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Pie XI

Encyclique Maximam gravissimamque
sur les associations diocésaines
18 janvier 1924

PIUS PP. XI, à ses chers Fils et vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique..

Le temps est enfin venu pour Nous de vous annoncer la solution de l'importante et très grave question des Associations diocésaines. Mais en vous exposant, comme Nous allons le faire, la manière dont nous sommes arrivés à cette conclusion, Nous considérons comme Notre devoir de rappeler et de mettre sous vos yeux comme dans un tableau les différentes phases des négociations qui se sont déroulées à ce sujet. Nous le ferons d'autant plus brièvement qu'il s'agit d'une chose en grande partie déjà parfaitement connue de vous.

Nous Nous souvenons dans l'amertume de Notre coeur des jours bien tristes où s'est formé parmi vous le projet néfaste de séparer les intérêts de la République de ceux de l'Église, et où ce projet a malheureusement été exécuté. Nous Nous rappelons en effet, comment, tout à coup, les relations qui existaient entre le Saint-Siège et la France ont été brusquement et injustement rompues ; comment, le 9 décembre 1905, a été promulguée la loi de séparation par laquelle le Concordat qui, depuis longtemps déjà, était en vigueur, a été abrogé par l'une des parties seulement et à l'encontre des formalités de droit, et comment, sans aucun égard, soit pour la hiérarchie de l'Église, soit pour l'autorité du Saint-Siège, on a d'une manière injuste et arbitraire légiféré sur les droits et les biens ecclésiastiques comme aussi sur le culte divin ; comment Notre prédécesseur de sainte mémoire, Pie X, par sa Lettre Encyclique Vehementer du 11 février, et par son allocution prononcée au Consistoire du 21, même mois, de l'année 1906, a condamné d'une manière expresse et solennelle cette même loi ; comment il a réprouvé en même temps les Associations dites cultuelles que l'on voulait fonder dans l'esprit de cette loi d'Associations, et que, par une autre Lettre Encyclique Gravissimo datée du 10 août de la même année, le même Pontife rejetait et réprouvait de nouveau.

Ces associations ayant été mises de côté, plusieurs - pour nous servir des paroles de notre prédécesseur - ont cru opportun d'essayer si on ne pourrait pas, à leur place, fonder un autre genre de société qui serait conforme en même temps aux lois françaises et aux saints canons, et qui, éloignant les temps très difficiles qui se préparaient, conserverait intacts, du moins quant à leur substance, les droits sacro-saints de l'Église ; mais, comme alors nul espoir n'apparaissait d'obtenir un tel résultat, le même Souverain Pontife, après en avoir conféré avec les évêques de France, défendit de tenter, tant que durait la loi de séparation, ce nouveau genre d'associations aussi longtemps qu'il n'apparaîtrait pas légalement certain que la constitution divine de l'Église et les droits imprescriptibles du Pontife romain et des évêques, aussi bien que leur pouvoir sur les biens nécessaires de l'Église et en particulier sur les édifices sacrés, étaient, dans ces associations, respectés et sauvegardés.

Vous savez tous ce qui est arrivé alors, le monde catholique tout entier l'a vu et en a été saisi d'admiration. Ce que le Souverain Pontife Pie X, dans les Lettres que Nous venons de rappeler, avait demandé, en le conseillant avec confiance et, pour ainsi dire, en le présageant, ce que vous-mêmes exhortiez à faire et par la parole et par l'exemple, est heureusement arrivé. On a eu le spectacle magnifique d'un clergé et des fidèles rivalisant de jour en jour avec plus de ferveur en libéralité et en dévouement. D'un côté, les fidèles n'ont jamais refusé, pour la splendeur du culte divin et pour le convenable maintien des prêtres, leur aumône abondante et généreuse ; de l'autre, le clergé s'est soumis de grand coeur et d'un esprit joyeux aux conditions, si dures fussent-elles, créées par la loi de séparation.

