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Congrès de la FNSEA aux Sables d'Olonne le jeudi 5 avril 2001

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand plaisir d'être aujourd'hui parmi vous et de participer, pour la première fois, au Congrès de la FNSEA. Je ne suis pas familier de la langue de bois et j'ai pour habitude, comme pour exigence, de parler avec clarté et sincérité. Ne nous voilons pas la face : il y a un réel problème de relations et de communication entre la FNSEA et le Gouvernement.

En tant que Président de l'Assemblée nationale, je défends les droits de tous les députés, mais je n'oublie pas que j'ai l'honneur de cette charge parce que j'appartiens à la majorité qui soutient le Gouvernement. Vous ne serez donc pas étonnés de m'entendre évoquer cette difficulté avec franchise et de proposer quelques explications sur le fond. Je dis bien « sur le fond » car, finalement, la forme importe peu si les idées sont débattues, discutées et, s'il le faut, combattues. Par ailleurs, je ne suis pas le ministre de l'Agriculture, je n'ai pas de message à vous adresser en son nom, et je ne serai évidemment pas en mesure de répondre aux revendications concrètes et immédiates de ceux que vous représentez.

Permettez-moi d'introduire mon propos par une conviction forte, qui apparaîtra certainement comme une provocation pour certains : on ne pourra traiter la crise que traverse l'élevage, en France et en Europe, en se contentant de mesures spécifiques. Il est absolument indispensable de considérer les grands équilibres de l'agriculture et d'aborder dans le même temps la question des grandes cultures.

Bien sûr, je n'ignore pas la gravité extrême de la situation des éleveurs, leurs angoisses, leurs attentes. Je ne méconnais pas le blocage complet qui paralyse aujourd'hui ce pan de notre économie, pour une durée qu'on maîtrise de manière relative, et que tout nouvel accident prolongerait d'au moins 15 jours. A la place qui est la mienne, je souhaite vous faire partager mon analyse de cette situation et proposer quelques explications concrètes. Vous le savez, les produits animaux ne se stockent pas aisément, et toute surproduction -ou sous-consommation- se traduit immédiatement par un écroulement des marchés. Il n'en va pas de même pour les grandes cultures dont les marchés peuvent être régulés sur le long terme. Il en résulte un fort déséquilibre entre productions animales et productions végétales au sein de la PAC, qui contribue aujourd'hui, pour partie, à la crise de l'élevage.

Je n'oublie pas que, avant d'être un secteur d'activité ou un portefeuille ministériel, l'agriculture, c'est d'abord des hommes et des femmes, leur travail, leurs projets, leurs investissements souvent lourds, mais aussi les accidents et les difficultés, qui les contraignent souvent à remettre en cause leurs choix de départ. L'exploitation peut être bien menée, avec compétence, avec obstination. Mais l'évolution du secteur impose souvent d'importantes évolutions par rapport aux objectifs initiaux. Cet impératif n'est pas propre à l'agriculture, mais il est particulièrement sensible dans le secteur agricole, où le projet personnel, ancré dans le sol, au sens réel du terme, est souvent contrecarré et toujours encadré pour des raisons d'équilibres internationaux qui pourraient paraître très éloignés des préoccupations quotidiennes de l'exploitation, de votre vie de tous les jours.

Il y a un siècle, on produisait avant tout pour le marché local. Un agriculteur nourrissait trois familles. On pourrait dire qu'il nourrissait sa famille, celle de son voisin artisan et une troisième, au bourg. Seules quelques grandes villes créaient une véritable dynamique agricole dans leur région. Tout s'est accéléré au XXème siècle, et notamment pendant les « 30 glorieuses », quand il a fallu à la fois augmenter la production agricole et libérer de la main d'oeuvre pour l'industrie.

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La PAC s'est construite en même temps que l'Europe du charbon et de l'acier, autour d'un « partage » entre l'Allemagne, qui privilégiait son industrie, et la France, qui pensait avant tout à son agriculture. On admet généralement, en conséquence, que c'est bien notre pays qui décide, peu ou prou, des évolutions de cette politique depuis 1962.

Grâce à des prix garantis et à la protection aux frontières, elle a si bien produit ses effets que l'Europe s'est trouvée structurellement excédentaire dès le milieu des années 1970. Cette politique n'a, en fait, été modifiée que sous l'effet de contraintes internes ou externes en 1983, 1992 et 1999. Les inflexions apportées ne résultaient donc pas de choix réels, ni d'une analyse ouverte sur l'avenir, ni d'une réponse aux demandes de la société.

Les quotas laitiers, en 1983, ont été vécus douloureusement par le monde rural, qui a ressenti très durement qu'il n'était pas dans une situation de libre entreprise, et qu'il vivait dans une économie fortement administrée.

