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Ouverture du colloque « Pour défendre la paix, réformer l'ONU »
au Centre de conférences internationales - mercredi 31 janvier 2001

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Messieurs les Présidents,

Messieurs les Ministres,

Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO,

Monsieur le Secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

C'est pour moi un grand plaisir que de m'adresser à vous aujourd'hui et je vous souhaite, au nom de l'Assemblée nationale, la plus chaleureuse bienvenue au Centre de conférences internationales.

Je me félicite de l'initiative conjointe des Présidents Quilès et Loncle d'organiser un colloque consacré à la nécessaire réforme de l'Organisation des Nations Unies, pour mieux préserver la paix dans le monde. Je remercie le Ministère des Affaires étrangères de bien avoir voulu accueillir nos débats, signe de la complémentarité de notre Assemblée et du Quai d'Orsay, au service de la politique étrangère de la France.

Mesdames et Messieurs, s'adressant à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 28 septembre 1983, le président François Mitterrand déclarait :

« Depuis son origine en 1946 - et je n'oublie pas que la France fut, à San Francisco, l'un de ses membres fondateurs, l'Organisation des Nations Unies - a rempli un rôle essentiel. Quels qu'aient été les résultats de son action, elle est restée ce lieu unique où, malgré les déconvenues et l'éternelle tentation de la force, les solutions pacifiques ont été inlassablement recherchées. Par le seul témoignage de cette aspiration et de cette persévérance, elle symbolise ce qu'il y a de meilleur dans la communauté internationale. »

Cet hommage du Président Mitterrand à l'action et au rôle de l'ONU est, en ce début de XXIème siècle, plus que jamais d'actualité. Nous devons en être tous convaincus : l'ONU est irremplaçable. Elle est une construction unique. Elle est universelle, elle a plus d'un demi-siècle, elle est enracinée dans la société internationale.

L'influence qu'exerce l'Organisation des Nations Unies dans le monde n'est pas la conséquence du pouvoir qu'elle détient mais des valeurs qu'elle incarne, du rôle qu'elle joue au service du rapprochement entre les peuples.

Après le désastre de la Seconde Guerre mondiale, l'objectif premier des pères fondateurs de l'ONU était de « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». La création de l'ONU constitue donc d'abord et avant tout un projet politique, né d'idéaux élevés et de nobles aspirations.

Cet objectif, reconnaissons-le, n'a été que partiellement rempli. En partie paralysée par des décennies de guerre froide, l'ONU n'a retrouvé une certaine efficacité que depuis une dizaine d'années. A côté d'indéniables succès au Cambodge, au Salvador ou encore au Mozambique, les Nations Unies ont connu des échecs qui ont pour nom Somalie, Rwanda, ou Srebrenica.

En ce début de siècle, nous sommes donc confrontés à un paradoxe. D'une part, les Nations Unies sont la seule organisation ayant une légitimité suffisante pour relever avec succès les défis du maintien de la paix dans le monde. Elles incarnent les espoirs et les aspirations de millions de personnes. D'autre part, les citoyens du monde s'impatientent devant les difficultés de l'ONU à remplir sa mission première de maintien de la paix. On lui reproche de ne pas agir assez vite, de faire trop peu, de négliger certaines régions du monde.

Que peut-on faire, que doit-on faire pour permettre à l'ONU d'exercer pleinement sa responsabilité principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales que lui confère la Charte ?

Pour répondre à ces questions essentielles, que vous allez examiner au cours de ces deux journées, permettez-moi de proposer brièvement quatre orientations qui me paraissent particulièrement importantes.

1. Premièrement, l'ONU doit tirer toutes les conséquences des changements intervenus dans la nature des conflits qui sont désormais, pour la plupart, internes aux Etats.

Ces conflits ont, je le rappelle, au cours des dix dernières années, fait plus de 5 millions de morts, et ont chassé des dizaines de millions de personnes de chez elles. Les modes et les domaines d'intervention du Conseil de sécurité en sont transformés, de la prévention des conflits à la consolidation de la paix.

Pour prévenir ces conflits internes aux Etats, l'ONU doit d'abord agir sur leurs causes : le sous-développement économique et social, l'absence ou l'insuffisance de démocratie, d'Etat de droit, de respect des droits de l'homme. Par ces diverses institutions spécialisées, l'ONU dispose des outils pertinents à cette fin. Il serait souhaitable de renforcer leurs moyens et de leur fixer des objectifs plus précis. Cette tâche déborde le cadre strict des compétences du Conseil de sécurité mais celui-ci doit être plus vigilant, intervenir plus tôt, avant qu'une situation de tension ne dégénère.

L'ONU doit, ensuite, s'attaquer à tout ce qui finance et alimente les conflits : l'exploitation illégale des ressources naturelles, le trafic de drogues, l'accumulation et le trafic des armes légères et de petit calibre. Ces armes sont, pour des régions comme l'Afrique, un véritable fléau. Il est urgent d'élaborer un dispositif normatif international pour maîtriser la circulation des armes légères.

La communauté internationale - et les Etats qui la composent - doivent aussi confirmer leur assentiment et leur appui aux missions des Tribunaux internationaux chargés de juger les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Je sais que cette « ingérence judiciaire » est encore mal acceptée par certains, mais la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a consacré un devoir d'ingérence vis à vis de ceux, de tous ceux qui croient pouvoir opprimer leurs peuples à l'abri de leurs frontières. Les principes fondamentaux de souveraineté nationale et de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats perdent de leur sens quand un dictateur ou un chef de guerre s'est mis de lui-même hors de sa propre Nation. L'entrée en vigueur, je l'espère dès cette année, du statut de la Cour pénale internationale viendra consacrer en droit international ce devoir d'ingérence.

