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30ème rencontre annuelle de l'Association interparlementaire France-Canada
le mardi 12 septembre 2000 à l'Assemblée nationale

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO,

Monsieur le Secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie,

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs,

Soyez les bienvenus à l'Assemblée nationale où j'ai grand plaisir à vous accueillir pour la 30ème rencontre de l'Association interparlementaire France-Canada. A l'occasion du colloque qui nous réunit, vous abordez la question de l'identité culturelle à l'heure de la mondialisation. Je vous félicite vivement pour le choix de ce sujet, tant je crois que l'ordre du jour de votre réunion est aussi celui de notre démocratie. En effet, plus qu'un thème actuel de réflexion, j'y vois, pour ma part, le fondement d'une interrogation essentielle : comment vivre ensemble avec nos différences ?

La mondialisation constitue indéniablement un nouveau mode de relation entre les cultures. Aujourd'hui, nous dépendons de plus en plus de la puissance des réseaux capables de produire et de transmettre l'information en tous points du globe. Nos références collectives sont de moins en moins le reflet de nos civilisations et de plus en plus le produit de nos industries. Nous assistons ainsi à l'émergence d'une culture mondiale qui se superpose, quand elle ne les affecte pas, aux cultures nationales. Leur diversité ─ donc leur richesse ─ semble s'estomper et se dissoudre dans un modèle global.

La mondialisation, boîte de Pandore ? Oui, si elle signifie l'acceptation des hégémonies ; si elle conduit au renforcement des inégalités ; si elle réduit les cultures au dénominateur commun d'une langue et d'un propos uniques.

Je veux croire que nous n'en sommes pas encore là. Face au risque d'uniformisation culturelle, nous devons relever le défi de la diversité, qui a toujours été une source d'inspiration et de progrès pour l'humanité. Parlementaires, élus du peuple et représentants de la Nation, nous devons unir nos efforts pour défendre le respect des identités culturelles.

Il ne s'agit évidemment pas de refuser le processus d'intégration mondiale en cours ; nous ne saurions d'ailleurs être tenus à l'écart de la révolution numérique dont les conséquences sont économiques, sociales, politiques, culturelles. Nous devons au contraire nous efforcer de maîtriser ses effets et essayer de tirer parti de ses avantages. Le développement des nouvelles technologies est une formidable chance pour le dialogue entre les peuples, la coopération entre les nations et l'expression des minorités. Je pense notamment à l'Internet, prodigieux outil pour communiquer, dialoguer, échanger. Mais il faudra aussi veiller à ce que le progrès soit partagé par tous et partout, de manière utile et équitable.

J'ai la conviction que c'est par l'ouverture au monde que chaque peuple, chaque nation affirmera son identité. Le protectionnisme culturel n'est pas la solution. Avec audace et détermination, faisons le choix d'une culture nationale forte et vivante. Car rien n'est plus contraire à l'affirmation d'une véritable identité culturelle que les réflexes de repli sur soi et de rejet de l'autre. La rencontre des cultures doit être source d'enrichissement et non d'appauvrissement. Et lorsqu'elles s'affrontent au lieu de se mêler, leur combat s'achève toujours par une défaite commune.

Pour lutter contre la tendance à l'unification culturelle, nous devons aussi assurer la protection de la langue française et favoriser son rayonnement. Expression même de notre culture, elle est le ciment et l'héritage commun des peuples qui ont le français en partage.

Je n'oublie pas que la solidarité de la communauté francophone joue un rôle essentiel dans la défense du pluralisme culturel sur la scène internationale, chaque fois qu'il est menacé par un libéralisme économique sans frein. Unis par la même langue, celle de Brel et de Charlebois, nous avons également la même conviction : la loi du marché ne peut pas régner sur l'art et la pensée. Aujourd'hui, il nous faut aller plus loin encore et, ensemble, mettre l'intelligence et l'imagination au service d'une éthique fondée sur l'échange et le dialogue entre les cultures.

Pour cela, la voix des Parlements doit s'affirmer davantage dans le concert des nations. Nos gouvernements ne peuvent à eux seuls synthétiser toute la richesse d'une culture. A nous, parlementaires, de faire valoir nos prérogatives dans ce débat. Représentants du peuple dans toute sa diversité, nous votons les lois et veillons à ce qu'elles soient l'expression de la volonté générale. A ce titre, nous sommes les gardiens vigilants d'une législation en harmonie avec l'identité culturelle de ceux qui nous ont élus.

A la fois fondement et symbole de l'identité et de l'unité de la Nation, le Parlement a également pour mission de préserver les spécificités régionales et les particularités locales. A cet égard, le Canada, Etat biculturel depuis l'Acte de Québec de 1774, est pour tous une référence. Avec le succès que l'on sait, vous avez fait de la concertation votre méthode et du multiculturalisme votre principe de vie.

A l'aube du troisième millénaire, je souhaite que nous soyons toujours épris de l'idéal qu'ont incarné les artistes de la Renaissance ou les philosophes de la modernité : un principe d'universalisme allié à un désir de tolérance et de liberté.

C'est aujourd'hui à nous de le faire vivre et de le réinventer, au sein de nos Parlements. Je suis convaincu que votre colloque, par la qualité de ses intervenants et la diversité de leurs origines, y contribuera grandement.

Ayons une vision audacieuse du monde où les identités multiples, à l'échelle d'un pays ou d'un continent, sauront s'harmoniser. Faisons entendre toutes les cultures, non pas pour les confondre mais pour qu'elles se répondent. C'est le voeu que je formule pour les peuples du monde ; ce doit être notre projet pour le XXIème siècle.