Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

    Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale,

    Club d'Affaires Franco-Egyptien (CAFE) - Le Caire - dimanche 1er avril 2001

    Monsieur le Ministre des transports,

    Monsieur le Président de l'Autorité nationale des tunnels,

    Madame Dopffer,

    Chers collègues,

    Mesdames et Messieurs, et je dirai tout simplement, chers amis,

    Lorsque l'on est à la place où je suis, Président d'une assemblée, on est en général accompagné de collaborateurs qui préparent vos discours. Et vous vous contentez de vous livrer à un exercice assez simple, celui d'une lecture, si possible avec les lunettes que j'ai laissées sur la table, et vous essayez de mettre un minimum de chaleur dans le propos que vous tenez. J'ai envie, aujourd'hui, de vous parler avec ce qui m'est le plus précieux : le c_ur. Car je ne vous cache pas que je suis heureux d'être parmi vous.

    Il y a, vous le savez dans doute, trois manières de remplir une fonction qui vous a été confiée par le suffrage universel.

    La première est d'être un éternel insatisfait, et de considérer que le poste que vous occupez n'est que le tremplin vers d'autres cieux, d'autres horizons. Comme je suis en France, injustement, car après le Président du Sénat, le quatrième personnage de l'Etat, vous comprendrez que la voie soit passablement encombrée vers le haut, et que donc c'est une manière de remplir la mission qui est la mienne que je n'ai pas adoptée depuis que j'ai été élu Président de l'Assemblée.

    Il y a une deuxième manière, au fond très agréable, qui est de considérer que la présidence de l'Assemblée nationale, dont vous savez peut-être qu'elle est accueillie dans un superbe hôtel, qui s'appelle Hôtel de Lassay, datant de la monarchie, que ce superbe hôtel est un endroit qui est un placard confortable dans lequel on vous a mis pour profiter pleinement des dorures qui vous entourent. Les dorures, c'est bien, mais au bout de quelques jours, on finit par se lasser. Surtout que les plafonds sont assez hauts, et qu'on risque, dans ce placard, d'être saisi du vertige. Ça n'est pas de cette manière que j'ai choisi d'exercer le mandat qui m'a été confié.

    Il y en a une troisième, je dirai toute simple, c'est de faire le travail qui vous est demandé, en éprouvant à chaque instant le maximum de plaisir. Faire les choses avec c_ur, avec enthousiasme, et se dire que dans la vie, il y a tellement de gens qui s'ennuient et qui vous disent dès le matin : « ho la la, la journée va être terrible ! », que commencer sa journée, la sienne, avec le sentiment que la journée sera autant de bonheurs rencontrés à chaque heure et à chaque instant, c'est ainsi que j'ai décidé de remplir la fonction de Président de l'Assemblée nationale. Et être parmi vous, je le dis, c'est un plaisir véritable.

    D'abord parce que j'y rencontre beaucoup d'amis de mon pays, la France, de notre pays, chers compatriotes ; j'y rencontre une passion pour ces relations franco-égyptiennes, j'y rencontre tellement de dynamisme et tellement d'enthousiasme pour préparer l'avenir que je me dis : être là est une véritable chance, même si je ne cesse d'entendre, depuis que je suis arrivé, une forme d'expression que l'on présente comme une excuse.

    On me dit au contraire : vous n'avez pas de chance, il fait mauvais en Egypte. Lorsque l'on sort de trois mois de pluie à Paris ou à Belfort, je vous assure que c'est le seul malentendu qu'il y ait entre nous. J'ai le sentiment que vous êtes dans un pays de rêve, où la chaleur est très agréable, où le spectacle est extraordinaire, et comme j'ai la chance de pouvoir mêler à la fois une part de rencontre, de travail, mais aussi, disons-le, une part de culture (d'autant plus facilement à mettre en _uvre que votre jour de repos n'est pas le même que chez moi), vendredi, visiter les Pyramides, c'était pour moi un merveilleux déplacement ; d'autant plus que, quand on est au pied de ces Pyramides, on se dit : 27 ans, ça n'est rien face à l'éternité. Pourtant, il y a 27 ans, ça me semble très loin. C'était le dernier voyage que j'avais effectué en Egypte en 1974, et pendant les 27 années qui viennent de s'écouler, j'ai conservé un souvenir exceptionnel de ce grand et beau pays ; par ce que j'y avais vu, par les rencontres que j'avais eu l'occasion de faire, et notamment celle que m'avait réservée le Président Sadate, bref, autant de choses dont vous comprendrez qu'elles me rapprochent avec le c_ur et pas forcément avec un discours tout préparé, même si je vais évidemment m'y référer de temps à autre.