Il faut encore ajouter que le ministère sacré - qui, plus que toute autre chose, est étroitement lié avec le bien public - était rendu par cette loi encore plus difficile et plus pénible par l'expulsion de précieux auxiliaires et coadjuteurs et par la privation de toute rente, ce qui exposait les ministres sacrés au manque des choses les plus nécessaires à la vie.

Cette pieuse et noble rivalité entre clergé et fidèles, rivalité qu'à bon droit Nous pourrions appeler héroïque. Nous l'avons Nous-même suivie avec un vif intérêt dans un temps déjà éloigné. Dès le commencement de Notre pontificat, Nous en avons connu les résultats merveilleux pour ce qui regarde les intérêts économiques et. Nous avons tout de suite compris que cet élan n'était ni diminué ni sur le point d'être affaibli. En effet, la condition économique de l'Église de France, d'après le témoignage de plusieurs évêques eux-mêmes ne semblait pas telle qu'elle demandât un remède pressant : d'autre part, la reconstitution et l'administration elle-même du patrimoine ecclésiastique, quoique difficile et pleine d'entraves et, à cause de l'injuste loi, exposée à bien des dangers, n'était pas entièrement dépourvue d'un certain appui provenant du droit commun.

Malgré cela, le manque d'une vraie situation légale entraînant avec soi l'instabilité des droits et de toutes choses, les difficultés générales et les troubles des temps présents étaient pour Nous une source de sollicitudes et de grandes préoccupations. C'est pourquoi il semblait bien qu'on dût essayer tout moyen apte à porter secours et remède à la situation actuelle. Ce sentiment de Notre devoir Nous pressait d'autant plus que se répandait davantage l'opinion que Notre intervention pourrait avec assez d'efficacité contribuer à obtenir une plus entière pacification des esprits, pacification que, autant que vous. Nous désirons et avons toujours désirée, du jour où, non point à cause de Nos mérites personnels, mais par la disposition secrète de la divine Providence, Nous avons été élevé à cette haute charge de Père commun des fidèles. En effet, à la clôture de l'horrible guerre que le monde a traversée, la vue des faits glorieux que le clergé, tant séculier que régulier, oubliant les injures reçues et ne se souvenant que de l'amour de la patrie, et accomplis aux yeux de tous, avait fait naître de jour en jour plus ardent le désir que la paix religieuse, troublée par la loi de séparation, fût rétablie, de manière que les conditions de l'Église catholique en France fussent plus conformes à la justice, sous la sanction de la loi.

De ce désir est née la question des Associations diocésaines. Les statuts de ces Associations, esquissés non sans l'accord du Gouvernement français par des hommes compétents en la matière, furent envoyés au Siège apostolique par Notre nonce en France, communiqués ensuite à vous tous aussi bien qu'à Nos vénérables Frères les Cardinaux de la sainte Église romaine appartenant à la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires dont l'opinion a été plusieurs fois pressentie, et, enfin, proposés à Notre examen.

Il Nous était, certes, bien difficile de prononcer un jugement sur cette question. En effet, il ne Nous était pas permis, et Nous ne voulions pas Nous écarter de la voie tracée par le pape PIE X ; la mémoire et le souvenir d'un tel prédécesseur Nous en empêchaient.

La violation des droits du Siège apostolique et de la hiérarchie ecclésiastique qui se confondent avec ceux de Dieu et des âmes ne Nous le permettrait pas.

