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Assemblée des réfugiés
Hémicycle - samedi 16 juin 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Haut Commissaire,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,

C'est avec beaucoup d'émotion que j'ouvre cette séance solennelle de l'Assemblée des réfugiés en présence de M. Ruud LUBBERS, Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. De cette même émotion, qui lors de mon élection à ce fauteuil m'a fait exprimer une reconnaissance personnelle à l'égard de la République, la seule que je connaisse, celle qui accueille, qui éduque, qui rassemble, sans distinction de race, d'origine, de culture, ou de religion.

A moi, fils d'immigrés italiens, que la pauvreté avait contraints à fuir leur pays, la France a tout donné.

A vous, victimes des conflits, des persécutions, des haines raciales, religieuses, ethniques, victimes des violations des droits de l'homme, la République a donné un asile.

Je ne connais pas de plus beau mot que celui d'asile puisqu'il crée un espace sacré où les êtres humains ne peuvent être poursuivis. C'est un refuge où vient se loger la seule humanité de l'être humain. Un abri contre les persécutions pour ceux qui ont été contraints de laisser derrière eux leur terre, leur entreprise, parfois leur famille, toujours leurs moyens de subsistance.

Vous, réfugiés, parce que les Etats dont vous étiez ressortissants vous ont refusé la protection à laquelle vous aviez droit, vous avez été accueillis par la France. L'Assemblée nationale salue en vous "la forme entière de l'humaine condition", comme le disait Montaigne. Et parce que souvent l'asile rime avec l'exil, et parce qu'une nouvelle vie est espoir mais aussi mélancolie, je voudrais que les Etats, tous les Etats entendent votre appel.

L'Assemblée des réfugiés veut tout d'abord commémorer le cinquantième anniversaire de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Ce texte définit ce qu'est un réfugié et pose solennellement le principe du non-refoulement vers des pays où il serait exposé à des persécutions ou des risques pour sa vie.

Elle énumère également les droits dont doivent bénéficier ceux auxquels le statut de réfugié a été reconnu : accès au logement, au travail, à l'éducation, à la santé...

Aujourd'hui, ce que nous voulons, c'est aller plus loin que la Convention de Genève car la nature des problèmes auxquels tous les Etats sont confrontés a profondément changé.

Le monde globalisé d'aujourd'hui n'est plus celui de l'après-guerre. Le développement des moyens de transports, l'extraordinaire pouvoir d'attraction des pays industrialisés sur les pays les plus pauvres, renforcé par les moyens d'information, ont multiplié le nombre des demandeurs d'asile. En France, par exemple, nous avons enregistré 30 000 demandes d'asile en 1999 et 38 000 en 2000, soit une augmentation de 25 %.

Tous les pays européens ont pu constater une telle progression et tous essayent de définir des règles qui distinguent les migrants économiques de ceux qui recherchent l'asile contre les persécutions. Dès lors, l'énoncé de principes éthiques, d'ailleurs partagés par l'immense majorité des citoyens, - on l'a bien vu lorsqu'un bateau de réfugiés kurdes s'est échoué sur nos côtes -, ne saurait suffire à fonder une politique. En la matière, personne ne peut faire d'angélisme sous peine d'être victime des filières d'immigration clandestine, sources de trafics et d'exploitation d'êtres humains.

Par conséquent, il faut que nous parvenions, en France mais aussi à l'échelle européenne à bâtir un véritable statut des demandeurs d'asile.

La France s'y est efforcée même s'il reste beaucoup de problèmes à régler qu'il n'est nullement question de dissimuler.

Elle a bâti une procédure juste, équitable et efficace de détermination de la qualité de réfugié, conduite par l'OFPRA et la Commission de recours.

Les zones d'attente ont cessé, en théorie, d'être des zones de non droit depuis 1992, même s'il reste beaucoup à faire. En 1993, le Conseil constitutionnel a consacré le droit pour les étrangers, demandeurs d'asile, à demeurer sur le territoire jusqu'à l'issue de la procédure. Depuis le 1er janvier 2001, est entrée en vigueur la loi sur le référé administratif qui permet d'obliger l'administration à laisser débarquer des demandeurs d'asile sur notre territoire, quand ils sont illégalement consignés à bord des navires.

Bien entendu, des problèmes subsistent : les zones d'attente ne sont pas à la hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre d'une République attentive à la dignité de l'homme. Des rapports parlementaires l'ont mis en évidence au-delà de toute contestation. Les associations qui viennent en aide aux réfugiés devraient pouvoir se rendre dans les zones d'attente plus facilement et plus régulièrement. Je sais que certaines demandes d'asile ne sont même pas examinées sous prétexte qu'elles seraient dépourvues de tout fondement. Enfin, le statut des mineurs isolés qui se présentent à nos frontières n'est pas réglé.

J'ai conscience qu'un véritable statut des demandeurs d'asile ne pourra se construire qu'à l'échelle européenne. En effet, l'espace de l'Union doit devenir un espace commun de liberté, de sécurité et de justice. C'est pourquoi le Conseil de Tampere d'octobre 1999 est convenu de travailler à la mise en place d'un régime d'asile européen commun.

La Commission européenne a fait, le 3 avril dernier, une proposition de directive relative à des normes minimales communes pour l'accueil des demandeurs d'asile. C'est la bonne démarche tant il est vrai que les pays de l'Union ne sauraient se faire concurrence ni sur la compétence pour examiner les demandes, ni sur le contenu et les droits reconnus aux demandeurs d'asile. En procédant ainsi, l'Union mettra en oeuvre la Charte européenne des droits fondamentaux, proclamée solennellement à Nice, le 7 décembre 2000, dont l'article 18 réaffirme le droit d'asile garanti par la Convention de Genève.

Au-delà de la France, au-delà de l'Europe, c'est au monde que l'Assemblée des réfugiés réunie aujourd'hui souhaite s'adresser.

Ce sont tous les Etats qui doivent respecter les engagements qu'ils ont souscrits en devenant parties à la Convention de Genève. Mais là encore, je veux que nous fassions preuve de pragmatisme car le lyrisme d'un instant, ne remplace pas l'action collective, oeuvre de chaque jour.

Si nous voulons que les Etats qui accueillent le plus de réfugiés remplissent leurs obligations, il faut les y aider. Ce sont souvent les pays les plus pauvres qui sont en première ligne.

A cet égard, les pays les plus favorisés doivent coopérer avec eux pour faire face aux conséquences économiques, environnementales et sociales de l'afflux des réfugiés.

Notre Appel est lancé à un moment décisif. Les représentants des Etats s'apprêtent à se réunir à Genève, le 12 décembre prochain, pour examiner les moyens de renforcer l'efficacité de la Convention de Genève. Pour la première fois, une Assemblée formée de ceux qui sont directement concernés par le drame de l'exil fait entendre sa voix et souhaite participer activement à ce débat.

Le 17 juin 1789, le Tiers Etat, réuni dans la Salle du Jeu de Paume à Versailles, proclama l'Assemblée nationale. Deux cent douze ans après cet événement si important, nous avons réuni notre Assemblée des réfugiés pour rappeler les Etats à l'importance de la liberté et de la sûreté auxquelles aspirent les réfugiés. C'est donc au nom de la liberté que je souhaite conclure mon intervention et ouvrir cette journée.

Que cette liberté ne soit plus niée à personne, qu'elle devienne notre bien commun, voilà notre espoir et notre mission.