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Sixième Grande Commission franco-russe
à Moscou le jeudi 12 octobre 2000

Discours de Monsieur Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président de la Douma d'Etat,

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les membres de la Douma d'Etat et de l'Assemblée nationale, chers collègues et amis,

Mesdames et Messieurs,

Au nom de la délégation qui m'accompagne et en mon nom personnel, je tiens à remercier le Président Seleznev pour son accueil si chaleureux. Permettez-moi de vous dire que nous sommes particulièrement heureux de nous trouver aujourd'hui parmi vous à la Douma à l'occasion de la 6ème réunion de la Grande Commission Franco-Russe.

Comme vous le savez, les parlementaires français attachent une très grande importance à nos réunions annuelles qui témoignent de notre volonté commune de développer et approfondir les échanges entre nos Parlements. L'Assemblée nationale française n'entretient une coopération aussi régulière et étroite qu'avec les Parlements canadien et allemand, preuve de notre désir d'avoir avec la Douma un dialogue à la mesure de l'importance de la Russie dans les relations internationales et de sa contribution à l'équilibre européen.

Si la Douma et l'Assemblée nationale ont un lien si privilégié, c'est probablement parce qu'elles ont des origines semblables. Elles plongent toutes deux leurs racines dans des Etats généraux, vos anciens Zemstvo, émanation d'une société féodale divisée en ordres et convoquée par la seule décision d'un souverain absolu. Elles sont nées, ensuite, de la volonté de nos peuples, de transformer ces Etats généraux en Assemblées élues.

Nos deux peuples ont ainsi décidé, dans des contextes historiques et géographiques profondément différents, mais de la même façon, de prendre leur destin en mains et de le confier à des représentants librement élus.

Ce sont, je le crois, ces origines communes qui expliquent l'ancienneté, la régularité et la bonne qualité de notre coopération bilatérale. Nos Parlements ont une vocation éminente à contribuer au rapprochement entre les peuples russe et français, car ils incarnent le droit fondamental de la personne humaine à être associée aux orientations dont dépend son avenir.

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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, en l'espace d'une génération, un monde nouveau est né.

Un monde plus libre, débarrassé de la guerre froide qui a trop longtemps séparé les peuples européens. Un monde sans frontières pour l'information et l'économie. Un monde certes global mais inégal. Un monde de progrès accéléré, mais aussi de fractures accentuées. Un monde de promesses sans précédent, mais instable, fragile, à la recherche de ses repères.

Dans ce monde en pleine transformation, promouvoir la coopération et l'amitié entre les peuples grâce aux échanges entre leurs représentations élues est une mission indispensable sinon vitale. Les réunions annuelles de notre commission bilatérale doivent nous permettre de réfléchir ensemble aux préoccupations et aux attentes de nos peuples.

Les quatre thèmes inscrits cette année à l'ordre du jour de la Grande Commission me paraissent refléter les préoccupations essentielles du moment. C'est pourquoi je souhaite pouvoir les évoquer devant vous.

I) L'équilibre stratégique tout d'abord.

Si l'armement nucléaire a parfaitement rempli son rôle - paradoxal - pendant un demi-siècle en empêchant la guerre froide de dégénérer en conflit mondial, on peut légitimement s'interroger, en ce début de XXIème siècle, sur son avenir, sur l'avenir de ce qu'on a si justement appelé « l'équilibre de la terreur ».

Notre monde est d'ores et déjà entré dans une phase post-nucléaire : politiquement et militairement, la possession de l'arme atomique ne joue plus le rôle central qui était le sien dans les relations internationales de 1945 à 1990.

Toutefois, une politique de défense ne se bâtit pas du jour au lendemain. Le monde qui sera le nôtre au XXIème siècle est loin de nous apparaître sous toutes ses dimensions. En attendant d'en mieux percevoir les contours, il faut nous appuyer sur les réalités du monde actuel : les armes atomiques y sont encore présentes massivement puisqu'il y a encore aujourd'hui 36 000 têtes nucléaires sur la planète.

Je ne suis pas partisan par principe de l'arme nucléaire, mais tant que d'autres pays posséderont une telle arme ou seront au seuil de sa possession, il me paraît inévitable que la France conserve sa force de dissuasion pour garantir son indépendance et assurer sa sécurité.

Cependant, tout en préservant sa force de dissuasion, la France doit s'engager résolument en faveur de la réduction des armements nucléaires dans le monde. Elle s'y est d'ores et déjà engagée en renonçant au développement de plusieurs programmes et en réduisant considérablement son arsenal nucléaire.

La France a, en outre, été le premier Etat nucléaire, avec le Royaume-Uni, à ratifier le 6 avril 1998, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires.

Mais les efforts de la France en faveur du désarmement nucléaire ne peuvent être efficaces qu'à la condition que les deux plus grandes puissances nucléaires, la Russie et les Etats-Unis, s'engagent aussi résolument dans cette voie.

