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Ouverture du colloque de l'Association des Petites villes de France
à l'Assemblée nationale le jeudi 5 octobre 2000

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les maires,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Soyez les bienvenus à l'Assemblée nationale, où j'ai grand plaisir à vous accueillir aujourd'hui. Je remercie chaleureusement M. Martin Malvy de m'avoir invité à introduire votre colloque. Cette invitation est, à mes yeux, un geste d'amitié du Président de notre association. Et j'y vois l'occasion de vous assurer de l'intérêt que je porte - et à travers moi toute la représentation nationale - aux collectivités locales et à leurs initiatives.

Mes chers collègues, je connais votre engagement. Je connais votre travail, vos préoccupations, vos problèmes. Je les partage tous les jours, car, Président de l'Assemblée nationale, je suis également maire de Delle, une commune chère à mon coeur, qui a récemment rejoint votre association. Le mandat de maire est peut-être le plus exigeant ; c'est aussi, je crois, le plus valorisant. Parce qu'il nous donne la possibilité de mettre en oeuvre nos convictions citoyennes ; parce qu'il nous permet d'agir concrètement en faveur de l'intérêt général. C'est la démocratie que nous faisons vivre au quotidien, c'est la République que nous servons.

Moment de réflexion sur nos attentes et nos projets, ce colloque me semble être un lieu de rencontre et d'échange particulièrement précieux pour les maires de nos petites villes, qui ont rarement l'occasion de se réunir pour débattre ensemble de l'avenir de leur cité, trop accaparés par la gestion quotidienne de leur commune.

Vous qui êtes ici, élus de terrain, parlementaires, universitaires, cadres d'entreprises, vous apporterez, je le sais, une contribution utile aux choix que nous devons faire pour le futur.

Notre pays compte historiquement un très grand nombre de communes, caractérisées par la dispersion et l'hétérogénéité. A cet égard, la construction de l'Union Européenne pourrait être considérée comme une menace pour nos petites villes. Mais si nous sommes dynamiques, inventifs, cohérents ; si nous sommes capables d'exprimer des idées nouvelles, de porter les aspirations de nos concitoyens, en un mot, si nous sommes résolument tournés vers l'avenir, alors oui, c'est certain, nos communes trouveront toute leur place dans la France et dans l'Europe d'aujourd'hui.

L'évolution des toutes dernières années nous permet d'être optimistes. Je ne citerai que deux faits assez révélateurs à mes yeux :

D'abord celui de notre dynamisme démographique. Ce sont en effet, nos petites villes qui connaissent le plus fort accroissement de population. C'est un changement majeur dans notre histoire dont il y a tout lieu de se réjouir.

Ensuite, je remarque que nous savons saisir les occasions lorsque celles-ci se présentent. La loi sur l'intercommunalité de 1999 est l'exemple même de notre prise de conscience que l'attitude du « chacun pour soi » dans la recherche de nouvelles bases fiscales est suicidaire. J'en veux pour preuve que le nombre de groupements de communes à Taxe Professionnelle Unique parmi nos petites villes se soit multiplié par 7 entre 1999 et 2000.

Vos travaux portent aujourd'hui notamment sur l'autonomie financière des collectivités locales. Cette question traduit une ambition, un espoir mais d'abord un légitime sujet de préoccupation : suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation, et, bientôt, de la vignette. Force est de constater que les décisions récentes pourraient être considérées comme une étape supplémentaire de la remise en cause de notre autonomie fiscale. Comment, dans ces conditions assurer nos responsabilités ?

Je voudrais vous livrer mon sentiment sur cette question. Nous nous trouvons face à une alternative :

- soit on considère, comme en Allemagne, que les élus locaux sont jugés par les citoyens sur l'efficacité de leurs dépenses au profit de la collectivité dont ils ont la charge. Dans ce cas, la Loi fondamentale allemande leur assure logiquement des ressources stables et pérennes, et leur garantit une forte péréquation ;

- soit, on continue, comme en France, à considérer que le suffrage universel juge aussi les élus locaux sur le niveau des impôts qu'ils votent. Mais en ce cas, il est nécessaire que les impôts locaux soient calculés sur des bases modernes, adaptées à la vie économique et à la capacité contributive des ménages et des entreprises. Or, on continue à traiter les conséquences plutôt que les causes.

On persiste ─ à coup d'exonérations et de plafonnements ─, à vouloir corriger les incohérences de l'impôt local plutôt que de s'interroger sur ses bases mêmes, qui sont aujourd'hui totalement inadaptées.

Où est la crédibilité de nos impôts locaux sur les ménages quand leur mode de calcul reste finalement très proche de celui de l'impôt sur les portes et fenêtres du Directoire ?

Allons-nous rester l'un des seuls 1 pays modernes dans lequel la base de l'impôt local ne tient pas compte des revenus de chaque contribuable ? Je ne le crois pas. Il n'en reste pas moins que la réforme des impôts locaux, prévue pourtant, il y a près de 20 ans dans les lois Defferre, n'a jamais vu le jour.

