concernait pas.

Nous devons donc défendre d'abord la qualité des oeuvres présentées au public. Nous devons défendre aussi la liberté des animateurs.

Entendons-nous bien : aucune liberté n'est absolue et ne dispense du respect d'un minimum de règles de gestion. De même, et ceci est d'autant plus vrai qu'elle s'exerce plus librement, toute action appelle un jugement dont il appartient aux instances compétentes de tirer éventuellement les conséquences. Mais une fois choisi, avec tout l'arbitraire qu'un tel choix comporte inévitablement, et tant qu'il assume sa fonction, l'animateur doit être responsable de la conception et de l'accomplissement de sa mission, à l'abri de toute ingérence et de toute pression.

Cela dit, et étant simplement ajouté que l'on ne viendrait pas des quatre coins du monde pour voir les maisons de la culture, comme c'est le cas, si elles n'étaient pas significatives, il faut, comme l'ont fait vos rapporteurs, s'attacher à régler les problèmes que pose une telle institution, laquelle est sans commune mesure avec ce que les collectivités publiques ont entrepris jusqu'à présent dans le domaine culturel.

En premier lieu, il importe de dissocier mieux qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant les problèmes de la création et ceux de la diffusion, de la question des équipements culturels.

Nous envisageons donc de donner aux centres de création dramatique et autres - chorégraphiques, musicaux, lyriques - un statut nettement distinct de celui des maisons de la culture, de telle sorte que les deux responsabilités ne se recouvrent plus.

Cela facilitera certainement Ia gestion des maisons de la culture et favorisera la circulation dans tout le réseau national des centres de création.

Il faut, en second lieu, diversifier davantage l'activité des maisons de la culture. La réforme précédente y contribuera, dans la mesure où la gestion de ces maisons cessera d'être confiée à des hommes de théâtre.

Il faudra aussi instituer des centres de création autres que dramatiques. C'est ce que nous faisons, grâce à ce budget, en créant a Amiens une troupe permanente de ballets. C'est ce que nous ferons prochainement dans les domaines musical et lyrique.

Il faudra, enfin, faire en sorte que le programme architectural des maisons de la culture, tout en conservant des salles de spectacle modernes, ne réserve pas aux expositions, à la bibliothèque et à la discothèque seulement des éléments secondaires de l'édifice.

Vous voyez à quel point je suis d'accord avec vos rapporteurs.

Il nous faut encore mieux adapter les équipements aux possibilités des uns et des autres et, finalement, à leur objet.

Il n'y aura pas que des maisons de la culture importantes, et en quelque sorte monolithiques. Il n'y en aura qu'un certain nombre, en principe une par région. Ailleurs, il pourra y avoir soit des maisons dites « éclatées », dont les divers éléments - tels que spectacles, expositions - seront répartis dans des équipements différents, eux-mêmes répartis sur le territoire de l'agglomération concernée, soit encore des relais culturels constitués à partir de tel équipement artistique, ancien ou nouveau, adapté à une politique de large diffusion culturelle.

Le budget actuel permet cette évolution. Grâce à lui, nous serons en mesure de développer plus rapidement le réseau culturel.

Nous n'envisageons de lancer qu'une maison de la culture classique, mais nous relevons, par ailleurs, le montant des crédits d'équipement affectés aux théâtres municipaux et à ce que nous désignons sous le vocable très général de « relais culturel de province ».

Il me faut aussi appeler votre attention sur une mesure en apparence modeste, que je crois cependant d'une grande portée : il s'agit de la formation des animateurs.

Il serait illusoire de bâtir des édifices si l'on ne disposait pas d'hommes capables de les animer. Or l'animateur est un personnage dont le besoin se fait de plus en plus sentir dans de larges secteurs d'activité, non seulement dans le mien.

Jusqu'à présent, le recrutement auquel nous avons procédé s'est fait empiriquement, par le recours à des vocations spontanées, le plus souvent parmi les hommes de théâtre. Le système a produit, dans l'ensemble, des résultats valables et je tiens à reconnaître publiquement les mérites de ces hommes.

Mais je crois aussi que l'expérience a révélé la spécificité de la fonction d'animateur, qui ne requiert pas toutes les qualités d'un homme de théâtre et qui en requiert d'autres.

C'est ce que nous allons essayer de résoudre en instituant des sessions de formation, qui seront organisées sur un mode très souple, pour les animateurs. C'est l'une des clés principales de l'action culturelle.

Comme vous le voyez, nous nous engageons dans la voie souhaitée par vos commissions.