Aussi, après avoir ordonné de prier beaucoup, après avoir Nous-même élevé vers Dieu Nos supplications, après avoir longuement considéré la chose devant Dieu, confirmant la réprobation de la loi inique de séparation, mais en même temps jugeant que, avec les dispositions de l'opinion publique, les circonstances et les relations entre le Siège apostolique et la République française étaient profondément changées, Nous avons déclaré, vers la fin de l'année 1922, que Nous n'aurions pas de difficulté à permettre, en vue d'un essai, les Associations diocésaines, aux deux conditions suivantes : d'une part, les statuts devraient être corrigés de manière à s'accorder, selon leur teneur et leur nature, au moins substantiellement, avec la constitution divine et les lois de l'Église ; d'autre part, on devrait Nous donner des garanties légales et sûres, pour éloigner, autant que possible, le danger que, dans le cas où des hommes hostiles à l'Église viendraient à tenir le gouvernail de la République, on ne refuse à ces Associations toute force légale, et conséquemment toute stabilité de droit, les exposant de la sorte à perdre les biens qui leur auraient été attribués.

Les statuts ont été, de part et d'autre, discutés longuement et avec soin, et de cette discussion ils sont sortis tels, que les Associations diocésaines qui en résulteraient seraient bien différentes de celles que PIE X avait autrefois réprouvées ou défendu de fonder. Ceci est d'autant plus vrai que ces statuts ne dépendent ni nécessairement ni directement de la loi condamnée par PIE X, et que le fonctionnement des Associations elles-mêmes doit aussi se conformer aux lois canoniques, avec le droit et le devoir, en cas de difficultés, d'en informer le Siège apostolique.

Quant aux garanties, en réalité, ce ne sont pas celles que Nous avions proposées dès le commencement et auxquelles les chefs du gouvernement français avaient consenti. Cependant, celles qui nous ont été offertes sont de telle nature et s'appuient sur de telles raisons et de telles déclarations, que Nous avons cru pouvoir les admettre pour le bien de la paix générale, d'autant plus qu'il ne Nous semblait pas possible d'en obtenir de meilleures, et que celles qu'on Nous offrait pouvaient, toutes choses bien pesées, être considérées comme légales et sûres, telles que PIE X lui-même les exigeait.

En effet, Nous avons, en faveur des nouveaux statuts, non seulement l'opinion d'hommes très versés dans la jurisprudence et de renommée à toute épreuve, mais aussi l'avis unanime du Conseil d'État, toutes Chambres réunies, qui, d'après la législation française, est la magistrature suprême et seule compétente pour donner avis sur l'interprétation des lois. Cet avis, partagé également par les hommes qui régissent la République, revient, en fin de compte, à ceci : que ces statuts ne contiennent rien contre les lois françaises, ce qui veut dire que rien n'est à craindre de ces mêmes lois pour les Associations diocésaines.

Les choses étant ainsi, voulant en conformité avec Notre devoir apostolique ne rien omettre, les droits sacrés et l'honneur de Dieu et de son Église étant saufs, de ce que Nous pouvons faire dans le but de donner à l'Église de France un certain fondement légal, comme aussi pour contribuer, ainsi qu'on peut l'espérer, à la pacification plus entière de votre nation, qui Nous est très chère, Nous décrétons et déclarons pouvoir être permises, au moins en voie d'essai, les Associations diocésaines, telles qu'elles sont réglées par les statuts ci-joints.

Il n'est d'ailleurs pas nécessaire, très chers fils et vénérables Frères, que Nous dépensions beaucoup de paroles pour expliquer et déclarer pourquoi Nous Nous servons d'une expression aussi pesée et aussi circonspecte. En effet, il ne s'agit dans les circonstances actuelles que d'appliquer un remède destiné à éloigner des maux plus grands. Car Nous avons toujours été persuadé et, Nous le sommes encore, que si le Ciel Nous avait accordé d'arriver à un résultat quelconque dans cette affaire si importante, ce résultat, et par Nous, et par vous et par le clergé et tous les fidèles de France, devrait être considéré d'un côté comme les premières manifestations de cette pleine et entière liberté, que l'Église revendique partout et chez vous pour elle-même, comme due et nécessaire de droit divin et que, en conformité avec son office et sa nature, elle ne peut permettre qu'on contrarie ou diminue ; de l'autre comme une étape d'où l'on peut partir vers le recouvrement légitime et pacifique d'une liberté pleine et entière.

