Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Vœux à M. Jacques CHIRAC,
Président de la République française
Palais de l'Elysée - jeudi 4 janvier 2001

Allocution de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président de la République,

En cette première année du troisième millénaire, la mission m'est pour la première fois confiée d'adresser, au nom de l'Assemblée nationale, mes voeux au Chef de l'Etat. Je mesure l'honneur qui est le mien. Je sais à quoi je le dois : à la République qui est notre maison, à la démocratie qui en est le fondement.

Si je me laissais aller, devant vous, à filer la métaphore, je dirais que c'est une maison à plusieurs ailes, - et adaptable, comme nous l'a montré l'Histoire de ces vingt dernières années, à trois reprises.

Le Président de l'Assemblée nationale n'a théoriquement pas à connaître de cela, mais seulement des relations qu'entretient l'aile du législatif avec celle qui est la vôtre. Depuis le début de la Vème République, ces relations ont été durablement marquées par la révérence.

Je crois que ce temps va sur sa fin. Sans que fassent jamais défaut le respect et la considération dus aux fonctions et à leurs attributions, et aux hommes bien sûr ; sans que soit remis en cause le coeur même des institutions, la République pourrait connaître de nouveaux équilibres et cela pour le plus grand bien de nos concitoyens ; pour qu'ils n'aient plus le sentiment, pas toujours infondé, que le pouvoir a pris, à notre époque, des allures de Cité interdite de la Chine ancienne.

Car - et cette remarque relève de l'évidence - l'action du pouvoir n'est visible qu'au Parlement, Assemblée nationale et Sénat. Si les Français ne peuvent voir le Président de la République promulguer les lois ou négocier les traités ; s'ils n'assistent pas aux délibérations du conseil des ministres, ils sont témoins à leur gré des débats des Assemblées.

Diverses initiatives ont été prises, par mon prédécesseur ou par moi, qui sont de nature à ce que le Parlement, et en particulier la Chambre que je préside, use pleinement des compétences que lui attribue la Constitution, mais qui avaient été jusqu'alors méconnues ou maintenues en sommeil.

(J'y ajouterai, due à un autre de mes prédécesseurs, l'instauration de la session unique, grâce à laquelle, tout en accroissant le travail déjà lourd des députés - et des sénateurs -, le Parlement est dorénavant un pouvoir continu, et non plus, du moins en apparence, un pouvoir intermittent, sinon sporadique, si ce n'est subsidiaire.)

Bien appréciées des Français désormais, les commissions d'enquête parlementaires contribuent, sans empiéter sur le pouvoir exécutif ou l'autorité judiciaire, à l'analyse et à la solution des difficultés de notre temps.

Outre les commissions sur les prisons, qui ont vu le Sénat et l'Assemblée nationale aller d'un même pas, je citerai celle que j'ai côtoyée au plus près, puisque j'avais été appelé à sa présidence, la commission d'enquête sur la Corse, souci récurent de la République depuis trop d'années, et qui a apporté sa pierre à l'élaboration d'un projet de loi qui, s'il est, par nature, discutable (et le Parlement est là pour ça), réunit un large assentiment, dans l'île et sur le continent.

Il faut en effet bien voir que l'oeil du parlementaire n'est pas celui du fonctionnaire, pas davantage celui du magistrat, sans doute pas celui du ministre. Plus que tout autre acteur de la vie publique, le parlementaire, par vocation, regarde chaque jour ce que vivent, ce que souffrent, parfois ce qu'endurent nos concitoyens. Malheur à celui qui l'oublie. Les électeurs sauraient le lui rappeler.

Assurément moins connue des Français puisque nous en sommes au stade de l'élaboration, je mentionnerai aussi la révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui fixe, ai-je besoin de le préciser dans une telle enceinte  ? les conditions de présentation du budget de la France.

D'un mot, chacun le sait en ces lieux, il s'agit de permettre aux parlementaires de comprendre ce qu'ils votent, pour ou contre. Or, et ce n'est pas dans ma bouche - on s'en doute - diffamer ces parlementaires que d'avouer combien les documents budgétaires actuels sont, pour l'immense majorité d'entre eux à commencer par moi, du chinois, sinon du japonais.

Ce n'est pas tout de consentir à l'impôt, pour reprendre l'expression qui vit pour la première fois le jour en Angleterre le 19 juin 1215 sous le règne de Jean Sans Terre ; encore faut-il savoir ce qui est consenti. La révision a pour but de conduire à cela. Et ce serait une grande erreur, je le répète, de n'y voir qu'une mesure technique. Permettons, oserai-je dire : enfin ! aux Français de comprendre à quelles fins sont employées les contributions qu'ils versent et la démocratie aura fait un grand pas.

Ce progrès, cette avancée, le Parlement pourra s'en enorgueillir. Mais, d'abord, soyons réalistes, une telle réforme ne pourrait être adoptée si « l'autre aile » de la maison s'y opposait. Ce n'est pas le cas. Au contraire.

Ensuite, surtout (c'est ma conception de la vie publique), la République est un tout qu'aucun de ses composants ne peut s'approprier. Quelles que soient les circonstances, il y a une solidarité de fait entre les ailes du bâtiment que, de manière un peu facile, je décrivais. Dans la continuité de la République, au-delà de ses contingences momentanées, ce qui bénéficie à l'un profite à l'autre, et inversement. Si le pouvoir législatif peut mieux travailler, le pouvoir exécutif n'aura qu'à s'en louer. Les Français rassembleront et l'un et l'autre pour leur accorder leur confiance dans ce pays au régime si singulier : ni présidentiel, ni parlementaire ; présidentiel ET parlementaire. Ce que l'on pourrait, somme toute, désigner encore une fois sous le nom d'« exception française ».

Monsieur le Président de la République, à vous-même, à votre épouse, Madame Bernadette Chirac, à votre famille, à vos proches, à vos amis, à vos collaborateurs, je vous souhaite en mon nom, au nom du Bureau de l'Assemblée nationale, au nom de tous les députés, au nom du personnel de l'Assemblée, une très heureuse année.