Nous convenons également, avec M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'intérêt qu'il y aurait, lorsqu'une maison de la culture où tel équipement culturel est envisagé, d'établir avec la collectivité locale intéressée une sorte de charte - ce que, monsieur le rapporteur, vous avez appelé une convention - qui définirait la vocation particulière de la nouvelle institution. Cette suggestion est de nature à faciliter les rapports de l'animateur avec la ville, en garantissant à la fois les droits de celle-ci et la liberté indispensable à toute entreprise d'animation culturelle.

J'en ai ainsi terminé pour ce qui est des maisons de la culture.

Si nous avions pu bénéficier, l'an dernier, d'un accroissement de nos ressources, se situant légèrement au-dessus de la moyenne, nous nous contentons, cette année - cela a été dit - d'un taux de progression de 16 p. 100, voisin de celui du budget de l'Etat dans son ensemble.

Sans doute est-il inutile de rappeler, à ce sujet, les circonstances, les contraintes et les nécessités de toutes sortes qui ont présidé à l'élaboration du projet de budget pour 1969.

La comparaison des chiffres en valeur absolue conduit toutefois à une vue quelque peu différente de la réalité des choses. Si nous comparons le budget de fonctionnement projeté pour 1969 à celui du précédent exercice, nous constatons que son montant passe de 326 millions à 397 millions de francs, soit une augmentation de 71 millions de francs.

Cette dernière somme est sensiblement plus élevée que le total des mesures nouvelles qui figurent dans le projet de budget qui est présentement soumis à votre examen, puisque ce total s'élève à 38 millions de francs. Il faut y voir l'incidence des mesures acquises en cours d'exercice, qui ont revêtu en 1968 un caractère et un volume exceptionnels, puisque, à des mesures acquises traditionnelles qui atteignent 4 millions de francs, s'ajoute la transposition en année pleine de celles qui étaient contenues dans le second collectif budgétaire du mois de juillet, évaluées à 28 millions de francs.

II me paraît légitime et nécessaire, pour apprécier exactement l'importance et les orientations du présent budget, de tenir compte des dispositions de ce collectif dont un aspect essentiel réside dans les moyens supplémentaires dégagés en faveur des enseignements artistiques et qui, comme nous le verrons par la suite, s'inscrivent à la fois comme une accélération de la politique déjà mise en oeuvre dans ce secteur et comme une anticipation de mesures prévues pour 1969.

Sans doute, ici comme ailleurs, qu'il s'agisse du collectif ou, dans une moindre proportion, du budget de 1969, pour une part substantielle, de l'ordre de 25 millions de francs, ce gonflement de la masse des crédits budgétaires entre 1968 et 1969 ne fait-il que traduire, dans les chapitres relatifs à la rémunération des personnels, ou par des ajustements de subventions, les conséquences financières des accords de Grenelle et des divers protocoles qui sont intervenus en juin, ce qui réduit l'ampleur réelle des mesures vraiment nouvelles.

En ce qui concerne le fonctionnement comme l'équipement, pour lequel nous disposerons, l'an prochain, de 279 millions de francs d'autorisations de programme, contre 262 millions en 1968, le budget de 1969 est un budget de priorités.

La première des priorités, ce sont évidemment les enseignements.

Si l'on additionne le collectif et les mesures nouvelles du budget de 1969 proprement dit, on constate que c'est presque un doublement des crédits des enseignements qui sera réalisé en 1969, par rapport au budget initial de 1968, puisque ces crédits passeront de 30 millions à 58 millions de francs, tandis que leur part, dans l'ensemble du budget du ministère, progresse de 9 à 14 p. 100 d'une année sur l'autre.

De même, en matière d'équipement, alors que nous avons dû nous résoudre, dans la plupart des secteurs, à reconduire les dotations de l'exercice précédent, les enseignements verront croître le montant de leurs autorisations de programme : 51 millions de francs d'autorisations nouvelles seront ouvertes en 1969, contre seulement 42 millions de francs en 1968.

Cet effort en faveur des enseignements se manifeste essentiellement sur trois points.

D'abord les enseignants : professeurs, assistants, chefs de travaux pratiques, chercheurs, ainsi que le personnel de direction et le personnel administratif indispensable. Leurs effectifs enregistrent une augmentation considérable, du fait de la création de 473 postes supplémentaires, dont 440 - ceux du collectif - disponibles dès octobre 1968.

Le cas le plus spectaculaire est celui de l'enseignement de l'architecture, qui en reçoit la plus grande part : 253.