    Lorsque je suis entré tout à l'heure, le Président Ali Moussa s'est présenté comme le Président du Café, et je n'avais pas fait le lien entre le Café et le Club d'affaires franco-égyptien. Il faut toujours conserver une certaine naïveté quand on fait mon métier, c'est ce qui fait son charme. Je me suis dit : je loge dans cet hôtel, j'erre parfois dans les couloirs, quand j'en ai le temps, et je n'ai pas vu de café, au sens le plus simple du terme.

    Bref, je découvre ce magnifique club qui réunit des hommes d'affaires égyptiens et français et ce club est, au fond, sans doute, la traduction d'une de ces richesses que l'on rencontre dans votre beau pays, qui est celui de l'hospitalité et du goût et de la passion que l'on éprouve pour l'échange, l'échange dans tous les sens du terme, y compris bien entendu les échanges intellectuels, les échanges de l'esprit.

    Et moi qui ai la chance, je l'ai dit souvent au cours de ce voyage, d'avoir un bureau qui donne sur la place de la Concorde, tous les matins, lorsque j'y arrive, il y a deux images qui frappent mon esprit. La première, c'est évidemment l'obélisque. Je vous en donne d'ailleurs des nouvelles : nous y avons ajouté le petit chapeau doré qui manquait depuis qu'il avait été déplacé. Je ne vous dis pas que, maintenant qu'il est achevé, il convient de vous le rendre, ce serait quand même un tout petit peu dommage de me priver de ce spectacle. Attendez que je quitte la Présidence de l'Assemblée nationale pour exprimer une revendication.

    La deuxième image que j'ai, c'est encore une vision étrangère : dans mon bureau, il y a un tableau de Chagall, qui s'appelle « La chute d'Icare », et quand on fait de la politique, se brûler les ailes, c'est quelque chose qui peut vous arriver à chaque instant. Cela vous donne finalement une leçon, et pour redevenir sérieux, cela vous donne le recul qu'il faut pour mesurer à la fois l'éternité et mesurer la vanité des hommes. C'est comme ça, je crois, que l'on fait avancer la réflexion, le dialogue entre les peuples, entre les hommes, et mon voyage n'a qu'un seul objectif : celui d'entretenir l'amitié entre nous, avec, au-delà, bien entendu, des perspectives politiques liées à une situation dramatique dans cette partie du monde, des perspectives économiques, pourquoi pas ? Nous avons à apprendre les uns des autres. Il ne doit pas y avoir de notre part un comportement dominateur, voire colonisateur, il s'agit de puiser dans la richesse de ce pays ce que nous pouvons d'enseignements et il s'agit d'apporter ce que nous pouvons apporter de connaissances et de savoir-faire au travers des magnifiques entreprises que j'ai rencontrées tout au long de mon séjour. Evidemment, trop bref, évidemment trop rapide, puisque je me limiterai au Caire, alors que j'aurais souhaité faire une balade sur le Nil, remonter en felouque jusqu'à l'île des Bananes, quelque part du côté de Louxor, j'espère que mon épouse et moi nous aurons l'occasion de le faire très rapidement. Ayant mesuré la différence qu'il y a entre l'éternité et 27 ans, je m'efforcerai de faire en sorte que nous revenions plus souvent.