Pourtant deux réformes d'envergure ont été tentées depuis 20 ans : celle, visant la valeur ajoutée dans les bases de la Taxe Professionnelle, en 1980, et celle, destinée à intégrer la capacité contributive des ménages dans le calcul de la part départementale de la taxe d'habitation, en 1991.

Or, ce ne sont ni les divisions au sein des majorités de l'époque, ni l'attitude de leurs oppositions respectives qui ont fait échouer ces réformes, rationnelles et souhaitables. C'est, à chaque fois, le refus du Ministère des Finances qui a brisé cet élan. Parce que nous n'avons pas su, à ces moments là, mesurer suffisamment les conséquences que ces réformes pourraient avoir sur l'organisation même des services de ce ministère. Nous ne devons pas répéter cette erreur.

Je souhaite également profiter de notre rencontre pour évoquer un des grands chantiers que s'apprête à engager le Parlement : la réforme de l'ordonnance de 1959, qui règle les modalités selon lesquelles le budget de l'Etat est élaboré, discuté et voté.

C'est à la fois une exigence et une nécessité : l'Etat, dans le vote de son budget, doit s'aligner sur les pratiques qu'il a imposées progressivement aux collectivités locales et aux entreprises. Il en va de la crédibilité même du législateur. L'Etat doit s'appliquer à lui-même les règles de lisibilité et de transparence qu'il a imposées aux autres acteurs économiques ou territoriaux, pourtant beaucoup moins richement dotés. Rappelons-nous les difficultés de mise en place de la M14 dans nos collectivités locales : si nous avons dû la mettre en application pour nos budgets qui s'élèvent à quelques dizaines voire quelques centaines de millions de Francs, il vous paraîtra sans doute tout à fait normal que l'Etat s'applique, à l'avenir, des règles identiques quand son budget atteint plus de 1700 Milliards de Francs.

Par cette réforme, la présentation des lois de finances se fera sur des bases entièrement nouvelles. En effet, les ministres devront désormais proposer leur budget sur la base de « programmes d'action », avec des « indicateurs de résultats ». L'objectif est de mieux comprendre l'utilité et l'efficacité de chaque dépense. Nous voulons passer d'une comptabilité de caisse d'un autre temps fondée sur une culture de moyens, à une comptabilité analytique recherchant la performance.

Cette réforme ne sera pas sans conséquences pour nos petites villes, notamment sur les relations financières qu'elles entretiennent avec l'Etat.

En effet, comme tous les crédits qui seront alloués dans le Budget de la Nation, les dotations au profit des collectivités locales pourraient s'inscrire dans un programme qui, par exemple, pourrait s'intituler « soutien de l'Etat aux actions des collectivités territoriales ».

Demain, avec cette nouvelle procédure d'examen des lois de finances, nous pourrons mieux analyser les relations financières de l'Etat avec les collectivités locales grâce à des indicateurs précis de performance et de résultats :

* par exemple, s'agissant des subventions : l'indicateur qui serait retenu devrait permettre de savoir si les aides de l'Etat ont été efficaces, rapides et utiles ;

* pour les dotations : le paramètre de performance viserait à mesurer si les ressources confiées aux collectivités locales tiennent bien compte des charges transférées dans le même temps ;

* pour la péréquation : la référence permettrait d'indiquer si les dispositifs existants pour rééquilibrer les disparités entre collectivités locales sont suffisants ;

* enfin, pour les compensations : l'indicateur choisi devrait pouvoir déceler si les sommes versées en échange des exonérations d'impôts locaux sont justement calculées ou si elles induisent des effets pervers.

On devrait ainsi voir progressivement l'Etat mieux respecter ses engagements en matière de dotations aux collectivités locales et le Budget échapper aux soupçons de manipulations supposées ou réelles sur leur indexation.

Vous comprendrez donc pourquoi j'attache une telle importance à cette réforme de l'ordonnance de 1959.

Au cours des dernières années, les mécanismes d'incitation à l'intercommunalité ont favorablement évolué. Mais il reste encore beaucoup à faire.

Aujourd'hui, vous allez réfléchir à l'évolution des bases mêmes de nos impôts locaux, et à leur spécialisation par type de collectivité territoriale.

Demain, avec cette réforme de l'ordonnance de 1959, c'est le quatrième volet de la modernisation des outils nécessaires à l'action des collectivités locales qui sera abordé : celui de la transparence des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.

Le projet est ambitieux et exigeant ; l'entreprise longue et difficile. Mais j'ai bon espoir que nous parvenions à donner aux collectivités locales, particulièrement à celles que nous représentons, les moyens d'être plus efficaces au service de nos concitoyens.

1 - Avec la Grande-Bretagne. Mais dans ce pays, il y a eu une volonté affichée du gouvernement Thatcher de mettre en place un impôt de capitation.