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Inauguration d'une plaque commémorative
en hommage à Jacques Chaban-Delmas,
au 101 rue de l'Université le mercredi 28 mars 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Nous sommes réunis aujourd'hui pour célébrer le souvenir d'un homme d'exception, d'une personnalité exemplaire qui a profondément marqué l'Histoire de notre pays.

Jacques Chaban-Delmas nous a quittés le 12 novembre dernier, quatre années, jour pour jour, après avoir été proclamé Président d'honneur de l'Assemblée nationale. Nous avons perdu un ami, un compagnon de débats tolérant et respectueux, mais aussi un modèle exigeant de courage et de liberté. C'est donc avec une très grande fierté qu'au nom de l'Assemblée que je préside, je lui rends hommage aujourd'hui.

Jacques Chaban-Delmas fut d'abord et pour toujours un héros de la Résistance, jeune soldat de « l'Armée des Ombres » et compagnon de la Libération. Aux heures les plus sombres de notre Histoire, celui qui dans nos mémoires restera « Chaban », embrasse un destin où se mêlent, de façon indéfectible, son amour pour la France et sa fidélité à la République.

Ce grand sportif, qui avait déjà la passion de l'action et de l'engagement, rentre de la guerre pour entrer en politique, fait le choix de continuer à servir la France en servant l'Etat. D'abord en Gironde, dont il fait dès 1946 sa terre d'élection, puis à Bordeaux, qui demeurera son fief pendant près d'un demi-siècle, et dont le nom reste à jamais lié à celui de Jacques Chaban-Delmas.

Député, maire, grand ministre de la IVème République, Jacques Chaban-Delmas s'est attaché, dans tous ses mandats ou ses fonctions, à agir au nom de l'intérêt général, du service public et du bien commun. C'était là sa droiture, son exigence et sa fidélité aux valeurs qu'il avait reçues en héritage de ses camarades de la Résistance.

Nommé Premier Ministre par Georges Pompidou, il prononce à l'Assemblée nationale, le 16 septembre 1969, un discours visionnaire où il appelle de ses voeux une « nouvelle société », « plus juste », « plus solidaire » et « plus fraternelle ». Aucun parlementaire n'a oublié l'éloquence des mots et la force des convictions de celui qui, sollicitant la confiance de la Représentation nationale, souhaitait voir la France changer d'époque. Tout au long de sa vie, il n'a cessé de se battre pour la grandeur de son pays, et c'est assurément au Palais-Bourbon qu'il laissa le plus grand souvenir de son humanisme sincère et sa profonde loyauté.

Car Jacques Chaban-Delmas fut - qui peut l'ignorer ? - un très grand parlementaire. Il connaissait, j'en fus le témoin, tous les mécanismes, tous les rouages, les  gloires comme les vicissitudes de cette Assemblée, qu'il présida à trois reprises : de 1958 à 1969 ; de 1978 à 1981 ; et de 1986 à 1988. Il est le seul, avec Edouard Herriot, à avoir eu si longtemps cette charge et cet honneur. Lorsqu'il lui succéda en 1988, Laurent Fabius dit de Jacques Chaban-Delmas qu'il « incarnait » la Présidence de l'Assemblée nationale. Il est vrai que durant quinze ans, au « perchoir », il lui donna tout l'éclat que la Constitution de 1958 lui avait réservé en prévoyant pour la première fois que son titulaire l'exercerait pour la durée de la législature.

La présidence difficile des premières Assemblées - tumultueuses - de la Vème République, au sein desquelles aucune majorité ne se dégageait, atteste que Jacques Chaban-Delmas sut faire de sa fonction, avec exigence et impartialité, un magistère et une référence. Son énergie, son charme, son élégance, firent beaucoup pour sa réputation et son succès. Mais, surtout, il montrait dans l'art de présider les débats une autorité, parfois même une sévérité, mais aussi une chaleur et une courtoisie, qui surent lui gagner l'amitié et le respect de tous les parlementaires.

«Le fauteuil du président, écrit-il dans ses Mémoires, est un tonneau de vigie d'où l'on peut se voir lever les tempêtes». Son sens du dialogue et de l'équité surent bien souvent les prévenir, mais sans jamais priver les discussions des confrontations si nécessaires à la marche des idées et à l'exercice quotidien de la démocratie.

Avant tout, Jacques Chaban-Delmas a souhaité rendre son rôle au pouvoir législatif, quand l'heure était à un exécutif tout-puissant. Faisant montre d'une volonté d'ouverture et d'une réelle indépendance d'esprit, il n'hésitait pas à s'opposer - parfois même publiquement - au chef du Gouvernement, lorsque les prérogatives parlementaires étaient menacées. « L'assentiment de la Nation à l'action gouvernementale, disait-il, il faut d'abord le recevoir du Parlement ».

Pendant de longues années, il consacra ses efforts à rendre à l'Assemblée nationale sa véritable place dans notre démocratie, en dotant cette belle institution, dont les traits étaient d'une autre époque, d'une logistique efficace et de procédures modernes. Ce fut une ambition majeure, impérieuse, source de très nombreux changements, dont nous sommes aujourd'hui les héritiers, pour les multiplier et les enrichir.

Je pense, évidemment, à la réforme du règlement mise en oeuvre dès 1967, qui consacre le rôle essentiel des présidents de groupe, qui propose une nouvelle organisation des débats où les droits de l'opposition sont valorisés, par l'attribution d'un temps de parole minimum, qui, enfin, prévoit la création des questions d'actualité, brèves, improvisées, rappelant au Gouvernement sa responsabilité à l'égard du Parlement.

En 1969, Jacques Chaban-Delmas décida également d'offrir aux députés les moyens d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions, en disposant notamment d'un bureau personnel à Paris. Ce fut l'acquisition et la construction du n° 101 de la rue de l'Université, inauguré en 1974.

En hommage à un engagement si sincère en faveur de notre Assemblée, nous sommes réunis aujourd'hui pour donner à ce lieu de rencontres, de travail et de réflexion le nom d'« Immeuble Jacques Chaban-Delmas ». Je souhaite que, grâce à cette plaque commémorative, ce nom et l'homme qui l'a porté ne demeurent pas seulement une flamme brillant dans les livres d'Histoire de France, mais un souvenir vivant dans le coeur de chacun d'entre nous et dans l'esprit de ceux qui nous succéderons.

Jacques Chaban-Delmas disparu, sa voix et son sourire nous manquent. Mais nous continuerons à honorer sa mémoire, à témoigner de son oeuvre et de ce qu'il fut : un ami fidèle, un homme d'honneur, un grand serviteur de la République.