Quoi qu'il en soit, que personne ne se permette de détourner dans un sens qui est très loin de Notre pensée Notre déclaration présente comme si Nous voulions abolir les condamnations portées par Notre prédécesseur de sainte mémoire, PIE X, ou Nous réconcilier avec les lois qu'on nomme laïques ; car ce que PIE X a condamné, Nous le condamnons de même, et toutes les fois que par « laïcité » on entend un sentiment ou une intention contraires ou étrangers à Dieu et à la religion, Nous réprouvons entièrement cette « laïcité » et Nous déclarons ouvertement qu'elle doit être réprouvée.

Qu'on ne dise pas non plus que Notre permission est d'elle-même en contradiction avec les prohibitions de PIE X, car celles-ci portent sur des objets bien différents et dans des circonstances non moins différentes.

Il ne Nous reste plus qu'à vous faire connaître, dans l'effusion de Notre amour paternel, à vous; à votre clergé et à vos ouailles, quelques avertissements de grande importance. D'abord, Nous rappellerons aux prêtres et aux fidèles confiés à vos soins ce que sans doute vous savez déjà et ce que vous-mêmes expliquerez plus amplement : que si les nouvelles Associations et le statut qui s'y rapporte contribuent à rendre chez vous une condition juridique à l'Église, ce qui n'aurait été que juste restitution n'a pu être recouvré. Nous vous exhortons donc, chers Fils et vénérables Frères, ainsi que les prêtres de Dieu, vos collaborateurs : continuez, comme vous avez fait jusqu'ici, à paître avec un soin jaloux le troupeau de Dieu qui vous est confié ; paissez-le par la parole ; paissez-le par l'exemple ; paissez-le par vos travaux ; paissez-le par vos douleurs, de même que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a rachetés par de semblables sacrifices, afin que vous recueilliez avec joie des fruits abondants. Les fidèles confiés à vos soins, Nous les prions de même ; souvenez-vous de vos maîtres qui vous ont prêché la parole de Dieu ; ne cessez pas d'aimer l'honneur de la maison du Seigneur et de fournir les moyens temporels à ceux qui ont semé parmi vous les biens spirituels ; ne cessez pas non plus d'être obéissants et soumis à ceux qui veillent comme devant rendre compte pour vos âmes, afin qu'ils le fassent avec joie et non en gémissant.

En déclarant, chers Fils et vénérables Frères, que les Associations diocésaines peuvent seulement être permises, Nous devons avouer en toute candeur que Nous avons voulu par là Nous abstenir de vous commander formellement de les fonder et de les instituer. Toutefois Nous désirons et Nous vous supplions en Jésus-Christ par ce sentiment de piété filiale que vous avez envers Nous et ce désir dont vous brûlez de conserver la discipline, l'unité et la concorde, d'essayer lesdites Associations. De cette sorte, vous montrerez que vous êtes animés envers Nous de ce même esprit de magnanimité et de déférence filiale que vous avez eu envers notre prédécesseur de sainte mémoire PIE X. Car Dieu vous sera propice à vous tous qui ferez cela ensemble et qui implorerez sa miséricorde. En effet, Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais avec la tentation, il vous donnera aussi le moyen d'en sortir, afin que vous puissiez la supporter. Afin que toutes choses tournent à la gloire de Dieu, au salut des âmes, à l'accroissement de la paix si ardemment désirée, et c'est ce que Nous demandons avec insistance au Sacré Coeur de Jésus et à la Vierge immaculée. Nous vous accordons de grand coeur, à vous. Nos chers Fils, vénérables Frères, au clergé et aux fidèles de vos diocèses et à la France tout entière, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Chaire de Saint-Pierre à Rome, le 18 du mois de janvier de l'année 1924, deuxième de notre pontificat.