La section d'architecture de l'école nationale des beaux-arts ne comptait, jusqu'en 1966, qu'une cinquantaine d'enseignants. De 1966 à 1968 inclus, le nombre des emplois créés n'a pas été supérieur à 120. Nous entrons ainsi dans l'année charnière de la réforme de l'enseignement de l'architecture.

Trois grandes orientations constituent les lignes directrices de cette réforme.

En premier lieu, les écoles régionales et les unités pédagogiques qui seront créées à Paris seront autonomes, ce qui signifie d'abord la fin de la centralisation de renseignement de l'architecture, qui était donné en pratique, jusqu'à ces derniers temps, sous la direction de l'école nationale supérieure des beaux-arts.

L'action de chaque unité pédagogique s'inspirera de la loi d'orientation de l'enseignement supérieur, que vous avez votée, et elle aura des caractéristiques propres tenant soit à la région, soit aux enseignements dominants.

Les unités pédagogiques de Paris et de province pourront, notamment, établir des liens avec les universités pour des échanges de professeurs, pour des équivalences, pour des procédures de rattrapage, pour des formations complémentaires et pour la mise en place d'instruments de recherche communs.

En second lieu, l'enseignement doit être adapté à notre temps, c'est-à-dire qu'il doit ne plus être de type artisanal, corporatif, mais être un enseignement à plein temps, avec des cycles communs à toutes les écoles, au cours desquels un programme minimum doit être assimilé par tous, afin de permettre une ouverture suffisante sur les sciences humaines et sur les techniques les plus modernes, telles que l'informatique qui entre aujourd'hui dans la construction.

Il faut, en effet, que les étudiants en architecture se préparent à l'exercice d'une profession rénovée qui puisse s'intégrer dans les processus modernes de construction.

C'est à ce dernier aspect des réformes que j'attache le plus de prix. Il importe que le cadre de vie des Français soit de qualité et je ne pense pas qu'une profession qui est restée un peu à l'écart de l'évolution générale puisse donner cette garantie si son organisation et ses conditions d'exercice ne sont pas réformées.

A cet effet, j'ai consulté de nombreux organismes, de nombreuses personnalités et j'ai chargé une haute personnalité de proposer au Gouvernement, avant trois mois, une réforme d'envergure.

Pour l'enseignement des arts plastiques - j'englobe dans cette catégorie la section peinture, sculpture et gravure de l'école nationale supérieure des beaux-arts, l'école nationale supérieure des arts décoratifs et les écoles d'art de province - il s'agit non pas encore de réformer, mais de préparer les conditions d'une réforme.

C'est à cette fin que nous avons constitué une cellule de recherche, de formation et d'animation, qui va se consacrer à ce travail de réflexion, en le complétant par des expériences dans quelques établissements pilotes.

Je n'insiste pas sur l'enseignement de la musique, où nous ne faisons que développer la politique poursuivie depuis deux ans : extension progressive du cycle de perfectionnement, organisation du mi-temps - enseignement musical, enseignement général - et création de trois conservatoires régionaux.

Quant au Conservatoire national d'art dramatique, s'il occupe une place plus modeste, c'est la première fois cette année depuis bien longtemps que ses moyens sont renforcés, ce qui devrait lui permettre enfin de connaître une vie plus décente, tout au moins dans son cadre traditionnel.

D'autre part, nous avons réservé dans le projet de budget pour 1969 une somme destinée à venir en aide aux activités de formation de professionnels du théâtre, qui s'exercent en province auprès de certains centres dramatiques.

Vient ensuite la question des locaux, qui constitue actuellement l'une de nos préoccupations principales.

Le grand problème est celui de l'enseignement de l'architecture, en raison tant de l'importance des besoins que de la nécessaire cohérence entre l'application de la réforme et la mise en place des équipements que cette réforme implique. Notre objectif, en première urgence, est de réaliser une ou deux nouvelles unités pédagogiques dans la région parisienne et au moins une autre en province. Dans les autres domaines, nous n'entreprendrons en 1969 que des opérations limitées.

Il me faut dire quelques mots, selon votre désir, mesdames, messieurs, du rond-point de la Défense où, comme vous le savez, nous projetons de regrouper dans des installations modernes plusieurs établissements d'enseignement, pour vous indiquer notamment que nous avons déjà acheté une partie des terrains et engagé les procédures qui tendent à nous en conférer la disposition. Nous poursuivrons en 1969 l'exécution du programme d'achat, ce qui nous a amenés à prévoir un relèvement de 10 à 13 millions de francs des crédits d'acquisition foncière. Mais n'oublions pas qu'il s'agit d'une opération à long terme. Enfin, les bourses, qui ne sont pas les moindres bénéficiaires de cet effort en faveur des enseignements, puisque la dotation correspondante passe de 4 millions de francs en 1968 à 10 millions de francs pour l'année prochaine. Ainsi pourront être effacées les disparités qui subsistent en ce qui concerne le nombre et le taux des bourses entre l'enseignement général et les enseignements artistiques.