L'ONU doit, enfin, être attentive à la consolidation durable de la paix. L'action du Conseil de sécurité doit notamment être complétée par des mesures de réintégration des combattants démobilisés dans la vie économique, pour éviter une résurgence des violences. Il faut donc veiller à l'élaboration de stratégies cohérentes de reconstruction de l'Etat et de l'économie, mises en oeuvre par les institutions multilatérales.

2. Deuxièmement, les Etats membres doivent améliorer les moyens d'action dont dispose le Conseil de sécurité pour la préservation de la paix.

Au cours des années 1990, le Conseil de sécurité a eu recours aux sanctions comme jamais auparavant. L'expérience ainsi accumulée permet d'en faire à l'avenir un meilleur usage : il faut désormais mieux définir les objectifs poursuivis et limiter l'exercice de sanctions à certaines situations exceptionnelles. Ces sanctions doivent avoir une durée limitée, même si elles peuvent être renouvelables. Elles doivent s'efforcer d'affecter surtout les dirigeants et non les populations civiles ou les pays tiers. Leur application doit être plus rigoureuse, sans que cela entraîne pour autant une vague de sanctions secondaires.

Au cours de cette même décennie, la nature et les fonctions des opérations de maintien de la paix se sont considérablement diversifiées. La plupart ont été marquées par de nombreuses difficultés. On peut en tirer trois leçons :

D'abord, les préoccupations budgétaires ne doivent jamais être une contrainte a priori. La paix n'a pas de prix. La situation financière de l'ONU doit être durablement assainie. J'espère que la réforme des deux barèmes, celui du budget ordinaire et celui des opérations de maintien de la paix, adoptée à la fin du mois de décembre par l'Assemblée générale, incitera tous les Etats à régler leurs arriérés.

Ensuite, le Conseil de sécurité doit veiller à une bonne adéquation entre les objectifs poursuivis, le mandat de l'opération et les moyens qui y sont consacrés. Les états-majors désignés pour chaque mission doivent se voir fixer des objectifs précis, et jouir d'une latitude suffisante dans l'utilisation des moyens, pour que leurs troupes ne soient pas contraintes à l'impuissance, et réduites à la honte, devant des destructions massives, des exterminations ou des pillages comme ce fut trop souvent le cas en Croatie et en Bosnie.

Enfin, les Etats doivent mettre à la disposition des Nations Unies le personnel et le matériel nécessaires, en quantité et en qualité. Lorsque ce sont des pays en développement qui fournissent la majorité des troupes, ils doivent bénéficier d'un appui réel et significatif des pays développés en formation et en équipement.

Pour conclure sur ce point essentiel, je voudrais rendre hommage au groupe d'experts sur les opérations de maintien de la paix présidé par Monsieur Lakhdar Brahimi, dont je salue la présence parmi nous. Je souhaite vivement que le rapport remis au Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, le 21 août dernier, soit mis en oeuvre dans ses principales recommandations afin de permettre à l'Organisation de mieux répondre aux menaces actuelles et à venir. Je félicite le Secrétaire général des premières suites qu'il a déjà données à ce rapport. Mais il faudra sans doute aller plus loin.

3. Troisièmement, le Conseil de sécurité doit renforcer son partenariat avec les organisations régionales.

Certains progrès ont été faits en ce sens. En témoigne la coopération entre les Nations Unies et l'Alliance Atlantique dans les Balkans ou la CEDEAO en Afrique de l'Ouest. Mais des améliorations sont nécessaires. Une concertation plus étroite et plus précoce est indispensable quand est envisagée, dans un règlement de paix, une opération des Nations Unies ou bien lorsqu'une opération des Nations Unies doit prendre le relais d'une opération multinationale.

4. Enfin, quatrième et dernière orientation, il faut réformer le Conseil de sécurité.

Pour conserver toute son autorité, le Conseil de sécurité doit mieux refléter la réalité du monde. En 1963, date de son précédent élargissement, les Nations unies comptaient 110 membres. Il y en a maintenant 189. De nouvelles puissances sont apparues. C'est pourquoi, le gouvernement français, soutenu par la Représentation nationale, est favorable à un élargissement du Conseil dans les deux catégories de membres, permanents et non permanents, ainsi qu'à une meilleure représentation des pays du Sud.

Voilà, Mesdames et Messieurs, brièvement évoqués les sujets dont vous allez débattre au cours de ce colloque.

Il y a dans la vie des Institutions comme dans celle des hommes des moments clés où tout semble possible. En cette symbolique année 2001, l'ONU me paraît être dans une de ces périodes clés.

Au cours de plus d'un demi-siècle d'existence, l'ONU a mis au point une méthode de fonctionnement unique en son genre et développé sa propre culture administrative, qui, malheureusement, n'a pas été, jusqu'à présent, aussi efficace que celle des meilleures administrations nationales. Or cette efficacité est de plus en plus indispensable compte tenu de tous les défis qu'elle doit relever.

Il est essentiel que les Etats membres se rendent compte que l'avenir de l'ONU est entre leurs mains. C'est à eux et eux seuls qu'il appartient de donner un sens aux premiers mots de la Charte « Nous, peuples des Nations Unies ».

Mesdames et messieurs, ce que mes collègues députés et moi-même attendons de ce colloque, c'est qu'il contribue à apporter des réponses à toutes ces questions essentielles sur l'avenir de l'ONU au service de la paix dans le monde. Dans la poursuite de cet objectif indispensable, réformer l'ONU pour mieux préserver la paix, nous ne pouvons pas nous permettre d'être hésitants ni de prendre du retard.

Je vous remercie de votre attention.