Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Réception solennelle dans l'hémicycle de M. Abdelaziz Bouteflika,
Président de la République algérienne
le mercredi 14 juin 2000

Allocution de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Il y a maintenant près de vingt ans, le 1er décembre 1981, l'Assemblée nationale populaire de la République d'Algérie recevait le Président de la République française, François Mitterrand, qui avait tenu à faire en Algérie un de ses premiers déplacements officiels. Les députés français sont très heureux de vous recevoir à leur tour, Monsieur le Président. Une telle réception est rare puisque, depuis que l'usage en a été créé en octobre 1993 par le Président Séguin, seuls huit chefs d'Etat ou de gouvernement sont montés à cette tribune pour s'adresser à la représentation nationale, et jamais, je crois, les députés n'ont ressenti à ce point le caractère historique d'un tel moment et l'émotion qu'il suscite. A travers votre personne, et celles des députés ici présents, c'est une rencontre entre le peuple algérien et le peuple français.

Cette rencontre symbolise l'espoir et la volonté que les peuples algérien et français puissent enfin et définitivement se retrouver, nouer un dialogue renouvelé, se tourner ensemble vers l'avenir. L'un et l'autre, nous le savons et donc pourquoi ne pas le dire, en ont besoin pour être vraiment en paix non seulement l'un avec l'autre, mais chacun avec lui-même.

Trop de tragédies ont marqué leur histoire commune : les brutalités de la conquête, les injustices du système colonial et les douloureux affrontements qui ont précédé l'indépendance de l'Algérie. Ce dernier conflit a marqué profondément les esprits de part et d'autre, ceux des générations des combattants comme de l'ensemble de nos peuples. Fondateur de la conscience nationale en Algérie, ce conflit a été pour beaucoup de Français l'occasion d'une prise de conscience politique, et a marqué un tournant dans l'Histoire de France. Ces affrontements, les violences qui en sont résultées, ont engendré de multiples déchirements. Certains se sont alors trompés de cause ou de camp. Mais les combats de bonne foi, les souffrances des victimes, ont leur dignité. Chacun doit aujourd'hui honorer ses morts et respecter ceux de l'autre.

Notre passé n'est pas fait seulement de luttes, mais aussi de fraternité. Ayons une pensée pour les soldats algériens qui ont combattu dans plusieurs guerres aux côtés des Français et contribué à la libération de la France, à l'amour des Français d'Algérie pour ce pays, à la foi de beaucoup d'Algériens dans les valeurs universelles de liberté et de démocratie dont la France est le berceau, qui les a amenés à combattre la France au nom de ces valeurs mêmes. Aujourd'hui les Algériens résidant en France, les Français d'origine algérienne, ceux qui ont des racines dans votre pays, tous ceux qui l'aiment, créent entre nos deux pays des liens qui les préservent de l'oubli et de l'indifférence.

Malgré leur proximité, ou à cause d'elle, il est malheureusement vrai que nos deux pays ont eu du mal à établir des relations sereines. Nous avons dorénavant assez de recul pour le comprendre et pour pouvoir entrer dans une phase nouvelle.

Les circonstances nous y convient. L'Algérie vient de traverser une décennie terrible. Elle a dû faire face aux assauts d'une barbarie défigurant l'Islam, insultant l'humanité et ses valeurs les plus élémentaires. Je tiens à dire au peuple algérien que le peuple français a pris part à ses douleurs, admiré son courage et sa ténacité.

Ces épreuves ont aussi prouvé la vitalité de la société algérienne, sa capacité de résistance, et l'ont conduite à une authentique réflexion sur elle-même. C'est une Algérie nouvelle qui en sort. Elle a entamé, avec le retour à la concorde civile, un processus de rénovation démocratique. Confiants dans les capacités et la détermination du peuple algérien, comme dans votre propre volonté de mener à bien les réformes que vous avez engagées, nous en souhaitons très vivement le succès.

Dans cette étape, la France est prête à se tenir aux côtés de l'Algérie. Nous pouvons désormais, nous le devons, concevoir nos rapports sur une base objective, débarrassée des préjugés d'hier, dans le respect mutuel, et cette formule apparemment rituelle doit avoir entre nous tout son sens.

Au-delà même des possibilités qui sont ouvertes à nos relations bilatérales, à l'enrichissement réciproque de nos cultures, chacun de nos pays peut être un facteur d'ouverture pour l'autre. Nous avons beaucoup à faire ensemble, en Méditerranée, sur le continent africain. A l'heure où l'Union européenne, conformément à sa vocation, est en voie de s'élargir, il est important, au regard des grands équilibres du monde, qu'elle n'oublie pas ses affinités et ses complémentarités avec l'autre rive de la Méditerranée. La France y est plus que d'autres sensible. Ces relations ne peuvent avoir toute leur force que si la France et l'Algérie y apportent leur contribution. Elles seront plus faciles si le Maghreb progresse lui aussi vers son unité. Elles ont vocation à contribuer à l'édification d'un ordre international multipolaire.

C'est donc, M. le Président, en ayant à l'esprit tous ces enjeux que nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation que le Président Fabius, puis moi-même, vous avons adressée, et d'être venu parmi nous, en représentant d'un pays dont la France se veut, aujourd'hui plus que jamais, l'ami et le partenaire.

La parole est à M. Abdelaziz Bouteflika, Président de la République algérienne démocratique et populaire.