Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Colloque "Le nucléaire dans tous ses états",
organisé par le club « Démocraties »
le lundi 22 mai 2000 au Carré des Sciences

Message de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale,

L'effondrement du bloc militaire de l'Est a eu pour effet de remettre en cause l'utilité apparente de l'arme nucléaire, désormais jugée archaïque, coûteuse et immorale par un nombre toujours plus grand de personnes. Les nouveaux liens que nous avons tissés avec la Russie et les pays d'Europe centrale et orientale rendent très improbable la résurgence d'une menace nucléaire massive contre la paix.

Si le nucléaire a parfaitement rempli son rôle pendant un demi-siècle en empêchant la guerre froide de dégénérer en conflit mondial, on peut légitimement s'interroger, en ce début de XXIème siècle, sur son avenir. La nouvelle donne internationale et stratégique impose, en effet, une réflexion en profondeur sur la légitimité de notre politique de dissuasion nucléaire. Je me limiterai ici à deux ou trois réflexions parmi beaucoup d'autres sur ce sujet immense.

Ma conviction est que la politique de défense de la France restera dans les prochaines années fondée sur une stratégie de dissuasion nucléaire autonome et suffisante. Certes, notre monde est d'ores et déjà entré dans une phase post-nucléaire : politiquement et militairement, la possession de l'arme atomique ne joue plus en ce début de XXIème siècle le rôle central qui était le sien dans les relations internationales de 1945 à 1990.

Toutefois, une politique de défense se bâtit sur le long terme. Le monde qui sera le nôtre au XXIème siècle est loin de nous apparaître sous toutes ses dimensions. En attendant d'en mieux percevoir les contours, il faut nous appuyer sur les réalités du monde actuel : les armes atomiques y sont encore présentes en nombre considérable puisqu'il y a encore aujourd'hui 36 000 têtes nucléaires. Notre monde est donc loin d'être définitivement sorti de l'ère nucléaire. Je ne suis pas partisan par principe de l'arme nucléaire, mais tant que d'autres pays posséderont une telle arme ou seront au seuil de sa possession, la France conservera sa force de dissuasion pour garantir son indépendance, assurer sa sécurité et renforcer la défense européenne.

Cependant, tout en préservant sa force de dissuasion, la France doit s'engager résolument en faveur de la réduction des armements nucléaires dans le monde et dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. A cet égard, notre pays peut se prévaloir d'un bilan exemplaire. Pour adapter sa force de dissuasion au nouvel environnement stratégique, la France a renoncé au développement de plusieurs programmes et réduit considérablement son arsenal nucléaire, ainsi que les dépenses consacrées au secteur nucléaire militaire. Notre pays a, en outre, été le premier Etat nucléaire, avec le Royaume-Uni, à ratifier le 6 avril 1998 le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

Malheureusement, les efforts de la France en faveur du désarmement nucléaire ne peuvent être efficaces qu'à la condition que les deux plus grandes puissances nucléaires, les Etats-Unis et la Russie, s'engagent elles aussi résolument dans cette voie. C'est pourquoi la France ne peut que se réjouir de la ratification récente du Traité START II par la Fédération de Russie qui permet l'entrée en vigueur de ce traité, dont la pleine application suppose néanmoins encore la ratification du protocole d'adaptation de 1997 repoussant l'échéance pour l'achèvement des réductions de début 2003 à fin 2007.

La France regrette toutefois le refus de ratifier le TICE exprimé par le Sénat des Etats-Unis à la fin de l'année 1999. C'est, en effet, un bien mauvais signal adressé aux Etats qui doutent encore de la réalité de l'engagement des grandes puissances nucléaires en faveur du désarmement. Notre pays a eu également raison d'exprimer son inquiétude à l'égard du projet américain d'édifier un bouclier antimissiles. Il s'agit là, comme l'a souligné le Président de la République, d'une « rupture des équilibres stratégiques » de nature à remettre en cause le traité antimissile ABM, pilier pourtant essentiel du dispositif international de lutte contre la course aux armements.

Il faut espérer que la politique américaine en matière de désarmement nucléaire évoluera car le déroulement des négociations bilatérales entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie est au c_ur du processus de réduction globale des arsenaux nucléaires auquel notre pays attache la plus grande importance.

Dans ce contexte, la prochaine loi de programmation militaire, en cours de préparation, devra définir les évolutions encore nécessaires de notre politique de dissuasion nucléaire pour les années à venir, afin de l'adapter aux changements stratégiques qui affectent notre sécurité.

Je suis convaincu que votre colloque, par la qualité des intervenants, la diversité de leurs origines, la liberté de ton qui caractérise le club « Démocraties » dont je salue le Président le général Henri Paris, contribuera à éclairer les choix que la France va devoir faire pour adapter sa force de dissuasion nucléaire aux défis du XXIème siècle.