C'est pourquoi, l'Assemblée nationale se réjouit de la ratification, par la Fédération de Russie, en cette symbolique année 2000, du Traité START II et du T.I.C.E. Nous savons le rôle fondamental joué par la Douma dans le processus de ratification de ces deux traités et nous nous en félicitons.

Il est de notre devoir, à nous parlementaires qui avons déjà autorisé nos exécutifs à le ratifier, d'appeler tous les Etats qui ne l'ont pas encore fait, en particulier ceux parmi les 44 pays dont la ratification est nécessaire à l'entrée en vigueur du T.I.C.E., à signer et à ratifier ce traité le plus rapidement possible.

Notre Assemblée, comme la vôtre, regrette le refus de ratifier le T.I.C.E. exprimé par le Sénat des Etats-Unis. C'est, en effet, un bien mauvais signe adressé aux Etats qui doutent encore de la réalité de l'engagement des grandes puissances nucléaires en faveur du désarmement.

Par ailleurs, nos gouvernements ont eu raison d'exprimer leur inquiétude à l'égard du projet américain d'édifier un bouclier antimissiles. Une telle initiative pourrait remettre en cause le traité antimissile ABM, pilier fondamental de l'équilibre stratégique.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, pour conclure, sur ce sujet d'importance, il me paraît essentiel de ne pas oublier que dans le domaine du nucléaire, qu'il soit militaire ou civil, nos Parlements doivent aussi exercer leur pouvoir de contrôle. Informer, expliquer sont, en effet, devenus des impératifs de notre époque.

Les parlementaires français sont convaincus des mérites d'une transparence accrue, véritable mesure de confiance volontaire destinée à rassurer nos opinions publiques, parfois inquiètes devant des risques nucléaires insuffisamment maîtrisés. Le gouvernement français, en ouvrant le site d'expérimentations nucléaires du Pacifique à des visites nationales et internationales, témoigne de cette volonté de transparence.

La sûreté de certaines installations nucléaires, militaires ou civiles, en Russie et en Europe Centrale et Orientale, suscite parfois des inquiétudes légitimes parmi nos opinions publiques. La récente tragédie du Koursk a vivement ému mes compatriotes. Certes, dans le domaine nucléaire, comme dans la plupart des autres domaines, le risque nul n'existe pas.

Mais je suis convaincu qu'il faut faire prévaloir la transparence et la sûreté nucléaire sur toute autre considération. C'est pourquoi je crois que les autorités russes gagneraient davantage la confiance des autres Nations si elles étaient plus transparentes en cas d'incident touchant une installation nucléaire, qu'elle soit civile ou militaire. Je ne doute pas sur ce point de l'attention vigilante de la Douma.

II) Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je souhaite aborder à présent le second point inscrit à l'ordre du jour de notre commission : la coopération entre la Russie et l'Union européenne.

Comme vous le savez, la France attache la plus grande importance au processus d'intégration politique et économique en oeuvre à l'Ouest de l'Europe depuis plus de quarante ans. Les progrès de l'intégration régionale sur tous les continents sont un élément de l'indispensable régulation de la mondialisation.

Mais le processus d'intégration régionale en cours au sein de l'Union européenne ne doit oublier personne. La Russie doit y être pleinement associée et cette association doit répondre à une double exigence : accompagnement des réformes économiques et soutien aux valeurs de la démocratie. Sans une Russie libre et prospère, il n'y aura pas d'Europe stable et forte.

L'entrée en vigueur de l'accord de partenariat et de coopération entre la Russie et l'Union, le 1er décembre 1997, a constitué un premier pas très positif pour faciliter une meilleure insertion de l'économie russe dans l'économie européenne. Il donne non seulement à la Russie des avantages commerciaux dans la plupart des secteurs, mais l'accès des entreprises russes au marché communautaire en est facilité.

J'ajoute que la mise en oeuvre de l'euro a contribué efficacement à la stabilité et à la simplification du cadre monétaire des échanges entre la Russie et l'Union.

Mais le succès des réformes économiques dépendra de la capacité de la Russie à s'intégrer pleinement dans l'économie européenne et mondiale. C'est pourquoi l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce constitue une priorité aux yeux de l'Union européenne.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je souhaite que le prochain sommet entre l'Union et la Russie à Paris le 30 octobre prochain soit l'occasion de réaffirmer un partenariat fort et étroit fondé sur des valeurs communes, en particulier les droits de l'homme et le respect des libertés fondamentales. Renforcer les institutions démocratiques, assurer la primauté du droit, garantir une économie de marché fondée sur un cadre réglementaire clair et stable sont le meilleur moyen de créer un climat de confiance nécessaire à la réussite du développement de l'économie russe.

La coopération entre l'Union européenne et la Russie doit aussi avoir pour objectif d'étendre la paix et la prospérité à l'ensemble du continent européen et en particulier dans les Balkans qui souffrent depuis dix ans d'une instabilité chronique.