    Ce que j'ai observé, en retrouvant ce pays, c'est que nous avons, me semble-t-il, une préoccupation commune : celle, d'abord, de la recherche de la paix dans cette partie du monde. Ce n'est peut-être pas tout à fait par hasard si, au moment même où je suis ici au Caire, le Président Moubarak est à Paris. Cela montre la nécessité d'intensifier les échanges entre nos deux pays, parce que j'ai la conviction que l'Egypte est une plate-forme dans cette partie du monde, qu'elle peut, qu'il est naturel qu'elle joue un rôle de leader dans le monde arabe, et là encore par référence historique, ça n'est pas non plus par hasard si c'est ici que trois religions se sont rencontrées, quelque part dans ces lieux. Ça n'est pas par hasard si, dans ces temps modernes, l'Egypte est appelée à peser de tout son poids, et il est grand, pour intégrer un processus dont je souhaite évidemment qu'il soit un processus de paix. Et du côté de l'Europe, la France a un poids dans l'Union européenne, un poids, je dirai, qui tient à la grandeur du pays, à sa tradition, à sa richesse. Nous le partageons avec d'autres, bien entendu : l'Allemagne, notamment. Mais nous avons la faiblesse de penser que l'Allemagne et nous, il y a quelques différences et quelques handicaps d'un côté, plutôt de l'autre, que chez nous, et que, bien évidemment, la France, dans l'Europe, dans la construction européenne, joue un rôle tout à fait fondamental. Et parce que l'Egypte est ce qu'elle est, et parce que la France entend jouer le rôle qui doit être le sien, nous savons bien que dans ce début de siècle, il y a un certain nombre d'attentes, d'inquiétudes, d'interrogations, par rapport à ce que sera demain l'attitude américaine face au conflit du Moyen-Orient. Quelle sera la politique mise en _uvre par l'administration de M. Bush, nul ne peut l'affirmer avec certitude, si ce n'est que l'on observe un léger déplacement, qui sans doute nous inquiète comme il inquiète nos amis égyptiens. Et pouvoir essayer, non pas de se substituer mais d'accompagner dans cette partie du monde le processus qui devrait normalement conduire, avec des difficultés, et ce sera long, à la paix, cela me paraît tout à fait nécessaire.

    J'observe que depuis déjà longtemps, ce qui caractérise l'Egypte à mes yeux, et je porte un jugement sans doute trop hâtif, c'est la qualité des hommes et des femmes de ce pays. Si je regarde l'Histoire depuis un demi siècle, la stabilité de ce pays, le fait qu'il ait été dirigé par de grands hommes dont la notoriété dépasse les limites de la seule République d'Egypte, il est tout à fait évident que depuis longtemps, l'Egypte a réalisé ces dernières années des progrès économiques considérables, avec un taux de croissance de plus de 5 % qui ferait l'envie des pays occidentaux, d'une inflation maîtrisée, des réserves de change plus que confortables, et un réseau d'infrastructures en plein essor. Le Président de l'Autorité nationale des tunnels nous en a donné un bel exemple, ce matin, admiratif que j'étais de visiter une des plus belles réalisations que j'ai jamais vues partout ailleurs dans le monde, je pense au métro, et surtout à la manière dont il fonctionne, dont on sent que c'est un outil, une infrastructure utilisée par des millions, des dizaines de millions d'Égyptiens chaque année, dans des conditions dont nous pourrions évidemment nous inspirer quand on fréquente le métro parisien ou d'autres métros de par le monde. Des infrastructures nécessaires et en plein essor, parce que vous avez de l'or, finalement, à votre disposition : c'est le soleil, malgré le vent des sables, et donc le tourisme, et donc la nécessité d'avoir des plates-formes aéroportuaires, d'imaginer sans doute d'autres modes de transport, et pourquoi pas, demain, un TGV qui d'Alexandrie en passant par le Caire irait rejoindre Louxor et Assouan. Ce sont des choses possibles, pas seulement parce qu'elles nous arrangent, pas seulement parce que nous avons envie de vendre, mais plus simplement parce que cette vente-là permettrait l'essor de l'Egypte, notamment dans le domaine économique. Les changements que j'ai pu observer, puisque je ne suis pas venu depuis 27 ans, marquent que ce pays a connu une extraordinaire métamorphose. Et parce que le gouvernement égyptien a su donner plus de souplesse et donc plus de dynamisme à l'économie égyptienne, je pense que les chances de l'Egypte sont de grandes chances de réussite, ce que je lui souhaite.

    Parallèlement à cette évolution, mon pays, notre pays, la France, a fait le choix de l'intégration dans l'espace européen, et nous sommes confrontés à nos propres problèmes et à nos propres difficultés. Vous n'ignorez pas, pour ceux qui sont français mais aussi pour nos amis francophones égyptiens, la crise dramatique que traverse l'agriculture européenne, et cette crise, qui n'est pas seulement économique, qui est une crise, je dirai presque, psychologique, qui remet en cause le productivisme tel qu'on l'avait choisi au moment de la construction européenne, de la construction de la politique agricole commune, remet en cause toutes les bases qui fondaient finalement cette politique agricole commune, dont la France a été grandement bénéficiaire et qui lui a permis de réaliser une mutation dans le domaine agricole absolument considérable.

