Loi du 9 octobre 1981
portant abolition de la peine de mort

Un long combat vers l'abolition : la lutte pour l'abolition

Le traité des délits et des peines

« Si les passions ou la nécessité de faire la guerre ont appris à répandre le sang humain, les lois, dont l'objet est d'adoucir les moeurs, ne devraient pas au moins multiplier cette barbarie ». Cesare Bonesana, marquis de Beccaria

Cesare Bonesana, marquis de Beccaria, d'un ouvrage publié à Livourne en 1764 sous le titre Dei delitti e delle pene (Des délits et des peines)
Dei delitti e delle pene
Nouvelle édition corrigée et augmentée
Harlem, et en vente à Paris, chez Molini, libraire rue du Jardinet, 1780
Bibliothèque de l'Assemblée nationale

C'est à la fin du XVIIIe siècle que débute réellement le débat sur le droit de l'État de supprimer la vie, lors de la publication par Cesare Bonesana, marquis de Beccaria, d'un ouvrage publié à Livourne en 1764 sous le titre Dei delitti e delle pene (Des délits et des peines), dont le succès secoua l'Europe et déclencha une réforme profonde des institutions répressives.

Son ouvrage développe une nouvelle logique du droit de punir qui doit être dégagé de toute considération religieuse ou morale et ne peut se fonder que sur la seule utilité sociale : « Pour qu’un châtiment produise l’effet voulu, il suffit qu’il surpasse l’avantage résultant du délit ». Il met en doute la légitimité de la peine de mort et constitue le socle fondateur de la pensée abolitionniste. Inspiré de la philosophie des Lumières et de ses réflexions critiques sur le système judiciaire et pénal, il condamne tout ce qui s’inspire d’un esprit de vengeance et peut sembler dicté par la loi du talion. Les peines doivent être proportionnées au délit, sans cruauté inutile. La peine de mort doit donc être écartée comme irréparable et excédant le droit qu’a la société de se défendre.(1)

L’ouvrage fut enrichi de notes par Diderot et salué par Voltaire comme le « vrai code de l’humanité ». Il exerça une grande influence et se traduisit en partie dans la législation royale et la jurisprudence : sous Louis XVI, la question préalable infligée au condamné avant exécution fut supprimée en 1780, et une déclaration royale du 1er mai 1788 annonça un élargissement du droit de grâce, une réduction des condamnations à mort et la suppression de la question préparatoire (2).


Dei delitti e delle pene
Nouvelle édition corrigée et augmentée, 1780
Gravure par Le Barbier
Bibliothèque de l'Assemblée nationale

Ainsi, en dépit de périodes particulièrement répressives, on assiste à une disparition progressive de la peine de mort, et les crimes susceptibles de l’entraîner constituent une liste de plus en plus restreinte. Le système pénal repose alors sur la légalité des incriminations et des peines, la privation de liberté modulée dans le temps et la sanction conçue dans le sens de l’éducation et du redressement du coupable.

De nombreux pays européens limiteront alors les cas d’incrimination passibles de la peine de mort. Léopold II abolit la peine de mort en Toscane en 1786, Joseph II la supprime en Autriche en 1787.

Fiche biographique de Cesare Bonesana, marquis de Beccaria
(en ligne sur le site du ministère de la justice)

De la Révolution à la Troisième République, des grandes voix contre la peine de mort

Tout au long du XIXe siècle, la peine capitale suscite une floraison d'ouvrages témoignant de l'intérêt que lui porte la classe « éclairée ». Face à une pensée conservatrice qui voit dans le bourreau un pilier de l'ordre social (Joseph de Maistre), face à un réalisme cynique résumé dans la formule d'Alphonse Karr « Que Messieurs les assassins commencent... », deux grandes figures du romantisme, Hugo et Lamartine, dénoncent la barbarie d'un châtiment qu'ils combattront également à la tribune de l'Assemblée.

Peine de mort jugée par Victor Hugo et Lamartine
Déclaration de 1848.
BnF, Estampes et Photographie, Qe 36 t, t. 11 (folio)

Si Lamennais, fondateur du catholicisme social, prend naturellement place dans les rangs des abolitionnistes, il est moins attendu d'y trouver Guizot - auteur de l'ouvrage De la peine de mort en matière politique - qui, devenu chef du Gouvernement de Louis-Philippe, ne saura ou ne pourra mettre en pratique ses idées généreuses. Dans les dernières années du siècle, enfin, on verra Clemenceau, pamphlétaire de talent lorsque la politique lui en laisse le loisir, fustiger, dans Le Grand Pan, l'hypocrisie des défenseurs de l'ordre établi.

Des grandes voix contre la peine de mort

Deux siècles de débat à l'Assemblée nationale

"Justitia"
Maison de Victor Hugo, Inv. 966 © PMVP
Cliquer sur l'image (BnF)

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(1) Il convient de noter que Beccaria précise, cependant : « La mort d'un citoyen ne peut être jugée utile que pour deux motifs : d'abord si, quoique privé de sa liberté, il a encore des relations et un pouvoir tels qu'il soit une menace pour la sécurité de la nation, et si son existence peut provoquer une révolution dangereuse pour la forme du gouvernement établi. La mort d'un citoyen devient donc nécessaire quand la nation est en train de recouvrer sa liberté ou de la perdre, dans une époque d'anarchie, quand c'est le désordre qui fait la loi. [...] »

(2) Déjà, en 1755, Louis XV avait supprimé la peine de mort pour le crime de désertion simple.