La réforme de la PAC, en 1992 - demandée, dans les faits, par les Américains auxquels nous prenions d'importantes parts de marché depuis une dizaine d'années - a amplifié cette prise de conscience en passant d'un dispositif de soutien des marchés des grandes cultures à un soutien sous forme d'une aide annuelle à l'hectare. On n'est d'ailleurs, à l'époque, pas allé au bout de la logique redistributive, puisqu'on a accepté des références, donc des aides, plus élevées dans les départements les plus favorisés, et un appui spécifique aux productions irriguées. La raison en est simple. Elle tient dans ce que disait à l'époque Louis Mermaz, ministre de l'Agriculture, en privé : « je ne suis pas là pour mettre la tête sous l'eau à ceux qui s'en sortent bien aujourd'hui ».

On a cependant peut être eu le tort de ne pas aller plus loin dans la réforme, pour trois raisons :

* la réforme n'a pas été suivie par la baisse des prix annoncée, en raison d'un contexte mondial favorable. Les exploitants n'ont donc pas été incités à modifier leurs pratiques pour s'orienter, comme cela était souhaité, vers un modèle moins intensif ;

* les aides élevées consenties à certains départements et l'absence de plafonnement ont entraîné une course à l'hectare et accéléré la disparition des petites exploitations. Le rôle du prix du foncier - normalement régulateur - a ainsi été dévoyé ;

* la réforme n'a pas suffisamment pris en compte les problèmes de l'élevage, et n'a pas incité, malgré les souhaits exprimés à l'époque, à orienter celui-ci dans un sens moins intensif. Il en est résulté une prime à l'herbe extrêmement faible, des oléo-protéagineux traités de manière médiocre, au contraire du maïs. Les arguments techniques, certes réels, ont primé sur la volonté politique.

Mais, pouvait-on faire plus, à une époque où chacun n'avait pas encore perçu la nécessité de refonder la PAC sur d'autres objectifs que la production ?

Il ne me paraît pas nécessaire de revenir sur l'Agenda 2000 adopté en 1999, car celui-ci pourrait bien être amendé largement avant son application complète. En tous cas, c'est mon souhait. Je relève cependant qu'il a permis, à la demande pressante de la France, d'ouvrir la possibilité de réorienter les aides sur des critères d'environnement, d'emploi et d'aménagement du territoire, afin de suivre la voie tracée dans notre pays par la loi d'orientation agricole, et la création des contrats territoriaux d'exploitation.

Alors, faut-il réformer la PAC ? Je crois, pour ma part, que cette politique doit être en perpétuelle réforme, même si cela crée des situations inconfortables. Réellement incitative, elle a formidablement réussi dans les années 1960, mais elle est devenue obsolète au bout de dix ans. Il aurait donc fallu depuis longtemps la réformer en profondeur.

La France, pays riche au sein de l'Union, pays globalement favorisé d'un point de vue agronomique, bénéficie d'un « retour agricole » supérieur à sa contribution, depuis quarante ans. Craignant de perdre collectivement une partie de cette manne, nous n'avons pas osé engager la réflexion sur l'opportunité d'une réforme de la PAC. Aujourd'hui, ayons l'audace de poser cette question face à nos partenaires, quitte à demander un traitement particulier, une clause « de la nation la plus favorisée », sans toutefois nous ridiculiser comme Margaret Thatcher à la fin des années 1980, avec son « give my money back ! ». Si nous n'avons pas ce courage, nous n'aurons pas de débat honnête et franc sur l'avenir de l'Europe agricole, et nos concitoyens seront enclins à nous demander de rendre compte des dysfonctionnements de l'agriculture.

Nous avons développé nos productions à un moment où cela était indispensable, en protégeant nos marchés ; cela était légitime et nous n'avons pas à le regretter. Aujourd'hui, la vocation exportatrice de l'agriculture française est forte, mais liée avant tout à des productions typées, à forte valeur ajoutée, peu ou pas aidées, comme les vins et les produits transformés.

Seules ces productions bénéficient à notre balance commerciale. J'en conclus qu'il ne faut pas craindre d'aller désormais vers un autre équilibre entre productions végétales et productions animales en faveur de ces dernières. Il se fera, au mieux, ne le cachons pas, à coût collectif constant.

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Qualité, maîtrise quantitative et sanitaire des productions, occupation du territoire, préservation de l'environnement ; tels sont les enjeux, désormais connus de tous, qui peuvent fonder un nouveau contrat entre l'agriculture et la société. Il ne s'agit pas de révolutionner l'agriculture, mais d'affirmer et de concrétiser ce virage déjà engagé, vous le savez tous ici mieux que moi, et de le faire avec constance.

La politique agricole commune n'est sûrement pas tout, et j'aurais pu aborder aussi la question de la grande distribution, qui nous inquiète et nous mobilise, ainsi que celle de la promotion de nos produits à l'étranger, qui est probablement le meilleur moteur du développement de nos exportations.

Voilà quelques réflexions qui me tiennent à coeur, comme à tous ceux, je crois, qui ont le souci des agriculteurs, et que je souhaitais vous faire partager. Je n'ai certainement pas convaincu chacun d'entre vous mais j'espère que mes propos pourront ouvrir la voie du dialogue et du débat.

Permettez-moi, pour conclure, de vous assurer, au nom de tous les députés, que l'Assemblée nationale est très attentive à la situation et à l'évolution de l'agriculture et qu'elle est prête à soutenir fermement toutes les propositions qui permettront d'assurer durablement votre avenir.