    Et j'ai envie de dire que, là encore, l'exemple égyptien peut nous être utile, la sagesse de ceux qui suivent les cycles de la nature plutôt que de les forcer est quelque chose qui doit être retenue : on ne force pas la nature impunément, et il y a des moments où celle-ci se rebelle, ce qui a été le cas dans notre région, avec des conséquences dont on ne sait pas encore ce qu'elles seront.

    Nous voulons une Europe ouverte sur le monde, et nous avons, disons-le, quelques difficultés à coordonner l'action de l'Europe sur le plan de la politique étrangère. Nous avons construit l'Europe économique, nous avons construit l'Europe financière, nous abordons la construction de l'Europe sociale. Il nous reste à définir une politique commune, ça n'est pas simple lorsque certains des membres sont arrimés à d'autres, extérieurs à la Communauté, et parce que je n'utilise pas la langue de bois, j'ai envie de dire, lorsque l'Irak est bombardée à la fois par les Etats-Unis et par l'Angleterre, cela me pose problème en tant qu'européen. Cela me pose problème par rapport à la solidarité qu'on est en droit d'attendre à l'intérieur de l'Union, cela me pose problème par rapport à un peuple que l'on bombarde, et dont je ne suis pas sûr que les effets recherchés soient exactement ceux que l'on trouve. J'ai même tendance à penser que ceux qui mettent en _uvre des blocus économiques arrivent au résultat exactement inverse. Et, vous savez, (beaucoup ont tendance à oublier l'Histoire), beaucoup ont tendance à oublier que, quelque part dans les Caraïbes, à Cuba, un blocus existe depuis longtemps, Fidel Castro est toujours là, ça n'a pas changé le régime, ça n'a pas amélioré la condition des hommes et des femmes de ce pays. Il en est de même, sans doute, dans cette partie du monde, pour ce qui concerne un pays arabe avec lequel l'Egypte a exprimé à plusieurs reprises sa solidarité.

    Bref, je sais que vous avez passé le dessert mais qu'il reste le café. Je sais aussi que mon emploi du temps me retient à partir de 16 heures. Comme je souhaiterais, étant très bavard, qu'il y ait, à la suite de mon propos, quelques échanges entre nous, je vais m'arrêter. Avant cela, il y a un élément sur lequel je me permets d'insister, qui est l'aspect culturel. Nous devons faire en sorte que la langue française, au travers de la francophonie, soit un véhicule qui permette non seulement de faire passer le message culturel, mais de véhiculer les idées et les échanges. Et nous savons bien que, autant les écoles qui existent ici sont de grande qualité, le collège de La Salle, les Jésuites, et quelques autres, les alliances françaises, autant elles doivent être prolongées par une formation universitaire et, de ce point de vue, j'ai envie de dire que le gouvernement, le mien, ne peut pas tout : il faut que les entreprises qui travaillent en Egypte considèrent que leur responsabilité, à quinze ou vingt ans, c'est de faire en sorte que ceux qui sortent d'une formation universitaire aient pu suivre ici, en Egypte, un cursus en français, de telle sorte que se créent naturellement les liens entre l'Egypte et la France, que s'entretiennent les liens entre l'Egypte et la France. C'est le projet d'université française d'Egypte auquel nous apportons notre soutien et auquel j'attache le plus grand intérêt. Cela dépend, Mesdames et Messieurs, de vous, cela dépend aussi un peu de nous. Bref, que vive l'amitié entre l'Egypte et la France, que vive notre coopération. Merci à vous toutes et à vous tous de votre écoute attentive.

* *

*

    Question : Monsieur le Président, croyez-vous que l'Europe pourrait, un jour prochain, corriger le parti-pris américain à l'encontre des droits des Palestiniens ?

