Présentation du budget du cinéma

24 novembre 1959

Mesdames, messieurs, le bureau m'a fait demander de ne pas dépasser cinq minutes. Je m'efforcerai de me conformer à ce délai.

Mais dans ces conditions, il serait dérisoire d'essayer de répondre, sur le plan technique, aux objections techniques qui ont été formulées.

Je m'associe, dans sa ligne générale, au rapport de M. Beauguitte. Je remercie la commission des suggestions qu'elle nous a faites. En gros, il s'agit d'un budget de transition dans une période d'austérité. Nous nous efforçons de faire, mesdames, messieurs, ce que vous souhaitez. J'espère vous montrer, avant un an, que nous l'aurons fait. Pour le reste, je suis, bien entendu, à la disposition de la commission pour répondre plus longuement à tous les points techniques qui ont été soulevés.

Lorsque le décret du 16 juin 1959 a été publié, de tous côtés il a été acquis que nous bouleversions le cinéma français, que désormais on ne tournerait plus un film et que les salles allaient connaître des catastrophes. Or la diminution de la fréquentation des salles ne s'est pas accusée, au contraire, et l'on tourne plus de films ces mois-ci qu'il y a un an à la même époque.

Alors, autant que possible, qu'on nous laisse travailler comme la commission le souhaite. Qu'on nous demande des comptes ensuite en nous faisant confiance jusque-là.

Je m'excuse de ce vocabulaire si laconique, évidemment imposé par le temps extraordinairement court qui m'est imparti.

L'exploitation se plaint ; elle a raison et elle a tort. Non, il n'est pas vrai que nous ne nous soucions pas de la petite exploitation. Nous avons maintenu pour elle tout ce qu'on pouvait maintenir et, en fait, ceux qui connaissent le problème professionnellement savent qu'elle sera grandement aidée par le régime des prêts.

En ce qui concerne l'exploitation d'importance moyenne et surtout ses embellissements qu'on a estimés nécessaires, nous avons été obligés d'opter. Il n'est pas possible de tout faire et, à l'extrême, il me parait plus nécessaire de projeter de bons films français dans les salles, même si certaines restaient médiocres, que des films étrangers dans des salles magnifiques.

Quant à la censure, elle résulte d'une décision gouvernementale. Elle n'est pas dans mes attributions. Elle dépendra de mon ministère ou non. Dès lors, il est inutile de discuter maintenant sur ce point, et surtout de le faire avec tant de brièveté. Je vais toutefois vous dire ce que je pense.

D'abord, la précensure ; elle serait réellement dépendante de mon ministère ; je réponds tout de suite : il n'en est pas question.

C'est une opinion très loyale et très sympathique, si l'on .veut, que de croire qu'on peut juger un film sur un scénario. Mais le plus grand metteur en scène du monde, Eisenstein, au moment où il travaillait avec moi, me disait que trois de ses films venaient d'être refusés parce qu'il avait été contraint de les faire juger sur leurs scénarios. « Ceux qui les ont lus, disait-il, ne pouvaient pas imaginer mes images ; s'ils avaient pu les imaginer, ils auraient été comme moi l'auteur du Cuirassé Potemkine ». II n'est au pouvoir de personne au monde de juger un film autrement que sur ses images. Nous devons prendre nos responsabilités, même si nous jugeons durement un film, en fonction d'exigences absolues, nous devons nous prononcer sur sa réalisation et jamais sur ses intentions.

En fait, je ne crois pas tellement à Ia censure. A son sujet, je voudrais ne pas mélanger deux questions. La première - je schématise évidemment - c'est la question sexuelle. Mais vous savez bien qu'il y a des femmes nues dans les magazines aussi bien que dans les films ! N'exagérons donc rien !

La seconde question est celle de la jeunesse délinquante. A cet égard, si mon collègue de l'information a été rigoureux, je suis aussi rigoureux que lui. Le problème de la jeunesse délinquante est dramatique et couvre le monde. Il n'y a pas que le marxisme pour expliquer l'univers et ce problème existe à Moscou, comme il existe à Varsovie, à Mexico ou à Londres - à Londres, la ville qui représentait la plus grande pédagogie de l'Occident - comme il commence â exister à Paris.

Nous avons à défendre la jeunesse française et, dans la mesure où je peux parler au nom du Gouvernement, je dis que nous la défendrons.

Maintenant, monsieur Grenier, s'il s'agit véritablement de ce grand fantôme blanc de la liberté que vous dressez devant « de malheureux enfants écrasés par leur époque », s'il s'agit de défendre la liberté, alors je vous en prie, que ce ne soit pas vous !

Protéger le cinéma de qualité, c'est d'abord le connaître. Ce que nous avons à faire, avant tout, c'est de créer enfin cette cinémathèque dont nous avons les moyens puisque nous possédons la première collection de films anciens du monde ; c'est de créer ces maisons de la culture grâce auxquelles n'importe quel jeune homme pourra, en deux ou trois ans, voir les cent plus beaux films que le monde a produits, en sorte qu'il ne pourra plus ensuite supporter les films dont vous avez parlé.

Je l'ai dit, dispenser la culture c'est faire connaître les plus grandes oeuvres au plus grand nombre d'hommes. Assurer la qualité cinématographique, c'est faire connaître les meilleurs films au plus grand nombre d'adolescents.

C'est pourquoi - je reviens à M. Grenier - n'exagérons pas ! Vous le savez, Lénine estimait que ce que Talleyrand avait dit de mieux était cette maxime : « Tout ce qui est exagéré est sans importance ». Non « nos excellences » n'ont pas tout bouleversé !

Vous me dites : Feriez-vous un film sur un héros de la commune de Paris ? Monsieur Grenier, un homme comme Rossel, un homme comme Dombrowski, représentent la France avec son vieux fusil tombé. Ce sont ces hommes-là qui ont été les derniers combattants devant les Prussiens. Si, demain, vous veniez, vous, me demander de faire honnêtement un film sur les héros de la Commune de Paris, je ne me souviendrais que d'une chose, c'est qu'ils étaient la France.

Ce n'est pas par un entrepreneur communiste, ce n'est même pas, ce qui serait beaucoup mieux, par une communion communiste que vient d'être réalisé un film sur Robert Desnos ; c'est par nous ou, du moins, c'est avec notre appui.

J'en ai terminé ; permettez-moi simplement de vous dire encore, sans élever la voix, qu'il y a deux choses dont vous ne nous convaincrez jamais, quels que soient vos efforts : la première, c'est que ce Gouvernement soit un gouvernement fasciste ; et la seconde, c'est que le parti communiste soit un parti libéral .

J.O. Débats Assemblée nationale,
n° 89, 25 novembre 1959, p. 2948.