Nous avons choisi, comme seconde priorité, de compléter les structures de l'appareil administratif et technique du ministère des affaires culturelles.

En ce .qui concerne l'administration centrale, notre but est de constituer, à partir de ce que nous avons hérité du ministère de l'éducation nationale, une armature cohérente et adaptée à nos missions, au niveau du personnel de direction et d'encadrement. Le budget de 1969 marquera une nouvelle étape dans cette voie.

Dans le secteur des musées, en particulier, la nomination d'un troisième inspecteur général achèvera la mise en place du dispositif prévu : un inspecteur général pour le Louvre, un pour les musées nationaux autres que le Louvre et un pour les musées de province.

D'une manière générale, et pour autant que le prochain budget, celui de 1970, réponde à notre attente, on peut considérer que nous ne sommes plus très éloignés du but fixé.

Notre principale faiblesse réside maintenant dans les lacunes de notre implantation régionale, lacunes que je ne développerai pas ici. C'est pourquoi nous avons fait porter notre effort, dans le projet de budget pour 1969, sur le renforcement des services extérieurs,

Il s'agit d'abord de consolider ce qui existe. Il s'agit ensuite d'étendre le réseau des conservations régionales et des agences départementales des bâtiments de France, qui relèvent de la direction de l'architecture. Seront ainsi créées l'an prochain les trois dernières conservations manquantes, à Amiens, Limoges et Poitiers, ainsi que quatre nouvelles agences, ce qui portera de soixante-treize a soixante-dix-sept le nombre des départements desservis. D'autre part, avec la mise en place auprès des conservations régionales des cinq premières cellules spécialisées dans les affaires de sites, nous amorcerons, par la base, la reconstitution de l'administration des sites, qui fait actuellement défaut.

Nous allons enfin désigner, dans des régions pilotes, des chargés de mission qui seront investis des fonctions de directeur régional des affaires culturelles, préfigurant la future organisation territoriale que nous envisageons d'établir. Je pense que les enseignements qu'avec les préfets de région nous tirerons de ces expériences permettront de vérifier la justesse de notre hypothèse et de mieux définir la fonction de directeur régional des affaires culturelles avant de la généraliser sous sa forme définitive.

Le bilan est plus modeste dans les autres domaines.

Les crédits d'entretien et de réparation des monuments historiques augmenteront en 1969. légèrement en ce qui concerne l'entretien, car il ne nous a pas été possible de dégager des sommes plus importantes sur le budget de fonctionnement, dans une proportion qui n'est pas négligeable en ce qui concerne les crédits de réparation, qui passent de 94 millions de francs en 1968 à 109 millions de francs en 1969, dont 35 millions au titre de la seconde loi de programme et 74 millions pour les opérations courantes de vétusté et de réparation des dommages de guerre.

Nous observons depuis un certain temps les manifestations d'un plus grand intérêt de l'opinion à l'égard de la sauvegarde du patrimoine historique. Si, dans le passé, nous avons dû souvent attendre ou provoquer des initiatives, il nous faut désormais répondre à des appels qui nous viennent des propriétaires, notamment des collectivités publiques. La seconde loi de programme nous en a fourni la démonstration.

Ce que je veux souligner à ce sujet, c'est !e redressement que fait apparaître le budget de 1969 en matière de crédits de réparation des monuments historiques, qui progressent de 16 p. 100, beaucoup plus que le volume global de nos crédits d'équipement, lequel ne s'accroît que de 6,8 p. 100.

Les musées vivront en 1969 dans la stabilité et la continuité, compte tenu des travaux du Louvre, de la revalorisation de leurs moyens de fonctionnement et de la création de cinq postes supplémentaires de conservateur, ce qui permettra de maintenir le rythme de recrutement de ce corps.

La seule opération notable sera le démarrage de la construction du musée Chagall à Nice.

C'est d'ailleurs avec l'exposition Chagall que nous inaugurerons, à la fin de 1969, les nouvelles installations de l'aile Jean Goujon et de la section nord-ouest des galeries nationales du Grand-Palais.