    RF : C'est un sujet sur lequel il faut s'exprimer avec beaucoup de prudence. Hier soir, j'ai eu une conversation avec des amis sur ce sujet, et j'attirais leur attention sur le fait qu'une politique étrangère, elle se bâtissait aussi en fonction de considérations nationales. Et je n'hésite pas, sur un sujet aussi difficile, à avoir un langage direct. Nous avons, en France, pour ne parler que de mon pays, mais c'est sans doute vrai ailleurs, avec la communauté arabe, pour des raisons historiques, notamment avec ceux qui sont originaires du Maghreb, un problème qui est celui de l'immigration, du racisme qui s'exprime et qui se traduit par l'émergence de mouvements politiques extrémistes, notamment d'extrême-droite. Ca peut paraître très loin de la question que vous me posez, mais on y arrive directement. Lorsque l'on définit une politique étrangère, il faut qu'elle soit acceptée par le peuple de son pays. Or il est clair que, et je vais ajouter une deuxième considération, dans mon pays, jusqu'à une période relativement récente, les sympathies pro-israéliennes d'une partie de l'électorat s'exprimaient avec plus de vigueur. Et donc, naturellement, sans doute par manque de courage politique, on avait tendance à prendre plus en considération les aspirations des uns que les préoccupations des autres. Une évolution, qui est devenue évidente lors des dernières élections municipales, est en cours. L'émergence des quartiers populaires, où vivent beaucoup de jeunes issus de l'immigration, la deuxième génération, ceux qui votent, a donné un signal qui, à mon sens, ne s'arrêtera pas. Et parce que naturellement, c'est la position qui est la mienne, je suis socialiste, peut-être le savez-vous, et donc il est normal que j'exprime, parce que socialiste, une solidarité avec ceux qui sont opprimés, et qui peut contester que le peuple palestinien, depuis un demi siècle, et même plus, soit non seulement privé d'Etat, de nation, de territoire, et en conflit permanent avec un voisin dont on peut dire que la stratégie est celle du grignotage, au travers des territoires occupés, avec de surcroît un déséquilibre économique évident entre la communauté israélite et la communauté palestienne. Donc, ma solidarité, elle va plutôt dans ce sens et je rappelle, parce que, historiquement, c'est la réalité, que le premier à reconnaître la notion même de peuple palestinien, ce qui était considéré pendant longtemps comme une incongruité, fut le Président François Mitterrand. Et donc, à partir du moment où on dit cela, j'ai tendance à dire que l'Europe doit s'engager de plus en plus ; d'autant plus que, je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne sais pas quelle sera la politique américaine dans les mois et les années qui viennent. Mais ce que je redoute, c'est que l'on revienne huit ans en arrière. L'administration américaine d'aujourd'hui est la même que celle qui a quitté le pouvoir au moment de l'arrivée de Bill Clinton. Et donc le risque de retour en arrière est considérable et je ne pense pas que dans l'Histoire des Etats-Unis, la politique de M. Bush père ait marqué son temps aussi positivement que ne le disent certains. Même si l'on a élu le fils après avoir battu le père il y a huit ans. Donc l'Europe doit s'exprimer sur cette question, elle le fait de plus en plus souvent. Moi, je le fais chaque fois que l'occasion m'en est donnée, le gouvernement français le fait chaque fois que cela est nécessaire.

    Question : Monsieur le Président, vous avez mentionné le bonheur qui est le vôtre de voir chaque matin l'Obélisque de Louxor. Vous avez aussi parlé d'éducation et de coopération entre nos deux pays. En reliant les deux questions, je vous fais une proposition : ne serait-il pas possible de faire payer un ticket d'entrée spécial pour accéder dans les musées d'antiquités égyptiennes, afin de financer le programme éducatif égyptien ?

    RF : Bien, on m'a donné les chiffres du nombre d'étudiants qui fréquentent le cycle universitaire en France : il est manifestement ridicule. Cela tient à deux raisons, à mon avis : le fait que la francophonie ou la pratique de la langue française, même si elle est soutenue ici, au Caire, dans les conditions que j'ai rappelées il y a un instant, a été non pas balayée, non pas submergée, mais un tant soit peu écartée par rapport à la langue anglaise, à la culture venue d'outre-Atlantique. Cela tient sans doute en fait à une responsabilité que nous portons : la difficulté à obtenir des visas pour les étudiants qui souhaitent suivre un cursus dans des universités françaises. L'école de la République, telle que je la connais, telle que je l'ai pratiquée, est un superbe outil. Il faut sans doute que nous soyons plus offensifs, y compris dans ce domaine, dans la coopération entre l'Egypte et la France. Mais je le répète, et je reviens à ce que je disais il y a un instant, la création d'une université française d'Egypte est un moyen de répondre à ce besoin que l'on éprouve ici, en Egypte.