Mesdames et Messieurs, dans cette entreprise difficile mais indispensable, nos Parlements doivent également pouvoir jouer un rôle. C'est le troisième point que je souhaite à présent aborder avec vous.

III) Le rôle de nos Parlements dans le règlement de la crise des Balkans

La situation dans les Balkans occidentaux reste, pour l'ensemble de la communauté internationale, un sujet de très grande préoccupation. Les dix années de conflits qui ont ravagé cette région ont engendré des situations humainement dramatiques et politiquement instables.

Mais, au-delà des énormes difficultés ainsi accumulées et du retard du développement économique et social de beaucoup de ces pays, tous les peuples et presque tous les responsables de cette région ont pris conscience que son avenir passe par l'instauration de régimes démocratiques, respectueux des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

C'est ce que vient de confirmer avec éclat, il y a tout juste une semaine, le peuple serbe qui, après avoir manifesté sa soif de démocratie par les urnes, a choisi, en prenant possession du Parlement de Belgrade, de ne pas se laisser voler la victoire par un pouvoir en perdition.

Je suis profondément convaincu que seule l'instauration d'institutions démocratiques, conformes aux traditions et idéaux de chacun, est à même de rapprocher les différentes nations de la région des Balkans et d'assurer leur coexistence pacifique.

Il nous appartient à nous parlementaires de veiller à ce que les Etats de cette région prennent les mesures nécessaires pour que les structures politiques reposent sur une participation sans réserve de tous les citoyens, sans distinction de race, d'ethnie, de langue ou de religion.

Au Kosovo, en Bosnie, comme partout ailleurs sur notre continent, seule la liberté permettra à la violence de reculer et à la paix de s'installer.

Je suis profondément convaincu que le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats n'est pas incompatible avec le devoir de nos Parlements de veiller au respect des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et à notre obligation de prêter assistance aux minorités nationales, ethniques, religieuses ou linguistiques opprimées.

La Douma et l'Assemblée nationale doivent unir leurs efforts dans les Balkans afin de faire reculer ces terribles fléaux que sont la violence, le terrorisme, les trafics d'armes, de drogue, d'argent sale et d'êtres humains qui ternissent encore l'image de notre continent. La recherche de la paix, toujours fragile, requiert notre vigilance de chaque instant et notre engagement conjoint.

Pour conclure, sur ce point, depuis quelques années se manifestent, dans tous les pays d'Europe y compris ceux où la démocratie est enracinée depuis très longtemps, des revendications autonomistes régionales parfois violentes que nous nous devons de traiter pacifiquement sans porter atteinte à nos unités nationales.

La Russie est également confrontée sur son territoire - notamment en Tchétchénie - à ce phénomène. Je formule très sincèrement le voeu que vous sachiez trouver en vous-même, dans la tolérance et le respect des droits de l'homme, la solution à ce problème posé autant à vos consciences qu'à vos institutions.

Mesdames et Messieurs, le dialogue entre nos deux Assemblées doit également être au service du rapprochement entre nos peuples. Il doit compléter et enrichir le dialogue existant entre nos gouvernements. C'est le quatrième et dernier point que je souhaite aborder avec vous ce matin.

IV) Le rôle de nos Parlements dans la recherche des voies d'élargissement de la coopération intergouvernementale franco-russe.

L'Assemblée nationale entend prendre toute sa part au dialogue franco-russe. Ce dialogue a d'autant plus d'intérêt au niveau parlementaire que les institutions parlementaires russes, en particulier la Douma, jouent un rôle majeur dans le processus de transformation en cours de la Russie. C'est d'elles que dépend la mise en place du cadre juridique régissant non seulement la société mais aussi la vie économique.

Ces responsabilités de la Douma rendent particulièrement intéressant l'échange de réflexions et d'expériences sur la pratique et les méthodes législatives, mais aussi sur le fond des sujets. Notre coopération bilatérale est déjà intense et multiforme.

Je souhaite toutefois que nous puissions développer encore nos échanges bilatéraux notamment en recevant à Paris des jeunes parlementaires russes, élus pour la première fois lors des dernières élections législatives. Nous pourrions ainsi les sensibiliser au fonctionnement de nos Institutions et échanger avec eux notre regard sur le monde.

Conclusion

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, depuis dix ans maintenant la Russie est engagée, aux côtés d'un nombre de plus en plus grand d'Etats, sur le chemin de la démocratie. Beau chemin que celui là ! Beau mais difficile et long ! Ne croyez pas que les pays occidentaux soient arrivés à son terme. Il y a toujours plus de démocratie à construire.

Dans le domaine des droits de l'homme, malheureusement, nulle part, rien n'est jamais acquis et il faut éviter de relâcher notre vigilance.

Chaque jour sur le métier de la démocratie il convient de remettre notre ouvrage de liberté.