Grâce à cette ouverture nous assurerons le relais de la section nord-est, qui sera fermée au public après l'exposition commémorative du second centenaire de Napoléon, afin de laisser le champ libre aux travaux d'aménagement des étages supérieurs. L'ensemble, sur trois niveaux, devrait être achevé et disponible, selon nos prévisions, le 1er janvier 1971.

Vous avez pu noter que nous demandons cette année, pour le Grand-Palais, un montant de crédits d'équipement supérieur à celui de 1968 - 16 millions de francs au lieu de 14 millions - ce qui tient à la nécessité de procéder à la reprise en sous-oeuvre de l'aile sud de ce bâtiment - celle qui est actuellement occupée par l'éducation nationale - dont le coût est évalué à trois millions.

En tout état de cause, 1969 représente l'année de l'effort maximum relatif aux galeries nationales du Grand-Palais et les exercices suivants ne devraient plus avoir à supporter que la charge des opérations de finition.

Au chapitre de la musique, les obstacles rencontrés cette année nous ont contraints provisoirement à différer plusieurs de nos projets. Dans ces conditions, nous avons choisi volontairement de concentrer notre attention sur la province, avec la création du premier orchestre régional dans la région Rhône-Alpes, en attendant de reprendre notre action en 1970. Mais je ne quitterai pas ce domaine de la musique sans rendre hommage à la mémoire de Charles Munch.

J'en viens à la Réunion des théâtres lyriques nationaux. Que Jean Vilar ait cru devoir limiter sa participation à l'étude de la réforme ne nous fait pas renoncer à celle-ci Nous conservons l'essentiel des objectifs sur lesquels nous nous étions accordés : amélioration de la qualité moyenne des spectacles ; meilleur emploi des artistes ; augmentation du nombre des représentations, notamment en ce qui concerne la danse ; élargissement du public ; autrement dit, il s'agit d'une politique d'amélioration de la qualité artistique et de la diffusion des spectacles de l'Opéra et de l'Opéra-Comique.

Comme Jean Vilar l'a relevé, ni l'organisation générale de la Réunion des théâtres lyriques nationaux, ni les règles de travail, ni les équipements ne répondent actuellement aux exigences d'une telle politique. Aussi bien, a-t-il été décidé de charger provisoirement de la responsabilité de la R.T.L.N. une personnalité particulièrement au courant du fonctionnement de cet organisme et de lui donner pour mission de faire de celui-ci un outil enfin adapté à une politique culturelle de qualité.

Il y faudra au moins deux ans, en raison notamment de la nécessité de procéder à des travaux qui appelleront la fermeture temporaire de la salle de l'Opéra, sans d'ailleurs que les représentations cessent pour autant, d'autres salles, notamment celle de Chaillot, devant être utilisées.

Mais, avant la fin de cette période, de nombreuses mesures amélioreront progressivement la qualité moyenne des représentations et élargiront le public. Telle était d'ailleurs l'optique de Jean Vilar à qui deux ou trois ans semblaient nécessaires pour passer de la situation actuelle à un Opéra rénové.

Un dernier point. Je suis, dans l'ensemble, d'accord avec ce que M. Valéry Giscard d'Estaing déclare dans son rapport au sujet du livre. Mais, vous savez que le livre ne relève pas de la compétence de mon département.

La lecture publique n'est pas en France dissociée des bibliothèques, notamment des bibliothèques universitaires. Elle est donc restée jusqu'ici rattachée au ministère de l'éducation nationale. Je ne m'interdis pas d'intervenir. Un représentant de mon département a participé activement à la commission créée par le précédent gouvernement pour étudier le problème de la lecture publique en France. Mais la répartition actuelle des attributions en ce domaine ne me permet pas d'aller beaucoup plus loin. Et nous touchons là à un problème qui ne relève - ai-je besoin de le rappeler ici ? - que du Premier ministre.

Telles sont les grandes lignes du budget du ministère des affaires culturelles pour 1969. La revue à laquelle je viens de procéder est incomplète, car je n'ai pas voulu énumérer dans le détail toutes les mesures qu'il contient. Je me suis attaché à faire ressortir celles qui expriment une politique, puisque c'est autant sur une politique que sur des crédits que vous allez vous prononcer.

Puisqu'il me faut maintenant conclure, je le ferai en disant ma conviction que 1969, malgré les obstacles que rencontrent nos travaux, ne sera pas une année perdue sur le plan de l'action ni sur celui de la réflexion.

J.O. Débats Assemblée nationale,
n° 85, 14 novembre 1968, p. 4351-4355