    Question : Nous essayons actuellement de démarrer des investissements de Primagaz en Egypte et on voudrait savoir quels sont les moyens concrets que la France, ou plutôt l'Etat français, envisage de mettre en _uvre pour encourager les investissements français en Egypte ?

    RF : Cher Monsieur, j'ai envie de vous rappeler cette anecdote de tout à l'heure. Je représente le pouvoir législatif et pas le pouvoir exécutif. D'ailleurs, si j'étais au niveau du pouvoir exécutif, je considérerais ça comme une régression, donc il vaut mieux que je reste là où je suis ; c'est-à-dire de ne pas me mêler des affaires que je ne connais pas. Et tout simplement, j'ai envie de vous dire qu'il existe des services qui marchent remarquablement bien à l'ambassade de France. Moi, je suis incapable, même si je connais les mécanismes, je dirai de manière un peu sommaire, de vous les décrire, parce que il faut bien reconnaître que notre administration française a parfois la particularité de compliquer un peu les choses plutôt que de les simplifier ; ce qui ne rend pas forcément la compréhension à l'extérieur particulièrement aisée. Ce que je sais, c'est qu'il existe des mécanismes de soutien, et je réponds d'une manière beaucoup plus générale, et peut-être, pardonnez-moi, ce n'est pas du tout péjoratif, de manière plus politique : l'Egypte n'a pas besoin que nous nous comportions à son égard comme des donateurs. Elle a suffisamment de possibilités, de potentialités pour répondre à ses besoins elle-même. Le problème, c'est qu'il faut trouver dans le temps ce qui lui permet de rassembler les énergies, de bénéficier du dynamisme dont elle fait preuve aujourd'hui et, comme les investissements sont évidemment sur le long terme, il faut trouver des financements qui soient sur une longue période, avec des conditions qui soient particulièrement intéressantes. Je vais donner un exemple : on me dit que la prolongation de la ligne 2 du métro pourrait bénéficier de financement de la part de la Banque européenne d'investissement. C'est une possibilité, bien entendu, que, si elle est réelle, il faut évidemment saisir. Car les garanties que peut donner l'Europe, l'intervention que peut faire l'Europe et les conditions qu'elle peut accorder sont des conditions qui sont intéressantes pour l'Egypte. Mais je ne pense pas qu'on soit, en Egypte, dans un pays qui ait besoin d'être en permanence soutenu, tel quelqu'un qui bénéficie d'une tente à oxygène. On n'a pas besoin de cela en Egypte car il y a une capacité absolument extraordinaire. Pardonnez-moi de n'avoir pas répondu très exactement à la question que vous m'avez posée.

    Question : Monsieur le Président, dans votre rôle de Président de l'Assemblée nationale, et dans un monde où il y a une diplomatie parlementaire qui se développe, et qui est appelée à se développer davantage, je ne sais pas s'il y a un rôle possible pour les parlementaires français dans le soutien du processus de paix au Moyen-Orient, qui semble buter actuellement sur une intransigeance d'une très grande partie de l'opinion publique israélienne, qui est aussi un pays où il y a un Parlement, où les parlementaires ont un rôle et nous savons que pour faire la paix, il faut de la sagesse, alors que, pour faire la guerre, il faut d'autres choses. Il apparaît que depuis ces dernières années, on est plus loin de la sagesse sur ce domaine que, je dirai un peu de la peur. Et je crois que les parlementaires français et le Parlement européen ont un rôle qui peut être joué, à travers les parlementaires israéliens, sur l'opinion publique israélienne qui, c'est évident, semble, vu les élections successives ces dernières années, pencher beaucoup plus vers une ligne dure que vers un consensus.

