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Ouverture du colloque "Publicité et Net Economie"
le mardi 30 mai 2000 à l'Assemblée nationale

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Je suis heureux que l'Assemblée nationale accueille aujourd'hui votre colloque "Publicité et Net Economie". Je crois que vous ne pouviez trouver meilleur endroit que cette maison. Tout d'abord, parce que ce colloque a été organisé par l'un de nos députés, Monsieur Patrick Bloche, que je salue. Ensuite, parce que votre présence ici témoigne de l'intérêt toujours renouvelé que notre Assemblée porte aux nouvelles technologies. Enfin, parce que la représentation nationale ne saurait être un simple spectateur de cette révolution numérique, qui ne sera un progrès majeur pour notre société que si elle est accompagnée, soutenue et contrôlée.

L'Internet a ouvert un extraordinaire espace de communication, dédié à l'échange d'informations et d'idées ; il a permis d'inventer de nouvelles façons d'acheter et de vendre. L'économie de marché devient celle du savoir, soutenue par l'émergence de nouvelles solutions technologiques. Les échanges se virtualisent, les produits se dématérialisent, les boutiques se numérisent : sans aucun doute, le commerce du XXIè siècle sera électronique. La publicité est naturellement au coeur des problématiques et des enjeux de la Net Economie. Grâce à elle, le Réseau cesse de n'être qu'une simple vitrine pour devenir un véritable espace de consommation. Dans le même temps, le nouveau support qu'est l'Internet élargit le marché de la publicité, le modifie et bouleverse son statut comme ses règles. Le coût extrêmement faible des publications sur l'Internet, comparé à d'autres médias comme la presse, la radio ou la télévision, permet le développement rapide d'un nouveau modèle fondé sur la publicité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : l'an dernier, le marché français de la publicité sur le Net a affiché un taux de croissance de plus de 350 % !

Cette croissance exponentielle est à l'image de la véritable explosion du commerce électronique, dont je tiens à souligner les bénéfices pour notre économie : ce nouveau marché multiplie les offres et les services aux consommateurs, engendre des emplois et des investissements. La publicité elle-même représente un atout considérable. Les sites gratuits, financés par les revenus publicitaires, sont exemplaires des ressources qu'elle peut apporter au développement de la dimension marchande du Web. Le Réseau donne également aux entreprises la possibilité d'accéder plus directement au client, afin de lui fournir un produit sur mesure, une offre personnalisée. Toutefois, qui ignore encore que cette forme de marketing ciblé permet aux commerçants en ligne d'obtenir des informations de plus en plus précises sur les consommateurs pour en établir le « profil » ? Du questionnaire anodin au désormais célèbre "cookie" qui permet de suivre l'Internaute à la trace au fil de ses pérégrinations sur le Web, l'informatique moderne diversifie les possibilités de s'informer. Car plus on surfe sur le Net, plus on reçoit d'informations, mais plus on finit par en céder aussi. L'Internet est devenu un redoutable instrument de collecte de données personnelles, immédiatement disponibles pour les entreprises sous forme numérique. Chaque individu est fiché plusieurs centaines de fois, et la banalisation de ces pratiques fait surgir de nombreux risques de détournements, susceptibles de nuire à la protection de la vie privée, au respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens. Le recueil de données personnelles et l'établissement de fichiers numériques me paraissent d'autant plus graves qu'ils se font le plus souvent à l'insu des intéressés. Il faut donc veiller à ce que soit respecté l'article 19 de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui stipule que chacun doit pouvoir disposer de ses données personnelles et connaître l'usage qui en est fait.

Les avantages, directs ou indirects, du traitement des informations ne sont réels que dans le cadre de finalités expressément définies. C'est pourquoi je crois qu'il faut sans tarder mettre en oeuvre une régulation, en concertation avec les acteurs du marché du Net. Cette régulation est la condition de son équilibre, de son développement, de sa pérennité. La logique du profit des entreprises ne devrait pas prévaloir sur celle des droits des personnes. Leurs intérêts ne me semblent d'ailleurs pas antagonistes : les règles qui doivent régir le marché sont un gage de sécurité et de confiance tant pour les consommateurs que pour les investisseurs. En aucun cas la société de l'information ne peut et ne doit devenir une zone de non-droit. Les droits et les libertés des citoyens doivent être garantis dans l'espace matériel comme dans le monde virtuel ; un délit reste un délit quel que soit son support et les lois ne cessent pas de s'appliquer aux portes de la Toile. Je tiens à souligner l'actualité des grands principes de droit posés par la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978. Toutefois, notre législation est aujourd'hui soumise à un double défi. D'une part, l'évolution constante des technologies de l'informatique, qui conduit à redéfinir les modalités de l'encadrement et du contrôle des données personnelles, afin de les inscrire dans l'horizon du progrès. D'autre part, la globalisation des échanges et l'internationalisation de la société de l'information, qui rendent plus difficile l'application des réglementations. L'harmonisation des législations, dans ce domaine, sera sans doute un défi majeur pour la communauté internationale.

Il me semble enfin nécessaire de s'interroger sur les modalités d'ouverture des sites Internet à la publicité. Je crois, pour ma part, qu'il faut préserver le consommateur numérique du « harcèlement publicitaire », auquel certaines entreprises le condamnent en l'abreuvant de messages. Sur les sites, l'annonce publicitaire devrait être mentionnée comme telle et les messages publicitaires adressés par le courrier électronique devraient pouvoir être identifiés avant d'être lus. L'Internet est un formidable outil mais, comme tous les produits de la technique, il doit servir l'homme, pas l'asservir.

Je me réjouis que vous ayez choisi de consacrer une large part de vos débats à cette délicate question. Vous y apporterez un éclairage et un arbitrage utiles et j'espère que vos conclusions auront le plus grand écho. Reprenant les paroles de l'économiste suisse Léonard de Sismondi, je ne formulerai qu'un souhait : que l'ultime dessein de notre société soit "le progrès des hommes, non celui des choses".