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Hommage solennel à Louise Moreau,
dans l'Hémicycle le mercredi 25 avril 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Chers amis,

Madame Louise Moreau nous a quittés le 5 février dernier. A l'heure où la fonction politique apparaît mal aimée, parfois ternie par des commentaires trop sévères, le parcours exemplaire de notre collègue est un brillant désaveu de toutes ces critiques. Car tout au long de sa vie, Louise Moreau fut l'illustration de ce que la politique a de plus noble. Elle fut le courage. Elle fut la générosité. Elle fut la défense passionnée d'un idéal de justice et de liberté, incarné dans un pays : la France.

Nous partageons la tristesse de ses proches. Notre Assemblée perd un modèle, une femme d'exception, qui consacra sa vie à faire vivre les valeurs de la République. Mais elle perd surtout une amie, à qui, en votre nom, je souhaite aujourd'hui rendre hommage.

Fidélité. Intégrité. Franc-parler. Tels sont les mots qui s'attachent au souvenir de Louise Moreau. Nous connaissions sa personnalité ardente, son tempérament énergique, la fermeté de ses jugements. C'était une femme exigeante, avec elle-même d'abord, avec les autres aussi, et qui pardonnait rarement à ceux qui trahissaient sa confiance.

Mais son immense pudeur dissimulait une très vive sensibilité et une générosité infinie. C'est guidée, disait-elle, par une certaine idée de l'homme, de la solidarité et de la fraternité, qu'elle avait ainsi débuté des études de médecine : se donner aux autres était à ses yeux la plus belle façon d'être soi. Cette exigence demeurera la sienne toute sa vie, à l'égard de ses proches bien sûr, mais aussi comme Résistante, comme chef d'entreprise, et enfin comme personnalité politique.

Jean Lecanuet, en lui remettant ses insignes d'Officier de la Légion d'Honneur, reconnut en elle « le type parfait de la femme française héroïque et patriote ». Il rappela, alors qu'elle n'avait pas vingt ans, qu'elle avait « pendant quatre ans magnifiquement servi la Résistance, assurant les missions les plus dangereuses, comme le transport de documents militaires, d'armes et de munitions ». Elle avait alors « sauvé de très nombreux patriotes français et alliés, blessés au cours d'actions contre l'ennemi », allant jusqu'à installer chez elle, dans les derniers jours de la lutte, le poste de commandement du Colonel Lize, qui dirigeait les combats de la libération de Paris.

Son courage, sa bravoure lui valurent le respect de tous les compagnons de la Libération, et des décorations de haut rang : Croix de guerre, Officier de la légion d'honneur à titre militaire, Rosette de la Résistance. Rien n'égalait néanmoins sa fierté d'avoir accompli son devoir et servi sa patrie.

Au lendemain des combats, elle continua à servir la France, mais pour construire la paix. Collaboratrice de Georges Bidault, elle fut en charge de nombreuses missions pour le Gouvernement Provisoire de la République : aux Etats-Unis notamment, mais aussi comme Membre de la Délégation Française à la Conférence de Potsdam et à la Conférence de San Francisco, qui créa l'Organisation des Nations Unies. Elle effectua plusieurs missions en Amérique latine, où elle séjournera quelques années plus tard. Elle fut une formidable ambassadrice de la grandeur de notre pays. Parlant l'anglais, le portugais et l'espagnol, elle faisait partager les valeurs de la France avec chaleur et sympathie. Nombreux sont ceux qui, aujourd'hui à travers le monde, partagent notre tristesse.

Le décès prématuré de son mari la fit chef d'entreprise, femme d'affaires, et l'amena à affronter l'univers dur et masculin des travaux publics et des marchés internationaux. Elle fit preuve à nouveau d'un courage et d'une détermination qui pouvaient la laisser fière de sa réussite.

En dépit de sa connaissance exceptionnelle de très nombreuses régions du monde, son coeur demeura attaché à la Côte d'Azur, dont elle tomba amoureuse à 17 ans, quelques années avant la guerre. Son coup de foudre, disait-elle, fut pour une maison, la Villa Esfrala, découverte lors d'une promenade à Mandelieu et où elle demeura jusqu'à la fin. Elle restera toute sa vie attachée à ces pierres dures et sèches, à cette végétation noueuse, tenace, et à cette mer si sereine qui font le charme des paysages méditerranéens.

C'est pour défendre cette région qu'elle choisit, à quarante ans, de s'engager en politique, au sein de la famille centriste. En 1971, elle fut d'abord élue Maire de Mandelieu-La Napoule. Elle occupera cette fonction jusqu'en 1995 et, en 1989, une Marianne d'Or saluera son action municipale et son engagement sincère, jamais démenti, en faveur de cette ville et de tous ses habitants. Elle avait su conquérir la plus belle des majorités : celle du coeur, tout simplement. Ses concitoyens saluaient son intégrité, et l'énergie avec laquelle elle avait mené nombre de combats politiques courageux, contre l'extrême-droite en particulier. Car la noblesse de ses idéaux lui interdisait de voir entaché le respect des valeurs républicaines.

Elle avait appris à voir vivre ces valeurs, mais aussi à les défendre, sur d'autres scènes politiques. Elle fut élue à l'Assemblée nationale en 1978. Elle y sera ensuite sans cesse réélue. Sa fidélité à l'égard de cette maison la conduisit à en devenir une Vice-Présidente respectée, dès 1984, et à nouveau en 1997. Son expérience précieuse dans le domaine des relations internationales en fit également, pendant de nombreuses années, un membre écouté de la Commission des Affaires Etrangères.

Européenne dans l'âme, elle avait aussi participé en 1979, sur la demande de Simone Veil, aux premiers pas de l'Assemblée de Strasbourg. Elle conservait un souvenir ému de cette aventure, si importante pour l'avenir de notre pays. « Nous étions, disait-elle, comme de jeunes écoliers qui pour la première fois découvrent leur nouvelle salle de classe ». Elle y restera élue jusqu'en 1984, mettant toute son énergie et sa vitalité à faire vivre une Europe plus généreuse et plus proche de chaque citoyen.

L'Assemblée nationale demeura néanmoins la maison la plus chère à son coeur. Tous nous l'avons rencontrée ou simplement croisée. Rares sont ceux avec qui elle n'a jamais échangé quelques mots. Chacun d'entre nous connaissait son parcours exemplaire. Au-delà des querelles politiques, nous respections son engagement et la force de son attachement aux valeurs de notre République.

Nous avons admiré son courage lorsque, gravement malade déjà, elle continua à se rendre chaque semaine au Palais Bourbon pour assister aux débats. Trop fatiguée parfois, elle restait dans son bureau, étendue sur une méridienne, pour suivre nos discussions à la télévision. Mais elle demeurait là, en ces murs qui avaient abrité nombre de ses combats, où elle s'était battue pour faire vivre ses convictions, et qui représentaient à ses yeux l'honneur de la France et de la République.

En pensant avec affection à ses proches, à sa famille, à ses deux petites-filles Olivia et Valérie dont elle parlait si souvent, en mémoire aussi de son fils unique disparu avant elle, je vous demande de bien vouloir vous recueillir à la mémoire de Louise Moreau.