    RF : Bien. Je vais d'abord vous dire que, lorsque je suis arrivé à la Présidence de l'Assemblée nationale, c'était un des aspects qui m'avaient sans doute échappé pendant les longs mandats que j'ai détenus : c'est l'importance des relations internationales. Je suis Président de l'Assemblée nationale depuis maintenant un an. En un an, j'ai reçu plus de soixante chefs d'Etat ou de gouvernement. De Poutine en passant par Bouteflika, le Président du Sénégal, le Président du Mexique, un nombre considérable de personnalités. Et j'ai donc pensé, dès que je suis arrivé, qu'il était sans doute possible, à notre niveau parlementaire, de jouer un rôle au travers de ce que vous avez dit vous-même, la diplomatie parlementaire. Alors, quand on parle de diplomatie parlementaire, on a tendance à la réduire à ce qu'est la diplomatie d'Etat. Les ambassadeurs font remarquablement leur travail, et surtout celui qui est en poste ici au Caire. Ils ont un rôle à jouer, qui est d'être le ou les représentants d'un gouvernement, ils portent le message de ce gouvernement, mais chaque gouvernement, égyptien ou français, a ses contraintes qui tiennent aux relations qu'entretiennent les gouvernements entre eux, prenant malheureusement en considération des intérêts qui ne sont pas simplement dictés par le droit des peuples, par les droits de l'homme, par un certain nombre de notions comme celles-là. La diplomatie d'Etat n'est pas la diplomatie parlementaire. Et la diplomatie parlementaire est beaucoup plus libre que la diplomatie d'Etat. La diplomatie d'Etat, elle est contrainte par la force des choses. Nous, nous sommes libres. Non pas de dire n'importe quoi ; sinon, nous sommes irresponsables. Mais nous sommes libres, parce que nous transmettons une seule voix : c'est celle de ceux qui nous ont élus. Et nous sommes porteurs de nos opinions publiques, beaucoup plus, finalement, qu'un ministre. Pardonnez-moi, Monsieur le Ministre des transports. Je parle des ministres en France, pas en Egypte bien entendu. Et le fait d'être élu, c'est chaque semaine, pour nous, retourner dans nos circonscriptions, entendre ce qui se dit sur le conflit israélo-palestinien, mesurer la réaction de l'opinion publique et, lorsque nous sommes à l'étranger, pouvoir dire ce que nos peuples éprouvent. Et donc, moi, je suis un farouche partisan de la procédure de la diplomatie parlementaire.

    Vous avez tout à l'heure, Monsieur le Président Ali Moussa, rappelé que j'avais été président du groupe d'amitié France-Cuba. Ce n'était pas par sympathie particulière pour Fidel Castro, mais il paraît que les très bons cigares se cultivent à Cuba. Et donc c'est là une forme, comment dirais-je, de diplomatie touristique, intéressante mais qui n'est pas forcément très utile. Nous avons une autre forme d'action, qui, elle, est nécessaire et indispensable. J'ai suggéré au Président Sorour1 de mettre en place, entre l'Egypte et la France, ce que nous appelons une Grande Commission franco-égyptienne. Qu'est-ce qu'une Grande Commission ? C'est le type d'organisation que nous avons mise en place, nous Parlement français, avec trois pays dans le monde : la Russie, le Canada, l'Allemagne, et nous souhaitons la mettre en place avec l'Egypte. Parce que nous n'avons aucune relation de ce type dans le monde arabe et que l'Egypte nous paraît devoir être privilégiée.

    Cela entraînera des rencontres régulières, non pas simplement au niveau des parlementaires, parce que, souvent, les parlementaires s'échangent entre eux les déplacements, mais au plus haut niveau des parlements, c'est-à-dire entre les présidents eux-mêmes. Se rencontrer par exemple annuellement, pour faire le point de nos relations, voir quels sont les problèmes et comment on peut les résoudre, ça fait partie d'une action extrêmement positive et si le Président Sorour accepte la proposition que je lui ai faite, je pense que nous en serons, en tous les cas, nous, Français, particulièrement heureux. La diplomatie parlementaire, ça consiste donc à faire entendre la voix du pouvoir législatif, et le pouvoir législatif, ce n'est pas le pouvoir exécutif, et ce n'est évidemment pas l'autorité judiciaire. Nous avons notre autonomie pleine et entière. C'est cela qui fonde, finalement, la République telle que nous la concevons, un pouvoir partagé, complémentaire, mais dont aucun ne doit empiéter sur l'autre. C'est comme ça que cela fonctionne dans mon pays, et bien entendu, c'est à partir de ces principes que doit s'inspirer la diplomatie parlementaire que je souhaite mettre en _uvre.

    Pardon, je crois qu'il est 16 h 05 et je dois malheureusement vous quitter, mais permettez-moi de vous dire tout simplement, en une phrase, que j'ai été très heureux d'être parmi vous pendant ces trop brefs instants.

1 Président de l'Assemblée du Peuple d'Egypte